LA SAISON 2023-2024 DU TEATRO ALLA SCALA

Enfin !
Enfin une saison de la Scala qui fait (musicalement) envie, enfin des chefs d’envergure, et 14 productions d’œuvres diverses, qui reflètent le répertoire maison et des titres importants d’autres répertoires. C’est la saison la plus intéressante de la Scala depuis des années.
Dominique Meyer est arrivé en 2020, il lui a fallu trois ans, délai habituel, pour construire une première saison au profil vraiment digne de ce théâtre et de son histoire. Bien sûr les choix de metteurs en scène sont un peu plan-plan, mais on connaît le refus de Dominique Meyer devant des mises en scènes un peu contemporaines ou sortant de la poussière, mais tout de même, arrive à la Scala Christof Loy pour Werther, certes pas un révolutionnaire, mais un metteur en scène vraiment intéressant. De l’autre côté, confier le Ring à David Mc Vicar, ça fait plutôt sourire, un peu has been, et sans aucun intérêt, mais l’intérêt de ce Ring est ailleurs évidemment, avec Thielemann aux commandes, Volle comme Wotan et une somptueuse distribution.

On verra le détail des productions, mais d’emblée saluons deux opérations marquantes, d’abord, deux œuvres jouées pour la première fois dans leur version originale française, Médée et Guillaume Tell et ensuite, le coup de maître de la saison, avoir pour Rosenkavalier réussi à attirer Kirill Petrenko pour sa première sortie à l’opéra en dehors de Baden-Baden depuis qu’il a pris en main les Berliner ! C’est un vrai cadeau et surtout un symbole. Chapeau Meyer !
On connaît le tropisme italien de Kirill Petrenko, régulièrement fidèle à l’Orchestre RAI de Turin et à L’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, il arrive pour la première fois à la Scala, dans une production qui a fait ses preuves à Salzbourg (avec Welser-Möst) et à la Scala (avec Mehta) et avec deux protagonistes du cast d’origine. C’est un événement incontestable.
Bref, plein d’arguments pour faire des voyages à Milan. Une perspective dont on se réjouit.

 

SAISON LYRIQUE

Les productions :

Neuf compositeurs italiens, deux allemands, un autrichien et un français composent une saison « typique » de la Scala, qui porte largement le répertoire italien dans sa variété (du baroque au XXe) dans une saison certes diversifiée mais qui reste assez classique en affichant essentiellement des grands standards du répertoire, sans grande prise de risque, mais l’époque ne s’y prête pas à l’opéra comme on le constate un peu partout. On remarque tout de même Il Cappello di Paglia d’Italia de Nino Rota, qu’on n’a pas vu depuis longtemps, ou La rondine, un Puccini plus rare absent de Milan depuis 1994 et surtout L’Orontea de Cesti, un de ces titres à découvrir du baroque italien. Pour le reste, des titres rassurants, des distributions somptueuses, des chefs de niveau ou de très grand niveau. Ne nous plaignons pas et prenons notre plaisir. Au total 10 nouvelles productions et 4 reprises.

Cherubini : 1 production

  • Médée (NP)

Cesti : 1 production

  • L’Orontea (NP)

Donizetti : 1 production

  • Don Pasquale (Reprise)

Mascagni/Leoncavallo : 1 production

  • Cavalleria rusticana/Pagliacci (Reprise)

Massenet : 1 production

  • Werther (NP)

Mozart : 1 production

  • Die Entführung aus dem Serail (Reprise)

Puccini : 2 productions

  • Turandot (NP)
  • La rondine (NP)

Rossini : 1 production

  • Guillaume Tell (NP)

Rota : 1 production

  • Il Cappello di paglia di Firenze (NP)

R.Strauss : 1 production

  • Der Rosenkavalier (Reprise)

Verdi : 2 productions

  • Don Carlo (NP)
  • Simon Boccanegra (NP)Wagner : 1 production
  • Das Rheingold (NP)

 

 

Regard sur la saison

Décembre 2023 – janvier 2024

Giuseppe Verdi
Don Carlo
8 repr. du 7 déc. au 2 janvier (+avant-première jeunes le 4 déc.)
Dir : Riccardo Chailly/MeS : Lluis Pasqual
Avec René Pape, Francesco Meli, Luca Salsi, Ain Anger, Jongmin Park, Anna Netrebko (jusqu’au 22 déc. inclus)/Maria José Siri (30 déc/2 janv), Elina Garança (jusqu’au 22 déc. inclus)/Ekaterina Semenchuk (30 déc/2 janv) etc…
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Version de 1884 en quatre actes
Nouvelle production

Après Naples en 2022 qui a ouvert avec la version en cinq actes, La Scala ouvre avec la version « de Milan » de 1884. C’est respecter la fausse règle d’un opéra écrit pour le lieu parce qu’on connaît les tribulations des versions de l’œuvre. N’y revenons pas. Mais rappelons quand même qu’Abbado après avoir ouvert la saison 1968-69 par la version en quatre actes a ouvert 1977-78 par la version complète en cinq actes avec des musiques jusque-là inconnues, et qu’on est revenu ensuite à la version en quatre actes scaligèrement idiomatique avec Riccardo Muti, lors de la production malheureuse de Franco Zeffirelli, et avec Daniele Gatti dans celle aussi malheureuse de Stéphane Braunschweig
Signalons aussi que la version originale en Français n’a pas encore été présentée à la Scala… Dans une saison où deux des grandes œuvres du répertoire (Médée- Guillaume Tell) sont pour la première fois présentées à la Scala dans leur version originale, peut-être aurait-on pu faire l’effort pour un Don Carlos au lieu d’un Don Carlo, mais sans doute Madame Netrebko n’avait-elle pas vraiment envie d’apprendre le rôle en Français…
Alors forcément, on regrette le choix un peu cheap de la version en quatre actes.
Pour le reste, personne ne contestera la distribution, que les rôles masculins assureront sur toutes les dates, alors que les deux dernières seront assurées par la solide Maria José Siri et par Ekaterina Semenchuk dans Eboli où elle n’a pas convaincu à Florence. Mais qui oserait commenter le duo Netrebko/Garanča qui rappelle une lointaine Anna Bolena viennoise.
Personne ne contestera Riccardo Chailly en fosse, le directeur musical doit défendre le compositeur maison et pour la mise en scène, Dominique Meyer a choisi Lluis Pasqual, qu’on vit beaucoup à Milan dans les années 1980 (il était lié à Giorgio Strehler) et qui a eu une carrière européenne flatteuse. On verra ce qu’il en reste, mais ce ne peut être pire que Stéphane Braunschweig (2008) ou Franco Zeffirelli (1992), avec lesquels on a bien souffert.
On y courra, il faut y courir, malgré les quatre actes.

