LA SAISON 2023-2024 DU TEATRO ALLA SCALA

Enfin !
Enfin une saison de la Scala qui fait (musicalement) envie, enfin des chefs d’envergure, et 14 productions d’œuvres diverses, qui reflètent le répertoire maison et des titres importants d’autres répertoires. C’est la saison la plus intéressante de la Scala depuis des années.
Dominique Meyer est arrivé en 2020, il lui a fallu trois ans, délai habituel, pour construire une première saison au profil vraiment digne de ce théâtre et de son histoire. Bien sûr les choix de metteurs en scène sont un peu plan-plan, mais on connaît le refus de Dominique Meyer devant des mises en scènes un peu contemporaines ou sortant de la poussière, mais tout de même, arrive à la Scala Christof Loy pour Werther, certes pas un révolutionnaire, mais un metteur en scène vraiment intéressant. De l’autre côté, confier le Ring à David Mc Vicar, ça fait plutôt sourire, un peu has been, et sans aucun intérêt, mais l’intérêt de ce Ring est ailleurs évidemment, avec Thielemann aux commandes, Volle comme Wotan et une somptueuse distribution.

On verra le détail des productions, mais d’emblée saluons deux opérations marquantes, d’abord, deux œuvres jouées pour la première fois dans leur version originale française, Médée et Guillaume Tell et ensuite, le coup de maître de la saison, avoir pour Rosenkavalier réussi à attirer Kirill Petrenko pour sa première sortie à l’opéra en dehors de Baden-Baden depuis qu’il a pris en main les Berliner ! C’est un vrai cadeau et surtout un symbole. Chapeau Meyer !
On connaît le tropisme italien de Kirill Petrenko, régulièrement fidèle à l’Orchestre RAI de Turin et à L’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, il arrive pour la première fois à la Scala, dans une production qui a fait ses preuves à Salzbourg (avec Welser-Möst) et à la Scala (avec Mehta) et avec deux protagonistes du cast d’origine. C’est un événement incontestable.
Bref, plein d’arguments pour faire des voyages à Milan. Une perspective dont on se réjouit.

 

SAISON LYRIQUE

Les productions :

Neuf compositeurs italiens, deux allemands, un autrichien et un français composent une saison « typique » de la Scala, qui porte largement le répertoire italien dans sa variété (du baroque au XXe) dans une saison certes diversifiée mais qui reste assez classique en affichant essentiellement des grands standards du répertoire, sans grande prise de risque, mais l’époque ne s’y prête pas à l’opéra comme on le constate un peu partout. On remarque tout de même Il Cappello di Paglia d’Italia de Nino Rota, qu’on n’a pas vu depuis longtemps, ou La rondine, un Puccini plus rare absent de Milan depuis 1994 et surtout L’Orontea de Cesti, un de ces titres à découvrir du baroque italien. Pour le reste, des titres rassurants, des distributions somptueuses, des chefs de niveau ou de très grand niveau. Ne nous plaignons pas et prenons notre plaisir. Au total 10 nouvelles productions et 4 reprises.

Cherubini : 1 production

  • Médée (NP)

Cesti : 1 production

  • L’Orontea (NP)

Donizetti : 1 production

  • Don Pasquale (Reprise)

Mascagni/Leoncavallo : 1 production

  • Cavalleria rusticana/Pagliacci (Reprise)

Massenet : 1 production

  • Werther (NP)

Mozart : 1 production

  • Die Entführung aus dem Serail (Reprise)

Puccini : 2 productions

  • Turandot (NP)
  • La rondine (NP)

Rossini : 1 production

  • Guillaume Tell (NP)

Rota : 1 production

  • Il Cappello di paglia di Firenze (NP)

R.Strauss : 1 production

  • Der Rosenkavalier (Reprise)

Verdi : 2 productions

  • Don Carlo (NP)
  • Simon Boccanegra (NP)Wagner : 1 production
  • Das Rheingold (NP)

 

 

Regard sur la saison

Décembre 2023 – janvier 2024

Giuseppe Verdi
Don Carlo
8 repr. du 7 déc. au 2 janvier (+avant-première jeunes le 4 déc.)
Dir : Riccardo Chailly/MeS : Lluis Pasqual
Avec René Pape, Francesco Meli, Luca Salsi, Ain Anger, Jongmin Park, Anna Netrebko (jusqu’au 22 déc. inclus)/Maria José Siri (30 déc/2 janv), Elina Garança (jusqu’au 22 déc. inclus)/Ekaterina Semenchuk (30 déc/2 janv) etc…
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Version de 1884 en quatre actes
Nouvelle production

Après Naples en 2022 qui a ouvert avec la version en cinq actes, La Scala ouvre avec la version « de Milan » de 1884. C’est respecter la fausse règle d’un opéra écrit pour le lieu parce qu’on connaît les tribulations des versions de l’œuvre. N’y revenons pas. Mais rappelons quand même qu’Abbado après avoir ouvert la saison 1968-69 par la version en quatre actes a ouvert 1977-78 par la version complète en cinq actes avec des musiques jusque-là inconnues, et qu’on est revenu ensuite à la version en quatre actes scaligèrement idiomatique avec Riccardo Muti, lors de la production malheureuse de Franco Zeffirelli, et avec Daniele Gatti dans celle aussi malheureuse de Stéphane Braunschweig
Signalons aussi que la version originale en Français n’a pas encore été présentée à la Scala… Dans une saison où deux des grandes œuvres du répertoire (Médée- Guillaume Tell) sont pour la première fois présentées à la Scala dans leur version originale, peut-être aurait-on pu faire l’effort pour un Don Carlos au lieu d’un Don Carlo, mais sans doute Madame Netrebko n’avait-elle pas vraiment envie d’apprendre le rôle en Français…
Alors forcément, on regrette le choix un peu cheap de la version en quatre actes.
Pour le reste, personne ne contestera la distribution, que les rôles masculins assureront sur toutes les dates, alors que les deux dernières seront assurées par la solide Maria José Siri et par Ekaterina Semenchuk dans Eboli où elle n’a pas convaincu à Florence. Mais qui oserait commenter le duo Netrebko/Garanča qui rappelle une lointaine Anna Bolena viennoise.
Personne ne contestera Riccardo Chailly en fosse, le directeur musical doit défendre le compositeur maison et pour la mise en scène, Dominique Meyer a choisi Lluis Pasqual, qu’on vit beaucoup à Milan dans les années 1980 (il était lié à Giorgio Strehler) et qui a eu une carrière européenne flatteuse. On verra ce qu’il en reste, mais ce ne peut être pire que Stéphane Braunschweig (2008) ou Franco Zeffirelli (1992), avec lesquels on a bien souffert.
On y courra, il faut y courir, malgré les quatre actes.

Janvier 2024
Luigi Cherubini, Médée

6 repr. du 14 au 28 janvier – Dir : Michele Gamba / MeS : Damiano Michieletto
Avec Sonya Yoncheva, Stanislas de Barbeyrac, Nahuel di Pierro, Ambroisine Bré, Martina Russomano
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

À l’instar de Don Carlos version originale, Médée de Cherubini n’a jamais été présenté à la Scala, qui aussi bien en 1953 avec Leonard Bernstein qu’en 1951 avec Thomas Schippers avait offert le rôle-titre à Maria Callas dans sa traduction italienne très tardive (1909). L’œuvre qui remonte à 1797, est créée originellement comme opéra-comique au Théâtre Feydeau le grand théâtre qui accueillit sous la Révolution les opéras comiques et notamment la Lodoïska du même Cherubini en 1791.
L’opération est donc bienvenue, et découvrir ce chef d’œuvre dans sa langue originale est appréciable, dans une saison marquée par le centenaire de la naissance de Maria Callas en 1923, qui a notamment chanté le rôle, mais l’a aussi interprété au cinéma dans le film de Pier Paolo Pasolini (1969).
Sous la direction de Michele Gamba qui a triomphé à la Scala dans Rigoletto la saison dernière et dans une mise en scène de Damiano Michieletto, la production promet d’être fort intéressante, avec une distribution de grande qualité, à commencer par Stanislas de Barbeyrac en Jason, bien entouré de chanteurs valeureux.
Las, le seul « hic », c’est le rôle-titre, confié à Sonya Yoncheva, sans doute parce qu’elle l’a chanté à Berlin, qu’elle est un nom relativement bankable sur le marché et qu’une Médée (en Français) ne se trouve pas aujourd’hui sous les sabots d’un cheval. À Berlin, elle était particulièrement décevante, ne possédant rien des qualités scéniques et vocales de ce rôle de monstre sacré. Qui a entendu au disque Callas, et vu sur scène Shirley Verrett dans la version Pizzi à Florence ou à Paris dans les années 1980 sait parfaitement que Yoncheva enfile comme souvent un costume bien trop large pour elle. Mais l’œuvre est si rare qu’on ne la manque pas, surtout dans ce théâtre-là.

Février 2024
Giuseppe Verdi, Simon Boccanegra

7 repr. du 1er au 24 février – Dir : Lorenzo Viotti / MeS : Daniele Abbado
Avec Luca Salsi, Ain Anger, Roberto de Candia, Andrea Pellegrini, Eleinira Buratto (A)/Anita Hartig (N), Charles Castronovo (A)/Matteo Lippi (B)
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

Même à distance de dizaines d’années, le souvenir de la production Strehler-Abbado avec sa distribution légendaire, reste vivace et les propositions qui ont suivi n’ont jamais convaincu, à la scène comme dans la fosse. Cette production emportée à Vienne dans les bagages de Claudio Abbado fut détruite à l’initiative du team Holender/Wächter dès le départ du chef…
C’est son fils, Daniele Abbado, qui est appelé pour la mise en scène, et son travail ne pourra qu’être meilleur que la production précédente de Federico Tiezzi qui n’a pas vraiment laissé un bon souvenir.
En fosse, Lorenzo Viotti, assez populaire à la Scala tissera de nouveaux fils, mais il n’a pas une fréquentation connue de Verdi.
Dans la distribution, Eleonora Buratto, la meilleure chanteuse italienne pour Verdi sera Amelia en alternance pour les deux dernières avec Anita Hartig, plus habituée à Bohème. Le couple Boccanegra/Fiesco sera Luca Salsi/Ain Anger. Pour ces rôles tellement particuliers, je ne suis pas convaincu de ces choix. Salsi a une grande voix, a été un bon Macbeth et il est considéré comme le meilleur baryton italien aujourd’hui. Il faut peut-être pour Boccanegra une figure au chant plus nuancé. Et Ain Anger de son côté est une grande voix, mais pas très expressive… Reste Charles Castronovo qui sera un bon Gabriele Adorno (le rôle n’est pas si ardu) en alternance avec le plus jeune Matteo Lippi (pour les deux dernières), les deuxièmes distributions servent souvent à lancer de nouvelles voix.
Un ensemble qui malgré Eleonora Buratto, n’arrive pas à convaincre. Mais je suis une vieille chose élevée au lait Strehler-Abbado à Paris, à la Scala et Vienne… Ah si on avait pu reconstituer la production Strehler qui à la vidéo au moins ne vieillit pas…

Février-mars 2024
Wolfgang Amadeus Mozart
Die Entführung aus dem Serail
6 repr. du 24 février au 10 mars – (Dir : Thomas Guggeis/MeS :Giorgio Strehler)

Avec Jessica Pratt, Jasmin Delfs, Daniel Behle, Michael Laurenz, Peter Rose, Sven Eric Bechtolf
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise

Voilà en revanche une reprise qui devrait faire courir. La production légendaire de Giorgio Strehler, venue de Salzbourg passée par Florence et arrivée à la Scala en 1972 n’a pas depuis quitté les programmes. L’œuvre aujourd’hui sent le soufre (on l’a vu à Aix avec la production Kušej) et certains théâtres hésitent même à la programmer ou en changent le livret (à Genève ou Lyon par exemple), entre traitement de la Turquie (Osmin), de l’Islam, et aussi de la femme.
Mais en 1972, on n’y voyait que nostalgie, poésie, mélancolie, sourire et c’est ce qu’offre la production de l’immense metteur en scène qu’était Strehler. En Konstanze, Jessica Pratt, qu’on voit de plus en plus sur les scènes italiennes à ce stade de sa carrière en dehors de son répertoire rossinien ou belcantiste, pour la pyrotechnie de Martern aller Arten. Face à elle en Blonde, une nouvelle venue, tout droit sortie du Studio de l’Opéra de Munich, Jasmine Delfs et dans l’ensemble une distribution parmi les meilleures qu’on puisse trouver (Daniel Behle/Michael Laurenz/Peter Rose) et un clin d’œil de Dominique Meyer à ses « racines » viennoises en appelant Sven-Eric Bechtolf, le metteur en scène (Ring viennois) qui est aussi acteur, en Pacha Selim.
Dans la fosse, un nouveau venu à Milan, Thomas Guggeis, le jeune chef talentueux qui fut l’assistant de Barenboim à Berlin et qui prend ses fonctions de directeur musical à l’opéra de Francfort. Il représente la nouvelle génération germanique qu’il faut suivre.
Voilà une reprise qui a tout pour plaire. Il faut y courir.

Mars-avril 2024
Gioachino Rossini, Guillaume Tell

6 repr. du 20 mars au 10 avril – Dir : Michele Mariotti /MeS : Chiara Muti
Avec Michele Pertusi, Dmitry Korchak, Nahuel di Pierro, Evgeny Stavinsky, Luca Tittoto, Marina Rebeka, Martina Russomanno, Géraldine Chauvet.
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

Comme pour Médée, c’est la première fois que la Scala propose la version originale de Guillaume Tell, c’est une excellente idée et on ne va pas s’en plaindre. On ne se plaindra pas non plus de la présence en fosse de Michele Mariotti, grand rossinien devant l’Éternel, ni d’une distribution de haut niveau, avec Pertusi, inégalable Tell tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change, Nahuel di Pierro, Luca Tittoto qui sont de beaux chanteurs. Le choix de Dmitry Korchak laisse plus perplexe pour Arnold, alors qu’un John Osborn est encore dans le circuit et aujourd’hui peut-être plus convaincant. Marina Rebeka en Mathilde est un choix solide pour les médias et l’affiche, mais c’est une voix sans véritable prise sur les cœurs et sans grand intérêt musical qui me laisse très indifférent.
Comme Daniele Abbado-fils-de pour Boccanegra, Chiara Muti-fille-de pour Guillaume Tell que son auguste père a dirigé avec succès (en version italienne sur cette même scène il y a un peu plus de trois décennies dans une production spectaculaire de Luca Ronconi). Je ne pense pas que la vérité du théâtre sortira de cette mise en scène, au-delà du gentillet, au vu des spectacles précédents qu’elle a déjà proposés. Mais on ne manque pas un Guillaume Tell

Avril 2024
Giacomo Puccini, La rondine
6 repr. du 4 au 20 avril – Dir : Riccardo Chailly – MeS : Irina Brook
Avec Mariangela Sicilia, Rosalia Cid,  Matteo Lippi, Giovanni Sala, Pietro Spagnoli
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

L’hirondelle (en italien la rondine) fera donc le Printemps. Riccardo Chailly poursuit son exploration du répertoire puccinien en proposant La rondine, un titre aussi fameux que peu représenté, en tous cas moins que d’autres, alors que l’œuvre a été créée dans les grandes années du compositeur (en 1917, à Montecarlo). Le livret de Giuseppe Adami s’inspire du livret original prévu pour une première à Vienne qui n’eut pas lieu à cause de la première guerre mondiale. Avec Riccardo Chailly en fosse, on peut supposer que cette musique peu connue ( à part l’air Chi il bel sogno di Doretta) retrouvera son lustre et toutes ses couleurs. La distribution est composée de chanteurs plutôt jeunes, la nouvelle génération en marche, avec Mariangela Sicilia, l’un des sopranos les plus prometteurs d’Italie en Magda, et à l’autre bout, le très expérimenté Pietro Spagnoli, en Rambaldo, le vieux protecteur de Magda qu’elle choisit à la fin au lieu d’une vie d’amour avec Ruggero (Matteo Lippi). Mise en scène d’Irina Brook, c’est à dire élégance et discrétion. Il faut résolument y aller, tant l’œuvre est rare. 

Avril-mai 2024
Pietro Mascagni/Ruggero Leoncavallo
Cavalleria rusticana/I Pagliacci
9 repr. du 16 avril au 5 mai – Dir : Giampaolo Bisanti – MeS : Mario Martone
Avec :

  • (Cavalleria) Elina Garanča (Ekaterina Semenchuk les 30 avril, 2 et 5 mai), Elena Zilio, Brian Jagde, Amartuvshin Enkhbat.
  • (I Pagliacci) Irina Lungu, Fabio Sartori, Amartuvshin Enkhbat, Mattia Olivieri, Jinxu Xiahou

Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise
9 représentations, c’est une reprise tiroir-caisse (les prix en conséquence…) essentiellement organisée autour de la figure d’Elina Garanča en Santuzza, qui devrait être impressionnante. On y retrouve en Mamma Lucia la légende Elena Zilio, Amartuvshin Enkhbat en puissant Alfio et avec le Turiddu sans charisme mais sonore de Brian Jagde.

Fête vocale également autour de Fabio Sartori en Alfio de Pagliacci, bien entouré par Mattia Olivieri et Amartuvshin Enkhbat.
Aucun souci pour la fréquentation du public avec de tels noms et dans la mise en scène solide de Mario Martone. En fosse Giampaolo Bisanti, passable, suffisant pour une reprise de répertoire où ce n’est pas le chef qui fera événement.

Mai-juin 2024
Gaetano Donizetti, Don Pasquale
6 repr. du 11 mai au 4 juin – Dir : Evelino Pido’/MeS : Davide Livermore
Avec Andrea Carroll, Ambrogio Maestri, Lawrence Brownlee, Mattia Olivieri
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise
Una saison sans Davide Livermore n’est pas une vraie saison à la Scala (ni ailleurs en Italie d’ailleurs) dans une mise en scène qui n’est pas l’une de ses plus mauvaises. La création avait été assurée par Chailly, c’est Evelino Pido’ qui assure la reprise… sic transit. Une distribution très solide, (Maestri, Brownlee, Olivieri) avec en Norina une nouvelle venue, l’américaine Andrea Carroll qui a été en troupe à Vienne aux temps de Dominique Meyer

Juin-juillet 2024
Jules Massenet, Werther
6 repr. du 10 juin au 2 juillet – Dir : Alain Altinoglu – MeS : Christof Loy
Avec Benjamin Bernheim, Victoria Karkacheva, Francesca Pia Vitale, Jean-Sébastien Bou, Armando Noguera, Rodolphe Briand etc..
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
Coproduction avec Théâtre des Champs Élysées, Paris
Nouvelle production avec en fosse Alain Altinoglu qui garantit un Massenet idiomatique et coloré et dans une mise en scène de Christof Loy, un metteur en scène qu’on n’attendrait pas à la Scala en ce moment, mais qui sans être un révolutionnaire, est un vrai metteur en scène de théâtre, solide, avec des idées souvent intelligentes. Une Charlotte russe, Victoria Karkacheva, qu’on a vue notamment à Lyon et Munich (où elle est en troupe), voix solide, expressive, et belle actrice engagée. En face, Benjamin Bernheim le ténor le plus en vue pour ce répertoire, bien meilleur chanteur qu’acteur, mais quel timbre ! Jean-Sébastien Bou sera Albert. Tout cela pour dire que les ingrédients sont réunis pour un très beau Werther, une œuvre très aimée à Milan.

Giacomo Puccini, Turandot
7 repr. du 25 juin au 15 juillet – Dir : Daniel Harding / MeS : Davide Livermore
Avec Anna Netrebko, Yusif Eyvazov/Roberto Alagna (9, 12, 15 juil.), Rosa Feola, Raül Giménez, Vitalij Kowaljow etc…
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
On est rassuré, Davide Livermore se voit confier une nouvelle production, Turandot, dont on imagine que cet apôtre de la superficialité insignifiante en mettra plein les yeux. C’est une nouvelle production peut-être évitable dans la mesure où la dernière, de Nikolaus Lehnhoff (décédé peu après) remonte à 2015 seulement. En fosse Daniel Harding, ce qui est toujours intéressant. Mais c’est bien sûr la distribution qui attire l’attention avec Anna Netrebko en Turandot, le mari Yusif Eyvazov en Calaf, et la délicieuse Rosa Feola en Liù. Mais l’autre événement, ce sont les trois dernières représentations assurées par Roberto Alagna en Calaf, qui revient à la Scala après des années d’absence suite à une Aida fatale plus que céleste. Inutile de souligner qu’un petit week-end estival à Milan s’impose aux fans, à combiner avec Werther si possible.

Septembre 2024
Nino Rota, Il Cappello di paglia di Firenze
5 repr. du 4 au 18 septembre – Dir : Donato Renzetti / MeS : Mario Acampa
Avec les solistes de l’Accademia di Perfezionamento per Cantanti Lirici del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala
Nouvelle production

Un peu comme à Munich avec la production du Studio, la production de l’Accademia est toujours intéressante dans la mesure où l’on peut espérer repérer des voix nouvelles et des futures belles carrières, et que le théâtre ne lésine pas sur les moyens mis en œuvre, avec en fosse un chef aussi sûr et éprouvé que Donato Renzetti, tout en offrant à un jeune metteur en scène, Mario Acampa, déjà animateur et metteur en scène à la Scala des projets pour les enfants, l’occasion de travailler avec des chanteurs en formation toujours plus disponibles,. L’œuvre de Nino Rota, tirée de Labiche, est une farce souriante qui par sa fraîcheur s’adapte parfaitement à un travail avec de jeunes chanteurs, et permet d’effectuer la rentrée lyrique de manière sereine et optimiste, d’autant qu’elle manque dans les programmes depuis 1998.

