SUMMUM de GRENOBLE 2011: CARMEN, par la FABRIQUE OPERA (Dir.mus: Patrick SOUILLOT)

 

Voilà une opération qui pourrait séduire: chaque année, Patrick SOUILLOT et sa FABRIQUE OPERA programment au Summum, la salle de Grenoble qui fait office de « Zenith » un opéra « populaire » pour un large public, chanté par des jeunes artistes avec un orchestre appelé  « L’Orchestre » qui est l’orchestre symphonique universitaire de Grenoble, et la collaboration de lycées professionnels qui fabriquent les costumes (Lycée Argouges) ou qui font les coiffures (Lycée Jacques Prévert) et le soutien d’une foule de structures et d ‘entreprises grenobloises . On a ainsi vu depuis quelques années La Flûte enchantée, La Traviata, West Side Story, Don Giovanni. C’était cette année le tour de Carmen qui a pulvérisé tous les records d’affluence puisque les quatre représentations étaient combles, on est venu de loin pour voir ce spectacle.
Mais autant la nature de l’opération, qui permet à des jeunes musiciens ou chanteurs, à des amateurs et à des élèves de participer de près à l’élaboration d’un spectacle est à saluer, à soutenir, à poursuivre, autant le résultat de l’entreprise confond par sa médiocrité notamment au niveau scénique. Le public accouru en foule qui fait un triomphe à l’ensemble ressort hélas avec l’idée qu’il a vu dans ce spectacle la Carmen de Georges Bizet, et cela en dit long sur les résultats réels du travail d’éducation du public des grandes institutions culturelles du territoire de Grenoble, à commencer par Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre-Grenoble.
Dans une ville qui a une grande tradition de spectacle vivant, où la MC2 (le plus grand complexe de spectacle vivant de France, et le plus subventionné: un auditorium de 1000 places, une salle de 1200 places, un petit théâtre de 250 places, une salle de création de 700 places, et des studios de danse etc.. etc..) ne désemplit pas, o
n doit s’interroger sur le sens de ce succès au détestable rapport qualité-prix: sans doute une soif d’opéra qu’on voit aussi se développer à travers la multiplication des opérations de retransmissions dans les salles de cinéma, sans doute aussi le résultat d’une impressionnante campagne de communication, sans doute enfin l’existence d’un public en demande que les réponses apportées par les structures en place ne prennent peut-être pas assez en compte.

Il n’est pas question évidemment d’apprécier ce spectacle sur les mêmes critères que les spectacles que je fréquente habituellement, ni de mettre en cause l’ensemble des participants, souvent bénévoles, enthousiastes et valeureux, mais force est de constater que le minimum requis n’est pas atteint. Les spectacles de ce type qui ont lieu dans les stades et les « Zenith » visent à rameuter un public nombreux sur des critères de spectaculaire, et essentiellement de divertissement: il faut du monde sur scène, de la couleur dans les décors, et la musique est bien entendu sonorisée: il est bien difficile de donner un avis musical dans ces conditions car chanteurs, choeur et orchestre ne sont pas au même niveau sonore.
C’est exactement le cas pour cette Carmen: c’est un spectacle de divertissement qu’il ne faudrait surtout pas prendre au sérieux et rapprocher d’une vraie entreprise artistique à prétention culturelle et musicale. On n’est pas vraiment à l’opéra.
La distribution est composée de jeunes chanteurs  qui ne sont pas indignes, mais dont tous ne sont visiblement pas encore prêts pour la scène. Carmen (Marie Gautrot) a un joli timbre de mezzo, mais quelques problèmes de justesse (air des cartes) et surtout une fâcheuse manière d’appuyer sur les consonnes pour donner au rôle une allure énergique, qui en réalité ne produit aucun effet, car elle ne sait pas interpréter. Le Don José de Rémy Poulakis ne rend pas justice au personnage, a une diction et un débit monocordes, une tenue en scène très problématique frisant le ridicule, et un souffle court, on est très très loin du compte! La Micaela de Sevan Manoukian est passable, elle n’a pas une voix homogène,avec une couleur
métallique et grèle dans le registre central, et avec une autre voix, un peu courte, dans les aigus. Fabrice Alibert a  des problèmes de souffle et de tenue scénique, il n’est pas encore prêt pour Escamillo. Frasquita (Joanna Malewski) a une voix acide et un peu trop de vibrato tandis que Mercedes (Landy Andriamboavonjy) semble, de tous, la plus en place. Au total, des rôles féminins tout de même un peu plus au point que les rôles masculins avec des problèmes pour tous, notamment dans la manière de respirer et le travail du souffle et  avec la débandade assurée dès que le rythme change (les passages dramatiques de la scène finale sont très problématiques). Le choeur composé d’amateurs n’est pas là non plus indigne loin de là, mais les hommes sont tout de même insuffisants (volume, pose de voix, décalages incessants avec l’orchestre) alors que les femmes en revanche sont bien plus au point.  Les faiblesses de l’orchestre (notamment au niveau des vents et des bois) font paradoxalement ressortir la difficulté de cette partition archi-connue, qui demande un raffinement et une précision qu’à aucun moment Patrick Souillot ne cherche à insuffler: au contraire il use  et abuse des changements de rythme, des accelérations brutales, surprenantes sans  aucun lyrisme. . L’orchestre fait de jeunes peut légitimement avoir des faiblesses, mais le chef n’aide pas à donner de la couleur à l’ensemble. A aucun moment la musique ne distille ne serait-ce qu’une seconde de poésie ni une quelconque émotion. Cela ne décolle pas.
Il faut dire aussi que la mise en scène (peut-on appeler cela une mise en scène?) de
Raphaëlle Cambray-Jouantéguy rassemble à peu près tout ce que l’on déteste à l’opéra: incohérences (mouvements chorégraphiques injustifiés), gestes convenus ou ridicules (Frasquita relève sa jupe laissant voir une culotte avec un coeur où vous pensez…),  maladresses dans l’organisation des entrées et sorties; pour le reste, on est dans le tape à l’oeil (éclairages hideux, jaunes, rouges, bleu pétrole, fluo), dans une approche très voisine de l’opérette dans le traitement des foules et de certaines scènes: nulle émotion, nulle idée, nul propos. Un travail fait à la va-vite: je ne sais combien de temps auront duré les répétitions, mais je crains qu’on n’ait pas vraiment pu travailler de manière approfondie. Il faut remplir le plateau, donner de la couleur, mettre de la foule pour faire de l’effet et mettre de la lumière (ah! ces « guirlandes de noël « entourant le décor dans la scène des cartes ou l’arcade-entrée de l’arène dans la scène finale). Quant aux costumes, qui sont joliment réalisés par les élèves du Lycée Argouges, ceux des solistes ne sont  malheureusement pas toujours du meilleur goût, au contraire de ceux du choeur, et ne correspondent pas toujours aux personnages: quelle idée d’affubler d’une robe gitane bleu et argent la Carmen tragique du dernier acte. Où a-t-on trouvé ce bleu hideux? sur les paquets de « Gitanes » bien connus? c’est à ça qu’on pense…Et quelles orientations la production a-t-elle données aux élèves pour le choix des couleurs, et de la réalisation ?
Mais ce qui me chagrine, ce n’est même pas le résultat général ni le niveau musical, car à l’évidence l’enthousiasme et l’engagement sont visibles partout: c’est qu’on trompe le public en lui faisant prendre ce travail comme un travail scénique exigeant, qui vise à l’excellence comme on l’a dit sur scène au moment des saluts. On va m’opposer l’affluence, le succès croissant, l’enthousiasme réel des spectateurs. qui certes, est riche de potentialités car il donnera peut-être envie d’aller à l’opéra.. Mais comment, dans une ville où l’opéra existe peu, et où la seule référence depuis quatre ou cinq ans sont ces productions de la Fabrique Opéra, le public pourrait-il se construire une « culture » lyrique ?
L’an dernier, La Fabrique Opéra avait présenté un Don Giovanni de Mozart , version Prague, donc tronqué de la moitié du second acte, en adaptant les récitatifs; cette année, où l’ensemble est tout de même  meilleur, les dialogues (très mal joués) sont souvent réadaptés dans un langage considéré comme « plus proche des gens » alors que le dialogue original est
par ailleurs   parfaitement clair et compréhensible . C’est vraiment présupposer que le public ne comprendrait pas l’original: ce n’est pas vraiment honorable et c’est surtout inutile

Et que, pour couronner le tout, les prix aillent de 29,50€ à 65€, c’est à dire  les prix d’un spectacle professionnel, qui ne correspondent en rien au niveau de ce qui a été présenté,  me paraît particulièrement délétère, là où des vraies salles comme l’Opéra National de Lyon affichent des prix qui vont de 13€ à 90 € pour de vrais spectacles d’Opéra de niveau international dans un espace fait pour cela: j’ai vu des gens qui venaient de la Drôme: ils investiraient peut-être moins en allant à Lyon qu’au Summum, et au moins ils verraient de l’opéra. Quant aux prix de la MC2, ils ne dépassent pas 42€. C’est bien montrer que l’entreprise de la Fabrique Opéra n’est pas si « populaire », comme on essaie de nous le faire croire et qu’en matière de musique classique, mieux vaut faire confiance aux structures publiques.

