Le Festival de Bayreuth (dont 2011 sera la 100ème édition) a publié dernièrement les distributions des opéras au programme: Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal, Trsitan und Isolde, Meistersinger von Nürnberg. C’est une tradition à Bayreuth d’afficher peu de vedettes du chant. Le mode de rémunération, lié au rôle et pas à la notoriété, y est sans doute dans les dernières années pour quelque chose.
La tradition voulait que le prestige de chanter à Bayreuth puisse valoir bien des cachets. Les seules star « importées » ces dernières années furent Jonas Kaufmann, pour une seule édition (2010) et une quinzaine d’années auparavant Placido Domingo, qui remporta il est vrai d’indescriptibles triomphes (dans Parsifal et dans la Walkyrie). Mais bien des stars d’aujourd’hui (Nina Stemme, Waltraud Meier, Deborah Polaski) furent des jeunes inconnu(e)s révélées par le Festival et bien des chanteurs déjà un peu connus furent révélés à Bayreuth et passèrent au rang de star, comme Simon Estes ou plus récemment Stephen Gould dont le Tannhäuser et le Siegfried firent sensation.
Depuis plus d’une dizaine d’années, le Festival de Bayreuth peine à garder ses stars, ou à en trouver d’autres. Même Lance Ryan, le Siegfried actuel des scènes internationales, fut révélé par Valence ou même Karsruhe avant de le chanter par raccroc à Bayreuth.
Les distributions de Bayreuth sont souvent correctes, mais n’appellent pas de superlatifs, et sont malheureusement aussi souvent insuffisantes. Le temps des Hotter, des Nilsson ou des Windgassen semble révolu. Il est sûr que les choix vocaux du Festival sont souvent discutables et surprenants (Amanda Mace, vraiment hors de propos pour Eva des Meistersinger il y a quelques années en est un excellent exemple). Il y a là une vraie difficulté qui tient à la fois à l’image et au statut de ce festival, et à une tradition qui s’estompe. Cela tient aussi tout simplement à des choix vocaux erronés essentiellement fondés sur ce qu’on entend sur les scènes allemandes aujourd’hui sans vraiment mettre en couveuse de futures voix wagnériennes, comme pourrait être le « Werkstatt Bayreuth » (« atelier Bayreuth ») qui devrait plus qu’un autre faire émerger voix, chefs et metteurs en scènes que les autres scènes s’arracheront ensuite…
Le paradoxe est qu’aujourd’hui, je l’ai écrit souvent, on peut distribuer assez correctement Wagner partout et qu’on entend des représentations vocalement exceptionnelles, sauf, excusez du peu, à Bayreuth où le niveau est une honnête moyenne, qui ne dépasse pas toujours ce que produit la moyenne des scènes allemandes, mais pas forcément la moyenne des meilleures scènes allemandes. De plus, le Festival est incapable de retenir les vedettes qu’il a suscitées ou invitées: Jonas Kaufmann y fut la star le temps d’un été, Nina Stemme ne veut plus chanter à Bayreuth dans les conditions actuelles (trop de temps à attendre, obligation de séjourner, cachets insuffisants), Waltraud Meier claqua la porte en 2000. Problèmes d’organisation? problèmes financiers? L’avenir le dira. Mais ce n’est pas en tous cas ce qui retient le public car les salles sont toujours pleines, ce qui n’est pas un encouragement à changer de méthode de gestion…
L’autre paradoxe est qu’au pays de la « Gesamtkunstwerk »(l’oeuvre d’art totale), c’est exclusivement la mise en scène qui retient l’attention et non le chant ni même le chef. Que Kirill Petrenko soit le chef choisi pour le prochain Ring du bicentenaire en 2013 n’a pas agité les médias culturels. Ne parlons pas non plus des interrogations sur la distribution . Non, ce qui a agité le petit monde médiatique, c’est le choix du metteur en scène puis l’arrivée de Wim Wenders. Et Katharina Wagner est naturellement plus intéressée aux choix scéniques: on la dit à l’origine de l’appel à Christoph Schlingensief pour Parsifal ou à Christoph Marthaler pour Tristan. Eva Wagner Pasquier est plus intéressée à l’aspect musical des choses et elle a été à Aix, au Châtelet, et même à l’Opéra de Paris conseiller artistique. Elle est encore « Senior Artistic Advisor » au Metropolitan Opera de New York et elle est dit-on à l’origine de la distribution du Ring du MET. Le premier test important marquant son influence sera évidemment à Bayreuth le futur Ring.