Septembre-Octobre 2024
Antonio Cesti, L’Orontea
5 repr. di 26 sept. au 5 oct – Dir : Giovanni Antonini/MeS :  Robert Carsen
Avec Stéphanie d’Oustrac, Mirco Palazzi, Hugh Cutting, Francesca Pia Vitale, Carlo Vistoli, Luca Tittoto, Sara Blanch, Marianna Pizzolato.
Orchestre du Teatro alla Scala

Nouvelle production
Né à Arezzo et mort à Florence, Antonio Cesti (1623-1669) n’a pas passé pourtant sa vie en Toscane, mais a commencé une carrière de moine franciscain, bientôt bousculée par son engagement musical comme chanteur et compositeur (il sera d’ailleurs relevé de ses vœux), notamment comme maître de Chapelle à Innsbruck puis à Vienne. L’Orontea de 1656 a d’ailleurs été composée pour Innsbruck.

Après La Calisto (Cavalli) e Li Zite n’galera (Vinci), la Scala explore sous Meyer de nouveau un répertoire moins connu, même si l’opéra de Cesti avait été proposé en 1961 à la Piccola Scala, idéale pour ce type d’œuvre, et malheureusement engloutie dans les restaurations de l’an 2000.
Avec Giovanni Antonini en fosse, on a la garantie d’un travail approfondi et efficace et Robert Carsen, très aimé en Italie, réussit souvent mieux qu’ailleurs dans les œuvres baroques. La distribution est particulièrement solide, autour de Stéphanie d’Oustrac on relève des noms d’artistes qui ont émergé très favorablement ces dernières années (Sara Blanch, Carlo Vistoli, Luca Tittoto, Marianna Pizzolato).
Si vous aimez découvrir des œuvres peu connues…

Octobre 2024
Richard Strauss, Der Rosenkavalier

6 repr. du 12 au 26 octobre 2024 – Dir : Kirill Petrenko/MeS : Harry Kupfer
Avec Krassimira Stoyanova, Kate Lindsey, Günther Groissböck, Sabine Devieilhe, Tanja Ariane Baumgartner, Gerhard Siegel, Johannes Martin Kränzle, Caroline Wenborne
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
Coproduction avec les Salzburger Festspiele

La belle production du regretté Harry Kupfer, qui remonte déjà à 2014 sera l’écrin somptueux d’une reprise qui a le parfum des grandes premières, même si la distribution allie celle de l’origine soit Krassimira Stoyanova et Günther Groissböck, et de nouvelles venues Sabine Devieilhe (qu’on attend avec impatience en Sophie) et Kate Lindsey en Octavian. Ils seront entourés pour l’occasion de rien moins que Johannes Martin Kränzle en Faninal, Gerhard Siegel et Tanja Ariane Baumgartner en Valzacchi et Annina, et un « vrai » chanteur italien, Piero Pretti.
Mais en l’occurrence, même avec cette belle distribution, toutes les oreilles seront tendues vers la fosse, où pour la première fois officiera Kirill Petrenko, dans un de ses opéras fétiches où il fit tomber de tous les balcons le public munichois…
Inutile de souligner qu’il faut dès maintenant programmer une virée milanaise.

Octobre-novembre 2024
Richard Wagner, Das Rheingold (Der Ring des Nibelungen)
6 repr. du 28 oct. au 10 nov. – Dir : Christian Thielemann/MeS : David Mc.Vicar
Avec Michael Volle, Andrè Schuen, Norbert Ernst, Johannes Martin Kränzle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Jongmin Park, Ain Anger, Okka von der Damerau, Olga Bezsmertna, Christa Mayer etc…
Orchestre du Teatro alla Scala
Nouvelle production

En trente ans, c’est le troisième Ring programmé par la Scala, dans une maison où a officié dès 1951 l’immense Furtwängler dont il reste des traces audio notables. Dix ans après Barenboim/Cassiers, voici revenu le temps du classicisme, avec

un Christian Thielemann qui revient dans une fosse italienne (il fut dans sa jeunesse très fréquent en Italie, et très apprécié) après des décennies et qui cette saison a promené sa vision si ciselée musicalement entre Dresde et Berlin, qui reste fascinante même si on peut lui préférer d’autres approches plus dramatiques – mais ne chipotons pas- et qui arrivera à Milan pour sa première apparition dans la fosse du Piermarini. Du classique à prévoir aussi dans l’approche de David McVicar sans doute moins dérangeante que Cassiers et naturellement de tous les Ring nés ces dernières années de Bayreuth à Berlin ou qui s’apprêtent à naître à Bruxelles (Castellucci) et Munich (Kratzer).
La distribution n’offre aucune espèce de discussion, on y trouve la crème du chant wagnérien – même si j’ai un petit doute sur Olga Bezsmertna en Freia, mais entre Michael Volle en Wotan, Johannes Martin Kränzle en Alberich et tous les autres dont Okka von der Damerau en Fricka, il y a de quoi satisfaire le plus difficile des wagnériens.

Allez, prenez un abonnement d’automne sur Trenitalia pour filer à Milan plusieurs fois entre septembre et novembre.

La saison lyrique reflète l’évolution de ce théâtre qui est en train d’achever sa mue, retrouvant une fréquentation qui tourne autour de 90%, travaillant sur la cité par des initiatives assez nombreuses : n’oublions pas que le public de la Scala, comme disait Lissner, habite dans un rayon de 4 km autour du théâtre et qu’avant d’être un phare international de l’opéra, c’est un théâtre local, que j’aime à l’appeler affectueusement le plus grand théâtre de province du monde.
On y développe donc les aspects numériques (nouveau site à peine ouvert), développement de la plateforme de Streaming La Scala.tv et achèvement des travaux commencés en 2001 avec la création de nouveaux espaces de répétitions (Ballet et orchestre) et de bureaux sur la Via Verdi (à droite quand on regarde la façade), avec tout de même les regrets éternels constitués par la perte de la Piccola Scala, dont la fonction n’a pas été remplacée et qui reste à mon avis une erreur fondamentale du projet de restauration.

Le théâtre va mieux et se relève des crises consécutives au Covid 19 et au départ chaotique d’Alexander Pereira. Qui s’en plaindrait ? Surtout pas celui qui écrit et qui a fait de ce théâtre son quotidien d’amour lorsqu’il vivait à Milan.

Alors la programmation lyrique est bien étayée aussi par celle du ballet, désormais dirigé par Manuel Legris que Dominique Meyer a emporté dans ses valises en venant de Vienne, et celle, très riche, des concerts divers qui sont dans l’histoire de la Scala, on le sait moins, un des axes porteurs de la maison, notamment depuis le passage de Claudio Abbado à la direction musicale qui était très attentif à ce qu’on appelait alors la saison symphonique (qui remplissait l’automne, en attendant l’ouverture de saison du 7 décembre).

 

LE BALLET
(contribution de Jean-Marc Navarro)

S’il est encore un peu tôt pour conceptualiser l’approche de programmation de Manuel Legris, la cure administrée à la Compagnie depuis son entrée en fonction il y a deux ans et demi se structure autour d’un mantra simple : “le plus de longs ballets classiques tu danseras”. La saison 2024 en est une illustration éloquente, qui sera lancée 10 jours après la Saint-Ambroise par une nouvelle production de Coppélia reconstruite, excusez du peu, par Alexei Ratmansky, à qui on doit tant de versions “historiquement informées” de ballets du XIXème siècle. Peu de choses ont filtré sur ce qui attend le balletomane et les sources qu’utilisera l’érudit pétersbourgeois, mais cela donne d’ores et déjà l’eau à la bouche.
La production parisienne de La Bayadère, que Manuel Legris avait fait venir à La Scala en 2021, sera ensuite reprise, avant que la part belle soit laissée à deux hits narratifs. Occasion tout d’abord de fêter les 50 ans de la création de L’histoire de Manon de MacMillan. Puis dans La dame aux camélias, est déjà annoncé l’extraterrestre Roberto Bolle qui à 49 ans assurera le très périlleux rôle d’Armand (!). Il apparaîtra également dans la reprise de la très ambitieuse commande qui avait été faite en 2021 à Fabio Vacchi en support d’un ballet “full-length” de Mauro Bigonzetti, Madina. De même que pour La Bayadère, voilà une belle idée que de reprendre des œuvres nouvellement entrées au répertoire pour les inscrire dans les esprits et dans les corps.
Une soirée de créations contemporaines est prévue autour de Garrett Smith, Leon/Lighfoot et Simone Valastro. Du contemporain peu hardcore et peu conceptuel dont on attend avec impatience la création de Valastro, qui a déjà commis des œuvres étourdissantes, dont Stratégie de l’hippocampe, sa première chorégraphie, pour l’Opéra de Paris à l’époque. Second triptyque programmé, exigeant : une soirée autour de classiques absolus de George Balanchine (Thème et variations) et Jerome Robbins (Dances at a gatheringThe Concert).
L’École de danse du Teatro alla Scala aura droit à une soirée tandis que Legris, qui avait mis en place à Vienne ses Galas Noureev annuels, perpétue sa tradition avec un Gala Fracci désormais inscrit dans le paysage des saisons de danse milanaises.
Plein de belles choses, intelligemment agencées, de nature à permettre à la Compagnie de continuer de progresser.

Les festivaliers juilletistes pourront se faire une première idée des fruits de la “ligne Legris” en allant à Orange le 15 juillet, le programme s’annonçant à son image : mélange de l’académique (acte II du Lac des cygnes), de contemporain classico-sage (Verdi Suite de Legris soi-même), de la création avec Philippe Kratz.

 

CONCERTS et RÉCITALS

La saison symphonique
Aujourd’hui, et depuis bien des années, l’automne (septembre-novembre) jadis dédié à la saison symphonique est la fin de la saison lyrique tandis que la saison symphonique est distribuée sur toute l’année, entre concerts de l’orchestre de la Scala, de la Filarmonica de la Scala (fondée en 1982 par Claudio Abbado), des concerts associés à des événements spéciaux (appelés concerts extraordinaires, des invitations d’orchestres étrangers et des récitals). En outre s’est développée une saison de chambre, avec de nombreux concerts des musiciens de l’orchestre en formation de chambre, qui enrichit le paysage à un horaire inhabituel (le dimanche à 11h)  continuant à faire de la Scala le centre musical névralgique d’une ville de Milan qui n’a pas en dehors de la Scala d’orchestre de prestige puissant comme l’Orchestra Sinfonica nazionale della RAI (pour Turin) ou l’Accademia di Santa Cecilia (pour Rome), même s’il y a des institutions symphoniques et des sociétés musicales historiques qui animent et complètent la vie musicale de la ville.

Sept programmes de concerts « ordinaires » irriguent la saison, avec au pupitre de l’Orchestre della Scala ou de la Filarmonica, outre Riccardo Chailly (trois programmes), Ingo Metzmacher, Daniel Harding, Daniele Gatti (qui reviendra diriger en 2025 un opéra…), Lorenzo Viotti.
Par ailleurs, Riccardo Chailly à qui l’on reproche de ne pas diriger beaucoup d’opéra est très présent au niveau du symphonique, aussi bien pour les concerts « ordinaires » qu’extraordinaires. Il faut noter la diversité des programmes, l’intérêt des solistes et quelques concerts exceptionnels comme les Gurre-Lieder, sans doute programmés à cause de la présence à Milan pour le Ring de la fine fleur du chant allemand, un concert auquel on pourra difficilement résister. Mais aussi bien la Symphonie n°9 de Mahler dirigée par le grand mahlérien qu’est Daniele Gatti qu’un Requiem de Mozart confié à la baguette de Daniel Harding avec une distribution jeune sont des arguments à ne pas négliger non plus.

Novembre 2023

9, 11 et 14 novembre
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Chailly

Schubert : Symphonie n°4 en ut min. D 417 “Tragique”
Verdi : Quattro pezzi sacri

Chef de chœur : Alberto Malazzi

Janvier 2024
22, 24, 25 janvier
Filarmonica della Scala
Direction : Ingo Metzmacher
Luigi Nono : Como una ola de fuerza y luz
                      pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n°4 en ut min. op. 43

Pierre Laurent Aimard, piano
Serena Saenz, soprano
Paolo Zavagna, régie sonore

 

Février 2024
19, 22, 23 février
Filarmonica della Scala
Direction : Lorenzo Viotti
Nikolai Rimski-Korsakov : Capriccio espagnol op.34
Maurice Ravel : Concerto en sol
Serguei Rachmaninov : Danses symphoniques op.45

David Fray, piano

Avril 2024
22, 24, 27 avril

Filarmonica della Scala
Direction : Daniele Gatti

Gustav Mahler : Symphonie n°9 en ré majeur

Mai 2024
27, 29, 30 mai
Filarmonica della Scala
Direction : Riccardo Chailly

Arnold Schönberg : Verklärte Nacht, pour orch. à cordes
Anton Webern : Passacaille op.1
Alban Berg : Trois fragments de Wozzeck op.7, pour soprano et orchestre

Marlis Petersen, soprano

Juin-juillet 2024
29 juin, 3, 5, juillet
Direction : Daniel Harding
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Chef du chœur : Alberto Malazzi

Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem en ré min. K.626

Rosa Feola, soprano
Cecilia Molinari, mezzosopeno
Giovanni Sala, ténor
Adam Platchetka, basse

Septembre 2024
13, 16, 17 septembre
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Chailly
Chef du chœur : Alberto Malazzi
Chor des Bayerischen Rundfunks

Chef de chœur : Peter Dijkstra

Arnold Schönberg, Gurre-Lieder, pour solistes, chœur et orchestre
Waldemar : Andreas Schager
Tove : Camilla Nylund
Waldtaube : Okka von der Damerau
Bauer/Sprecher : Michael Volle
Klaus/Narr : Norbert Ernst

Concerts extraordinaires

Les concerts extraordinaires marquent un moment singulier ou célèbrent des anniversaires, et il y en a trois cette saison (Neuvième de Beethoven, Requiem de Verdi, Mort de Puccini). Ils donnent par exemple l’occasion de réunir Jonas Kaufmann et Anna Netrebko pour un ensemble d’extraits pucciniens rares, d’entendre une Alcina en version de concert et surtout The Fairy Queen en version semi-scénique chorégraphiée par Mourad Merzouki, avec Les Arts Florissants et William Christie. Pour le reste, entre une Neuvième de Beethoven et un Requiem de Verdi, le milanais a de quoi remplir son carnet de concerts, d’autant que la saison symphonique offre aussi le Requiem de Mozart et les Gurre-Lieder

 

1er décembre 2023
Jansen/Maiski/Argerich
Musiques de Chostakovitch et Tchaïkovski
Janine Jansen, violon
Misha Maiski, violoncelle
Martha Argerich, piano

23 décembre 2023
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Daniel Harding
L.v.Beethoven : Fantaisie en ut mineur op.80 pour piano, solistes, chœur et orchestre
Johannes Brahms : Symphonie n°2 en ré majeur op.36

Chef de chœur : Alberto Malazzi

 


8 février 2024
Les Musiciens du Louvre
Dir : Marc Minkowski

Georg Friedrich Haendel, Alcina, en version concertante
Alcina : Magdalena Kožená
Morgana : Erin Morley
Bradamante : Elizabeth Deshong
Ruggero : Anna Bonitatibus
Oronte : Valerio Contaldo
Melisso : Alex Rosen

 

29 avril 2024
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala
Dir : Marco Armiliato
Airs français de Donizetti, Meyerbeer, Rossini, Massenet, Gounod
Lisette Oropesa, soprano
Benjamin Bernheim, ténor

 

7 mai 2024

Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Riccardo Chailly
Pour le bicentenaire de la première exécution
L.v.Beethoven : Symphonie n°9 pour solistes, chœur et orchestre

Olga Bezsmertna, soprano, Wiebke Lehmkuhl, mezzosoprano
Benjamin Bruns, ténor, Markus Werba, baryton
Chef de chœur : Alberto Malazzi

23 mai 2024
Chiesa di San Marco
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Riccardo Chailly
Pour le 150e anniversaire de la première exécution, el 22 mai 1874 à la Chiesa di San Marco

Giuseppe Verdi : Messa da requiem pour solistes, chœur et orchestre
Marina Rebeka, soprano, Vasilisa Berzhanskaia, mezzosoprano
Freddie De Tommaso, ténor, Alexander Vinogradov, basse
Chef de chœur : Alberto Malazzi

30 juin 2024
Les Arts Florissants
Dir : William Christie
Henry Purcell : The Fairy Queen, version semi-scénique

Chorégraphie et mise en espace : Mourad Merzouki

29 novembre 2024
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants du Teatro alla Scala

Dir : Riccardo Chailly
Chef de chœur : Alberto Malazzi
Chef du chœur d’enfants : Bruno Casoni

Pour le centenaire de la mort de Giacomo Puccini
Anna Netrebko, soprano
Jonas Kaufmann, ténor

Programme

  • de Le villi
    “La tregenda” intermezzo symphonique
  • Requiem
    pour chœur mixte, alto et orgue
  • Crisantemi
    Version pour orchestre à cordes
  • de Madama Butterfly
    Acte II, Introduction
    pour chœur et orchestre
  • de Edgar
    Acte III, Prélude
    Requiem aeternam
    pour chœur, orchestre et chœur d’enfants
  • Preludio Sinfonico
  • de Manon Lescaut
    Intermezzo
    Acte IV

Concerts d’orchestres invités

Quatre prestigieuses phalanges de passage à Milan, dont on retiendra notamment le retour de Riccardo Muti à la tête du Chicago Symphony Orchestra dans un programme incluant même Philip Glass, et la présence d’ Esa-Pekka Salonen, très aimé à Milan, dans un programme Sibelius-Bartók. Une Passion selon saint Mathieu par Herreveghe et le Collegium vocale de Gand, et le Royal Concertgebouw dans un programme plus classique (Mozart Bruckner) dirigé par Myung-Whun Chung.

21 janvier 2024
Royal Concertgebouw Orchestra
Dir : Myung-Whun Chung

W.A.Mozart, concerto n°17 en sol majeur K 453 pour piano et orchestre
Emanuel Ax, piano
Anton Bruckner, Symphonie n°7 en mi majeur

27 janvier 2024
Chicago Symphony Orchestra
Dir : Riccardo Muti
Philip Glass, The Triumph of the Octagon
Igor Stravinski, Suite de L’Oiseau de feu (1919)
Richard Strauss, Aus Italien, fantaisie symphonique en sol majeur op.16

25 mars 2024
Collegium Vocale Gent
Dir : Philippe Herreveghe
Bach, Matthäus-Passion BWV 244

9 novembre 2024
Philharmonia Orchestra
Dir : Esa-Pekka Salonen
Jean Sibelius, Symphonie n°1 en mi min. op.39
Béla Bartók, Concerto pour orchestre

 

Récitals

Du côté des récitals, c’est le répertoire d’opéra qui est privilégié avec Flórez, Feola, Alagna pour son grand retour, plus diversifié avec Garanča et Oropesa, et la promesse d’une grande soirée de Lieder avec Christian Gerhaher dans un programme Brahms. On doit souligner qu’à un moment où cette forme n’est plus guère prisée en France (il fut un temps où de grandes stars donnaient des récitals à Garnier, mais cet heureux temps n’est plus), la Scala maintient la tradition, et la consolide, profitant quelquefois du passage des chanteurs à l’occasion d’une production.


18 décembre 2023
Juan Diego Flórez, ténor
Vincenzo Scalera, piano
Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi

5 février 2024
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano
Brahms

11 mars 2024
Elina Garanča, mezzosoprano
Malcom Martineau, piano
Brahms, Berlioz, Saint-Saëns, Gounod, Tchaïkovski, Rachmaninov, Chapí

24 mars 2024
Rosa Feola, soprano
Fabio Centanni, piano
Gluck, Mozart, Rossini, Donizetti, Verdi

19 mai 2024
Lisette Oropesa, soprano
Beatrice Benzi, piano
Mercadante, Bellini, Donizetti, Schubert, Rodrigo, Nin, De Falla, Sorozábal, Barbieri

24 juin 2024
Roberto Alagna, ténor
Jeff Cohen, piano
Wagner, Massenet, Verdi, Leoncavallo, Moniuszko, Tchaïkovski, Pergolesi, Saint-Saëns       


Grands pianistes à la Scala

La tradition, là encore, du grand récital de piano à la Scala (il y a aussi la salle alternative du Conservatoire Verdi qui en offre quelquefois). C’est à la Scala qu’à la grande époque Maurizio Pollini rencontrait régulièrement son public dont on espère que sa santé lui permettra d’assurer le concert prévu, c’est à la Scala que j’entendis pour une seule et unique fois Vladimir Horowitz. Les noms réunis allient les grandes stars (Trifonov, Pollini, Grimaud) et la nouvelle génération en phase de starification comme la magnifique Beatrice Rana et Alexandre Kantorow qui brûle les planches et les claviers.

31 janvier 2024
Daniil Trifonov

3 juin 2024
Hélène Grimaud

13 octobre 2024
Beatrice Rana

20 octobre 2024
Maurizio Pollini

19 novembre 2024
Alexandre Kantorow

Musique de chambre
Au grand Foyer « Arturo Toscanini » du Teatro alla Scala les dimanches à 11h

J’ai voulu m’attarder sur cette série de concerts déjà programmés la saison actuelle et qui me semblent déterminants à plusieurs niveaux.