En France, il est évidemment difficile de faire de l’opéra en dehors des grands centres urbains  nous ne sommes pas en Allemagne avec ses 250 théâtres de ville qui présentent chacun une saison d’opéra avec une troupe fixe. Dans le système à la française, l’opéra est réservé soit aux salles (une quinzaine en France) de grandes villes, soit au cinéma, soit à des spectacles de cet acabit (il y en a quand même d’un peu meilleurs dans le genre!): en terme d’éducation du public, qui , nous l’avons vu, est en demande, nous sommes bien à la traîne et bien loin du compte. Grenoble a bien un orchestre prestigieux en résidence, mais cet orchestre (les Musiciens du Louvre-Grenoble) répète à Paris et joue un certain nombre de programmes à Grenoble sans vraiment être « enraciné » sur le territoire. Comment monter un travail approfondi et au long cours pour construire un public et un projet autour du lyrique dans ces conditions ? On ne fait que gérer le public captif habituel de la musique, sans vraiment aller chercher des nouveaux publics avec les dents.
Grenoble est une ville de grande tradition théâtrale, de grande tradition chorégraphique, avec un vrai public, ouvert, disponible, formé, il est seulement dommage qu’elle laisse le champ de l’opéra et du lyrique à des projets de ce type, qui avec l’alibi de l’affluence, perdurent dans le médiocre parce qu’ils n’ont pas de visée artistique. Il y a de la vraie ressource professionnelle et je suis sûr, économique, pour construire au moins un vrai projet d’opéra par an dans les structures publiques de Grenoble.

Patience, confiance, fabriquons de l’opéra, et non un ersatz qui n’en a pas vraiment le goût.

 

OPÉRA NATIONAL DE PARIS: QUELQUES MOTS SUR LA SAISON 2011-2012

Construire une saison, c’est établir un savant équilibre entre nouveautés et répertoire, entre mises en scènes hardies et visions traditionnelles, entre musiques qui captent le public et oeuvres plus difficiles, entre grands standards et petits diamants, garantissant pour chaque opéra une distribution de bonne facture, et pour certaines oeuvres des stars qui vont attirer le public et donner la couleur de l’ensemble de la saison, c’est aussi donner sa part à chaque répertoire, allemand, italien, russe, français.
Nicolas Joel en ouvrant sa première saison par Mireille, voulait affirmer une couleur:  le retour du répertoire et des chanteurs français dans les distributions. Cette saison réaffirme cette option originelle puisqu’on retrouve de grandes oeuvres du répertoire national dans les nouvelles productions, à commencer par Faust, mais aussi Manon, et Hippolyte et Aricie, et dans les reprises, Pelléas et Mélisande, L’amour des trois Oranges (dans la mesure où la version originale est en français) mais aussi Orphée et Eurydice de Gluck-Pina Bausch et Roméo et Juliette de Berlioz-Sasha Waltz ballets composés à partir d’oeuvres lyriques. Soit un total de 7 oeuvres sur les 21 spectacles lyriques proposés.
En proposant deux nouvelles productions Faust et Manon, offrant un écrin à deux vedettes nationales, il réalise une opération médiatique: une n’aurait-elle pas suffi? Notre Opéra national avait-il si vite besoin d’une Manon et d’un Faust, quand les Huguenots attendent depuis plusieurs dizaines d’années?
En ce qui concerne production et distribution, Faust est confié à Alain Lombard, qui fait son grand retour dans la maison (qu’il a dirigée avec Paul Puaux pendant un an après le départ de Bernard Lefort) avec un de ses chevaux de bataille. Son enregistrement de Faust (Caballé, Aragall, Plishka) tant salué par la critique  à sa sortie, n’a pas vraiment résisté au temps, mais Lombard reste un des bons chefs pour cette oeuvre. La production aura la rude tâche de succéder à celle, légendaire, de Jorge Lavelli restée au répertoire plus de 25 ans après des débuts difficiles (grèves, scandale: « bien fait pour Gounod » avait hurlé un spectateur heureux à la première…) et elle sera confié à Jean-Louis Martinoty, grand professionnel dont les interprétations mozartiennes qu’il est en train de présenter à Vienne semblent rencontrer l’assentiment. Faust sera Roberto Alagna, prophète en son pays, et Marguerite Inva Mula, qui ne m’avait pas vraiment convaincu en Mireille. Gageons un succès assuré.

Manon est confiée à Evelino Pido’: il est hors de doute que c’est un très bon chef d’opéra qui accompagne d’ailleurs beaucoup Natalie Dessay. Est-ce la raison de ce choix surprenant? Pido’ est plus habituel dans le bel canto. Et Colline Serreau fait la mise en scène, en espérant que le succès du Barbier de Séville (reproposé lui aussi dans la saison) soit renouvelé.
Rien de décoiffant tout de même dans ces choix.

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Hippolyte et Aricie à Toulouse: Jennifer Holloway : Diane / Jaël Azzaretti : L’Amour / François Lis : Jupiter © Patrice Nin

Hippolyte et Aricie est une reprise de la production de Toulouse de 2009, avec Emmanuelle Haim et son concert d’Astrée (dont la prestation cette année dans Giulio Cesare n’a pas fait l’unanimité) pour la musique et Ivan Alexandre, pour la mise en scène. Il a fait un travail de reconstitution qui sans nul doute produira un certain effet dans l’écrin somptueux du Palais Garnier,  notamment avec Anne Catherine Gillet, déjà  Aricie à Toulouse, et Topi Lehtipuu qui devrait être magnifique dans Hippolyte .

La location de la production de Jean-Pierre Ponnelle de La Cenerentola (celle de Munich, pas celle de la Scala) permet de l’afficher comme une sorte de création (« première présentation à Paris ») elle est montée par Grisha Asagaroff qui suit souvent les mise en scènes de Ponnelle (décédé en 1988) encore affichées (les très grandes remontent généralement aux années 70): elle est dirigée par le plus grand spécialiste de Rossini (Claudio Abbado exclu, puisqu’il ne dirige plus de Rossini hélas…), à savoir Bruno Campanella. Nul doute -comme ne manquera pas de le dire la presse, c’est en effet l’expression consacrée pour Campanella-  cela pétillera-t-il  « comme du champagne ». A l’affiche Karine Deshayes, victoire de la musique classique, une des bonnes Angelina du jour.

Une création,  « La Cerisaie » de Philippe Fenelon, en coopération avec le Bolchoï et en langue russe, est confiée à Tito Ceccherini, un très bon chef pour la musique contemporaine, et dans une mise en scène de Georges Lavaudant, une des gloires de la mise en scène française qui revient à l’Opéra de Paris après un lointain Roméo et Juliette de Gounod (des années Lefort). Ce pourrait être intéressant, l’équipe est de qualité et une création est toujours une belle occasion.

Venons-en maintenant à ce qui constitue pour moi le noyau dur des nouvelles productions de la saison, à savoir, La Forza del Destino, Cavalleria Rusticana et Arabella.

La Forza del Destino revient à l’opéra, dans une production de Jean-Claude Auvray: il fit notamment à Paris dans les années 80 une Tosca -avec en 1984 sous la direction de James Conlon, Pavarotti/Behrens/Bacquier- restée dans les mémoires car Pavarotti en s’asseyant y rompit une chaise et parce que, tout de même, le duo ne manquait pas de chien!
La direction musicale confiée à Philippe Jordan, permettra d’écouter le directeur musical dans un répertoire où on le connaît peu. Mais nul doute que la prestation sera digne d’intérêt. La distribution propose Violeta Urmana, Marcelo Alvarez, Vladimir Stoyanov et Kwanchoul Youn, c’est à dire un ensemble solide mais qui ne fait pas forcément rêver: relèveront-ils le défi verdien?

Pour Cavalleria Rusticana et Pagliacci, Nicolas Joel est  allé chercher en Espagne une production de Giancarlo del Monaco dirigée par Daniel Oren: Le Canard Enchaîné titrerait « Les apparentements terribles ». Appeler cela une nouvelle production est un peu excessif, comme pour Ponnelle, on pourrait l’appeler « Première présentation à Paris »…N’ironisons pas. Rien à dire de ce choix inutile. Une distribution solide, sans grande imagination (Urmana, Giordani, Galouzine, Mula). Et une direction et mise en scène sans surprise, hélas…

Enfin, Philippe Jordan a dû vouloir réitérer le succès de la belle production de Capriccio qu’il a dirigée à Vienne, magnifique spectacle de Marco Arturo Marelli avec Renée Fleming. Dans cette Arabella qu’il va diriger et que Marelli va mettre en scène, la présence de Renée Fleming et de Michael Volle en Mandryka nous promet une magnifique soirée straussienne.
Sans nul doute, des huit « nouvelles productions » (dont tout de même trois sont déjà anciennes…), c’est celle qui me paraît la plus riche de potentialités. Le reste, sans être inintéressant, reste de la grande série, sans chefs vraiment stimulants (sauf Jordan), avec des distributions certes solides, mais pas exceptionnelles.