L’expérience de Bayreuth est un passage obligé qui a beaucoup perdu en « symbolique » dans les vingt dernières années. On peut triompher dans le chant wagnérien sans jamais avoir chanté à Bayreuth (Bryn Terfel, Juha Uusitalo). Et l’expérience de Bayreuth peut être aussi trompeuse pour le spectateur car bien des chanteurs semblent ici exceptionnels dans une salle très favorable aux voix, et paraissent décevants ailleurs (je me souviens par exemple des Ortrud phénoménales d’Elisabeth Connell et de ses prestations moins impressionnantes dans des salles ordinaires).
Il en va ainsi des distributions de ce Festival 2011: nihil novi sub sole. Sauf accident, on reconduit les distributions d »une année sur l’autre, pour des problèmes techniques évidents. Les productions nouvelles bénéficient de temps de répétitions plus longs, mais les reprises sont très peu répétées (c’est le système du répertoire à l’allemande qui règne ici), ce dont se plaignent certains chefs d’ailleurs et depuis longtemps (Carlos Kleiber…). On a donc intérêt à garder les mêmes distributions parce qu’elles ont longuement répété lors de la première saison, même si on procède çà et là à des ajustements (ainsi du Sachs de la production actuelle des Meistersinger: James Rutherford est le troisième Sachs-bien pâle- après Alan Titus et Franz Hawlata). On reverra donc à peu près la même distribution des Meistersinger, sans grand éclat, à l’exception de Klaus Florian Vogt, qui succédera à Jonas Kaufmann dans Lohengrin, remplacé dans ces Meistersinger par Burckhard Fritz, mais toujours avec Adrian Eröd dans Beckmesser, chanteur d’une grande finesse et d’une réelle intelligence, même s’il ne fait pas oublier le Beckmesser de l’immense Michael Volle . Comment Bayreuth a-t-il laissé échapper ce chanteur? Mystère… Enfin, l’excellent Georg Zeppenfeld y reprend Veit Pogner et c’est une bonne nouvelle.
Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels)toujours dirigé par Andris Nelsons sera donc chanté cette année par une distribution assez renouvelée: à commencer par Klaus Florian Vogt; son Lohengrin est déjà largement rôdé ailleurs (notamment à la Staatsoper de Berlin avec Barenboim et dans la mise en scène de Stefan Herheim) et l’on connaît la qualité de ce chanteur. Petra Lang remplace Evelyn Herlitzius dans Ortrud ( j’aime l’engagement de Herlitzius malgré ses quelques problèmes de justesse), mais petra Lang, vu son ortrud de Budapest, devrait faire crouler le théâtre. Lucio Gallo prévu l’an dernier dans Telramund et ayant abandonné le rôle en répétition, a été remplacé alors par Hans-Joachim Ketelsen, auquel succède cette année Tómas Tómasson, un baryton islandais(?) dont on commence à beaucoup parler et qui pourrait même être un Sachs. Pour le reste, même distribution que l’an dernier. Mais ce Lohengrin promet donc de sonner différemment.
Pour Tristan und Isolde (Mise en scène Christoph Marthaler), pas de changement: Robert Dean Smith reste le très bon Tristan des années passées, et Irène Theorin l’Isolde de référence, voix sonore, aigus triomphants, graves problématiques, mais un bel engagement scénique: la Suède fournit des Isolde et des Brünnhilde à foison et celle-là n’est pas la pire, mais elle ne fait pas oublier Nina Stemme . Pour le reste, une bonne distribution avec notamment l’excellent Jukka Rasilainen en Kurwenal et Robert Holl en Marke.