  • D’abord, c’est évident, ces concerts mettent en valeur les membres de l’orchestre et du chœur et leur permettent de se confronter à des répertoires divers, tant la variété des programmes est marquée
  • L’horaire, le dimanche à 11 h, casse un peu les rituels d’un théâtre qui en a beaucoup et surtout la réponse très forte du public montre que l’offre a répondu à une demande.
  • Elle permet aussi à un prix très raisonnable (24€) d’accéder à la Scala pour un public peut-être moins habitué, et pour des concerts de grande qualité. C’est aussi un moyen d’élargir le public.
  • C’est ce type de manifestation qui permet de tisser des rapports avec la cité, avec le public potentiel, des rapports de fidélité (il y a onze concerts…) qui pourront amener les publics moins habitués aux concerts symphoniques (prix maximum 110€) ou aux récitals de chant (Prix maximum 60€) puis à l’opéra, plus sélectif (prix maximum s’échelonnant entre 250 et 300 € la place d’orchestre selon les titres).

10 décembre 2023
Quatuor à cordes du Teatro alla Scala
Beethoven
Francesco Manara, violon
Daniele Pascoletti, violon
Simonide Bracconi, alto
Massimo Polidori, violoncelle

21 janvier 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Brahms/Schumann
Francesco De Angelis, violon
Sandro Laffranchini, violoncelle
Roberto Paruzzo, piano

23 février 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Ravel / Fauré / Respighi

Indro Borreani, violon
Olga Zakharova, violon
Giuseppe Russo Rossi, alto
Julija Samsonova, mezzosoprano
Michele Gamba, piano

10 mars 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Mozart / Brahms

Alexia Tiberghien, violon
Evgenia Staneva, violon
Francesco Lattuada, alto
Carlo Maria Barato, alto
Simone Groppo, violoncelle

24 mars 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Halvorsen / Boccherini / Pergolesi

Enkeleida Sheshaj, violon
Andrea del Moro, violon
Elena Faccani, alto
Beatrice Pomarico, violoncelle
Attilio Corradini, contrebasse
Giorgio Martano, orgue positif

Barbara Rita Lavarian, soprano
Maria Miccoli, mezzosoprano

7 avril 2024
Percussionistes du Teatro alla Scala
Philip Glass

Gianni Massimo Arfacchia, Giuseppe Cacciola, Gerardo Capaldo, Francesco Muraca
Percussions

28 avril 2024
Choristes féminines du chœur du Teatro alla Scala
Brahms / Rheinberger / Andrès / Holst
Direction : Alberto Malazzi

Margherita Chiminelli, Critina Injeong Hwang, Cristina Sfondrini, Nadia Engheben, Srah Park, Silvia Spurzzola
Sopranos

Marzia Castellini, Alessandra Fratelli, Romina Tomasoni
Messosopranos
Eleonora Adigo, Maria Miccoli, Daniela Salvo
Contraltos

Giovanni Emanuele Urso, cor
Giulia Montorsi, cor
Luisa Prandina, harpe

19 mai 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Mozart, Beethoven
Laura Marzadori, violon
Eugenio Silvestri, alto
Martina Lopez, violoncelle

22 septembre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Poulenc / Verdi / Puccini
Giovanni Emanuele Urso, cor
Marco Toro, trompette
Daniele Morandini, trombone
Nelson Calzi, piano

20 octobre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Strauss / Zemlinsky / Korngold

Agnese Ferraro, violon
Lucia Zanoni, violon
Duccio Beluffi, alto
Joel Imperial, alto
Gianluca Muzzolon, violoncelle
Beatrice Pomarico, violoncelle

10 novembre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Schubert / Brahms / Bottesini
Giuseppe Ettorre, contrebasse
Pierluigi Di Tella, piano

17 novembre 2024
Quatuor à cordes du Teatro alla Scala
Beethoven
Francesco Manara, violon
Daniele Pascoletti, violon
Simonide Bracconi, alto
Massimo Polidori, violoncelle

Pour les enfants
La Scala a toujours eu une vraie tradition de relation au public enfantin et avec les écoles, dont jadis le responsable fut une figure historique du théâtre d’une exceptionnelle longévité.
La programmation pour les enfants s’est désormais très étoffée, avec une offre double,

1) des opéras pour enfants (prix maxi : 48€ mais 1€ pour les moins de 18 ans)

27 octobre 2023 : Il piccolo principe (Le petit Prince ) de Pierangelo Valtinoni, (MeS Polly Graham)

11 février 2024 : Il piccolo Spazzacamino (Le petit ramoneur) de Benjamin Britten (MeS Lorenza Cantini)

Outre ces deux représentations, d’autres sont organisées pour public captif (écoles etc…)

2)  des concerts animés et commentés (prix maxi : 18 € mais 1€ pour les moins de 18 ans) avec une programmation thématisée (par exemple, autour de Vivaldi et d’Arlequin pour le premier concert du 28 janvier 2024), sous la responsabilité de Mario Acampa, aussi chargé de la mise en scène du Cappello di Paglia di Firenze de Nino Rota, spectacle de l’Accademia (Septembre 2024) pendant la saison lyrique.
Cette année, la saison des concerts pour les enfants ouvrira le 20 octobre 2023 par un concert exceptionnel des sœurs Katia et Marielle Labèque (au progr. Saint-Saëns, Carnaval des animaux, Ravel, Ma mère l’Oye) (prix maxi : 48€ mais 1€ pour les moins de 18 ans)

À noter que toutes les représentations ont lieu dans la grande salle de la Scala, la salle de Piermarini, ce qui pour un très jeune public, constitue un souvenir sans doute très fort.

Conclusion
J’ai voulu cette année proposer un panorama à peu près complet de toutes les activités du Teatro alla Scala, dont le statut à Milan est un peu particulier puisqu’il porte à la fois la saison lyrique et de ballet, mais aussi une large part de la programmation symphonique de la cité, dont le reste se divise entre plusieurs institutions moins puissantes.
Les saisons symphoniques sont toujours attirantes et variées, et celle-ci ne fait pas exception, mais la saison lyrique est passée à une vitesse supérieure, non pas tant par les distributions, la plupart du temps soignées, mais par les chefs puisqu’on annonce la présence des deux plus grands chefs opérant en Allemagne, Kirill Petrenko et Christian Thielemann, mais aussi d’Aiain Altinoglu pour la première fois à la Scala, ou Daniel Harding et Lorenzo Viotti, aimé du public milanais, le prometteur Thomas Guggeis, sans oublier Michele Mariotti, directeur musical à Rome, et évidemment Riccardo Chailly qui outre les deux opéras, dirigera un certain nombre de grands concerts.
J’ai suffisamment commenté les saisons précédentes avec amertume pour saluer celle-ci, qui fait très envie musicalement par la variété des œuvres et la qualité des interprètes.
Il reste la question des mises en scène, où l’imagination semble s’être arrêtée au seuil du théâtre.

Certes le public milanais est conservateur – comme est frileuse toute l’Italie face au théâtre et à la mise en scène, oubliant qu’elle a produit Visconti, Strehler, Ronconi ou qu’elle produit encore Castellucci dans le monde entier (moins en Italie), Pippo Delbono et Emma Dante.

Certes Dominique Meyer affiche une attitude résolument rétrograde en la matière, une posture longuement construite, et dommageable dans la mesure où sans appeler tout le Regietheater de la terre ou ce qu’il en reste, quelques noms d’aujourd’hui pourraient donner de la couleur à un paysage terne, au mieux sage et élégant (Irina Brook, Daniele Abbado, Mario Martone – pour une reprise), comme si la mise en scène n’avait rien à dire des œuvres : Mc Vicar dans le Ring « fa ridere i polli » (comme on dit en Italie). Certes enfin, Christof Loy fera Werther, ce qui est intéressant, certes, le regretté Harry Kupfer se rappellera à nous pour Rosenkavalier, tout comme Giorgio Strehler pour Entführung aus dem Serail, mais le public milanais a aussi droit au présent du théâtre.

Chez les metteurs en scène italiens, Francesco Micheli mériterait par exemple d’être appelé, et dans l’ailleurs scénique inconnu des théâtres italiens, un Barrie Kosky – qui est un véritable homme de théâtre à qui l’on doit tant de grandes productions très éloignées du Regietheater – ou même un David Bösch, qui signe le meilleur Elisir d’amore sur une scène d’opéra (à Munich), voire un Simon McBurney seraient aussi possibles sans effaroucher ni décoiffer le public scaligère. Ils feraient sans doute mieux que le Davide Livermore des familles.
Mais la saison prochaine, malgré tout, on tâchera d’aller souvent revoir Milan….

Die Entführung aus dem Serail , Mise en scène Giorgio Strehler © Teatro alla Scala Milano

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO ALLA SCALA

La saison de la Scala est parue et avec elle son cortège de discussions et de considérations diverses. Il y a ceux qui défendent les choix et il y a ceux qui s’en désolent, comme de juste. Mais en l’occurrence la Scala ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Au vu de cette saison et de quelques autres il est clair que le Teatro alla Scala peine à rester un leader artistique en Europe. Certes le théâtre reste un phare « mythique », mais sa programmation n’a plus la force d’entraînement qu’elle a pu avoir jadis, et elle n’est plus une référence musicale, sauf à de rares exceptions. La Scala est essentiellement un objet médiatique qui fonctionne encore…. Si la saison est attendue avec curiosité, c’est par un vague espoir que ses couleurs en seront ravivées. Ce n’est encore pas le cas pour 2022-2023.

Il y a déjà belle lurette que la Scala n’est plus la référence européenne  ou “le plus grand théâtre lyrique du monde”, même s’il en est encore sans aucun doute le plus célèbre : pas de productions phares, pas de voix nouvelles découvertes, peu de chefs d’envergure – nous avions à ce propos la saison dernière proposé une comparaison cruelle avec une saison du passé.
Mais, plus étonnant, la Scala est en train de perdre aussi ce statut en Italie où d’autres institutions proposent des productions qui attirent plus, des spectacles plus avancés, plus intelligemment distribués et plus ouverts. En bref qui font plus envie.
Cette maison vit sur sa gloire passée, sur son histoire et sa mythologie, et c’est un peu ce qui lui reste: une force d’inertie. Mais elle n’a plus de couleur artistique claire, comme si le pouvoir avait été pris par un algorithme qui prévoit un certain nombre de productions selon des recettes qui recommandent la voie moyenne, sinon quelquefois la poussière, à tous les niveaux. Une saison anonyme, qui n’apparaît être faite que par dosages sans envie, et pourtant malgré une vraie variété dans l’offre et des choix qui peuvent sans aucn doute séduire: paradoxal, je sais.

Les innovations, on les trouve dans un nouveau design pour l’image du matériel promotionnel de la Scala (à part les affiches et « locandine » historiques) ou une façade qui va retrouver les couleurs originales voulues par son architecte Piermarini et un nouveau bâtiment qui agrandit les espaces arrière. La Scala s’agrandit, la Scala ne cesse de se moderniser, c’est parfait, mais pour quelle politique?
Si innovation et couleur pouvaient aussi inonder autre chose que design et façade, on penserait moins à Potemkine…

Il y a longtemps que le spectateur que je suis a constaté cette très lente dégradation : elle ne date pas de cette année ni de la saison précédente, elle a commencé par l’ère Muti, qui au moins avait pour garantie un chef d’envergure dont on pouvait ne pas partager les options, mais qui était très présent . Il y a eu aussi la période Barenboim qui a redonné du brillant, même si Stéphane Lissner était critiqué : mais tout de même, Lohengrin de Claus Guth avec Kaufmann et Harteros, Tristan de Chéreau avec Meier, et le Ring de Cassiers, ou La Traviata de Tcherniakov avec Gatti en fosse, qu’on partage ou non les options des mises en scène, tout cela avait de la gueule.
On chercherait en vain un spectacle qui ait « de la gueule » aujourd’hui, malgré des forces locales toujours exceptionnelles quand elles sont motivées et emportées par l’envie: c’est un point à souligner, choeur, orchestre, et techniciens restent parmi les équipes les plus enviables au monde.
Quant à la saison, un peu de Kaufmann et un peu de Netrebko ne font pas une saison brillante, même si, reconnaissons-le, les temps que nous traversons sont difficiles pour tous les théâtres : mais comment expliquer que la Scala, le théâtre le mieux doté d’Italie, soit l’un des moins stimulants ?

Sur les 14 productions d’opéra certaines peuvent attirer et même valoir le voyage, d’autres choix sont inexplicables et d’autres enfin sans autre intérêt que remplir un agenda. C’est une somme sans ligne, parce que cela va dans tous les sens. Pas de ligne artistique, mais simplement un souci de gestion des attentes supposées du public. Il aime Bohème de Zeffirelli ? on lui donne La Bohème de Zeffirelli. Il rêve au nom de Strehler, si lié à cette maison, on lui sert des Nozze di Figaro qui ne sont que la resucée en moins bien du spectacle parisien. Qu’importe puisque tout le monde, depuis 1981 (date de la production) a oublié…
La politique des metteurs en scène évite soigneusement les grands noms qui circulent dans toute l’Europe et même aux USA aujourd’hui (même à New York qui est pourtant un temple du conservatisme), on cherche soit les morts, les poussiéreux qui l’étaient déjà il y a vingt ans et au mieux ceux qui frôlent de loin une apparence de modernité non dérangeante en se risquant à un ou deux noms à la mode qui apaiseront les regards critiques.

En fait, on n’aime pas le théâtre en ce moment à la Scala. C’est assez singulier dans cette maison, qui accueillit Visconti, Strehler, Ronconi, Lioubimov, Vitez, Ponnelle, Wilson et plus récemment Tcherniakov, Cassiers, Bondy et Chéreau. Mais le phénomène a commencé dès le mandat de Riccardo Muti comme directeur musical, où les spectacles ont perdu de leur intérêt. Le passage de Lissner, si décrié par certains milanais, à un peu rafraîchi l’offre, mais celui d’Alexander Pereira est resté bien trop prudent en la matière.
Mais qu’un Barrie Kosky qui n’est pas un révolutionnaire soit encore inconnu à Milan, ou pire, un italien comme Romeo Castellucci, salué dans le monde entier, c’est tout de même d’un ridicule achevé. On leur préfère Davide Livermore, herméneute de la superficialité insignifiante, qui a son rond de serviette depuis des années et dont on reverra le Macbeth insupportable cette année, avec, en plus une nouvelle production des Contes d’Hoffmann sans doute plumes, paillettes et vidéo.
Même étrangeté dans la politique des chefs d’orchestres, erratique, entre très grands noms particulièrement légitimes et chefs de répertoire à la viennoise (ce qui n’est pas forcément un compliment) dans le théâtre le plus symbolique du système stagione, où le choix du chef est essentiel pour chaque production, où comme disait il y a 50 ans Paolo Grassi, le résultat de la représentation du soir est déterminant et où la programmation devrait être, disent d’autres, le Festival permanent: quand on est la Scala, trouver une dizaine de chefs de bon profil ne doit pas être si difficile … Visiblement, comme on ne les trouve pas, cela signifie qu’ils sont ailleurs et que la Scala n’a plus de pouvoir d’attraction, ou bien, plus vraisemblable, qu’on n’a pas envie de les chercher.
Mais c’est aussi un débat qui remonte à très loin puisque déjà Carlo Fontana répondait que les « grands » chefs ne voulaient plus faire d’opéra hors de leur propre maison. Alors quand on regarde le passé,  les saisons de la Scala sont quelquefois contrastées mais dans l’ensemble elles se tiennent du point de vue des choix de chefs, comme le montrent les cinq exemples ci-dessous : il y a des noms très connus aujourd’hui, mais à l’époque, c’était des chefs plus jeunes, voire débutants, et leur carrière depuis montre que le théâtre avait eu du nez…
Cinq saisons au hasard ( 3 sous Carlo Fontana/Riccardo Muti, et 2 sous Stéphane Lissner/Daniel Barenboim) assez différentes et considérons seulement  les noms des chefs invités

  • 1988-1989 :
    (saison avec tournée du Bolchoï) Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Gianandrea Gavazzeni, Daniele Gatti (débuts), Alexandre Lazarev (Bolchoï), Andrei Christiakov (Bolchoï), Gary Bertini, Tiziano Severini, Lorin Maazel, Gennadi Rozhdestvenski, Zoltan Pesko
    Riccardo Muti, directeur musical (6 productions)
  • 1997-1998 :
    Zoltan Pesko, Massimo Zanetti, Gianluigi Gelmetti, Riccardo Muti, Donald Runnicles, Adam Fischer, Valery Gergiev, Bruno Campanella
    Riccardo Muti, directeur musical (3 productions)
  • 1998-1999 :
    Riccardo Muti, Bruno Bartoletti, Giuseppe Sinopoli, Mstislav Rostropovitch, David Robertson, Riccardo Chailly, Gary Bertini.
    Riccardo Muti, directeur musical (5 productions)
  • 2010-2011:
    Daniel Barenboim, Omer Meir Wellber, Daniel Harding, Edward Gardner, Roland Boër, Susanna Mälkki, Yannick Nézet-Séguin, Franz Welser-Möst, Nicola Luisotti, Antonello Allemandi, Rinaldo Alessandrini, Roberto Abbado, Philippe Jordan, Valery Gergiev
    Daniel Barenboim, (1 production) n’était pas encore directeur musical il le sera la saison suivante.
  • 2011-2012
    Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel, Daniele Rustioni, Enrique Mazzola, Fabio Luisi, Gianandrea Noseda, Robin Ticciati, Andrea Battistoni, Nicola Luisotti, Marc Albrecht, Marco Letonja, Omer Meir Wellber
    Daniel Barenboim, directeur musical (2 productions)
    Ces cinq exemples parlent d’eux mêmes.

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Cette saison Il y a quatorze productions d’opéra entre reprises et nouvelles productions.
On compte donc :

Nouvelles productions :

Boris Godounov
I Vespri Siciliani
Les contes d’Hoffmann
Li Zite n’galera
Lucia di Lammermoor
Rusalka
Peter Grimes
L’Amore dei tre re’

Reprises :
Salomé : même si la production n’a pas été vue par le public, elle a été, répétée et retransmise en streaming en 2021, c’est donc une reprise.
La Bohème
Andrea Chénier
Macbeth
Il Barbiere di Siviglia
Le nozze di Figaro

Au palmarès des compositeurs :

Répertoire italien
1 Vinci
1 Rossini
1 Donizetti
2 Verdi
1 Puccini
1 Giordano
1 Montemezzi

Répertoire non italien
1 Mozart
1 Offenbach
1 Moussorgsky
1 Dvořák
1 R.Strauss
1 Britten

Un peu de tout, couvrant scrupuleusement toutes les périodes de l’art lyrique, des compositeurs au profil classique, des metteurs en scène éprouvés sinon éprouvants, quelques bons à très bons chefs et deux chefs de grande envergure dont le directeur musical, d’autres chefs qui ailleurs font du répertoire pour une bonne moitié des productions, et des distributions correctes sans remuer les tripes.
J’ai lu avec amusement à propos de cette saison « pluie de stars » : il faudrait s’entendre sur la qualification de « star » Yoncheva ? Rebeka ? Allons donc… J’en trouve trois sur 14 productions, Kaufmann, Netrebko, Flórez… une bruine plutôt qu’une pluie. Et d’ailleurs, les stars viennent sur une ou deux productions, jamais plus, donc c’est un épiphénomène.

