LES PROGRAMMES 2011 DE CLAUDIO ABBADO AU 19 OCTOBRE 2011

MAI

BERLIN, Philharmonie, 13,14,15 mai 2011, 20h

Berliner Philharmoniker
Claudio Abbado

Maurizio Pollini, piano
Anna Prohaska, soprano

Berg: Lulu-Suite
W. A. Mozart: 2 arias avec Anna Prohaska, soprano
W. A. Mozart: Concerto pour piano n° 17 en sol majeur, K 453,
Gustav Mahler: Adagio de la Symphonie n°10

BERLIN, Philharmonie, 18 mai 2011, 20h
100ème anniversaire de la mort de Gustav Mahler (18 mai 1911)

Berliner Philharmoniker
Clau
dio Abbado
Anne-Sofie von Otter, mezzo soprano
Jonas Kaufmann, ténor

Gustav Mahler

Adagio de la Symphonie n°10
Das Lied von der Erde

JUIN

Bologna, Teatro Manzoni, 1er Juin, 20h00
Orchestra Mozart
Claudio Abbado
Hélène Grimaud, piano

Mozart: Concerto pour piano n°19 en fa majeur, K 459
Mozart: Concerto pour piano n°23 en la majeur, K 488
Beethoven: Symphonie n° 8 in fa majeur, op. 93

Ravenna, Palazzo Mauro de André, 7 juin, 21h00
Inaugurazione del XXII Ravenna Festival


Brescia, Teatro Grande,9 juin, 20h00

Orchestra Mozart
Claudio Abbado

Lucas Macias Navarro, hautbois
Isabelle Faust, violon

Wolfgang Amadeus Mozart:
Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur, K 385 “Haffner”
Concerto pour hautbois en ut majeur K 314
Concerto pour violon et orchestre en la majeur K 219
Ludwig van Beethoven:
Symphonie n°6 en fa majeur op. 68 “Pastorale”

AOÛT

Lucerne Festival
Kultur- und Kongresszentrum,
10,12 Août, 19h30, 13 août, 18h30

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Radu Lupu, piano

Brahms: Concerto pour piano et orchestre n° 1 in ré mineur, op. 15
Wagner: Lohengrin, Prélude 1°Acte
Mahler: Adagio de la Symphonie n°10

Lucerne Festival
Kultur- und Kongresszentrum, 19 août, 19h30

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur, K 385 “Haffner”
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

Lucerne Festival
Kultur- und Kongresszentrum, 20 août, 18h30

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Christine Schäfer, soprano

Mozart: Arie
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

SEPTEMBRE

Bologna, Teatro Manzoni, 22 septembre, 20h00
Bolzano, Auditorium, 25 septembre, 20h00

Orchestra Mozart
Claudio Abbado

Maria Joao Pires, piano

Mozart: Concerto pour piano n° 27 en si bémol majeur, K 595
Mozart: Concerto pour piano n° 20 en ré mineur, K 466
Schubert: Symphonie n°9 in ut majeur, D 944 “La Grande”

OCTOBRE

Baden-Baden, Festspielhaus, 6 octobre, 20h00

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur, K 385 “Haffner”
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

Paris, Salle Pleyel, 8 octobre, 20h
Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur, K 385 “Haffner”
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

Londres, Royal Festival Hall, 10 octobre, 19h30

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Mitsuko Uchida, piano

Schumann: Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

Londres, Royal Festival Hall, 10 octobre, 19h30

Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado

Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur, K 385 “Haffner”
Bruckner: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, WAB 105

Francfort, Alte Oper, 19 octobre, 20h
Inauguration des Journées de la Culture de la  BCE
Orchestra Mozart
Claudio Abbado

Rossini: Ouverture de “L’Italiana in Algeri”
Mozart: Symphonie n°35 en ré majeur , K 385 “Haffner”
Mendelssohn: Symphonie n°4 en la majeur, op. 90 “Italienne”

NOVEMBRE

Roma, Auditorium Parco della Musica, 20 novembre, 18h00
Orchestra Mozart
Orchestra e Coro Dell’Accademia Nazionale di S. Cecilia
Claudio Abbado, direttore

P. I. Čajkovskij: La Tempesta, fantasia sinfonica op. 18
D. Šostakovic: Musiche per il film “Re Lear” di Grigorij Kozincev op. 137
Musiche di scena per “King Lear” di William Shakespeare op. 58a
Proiezione del film di Grigorij Kozincev (1971) in versione ridotta

Bologna, Teatro Manzoni, 23 novembre, 20h
Orchestra Mozart
Coro Dell’Accademia Nazionale di S. Cecilia
Claudio Abbado, direttore

P. I. Čajkovskij: La Tempesta, fantasia sinfonica op. 18
D. Šostakovic: Musiche per il film “Re Lear” di Grigorij Kozincev op. 137
Musiche di scena per “King Lear” di William Shakespeare op. 58a
Proiezione del film di Grigorij Kozincev (1971) in versione ridotta

DECEMBRE

Florence, Nuovo auditorium
Inauguration de la nouvelle salle
23 décembre, 20h30

ORCHESTRA MOZART
ORCHESTRA  E CORO DEL MAGGIO MUSICALE FIORENTINO

CLAUDIO ABBADO

J. BRAHMS – Schicksalslied op. 54
G. MAHLER
– Symphonie n° 9 en ré majeur

ABBADO DIRIGERA DAS LIED VON DER ERDE A BERLIN POUR LES 100 ANS DE LA MORT DE GUSTAV MAHLER

On s’en doutait, on avait vu la date bloquée mais c’était top secret: Claudio Abbado et le Philharmonique de Berlin marqueront le centième anniversaire de la mort de Gustav Mahler (18 mai 1911) par un concert unique et exceptionnel le 18 mai 2011 à la Philharmonie de Berlin. Le programme fait rêver: Adagio de la 10ème symphonie et surtout Das Lied von der Erde (le Chant de la Terre) avec Anne-Sofie von Otter et Jonas Kaufmann.
Le concert sera retransmis par ARTE le 18 mai à partir de 20h15 et fera l’objet d’un DVD.

LUCERNE FESTIVAL 2011 (PÂQUES): EUGENE ONEGUINE, de P.I.TCHAIKOVSKI, dirigé par Mariss JANSONS (16 mars 2011)

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Le Festival de Lucerne n’est pas seulement un Festival d’été, mais aussi d’automne (Piano) et de Printemps (Pâques): il s’agit de varier les propositions, de faire fonctionner la salle, de construire une offre continue. Cette année à Pâques, outre Mariss Jansons et l’orchestre de la Radio Bavaroise, on pouvait assister à une master class de direction d’orchestre de Bernard Haitink, qui par ailleurs dirigeait le Chamber Orchestra of Europe dans deux soirées Brahms (dont le Deutsches Requiem), à des concerts d’Hélène Grimaud, de Kolja Blacher (le violoniste soliste premier violon du Lucerne Festival Orchestra), du Concentus Musicus de Vienne dirigé par Nikolaus Harnoncourt (Haendel, Resurrezione), du Concert des Nations et de la Capella Reial de Catalunya avec Jordi Savall dans le “Vespro della Beata Vergine” de Monteverdi. En une semaine, il y en a pour tous les goûts.