Les reprises ne font pas trop rêver non plus. Une Lulu sans grande nouveauté, même avec Laura Aikin, vue à Lyon et à la Scala dans le même rôle et avec Michael Schoenwandt qui n’est pas un mauvais chef, un Rigoletto de répertoire, certes avec Machaidze et Beczala, mais globalement sans intérêt, un Tannhäuser dirigé par Mark Elder, (qui ne dura qu’une saison à Bayreuth dans les Maîtres chanteurs jadis…) pour les débuts de Nina Stemme, une Salomé dirigée par Pinchas Steinberg, même avec Angela Denoke, ne me paraît pas d’un intérêt majeur. Il reste tout de même çà et là des éléments qui peuvent exciter nos papilles avides, Adam Fischer est un bon chef pour Clemenza di Tito et Klaus Florian Vogt dans Titus ne manque pas d’intérêt, Pelléas et Mélisande et Don Giovanni promettent, grâce à Philippe Jordan dans les deux oeuvres, grâce à Stéphane Degout dans Pelléas, et grâce à la production de Don Giovanni de Michael Haneke (le duo Petibon/Gens devrait y faire des étincelles scéniques). Oui, la reprise des chorégraphies de Pina Bausch (Orphée et Eurydice) avec Hengelbrock au pupitre et Sasha Waltz (Roméo et Juliette) sont de bonnes initiatives aussi. Les autres reprises (L’amour des trois oranges, Dame de Pique, Barbier de Séville) ne déparent pas, mais ne déchaîneront sans doute pas  les passions.
A mon avis, de toutes les reprises, la plus digne d’intérêt me paraît « La Veuve Joyeuse » de Lehar, avec la grande Susan Graham et Bo Skovhus, d’autant que l’israélien Asher Fish est un chef à suivre. Réservez la dans vos agendas.

Que dire au total? La saison est loin d’être indigente, loin d’être indigne et donnera sans doute l’occasion de bonnes soirées lyriques.
Mais tant dans les nouvelles productions que dans les reprises, je ne peux m’empêcher de lui trouver un manque d’imagination, que ce soit dans les distributions, souvent solides, mais jamais vraiment excitantes, et surtout dans le choix des chefs: à part Philippe Jordan, aucun me paraît susceptible de donner une vraie couleur, une vraie originalité à une soirée. On peut dire qu’il est difficile de saisir au vol des chefs, retenus souvent des années à l’avance, qui n’aiment pas toujours diriger des reprises etc…, ou qui limitent leurs apparitions à l’opéra; il y a aussi des chefs importants qu’on n’a jamais vus à l’opéra de Paris (Haitink…Metzmacher…Gatti…),et il y a plein de chefs plus jeunes ou très jeunes qui font une brillante carrière, ou qui ont été remarqués (Mikko Franck, Andris Nelsons, Gustavo Dudamel, Kirill Petrenko, Nicola Luisotti, Robin Ticciati, Omer Meir Wellber pour les plus en vue). On a bien trouvé le jeune Tomas Netopil pour Katia Kabanova, on pourrait bien en trouver d’autres!
Quant aux mises en scènes, elles sont pour la plupart confiées à de vieux routiers, qui ont déjà tout dit (ou trop dit, comme Gianfranco del Monaco) et il n’y a pas là non plus d’exploration de territoires moins connus. Tout cela est à la fois solide (Nicolas Joel est un grand professionnel, c’est évident) mais reste un peu fade, un peu plat, un peu gris. On peut le regretter. Il ne s’agit pas de secouer le cocotier à chaque production, mais on aimerait le voir secoué un peu plus…

OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 : SIEGFRIED de Richard WAGNER ( Dir.mus: Philippe JORDAN, Mise en scène Günter KRÄMER) le 15 mars 2011

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Soyons justes, ce Siegfried n’est pas la représentation du siècle, mais du prologue et des deux  journées présentées, c’est sûrement la représentation la plus cohérente, ne serait-ce que parce que le premier acte est assez réussi et que certaines images du troisième ne manquent pas de grandeur. Musicalement, la direction de Philippe Jordan, remarquable, soutient une équipe de chanteurs dans l’ensemble satisfaisante. On ne sort pas en furie, comme ce fut pour moi le cas au sortir de La Walkyrie.
Pour Siegfried, il faut d’abord saluer un niveau musical globalement supérieur à ce qu’on a entendu précédemment. L’orchestre dirigé par Philippe Jordan est en tous points remarquable: la direction au tempo souvent plus lent que d’habitude (le prélude installe une tension très forte et donne une couleur mystérieuse qui fait d’ailleurs contraste avec le lever de rideau) fait justice à tous les moments de la partition, des Murmures de la forêt étonnants de chaleur et de douceur, un troisième acte tout de somptuosité sonore, alternant moments de pure poésie suspendue et moments d’une formidable intensité dramatique, une clarté de lecture qui laisse entrevoir tous les pupitres, un accompagnement des chanteurs d’une grande précision. Ce travail exemplaire révèle de plus en plus un très grand chef d’opéra.
La distribution est d’un d’un très haut niveau. et montre une fois de plus ce que j’affirme depuis quelque temps: il n’y a aucun problème à monter Wagner aujourd’hui et une oeuvre aussi difficile que Siegfried qui exige une performance physique énorme du protagoniste peut être proposée avec trois  ténors pour lesquels on est assuré de la performance, Lance Ryan, Stephen Gould, Torsten Kerl (puisque c’est une prise de rôle à Paris) et au moins un chanteur d’un niveau bien inférieur, mais qui « assure » tout de même, Christian Franz.
Torsten Kerl (un nom qui va bien avec Siegfried!) n’a pas le timbre étonnamment juvénile et clair de Lance Ryan, ni sa vaillance, mais c’est en quelque sorte une « force tranquille »: un timbre velouté, une grande douceur, sans jamais donner l’impression de forcer et un engagement scénique qui provoque l’admiration. Un très grand Siegfried, et un beau choix de Nicolas Joel. On est heureux aussi de revoir Juha Uusitalo qui a traversé un passage à vide dû à des problèmes de santé. La voix n’a peut-être plus tout à fait  la puissance d’antan, mais le timbre sonore, et pur, la couleur, la largeur sont revenus. Sa scène avec Mime, et celle avec Erda (un peu traitées de la même manière par la mise en scène d’ailleurs) sont d’une rare intensité. Même remarque avec le Fafner exceptionnel de Stephen Milling, le court moment de sa mort et la réplique à Siegfried donnent le frisson.
mime.1300295177.jpgLe Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke , qui est en train de devenir le Mime de référence, comme Heinz Zednik en son temps: je trouve cependant que la voix manque de couleur et n’est pas si expressive, alors qu’au contraire la composition de l’acteur, en « ménagère allemande de plus de cinquante ans » est à la fois magnifiquement décalée et désopilante. La prestation globale reste très impressionnante. Seule faiblesse dans l’ensemble des hommes, l’Alberich de Peter Sidhom, très fade, sans expression, qui me semble loin d’être à la hauteur du reste de la distribution.
Du côté féminin, Qiu Lin Zhiang est une bonne Erda, solide, à la voix profonde exigée par le rôle, la composition et le jeu sont très solides,  Elena Tsallagova dans l’oiseau n’est pas exceptionnelle, mais la prestation reste satisfaisante. La Brünnhilde de Katarina Dalayman a l’engagement voulu, et il en faut pour chanter ce rôle d’une très grande difficulté (le duo final de Siegfried est pour la soprano l’un des moments les plus difficiles de toute la partition du Ring) sur un escalier gigantesque particulièrement raide, où tout mouvement incongru et non contrôlé serait fort risqué. Il reste que cette chanteuse ne m’a jamais convaincu: les aigus sont là, puissants, projetés mais quelquefois aussi criés, ou manqués l’engagement est réel, mais quelques problèmes dans les graves, souvent détimbrés, et une note finale – comme souvent chez beaucoup de ses collègues, reconnaissons le- ratée. Mais cela reste très honorable, voire meilleur que d’habitude.