 

Décembre 2022
Modest Moussorgski
Boris Godounov

8 repr.(comprises l’Avant-première jeunes (4/12) et la « Prima » (7/12) et du 10 au 29 déc.) – Dir : Riccardo Chailly / MeS : Kasper Holten
Avec Ildar Abdrazakov, Ain Anger, Misha Didyk, Norbert Ernst…
43 ans après la production mythique de Iouri Lioubimov, dirigée par Claudio Abbado dans la version originale (version 1872) de Moussorgski (qui en fait lança cette musique dans tous les théâtres du monde jusque-là habitués à la version Rimsky), la Scala produit un nouveau Boris Godounov. Certes, depuis 1979, l’œuvre a été reprise en 1980-1981, puis le Bolchoï en 1988-1989 l’a présentée en tournée, et Gergiev a dirigé les forces de la Scala dans la production du Mariinski en 2001-2002, mais c’est la première production « maison » du chef d’œuvre de Moussorgski depuis 1979.
En outre, cette ouverture de saison sera marquée par la présentation de la version originale de 1969. Évidemment la direction de Riccardo Chailly sera particulièrement guettée car c’est là que se situe le plus grand intérêt. La distribution solide est quand même assez attendue, avec Ildar Abdrazanov en Boris, évidemment inévitable, avec un Ain Anger en Pimen qu’on eût pu peut-être éviter (ses dernières prestations sont médiocres), mais Misha Didyk est un autre des chanteurs « attendus », qui a l’avantage d’être ukrainien (important un soir de Prima) encore qu’il y ait des ténors russes aujourd’hui bien plus intéressants dans ce rôle. Norbert Ernst en Shuiski en revanche est une jolie idée.
La mise en scène est signée de Kasper Holten, qui avait fait un Ring remarqué à Copenhague en 2006, mais qui depuis n’a pas imprimé les mémoires par des productions notables.
Le débat a porté dans la critique italienne sur la présence d’un entracte, qui ne se justifie pas dans la version de 1869. Mais comment peut-on imaginer une Prima du 7 décembre sans entracte, autant enlever 95% de l’intérêt de la soirée… Enfin, Der fliegende Holländer, qui se joue sans entracte partout dans le monde, a des entractes à la Scala… Quand on vous dit que ce théâtre est unique…

Janvier 2023
Richard Strauss
Salomé

6 repr. du 1er au 31 janv. – Dir : Zubin Mehta/MeS : Damiano Michieletto
Avec Vida Miknevičiūtė, Michael Volle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Linda Watson…
Comme ailleurs, les productions sacrifiées sur l’autel du Covid reviennent devant le public. Celle-ci avait été doublement frappée : d’une part Zubin Mehta, prévu, avait déclaré forfait et c’est Riccardo Chailly qui avait dirigé à sa place (magnifique interprétation d’ailleurs), et d’autre part, le confinement avait contraint la Scala à une reprise en streaming. Cette année, Mehta revient, et c’est l’attraction.
La production de Michieletto (qui ne m’a pas enthousiasmé) va enfin avoir droit à son vrai public, et attraction supplémentaire, c’est Vida Miknevičiūtė aujourd’hui appelée partout, qui va faire sa première apparition à la Scala en Salomé. Vaut le voyage donc, d’autant que Iochanaan sera l’immense Michael Volle, sauf le 31 janvier où ce sera Tomasz Konieczny. Hérode de choix avec Wolfgang Ablinger Sperrhacke, le meilleur ténor de caractère de langue allemande mais grave chute de goût avec Linda Watson en Hérodias quand on a sur le marché désormais Waltraud Meier… Conclusion : vaut le voyage

 

Février 2023
Giuseppe Verdi
I Vespri Siciliani

7 repr. du 28 janv. au 21 fev. – Dir : Fabio Luisi/MeS : Hugo de Ana
Avec Marina Rebeka/Angela Meade, Piero Pretti, Luca Micheletti/Roman Burdenko, Dmitry Beloselskiy.
Cette production n’est pas en soi une mauvaise idée : depuis la production Pizzi dirigée par Riccardo Muti en 1987-1988 et 1989-1990, pas de Vespri Siciliani à la Scala. Il est vrai aussi que ce n’est pas un titre typiquement scaligère. La confier à Fabio Luisi, solide, élégant, très ductile, ce n’est pas non plus un mauvais choix d’autant qu’il est très aimé de l’orchestre.
Mais donner la mise en scène à Hugo de Ana, qui avait déjà au début des années 2000 massacré un Trovatore dirigé par Muti, c’est une très mauvaise idée. De Ana est peut-être(?) un bon décorateur, mais un mauvais metteur en scène, et il écume les scènes depuis des années sans rien faire de vraiment original. De la vieillerie.
Distribution correcte sans être exceptionnelle, Marina Rebeka fait de belles notes, mais c’est de la glace à aigus. Angela Meade est une vraie Elena (entendue jadis au MET, et avec quel éclat !): si vous y allez, mieux vaut choisir les 11 ou 21 février. Piero Pretti est un bon ténor, mais sans grande personnalité, Dmitry Beloselskiy une belle basse, mais quand on a en Italie un Roberto Tagliavini… Pour Monforte, du neuf, Luca Micheletti qu’on voit plusieurs fois dans la saison, et Roman Burdenko, plus habituel.
Enfin, quand tous les théâtres désormais proposent le plus souvent la version originale en français, la Scala se distingue en programmant la traduction italienne. C’est une faute pour un théâtre qui se dit un temple verdien.
L’Opéra de Rome inaugura sa saison en 2019 par la version française « Les Vêpres siciliennes » sous la direction d’un Daniele Gatti au sommet. Ainsi on évitera les comparaisons…
Un spectacle globalement inutile des choix discutables, qui part sous de mauvais auspices.

Mars 2023
Giacomo Puccini
La Bohème

8 repr. du 4 au 26 mars – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Marina Rebeka/Irina Lungu, Irina Lungu/Mariam Battistelli, Freddie De Tommaso, Yongmin Park, Luca Micheletti
Présenter la énième fois la Bohème de Zeffirelli a été raillé par certains commentateurs ; je ne suis pas de cet avis dans la mesure où cette production attire à chaque fois un public ravi et qu’elle est une signature du théâtre, un des symboles de cette maison. Et donc on peut comprendre.
On peut comprendre aussi l’appel à la jeune cheffe Eun Sun Kim, qui dirige beaucoup en Europe. Et c’est aussi une bonne idée de faire appel à Freddie De Tommaso comme Rodolfo, qui est l’une des voix nouvelles intéressantes du répertoire italien qu’on commence à s’arracher, et le faire débuter à la Scala en Rodolfo qui n’est pas un rôle trop difficile, pourquoi pas ?
Pour le reste, Marina Rebeka en Mimi, ça n’a aucun intérêt, tant les Mimi écument les salles, et Rebeka ne me semble pas avoir le cœur puccinien (en tous cas elle ne me fait pas pleurer) et donner à Irina Lungu Mimi et Musetta en alternance, est-ce une si bonne idée ? On s’ingénie habituellement à bien séparer les deux typologies vocales.
Pour une Bohème à la Scala, l’alternative est simple : ou bien on appelle des stars, et là on crée un événement, ou bien on compose une distribution de jeunes très prometteurs (chef compris), sur Bohème c’est sans grand risque et il y a en Italie des chefs et des cheffes jeunes capables de diriger.
Là on est dans un entre deux, un peu fade, qui ne donne pas vraiment envie.

Mars 2023
Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann

6 repr. du 15 au 31 mars – Dir : Frédéric Chaslin/MeS : Davide Livermore
Avec Vittorio Grigolo, Ildar Abdrazakov, Eleonora Buratto, Federica Guida, Francesca Di Sauro, Marina Viotti
Pendant la saison 1994-1995, Les Contes d’Hoffmann fut signé Alfredo Arias et dirigé par Riccardo Chailly. Ça ne manquait pas de gueule. La production fut reprise plusieurs saisons et remplacée en 2012 par celle bien connue de Robert Carsen.
Une nouvelle production, pourquoi pas ?
Comme une saison n’est pas concevable aujourd’hui à la Scala sans Davide Livermore, on lui donne l’opéra fantastique, avec ses jeux d’images vidéos dont il a le secret, quelle que soit l’œuvre, mais au moins celle-ci s’y prêtera. Direction musicale Frédéric Chaslin, très apprécié par Dominique Meyer (bien moins par d’autres) et une distribution que Marina Viotti, Ildar Abdrazakov, Vittorio Grigolo et Eleonora Buratto rendent très solide.
Dans une saison qui ne brille pas par l’originalité, et où on donne pas mal de platitudes de luxe, des Contes d’Hoffmann paillettes sur scène peuvent attirer. Ne vaut pas le voyage en tous cas pour mon goût.

Avril 2023
Leonardo Vinci
Li zite n’galera
5 repr. du 4 au 21 avril – Dir : Andrea Marcon/MeS: Leo Muscato
Avec Raffaele Pe, Marco Filippo Romano, Francesca Aspromonte, Cecilia Molinari etc…
Leo Muscato, vous vous souvenez ? Celui qui avait inversé la fin de Carmen au nom de l’honneur des femmes…
Metteur en scène sans grand intérêt (cependant meilleur dans le comique) mais qui a deux productions à la Scala cette année, comme quoi…
Andrea Marcon, au contraire est l’un des maîtres du répertoire baroque en Italie, une référence internationale. Et donc, c’est un choix judicieux pour cette œuvre inconnue, une commedia per musica, créée à Naples en 1722.
Dans la distribution, Raffaele Pe le contre-ténor et d’autres spécialistes bien connus de ce répertoire. Tout cela fait, si on ferme les yeux sur Muscato (à moins qu’il ne trouve l’inspiration, ce qui est toujours possible), une production qui devrait valoir le voyage, rien que par curiosité.

 

Avril-Mai 2023
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

8 repr. du 13 avril au 5 mai – Dir : Riccardo Chailly/MeS :  Yannis Kokkos
Avec Boris Pinkhasovich, Lisette Oropesa, Juan Diego Flórez, Ildebrando D’Arcangelo, Leonardo Cortellazzi
Avec Flórez, Oropesa et Chailly en fosse, c’est un tiercé gagnant, qui devait être de la Prima annulée pour Covid en 2020 et remplacée par ce spectacle ridicule télévisé réalisé par Davide Nevermore, oh pardon, Livermore.
Entourés, en plus par Boris Pinkhasovich : la Scala va découvrir l’un des meilleurs barytons actuels, et Ildebrando d’Arcangelo bien connu, c’est la garantie d’un succès.
Pour la mise en scène, la dernière, pas géniale mais passable, venait du MET (Mary Alice Zimmermann), et l’avant-dernière était signée Pier’Alli, mieux. Pourquoi faire une nouvelle production si les autres sont encore dans les cartons ? Lucia est l’un de ces titres qui n’a pas besoin de changer si souvent et la production Zimmermann tenait le coup. Alors on fait du neuf (?)… en appelant Yannis Kokkos.
Le décorateur de Vitez (mort en 1990) est un décorateur souvent inspiré mais jamais ne fut un metteur en scène, sauf peut-être pour Les Troyens, sa production qui a le plus marqué, un peu comme le bien plus médiocre Hugo De Ana (voir plus haut). En tous cas pas un metteur en scène d’avenir, mais plutôt des années 1990. Un choix peu explicable sinon par la peur de la nouveauté.
Mais devrait, pour la musique, valoir le voyage.


Mai 2023
Umberto Giordano
Andrea Chénier
7 repr. du 3 au 27 mai – Dir : Marco Armiliato/MeS : Mario Martone
Avec Sonya Yoncheva, Yusif Eyvazov/Jonas Kaufmann, Ambrogio Maestri / Amartuvshin Enkhbat , Elena Zilio
Reprise de la mise en scène de Mario Martone qui avait enchanté la Prima de 2017 (Eyvazov, Salsi, Netrebko). La star cette fois est Jonas Kaufmann, et la starlette Sonya Yoncheva qui n’a pas la moitié de la voix de Netrebko… Pour le reste du solide, avec la seule apparition émouvante, celle de Elena Zilio en Madelon. En fosse, Marco Armiliato, qui avec Fedora l’automne prochain arrivera enfin à diriger à la Scala après une carrière qui l’a mené dans tous les grands opéras de la planète pour diriger le répertoire italien. C’est un bon chef sans aucun doute, en particulier dans le vérisme, un chef de répertoire de série A, qui a beaucoup dirigé au MET et à Vienne.
À Vienne qui propose, si vous avez des envies, un André Chénier avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta sous la direction de Francesco Lanzillotta. Comparez, et décidez…

 

Juin 2023
Antonín Dvořák
Rusalka
6 repr. du 6 au 22 juin 2023 – Dir : Tomáš Hanus/MeS : Emma Dante
Avec Dmitry Korchak, Elena Guseva, Olga Bezsmertna, Okka von der Damerau, Yongmin Park
Emma Dante comme metteuse en scène, c’est au moins un nom italien de prestige dont le choix ne peut heurter. Tomáš Hanus en fosse, c’est un très bon chef d’opéra sur ce répertoire qui assurera un niveau musical très enviable. Okka von der Damerau en Jezibaba et Elena Guseva en princesse étrangère, c’est excellent. Mais Olga Bezsmertna en Rusalka, c’est médiocre, et Dmitry Korchak en prince, c’est une idée baroque. Distribution bizarre, faite d’excellentes idées d’un côté et de drôles d’idées de l’autre qui risquent de gâcher la fête.

 

Juin-Juillet 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth

8 repr. du 17 juin au 8 juillet – Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Davide Livermore
Avec Ekaterina Semenchuk/Anna Netrebko, Luca Salsi/ Amartuvshin Enkhbat
Fabio Sartori/Giorgio Berrugi, Jongmin Park
La mise en scène lamentable de Davide Livermore ne sera pas rééquilibrée par la direction de Chailly, remplacé par Giampaolo Bisanti, chef correct sans doute, mais pas pour ce type d’œuvre qui nécessite une toute autre personnalité.  Netrebko en juin-juillet, pour aimanter les premiers touristes qui feront l’aller et retour Vérone-Milan, la solide Semenchuk fera le reste.

Septembre 2023
Gioachino Rossini

Il barbiere di Siviglia
6 repr. du 4 au 18 septembre 2023 – Dir : Evelino Pidò/MeS Leo Muscato
Avec les artistes de l’Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala.
Toujours excellente idée d’une production de l’Accademia insérée dans le programme annuel. La production est celle de Leo Muscato, qui a remporté un certain succès en septembre 2021, avec Chailly en fosse et une jolie distribution. Ici Evelino Pidò est une garantie de précision pour des jeunes chanteurs et les jeunes musiciens de l’orchestre de l’académie.

Septembre-Octobre 2023
W.A.Mozart
Le nozze di Figaro
7 repr. du 30 sept. au 20 oct – Dir : Andres Oroczo-Estrada/MeS : Giorgio Strehler
Avec Ildebrando D’Arcangelo, Olga Bezsmertna, Luca Micheletti, Benedetta Torre, Svetlina Stoyanova
Andrès Oroczo-Estrada, vient de démissionner de son poste de directeur musical des Wiener Symphoniker après à peine un an d’exercice comme Directeur musical où il succédait à Philippe Jordan. Le chef colombien a une réputation assez solide dans le Mozart symphonique. À noter la comtesse d’Olga Bezsmertna qui m’a vraiment déçu dans ce rôle quand je l’ai entendue à Munich. Ildebrando D’Arcangelo est un chanteur particulièrement rôdé, dans Le nozze où il a chanté Bartolo, Figaro et il Conte Almaviva. Svetlina Stoyanova a chanté Cherubino à Vienne en 2018, Luca Micheletti est metteur en scène devenu chanteur, avec un certain succès et il apparaît plusieurs fois cette saison à la Scala, Benedetta Torre est une jeune chanteuse à laquelle on commence à s’intéresser. Une distribution qui mélange jeunes et moins jeunes. À découvrir seulement si vous êtes par hasard à Milan.


Octobre-Novembre 2023
Benjamin Britten
Peter Grimes

6 repr. du 18 oct. au 2 nov – Dir : Simone Young/ MeS : Robert Carsen
Avec Brandon Jovanovich, Nicole Car, Ólafur Sigurdarson, Natasha Petrinsky
Simone Young est un bon choix pour le chef d’œuvre de Britten, je l’ai entendue à Vienne en janvier dernier et sa direction était très solide. Robert Carsen est Robert Carsen : il n’a plus grand chose à inventer, mais il plaît en Italie où il représente une modernité sans grand risque, donc évidemment en odeur favorable à la Scala. Distribution sans grande saveur cependant, sinon Natasha Petrinsky et Nicole Car, une Ellen Orford sans doute intéressante, mais Brandon Jovanovich en Peter Grimes, ce n’est pas vraiment attirant… Donc une production nouvelle, sur laquelle le théâtre n’a pas l’air de parier, comme si on se disait, « inutile de chercher la distribution idéale, de toute manière le théâtre ne sera pas plein ».

 

Italo Montemezzi
L’amore dei tre re’

5 repr. du 28 oct. au 12 nov – Dir : Michele Mariotti /MeS :Alex Ollé, La Fura dels Baus
Avec Günther Groissböck, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi, Chiara Isotton, Giorgio Misseri
Pour information, deux reprises à la Scala l’une en 1948 (dir.Franco Capuana) et l’autre en 1953 (direction Victor De Sabata), chacune pour trois représentations. Avec les cinq prévues, cela fera 11 représentations en 75 ans… L’œuvre est donc un peu disparue des programmes, même si elle fut un des grands succès du MET où elle fut créée en 1914.
On ne peut pas donc reprocher au théâtre de la ré-exhumer et de parier sur L’amore dei tre re’ d’Italo Montemezzi sur un livret de Sem Benelli, créé à la Scala en 1913. Puisque le centenaire n’a pas été fêté, on fête donc en 2023 le 110e anniversaire de la création qui bénéficia de la direction de Tullio Serafin.
Pour ce retour à la Scala, à 71 ans de la mort de Montemezzi, c’est Alex Ollé, de la Fura dels Baus qui met en scène. Entre Carlus Pedrissa et Alex Ollé, c’est le moins intéressant et évidemment le plus consensuel des deux qui a été choisi dans l’équipe de la Fura dels Baus pour cette production. En revanche musicalement, entre Günther Groissböck qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi et Chiara Isotton, c’est une très belle distribution et en fosse, Michele Mariotti ranimera sans doute la flamme morte, du moins on l’espère. Une œuvre à connaître de toute manière, qui ne jouit pas d’une grande faveur cependant malgré son succès avant la deuxième guerre mondiale.
C’est donc un voyage possible, si vous êtes curieux.

Le Ballet :

Le Ballet de la Scala a une grande tradition classique et ceux qui s’y intéressent se rendront certainement à Milan pour constater les premiers résultats du travail de Manuel Legris et de voir sur scène le dernier arrivé, Jacopo Tissi, « guest », et danseur étoile du BolchoÏ, qui a quitté la Russie suite aux événements que vous savez. Les ballettomanes auront peut-être plus de chance que les lyricomanes. Une saison brillante.

Productions :

Casse-Noisette (Chor. Rudolf Noureev)
Soirée chorégraphes : Dawson, Duato, Kratz, Kylián
Le Corsaire (Chor.Manuel Legris)
Soirée William Forsythe (Chor.William Forsythe)
Romeo et Juliette (Chor. Kenneth Mac Millan)
Gala Fracci
Le Lac des Cygnes (Chor.Rudolf Noureev)
Aspects of Nijinsky (Chor.John Neumeier)

 

Les concerts :

C’est toujours une carte maîtresse du théâtre, et cette année, entre les chefs de premier plan et des petits nouveaux, les concerts sont bien diversifiés et, comme la saison dernière, la programmation musicale hors opéra a des attraits que la programmation lyrique n’a pas toujours.
Les concerts symphoniques mêlent orchestre du Teatro alla Scala pour les grands concerts avec chœur et de la Filarmonica pour les concerts strictement symphoniques
La saison de la Filarmonica peut être consultée sur le site https://www.filarmonica.it/

Novembre 2022
9, 10, 12 novembre
Orchestre du Teatro alla Scala
Chœur de femmes du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants de l’Accademia du Teatro alla Scala

Daniele Gatti, direction

Mahler, Symphonie n°3

Gatti grand mahlérien revient pour un des monuments de Gustav Mahler. À ne pas manquer

Janvier 2023
16, 18, 19 janvier
Filarmonica della Scala

Daniel Lozakovich, violon
Riccardo Chailly, direction

Tchaïkovski,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.35
Symphonie n°6 en si mineur op.74 « Pathétique »

Un programme de couleur russe quelques jours après le Boris Godounov d’ouverture

Février 2023
15, 16, 18 février
Filarmonica della Scala

Daniel Harding, direction

Mozart
Symphonie n° 39 en mi bemol majeur KV 543
Symphonie n° 40 en sol mineur KV 550
Symphonie n° 41 en ut majeur KV 551 « Jupiter »

Les trois dernières symphonies de Mozart, par Daniel Harding, assez familier de cette maison. Harding n’est jamais inintéressant,

Mars 2023
6, 8, 10 mars

Filarmonica della Scala

Marc Bouchkov, violon
Lorenzo Viotti, direction

Haydn
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Korngold
Concerto en ré majeur op. 35 pour violon et orchestre
Strauss
Tod und Verklärung op.24

L’un des jeunes chefs désormais chéris de cette maison, engagé dans un programme très diversifié et une rareté, le concerto de Korngold

Avril 2023
24, 27, 28 avril

Filarmonica della Scala

Timur Zangiev, direction

Tchaikovski, Symphonie n°5 en mi mineur op.64
Chostakovitch, Symphonie n°5 en ré mineur op.47

Le jeune chef russe qui a remplacé Gergiev non sans succès dans les Dame de Pique de ce printemps, dans un programme idiomatique.


Mai 2023
18,19,20 mai
Orchestra del Teatro alla Scala
Chœur du Teatro La Fenice di Venezia
Chœur d’enfants de l’Accademia del Teatro alla Scala
Solistes:
Marina, Rebeka, Krassimira Stoyanova, Regula Mühlemann, Okka von der Damerau, Klaus Florian Vogt, Andrè Schuen, Ain Anger

Mahler, Symphonie n°8 en mi bemol majeur “Des Mille”

Immanquable, évidemment

Octobre 2023
11, 12, 14 octobre

Yuja Wang, piano
Zubin Mehta, direction

Messiaen, Turangalila Symphonie pour piano, ondes Martenot, et orchestre

Tout autant immanquable


Concerts exceptionnels


Décembre 2022
22 décembre 2022
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Lauren Michelle, Annalisa Stroppa, Giovanni Sala, Luca Micheletti

Chef des chœurs : Alberto Malazzi

Zubin Mehta, direction

Haydn,
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Messe en ut majeur “Paukenmesse” Hob:XXII:9

Concert de noël désormais traditionnel, au programme alléchant

Mai 2023
11 mai
Concert pour l’anniversaire de la reconstruction de la Scala
Chœur du Teatro alla Scala

Alberto Malazzi, direction

Rossini, Petite messe solennelle pour solistes, chœur, harmonium et deux pianos

Évidemment passionnant

Juin 2023
14 juin
Armonia Atenea
Gaelle Arquez, Max Emanuel Cencic, Julia Lezhneva, Suzanne jerosme, Dennis ORellana, Stefan Sbonnic
George Petrou, direction

Nicola Porpora, Carlo il calvo

Même en version de concert, la distribution vaut le coup .

Orchestres invités

Novembre 2022
19 novembre
Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia

Lisa Batiashvili, violon
Antonio Pappano, direction

Beethoven,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.61
Schumann,
Symphonie n°2 en ut majeur op.61

Programme très (trop ?) classique.