Etrangement il restait des places pour le concert que l’Orchestre de la Radio Bavaroise et le choeur de la Radio Bavaroise donnaient ce samedi 16 avril sous la direction de Mariss Jansons, une version concertante de Eugène Onéguine, que Mariss Jansons dirigera à l’opéra d’Amsterdam en juin et juillet prochains (avec le Concertgebouw) avec une distribution une peu différente et dans une mise en scène de Stefan Herheim. Il restait même des places à 60 CHF (50€ environ), ce qui est très étonnant: d’autant plus étonnant que nous avons assisté à une de ces soirées mémorables qui vous clouent sur place.
Le jeu de l’opéra en version de concert est quelquefois difficile: jouer? ne pas jouer?se mouvoir? Abbado préfère les versions semi-concertantes, avec une mise en espace. Ici, quelques mouvements, quelques regards, un jeu minimal, mais sans partition, ce qui permet tout de même une sorte d’accroche scénique et laisse dire aux mauvaises langues que cela fonctionne très bien sans mise en scène, ce qui montre que la mise en scène est inutile!
Eugène Onéguine n’est (n’était) pas a priori mon préféré des opéras pouchkiniens de Tchaïkovski, mais il me semble avoir redécouvert cette musique d’une incroyable finesse, cette alternance, ce mélange même de tension haletante et de respiration, là où je voyais quelquefois un peu de facilité. De fait on se souviendra longtemps de ce final diaboliquement tendu, qui s’achève par un noir total, surprenant, immédiatement suivi d’une explosion du public hurlant son enthousiasme.

On se souviendra de tout d’ailleurs, et tout d’abord d’un orchestre vibrant, techniquement impeccable, suivant tous les mouvements du chef (qui bouge beaucoup, qui exprime la musique par son corps d’une manière étonnante de vivacité), des cordes somptueuses (les violons allégés au maximum, les violoncelles et les contrebasses au son plein, le violoncelle solo magnifique), des bois et des cuivres à faire rêver, jusqu’aux timbales de Raymond Curfs, qui officie aussi au Lucerne Festival Orchestra. On se souviendra aussi du choeur de la Radio Bavaroise, tout à fait extraordinaire préparé par Martin Wright. Sa prestation au début de l’oeuvre, dont certains moments renvoient aux chants des liturgies orthodoxes et ne sont pas sans évoquer certains grands moments choraux de Moussorgski, impressionne et bouleverse.
Ce qui frappe c’est à la fois un son très plein, très charnu , favorisé par l’acoustique très réverbérante de l’auditorium de Lucerne, qui installe quelque chose de somptueux, mais qui est capable de s’alléger jusqu’à l’inaudible, et qui reste d’une absolue clarté. Pas un pupitre n’échappe à l’oreille, ce ne sont que contrastes savamment ménagés entre des morceaux de bravoure (valse du second acte, et surtout étourdissante et brillantissime Polonaise du 3ème acte qui fait éclater l’enthousiasme du public), et les moments de pur lyrisme (les airs de Lenski par exemple) ou pur tragédie, non exempts de recueillement (le duel) ou les dramatiques échanges du final, qui tendent l’ambiance à l’extrême. Voilà un travail spectaculaire en tous les sens du terme, spectaculaire parce qu’il donne à voir, regards, mouvements légers, engagement des musiciens et des chanteurs, subtiles variations des éclairages entre les scènes,  parce qu’il donne à s’émouvoir, parce qu’il étonne et qu’il surprend, et simplement parce que la musique donne à entendre tant de couleurs, tant d’ambiances, tant de rythmes, tant de finesse rassemblés qu’on a l’impression de redécouvrir l’oeuvre.
Au service de ce magnifique travail, une distribution engagée et parfaitement choisie. On retrouve avec plaisir Stefania Toczyska qui a encore ses impressionnants graves dans Madame Larina, Marina Prudenskaia en Olga confirme ce que j’écrivais l’an dernier à propos du Requiem de Verdi de Salzbourg à la même période “mezzo irréprochable”, avec en plus une personnalité affirmée qu’on sentait moins alors. Voix chaude, présente, puissante, qui fait d’Olga un personnage moins pâle que d’habitude. Notons aussi la jolie mezzo Nona Javakhidze, qui remplace Nina Romanova, souffrante en Filipewna.

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Se confirme enfin une vraie perle, la jeune soprano géorgienne Veronika Dzhioeva, remarquée il y a deux ans à Baden-Baden dans Aleko avec Gergiev, qui se révèle une Tatiana à la fois juvénile, mais aussi mature, décidée, à la voix très expressive et aux accents bouleversants: l’air de la lettre est un très grand moment, et la scène finale incroyable de tension dans le duo avec Bo Skovhus. Du côté des hommes, on est un peu déçu au premier acte par Bo Skovhus, qui a toujours ses grandes qualités d’interprète, qui dit le texte avec une clarté et une attention peu communes, mais dont la voix semble un peu voilée, notamment dans les graves, qu’il a beaucoup perdus. Mais son deuxième acte est bien meilleur et surtout son troisième acte, totalement bouleversant, où il transcende littéralement le personnage, ce qui donne une scène finale d’un dramatisme incroyable . Face à lui, le magnifique Lensky de Marius Brenciu, dont j’avais vu un bon Don Carlos à Bâle il ya quelques années: c’est une voix claire, bien posée, très contrôlée, qui rappelle avec un peu plus d’épaisseur Veriano Lucchetti, avec ses sons très ouverts, mais aussi des murmures et des mezze voci parfaits, et au total un Lensky qui distille une très grande émotion. Quant au Gremine de Mikhail Petrenko, un Gremine juvénile, à la voix de basse plus claire que d’ordinaire (comme son Hagen d’Aix), il est tout simplement étonnant. On a tout: la voix, au timbre assez clair (quel Don Giovanni il doit être!), mais à l’étendue impressionnante, dans les aigus comme les graves, la couleur, la technique et le contrôle et un sens exceptionnel du texte (on s’en rendait compte à Aix aussi) qu’il rend d’une incroyable clarté. Les autres chanteurs, et notamment le très bon Triquet de Gilles de Mey, qui en cinq minutes réussit avec son air du second acte à captiver le public, sont sans reproches (Carsten Wittmoser, Benedikt Göbel).
Artisan de ce triomphe, Mariss Jansons, l’élève de Karajan, mais aussi, comme Abbado, comme Mehta, de Hans Swarowsky, assistant de Evgueni Mravinsky, et donc dépositaire d’une double filiation, riche de la tradition germanique et de la grande tradition russe (il sort du conservatoire de Saint Petersbourg): un chef qui aujourd’hui est inévitable, dans ce répertoire bien sûr, mais aussi on l’a vu, dans Mahler ou même dans Verdi. On est toujours surpris de le voir diriger avec cette énergie, avec cette précision du geste, un geste à la fois net qui travaille l’aérchitecture de la partition, mais qui dessine aussi la musique, et qui accompagne l’orchestre et le choeur, mais aussi les chanteurs avec une attention et une précision rares: il est là tout près du chanteur et semble chanter avec lui: un tel engagement, une telle performance provoquent même à la fois un brin d’anxiété (il a des problèmes cardiaques depuis longtemps) et en tous cas l’enthousiasme du public debout scandant ses applaudissements, et celui de tous les participants: Veronika Dzhioeva était rayonnante au moment des saluts et on sentait une véritable osmose dans toute la compagnie, autour de ce chef miraculeux. Alors c’est dire quelle hâte j’ai de voir la production d’Amsterdam, avec le merveilleux Concertgebouw et dans la mise en scène de Stefan Herheim, c’est dire avec quelle chaleur je vous suggère de faire le voyage d’Amsterdam entre mi juin et le 10 juillet…