Parsifal (Mise en scène: Stefan Herheim) change de Parsifal cette année puisque Simon O’Neill, qui avait remplacé l’an dernier Jonas Kaufmann souffrant dans Lohengrin, reprend le rôle donné jusque là à Christopher Ventris. Ce ténor m’a fait une excellente impression dans Siegmund à la Scala en décembre dernier. il devrait donc être un très bon Parsifal .Le reste de la distribution de change pas, et Susan Mclean chante Kundry pour la seconde fois dans cette production, avec des résultats discutés l’an dernier: elle y succéda à Mihoko Fujimura dont ce n’était pas le meilleur rôle. J’aime beaucoup la direction de Daniele Gatti très discutée elle aussi, mais je crois qu’il a su travailler en osmose avec Stefan Herheim qui signe là une magnifique mise en scène (on garde en soi longtemps l’image finale bouleversante).
Enfin, le nouveau Tannhäuser dans la mise en scène de Sebastian Baumgarten devrait lancer la carrière internationale de ce metteur en scène né à Berlin Est quadragénaire, fils d’une famille liée au spectacle (mère chanteuse, grand-père directeur d’opéra), ex-assistant de Bob Wilson et de Ruth Berghaus qui a beaucoup travaillé au Stadttheatrer Kassel, à la Komische Oper, à la Volksbühne de Berlin et qui a produit de nombreux spectacles inspirés librement d’opéras ou de pièces musicales (Tosca, Oreste, Banditen, Mozart Requiem) qui a aussi travaillé autour de l’oeuvre de Lars von Trier et dont on a vu à Bobigny « Les mains sales ». Ce Tannhäuser est confié à Thomas Hengelbrock, longtemps cantonné au répertoire baroque et XVIIIème siècle; ce chef intelligent, rigoureux devrait proposer une lecture intéressante.
La distribution a priori semble être prometteuse sans vraiment provoquer une formidable attente: Günther Groissböck est une basse de très haut niveau, qu’on a entendu à Paris dans Rheingold et Walkyrie et on se réjouit de l’entendre en Landgrave pour ses débuts à Bayreuth. Bien des chanteurs de cette distribution font leurs débuts à commencer par Lars Cleveman dans Tannhäuser que j’entendis à Londres dans Tristan avec Nina Stemme où il remplaçait (de manière plus que correcte) Ben Heppner souffrant: voir compte rendu dans ce blog en octobre 2009. Pur produit du chant scandinave, Lars Cleveman est un très solide chanteur, à l’émission élégante et à la voix claire et bien posée. Elisabeth sera Camilla Nylund. J’ai plus de doutes sur cette artiste qui ne m’a jamais vraiment impressionnée (je la vis dans Rusalka à Salzbourg, et dans Salomé à Paris-voir compte rendu dans ce blog en novembre 2009-, et ce fut à chaque fois décevant). Venus sera l’américaine Stephanie Friede (voir son site www.stephaniefriede.com ), un soprano dramatique qui chante tous les grands sopranos du répertoire avec un certain succès. Après avoir entendu Michael Volle dans Wolfram à Zürich, on se prend à rêver de l’entendre à Bayreuth. Wolfram sera l’élégant Michael Nagy, un jeune baryton spécialiste d’oratorio à l’émission claire, à la voix très contrôlée et à la technique remarquable et sa prestation devrait être intéressante. Au total, une distribution qui pourrait réserver de bonnes surprises.
Cette centième édition du festival, ne devrait pas provoquer de grosses polémiques, non plus que l’édition de l’an prochain avec un Vaisseau fantôme dirigé par Christian Thielemann (avec l’arrivée d’internet dans le système de réservation, révolution qui fait glousser tous les habitués du Festival): en fait tous les yeux sont tournés aujourd’hui vers 2013, qui sera le véritable départ de la nouvelle équipe.
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