 

Décembre 2022
3 décembre 2022

English Baroque Solists
Monteverdi Choir

John Eliot Gardiner, direction

Bach,
du « Weihnachtsoratorium » BWV 248
Parties I-II-III

Difficile de manquer Gardiner

Mai 2023
25 mai 2023
Gustav Mahler Jugendorchester

Daniele Gatti, direction

Mahler,
Adagio de la Symphonie n°10
Symphonie n°1 en ré majeur « Titan »

Encore un Mahler, décidément prisé cette année et avec un orchestre de jeunes désormais mythique, jadis créé par Abbado. L’Italie a la chance d’avoir en son sein deux des plus grands chefs mahlériens actuels, qui sont dans la saison de la Scala, il faut en profiter.

Juin 2023
20 juin 2023
Wiener Philharmoniker

Riccardo Chailly, direction

R. Strauss
Don Juan, op 20
Guntram op. 25 Prélude
Feuersnot op.50 Scène d’amour
Ein Heldenleben op.40 Poème symphonique

Un programme Strauss qui offre deux raretés, Guntram et Feuersnot. On ne va pas bouder son plaisir avec un tel orchestre et un tel chef.

 

Récitals

Soulignons encore une fois l’initiative louable de proposer une saison de récitals, profitant souvent de la présence dans les distributions de bien des impétrants. Mais il y a récitals et récitals et je doute de Vittorio Grigolo et Michael Volle rencontrent le même public. Mais c’est aussi habile de réunir des artistes au profil radicalement différent, pour d’authentiques soirées de Lieder (Volle, Werba), de grandes soirées de folie lyrique (Netrebko, Grigolo), de belles soirées vocales (Salsi, Bernheim) et un récital que personne ne doit manquer : Rachmaninov par Evgueni Kissin et Renée Fleming sans doute le must de l’année.
C’est varié, la salle ne sera sans doute pas toujours remplie, mais c’est un programme au dosage assez séduisant.


Décembre 2022
18 décembre
Michael Volle, baryton
Helmut Deutsch, piano

Mozart, Schubert, Liszt


Janvier 2023
8 janvier 2023
Markus Werba, baryton
Michele Gamba, piano

Schubert, Winterreise op.89 D. 911

28 janvier 2023
Renée Fleming soprano
Evgueny Kissin, piano

Rachmaninov

Février 2023
26 février 2023
Vittorio Grigolo, ténor
Vincenzo Scalera, piano

Programme non communiqué

Mars 2023
19 mars 2023
Anna Netrebko, soprano
Elena Bashkirova, piano

Tchaïkovski, Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Glinka

Juin 2023
10 juin 2023

Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi

Octobre 2023
5 octobre 2023
Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

Chausson, Berlioz, Duparc, Puccini, Verdi

 

Grands pianistes à la Scala

On oublie souvent quand on ne vit pas ou qu’on n’a pas vécu à Milan que la Scala est non seulement le théâtre lyrique que l’on sait, mais aussi le lieu des « grands » concerts et des « grands » récitals. Il y a certes des auditoriums liés à des orchestres locaux (deux) : le troisième c’est celui du Conservatoire Giuseppe Verdi, belle salle mais moins prestigieuse et à la capacité qui ne concurrence pas la Scala. Milan n’a pas en dehors de la Scala un autre grand lieu de rendez-vous musical de prestige.
Alors les grands récitals de piano ont toujours lieu à la Scala, j’y ai par exemple entendu Horowitz, sauf pour certains programmes : un de mes souvenirs les plus frappants fut la deuxième sonate de Boulez par Maurizio Pollini au Conservatoire. Un de ces souvenirs qui poursuivent une vie.
Les solistes invités font partie de la fleur des pianistes du moment, avec le traditionnel concert de Maurizio Pollini, et la conclusion en octobre avec l’immense Igor Levit. De quoi remplir de grandes soirées.

 

Décembre 2022
11 décembre
Khatia Buniatishvili

Mozart, Bach, Chopin, Liszt, Rachmaninov, Prokofiev

 

Février 2023
13 février 2023

Maurizio Pollini

Programme non communiqué


Mars 2023
20 mars 2023

Jan Lisieki

Chopin, Études et Nocturnes

Avril 2023
2 avril

Rudolf Buchbinder

Bach, Suite anglaise n°3 en sol mineur BWV 808
Beethoven, Sonate n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata »
Schubert, Sonate en si bémol majeur D 960

Octobre 2023
22 octobre 2023

Igor Levit

Liszt, Liebestraum n°3
Mahler, Adagio de la Symphonie n° 10 (arrangement Ronald Stevenson)
Wagner, Prélude de Tristan und Isolde (Arrangement Zoltán Koksis)
Liszt, Sonate en si mineur.

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Comme on le voit, comme on a pu le lire, il y a des grands moments à prévoir dans cette saison, mais pas forcément à l’opéra. Ballet, concerts symphoniques, récitals divers devraient offrir de quoi remplir les soirées.

On reste un peu hésitant face au programme lyrique, ce qui est presque un comble concernant la Scala. Des choix souvent ennuyeux, des productions qui ne font pas envie, marquées par la prudence et l’évitement de tout ce qui pourrait secouer les attentes d’un public qu’on doit estimer un peu rassis pour lui servir des choses aussi tièdes.
On connaît ce public de la Scala, très local, ou touristique et d’affaires (les foires) mais on sait aussi que les abonnements ont chuté, que l’on affiche désormais rarement tutto esaurito (complet). À ce type de public, c’est vrai qu’il ne faut servir que du digeste, et surtout pas d’effervescent. Comme d’autres théâtres, la Scala doit se relever des deux années de pandémie, mais la crise du public avait commencé bien avant. On voyait beaucoup de russes et beaucoup d’asiatiques : pour des raisons diverses, les uns et les autres ne voyagent plus. Est-ce la raison de cette prudence affichée pour ne pas heurter le public qui reste ?
Et pourtant, s’il y a des choix difficilement compréhensibles (I vespri siciliani), il y a des titres exigeants ou moins connus (Boris, Salomé, Peter Grimes, Rusalka Macbeth), des titres rares (Li zite n’galera, L’amore dei tre Re’) des titres populaires (Barbiere, Lucia, Chénier, Hoffmann ), des productions mythiques (Nozze, Bohème), c’est à dire une composition soucieuse d’équilibres qui devrait convaincre, et qui ne convainc pas.

Je persiste à croire qu’un peu plus d’ouverture sur les productions et les mises en scène ne devrait pas nuire, je persiste à croire que c’est cette image un peu passéiste des choix scéniques qui jette sur l’ensemble, peut-être injustement, une image poussiéreuse qui n’est pas compensée par des chefs incontestables et des distributions qui font naître l’envie… Mais on continue à l’aimer, ce satané théâtre qui nous énerve tant.

LA SAISON 2021-2022 DU TEATRO ALLA SCALA: L’OCCASION D’UN REGARD HISTORIQUE

Le Teatro alla Scala mérite toujours un approfondissement particulier parce qu’on fait bien des erreurs sur son histoire et ses traditions. Aussi, exceptionnellement, avons-nous opté pour une vision globale de la saison (ballet excepté), mais aussi d’un regard sur d’autres saisons du passé, non seulement par comparaison, mais aussi pour raviver quelques souvenirs et surtout pour lutter contre certaines idées reçues du plus lointain passé. En route pour notre Wanderung scaligère…

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Nous avons brièvement évoqué dans un récent post la situation de la Scala, et la présentation de la saison prochaine permet d’en savoir plus sur l’avenir de ce théâtre aimé entre tous.
Dominique Meyer a pris les rênes dans une période troublée, aussi bien à l’intérieur du théâtre à cause du départ anticipé d’Alexander Pereira, qu’à cause du contexte de pandémie, qui a contraint les salles à fermer pendant plusieurs mois au minimum, sinon plus d’une année.
C’est une situation difficile à maîtriser en ces temps extraordinaires. Manque de rentrées, initiatives sporadiques, programmation dans la brume de l’incertitude. On pourrait souhaiter mieux pour les théâtres et leurs managers.
Les choses se lèvent et la plupart des institutions présentent leurs saisons à la presse, en sollicitant les Dieux et les Muses pour que les salles ne soient pas à nouveau contraintes de fermer.

Fin de saison 2020-2021

Dominique Meyer a donc aussi programmé la fin de la saison 2021 (septembre à fin novembre) pour essayer d’attirer le public par des titres appétissants. Contrairement à d’autres maisons, il n’a pas repris les titres qui avaient été prévus avant la crise du covid. Ainsi, l’Ariodante initialement prévu avec Cecilia Bartoli qui avait annulé « par solidarité » avec Alexander Pereira non reconduit, avait-il été conservé sans Bartoli, mais toujours avec Gianluca Capuano, ainsi aussi du Pelléas et Mélisande très attendu qui devait être dirigé par Daniele Gatti (dans une mise en scène – moins attendue- de Matthias Hartmann). Deux spectacles annulés pour cause de Covid que nous ne verrons pas. Mais comme Matthias Hartmann est programmé dans la saison 2021-2022 peut-être lui a-t-on échangé Pelléas contre autre chose.

En septembre 2021, la saison (esquissée fin juin avec la production de Strehler des Nozze di Figaro dirigée par Daniel Harding) trois Rossini bouffes ouvrent l’automne lyrique

Septembre/octobre 2021
Gioachino Rossini, L’Italiana in Algeri (MeS : Jean-Pierre Ponnelle/Dir : Ottavio Dantone)
Avec Gaelle Arquez, Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Mirco Palazzi, Giulio Mastrototaro etc…
Le retour de la production Ponnelle avec cette fois Gaelle Arquez dans le rôle d’Isabella, ce qui est une très bonne idée et les spécialistes Mironov et Siragusa dans Lindoro, avec Mirco Palazzi en Mustafa, le rôle immortalisé par Paolo Montarsolo. Bon début de saison automnale avec en fosse Ottavio Dantone, une sécurité.
(4 repr. du 10 au 18 septembre

Gioachino Rossini, Il barbiere di Siviglia (MeS : Leo Muscato /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Cecilia Molinari, Mirco Palazzi, Mattia Olivieri.
La Scala avait gardé jusqu’ici la trilogie bouffe rossinienne Italiana, Barbiere, Cenerentola, signée Jean-Pierre Ponnelle, précieux trésor scénique qui n’a pas trop pris de rides quand on voit les Rossini bouffes d’une grande banalité qui essaiment les théâtres. Le Barbiere de Ponnelle arrivé de Salzbourg à la Scala en 1969, inaugurant cette série de Rossini bouffes qui vont être immortalisés par Claudio Abbado.
Cette année en remisant Ponnelle au placard, on appelle Leo Muscato, celui qui avait eu la géniale idée de changer la fin de Carmen pour être plus dans l’air #Metoo du temps… Il a commis comme perles à un collier d’autres productions sans intérêt.
De Ponnelle à Muscato… plus dure sera la chute.
En compensation, Riccardo Chailly reprend la baguette dans un répertoire qu’il a abandonné depuis des années, et ça c’est heureux, très heureux même, on a hâte. Mais quelle gueule ça aurait eu qu’après Abbado, Chailly reprenne la production Ponnelle ! Non, on préfère la médiocrité scénique…Solide distribution, on attend avec gourmandise le Figaro de Mattia Olivieri et la Rosina de la jeune et talentueuse Cecilia Molinari.
(6 repr. du 30 sept. au 15 oct)

Gioachino Rossini, Il turco in Italia (MeS : Roberto Andò/Dir : Diego Fasolis)
Avec Rosa Feola, Erwin Schrott, Antonino Siragusa, Alessio Arduini
Même si je ne suis pas convaincu par Fasolis dans Rossini, ce Turco in Italia s’annonce vocalement intéressant avec un Erwin Schrott qui sûrement en fera des tonnes et la très lyrique Rosa Feola. Production distanciée et cynique de Roberto Andò qui eut bien du succès à la création en février 2020, avec une carrière interrompue par le Covid. On la reprend donc et c’est justice.
(5 repr. du 13 au 25 octobre)

Octobre-novembre  2021
Francesco Cavalli, La Calisto
(MeS : David McVicar/Dir : Christophe Rousset)
Avec Chen Reiss, Luca Tittoto, Véronique Gens, Olga Bezsmertna, Christophe Dumaux
Très belle distribution avec la délicieuse et talentueuse Chen Reiss et Véronique Gens, mais aussi les excellents Luca Tittoto et Christophe Dumaux. MeS de David McVicar, c’est à la modernité sans effrayer le bourgeois et les âmes si sensibles du public de la Scala. Direction confiée à Christophe Rousset, qui l’a enregistré avec Les Talens Lyriques : ce sera sans nul doute solide, mais pour ce qui est de l’inventivité ou de l’imagination… N’y avait-il aucun chef italien disponible pour cette œuvre vénitienne ??
(5 repr. du 30 octobre au 13 novembre)

Novembre 2021
Gaetano Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Grisha Asagaroff/Dir : Michele Gamba)
Avec Davide Luciano, Aida Gariffulina, René Barbera, Carlos Alvarez
Beau quatuor pour ce marronnier des scènes lyriques : Carlos Alvarez dans un rôle comique ce sera explosif, et David Luciano en Belcore sera sans doute là aussi très drôle. La production de Grisha Asagaroff est professionnelle et la direction de Michele Gamba, jeune chef appréciable, mais diversement apprécié dans sa prestation de 2019, dernière série de cette production régulièrement présentée depuis 2015, alors que la précédente (Laurent Pelly) ne l’a été qu’une saison.
(5 repr. du 09 au 23 novembre)

Cette saison d’automne constitue donc une bonne introduction à la saison 2021-2022. On peut même dire que saison d’automne 2020-2021 et saison 2021-2022 doivent presque être considérées globalement, puisqu’il n’y a en 2021-2022 ni Rossini ni baroque.

De plus, au total, on n’aura jamais autant vu Riccardo Chailly (on s’en réjouit) que pendant cette saison 2020-2021 tronquée : inauguration 2020 (le spectacle A riveder le stelle), Salomé, Die Sieben Todsünden/Mahagonny Songspiel, Il barbiere di Sivlglia, c’est deux fois plus que d’habitude… Vive les pandémies…

Riccardo Chailly et Dominique Meyer © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala

 Saison 2021-2022

Ainsi donc la saison 2021/22 est-elle la première effective de Dominique Meyer, avec un jeu de propositions où le maître mot est « équilibre » à tous prix.
Treize productions étalées de décembre 2021 à novembre 2022 soit à peu près une par mois, plus des soirées de ballet (Dominique Meyer est depuis longtemps un grand amoureux du ballet et il a amené dans ses valises Manuel Legris, artisan d’un splendide travail à Vienne), et de nombreux concerts de tous ordres que nous détaillerons.

Mais le projet de Dominique Meyer est plus global et plus articulé :

En effet, il affiche aussi une vraie saison musicale et instrumentale, très bien structurée, et alléchante que nous allons d’abord évoquer.
Dominique Meyer est un passionné de musique, et notamment de musique symphonique, sans doute plus mélomane que lyricomane : on le perçoit dans la manière dont il structure l’offre « hors-opéra » de la Scala : il y a très longtemps que l’offre n’avait pas été aussi complète, avec de nouvelles propositions très heureuses.

Concerts et récitals

 

Les concerts avec l’orchestre de la Scala annoncés, avec la présence d’Esa Pekka Salonen, de Riccardo Chailly, qui est sans doute un plus grand chef symphonique que lyrique, et de Tughan Sokhiev, directeur musical du Bolchoï et dernier de la lignée des grands chefs russes, ainsi que de deux jeunes, Speranza Scappucci présence qui sans doute annonce un futur opéra (ce serait une excellente idée) et Lorenzo Viotti, qui est là pour Thais et ainsi sera entendu dans un répertoire symphonique ce qui est intéressant pour mieux le connaître.

Il y a aussi de beaux récitals de chant, une tradition qu’il faut absolument faire revivre et Dominique Meyer a bien raison de reconstruire une saison de récitals, comme la Scala en faisait jadis chaque année : Ildar Abdrazakov (nov. 2021),  Waltraud Meier (janv), Ekaterina Sementchuk (janv.), Ferruccio Furlanetto (avr.), Juan Diego Florez (mai), Anna Netrebko (mai),  Asmik Grigorian (sept.2022) sont affichés, alternant mythes et voix nouvelles ou encore moins connues à Milan avec quelque sommets comme la venue de Waltraud Meier. Il faut espérer que ces soirées réenclencheront la passion des milanais pour les voix et contribueront à attirer un public curieux.
Quelques événements exceptionnels aussi avec un concert de l’Académie avec Placido Domingo (2 décembre), le concert de Noël avec le Te Deum de Berlioz dirigé par Alain Altinoglu (18 décembre), et une soirée Anne-Sophie Mutter-Lambert Orkis le 13 février 2022.
Belle idée aussi qu’un cycle de musique de chambre avec les musiciens de l’orchestre de la Scala dans le Foyer (un concert mensuel), c’est si rare dans ce théâtre qu’on se réjouit de ce type d’initiative qui fait mieux connaître la qualité des musiciens et les valorise et surtout affiche la musique de chambre comme un moment d’écoute privilégié, car c’est la musique de chambre qui fait comprendre à l’auditeur ce qu’est « faire de la musique ensemble » et affine son écoute.
Enfin des orchestres invités et pas des moindres :

Novembre 2021 : Staatskapelle Berlin, direction Daniel Barenboim (2 concerts)
Février 2022 : Orchestre de Paris, Esa Pekka Salonen (1 concert)
Avril 2022 : Mariinsky Teatr, Valery Gergiev (1 concert)
Mai 2022 : East-Western Diwan Orchestra, Daniel Barenboim (1 concert)
Sept. 2022 : Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (2 concerts)

Ainsi reverra-t-on Daniel Barenboim à la Scala pour trois concerts, il n’était pas revenu après avoir quitté son poste de directeur musical, et ainsi verra-t-on Christian Thielemann très rare en Italie, alors qu’il y a souvent dirigé dans sa jeunesse. Tout cela est de très bon augure. Des bruits courent d’ailleurs sur la venue de Thielemann pour la première fois dans la fosse de la Scala… On parle même d’un Ring… Wait and see…
Voilà une « saison symphonique » séduisante, bien articulée, intelligente, qu’il faut accueillir avec plaisir, et même gourmandise.

Les autres annonces
Pêle-mêle d’autres annonces ont été faites ou confirmées :

  • Début des travaux d’agrandissement des espaces de travail du théâtre qui vont offrir une scène plus vaste, des espaces nouveaux pour la partie administrative et surtout des espaces pour les répétitions d’orchestre et les enregistrements qui seront à l’avant-garde. Avec un regret éternel pour la disparition de la très utile Piccola Scala depuis plusieurs décennies…
  • Projet de construction d’une cité du théâtre et de la musique, une sorte de « Teatrocittà » comme existe « Cinecittà » à Rome dans le quartier périphérique sud de Rubattino, qui devrait regrouper des entrepôts, des ateliers et des possibilités de production artistique. Une cité intégrée pour les arts de la scène, c’est un projet à peu près unique au monde.
  • À l’intérieur du théâtre, Dominique Meyer importe de Vienne le même dispositif de traduction et sous titres par tablette qui substituera les petits écrans derrière les fauteuils actuels, qui avaient été eux aussi à l’époque copiés sur l’opéra de Vienne. Pour l’avoir expérimenté à Vienne, ce système de tablettes est très efficace et particulièrement convivial pour le spectateur (en huit langues). Par ailleurs un plan de numérisation des documents musicaux est lancé.
  • L’accessibilité au théâtre devrait être améliorée et élargie par une nouvelle carte des prix des billets, un nouveau plan de billetterie qui devrait créer de nouvelles catégories, notamment en Platea (Orchestre) et dans les loges. Le constat unanime était que les prix institués dans la période Pereira étaient bien trop élevés (en soi et eu égard à la qualité moyenne) ce qui contraignait stupidement à vendre les billets invendus le dernier jour à 50%. Il est aussi question d’une Scala plus « inclusive », mais là on est plutôt dans la vulgate de toute institution aujourd’hui…

En bref, Dominique Meyer est réputé pour être non seulement un bon organisateur, mais aussi un bon gestionnaire. Le voilà à l’épreuve d’un théâtre qui en la matière n’en finit pas de virer sa cuti.

Quant au cœur du métier Scala, la programmation lyrique, le paysage est hélas nettement plus contrasté

Opéra

En ce qui concerne le lyrique, l’offre se profile de manière assez traditionnelle à l’instar d’autres saisons scaligères avec un plateau de la balance lourd sur le répertoire italien, et plus léger sur le répertoire non italien : un opéra français (Thaïs), un opéra russe (La Dame de Pique), un opéra du répertoire allemand (Ariadne auf Naxos), un Mozart (Don Giovanni) et une création contemporaine à Milan d’un opéra de Thomas Adès, The Tempest, d’après Shakespeare, créé à Londres en 2004, voilà l’offre non italienne, un saupoudrage auquel le théâtre nous a habitués depuis des décennies.
Le reste des titres (huit) appartient au répertoire italien avec un poids assez marqué pour Verdi et le post verdien : un Cimarosa (Il Matrimonio Segreto), pour l’académie, un Bellini (I Capuleti e i Montecchi), trois Verdi (Macbeth, Un ballo in maschera, Rigoletto), et trois post-verdiens (La Gioconda, Fedora, Adriana Lecouvreur). Une manière de revendiquer l’italianità du théâtre avec des titres qui n’ont pas été repris depuis très longtemps pour certains, comme Capuleti e Montecchi ou Matrimonio segreto, mais aussi une accumulation de trois titres de la dernière partie du XIXe, Ponchielli, Giordano, sans un seul Puccini qui il est vrai a été bien servi les saisons précédentes, et sans baroque ni Rossini très bien servis de septembre à novembre 2021, ce qui justifie leur absence. Nous commenterons au cas par cas et essaierons d’en tirer des conclusions générales sur une saison qui ne suscite pas un enthousiasme débordant.