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Photo Michel Neumeister

NABUCCO et MUTI à l’OPERA DE ROME: L’ITALIE QUAND ELLE EST GRANDE

Vous avez sûrement entendu parler de cet événement, retransmis sur ARTE, le bis du “Va pensiero..” Choeur des esclaves hébreux de Nabucco, par Riccardo Muti. Je vous en redonne le lien. Je renvoie aussi  ici aussi au site AGORA VOX (cliquer sur le lien), que j’ai consulté suite à un mail reçu.

Au-delà de l’émotion de ce moment – les dernières images du choeur en larmes sont tellement éloquentes – il faut  souligner que, au contraire de Claudio Abbado ou d’autres comme Maurizio Pollini, Riccardo Muti n’est jamais intervenu dans le débat politique, qu’il a plutôt la réputation d’un modéré, en tous cas pas d’un homme marqué à gauche. Son initiative en est d’autant plus symbolique et montre aussi la situation morale et politique d’un pays qui a construit toute sa grandeur sur l’art et la culture et aussi sur son incroyable faculté à rebondir, même dans les situations les plus désespérées et les plus critiques.  C’est souvent au moment où d’autres se laisseraient aller dans le pessimisme et le desespoir, au bord du goufre, que les italiens savent déployer une énergie vitale et collective incroyable.
La situation des institutions culturelles est très difficile, le gouvernement a plus ou moins fait le choix de conserver des subventions aux trois théâtres symboliques, Teatro alla Scala, Opéra de Rome et Teatro del Maggio Musicale Fiorentino de Florence (dans une moindre mesure), et de frapper plutôt les autres: par exemple la situation de Gênes est désespérée, malgré un magnifique instrument (le Teatro Carlo Felice). Même quand elles doivent arriver, les subventions d’Etat tardent, les réponses sont floues, et mettent les institutions dans des situations d’endettement impossibles. Depuis le loi sur les fondations qui fait des grands théâtres des fondations de droit privé, on s’aperçoit que ce qu’on disait alors ne se vérifie pas, l’argent privé veut bien financer là où l’image est forte (Fenice de Venise, Scala de Milan, Rome), mais pour le reste, ceux qui mettent la main au porte monnaie sont essentiellement des institutionnels (Communes, Régions) ou des organismes financiers semi-publics: les fondations restent donc essentiellement financées sur des fonds publics, quand la loi devait permettre d’ouvrir largement au financement privé.

Depuis longtemps le paysage devient de plus en plus noir: la situation des théâtres est encore pire que celle des opéras (l’opéra est en Italie l’art vivant le mieux doté), et vivre du métier d’acteur est un défi impossible dans la péninsule. Les saisons se réduisent, les postes fixes disparaissent au profit de contrats précaires, beaucoup de compositeurs contemporains travaillent mieux à l’étranger  que dans leur pays, alors que les artistes ont toujours été les plus grands ambassadeurs de l’Italie dans le monde. Souvent d’ailleurs ils se sont dressés pour que vive une certaine idée de l’Italie, comme Verdi bien sûr, mais aussi Arturo Toscanini contre le fascisme, Claudio Abbado ou Maurizio Pollini au moment des années de plomb.

La culture en Italie est souvent un vecteur de lutte, un moyen de dire non. Alors, la soirée de ce Nabucco à l’Opéra de Rome est un indice fort que commencent à se redresser ceux qui se sentent humiliés et meurtris par le spectacle grotesque qui est offert au sommet de l’Etat, mélange d’Ubu et de Shakespeare: malheureusement, depuis “Mani pulite” au début des années 90, un système a été détruit, mais on a reconstruit le même en pire, et la classe politique italienne (de droite et de gauche d’ailleurs) reste, à quelques exceptions individuelles près, d’une très grande médiocrité. Les grands hommes en Italie sont des hommes de culture, et ils sont alors si grands, qu’ils dépassent largement les frontières du pays, normal dans un pays qui a vu naître Dante, le plus grand écrivain de tous les temps, déjà en butte aux politiciens locaux de son époque…

PS: A ce qu’il paraît Silvio Berlusconi n’était pas dans la salle le 11, mais le 17 mars. Qu’importe l’entourloupe médiatique: il reste que la salle a chanté en choeur le “Va pensiero”, que Riccardo Muti a bien dit ce qu’il a dit, et que c’est une réponse symbolique au pouvoir de toute manière.

WIENER STAATSOPER 2010-2011 A LA TV: ANNA BOLENA de Gaetano DONIZETTI (5 avril 2011) (Anna NETREBKO, Elina GARANCA, Elisabeth KULMAN)

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A voir le succès de cette représentation, Dominique MEYER qui fait entrer au répertoire de Vienne Anna Bolena a réussi son pari. Il est toujours difficile de rendre compte de retransmissions télévisées. Et les remarques qui suivent sont des impressions de téléspectateur à chaud. Brian Large, le réalisateur de la Tétralogie de Chéreau à Bayreuth, signe la reprise vidéo, qui est très réussie, comme souvent dans les productions qu’il met en image. Le bel canto est tout de même rare sur nos scènes et à la TV, cela vaut donc peut-être le coup d’en dire quelques mots.