Au total, du côté de la musique, ce retour de Siegfried, pas joué à l’opéra depuis 1959, est plutôt un grand bonheur.
Du côté de la scène, on est forcé d’être beaucoup moins positif, même si là aussi, le spectacle est plus cohérent et moins ridicule que ce à quoi Günter Krämer nous a habitués. Il reste tout de même des choses difficilement supportables (le deuxième acte, minable)

mime2.1300295165.jpgLe premier acte présente une grotte de Mime sous l’escalier monumental montant au Walhalla, bien connu depuis l’Or du Rhin. Un ascenseur monte vers les cintres (l’ours l’utilise)et en fait Mime est une sorte de travesti (perruque blonde, habits de ménagère allemande) qui cultive son jardin (plantes, géraniums, nains de jardin etc… et même un ensemble de Cannabis éclairé par des lampes rouges comme dans une serre: Mime est un petit trafiquant. Une atmosphère ridiculement familiale, où Siegfried est un ado qui boit du Coca et mange du Nutella. L’attitude de Siegfried semble bien proche d’une manifestation de crise d’adolescence, engoncé dans une salopette trop juste de qui a grandi trop vite. Bonne idée aussi que l’apparition du Wanderer dans un costume de vagabond qui ressemble un peu au costume endossé par Wotan dans la première production de Siegfried à Paris il y a bien longtemps. Un seul point pénible: lors du chant de la forge, des soldats(?) en arrière fond esquissent comme des pas de marche militaire. Pourquoi?

acte-ii.1300295148.jpgLe deuxième acte est totalement raté à mon avis: tout mystère, toute poésie en sont effacés. Le lever de rideau laisse voir à gauche Alberich et à droite Wotan (ou l’inverse) habillés à l’identique (merci Chéreau à qui l’idée est prise) qui veillent sur l’antre de Fafner vers laquelle se dirigent des esclaves-soldats nus portant des caisses marquées « Rheingold », renfermant des armes qu’ils vont pointer sur tout ce qui s’approche de la grotte. Fafner n’est jamais un Dragon, mais un roi à la couronne de carton pâte(personnage à la Ionesco, qui porte la même couronne que Mime à la fin du premier acte lorsqu’il se voit déjà, telle Perrette et son pot au lait, détenteur de tous les pouvoirs). L’oiseau n’est pas un oiseau mais un jeune personnage que Siegfried suit (pourquoi le faire doubler alors par la chanteuse? Celle-ci pouvait parfaitement jouer et chanter..)
La forêt est automnale, les feuilles mortes volent, actionnées par Wotan, toujours à l’affût (c’est une constante de l’opéra selon Krämer: Wotan est là jusqu’aux dernières mesures). Cette forêt jonchée de feuilles mortes prépare sans doute déjà le Crépuscule. Ainsi Siegfried joue-t-il à peine avec les symboles tant recherchés par les autres, Tarnhelm, Anneau car sans doute voit on le jeu des hommes au lieu du jeu des mythes et le combat de Siegfried et du Dragon est un simple duel entre Fafner et lui, deux mortels. Les gardiens nus s’écroulent quand Fafner s’écroule. la forêt se réduit à deux rideaux de tulle peint superposés. Il y a un refus total de la magie, qui reste portée par la musique, mais ce qui est représenté sur scène va contre et les décors de Jürgen Bäckman ne sont pas convaincants.

Le troisième acte commence par une vision nocturne du Walhalla, où les dieux semblent assis à des tables de bibliothèque (lampes de bureau vertes) parmi lesquelles Erda, à moins que cette idée de bibliothèque ou d’archive ne soit une allusion à la mémoire du monde, portée justement par Erda.

erda.1300317611.jpgLa scène entre Wotan et Erda, non dénuée d’intensité et de violence se déroule sur et autour d’une table, et finalement n’est pas si mal réussie, la tension que Wotan crée n’y est pas étrangère. Le rideau d’avant-scène, celui qu’on avait déjà vu au premier et second acte, portant les traces de mots inscrits à la craie (Riesen, Nibelung, Notung, résultats des devinettes posées à Mime par le Wanderer) ou le mot « Fürchten »: « avoir peur » qui est ce qu’ignore Siegfried jusqu’à la vue de Brünnhilde, tombe à nouveau pour isoler Wotan et Siegfried, la scène se déroule selon les canons habituels, et Siegfried, brisant la lance se précipite vers le rocher, en fait l’escalier immense et raide qui monte vers le Walhalla, au centre duquel gît Brünnhilde. Près d’elle, Wotan écroulé, vaincu, face contre terre, en haut à droite une armée d’anges gardiens, chœur muet, qui attendent sans doute le Dieu. Un peu en contrebas Siegfried qui va monter jusqu’à Brünnhilde pour la réveiller. Peu de mouvements possibles sur cette pente abrupte, sur ces marches assez raides à la maigre surface, d’où quelques images fortes sans grands mouvements possibles, par exemple Brünnhilde qui dort au milieu des personnages qu’on vient de décrire, avec des débris de la gloire d’antan, bouclier, table renversée, lettres GER de Germania abandonnées.

Le duo en lui-même sans doute à cause de la situation un peu acrobatique, est réglé de manière bien frustre, sans urgence érotique, sans véritable palpitation des cœurs. Il faut attendre la dernière image pour apprécier une idée:

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celle de Wotan regrimpant péniblement et en s’écroulant vers le Walhalla, suivi et soutenu de ses anges gardiens, sorte de vision à la fois parallèle et antithétique de la vision finale de l’Or du Rhin, et,  tandis que Brünnhilde le considère d’un regard rapide en le voyant s’éloigner, elle se tourne rapidement vers Siegfried et se jette dans ses bras  pour le premier émoi.

Au total, un spectacle sans grandes trouvailles, encore une fois, mais qui est malgré tout  plus cohérent que les spectacles précédents (à moins qu’on ne s’habitue…) avec quelques éléments accrocheurs çà et là, mais toujours des visions ridicules et didactiques (Fafner), sans intérêt. Comme pour les épisodes précédents, cela ne nous apprend rien et nous laisse de marbre. Heureusement la musique a emporté l’adhésion: une vision musicale s’installe, incontestable et c’est Philippe Jordan le grand vainqueur : il accèdera sans doute au Walhalla des chefs.

Il y a de quoi se réjouir que l’Opéra de Paris soit en route vers son premier Ring depuis 1959…Patience et longueur de temps…En juin prochain, Nicolas Joel aura gagné son paradis wagnérien.
Ce ne sera certes pas la production rêvée, mais ce sera sans doute de la belle musique. On pourra attendre alors le premier Ring complet, et se rendre compte de l’effet produit par quatre soirées successives en immersion dans du Günter Krämer. [wpsr_facebook]

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THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES 2010-2011 : ORLANDO FURIOSO de A.VIVALDI (Dir.mus: Jean-Christophe SPINOSI, Ms en scène: Pierre AUDI, avec Marie-Nicole LEMIEUX/Delphine GALOU, Philippe JAROUSSKY) le 14 mars 2011

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Orlando Furioso, pour les gens de ma génération, ce sont deux spectacles inoubliables et radicalement différents, d’une part, en 1969, la mise en scène de l’épopée de l’Arioste, époustouflante et inoubliable de Luca Ronconi dans les pavillons de Baltard des ex-Halles de Paris avant leur destruction , et dans les années 1980 (à la fin des années 70 en réalité)  la mise en scène de Pier Luigi Pizzi de l’opéra de Vivaldi reprise de nombreuses fois avec Marilyn Horne comme Orlando, au milieu des colonnes blanches.

horne.1300293823.JPGQuel souvenir! la Horne sur son cheval, avec son casque à plume et sa cape rouge! Et quel souvenir musical!