 

Nouvelles productions :

Décembre 2021
Verdi, Macbeth (MeS: Davide Livermore /Dir. : Riccardo Chailly)
Avec Luca Salsi, Anna Netrebko/Elena Guseva (29/12), Francesco Meli, Ildar Abdrazakov etc…
(8 repr. Du 4 (jeunes) au 29 décembre).
La première production est toujours la plus emblématique. Riccardo Chailly revient à Verdi, et à l’un de ses opéras les plus forts avec une distribution évidemment en écho : Anna Netrebko (la dernière sera chantée par la remarquable Elena Guseva) et Luca Salsi forment le couple maudit. Pour des rôles qui exigent beaucoup de subtilité, il n’est pas sûr qu’ils soient les chanteurs adéquats, et pour un rôle pour lequel Verdi ne voulait pas d’une belle voix, il n’est pas certain non plus qu’Anna Netrebko douée d’une des voix les plus belles au monde soit une Lady Macbeth… Meli et Abdrazakov en revanche sont parfaitement à leur place. Mais pour la Prima, il faut des noms et Netrebko a pris l’abonnement… Quant à la mise en scène, c’est l’inévitable Davide Livermore, un excellent « faiseur »; comme metteur en scène, c’est autre chose… Mais depuis quelques années il est adoré à la Scala friande de paillettes et où l’on aime de moins en moins qu’une œuvre soit un peu fouillée. Étrange tout de même l’histoire de ce titre dans les 45 dernières années. D’abord Giorgio Strehler au milieu des années 1970, la production mythique d’Abbado avec Cappuccilli et Verrett, puis, un gros cran en dessous, la production Graham Vick avec Riccardo Muti, puis encore un cran en dessous Giorgio Barberio Corsetti avec Gergiev en fosse : pas de problème du côté des chefs, mais du côté des productions, jamais le souvenir magique de Strehler ne s’est effacé. On relira par curiosité ce que ce Blog écrivait de la production Gergiev/Barberio Corsetti où l’on faisait déjà le point sur la question https://blogduwanderer.com/teatro-alla-scala-2012-2013-macbeth-de-giuseppe-verdi-le-9-avril-2013-dir-mus-valery-gergiev-ms-en-scene-giorgio-barberio-corsetti.
Voilà la quatrième production, et Davide Livermore face à Strehler, c’est McDonald’s face à Thierry Marx ou un trois étoiles Michelin… On sait que Riccardo Chailly n’aime pas les mises en scènes trop complexes : avec Livermore, pas de danger. Mais quel signe terrible de l’intérêt pour la mise en scène de ce théâtre.
Quo non descendas…

Janvier-Février 2022
Bellini : I Capuleti e I Montecchi
(MeS : Adrian Noble /Dir : Evelino Pidò)
Avec Marianne Crebassa, Lisette Oropesa, René Barbera, Michele Pertusi, Yongmin Park,
(5 repr. du 18/01 au 2/02)
Une œuvre merveilleuse, l’une des plus belles du répertorie belcantiste revient après plus de deux décennies, c’est évidemment heureux. Entre Crebassa et Oropesa, Pertusi et Barbera, on tient là une distribution excellente qui ne mérite que l’éloge.
Mais aller chercher le médiocre Adrian Noble pour succéder à la merveilleuse production Pizzi est pire qu’une erreur, une faute.
Au pupitre Evelino Pidò, comme  il y a 14 ans à Paris dans la même œuvre (avec à l’époque Netrebko et DiDonato), et comme dans tant de reprises de répertoire à Vienne les dernières années. Je n’ai rien contre ce chef excellent technicien qui est pour les orchestres une garantie de sûreté surtout dans une perspective de système de répertoire ou de reprise rapide, mais il y avait peut-être d’autres noms à tenter pour une nouvelle production… D’autant que le monde lyrique est plein de chefs italiens très talentueux à essayer.

Février-mars 2022
Massenet, Thais
(MeS: Olivier Py/Dir. : Lorenzo Viotti )
Avec Marina Rebeka, Ludovic Tézier, Francesco Demuro, Cassandre Berthon.
Une œuvre représentée une seule fois à la Scala, en 1942. Puisqu’elle revient à la mode, c’est une bonne idée que de la proposer avec Lorenzo Viotti en fosse, qui avait bien séduit à la Scala dans Roméo et Juliette de Gounod.
Olivier Py est un grand nom de l’écriture et de la mise en scène, mais il y a quelque temps qu’il n’a plus rien à dire, sinon faire du Py et se répéter: gageons que ce « rien » sera déjà quelque chose. Quant à la distribution, c’est le calque de celle de Monte Carlo en mars dernier, et on est surtout très heureux de voir Ludovic Tézier revenir à la Scala après bien des années.(6 repr. du 10/02 au 2/03)

Tchaïkovski, La Dame de Pique (MeS : Mathias Hartmann /Dir. : Valery Gergiev)
Avec Najmiddin Mavlyanov, Roman Burdenko, Asmik Grigorian/Elena Guseva, Olga Borodina, Alexey Markov etc…
(5 repr. du 23/02 au 15/03)
Mathias Hartmann, un metteur en scène très « fausse modernité », qui fait peut-être Dame de Pique parce que le Pelléas prévu a été annulé mais on s’en moque puisque Gergiev, Borodina, Grigorian etc… Et donc une distribution de très haut vol dont il faudra bien profiter. En plus, Gergiev est l’une des rares grandes baguettes présentes cette saison, il faut saisir cette chance, même si l’on connaît son côté un peu fantasque, boulimique du kilomètre et peu des répétitions…

Mars 2022
Cilea, Adriana Lecouvreur
(MeS : David Mc Vicar /Dir : Giampaolo Bisanti)
Avec Freddie De Tommaso (4 au 10/03)/Yusif Eyvazov (9 au 19/03) Maria Agresta (4 au 10/03)/Anna Netrebko (9 au 19/03), Anita Rashvelishvili(4, 6, 16, 19/03) /Elena Zhidkova (9,10,12/03), Alessandro Corbelli (4 au 10/03)/Ambrogio Maestri (9 au 19/03)
(7 repr. du 4 au 19/03)
Co-Prod Liceu, San Francisco Opera, Paris, Vienne, Royal Opera House
Une large co-production pour ce retour à Milan d’Adriana Lecouvreur après une quinzaine d’années d’absence et surtout après une production Lamberto Pugelli qui a duré deux décennies. De David McVicar il faut s’attendre à un travail bien fait (encore un qui fait de l’habillage moderne d’idées éculées) qui n’effarouchera pas le public peu curieux de la Scala, mais on se demande bien quelle différence de qualité avec la production précédente, sinon l’habillage d’une nouveauté factice.
Mais une distribution étincelante où l’on découvrira (courez-y) le nouveau ténor coqueluche de toute  l’Europe lyrique, le britannique Freddie De Tommaso en alternance avec « Monsieur » Netrebko. Une production idéale pour période de foire et selfies en goguette.
Et puis, last but not least, un chef qu’on commence à entendre à l’extérieur de l’Italie, Giampaolo Bisanti, directeur musical du Petruzzelli de Bari. Applaudissons à ce choix

Avril-mai 2022
Strauss (R) Ariadne auf Naxos
(MeS : Sven Erich Bechtolf /Dir : Michael Boder)
Avec Krassimira Stoyanova, Erin Morley, Stephen Gould, Sophie Koch, Markus Werba etc…
(5 repr. du 15/04 au 03/05)
Co-Prod Wiener Staatsoper Salzburger Festspiele)
Venue d’une production viennoise et salzbourgeoise, élégante et creuse qui mérite les poussières ou les oubliettes de l’histoire : Bechtolf  en effet n’a jamais frappé les foules par son génie, ni par ses trouvailles. Distribution en revanche de très haut niveau (comme la plupart des distributions cette saison) Stoyanova, Gould, Koch sont des garanties pour l’amateur de lyrique. Chef solide de répertoire, familier de Vienne. Mais pour une nouvelle production d’un Strauss aussi important, on pouvait peut-être afficher une autre ambition notamment au niveau du chef.

Mai 2022
Verdi, Un Ballo in maschera (MeS : Marco-Arturo Marelli /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Francesco Meli, Sondra Radvanovsky, Luca Salsi, Iulia Matochkina (4, 7, 10, 12/05), Raehann Bryce-Davis (14, 19, 22/05) Federica Guida
(7 repr. du 04 au 22/05).
Magnifique distribution, avec l’Amelia la meilleure qui soit sur le marché aujourd’hui (on peut même dire la verdienne du moment), qui était déjà l’Amelia de la production précédente (Michieletto/Rustioni) et direction musicale du maître des lieux qui dirige un deuxième Verdi, comme il sied à tout directeur musical scaligère, mais il ne nous avait pas habitué à un tel festin.
Avec Marco-Arturo Marelli comme metteur en scène, c’est plutôt l’inquiétude en revanche, tant ont fait pschitt les espoirs qu’on mettait en lui dans les années 1980 (sous Martinoty il avait signé à Paris un Don Carlos programmé par Bogianckino bien peu convaincant) et tant ses nouvelles productions viennoises malgré leur nombre n’ont pas remué le Landerneau lyrique (Capriccio, Cardillac, Die Schweigsame Frau Der Jakobsleiter sous Holänder et Zauberflöte, Falstaff, Gianni Schicchi, La Fanciulla del West, Medea, La Sonnambula, Orest, Pelléas et Mélisande, Turandot pendant le mandat de Dominique Meyer). Le voilà à la Scala, vous conclurez vous-mêmes…

Juin 2022
Ponchielli, La Gioconda
(MeS : Davide Livermore /Dir : Frédéric Chaslin)
Avec Sonya Yoncheva, Daniela Barcellona, Erwin Schrott, Fabio Sartori, Judith Kutasi, Roberto Frontali
(6 repr. du 7 au 25/06)
Sonya Yoncheva veut marcher dans les pas de Callas et s’empare de ses rôles les uns après les autres (Tosca, Médée, et maintenant La Gioconda), la voix est belle, mais le reste n’est pas à l’avenant. N’est pas Callas qui veut, même quand on est soi-disant un nom. Le reste de la distribution est en revanche vraiment très convaincant.
Le metteur en scène est encore une fois Davide Livermore qui fait du (quelquefois bon, reconnaissons-le) spectacle (les américains appellent cela entertainment) et surtout pas plus loin : vous grattez les paillettes, et c’est du vide qui sort.
Il est singulier, voire stupéfiant que Livermore soit tant sollicité à la Scala depuis quelques années et ça en dit long sur les ambitions artistiques de l’institution en matière de mise en scène… Bon, pour Gioconda, ça peut mieux passer que pour Macbeth. Moins gênant en tous casDirection musicale confiée à Frédéric Chaslin, très aimé de Dominique Meyer qui lui a confié à Vienne de nombreux titres de répertoire (à peu près 25) de tous ordres.

Juin-Juillet 2022
Verdi, Rigoletto
(MeS : Mario Martone /Dir. : Michele Gamba)
Avec Piero Pretti, Enkhbat Amartüvshin, Nadine Sierra, Marina Viotti, Gianluca Buratto …
(8 repr. du 20 juin au 11 juillet)
Production de juillet, quand les touristes viennent, le Verdi des familles, signé Mario Martone (sa présence deux fois dans la saison compensera en mieux l’autre présence double, celle de Livermore…) qui est un metteur en scène « classique » mais intelligent et fin, après des dizaines années de règne incontesté de la production Gilbert Deflo : il était effectivement temps de changer.
Distribution solide avec le Rigoletto confié à Enkhbat Amartüvshin, une voix d’airain, mais un interprète peut-être à affiner encore, et accompagné de la délicieuse Nadine Sierra et du pâle mais vocalement très correct Piero Pretti. En fosse, un des jeunes chefs italiens digne d’intérêt, Michele Gamba que le public aura entendu déjà dans L’Elisir d’amore en novembre 2021 (voir plus haut).

Septembre 2022
Cimarosa, Il Matrimonio segreto
(MeS : Irina Brook /Dir : Ottavio Dantone)
Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala
(6 repr. du 7 au 22/09)
La production traditionnelle et annuelle de l’académie, aux mains d’une équipe équilibrée et très respectable. C’est de bon augure pour une œuvre qu’on n’a pas vue à la Scala… depuis 1980 !

Octobre/Novembre 2022
Giordano, Fedora
(MeS : Mario Martone /Dir : Marco Armiliato)
Avec Sonya Yoncheva, Mariangela Sicilia, Roberto Alagna (15 au 21/10), Fabio Sartori (24/10 au 3/11), George Petean.
(7 repr. du 15/10 au 3/11).
Là aussi, Lamberto Puggelli a signé une mise en scène restée au répertoire longtemps dont la dernière reprise remonte à 2004 qui était bien faite et c’est Mario Martone qui signera la nouvelle mise en scène. Dans le naufrage des mises en scènes de la saison, c’est la garantie d’un travail digne.
Distribution en revanche somptueuse qui marque le retour à la Scala de Roberto Alagna après des années d’absence, dans un rôle (Loris) très peu familier du public français, raison de plus pour y aller. Fedora, un rôle que les sopranos abordent sur le tard, est ici Sonya Yoncheva, actuellement loin d’être en fin de carrière mais j’ai beau aller souvent l’écouter, je trouve la voix très belle mais peu d’intérêt au-delà.
Et le chef, Marco Armiliato, efficace, solide, écume les scènes du monde.
Mon unique Fedora à la Scala (et ailleurs) était dirigée par Gianandrea Gavazzeni, avec Freni et Domingo.
Gavazzeni réussissait à faire respecter cette musique, voire la faire aimer… Il en fallait du génie pour faire de ce plomb de l’or.

Novembre 2022
The Tempest
(MeS : Robert Lepage /Dir : Thomas Ades)
Avec Leigh Melrose, Audrey Luna, Isabel Leonard, Frederic Antoun, Toby Spence
 (MET, Opéra National du Québec, Wiener Staatsoper)
(5 repr. du 5 au 18 nov.)
Une des rares créations (2004) qui ait fait carrière, signée Thomas Adès (compositeur et chef) avec la mise en scène « magique » de Robert Lepage, maître en images et en technologie scénique. Pour la plus baroque des pièces shakespeariennes, il fallait au moins ça, avec une distribution de très grande qualité (Antoun, Spence) dominée par le magnifique Leigh Melrose. Une bonne conclusion de la saison, une respiration “ailleurs” avec un niveau musical et scénique garanti.

Reprise :
Mars-avril 2022
Mozart, Don Giovanni
(MeS : Robert Carsen/Dir : Pablo Heras-Casado)
Avec Günther Groissböck/Jongmin Park (5, 10 apr.), Christopher Maltman, Alex Esposito, Hanna Elisabeth Müller, Emily d’Angelo, Andrea Caroll
Reprise de la médiocre mise en scène de Robert Carsen, théâtre dans le théâtre (comme d’habitude…) qui n’a pas marqué les esprits, mais il est vrai que trouver une production de Don Giovanni satisfaisante est un vrai problème. La production précédente de Peter Mussbach n’a pas marqué, et celle de Giorgio Strehler n’a pas non plus été à la hauteur de ses Nozze di Figaro légendaires. Donc, on accepte ce Carsen sans saveur pour jouir de l’excellente distribution et d’un chef qu’on dit très bon, mais qui ne m’a jamais vraiment convaincu.
(7 repr. du 27/03 au 12/04)

 

Conclusions :
Quelques lignes se dégagent :

  • Des distributions solides, voire exceptionnelles, il n’y a là-dessus pas l’ombre d’un doute, nous sommes bien à la Scala et l’excellence est dans chaque production
  • Des choix de chefs éprouvés, souvent familiers du répertoire à l’opéra de Vienne, et capables de bien gérer une représentation parce que ce sont souvent des chefs solides, mais en aucun cas ils n’ont offert de grandes visions artistiques ou de lecture d’une particulière épaisseur par le passé. Sans doute la saison préparée rapidement nécessitait de parer au plus pressé mais sans doute préside aussi l’idée que les chanteurs affichés suffiront à faire le bonheur du public. Des chefs pour la plupart au mieux efficaces, et donc à mon avis inadaptés à la Scala-plus-grand-théâtre-lyrique-du-monde comme « ils » disent…
  • Des choix de metteurs en scène sans aucun intérêt, à une ou deux exceptions près, voire souvent médiocres. Des choix de tout venant qui affichent l’opéra comme un divertissement pour lequel la complexité n’est pas conseillée: des metteurs en scène pour consommation courante, pas pour une vraie démarche artistique.
    Où est la Scala des Strehler, des Ronconi, des Visconti ? (Et même des Guth, Kupfer, ou Chéreau plus récemment) ?

 

Mon trépied de l’opéra chant-direction-mise en scène est bien bancal à la Scala cette année. Jamais la seule brochette de grands chanteurs dans une production n’a suffi à faire une grande soirée.

Il faudra sans doute attendre la saison 2022-2023 pour clarifier les choses puisqu’on espère qu’il n’y aura pas d’accident covidien en cours de route et voir si c’est ce chemin qu’on va emprunter.

Alors, pour essayer d’éclairer le lecteur, j’ai voulu remonter dans le temps, du récent (2012) au plus ancien (1924) pour voir à quoi dans le temps ressemblait vraiment la Scala, car en matière de Scala, le mythe construit dans les années 1950 est tel qu’on croit des choses qui n’ont existé que très récemment. En présentant deux saisons d’avant-guerre (avant deuxième guerre mondiale), à lire évidemment avec des clefs différentes nous avons eu de singulières surprises. Toujours mettre en perspective, c’est la loi du genre, sans jamais de jugements qui ne soient pas nés de l’expérience…

Arturo Toscanini

Plongeons dans l’histoire de la Scala

 

En conclusion de ce post mi-figue mi-raisin, j’ai donc voulu pour la première fois faire profiter le lecteur d’un de mes hobbies préférés, le plongeon dans les archives du théâtre pour mettre tout ce qu’on a pu écrire face au réel de l’histoire, et non face au rêve. Comme on pourra le constater, il y a à la fois des souvenirs, encore vifs, mais aussi des surprises de taille.
En plongeant dans cette histoire, se confronter avec d’autres saisons fait revenir à la raison ou relativiser (ou confirmer) nos déceptions. J’ai donc fixé comme critère des saisons où Macbeth était dans les productions prévues.

 

  • Une saison d’avant la deuxième guerre mondiale et une saison « Toscanini »

On devrait plus souvent se pencher sur les saisons de la Scala au temps de Toscanini et autour, on verrait l’extrême diversité de l’offre lyrique, et notamment aux temps de Toscanini, la présence quasi permanente du chef légendaire au pupitre. On verrait aussi que Verdi était bien moins représenté que de nos jours, avec quelques œuvres mais en aucun cas la large palette que les théâtres de tous ordres offrent dans Verdi. <

Ainsi Macbeth n’est pas représenté entre 1873 et 1939, année où l’œuvre de Verdi ouvre la saison (à l’époque le 26 décembre) dirigée par l’excellent Gino Marinuzzi.

Pour donner une indication encore plus surprenante : il y a 23 titres de tous ordres dont nous allons simplement donner la liste, et deux Verdi (Macbeth pour 4 repr. et La Traviata pour 11), tous deux dirigés par Gino Marinuzzi. Voici la liste des œuvres données en 1939, quelquefois inconnues de nos jours, et les œuvres étrangères données toutes en italien :

  • Verdi, Macbeth
  • Massenet, Werther
  • Mulé, Dafni
  • Bellini, La Sonnambula
  • Puccini, La Bohème
  • Rabaud, Marouf, savetier du Caire
  • Puccini, Turandot
  • Wolf-Ferrari, La Dama Boba
  • Wagner, Tristan und Isolde
  • Verdi, La Traviata
  • Leoncavallo, Pagliacci
  • Cilea, Adriana Lecouvreur
  • Humperdinck, Haensel und Gretel
  • Pizzetti, Fedra
  • Catalani, Loreley
  • Mascagni, Il Piccolo Marat
  • Beethoven, Fidelio
  • Wagner, Siegfried
  • Ghedini, Maria d’Alessandria
  • Boito, Nerone
  • Donizetti, La Favorita
  • Giordano, Fedora
  • Paisiello, Il Barbiere di Siviglia ovvero la precauzione inutile

Ainsi, on voit la grande diversité de l’offre, avec beaucoup d’œuvres « contemporaines » ou récentes à l’époque, pas un seul Rossini (la Rossini Renaissance sera pour plus tard).
On peut être surpris sur le nombre de titres affichés, mais c’était l’époque où la mise en scène n’était pas essentielle ou tout simplement n’existait pas au profit d’une mise en espace devant des toiles peintes, faciles à changer d’un jour à l’autre, sans décors construits. Une alternance plus rapide était plus facile à mettre en place.
Nettoyons nos idées reçues sur la Scala : à peine le nez dans son histoire qu’on découvre que tout ce qu’on raconte sur la Scala et Verdi, demande au moins une révision des rêves d’aujourd’hui sur un hier mythique.
Toscanini a beaucoup dirigé Verdi à la Scala, mais pas tous les titres, et il a autant dirigé Wagner et d’autres compositeurs. Prenons la saison 1924, celle du fameux Tristan und Isolde pour lequel Toscanini, arguant qu’il était ouvert à tout ce qui était novateur (les temps ont changé), avait appelé Adolphe Appia pour la mise en scène.
En 1924, voici les 24 titres, avec seulement trois chefs, Arturo Toscanini, Arturo Lucon, Vittorio Gui (un magnifique chef, si vous trouvez des enregistrements, n’hésitez pas, c’est un des plus grands chefs italiens, mort à 90 ans en 1975).