La production de Eric Génovèse,sociétaire de la Comédie Française, qui a beaucoup travaillé avec Dominique Meyer au Théâtre des Champs Elysées comme acteur/récitant et metteur en scène (des Mozart, L’enlèvement au Sérail et Cosi fan tutte-mise en scène-,  puis Peer Gynt de Grieg, et Die Schöne Maguelone de Brahms l’an dernier), est très sobre, avec des décors minimalistes (de Jacques Gabel, murs de brique, espace très géométrique) dans les tons sombres (qui s’en étonnerait vu le sujet…), ce qui donne de la valeur aux rares meubles, et aux costumes plutôt réussis de Luisa Spinatelli qui s’inspire visiblement de la peinture de l’époque. Il est certain que les opéras de Donizetti ou de Bellini ne permettent pas pour la plupart des fantaisies de metteur en scène. Je l’ai déjà écrit dans d’autres comptes rendus, on ne vient pas pour la mise en scène, mais essentiellement pour les performances vocales et l’opéra est construit comme un chemin vers des vertiges acrobatiques de plus en plus exposés. Il reste qu’il y a de jolies idées, dont celle de faire apparaître Elisabeth 1ère enfant comme dernière image, puisqu’Elisabeth est la fille d’Anne Boleyn.

Anna Bolena est un opéra sombre, au livret relativement ramassé puisque le destin de la reine est pratiquement scellé dès la fin du premier acte, le second acte consistant à construire le mythe d’Anna, qui refuse de descendre à la compromission pour sauver sa tête, ce qui est l’occasion d’ensembles, de duos phénoménaux, d’un final étourdissant en forme de scène de folie, motif familier des compositeurs de l’époque , la folie justifiant les acrobaties vocales. Il fallut attendre la production de la Scala en 1957 (avec Callas) pour que l’oeuvre sorte de l’oubli où le XIXème sicèle l’avait laissée à la fin des années 1870. Le fait même qu’elle ait été ignorée depuis sa création (en 1830) par un théâtre aussi important que la Staatsoper de Vienne en dit long. Depuis Callas (qu’il faut écouter absolument), les plus grandes s’y sont lancées (Gencer, Sills, Sutherland, Gruberova, Netrebko). Il faut pour le rôle les aigus et les suraigus, l’agilité, le sens dramatique, et aussi une épaisseur vocale qui permette de surmonter un final qui est à lui seul une performance à l’égal de la scène de la folie de Lucia di Lammermoor.

A Vienne, l’oeuvre est dirigée par Evelino Pido’, bien connu des mélomanes français et particulièrement à Lyon où il dirige chaque année un opéra bel cantiste en version de concert (cette année Otello de Rossini) . Il a dirigé aussi très souvent à Paris (à la Bastille Capuleti e Montecchi, avec Anna Netrebko et Joyce di Donato) et aussi très souvent au théâtre des Champs Elysées. Grand spécialiste de ce répertoire, chef très précis, très attentif aux voix, c’est la garantie d’une approche musicale toujours au point, toujours juste, toujours propre . D’aucuns lui reprochent un manque d’invention, mais c’est assez injuste en général. Avec un orchestre comme celui de la Staasoper de Vienne (qui s’appelle Philharmonique de Vienne à ses moments perdus), aucun souci en perspective. Et effectivement, c’est très réussi.

La distribution réunit de grandes stars du chant, familières de Vienne, et le public a dû faire de longues heures de queue (j’imagine, pour l’avoir souvent faite, celle des places debout…) . Peter Jelosits a un peu de problèmes avec la couleur italienne (dans Sir Hervey) et la basse Dan Paul Dimitrescu se sort bien du rôle épisodique de Lord Rochefort. Francesco Meli, l’un des meilleurs ténors pour ce répertoire, a comme toujours ne voix bien dominée, sonore, claire, mais semble avoir de petites difficultés en fin d’opéra. Ildebrando D’Arcangelo est un grand Henry VIII, et tout ce qu’il chante lui réussit.
Mais on vient essentiellement pour les dames: Elina Garança en Giovanna Seymour est simplement somptueuse, elle a la présence (superbe), l’étendue du registre (des graves impressionnants et des aigus triomphants) et surtout elle crée une tension dans son chant qui rend ses apparitions très fortes et notamment le magnifique duo du second acte.J’avoue être plus convaincu que lors de concerts où je l’avais trouvé assez froide (Les Nuits d’été notamment) .

netrebko.1302045661.jpgAnna Netrebko, la star des stars pour ce répertoire, n’a plus tout à fait la même voix depuis son accouchement: on y a perdu en douceur, en velours, et en contrôle du diaphragme, mais l’implication dramatique, l’intensité sont plus grandes, et la voix un peu plus large (même si cette voix miraculeuse était capable de tout il y encore quelques années) mais sans le timbre exceptionnel qu’elle avait par exemple dans Capuleti à Paris. La prestation reste évidemment de très grand niveau, mais un tantinet en deçà de ce qu’on connaît d’elle.

La surprise de la soirée vient de l’extraordinaire page Smeton de la jeune Elisabeth Kulman, mezzo autrichien qui devrait être promise aux plus hauts sommets du Panthéon lyrique: il ne faut pas la rater si elle passe en France, elle est stupéfiante d’engagement scénique, d’intensité, de technique, de volume (autant qu’on en puisse juger). C’est une Carmen évidente (elle l’a à son répertoire), mais elle doit être une Vénus de Tannhäuser assez étonnante. Chacune de ses apparitions (le rôle est assez bref) fut vraiment un magnifique moment.

En conclusion, il reste quatre ou cinq représentations et qui peut se ménager un petit week end viennois pourrait par exemple venir pour la dernière le 17 avril. L’an prochain, ce sera Roberto Devereux, avec l’encore grande Gruberova.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2010-2011: AKHMATOVA de Bruno MANTOVANI (Dir.mus: Pascal ROPHÉ Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 avril 2011

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Modigliani, portrait d’Anna Akhmatova (1911)

On parle beaucoup d’Anna Akhmatova en ce moment, la poétesse russe est d’ailleurs cette année au programme  de l’agrégation de Lettres modernes (Littérature générale et comparée, permanence de la poésie épique au XXème siècle) et l’Opéra de Paris vient de créer le 28 mars dernier un opéra sur sa vie, musique de Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris, livret de Christophe Ghristi.
Pour en savoir plus sur Anna Akhmatova, je vous conseille de consulter le site Esprits nomades qui lui dédie des pages très intéressantes, avec des extraits de ses textes et une bibliographie. L’opéra de Bruno Mantovani pose la question de l’artiste face à l’oppression: Anna Akhmatova a traversé toute l’histoire de la Russie du XXème siècle, croyante, elle fut une bête noire du régime dès ses débuts (son premier mari Nicolas Goumilev fut exécuté dès 1921) et fut bien sûr victime du stalinisme  (son fils a fait 15 ans de travaux forcés), elle partage avec Osip Mandelstam le statut d’icône poétique de la littérature russe du XXème siècle.