Et pourtant, le spectacle du théâtre des Champs Elysées a déjà lui aussi une longue histoire, née de l’enregistrement de 2004, paru en 2006 chez Naïve avec bien des chanteurs de la distribution de ce soir et bien entendu Jean-Christophe Spinosi et son orchestre, l’Ensemble Matheus. Ainsi donc l’entreprise entamée il y a plusieurs années, accompagnant un travail d’édition qui a enfin rendu justice à la musique de Vivaldi, arrive sur la scène. Ce soir pourtant petit accident de parcours: Marie-Nicole Lemieux, la chanteuse québécoise que tout le monde attendait, est tombée malade, et elle a été remplacée (dans la fosse) par la jeune Delphine Galou, pendant qu’elle mimait le rôle sur scène. Mais au final, triomphe pour l’ensemble du spectacle. Le public parisien, et notamment celui des Champs Elysées, formé par Dominique Meyer, est avide d’opéra baroque.
On glose souvent sur le côté un peu convenu et monotone de ce type d’oeuvre, composé d’une succession d’airs de bravoure, sollicitant agilité, colorature, maîtrise technique étourdissante, visant (exclusivement, disent les adversaires de ce répertoire) à mettre les voix en valeur, sans vraiment accorder d’importance à ce qui est dit ou fait sur scène. Il y a quelquefois effectivement des longueurs, même si le propos de la mise en scène est de prouver que le livret est beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.
Il faut rendre d’abord justice à Jean-Christophe Spinosi et à son ensemble Matheus: c’est pour moi le très grand triomphateur de la soirée, rendant cette musique dès le départ étourdissante de virtuosité, et tour à tour émouvante, dynamique,en faisant ressortir tout le modernisme, en montrant combien elle crée l’adhésion à ce qui se passe sur scène. Il y a des moments suspendus qui sont une pure merveille. Le deuxième acte dans son ensemble m’est apparu peut-être le plus réussi par sa variété,  son aspect mélancolique aussi. Spinosi rend cette musique éminemment vivante, pleine de sève, pleine de surprises, en mettant en relief certaines parties instrumentales qui rendent l’ensemble à la fois vivace, contrasté, toujours passionnant.
Du côté des voix, il a réuni peu ou prou la distribution de son disque, au moins pour les principaux rôles. Marie-Nicole Lemieux sur scène, a montré son engagement et son immersion totale dans le rôle d’Orlando, et la jeune Delphine Galou, accourue de Zürich, dans la fosse, malgré une voix moins large et moins puissante que celle de Marie-Nicole Lemieux, s’en est tirée avec tous les honneurs, démontrant à la fois capacités techniques, contrôle de l’agilité, respiration, mais aussi sensibilité et interprétation (notamment dans le redoutable 3ème acte).
Jennifer Larmore au départ n’a pas vraiment convaincu en Alcina, elle m’a même surpris: agilités problématiques, suraigus criés et acides: peu à peu cependant, grâce à un engagement scénique peu commun , et une maîtrise technique en lien de plus en plus intime avec l’interprétation, cette magnifique artiste (d’une grande beauté sur scène) a rendu le personnage bouleversant. De Jaroussky en Ruggiero rien à dire, car il a tout, beauté du timbre, technique impeccable, agilités étourdissantes, mais aussi maîtrise extraordinaire des moments plus recueillis: une prestation en tous points splendide.
Veronica Cangemi en Angelica me paraît avoir un peu dépassé l’âge du rôle, et cela se sent aussi dans la voix, rèche notamment à l’aigu, et pas toujours très à l’aise dans les agilités. Je suis un peu déçu car j’aime beaucoup cette chanteuse. Bonnes surprises pour l’Astolfo de Christian Senn, seule voix vraiment mâle de la soirée (c’est un baryton) qui sait rendre émouvant le texte par la simple vertu d’une diction impeccable et la Bradamante de Kristina Hammarström, intense, à la voix bien posée, très en place. Mais je garde le meilleur pour la fin: la mezzo italienne Romina Basso a fait de Medoro un personnage magnifique: la voix a un timbre sombre, la chanteuse une technique redoutable dans les agilités, une rare maîtrise des inflexions grâce à une respiration exemplaire. C’est pour moi à la fois une vraie découverte, et l’assurance d’une suite de carrière sans doute riche, tant la prestation est impressionnante.
Au total, un travail musical de très haute qualité sans atteindre vraiment l’exceptionnel sur le plateau: il est vrai que l’oeuvre exige un niveau tout à fait extraordinaire de chacun des protagonistes, et il n’y a pas vraiment de petits rôles.

Pierre Audi est un metteur en scène qui produit toujours un travail très propre à défaut d’être toujours inspiré: beaucoup d’attention à l’esthétique, aux lumières et une réflexion dramaturgique souvent juste qu’on ne lit cependant pas toujours bien sur la scène. Ici, le parti pris est clair: cet Orlando est une oeuvre vénitienne, le décor (à dominante noire, tout comme les costumes) reproduit un riche salon vénitien (reconnaissable au lustre de Murano), les personnages portent des masques, c’est en quelque sorte un opéra de salon joué par des personnages à la Goldoni. Goldoni est d’ailleurs une grande référence de l’ensemble de ce travail, et je soupçonne aussi des claires références à l’univers de Giorgio Strehler (jeux d’ombres et lumières, mouvement virevoltants des costumes), qui connaissait son monde en matière goldonienne. Ainsi, Pierre Audi essaie de souligner ce jeu des apparences et des faux semblants, des sentiments vrais qu’on cache, de l’amour dont on joue, dont on se joue mais dont on souffre aussi, comme si Goldoni était mâtiné de Crébillon fils. Au jeu des égarements du corps et de l’esprit, Orlando perd son âme. Mais Audi a des difficultés au troisième acte à rendre le personnage intéressant: mouvements répétitifs, sans inventivité dans la dramaturgie, et au total peut-être , le sentiment que c’est un peu long, même si l’éclatement du groupe, la dispersion des personnages tout à eux-mêmes, laissant seuls une Alcina qui s’écroule, morte, et un Orlando qui clôt l’opéra par une danse hystérique bien proche d’un final d’Elektra de Strauss, reste une belle idée.

Incontestablement un beau spectacle, qui permet d’entendre une musique magnifique, qui semble presque neuve, mais qui ne procure pourtant pas l’extase qu’on attendrait des acrobaties musicales et d’une mise en scène aussi soignée. Une petite déception donc, au milieu de bien des motifs de satisfaction cependant.

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OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 : KÁTIA KABANOVÁ de Leoš JANÁČEK (Mise en scène Christoph MARTHALER, avec Angela DENOKE) le 12 mars 2011

katiakabanova04-2.1300016536.jpgPhoto Marthe Lemelle

Salzbourg, Kleines Festspielhaus, 1998. Voici 13 ans que cette production de Kátia Kabanová de Christoph Marthaler est devenue la production de référence du chef d’oeuvre de Leoš Janáček, déjà avec Angela Denoke, qui devint une star de la scène lyrique en une soirée, et déjà avec la composition exceptionnelle de Jane Henschel en Kabanicha. On sait que Nicolas Joel a de l’estime pour Marthaler, ce qui justifie la reprise d’une production marquée du sceau « Gérard Mortier » et importée de Salzbourg pour Paris sous son règne en 2004 (et par Joel à Toulouse en 2000, déjà). Les deux chanteuses sont inséparables de cette production et on ne voit pas qui pourrait aujourd’hui faire mieux. D’où l’intérêt de cette reprise.
Les grandes productions ne vieillissent pas, ou peu. C’est ce qui arrive à cette production de Christoph Marthaler qui a encore provoqué au Palais Garnier un immense enthousiasme du public, grâce à une très grande distribution, une direction musicale de haut niveau, et une mise en scène qui n’a rien perdu ni de son intelligence, ni de sa force émotive.
Une vraie soirée d’opéra, où rien ne manque, cela arrive encore, et c’est arrivé au Palais Garnier.

imag0425b.1300016339.jpgOn se demande toujours comment Janáček a pu pendant presque tout le XXème siècle être laissé pour compte et a dû attendre la fin du siècle pour être reconnu dans tous les grands opéras du monde, tant cette musique est riche, charnelle, pleine d’émotion, de sève et d’énergie. Une musique « pleine de notes » comme dirait l’autre, qui alterne un symphonisme rutilant et des moments de concentration (ici avec la viole d’amour) d’une indéniable émotion. Une musique en perpétuel mouvement, qui semble d’une infinie jeunesse, d’une générosité inouïe, dont on ne se lasse pas,  à la fois un écho à la tradition slave mais aussi à la tradition méditerranéenne (Janáček admirait beaucoup Puccini). Et la direction à la fois énergique, précise, lyrique du jeune et talentueux chef Tomas Netopil, directeur musical du Théâtre National de Prague, rend parfaitement justice à l’œuvre: l’orchestre de l’Opéra sonne, chaque note s’entend, et chaque inflexion du texte est valorisée.
Kátia Kabanová est souvent  comparée à une oeuvre vériste, à cause de cette histoire de femme mariée à un homme faible soumis à sa mère, confinée dans son milieu étroit qui veut vivre 
enfin une aventure que son corps et ses rêves lui dictent, avec un homme pourtant médiocre , dans un milieu de paysans et de petite bourgeoisie dont la belle mère Kabanicha est une caricature. Les personnages sont moins caricaturaux que dans le vérisme, et la psychologie de Kátia est beaucoup plus fouillée. L’espace clos conçu par Marthaler autour d’une fontaine rouillée qui fonctionne à contretemps ironique renforce cette idée d’un oiseau en cage épié par l’ensemble de la maisonnée.