  • Strauss, Salomé (Vittorio Gui) (Ouverture de saison)
  • Riccitelli, I Compagnacci (Vittorio Gui)
  • Mozart, Zauberflöte (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Aida (Arturo Toscanini)
  • Verdi, La Traviata (Arturo Toscanini)
  • Donizetti, Lucia di Lammermoor (Arturo Lucon)
  • Puccini, Manon Lescaut (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Tristan und Isolde (Arturo Toscanini)
  • Mascagni, Iris (Arturo Toscanini)
  • Rossini, Il Barbiere di Siviglia (Arturo Lucon)
  • Bellini, La Sonnambula (Vittorio Gui)
  • Puccini, Gianni Schicchi (Vittorio Gui)
  • Gluck, Orfeo ed Euridice (Arturo Toscanini)
  • Alfano, La leggenda di Sakuntala (Vittorio Gui)
  • Verdi, Falstaff (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Rigoletto (Arturo Toscanini)
  • Bizet, Carmen (Vittorio Gui)
  • Pizzetti, Debora e Jaele (Arturo Toscanini)
  • Charpentier, Louise (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Lohengrin (Vittorio Gui)
  • Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg (Arturo Toscanini)
  • Moussorgski, Boris Godunov (Arturo Toscanini)
  • Boito, Nerone (Arturo Toscanini)
  • Giordano, Andrea Chénier (Vittorio Gui).

Sur 14 titres dirigés, Arturo Toscanini dirige Verdi (4), Mozart (1), Gluck (1) Puccini (1), Mascagni (1), Moussorgski (1) Boito (1) Charpentier (1) Pizzetti (1) Wagner (2).

Plus près de nous, les saisons d’Abbado ressemblent par leur organisation aux saisons d’aujourd’hui. Vous pourrez constater que c’est à juste titre qu’on peut « mythifier » la période :

  • Une saison du temps de Claudio Abbado et Paolo Grassi
  • 1975-1976
  • Macbeth (Abbado/Strehler)
  • Io Bertold Brecht (Tino Carraro/Milva/Strehler) ) à la Piccola Scala
  • La Cenerentola (Abbado/Ponnelle)
  • L’Heure Espagnole/L’Enfant et les sortilèges/Daphnis et Chloé (Prêtre/Lavelli)
  • Cosi fan tutte (Böhm/Patroni-Griffi)
  • Simon Boccanegra (Abbado/Strehler)
  • Aida (Schippers/Zeffirelli)
  • Werther (Prêtre/Chazalettes)
  • Benvenuto Cellini (Davis/Copley) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Peter Grimes (Davis/Moshinsky) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • La Clemenza di Tito (Pritchard/Besch) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Der Rosenkavalier (Kleiber/Schenk)
  • Luisa Miller (Gavazzeni/Crivelli)
  • Turandot (Mehta/Wallmann)

Tournée aux USA pour le bicentenaire de l’indépendance américaine
– La Bohème (Prêtre-Zeffirelli)
– La Cenerentola (Abbado-Ponnelle)
– Simon Boccanegra (Abbado-Strehler)
– Macbeth (Abbado-Strehler)

Considérons le niveau des chefs invités à la Scala en dehors d’Abbado, Böhm, Prêtre, Kleiber, Mehta, Gavazzeni, Colin Davis : c’est le « festival permanent »… on comprend pourquoi le public était difficile…

Au temps de Muti, la saison 1997 a aussi ouvert par Macbeth, c’est moins festivalier que la saison 1975, mais cela reste assez solide avec trois titres dirigés par Muti sur dix.

  • Une saison du temps de Riccardo Muti et Carlo Fontana
    1997-1998
  • Macbeth (Muti/Vick)
  • Il Cappello di paglia di Firenze (Campanella/Pizzi)
  • Die Zauberflöte (Muti/De Simone)
  • Khovantschina (Gergiev/Barstov)
  • Linda di Chamounix (A.Fischer/Everding) (Prod.Wiener Staatsoper)
  • Der Freischütz (Runnicles/Pier’Alli)
  • Manon Lescaut (Muti/Cavani)
  • Lucrezia Borgia (Gelmetti/De Ana)
  • L’Elisir d’amore (Zanetti/Chiti)
  • Carillon (Pesko/Marini) au Piccolo Teatro Strehler

Même impression pour cette saison Lissner/Barenboim : Lissner a été décrié par le public local, pourtant, à lire la saison 2012 (il n’y a que 9 ans), on est tout de même séduit par la diversité de l’offre et la qualité moyenne… afficher dans une saison un Ring, un Lohengrin, un Don Carlo, une Aida etc… Ça laisse un peu rêveur…

  • Une saison du temps de Daniel Barenboim et Stéphane Lissner
    2012-2013
  • Lohengrin (Barenboim/Guth)
  • Falstaff (Harding/Carsen)
  • Nabucco (Luisotti/D.Abbado)
  • Der fliegende Holländer (Haenchen/Homoki)
  • Cuore di Cane (Brabbins/McBurney)
  • Macbeth (Gergiev/Barberio-Corsetti)
  • Oberto, conte di San Bonifacio (Frizza/Martone)
  • Götterdämmerung (Steffens-Barenboim/Cassiers)
  • Der Ring des Nibelungen (Barenboim/Cassiers)
  • Un ballo in maschera (Rustioni/Michieletto)

Tournée au Japon : Falstaff/Rigoletto/Aida

  • La Scala di Seta (Rousset/Michieletto)(Accademia)
  • Don Carlo (Luisi/Braunschweig)
  • Aida (Noseda/Zeffirelli)

De cette manière le lecteur tient des éléments de comparaison. L’intérêt de se plonger dans les archives, c’est de faire des découvertes, de rétablir des vérités contre les idées préconçues et surtout les mythes d’aujourd’hui :

  • quand on voit ce que dirige Riccardo Chailly, directeur musical (2 productions) et ce qu’ont dirigé encore près de nous Barenboim, Muti, un peu plus loin Abbado, et encore plus loin Toscanini, on se dit que le titre est usurpé parce qu’il est évident que Riccardo Chailly ne donne pas grand-chose à ce théâtre. À ce niveau, c’est plutôt la Scala qui sert la soupe à un grand absent.
  • quand on voit la saison 1975-1976 à la Scala on comprend pourquoi ces années-là semblent un rêve éveillé. Inutile même de comparer, c’est trop douloureux, mais à regarder la saison Muti et la saison Barenboim, la comparaison est aussi éloquente.
  • Personnellement, je revendique l’intérêt de mises en scène contemporaines, qui parlent aux sociétés d’aujourd’hui et pas de mises en scènes qui ne sont qu’un cadre divertissant à la musique : c’est une erreur profonde de penser que l’opéra c’est musique et chant + guirlandes. Qu’importe d’ailleurs que la mise en scène soit traditionnelle ou novatrice, si elle a du sens.

La saison lyrique 2021-2022 à la Scala, est grise et ne soulève pas l’enthousiasme. Il y a peut-être des raisons objectives à ces choix qui laissent un peu perplexes, mais sans penser qu’on doit faire de la saison un festival permanent (c’est pourtant le sens du système stagione : faire de chaque production un moment d’exception), il y a peut-être à trouver une voie un peu plus stimulante. Je peux comprendre des difficultés dues au contexte, mais ce programme ne donne aucun signe d’avenir, et c’est là la question. On compensera sa déception par une saison symphonique et musicale intelligente et bien construite qui est-elle tout à fait digne de cette maison.

On souhaite alors ardemment que la saison symphonique par son organisation et son offre, trace un sillon que suivra la saison lyrique les années prochaines pour un théâtre qui sait, quand il faut, être le plus beau du monde.
Mais, dans la déception comme dans le triomphe, on continue de l’aimer éperdument… Et lucidement, car on le sait, la passion va de pair avec la lucidité, comme chez Racine.

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: NORMA de Vincenzo BELLINI le 10 NOVEMBRE 2013 – Version concertante (Dir.mus: Evelino PIDÒ)

Opéra de Lyon, 10 novembre 2013

Norma, de Vincenzo Bellini (1831, Teatro alla Scala, Milano)
Choeurs et orchestre de l’Opéra de Lyon
Direction musicale: Evelino Pidò
Norma: Elena Mosuc, Adalgisa: Sonia Ganassi, Pollione: John Osborn, Oroveso: Enrico Iori, Clotilde: Anna Pennisi, Flavio: Gianluca Floris.

Serge Dorny a choisi de présenter annuellement en version de concert un opéra du répertoire belcantiste. Cette année, c’est le tour de Norma, de Vincenzo Bellini, avec quelques soucis de distribution puisque la Norma prévue, Carmen Giannatasio, a fait faux bond, et que le ténor prévu, Marcello Giordano, a dû être lui aussi redistribué. Fatalité druidique… bienvenue. Ni la Giannatasio, surfaite pour mon goût, ni Giordano ne me paraissaient être des interprètes idéaux. C’est Elena Mosuc qui est Norma, ce qui garantit au moins du chant, et John Osborn qui est Pollione, ce qui garantit au moins du style: soyons honnêtes, le spectateur gagne sans doute à ces substitutions.

J’ai déjà évoqué à l’occasion de la Norma de Bartoli à Salzbourg les infinies discussions sur la manière de distribuer Norma: bien sûr personne n’a entendu ni la Pasta, ni la Malibran, toutes deux mezzo, voire contralto à l’origine  et elles furent chacune Norma, la Pasta à la Scala à la création (même si le rôle était apparemment un peu haut pour elle), la Malibran à la reprise napolitaine de 1835. L’époque (les années 1830) n’était pas aussi tatillonne que la nôtre sur le classement des voix et l’étendue vocale des grandes divas semble être un des caractères marquants relevés par les spectateurs du temps, notons quand même qu’une des voix les plus versatiles du XIXème, Lili Lehmann, fut aussi une grande Norma. Plus près de nous, Marilyn Horne a chanté aussi bien Norma (en début de carrière) qu’Adalgisa: Norma chantée par le plus grand mezzo colorature du XXème siècle, cela peut étonner. Grace Bumbry, autre mezzo (une Carmen de référence) a chanté tardivement Norma, tout autant qu’Edita Gruberova, soprano colorature à la voix d’une pâte radicalement différente de celle de la Bumbry. Sans parler de Cecilia Bartoli. C’est que le spectre vocal du rôle est particulièrement étendu, et ne se limite pas à Casta Diva: il y a dans Norma des agilités, des cadences à faire tourner les têtes, des moments dramatiques à la limite (presque) verdiens, des aigus redoutables, des notes filées impressionnantes à tenir, des graves sur lesquels s’appuyer. Bref, un rôle pour monstres sacrés, que bien peu osent affronter en scène: on attend aujourd’hui Netrebko qui élargit son répertoire (et sa voix) on attend, et les vestales du Bel Canto l’attendent aussi, mais au tournant. À la Scala, depuis Caballé entre 1972 et 1978, plus de Norma.

Disons le d’emblée, la Norma entendue à Lyon est sans conteste l’une des mieux chantées et des plus équilibrées  depuis longtemps, même si la Norma de Elena Mosuc n’est pas pour moi totalement convaincante. Sans doute est-ce dû à deux facteurs,
– d’une part j’aime dans Norma les timbres sombres: j’adore Leyla Gencer dans ce rôle justement parce qu’elle a le timbre et la couleur voulus: achetez au moins une de ses Norma pirates – c’est la plus piratée des divas et pour cause, elle n’a aucun enregistrement officiel. Et pour des raisons différentes (Callas hors compétition) j’aime Renata Scotto et Beverly Sills.
– d’autre part j’aime les voix “habitées” dans ce rôle, qui d’emblée portent en elle le drame final: j’aime les interprètes, avant les chanteuses (sans doute la Pasta m’eût plu, elle qui était, dit-on, bien plus drame que chant)
Elena Mosuc est d’abord un soprano colorature, ce fut une Zerbinetta de référence à Zürich où je l’entendis pour la première fois. Elle chante désormais sur les plus grandes scènes du monde et ce n’est que justice. La technique est impeccable, les aigus bien négociés et sûrs, les notes filées remarquablement contrôlées grâce à une tenue de souffle exemplaire, les agilités sans scories: bref, c’est une Gilda de très haut niveau.
Une Norma? c’est plus difficile. Ce soir, si Casta Diva fut très bien maîtrisé, si la cabalette qui suivit fut sans reproches, le reste du premier acte  fut très bien chanté, mais peu engagé: Elena Mosuc n’a pas été un seul moment le personnage: un chant maîtrisé mais aucune incarnation. La seconde partie a été au contraire bien mieux maîtrisée, et la scène finale impeccable musicalement a diffusé une émotion très marquée, d’autant plus marquée qu’on la sentait bien plus concernée par l’extraordinaire lyrisme de la musique, bien plus en tous cas que par les parties dramatiques de l’acte I et du trio final, là où Bartoli clouait sur place. Donc Mosuc a remporté le challenge, car la prestation est sans conteste de très haut niveau. Il reste que ce n’est pas la Norma dont je rêve, mais c’est une Norma très défendable et respectable qui trouve sa pleine vérité dans la seconde partie, infiniment plus sentie que la première.

Sonia Ganassi

Sonia Ganassi dans Adalgisa est au contraire une véritable incarnation. elle chante ce rôle depuis longtemps (déjà à Paris en 2000 aux côtés de June Anderson). Pour ma part, elle est la grande triomphatrice de la soirée. Cette chanteuse toujours très sérieuse ne fait pas la carrière qu’elle mérite, même si elle chante un peu partout. C’est une rossinienne exceptionnelle, c’est aussi une belcantiste de référence: elle a le volume, elle a les agilités, elle a l’intensité et la présence: une présence physique et vocale qui, même dans un contexte concertant frappe immédiatement. Elle est désormais très demandée dans Verdi, ce fut une Eboli extraordinaire dans la mise en scène de Peter Konwitschny (la pantomime du ballet était un morceau d’anthologie où elle fut inoubliable) du Don Carlos en français à Vienne et Barcelone, mais la voix manque de largeur (ou plutôt manque de réserves) pour Verdi et surtout pour ces rôles dramatiques: elle s’en sort avec honneur,  mais je pense que Ganassi a bien plus la voix qu’il faut pour le bel canto: suffisamment large, suffisamment ronde, et surtout suffisamment ductile (école rossinienne) pour être très à l’aise dans les mezzo belliniens et donizettiens. Son Adalgisa est simplement aujourd’hui  la meilleure qu’on puisse trouver: style, maîtrise technique, volume, aigus, agilités et surtout intensité; une intensité qui a fait de son mira o Norma en duo avec Norma un moment d’éternité. Elle fut magnifique et a remporté un juste triomphe.
Troisième triomphateur, John Osborn. Il était déjà Pollione à Salzbourg et avait remporté une très grand succès. De nouveau, il montre ce qu’est la technique de fer et la diction impeccable et claire apprises à l’école américaine: du style, un art consommé des notes filées, des mezze voci, un sens exceptionnel de la couleur. Un exemple de style qui le prédispose à tous les rôles belcantistes mais aussi ceux du grand opéra français: la Juive (il y fut merveilleux), Robert le Diable, Les Huguenots, voilà ce qu’il devrait exploiter au mieux. Son Pollione est d’une élégance exceptionnelle (trop peut-être pour le personnage, même si la scène du rachat final est vraiment bouleversante), la voix magnifiquement projetée, malgré l’orchestre sur la scène qui a tendance quelquefois à couvrir (Oroveso), qui rend chaque son produit parfaitement entendu et surtout compris. Je ne suis pas sûr qu’il ait intérêt à aborder les grands rôles du répertoire français post romantique: mais pour ceux du répertoire belcantiste français et italien il n’a pas de rival. Et sa prestation montre l’erreur que les programmateurs font en confiant Pollione à des voix plus larges (genre Johan Botha ou Franco Farina, voire Giordano) mais sans le style voulu.
L’Oroveso de Enrico Iori est un peu en retrait: rien à voir avec celui de Michele Pertusi à Salzbourg. Peu de personnalité affirmée, projection insuffisante, souvent couvert par l’orchestre: la voix est belle, mais ne sonne pas vraiment et la personnalité reste fade. Une petite déception, alors qu’aussi bien le Flavio de Gianluca Floris et  surtout la Clotilde d’Anna Pennisi ne sont  dénués ni de présence ni d’élégance dans leurs prestations.
L’orchestre et les choeurs de l’Opéra de Lyon étaient aujourd’hui au rendez-vous, les choeurs d’Alan Woodbridge sonores, énergiques, répondant avec justesse au tempo étourdissant voulu par Pidò dans Guerra et un orchestre en grande forme, sans aucune scorie,  des pupitres très bien mis en valeur, notamment la flûte magnifique d’une flûtiste nouvellement recrutée. Le son des cordes n’est pas toujours aussi velouté qu’on le voudrait dans Bellini, mais l’ensemble, mené avec une redoutable précision et une incroyable énergie par un Evelino Pidò des grands jours ne peut qu’emporter l’adhésion (bien plus pour moi que la version baroque de Salzbourg): il imprime une nervosité, une dynamique et une intensité qui répondent à l’engagement des chanteurs qu’il suit  et qu’il accompagne avec une attention extrême. Pidò est un chef qui soutient toujours très bien le chant, mais cette fois il y avait plus: il y avait une couleur spécifique à l’orchestre qui a participé sans aucun doute au succès général.
Cette Norma, qu’on va encore entendre à Lyon le 12 et à Paris au TCE le 15 novembre mérite le détour. Ce n’est pas si fréquemment qu’on entend un chant de cette qualité dans cette œuvre que les grands théâtres n’osent plus programmer: Vienne propose cette année 4 représentations concertantes (avec encore et toujours Gruberova qui n’en peut plus), l’Opéra de Paris ne l’a pas programmée depuis 2000 et la Scala depuis 1978.
Allez-y pour l’amour du beau chant.
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Norma, Opéra de Lyon, 10 Novembre 2013

 

WIENER STAATSOPER 2010-2011 A LA TV: ANNA BOLENA de Gaetano DONIZETTI (5 avril 2011) (Anna NETREBKO, Elina GARANCA, Elisabeth KULMAN)

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A voir le succès de cette représentation, Dominique MEYER qui fait entrer au répertoire de Vienne Anna Bolena a réussi son pari. Il est toujours difficile de rendre compte de retransmissions télévisées. Et les remarques qui suivent sont des impressions de téléspectateur à chaud. Brian Large, le réalisateur de la Tétralogie de Chéreau à Bayreuth, signe la reprise vidéo, qui est très réussie, comme souvent dans les productions qu’il met en image. Le bel canto est tout de même rare sur nos scènes et à la TV, cela vaut donc peut-être le coup d’en dire quelques mots.

La production de Eric Génovèse,sociétaire de la Comédie Française, qui a beaucoup travaillé avec Dominique Meyer au Théâtre des Champs Elysées comme acteur/récitant et metteur en scène (des Mozart, L’enlèvement au Sérail et Cosi fan tutte-mise en scène-,  puis Peer Gynt de Grieg, et Die Schöne Maguelone de Brahms l’an dernier), est très sobre, avec des décors minimalistes (de Jacques Gabel, murs de brique, espace très géométrique) dans les tons sombres (qui s’en étonnerait vu le sujet…), ce qui donne de la valeur aux rares meubles, et aux costumes plutôt réussis de Luisa Spinatelli qui s’inspire visiblement de la peinture de l’époque. Il est certain que les opéras de Donizetti ou de Bellini ne permettent pas pour la plupart des fantaisies de metteur en scène. Je l’ai déjà écrit dans d’autres comptes rendus, on ne vient pas pour la mise en scène, mais essentiellement pour les performances vocales et l’opéra est construit comme un chemin vers des vertiges acrobatiques de plus en plus exposés. Il reste qu’il y a de jolies idées, dont celle de faire apparaître Elisabeth 1ère enfant comme dernière image, puisqu’Elisabeth est la fille d’Anne Boleyn.

Anna Bolena est un opéra sombre, au livret relativement ramassé puisque le destin de la reine est pratiquement scellé dès la fin du premier acte, le second acte consistant à construire le mythe d’Anna, qui refuse de descendre à la compromission pour sauver sa tête, ce qui est l’occasion d’ensembles, de duos phénoménaux, d’un final étourdissant en forme de scène de folie, motif familier des compositeurs de l’époque , la folie justifiant les acrobaties vocales. Il fallut attendre la production de la Scala en 1957 (avec Callas) pour que l’oeuvre sorte de l’oubli où le XIXème sicèle l’avait laissée à la fin des années 1870. Le fait même qu’elle ait été ignorée depuis sa création (en 1830) par un théâtre aussi important que la Staatsoper de Vienne en dit long. Depuis Callas (qu’il faut écouter absolument), les plus grandes s’y sont lancées (Gencer, Sills, Sutherland, Gruberova, Netrebko). Il faut pour le rôle les aigus et les suraigus, l’agilité, le sens dramatique, et aussi une épaisseur vocale qui permette de surmonter un final qui est à lui seul une performance à l’égal de la scène de la folie de Lucia di Lammermoor.