L’Opéra a affiché une équipe “maison” pour produire le nouvel opéra de Bruno Mantovani, Christophe Ghristi, directeur de la dramaturgie et de l’édition a écrit le livret, Janina Baechle son épouse a chanté (remarquablement bien) le rôle d’Anna Akhmatova et Nicolas Joel a assuré la mise en scène. Si on peut discuter le résultat musical, le résultat artistique est plutôt positif et satisfaisant, au niveau de la mise en scène (le premier acte surtout) et au niveau du chant: l’opéra de Mantovani est très bien défendu. Certes, la salle n’était pas pleine, mais loin d’être vide, et il n’y a pas eu beaucoup de défections à l’entracte (l’opéra dure deux heures, une heure par partie, avec un entracte de 30 minutes). Est-ce pour cela que l’oeuvre, fusillée par la critique parisienne, passe la rampe ? Malheureusement, pas vraiment. La musique semble extraordinairement monotone, une note tenue, une explosion de son (cuivres percussions),  une note tenue, une explosion de son (percussions, cuivres), une note tenue, une explosion de son (cuivres, percussions), des contrastes marqués, les aigus sont suraigus, les graves descendent bas, les octaves sont béants entre les notes, mais surtout, le texte reste souvent, notamment au premier acte, totalement inaudible, au point qu’on a les yeux rivés sur le surtitrage pour comprendre ce qui est chanté, l’orchestre explosant souvent dès que parle un personnage. Ce n’est pas seulement une question d ‘orchestre d’ailleurs, mais aussi de parti pris d’écriture, le livret étant chanté dans un français très oral, de ce faux oral qui veut faire vrai, alors on mange les finales, on élide à qui mieux mieux les e muets, alors que dans les livrets la plupart du temps tout se prononce tout fait musique ou à peu près, ici, il manque comme des bouts de paroles et cela gène profondément la compréhension générale. Difficulté de compréhension (alors que les chanteurs ont tous une excellente diction) et musique répétitive rendent l’exercice un peu ardu pour le spectateur. Ainsi la partie orchestrale qui clôt la scène IV de l’acte III (sorte d’ouverture de l’oeuvre postposée, comme le dit Mantovani dans le programme de salle) apparaît   interminable et la mise en scène (les bouleaux descendent des cintres un après l’autre) ne brille pas par ses trouvailles. On a lu la fin du livret dans le programme et on attend impatiemment les derniers mots “Seigneur prends moi tout mais que me poursuivent encore cette fraîcheur et ce murmure”.
L’opéra est structuré en “scènes de vie”, des années Staline, des années de guerre, et du post-stalinisme. Le thème, on l’a dit est celui de l’artiste face à l’oppression. Le poète est un “voleur de feu” a dit Rimbaud, et il est clair qu’il est une épine dont tout régime totalitaire aimerait se débarrasser. Mais quand on voit l’oeuvre, ce sont plutôt les relations de la mère à son fils dans un contexte de dictature qui semblent conduire le débat et non l’inverse : le fils, Lev Goumilev, paie sans cesse pour la mère qui est intouchable (elle est célèbre, on lit ses oeuvres sous le manteau, et le régime cherche à la faire taire en atteignant ses proches), et Akhmatova finit par comprendre qu’elle n’a pas su aimer son fils, mettant au dessus de tout sa création et l’écriture. c’est d’ailleurs le sens de la fin, le fils criant son adieu définitif, et la mère retournant à la poésie.

imag0467.1301823127.jpgIl y a dans l’oeuvre des scènes fortes musicalement à commencer par la scène du train très bien réalisée, où Lydia lit des extraits d’Alice au pays des merveilles qu’Anna reprend en corrigeant la traduction, mais aussi la scène des universitaires anglais où Anna Akhmatova récite le bréviaire stalinien pour éviter de créer des ennuis à son fils arrêté, qui  passe bien théâtralement, ainsi que le duo final avec Lev. Si j’ai trouvé la musique répétitive et un peu lassante, la production dans son ensemble reste très attentive, Pascal Rophé a fait un très beau travail avec l’orchestre, important, mais qui sonne tantôt de manière proche de la musique de chambre, tantôt envahit tout en éruption sonore, Mantovani le précise d’ailleurs dans le programme “même si l’orchestre reste fourni, j’ai privilégié un traitement de chambre, qui va bien sûr dans le sens de l’intimité”. Il dit aussi essayer de donner une couleur russe, dans le traitement des choeurs, inspirés de Rachmaninov, ou l’utilisation de l’accordéon. Il dit enfin privilégier les registres graves. Il reste que le spectateur a souvent l’impression d’entendre toujours la même musique, c’est peut-être voulu (comme une sorte de litanie), mais cela n’aide pas à capter l’attention.
Mis à part les observations sur la diction du livret, le spectateur a aussi du mal au départ à situer les personnages, la succession de scènes de vie, indépendantes les uns des autres, l’absence d’une “exposition” fait que les personnages surgissent, interviennent, sans toujours qu’on comprenne qui ils sont. Un exemple: dans la scène de Tachkent, un sculpteur fait le portrait de Faina, l’amie d’Anna, sous le portrait d’Anna par Modigliani, qui est le fil rouge de la mise en scène. Justement, le rouge apparaît comme couleur dominante de cette scène dans une mise en scène Noir et Blanc. On a l’impression au départ, par la position d’Anna dans son fauteuil, qu’elle rêve à ses débuts, à la manière dont Modigliani a fait son portrait et j’ai cru naïvement que Faina figurait Anna jeune, et que le sculpteur était en fait  Modigliani (rien ne laisse apparaître au départ qu’il est sculpteur), je pense que l’ambiguité est voulue par le metteur en scène, mais cela n’alimente pas la compréhension ou la clarté du propos. On suit mieux la seconde partie (un seul acte) car on a enfin identifié chaque personnage et son rôle.
baechle.1301822882.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Du point de vue du chant, on doit saluer la composition vraiment superbe, somptueuse de Janina Baechle, dont la personnalité scénique donne une présence intense au personnage, avec une voix chaude, ronde, épaisse, jamais prise en défaut (et la partition, pour tous les chanteurs, n’épargne pas les difficultés: aigus, vocalises, écarts), c’est vraiment du grand art. Autre magnifique prestation, celle de Christophe Dumaux, contre-ténor, en représentant de l’Union des écrivains : c’est impeccable, acrobatique à souhait, techniquement sans faille. Pourquoi confier à un contre-ténor ce rôle d’apparatchik? Peut-être une allusion au rôle castrateur de l’union des écrivains, dont le métier est de censurer, peut-être aussi une manière de dire que ces gens on abdiqué toute identité. En tous cas, c’est très réussi.