Car Marthaler a construit un espace clos, dans l’esthétique « cheap » des années soixante du communisme triomphant, une cour d’immeuble qu’on pourrait imaginer à Berlin Est ou Prague. murs décrépis, fontaine rouillée, poubelles partout, papiers peints décatis, fenêtres ouvertes ou fermées, vitres cassées,  personnages épiant l’espace tragique de la cour, où évoluent à la fois les chanteurs, mais aussi des personnages à la Marthaler, faux aveugle sans doute agent de la stasi locale, jeunes filles en deshérence, locataires oisifs et les personnages eux-mêmes, vêtus en habits de supermarché, imperméables trop courts, cardigans tricotés aux couleurs vomitives, costumes fatigués ou mal coupés (celui de Saviol Dikoy, par exemple, couleur bordeaux favorite des espaces germaniques de l’époque). La coiffure de la Kabanicha, cheveux crêpés montés en chignon gigantesque sur un corps petit et énorme,  fait un incroyable effet lors de son entrée en scène, en cortège avec son fils, suivie à petite distance par une Kátia déjà ailleurs. L’image de la chambre de  Kabanicha, sur le coin gauche, avec ses horribles meubles, ses bibelots en surnombre, ses toiles cirées, sa télé qui ne fontionne pas renforce cette idée d’étouffement: jamais on ne voit le ciel, et l’horizon n’est que rouille, poussière et décrépitude. L’ironie bien connue de Marthaler fonctionne, tangos dérisoires entre Varvara et Kudriach, mouvements de danse avec un parapluie entre Kudriach et Kouliguine, qui rappellent « Chantons sous la pluie » dans un univers qui est à l’opposé de toute comédie musicale, univers tout en décalage comme ce jet d’eau qui jaillit au moment où la Kabanicha couche avec Saviol Dikoy. Toute l’ambiance de la pièce se résume à ce premier regard de Kudriach qui devrait être sur les espaces infinis de la Volga et sa première réplique « Chaque jour, depuis 25 ans j’admire la Volga et je ne me lasse pas du spectacle » : chez Marthaler, la Volga c’est une photo minuscule accrochée au mur côté jardin au milieu d’un espace étouffant qui ne laisse pas apercevoir le moindre ciel.

 

katia1.1300014643.jpgPhoto Marthe Lemelle

On retrouve aussi des « topoi » de Marthaler, tels que les personnages retournés tous face au mur, pendant que Kátia chante son monologue final de la desespérance, et s’enfonce dans la fontaine rouillée pour mourir, recouverte ensuite de son imperméable miteux: on retrouve par exemple les personnages retournés vers le mur dans son Tristan de Bayreuth.

 

La distribution dans son ensemble est remarquable avec en premier lieu Angela Denoke, au dramatisme incandescent et au magnétisme intact, une authentique tragédienne d’opéra. La voix a toujours ces petits problèmes de justesse quelquefois, mais qu’importe quand la vérité du texte est portée à ce degré d’intensité. Jane Henschel en Kabanicha continue de stupéfier par cette composition époustouflante de belle mère horrible, laide, vulgaire tout en étant terrible. La voix malheureusement a beaucoup perdu de sa puissance et de sa couleur: les aigus sont criés, l’homogénéité laisse désormais à désirer, mais là aussi, qu’importe quand le personnage est là dans sa vérité la plus crue: même les défauts vocaux participent de la vérité du rôle. Une note aussi pour la remarquable Varvara de la jeune canadienne Andrea Hill: voix puissante, personnage criant de vérité, engagement dans le jeu et l’interprétation. Même remarque pour le Kudriach d’Ales Briscein, à la voix claire, bien posée, au timbre agréable. Les autres rôles d’hommes sont tenus par des artistes désormais très reconnus, Vincent le Texier, remarquable Saviol Dikoy, et les deux ténors Donald Kaasch (Tichon) et Jorma Silvasti (Boris) portent dans la voix une légère fatigue qui sied parfaitement aux rôles qu’ils portent: Tichon est un faible et Boris un médiocre. Leur prestation est tout à fait remarquable, mais ce sont des artistes arrivés à maturité et cela s’entend dans la voix, qui dans ce contexte est parfaitement en phase avec le texte: trois ténors, un vif et jeune, pour le vif et jeune Kudriach, et deux moins vifs, pour les plus faibles Tichon et Boris.

Que dire de plus sinon que l’on touche là la vérité bouleversante de l’Opéra quand tout concourt à l’émotion esthétique et affective: combien de fois le cœur bat, combien de fois le spectateur est happé par l’action et par la vérité qui sue de la scène. Courez-y: oui, enfin,enfin de l’Opéra.

 

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FESTIVAL DE BAYREUTH 2011: NOTE SUR LES DISTRIBUTIONS

Le Festival de Bayreuth (dont 2011 sera la 100ème édition) a publié dernièrement les distributions des opéras au programme: Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal, Trsitan und Isolde, Meistersinger von Nürnberg. C’est une tradition à Bayreuth d’afficher peu de vedettes du chant. Le mode de rémunération, lié au rôle et pas à la notoriété, y est sans doute dans les dernières années pour quelque chose.
La tradition voulait que le prestige de chanter à Bayreuth puisse valoir bien des cachets. Les seules star « importées » ces dernières années  furent Jonas Kaufmann, pour une seule édition (2010) et une quinzaine d’années auparavant Placido Domingo, qui remporta il est vrai d’indescriptibles triomphes (dans Parsifal et dans la Walkyrie). Mais bien des stars d’aujourd’hui (Nina Stemme, Waltraud Meier, Deborah Polaski) furent des jeunes inconnu(e)s révélées par le Festival et bien des chanteurs déjà un peu connus furent révélés à Bayreuth et passèrent au rang de star, comme Simon Estes ou plus récemment Stephen Gould dont le Tannhäuser et le Siegfried  firent sensation.
Depuis plus d’une dizaine d’années, le Festival de Bayreuth peine à garder ses stars, ou à en trouver d’autres. Même Lance Ryan, le Siegfried actuel des scènes internationales, fut révélé par Valence ou même Karsruhe avant de le chanter par raccroc à Bayreuth.

Les distributions de Bayreuth sont souvent correctes, mais n’appellent pas de superlatifs, et sont malheureusement aussi souvent insuffisantes. Le temps des Hotter, des Nilsson ou des Windgassen semble révolu. Il est sûr que les choix vocaux du Festival sont souvent discutables et surprenants (Amanda Mace, vraiment hors de propos pour Eva des Meistersinger il y a quelques années en est un excellent exemple). Il y a là une vraie difficulté qui tient à la fois à l’image et au statut de ce festival, et à une tradition qui s’estompe. Cela tient aussi tout simplement à des choix vocaux erronés essentiellement fondés sur ce qu’on entend sur les scènes allemandes aujourd’hui sans vraiment mettre en couveuse de futures voix wagnériennes, comme pourrait être le « Werkstatt Bayreuth » (« atelier Bayreuth ») qui devrait plus qu’un autre faire émerger  voix, chefs et metteurs en scènes que les autres scènes s’arracheront ensuite…

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, je l’ai écrit souvent, on peut distribuer assez correctement Wagner partout et qu’on entend des représentations vocalement exceptionnelles, sauf, excusez du peu, à Bayreuth où le niveau est une honnête moyenne, qui ne dépasse pas toujours ce que produit la moyenne des scènes allemandes, mais pas forcément la moyenne des  meilleures scènes allemandes. De plus, le Festival est incapable de retenir les vedettes qu’il a suscitées ou invitées: Jonas Kaufmann y fut la star le temps d’un été, Nina Stemme ne veut plus chanter à Bayreuth dans les conditions actuelles (trop de temps à attendre, obligation de séjourner, cachets insuffisants), Waltraud Meier claqua la porte en 2000.   Problèmes d’organisation? problèmes financiers? L’avenir le dira.  Mais ce n’est pas en tous cas ce qui retient le public car les salles sont toujours pleines, ce qui n’est pas un encouragement à changer de méthode de gestion…
L’autre paradoxe est qu’au pays de la « Gesamtkunstwerk »(l’oeuvre d’art totale), c’est exclusivement la mise en scène qui retient l’attention et non le chant ni même le chef. Que Kirill Petrenko soit le chef choisi pour le prochain Ring du bicentenaire en 2013 n’a pas agité les médias culturels. Ne parlons pas non plus des interrogations sur la distribution . Non, ce qui a agité le petit monde médiatique, c’est le choix du metteur en scène puis l’arrivée de Wim Wenders. Et Katharina Wagner est naturellement plus intéressée aux choix scéniques: on la dit à l’origine de l’appel à Christoph Schlingensief pour Parsifal ou à Christoph Marthaler pour Tristan. Eva Wagner Pasquier est plus intéressée à l’aspect musical des choses et elle a été à Aix, au Châtelet, et même à l’Opéra de Paris conseiller artistique. Elle est encore « Senior Artistic Advisor » au Metropolitan Opera de New York et elle est dit-on à l’origine de la distribution du Ring du MET. Le premier test important marquant son influence sera évidemment à Bayreuth le futur Ring.

L’expérience de Bayreuth est un passage obligé qui a beaucoup perdu en « symbolique » dans les vingt dernières années. On peut triompher dans le chant wagnérien sans jamais avoir chanté à Bayreuth (Bryn Terfel, Juha Uusitalo). Et l’expérience de Bayreuth peut être aussi trompeuse pour le spectateur car bien des chanteurs semblent ici exceptionnels dans une salle très favorable aux voix, et paraissent décevants ailleurs (je me souviens par exemple des Ortrud phénoménales d’Elisabeth Connell et de ses prestations moins impressionnantes dans des salles ordinaires).