A Vienne, l’oeuvre est dirigée par Evelino Pido’, bien connu des mélomanes français et particulièrement à Lyon où il dirige chaque année un opéra bel cantiste en version de concert (cette année Otello de Rossini) . Il a dirigé aussi très souvent à Paris (à la Bastille Capuleti e Montecchi, avec Anna Netrebko et Joyce di Donato) et aussi très souvent au théâtre des Champs Elysées. Grand spécialiste de ce répertoire, chef très précis, très attentif aux voix, c’est la garantie d’une approche musicale toujours au point, toujours juste, toujours propre . D’aucuns lui reprochent un manque d’invention, mais c’est assez injuste en général. Avec un orchestre comme celui de la Staasoper de Vienne (qui s’appelle Philharmonique de Vienne à ses moments perdus), aucun souci en perspective. Et effectivement, c’est très réussi.

La distribution réunit de grandes stars du chant, familières de Vienne, et le public a dû faire de longues heures de queue (j’imagine, pour l’avoir souvent faite, celle des places debout…) . Peter Jelosits a un peu de problèmes avec la couleur italienne (dans Sir Hervey) et la basse Dan Paul Dimitrescu se sort bien du rôle épisodique de Lord Rochefort. Francesco Meli, l’un des meilleurs ténors pour ce répertoire, a comme toujours ne voix bien dominée, sonore, claire, mais semble avoir de petites difficultés en fin d’opéra. Ildebrando D’Arcangelo est un grand Henry VIII, et tout ce qu’il chante lui réussit.
Mais on vient essentiellement pour les dames: Elina Garança en Giovanna Seymour est simplement somptueuse, elle a la présence (superbe), l’étendue du registre (des graves impressionnants et des aigus triomphants) et surtout elle crée une tension dans son chant qui rend ses apparitions très fortes et notamment le magnifique duo du second acte.J’avoue être plus convaincu que lors de concerts où je l’avais trouvé assez froide (Les Nuits d’été notamment) .

netrebko.1302045661.jpgAnna Netrebko, la star des stars pour ce répertoire, n’a plus tout à fait la même voix depuis son accouchement: on y a perdu en douceur, en velours, et en contrôle du diaphragme, mais l’implication dramatique, l’intensité sont plus grandes, et la voix un peu plus large (même si cette voix miraculeuse était capable de tout il y encore quelques années) mais sans le timbre exceptionnel qu’elle avait par exemple dans Capuleti à Paris. La prestation reste évidemment de très grand niveau, mais un tantinet en deçà de ce qu’on connaît d’elle.

La surprise de la soirée vient de l’extraordinaire page Smeton de la jeune Elisabeth Kulman, mezzo autrichien qui devrait être promise aux plus hauts sommets du Panthéon lyrique: il ne faut pas la rater si elle passe en France, elle est stupéfiante d’engagement scénique, d’intensité, de technique, de volume (autant qu’on en puisse juger). C’est une Carmen évidente (elle l’a à son répertoire), mais elle doit être une Vénus de Tannhäuser assez étonnante. Chacune de ses apparitions (le rôle est assez bref) fut vraiment un magnifique moment.

En conclusion, il reste quatre ou cinq représentations et qui peut se ménager un petit week end viennois pourrait par exemple venir pour la dernière le 17 avril. L’an prochain, ce sera Roberto Devereux, avec l’encore grande Gruberova.

OPERA DE LYON 2010-2011: OTELLO de G.ROSSINI (Dir: Evelino PIDO’, avec Anna Caterina ANTONACCI) le 9 novembre 2010

L’opéra de Lyon programme chaque saison un opéra en version de concert, plutôt choisi dans le répertoire belcantiste. C’est au tour du rare Otello de Rossini cette année, dans une distribution alléchante, présenté aussi au Théâtre des Champs Elysées. L’Otello de Rossini fut l’Otello du XIXème, jusqu’à ce que celui de Verdi, au livret plus proche de l’original et bien mieux construit, le détronât. L’oeuvre est depuis une rareté sur les scènes. On en a vu à Londres, à Wildbad, à Pesaro. Pas de production référencée à Paris si je ne me trompe. Pour ma part, je l’ai vu sur scène à Pesaro en 1988, avec June Anderson, Rockwell Blake, Chris Merritt. Quel souvenir !

L’oeuvre est étrange: d’une part le livret de Francesco Berio di Salsa offre le choix entre une fin sanglante et tragique (Desdemona est poignardée, et pas étouffée) et un “happy end”, le méchant est dénoncé avant l’issue fatale, le couple se parle et tout se termine bien. Le livret  ficelé comme ceux de nombre d’opéras de l’époque: une femme prise entre deux hommes, celui qu’elle aime; Otello, et celui que son père lui impose, Rodrigo. L’intrigue ourdie par Jago est simplifiée: Jago fut jadis amoureux d’elle, il soustrait une lettre écrite par Desdemona (à Otello) en la présentant à Otello comme écrite à Rodrigo. Pas de mouchoir donc, mais une Desdemona prise entre le père et les deux amoureux, de la tempête, de l’orage, des crescendos, des ensembles, des aigus, des suraigus, des écarts redoutables pour rien moins que cinq ténors sur huit chanteurs,et une basse, un soprano, un mezzo. Jago est un ténor, Rodrigo, aussi, qui a le rôle le plus spectaculaire et le plus pyrotechnique, Otello enfin aussi, mais avec une voix plus épaisse et un  plus sombre. Toutes les couleurs du ténor dans un opéra dont on a loué surtout le troisième acte (c’est injuste pour les deux autres), considéré comme un des grands chef d’oeuvre de l’écriture lyrique. On aura compris qu’il faut des chanteurs d’exception pour tenir le choc.

La distribution réunie à Lyon a relevé le défi et remporté un très grand succès. D’abord, en confiant à Evelino Pido’ les rênes de l’orchestre (décidément de très grande qualité: les bois très sollicités étaient vraiment remarquables l’autre soir, on a l’assurance non seulement d’une grande précision dans la construction orchestrale et d’une grande sécurité pour les chanteurs. Evelino Pido’ est plus apprécié en France qu’en Italie où il est plutôt rangé dans les chefs de répertoire de grande série, plutôt que parmi les inventeurs. C’est vraiment injuste, car ce mardi soir, il a montré toutes ses qualités d’interprétation, de rythme, de sens des ensembles. Ce fut un grand moment qu’écouter cette oeuvre dans ces conditions, qui contrairement à ce qu’on écrit ne se limite pas au seul troisième acte, les duos du second acte, les ensembles du premier acte sont captivants (pour qui aime se bercer à ce répertoire naturellement). On est toujours frappé par le métier de Rossini, qui trouve des accents, des rythmes, des écarts qui sont surprenants et qui effectivement capturent l’attention et qui ne laissent pas le spectateur en repos, même si les “trucs” auxquels il nous a habitués par ailleurs se retrouvent, les phrases empruntées à l’un ou l’autre de ses opéras, les ensembles souvent construits selon les mêmes canons.. on est frappé aussi de voir combien Rossini va essaimer. On est forcé par exemple de constater combien Verdi a écouté son Otello, le duo Jago/Otello du 2ème acte en est un exemple frappant.

Le rôle de Desdemona confié à une personnalité telle que Anna Caterina Antonacci indique d’une part clairement que la Desdemona de Rossini est bien le personnage central de l’oeuvre, celui vers qui tout converge. Il faut une interprète, une personnalité, une voix: Antonacci est les trois à la fois. La couleur sombre de la voix lui convient bien (la créatrice, Isabella Colbran était mezzo-soprano, et n’avait pas à ce qu’on sait des aigus triomphants), mais il lui manque à mon avis un soupçon de poésie. Sa chanson du Saule (qui vaut bien celle de Verdi) serait tout au aussi convaincante sans “surjouer”. Autant Antonacci sait être émouvante, autant ici sa prestation manque ce cette chair qu’elle a su donner ailleurs. Sa Desdemona ne m’a pas totalement convaincu. J’ai le souvenir de June Anderson, autrement plus élégiaque, et même un souvenir très personnel dans une petite église de Champagne, où la très musicale Sophie Pondjiclis avait donné de la chanson du saule une interprétation qui m’a avait à la fois surpris par son intensité et sa justesse, et convaincu que cette chanteuse n’a pas fait la carrière qu’elle méritait.

On n’a pas vraiment pu apprécier à sa juste valeur la chanson du gondolier (sur un texte de Dante!), malgré un orchestre magnifique en ce début de troisième acte, est-ce la prestation assez banale de Tansel Akzeybek, est de le faire chanter à côté du choeur au fond de la scène alors qu’on préfèrerait l’entendre en coulisse (l’effet nous semblerait plus fort), le moment “suspendu” reste plutôt plat et c’est dommage.
Le père (Elmiro) de Marco Vinco est correct sans plus,il est vrai que le rôle ne permet pas la nuance! Si le chant m’est apparu sans reproche, la voix est chaude, bien projetée, Vinco  ne va peut-être pas jusqu’au bout de l’obstination du personnage. Il chante, mais n’interprète pas vraiment.

Restent les trois ténors: José Manuel Zapata qui a chanté le rôle de Jago à Pesaro a dans la voix une douceur qui donne par contraste toute sa noirceur au personnage, d’autant qu’il se compose un physique bien ambigu et chafouin. Sa voix s’allie parfaitement aux deux autres voix, l’une plus claire, l’autre plus sombre et c’est un sans faute technique. Très beaux moments.
A Dmitry Korchak le rôle le plus acrobatique de la partition, celui de Rodrigo, aux écarts redoutables, aux suraigus qui rappellent ceux de la Fille du Régiment. Incontestablement, c’est une voix à suivre qui emporte l’adhésion et triomphe auprès du public. Rien à dire sur la pâte vocale, sur le registre central, sur le rythme et sur l’interprétation, c’est un chant habité et engagé. En revanche, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de chanter ce rôle (il chante aussi Tonio de la Fille du Régiment) car les aigus sont bien trop ouverts et le son produit est carrément vilain. A Lyon du moins, par deux fois, j’ai sursauté de surprise (désagréable), il n’a visiblement plus de réserves et je ne pense pas qu’il gagnera à chanter des rôles aussi tendus et qui ne lui conviennent pas, il y a bien d’autres rôles rossiniens où il doit sans doute exceller pour laisser celui-là à d’autres (qui d’autre d’ailleurs sinon Florez…). j’ai encore dans l’oreille les incroyables variations de Rockwell Blake qui semblaient si faciles, si évidentes, avec ce sourire serein avec lequel il respirait la joie de chanter et nous le paradis.

Pido’ a confié à un vrai ténor et non à un baryténor le rôle d’Otello, et c’est heureux : c’est surtout heureux qu’il ait été confié à John Osborn, qu’on a vu dans Leopold de La Juive à Bastille et qu’on n’a pas oublié. La technique est impressionnante: les aigus (moins exigeants que ceux de Rodrigo ) sont autrement négociés que chez Korchak, mais la respiration, la technique, l’émission, la clarté, l’incroyable clarté du texte qu’on entend de manière totalement cristalline, tout est maîtrisé et tout fait sens. C’est magnifique, convaincant, et cela laisse espérer un grand avenir ! On l’attend dans les grands rôle de ténor du répertoire français! Un pur produit de l’école américaine de chant, préparation de fer, sûreté, technique, élégance, mais aussi personnalité qui donne à sa voix de la couleur de la chair et de l’âme, ce qui n’est pas toujours le cas chez les américains. A suivre…

Au total ce fut quand même une belle soirée, jamais ennuyeuse, où personne ne démérite mais où peu réussissent à convaincre totalement . Il reste qu’on peut donc distribuer très correctement Rossini aujourd’hui et que ce répertoire mérite qu’on y revienne. Il y a dans cette musique, au-delà de la réussite mélodique, une vie à peu près unique.

OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010:LA SONNAMBULA de Bellini avec Natalie DESSAY à l’Opéra Bastille (3 février 2010)

La Sonnambula, un des phares du répertoire du bel canto entre au répertoire de l’Opéra de Paris. Voilà une des curiosités de notre opéra national, des pans entiers du grand répertoire ont été oubliés par les programmateurs: ce qui se passe sur le bel canto est aussi vérifiable sur le vérisme: Adrienne Lecouvreur entrée dans années 90 (avec une Freni impériale pour sa dernière apparition à Paris), André Chénier cette année, on n’ose imaginer quand on verra Fedora. Certes, toutes ces oeuvres ne sont pas des chefs d’oeuvres, mais, outre que la plupart des livrets s’appuient souvent sur des oeuvres françaises, les voir une fois au répertoire de notre opéra national ne pourrait pas nuire à la culture musicale du public.
Natalie Dessay promène sa “Sonnambula” sur les scènes internationales depuis quelques années, et elle fait un triomphe ce soir, dans une production de 2001 de Marco Arturo Marelli, louée à l’opéra de Vienne pour la circonstance. Solution pratique, qui permet de voir une production nouvelle à moindre frais. Pourquoi pas? vu les coûts d’une nouvelle production! Gérard Mortier l’a abondamment pratiquée par rapport aux productions de Salzbourg au début de son mandat (la presse française l’avait alors beaucoup et stupidement critiqué).

La production de Marco Arturo Marelli, metteur en scène de qualité, qui avait en son temps proposé un Don Carlos/Don Carlo à Garnier sous le règne de Bogianckino ( raté, certes) ou à qui l’on doit un bon Capriccio de Strauss à l’opéra de Vienne l’an dernier, propose une vision de l’oeuvre rénovée. Tout se passe dans un sanatorium de luxe (ou un hôtel/sanatorium) en montagne et Amina est l’une des femmes de chambre. A ce propos, je voudrais préciser que Renaud Machart dans Le Monde a fait une petite erreur: le Comte Rodolfo, lorsqu’il chante devant le bar « Le moulin ! La fontaine ! Le bois ! (…) Je vous reconnais, lieux charmants. » n’admire pas le bar, mais un tableau au dessus du bar, censé représenter le village et ses environs.
Qu’apporte cette transposition ? Elle enlève peut-être à l’œuvre son côté pacotille et opérette, pour lui donner une valence plus “sérieuse” dans un univers médical où la “maladie” du somnambulisme pourrait s’insérer, ou une esquisse de travail sur les classes sociales (le comte/Amina), il reste que cette transposition ne me paraît pas vraiment déterminante pour la logique de l’œuvre, même si la vision finale du premier acte, avec la neige qui envahit l’espace suite à une baie vitrée qu’Elvino brise, et qui d’une certaine manière,  “congèle” l’espace, est assez riche. Au total un travail cohérent, qui n’ajoute rien à l’oeuvre, mais qui au moins, ne dérange pas.

Musicalement, Evelino Pidò  est un bon chef, précis, attentif aux chanteurs, très sûr pour un directeur d’opéra ou un orchestre. C’est un bon musicien, non un grand inventeur, c’est aussi un chef favori de Natalie Dessay. Sa direction de Sonnambula, qui n’est pas le chef d’oeuvre de Bellini , est très satisfaisante, pas routinière, mais sans vrai relief. Ce n’est pas ce soir qu’on trouvera des vertus nouvelles aux aventures d’Amina. Pour mon goût, je lui préfère Capuleti e Montecchi, Les Puritains et Norma (mais qui se risque à Norma aujourd’hui?) et on attends patiemment que l’Opéra ouvre enfin sa scène à ces oeuvres. Patience et longueur de temps…

La distribution réunie autour de Natalie Dessay est de qualité: on notera la Teresa (la mère d’Amina) de Cornella Oncioiu qui s’est taillé un beau succès, le Rodolfo de Michele Pertusi,  un rôle presque surdistribué à cette grande basse rossinienne qui en donne une interprétation chaleureuse impeccable, très musicale. Et qui confère au personnage une vraie tenue. La Lisa de Marie-Adeline Henry semble moins à l’aise, et la voix n’est pas toujours adaptée aux exigences du rôle: elle manque de fluidité, et les aigus sont un peu tirés. Notons surtout le jeune ténor  mexicain Javier Camarena qui chante Elvino avec un très beau style, une technique sûre, et un timbre très adapté à ce répertoire, qui va sans doute s’ajouter à la liste déjà longue des ténors sud-américains qui comptent, notamment spécialisés dans le bel canto. Seul petit problème, les graves et la dynamique: dès que le rythme s’accélère, on ne l’entend plus et on lui sent de petites difficultés. mais c’est une valeur à suivre.

030220101583.1265394621.jpgNatalie Dessay salue en diva!

Et Natalie Dessay? le public vient pour elle, elle est la Diva et le final devant le rideau (de Garnier) en Diva vêtue de rouge qui chante le dernier air comme en récital, lui va comme un gant. Le personnage est là, on sait le soin que la soprano française attache au théâtre et au jeu, et aux exigences en matière de mise en scène. Elle est cette Amina fragile qu’on attend, mais elle n’est pas seulement la fragilité, elle montre beaucoup de dignité. Elle a seulement quelquefois un peu tendance à surjouer, ce qui nuit à l’émotion. La  voix est là, très personnelle, moins élégiaque qu’énergique, très engagée, mais on aimerait aussi plus de suavité pour un personnage aussi typé. Les aigus triomphent toujours, même si le suraigu est moins facile qu’avant, mais la voie s’est élargie et remplit sans problème le navire de Bastille. Nul doute que Dessay change l’image du bel canto: ceux qui aiment Mariella Devia ne seront peut-être pas convaincus, il n’est même pas certain qu’un public italien soit totalement séduit. A la Scala, beaucoup de commentaires restaient un peu dubitatifs devant son Amina, malgré le succès indéniable. Mais voilà, notre Natalie est singulière, et sa présence est telle qu’on lui pardonne même ses quelques menus excès.

030220101586.1265394654.jpgSaluts du chef Evelino Pidò

Une très bonne soirée, qui vaut la visite: allez voir cette Sonnambula qui restera sans doute rare à Paris. Un beau succès qui fait regretter amèrement l’absence de bel canto dans le répertoire de la maison.

GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2009-2010: SIMON BOCCANEGRA de Giuseppe VERDI (Dir.mus Evelino PIDO’ Ms en scène: José Luis GOMEZ) le 12 septembre 2009

 

En juin dernier la dernière saison de Jean-Marie Blanchard s’était close sur un Verdi en demi-teinte (Il Trovatore), la première saison du « règne » de Tobias Richter, nouveau directeur des lieux, s’ouvre sur un autre Verdi, Simon Boccanegra (très à la mode dans les théâtres en 2009-2010) qui au moins musicalement, est d’un très appréciable niveau. La direction d’Evelino Pido’, familier du lieu, est précise, claire et ample à la fois, même si elle manque de cette sensibilité qu’on souhaiterait sur une des œuvres les plus émouvantes de Verdi. Il est aidé par un chœur encore une fois très bien préparé par Ching-Lien Wu et par une distribution de grande qualité, homogène, et qui pratique dans l’ensemble un chant vraiment intelligent. Le Simon de Roberto Frontali, s’il n’a pas l’assise et la présence d’autres grands barytons du passé, et même s’il manque un peu de projection et de volume, est vraiment un exemple de chant sensible au texte, pensé, avec des inflexions très étudiées, jamais plat, toujours à propos, notamment dans le duo avec Amelia du premier acte et la scène du conseil, un miracle d’humanité, comme le rôle l’exige. Face à lui, Giacomo Prestia campe un Fiesco exceptionnel : volume, intelligence, humanité, présence, tout y est . On tient là une vraie basse pour Verdi. L’Amelia de Krassimira Stoyanova est elle aussi exemplaire, même avec des moyens de vrai lyrique aux limites de ses possibilités. La voix est travaillée, techniquement sans reproche, et particulièrement émouvante, même si on l’aimerait un peu plus large pour affronter certaines parties du rôle. Il reste que la prestation est vraiment de grand niveau. Une agréable surprise, l’Adorno vaillant du jeune ténor italien Roberto de Biasio, à la belle présence vocale, même si on pourrait souhaiter çà et là une plus grande maîtrise technique. C’est un artiste incontestablement à suivre qui a remporté un beau succès. Enfin, le Paolo de l’américain Franco Pomponi montre que Paolo peut-être vu comme la première esquisse de Iago, plus qu’un méchant de composition comme le campait magistralement Felice Schiavi chez Strehler. Face à cet ensemble qui fait de ce Simon un vrai moment musical, qui distille l’émotion,on ne peut que déplorer la mise en scène inexistante de José Luis Gomez, qui donne l’impression d’avoir vu quelques videos du passé lointain ou récent et d’avoir habillé quelques idées prises ailleurs d’un décor design et esthétisant, souvent d’un bel effet, mais souvent aussi répétitif. Seul moment intéressant, le tableau final « christique » en forme de pietà. Au total, si ce Simon est une indication des options de la nouvelle équipe de direction, on peut être rassuré sur le futur du Grand Théâtre de Genève.

Grand Théâtre de Genève
Septembre 2009

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi)

Direction musicale: Evelino Pido’
Mise en scène: José Luis Gomez

Décors: Carl Fillion
Costumes: Alejandro Andujar
Lumières: Albert Faura
Chorégraphie: Ferran Carjaval

Simon Boccanegra: Roberto Frontali
Jacopo Fiesco: Giacomo Prestia
Amelia(Maria)Grimaldi: Krassimira Stoyanova
Gabriele Adorno: Roberto di Biasio
Paolo Albiani: Franco Pomponi
Pietro: Jean Teitgen
La servante:Solenn’ Lavanant Linke