opera_akhmatova_modilgiani.1301822845.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Bel engagement de Attila Kiss-B (oui c’est ainsi que cela s’écrit) dans Lev,  belle présence aussi et jolie voix, énergiquement projetée, une mention particulière aux deux amies, Faina, soprano colorature, chanté avec honneur par Valérie Condoluci, et Varduhi Abrahamyan, très beau mezzo soprano, particulièrement intense et tendue dans le rôle de Lydia. L’ensemble de la distribution réunie est d’ailleurs sans reproche.
Le décor très hiératique de Wolfgang Gussmann ne manque pas de grandeur; il permet une grande fluidité dans les passages d’une scène à l’autre et  ne manque pas non plus de force et la mise en scène de Nicolas Joel est souvent belle à voir, avec des scènes très réussies (la scène du train par exemple). Le fil rouge en est le portrait d’Anna par Modigliani, qui représente d’une certaine manière la poétesse-muse, la poésie qui hante, qui domine, qui envahit sans cesse Anna,  même pendant les moments les plus difficiles; c’est ce portrait que le fils détruit symboliquement à la fin, mais dès qu’apparaissent les bouleaux de la scène finale, le portrait se redresse et Anna s’installe, comme au début de l’opéra dans le fauteuil, face à lui. L’art a vaincu le quotidien.
Certaines scènes sont bien réglées (l’universitaire anglais) mais dans l’ensemble la première partie semble plus travaillée que la seconde, où les gestes, les mouvements, sont plus convenus (le réglage de la mise en scène de la fin de la scène IV de l’acte III, accompagnement de la musique, est répétitif et banal). Il reste que dans l’ensemble, exécution musicale, mise en scène et décor sont plutôt à mettre à l’actif du spectacle, et sauvent ce qui dans la musique ne passe pas. D’où un bon succès final.

opera_akhmatova_scene-2.1301822873.jpgPhoto Elisa Haberer/Opéra National de Paris

Au total, il faut évidemment se féliciter que l’opéra redevienne un choix de nos compositeurs d’aujourd’hui. Mais on n’est pas vraiment convaincu par l’oeuvre, même si la production est dans l’ensemble de bon niveau. Il faut néanmoins que les maisons d’opéra continuent de donner commission à des compositeurs. Peter Gelb, manager du MET, veut rompre avec le côté convenu de la création aujourd’hui  et a confié une commande à Osvaldo Golijov, qui va peut-être “casser” le genre. On verra. Il faut cependant que les créations ne tombent pas non plus dans l’oubli, à peine créées. Peu d’oeuvres ont passé la rampe depuis le Saint François d’Assise de Messiaen. Je me souviens de Blimunda, d’Azio Corghi, de Doktor Faustus de Giacomo Manzoni créés à la Scala dans les années 1990, ou même de la Station thermale ou Les Oiseaux de passage de Fabio Vacchi à Lyon du temps de Brossmann et Erlo et de tant d’autres titres, qui eurent à la création un certain succès. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Si on crée pour ne pas reprendre ensuite et donner donc une chance à ces oeuvres, c’est un coup d’épée dans l’eau.

On souhaite évidemment à l’opéra Akhmatova de prendre son envol, mais je me demande si une mise en musique des poèmes d’Anna Akhmatova (Requiem par exemple) n’en dirait pas plus sur la poétesse et le monde qu’un opéra biographique.

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DISQUES-CD-DVD: WOZZECK, d’Alban BERG, direction CARLOS KLEIBER (Live 1970)

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C’est à partir des années 70 que Carlos Kleiber est devenu l’un des chefs de référence du Gotha musical mondial. Son apparition à Bayreuth en 1975 et 1976 (pour Tristan und Isolde), ses apparitions régulières à la Scala (Otello, La Bohème, Tristan und Isolde), à Munich (Wozzeck, Rosenkavalier, Die Fledermaus, La Bohème, La Traviata), à Vienne et enfin à New York ont fini d’en faire un Dieu vivant de la direction d’orchestre. On considérait qu’il était l’homme d’un répertoire réduit aux titres cités plus haut et à quelques pièces symphoniques (Beethoven 7ème symphonie et Brahms 4ème) qui déchainaient des délires dans les salles. Il était bien connu pour  ses angoisses, son refus de l’à peu près, ses exigences en matière de répétitions, et il était adoré des musiciens. Je l’ai croisé quelquefois, et c’était un être plein d’humour et de gentillesse. Je lui écrivis (il adorait recevoir des lettres manuscrites en français, il avait horreur du téléphone et des fax, et des lettres écrites à la machine) et il me répondit dans les trois jours un petit mot d’une grande délicatesse. Bref c’était une de ces personnalités exceptionnelles qui marquent une génération, mais il était modeste et discret. Karajan disait de lui qu’il dirigeait quand le frigidaire était vide, et c’était une plaisanterie assez commune qui avait fait le tour des mélomanes. Mais qui a entendu son Otello ou sa Bohème, ou sa Chauve Souris (il apparut un soir de Carnaval à Munich déguisé en Boris Becker) est marqué à vie. Lors d’un Rosenkavalier à Munich (avec Gwyneth Jones en Maréchale, entre deux Brünnhilde à Bayreuth), un ami me dit à la sortie du théâtre “c’est incroyable, les larmes me coulaient sans savoir pourquoi, comme ça”. Eh oui, avec Kleiber, les larmes coulaient souvent “comme ça”.
C’est dire avec quelle curiosité affamée je me suis précipité pour écouter son Wozzeck de Munich en 1970, dont un ami inspiré m’a fait cadeau. Car Kleiber a dirigé dans les années 60 beaucoup de choses  qu’on a quelquefois des difficultés à repérer et je ne saurais trop conseiller de se référer au site japonais Erich & Carlos Kleiber page, qui existe depuis 1995, pour connaître la liste des concerts, la discographie et le répertoire complet de Carlos Kleiber.
Ce Wozzeck, qui est un “Live” issu des représentations de Munich en 1970, avec la troupe d’alors et en vedette Theo Adam et Wendy Fine. Theo Adam était alors au faîte de la gloire, c’était le Wotan de tous les grands théâtres et du festival de Bayreuth, et c’est un Wozzeck impressionnant de noblesse, de pureté vocale, avec ce modèle de diction, si important dans Wozzeck où c’est le dialogue qui porte l’action; comme dans toute pièce de théâtre, il doit être entendu et compris: et ici, au delà d’une voix qui se rit du volume de l’orchestre, chaque mot est sculpté, et c’est fascinant. La sud africaine Wendy Fine lui donne la réplique dans Marie, cette chanteuse très solide fut une des chanteuses les plus demandées dans les années 1970, elle chanta aussi Marie dans la production de Wozzeck à la Scala (Mise en scène: Luca Ronconi que l’on vit à Paris en 1979, mais avec Janis Martin) dirigée par Claudio Abbado. Sa Marie est très engagée: Kleiber, qui était difficile en matière de voix, la reprit pour un Wozzeck en 1972 à Cologne où , je crois,  elle était en troupe. Fritz Uhl, membre de la troupe de l’Opéra de Munich et même Kammersänger, est le Tambour-major, voix éclatante qui fut le Tristan de Solti quelques années auparavant. Le reste de la distribution est très honorable et témoigne de la solidité de la troupe de Munich à cette époque. Mais c’est évidemment ici Carlos Kleiber qui intéresse. J’ai voulu écouter en parallèle le magnifique Wozzeck (live) que Claudio Abbado fit à Salzbourg avec la jeune Angela Denoke et Alfred Dohmen pour comparer les approches: les deux sont évidemment passionnants, et Abbado reste le plus grand des chefs pour Wozzeck en ces vingt cinq dernières années: lyrisme, clarté de l’approche, mise en évidence des architectures, sens dramatique. Mais en entendant Kleiber, on est très surpris de l’engagement dramatique exceptionnel et unique de l’orchestre, des équilibres très neufs, tantôt une approche de musique de chambre, tantôt une explosion qui tonne comme un raz de marée sonore, faisant sonner les instruments les plus graves, les percussions, qui rythment les moments les plus tendus, comme une exploration de l’univers mental de Wozzeck: en l’écoutant c’est immédiatement ce qui m’est venu à l’esprit, la traduction musicale d’un unvers mental bousculé, tantôt écrasé, tantôt desaxé, tantôt emporté, une métaphore du personnage. Incroyable. Les intermèdes chez Abbado sont fluides et se fondent avec les scènes,  en un continuum d’ailleurs souhaité par Berg; chez Kleiber, ils deviennent des moments musicaux d’une intensité inouïe et créent une tension démultipliée dans une oeuvre qui n’en manque pas. Le dernier intermède sonne comme une marche au supplice: en comparant avec Abbado, il semble que ce ne soit pas la même musique, tant les partis pris sont différents. Il m’est alors revenu quel chef de théâtre il était, comment éclatait littéralement en salle la première mesure de l’Otello de Verdi, comment sa Bohème devenait d’une urgence insoutenable au troisième et au quatrième acte…eh oui, Kleiber crée dans Wozzeck un saisissement à donner le frisson. Depuis quelques jours je réécoute l’oeuvre en la redécouvrant et en découvrant, en entrant dans l’âme de Wozzeck, le personnage,  la victime, l’humain,.