Il en va ainsi des distributions de ce Festival 2011: nihil novi sub sole. Sauf accident, on reconduit les distributions d »une année sur l’autre, pour des problèmes techniques évidents. Les productions nouvelles bénéficient de temps de répétitions plus longs, mais les reprises sont très peu répétées (c’est le système du répertoire à l’allemande qui règne ici), ce dont se plaignent certains chefs d’ailleurs et depuis longtemps (Carlos Kleiber…). On a donc intérêt à garder les mêmes distributions parce qu’elles ont longuement répété lors de la première saison, même si on procède çà et là à des ajustements (ainsi du Sachs de la production actuelle des Meistersinger: James Rutherford est le troisième Sachs-bien pâle- après Alan Titus et Franz Hawlata). On reverra donc à peu près la même distribution des Meistersinger, sans grand éclat, à l’exception de Klaus Florian Vogt, qui succédera à Jonas Kaufmann dans Lohengrin, remplacé dans ces Meistersinger par Burckhard Fritz, mais toujours avec Adrian Eröd dans Beckmesser, chanteur d’une grande finesse et d’une réelle intelligence, même s’il ne fait pas oublier le Beckmesser de l’immense Michael Volle . Comment Bayreuth a-t-il laissé échapper ce chanteur? Mystère… Enfin, l’excellent Georg Zeppenfeld y reprend Veit Pogner et c’est une bonne nouvelle.

Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels)toujours dirigé par Andris Nelsons sera donc chanté cette année par une distribution assez renouvelée: à commencer par Klaus Florian Vogt; son Lohengrin est déjà largement rôdé ailleurs (notamment à la Staatsoper de Berlin avec Barenboim et dans la mise en scène de Stefan Herheim) et l’on connaît la qualité de ce chanteur. Petra Lang remplace Evelyn Herlitzius dans Ortrud ( j’aime l’engagement de Herlitzius malgré ses quelques problèmes de justesse), mais petra Lang, vu son ortrud de Budapest, devrait faire crouler le théâtre. Lucio Gallo prévu l’an dernier dans Telramund et ayant abandonné le rôle en répétition, a été remplacé alors par Hans-Joachim Ketelsen, auquel succède cette année Tómas Tómasson, un baryton islandais(?) dont on commence à beaucoup parler et qui pourrait même être un Sachs. Pour le reste, même distribution que l’an dernier. Mais ce Lohengrin promet donc de sonner différemment.

Pour Tristan und Isolde (Mise en scène Christoph Marthaler), pas de changement: Robert Dean Smith reste le très bon Tristan des années passées, et Irène Theorin l’Isolde de référence, voix sonore, aigus triomphants, graves problématiques, mais un bel engagement scénique: la Suède fournit des Isolde et des Brünnhilde à foison et celle-là n’est pas la pire, mais elle ne fait pas oublier Nina Stemme  . Pour le reste, une bonne distribution avec notamment l’excellent Jukka Rasilainen en Kurwenal et Robert Holl en Marke.

Parsifal (Mise en scène: Stefan Herheim) change de Parsifal cette année puisque Simon O’Neill, qui avait remplacé l’an dernier Jonas Kaufmann souffrant dans Lohengrin, reprend le rôle donné jusque là à Christopher Ventris. Ce ténor m’a fait une excellente impression dans Siegmund à la Scala en décembre dernier. il devrait donc être un très bon Parsifal .Le reste de la distribution de change pas, et Susan Mclean chante  Kundry pour la seconde fois dans cette production, avec des résultats discutés l’an dernier: elle y succéda à Mihoko Fujimura dont ce n’était pas le meilleur rôle. J’aime beaucoup la direction de Daniele Gatti très discutée elle aussi, mais je crois qu’il a su travailler en osmose avec Stefan Herheim qui signe là une magnifique mise en scène (on garde en soi longtemps l’image finale bouleversante).

Enfin, le nouveau Tannhäuser dans la mise en scène de Sebastian Baumgarten devrait lancer la carrière internationale de ce metteur en scène né à Berlin Est quadragénaire, fils d’une famille liée au spectacle (mère chanteuse, grand-père directeur d’opéra), ex-assistant de Bob Wilson et de Ruth Berghaus qui a beaucoup travaillé au Stadttheatrer Kassel, à la Komische Oper, à la Volksbühne de Berlin et qui a produit de nombreux spectacles inspirés librement d’opéras ou de pièces musicales (Tosca, Oreste, Banditen, Mozart Requiem) qui a aussi travaillé autour de l’oeuvre de Lars von Trier et dont on a vu à Bobigny « Les mains sales ». Ce Tannhäuser est confié à  Thomas Hengelbrock, longtemps cantonné au répertoire baroque et XVIIIème siècle; ce chef intelligent, rigoureux devrait proposer une lecture intéressante.
La distribution a priori semble être prometteuse sans vraiment provoquer une formidable attente: Günther Groissböck est une basse de très haut niveau, qu’on a entendu à Paris dans Rheingold et Walkyrie et on se réjouit de l’entendre en Landgrave pour ses débuts à Bayreuth. Bien des chanteurs de cette distribution font leurs débuts à commencer par Lars Cleveman dans Tannhäuser que j’entendis à Londres dans Tristan avec Nina Stemme où il remplaçait (de manière plus que correcte) Ben Heppner souffrant: voir compte rendu dans ce blog en octobre 2009. Pur produit du chant scandinave, Lars Cleveman est un très solide chanteur, à l’émission élégante et à la voix claire et bien posée. Elisabeth sera Camilla Nylund. J’ai plus de doutes sur cette artiste qui ne m’a jamais vraiment impressionnée (je la vis dans Rusalka à Salzbourg, et dans Salomé à Paris-voir compte rendu dans ce blog en novembre 2009-, et ce fut à chaque fois décevant). Venus sera l’américaine Stephanie Friede (voir son site www.stephaniefriede.com ), un soprano dramatique qui chante tous les grands sopranos du répertoire avec un certain succès. Après avoir entendu Michael Volle dans Wolfram à Zürich, on se prend à rêver de l’entendre à Bayreuth. Wolfram sera l’élégant Michael Nagy, un jeune baryton spécialiste d’oratorio à l’émission claire, à la voix très contrôlée et à la technique remarquable et sa prestation devrait être intéressante. Au total, une distribution qui pourrait réserver de bonnes surprises.

Cette centième édition du festival, ne devrait pas provoquer de grosses polémiques, non plus que l’édition de l’an prochain avec un Vaisseau fantôme dirigé par Christian Thielemann (avec l’arrivée d’internet dans le système de réservation, révolution qui fait glousser tous les habitués du Festival): en fait tous les yeux sont tournés aujourd’hui vers 2013, qui sera le véritable départ de la nouvelle équipe.
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OPERA NATIONAL d’OSLO [NASJONAL OPERAEN] 2010-2011: LULU d’ALBAN BERG le 5 mars 2011 -nouvelle édition de l’acte III signée Eberhard KLOKE- (Dir: John H.FIORE, Ms en scène: Stefan HERHEIM)

510x382_lulu08.1299439808.jpgPhoto Erik Berg
Opéra National de Norvège

Encore une Lulu, après Peter Stein à Lyon et Milan, après Olivier Py à Genève, après Vera Nemirova à Salzbourg, après Braunschweig au théâtre, voici à la fois une autre vision, et une version nouvelle, puisque cette coproduction Copenhague/Oslo/Dresde utilise une toute nouvelle version du troisième acte écrite par le compositeur allemand Eberhard Kloke et non plus la version de Friedrich Cerha, qui a force de loi depuis la création de la version complète en 1979 dans la production de Patrice Chéreau et la direction de Pierre Boulez à l’Opéra de Paris.
J’avais donc deux motifs de faire le voyage d’Oslo, d’une part voir le travail de Stefan Herheim, le metteur en scène norvégien à qui l’on doit le très bon Parsifal de Bayreuth, le Lohengrin (moins réussi) de Berlin, le Rusalka phénoménal de Bruxelles. Son approche de Lulu sera à compter au nombre des grandes réussites, tant le spectacle vaut le voyage par son intelligence, son originalité et sa tension dramatique.
lulu-20.1299511812.jpgPhoto Erik Berg Opéra National de Norvège