C’est son père Erich Kleiber qui créa l’oeuvre à Berlin, on sait les relations contrastées du père et du fils, et la paralysie de Carlos devant le monument qu’était Erich: la revanche est prise, c’est un prodigieux Wozzeck (auquel il manque quelques notes du début) qui nous est ici proposé, une sorte d’ailleurs de la musique qui fera aimer Berg pour toujours.

OPERA DE LYON 2010-2011 : FESTIVAL MOZART le 31 mars 2011 – LE NOZZE DI FIGARO DE W.A.MOZART (Dir.mus: Stefano MONTANARI, Ms en scène: Adrian NOBLE)

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Après Pouchkine, Mozart. Belle idée de Serge Dorny que de proposer en un mois les trois opéras de Mozart-Da Ponte en puisant dans le répertoire de l’opéra de Lyon  les productions montées les saisons précédentes, et en affichant une sorte de “troupe Mozart” composée de chanteurs qui dans  leur majorité participent aux trois productions, toutes trois signées Adrian Noble, comme les Pouchkine-Tchaïkovski étaient signées Peter Stein. Le résultat, des coûts contenus (ce sont des reprises) et une affluence de public pour un événement bien médiatisé.

La production des Noces de Figaro remonte à 2007, et la direction musicale en avait été confiée à William Christie et Jérémie Rhorer: c’est dire que Serge Dorny avait voulu donner une couleur nettement “baroque” à la lecture musicale, et l’appel à Stefano Montanari cette année confirme cette entrée.

montanari.1301737229.jpgJe connaissais Stefano Montanari comme violoniste qui fait partie de ces musiciens italiens qui depuis une quinzaine d’années essaient d’imposer dans la péninsule et en Europe une  interprétation “italienne” de la musique baroque, dans la lignée des Rinaldo Alessandrini,  Giovanni Antonini, ou Ottavio Dantone, avec qui il a travaillé comme premier violon de l’Accademia Bizantina. Il a désormais aussi une activité de chef d’orchestre, et son approche, à la fois très dynamique, mais aussi très sèche donne à l’ensemble du spectacle un côté haletant d’une folle journée très tendue, pas toujours tendre, mais en tous cas tourbillonnante. Sans doute les moments plus lyriques, ou mélancoliques en pâtissent-ils un peu (Air de Suzanne du dernier acte “Deh vieni non tardar” , ou les deux airs de la comtesse, et notamment le second “Dove sono” et même le fameux “Voi che sapete”de Chérubin).

a3.1301735842.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Il est vrai aussi que les voix choisies participent de ce parti pris qui valorise l’urgence, la sève et le désir, et moins la tendresse: elles sont souvent un peu froides (c’est frappant pour la comtesse de Helena Juntunen, très crédible en scène, très engagée, belle femme et belle actrice, moins marquée dans l’émotion: il est vrai que la mise en scène accentue le poids des désirs interdits plus que celui des coeurs meurtris), c’est aussi le cas de la Susanna de la jeune roumaine Valentina Farcas, très pétillante et juste sur scène, très entraînante, et particulièrement belle actrice, mais la voix est petite pour mon goût et pas suffisamment large pour Susanna: ce qui frappe chez les grandes Susanna (Lucia Popp par exemple) c’est à la fois l’aisance dans l’aigu, mais aussi une pâte vocale plus épaisse qui donne de la consistance à un air comme “deh vieni non tardar”. Ici, on a les aigus, incontestablement (Valentina Farcas chante Blonde dans Clemenza di Tito, ou Zerbinette d’Ariane à Naxos), mais la voix manque d’un peu de corps: au total là aussi l’impression de froideur domine celle de tendresse.
a2b.1301735834.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Le Cherubino de Tove Dahlberg est sans doute scéniquement l’un des plus justes que j’ai jamais vus, vraiment l’apprenti Comte qu’on attend, une fripouille qui sait à la fois exciter le désir et se faire pardonner. Dans le monde d’Adrian Noble, personne n’est tout à fait blanc ni tout à fait noir. Déjà dans la distribution de 2007,Tove Dahlberg confirme ici ses qualités. Mais là encore, la tendresse qu’on attendrait dans “Non so piu’ cosa son..” ou dans le “Voi che sapete..” laisse place à une sorte d’expression du désir qui sort par tous les pores et qui emporte tout. Le personnage rappelle beaucoup le Cherubino magnifique de Christine Schäfer dans la production de Christoph Marthaler à Salzbourg et Paris, mais Chistine Schäfer réussissait peut-être mieux à émouvoir et à rendre vocalement l’ambiguité et la complexité du personnage que Tove Dahlberg ici rend parfaitement, mais plus scéniquement que vocalement. On dit souvent que le rôle de Barberine est plus difficile qu’il n’y paraît et que son air minuscule du début de l’acte IV (L’ho perduta …me meschina) annonce une future Susanna. L’intensité de Elena Galitskaia dans cet air est vraiment étonnante, et la couleur de la voix annonce incontestablement une possible Susanna. Joli moment. Enfin Adrian Noble a présenté le couple Marzellina-Bartolo comme moins “vieux”, moins “barbons” que d’habitude. Bartolo est une sorte de vieux beau, et Marzellina a la cinquantaine énergique, vaguement ridicule avec ses cheveux roux, une sorte de vieille secrétaire des films américains. Il est dommage que son air du quatrième acte “Il capro e la capretta” appel à la solidarité féminine ait été coupé (tout comme l’air de Basilio “In quegl’anni”), mais la toute jeune Agnes Selma Weiland, qui appartient encore je crois à l’opéra Studio du théâtre de Brème, donne un vrai relief au personnage et en même temps une vraie fraîcheur, ce qui est paradoxal quand on pense à Marzellina, même si je garde une grande tendresse pour les compositions de Sophie Pondjiclis dans ce rôle où elle a incontestablement marqué les années 90 et le début des années 2000 (voir la production de René Jacobs au Théâtre des Champs Elysées).
Du côté des hommes, Bartolo surprend dans une production où le personnage n’est pas le ridicule habituel, il est confié à Andreas Bauer, basse en troupe à la Staatsoper de Berlin, qui donne relief et assise au personnage. On aime à retrouver Jean-Paul Fouchécourt dans un rôle de composition comme Basilio (lui qui fut inoubliable dans Platée). Fouchécourt est en train de prendre les rôles dans lesquels le grand Michel Sénéchal brilla naguère. Le comte de Rudolf Rosen en revanche déçoit un peu. Il est incontestablement le personnage dont l’entrée en scène ouvrant sa robe de chambre (il est en caleçon dessous) devant Susanna est une des idées les plus désopilantes et justes de la mise en scène, mais la voix manque de ductilité notamment dans son air du troisième acte “Hai già vinto la causa” où les vocalises finales manquent de souplesse et sont sérieusement “savonnées”, manque de projection aussi, et donc manque de relief. Dommage, car le personnage est très juste scéniquement.

a3c.1301735854.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Ce n’est pas le cas du Figaro de Vito Priante, seul italien d’une distribution très germano-nordique, impeccable scéniquement et à la voix chaude, chaleureuse, bien posée, à la diction et à l’émission parfaites: un vrai Figaro, et sans doute un chanteur d’avenir. A noter que beaucoup ajoutent à leurs airs des cadences, pas toujours réussies pour mon goût mais qui ont le mérite de mieux inscrire l’œuvre dans son époque: quand j’ai commencé à aller à l’opéra, on n’entendait jamais de cadences dans les opéras de Mozart et notamment dans les Noces, elles ont commencé à apparaître sur scène dans les années 90, et c’est heureux, cela donne de la variété et de l’invention et cela ne fige pas la partition.
Tous ces artistes sont très engagés dans la mise en scène d’Adrian Noble, dont ils épousent parfaitement les demandes. Adrian Noble a situé sa trilogie aux USA, qui, dit-il, sont aujourd’hui l’Empire qu’était l’Empire d’Autriche à l’époque de Mozart, ainsi Cosi’ fan tutte est situé en Californie et Don Giovanni à Little Italy (Peter Sellars avait d’ailleurs déjà eu il y a  trente ans la même idée, alors révolutionnaire). En balayant la Trilogie de Da Ponte, Adrian Noble balaie la société américaine, et il situe ses Noces à Washington, à l’ombre de la Maison Blanche (on pense irresistiblement à l’affaire Monica Lewinski-Bill Clinton), le Comte est d’ailleurs à son entrée accompagné d’un garde en grand uniforme américain. Ce monde est très léger, très transparent (en suspension au dessus du plateau au premier acte les tables de mariage du troisième acte et les chaises), et sens dessus-dessous (les personnages marchent sur des plafonds à la Tiepolo) on voit aussi ce qui se passe dans le cagibi du second acte où est enfermé Cherubino puis Susanna, Cette transparence est en quelque sorte une gageure dans une œuvre où comme celle de Beaumarchais, les objets sont nombreux,envahissants, omniprésents et totalement indispensables au déroulement de l’intrigue: ainsi du fauteuil du premier acte apporté en scène en grande pompe. J’ai trouvé les deux premiers actes mieux réglés que les deux derniers.

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Le troisième acte est cependant, assez banal, plus illustratif qu’explicatif, seul moment où l’espace, envahi par les tables du banquet de mariage, est totalement (et volontairement?) contraint. Quant au quatrième acte, dans ce très beau décor de bosquets-nuages et ce bassin central au bord et dans lequel se roulent les personnages, on a besoin d’une très grande clarté des mouvements (qui est qui? qui est où? qui passe? qui reste?) tant c’est un ballet d’ombres. Ici, les choses ne sont pas réglées clairement et j’avoue avoir encore (et toujours) en référence la mise en scène de Strehler, qui maîtrisait (qui maîtrise, on la verra encore à Paris en fin de saison) tellement bien les entrées et les sorties, les passages, que tout était clair et identifiable en un ballet à la fois désopilant et poétique. On n’a rien fait de mieux depuis en matière de réglage de ce quatrième acte (peut être Jonathan Miller avec Abbado à Vienne et Ferrare?).

Il reste que dans l’ensemble on a là une production virevoltante, qui rend justice à cette folie voulue par Mozart, tant musicale (avec une direction rapide, énergique, contrastée) que scénique et une compagnie homogène, qui fait a fait finir dans la joie et l’enthousiasme ce Festival Mozart tout à l’honneur de l’Opéra de Lyon.

Quelques remarques complémentaires: une fois de plus, et peut-être encore plus que d’habitude, le théâtre était rempli de jeunes ce qui a fait craindre à certains spectateurs voisins une certaine agitation: rien de tout cela, je regardais çà et là les visages de ces jeunes, ils étaient captivés et souriants, un peu comme ce merveilleux visage qu’on voyait dans la “Flûte enchantée” de Bergman. “Lycéens et apprentis à l’Opéra” fait un magnifique travail grâce à la région Rhône Alpes, il faut le dire et le répéter sans cesse: c’est pour moi la meilleure manière de faire approcher l’opéra aux jeunes générations, en les confrontant à des productions de qualité, et à un répertoire riche et diversifié.
Ensuite, et cette remarque m’est plus personnelle, Le Nozze di Figaro, c’est mon opéra préféré de la trilogie Da Ponte, sans doute parce que ce fut mon premier opéra de Mozart (dans la mise en scène de Strehler, une chance inouïe donnée au jeune que j’étais en 1974), sans doute parce que j’ai toujours adoré le deuxième acte, et notamment sa seconde moitié, qui respire rien que par la musique, pendant 20 minutes sans récitatifs (une première, comme il est dit dans le film Amadeus de Milos Forman), une musique étourdissante qui épouse le théâtre, les mouvements et les cœurs, qui épouse la vie.