Le second motif était donc d’écouter ce troisième acte tout à fait étonnant, qui rompt avec l’approche très fidèle, très classique et très monumentale de Cerha et qui lui donne une couleur toute particulière, très chambriste, plus resserrée et tout de même toujours très tendue et dramatiquement très efficace, avec une utilisation d’instruments solistes que Herheim a intégrés dans la mise en scène (violon solo, accordéon, piano) qui donne à la fois une grande poésie  à l’ensemble, mais aussi une très grande tension appuyée sur l’utilisation de la voix parlée. Eberhard Kloke a écrit naguère une réduction de Lulu pour orchestre de chambre et la couleur de ce troisième acte est incontestablement plus intimiste que la version Cerha, bien que sa révision soit écrite elle aussi pour grand orchestre. Le dialogue entre la musique et la mise en scène dans ce troisième acte est totalement fusionnel, et l’on ne peut concevoir la même mise en scène sans les choix musicaux assez radicaux de Kloke.
Le texte du programme de salle souligne que le travail de Cerha était du bon artisanat, très respectueux des maîtres , mais inutilement long, et laissant trop voir une sorte de romantisme tardif en contradiction avec le dernier tableau londonien, qui ne demandait peut-être pas une musique aussi luxuriante. C’est ce qui aurait poussé Universal à disposer aussi d’une version plus resserrée et d’une couleur radicalement différente peut-être plus conforme à ce que dit l’oeuvre. Le choix de Kloke pour cette nouvelle révision réside dans sa connaissance profonde des partitions de Berg et dans les travaux de réécriture qu’il avait déjà produits. Ainsi, instruments solistes, voix parlée, réduction de la masse orchestrale donnent à ce troisième acte, notamment à la dernière scène, une couleur d’une angoissante mélancolie, qui accompagne très fortement l’idée de course vers le néant final.
Est-ce pour mieux montrer l’architecture générale de la partition et sa cohérence avec ce troisième acte new look que John Fiore ne fait pas sonner l’orchestre comme on en a l’habitude, et que l’on ne reconnaît pas toujours le son « Berg », fait de multiples facettes sonores, cristallines, qui donnent une sorte de profondeur infinie à la musique et qui en traduisent la complexité. Ici, cela sonne peu, cela semble, notamment pendant le premier acte, un peu éteint. Peut-être aussi l’acoustique de cette très belle nouvelle salle n’est elle pas satisfaisante? En tous cas, l’approche des deux premiers actes n’est pas musicalement convaincante. La distribution est un mélange de chanteurs connus (Gary Lehman en Alwa, Carsten Stabell en Medizinalrat) et de membres solides de l’école de chant scandinave, qui, on le sait, a produit bien des stars du lyrique. Il en résulte un très bel équilibre et pas de problèmes particuliers.  Gary Lehmann en Alwa est vocalement très à l’aise et construit un personnage crédible, le Dr. Schön de Terje Stensvold, un des piliers de l’opéra en Norvège, est une belle découverte, voix sonore, bonne émission, bonne articulation dans une interprétation très engagée. De même le peintre du plus jeune de Nils Harald Sødal est à la fois scéniquement vraiment magnifique (sa pantomime en Pierrot cherchant Lulu à travers la cloison de plexiglas est l’un des moments bouleversants de la soirée). Une notation particulière pour le Schigolch de Ketil Hugaas, qui a chanté en troupe à Stockholm: la voix très sonore ne correspond pas au personnage de vieillard un peu fatigué et lubrique qu’on trouvait chez Mazura le magnifique, mais correspond très fortement à l’image diabolique que la mise en scène nous propose, un Schigolch à petites cornes méphistophéliques qui vole dans les cintres, qui atterrit en scène, qui s’envole et disparaît dans un nuage rouge au troisième acte. Une sorte d’esprit malin qui domine Lulu.

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Photo Erik Berg Opéra National de Norvège

L’athlète, un monstre de bande dessinée qui semble lui aussi faire partie des fantômes, est l’excellent Magne Fremmerlid (ci-dessus sur la photo). La suédoise Gisela Stille est Lulu, vocalement satisfaisante: une voix très contrôlée, très juste, qui  a beaucoup chanté les colorature du répertoire italien, mais qui n’a pas vraiment d’éclat, et qui ne semble pas trop à l’aise dans le personnage. Elle manque de cet érotisme pervers qui réussissait si bien à Patricia Petibon. Ainsi la personnalité scénique ne crève pas l’écran. La comtesse Geschwitz de Hege Høisæter, membre de la compagnie de l’Opéra National d’Oslo, a une belle présence vocale mais manque de présence scénique, de cette présence et de cette prestance qui doivent rendre la Geschwitz fascinante. Il est vrai que la mise en scène ne la met pas vraiment en valeur.
imag0418b.1299441694.jpg(Photo collection personnelle)
Il reste que l’ensemble des chanteurs est incontestablement valeureux.
La mise en scène de Stefan Herheim part de deux présupposés: Lulu est un animal parmi les animaux (elle le dit d’ailleurs: « ich bin ein Tier »et Lulu est Eve. Elle est l’Eve de Cranach sortie du tableau (le tableau du premier acte, où manque, comme un trou, la silhouette de Lulu, elle va devenir aussi l’Eve de Masaccio fuyant le paradis, d’où sa nudité (en réalité une combinaison peinte avec des reflets gris, comme si elle était une partie du tableau), elle est donc d’emblée irréaliste et à chaque acte son portrait de Lulu, déclinaison moderne du tableau original.
510x382_lulu04.1299439739.jpgPhoto Erik Berg
Opéra National de Norvège
L’espace est une piste de cirque, dont la scène est surmontée d’un fronton où est écrit « Ei blot til lyst » (« Pas que pour le plaisir » motto qui ornait le fronton de l’Opéra de Copenhague) et au sommet duquel évoluent des clowns dont on va vite découvrir qui figurent les hommes qui sont morts pour Lulu, puisqu’à chaque mort, la victime (Medizinalrat, Peintre, Schön) devient à son tour clown portant sur son costume un objet rappelant la manière dont il est mort . Ce choeur des »fantômes » poursuivra Lulu jusqu’à la fin. Ainsi le monde inventé par Herheim est un monde non réaliste, qui pourrait être à la fois un monde de bande dessinée pour adultes, mais aussi un monde de films muets expressionnistes où les gestes sont exagérés, les expressions soulignées, un monde à la Munch où l’on finirait par ne plus croire à rien, tant le travail théâtral surjoue le drame, et donc du même coup devient terriblement ironique et distant. Cette Lulu n’existe pas, sinon dans nos fantasmes.
510x382_lulu07.1299439846.jpgPhoto Erik Berg
Opéra National de Norvège

A ce titre, le troisième acte est l’un des plus beaux qui m’ait été donné de voir, avec un premier tableau traité d’abord en comédie musicale, une comédie musicale qui se finit en débandade, où les personnages sont toutes des caricatures, et le sublime deuxième tableau, où le décor qui a accompagné toute l’oeuvre tourne sur une tournette et laisse apparaître tous les hommes potentiels que Lulu va chercher un à un et qui ne sont que des réincarnations de ceux dont elle a causé la mort, avec un Schigolch qui s’efface en fumée, et un Alwa qui se fond dans les victimes. A la fin, la seule qui semble exister, c’est la pauvre Geschwitz, dont les cheveux servent à Jack pour s’essuyer après la fameuse réplique  » ces gens n’ont même pas de serviette ». mais plus de trace de Lulu: ce sont tous ces fantômes qui tuent Lulu, et le théâtre s’écroule, ne laissant comme dernière image qu’un nuage de fumée: Lulu c’est le « rien » dans son absolue inconsistance de fantasme masculin, de tableau mille fois refait et toujours sans véritable accroche, Lulu n’est que traces de peinture. Cette fin dans le néant est l’opposée du final transfiguratif de Py.

Un travail d’une intelligence et d’une inventivité exceptionnelles, qui laisse une trace profonde chez le spectateur, et qui suit une implacable logique, mécanique, distante, in-humaine. Nous venons assister à la vie de la Ménagerie de l’inhumain. D’ailleurs, le peintre qui s’amourache de Lulu est un peintre animalier qui ajoute Lulu à côté des lions ou des girafes: tout n’est qu’illusion, que fumée, que grotesque. Quel magnifique travail !

imag0405b.1299441726.jpg(Photo collection personnelle)
Ce travail montre enfin qu’en trois ans, le nouvel Opéra d’Oslo qui trône au bord de l’eau, sur le port, et qui donne à cette ville un peu anonyme enfin une identité, s’est vraiment imposé comme un lieu digne d’intérêt.

hall.1299441292.jpg(Photo collection personnelle)

Sa construction, objet de nombreuses polémiques (du type: « les norvégiens ne vont pas à l’opéra! ») ne fut pas un long fleuve tranquille, mais la curiosité dont le bâtiment est l’objet, les nombreux promeneurs qui grimpent le long des deux côtés pour atteindre la terrasse, le renouveau du public et la qualité du travail artistique accompli – dont cette Lulu est un exemple- tout cela montre qu’il faut désormais compter avec Oslo, qui après Stockholm, Copenhague, Helsinki, démontre la vitalité de la musique classique (une magnifique salle de concerts  nouvelle va ouvrir à Stavanger) et de l’opéra en Scandinavie.

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