Janvier 2024
Luigi Cherubini, Médée

6 repr. du 14 au 28 janvier – Dir : Michele Gamba / MeS : Damiano Michieletto
Avec Sonya Yoncheva, Stanislas de Barbeyrac, Nahuel di Pierro, Ambroisine Bré, Martina Russomano
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

À l’instar de Don Carlos version originale, Médée de Cherubini n’a jamais été présenté à la Scala, qui aussi bien en 1953 avec Leonard Bernstein qu’en 1951 avec Thomas Schippers avait offert le rôle-titre à Maria Callas dans sa traduction italienne très tardive (1909). L’œuvre qui remonte à 1797, est créée originellement comme opéra-comique au Théâtre Feydeau le grand théâtre qui accueillit sous la Révolution les opéras comiques et notamment la Lodoïska du même Cherubini en 1791.
L’opération est donc bienvenue, et découvrir ce chef d’œuvre dans sa langue originale est appréciable, dans une saison marquée par le centenaire de la naissance de Maria Callas en 1923, qui a notamment chanté le rôle, mais l’a aussi interprété au cinéma dans le film de Pier Paolo Pasolini (1969).
Sous la direction de Michele Gamba qui a triomphé à la Scala dans Rigoletto la saison dernière et dans une mise en scène de Damiano Michieletto, la production promet d’être fort intéressante, avec une distribution de grande qualité, à commencer par Stanislas de Barbeyrac en Jason, bien entouré de chanteurs valeureux.
Las, le seul « hic », c’est le rôle-titre, confié à Sonya Yoncheva, sans doute parce qu’elle l’a chanté à Berlin, qu’elle est un nom relativement bankable sur le marché et qu’une Médée (en Français) ne se trouve pas aujourd’hui sous les sabots d’un cheval. À Berlin, elle était particulièrement décevante, ne possédant rien des qualités scéniques et vocales de ce rôle de monstre sacré. Qui a entendu au disque Callas, et vu sur scène Shirley Verrett dans la version Pizzi à Florence ou à Paris dans les années 1980 sait parfaitement que Yoncheva enfile comme souvent un costume bien trop large pour elle. Mais l’œuvre est si rare qu’on ne la manque pas, surtout dans ce théâtre-là.

Février 2024
Giuseppe Verdi, Simon Boccanegra

7 repr. du 1er au 24 février – Dir : Lorenzo Viotti / MeS : Daniele Abbado
Avec Luca Salsi, Ain Anger, Roberto de Candia, Andrea Pellegrini, Eleinira Buratto (A)/Anita Hartig (N), Charles Castronovo (A)/Matteo Lippi (B)
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

Même à distance de dizaines d’années, le souvenir de la production Strehler-Abbado avec sa distribution légendaire, reste vivace et les propositions qui ont suivi n’ont jamais convaincu, à la scène comme dans la fosse. Cette production emportée à Vienne dans les bagages de Claudio Abbado fut détruite à l’initiative du team Holender/Wächter dès le départ du chef…
C’est son fils, Daniele Abbado, qui est appelé pour la mise en scène, et son travail ne pourra qu’être meilleur que la production précédente de Federico Tiezzi qui n’a pas vraiment laissé un bon souvenir.
En fosse, Lorenzo Viotti, assez populaire à la Scala tissera de nouveaux fils, mais il n’a pas une fréquentation connue de Verdi.
Dans la distribution, Eleonora Buratto, la meilleure chanteuse italienne pour Verdi sera Amelia en alternance pour les deux dernières avec Anita Hartig, plus habituée à Bohème. Le couple Boccanegra/Fiesco sera Luca Salsi/Ain Anger. Pour ces rôles tellement particuliers, je ne suis pas convaincu de ces choix. Salsi a une grande voix, a été un bon Macbeth et il est considéré comme le meilleur baryton italien aujourd’hui. Il faut peut-être pour Boccanegra une figure au chant plus nuancé. Et Ain Anger de son côté est une grande voix, mais pas très expressive… Reste Charles Castronovo qui sera un bon Gabriele Adorno (le rôle n’est pas si ardu) en alternance avec le plus jeune Matteo Lippi (pour les deux dernières), les deuxièmes distributions servent souvent à lancer de nouvelles voix.
Un ensemble qui malgré Eleonora Buratto, n’arrive pas à convaincre. Mais je suis une vieille chose élevée au lait Strehler-Abbado à Paris, à la Scala et Vienne… Ah si on avait pu reconstituer la production Strehler qui à la vidéo au moins ne vieillit pas…

Février-mars 2024
Wolfgang Amadeus Mozart
Die Entführung aus dem Serail
6 repr. du 24 février au 10 mars – (Dir : Thomas Guggeis/MeS :Giorgio Strehler)

Avec Jessica Pratt, Jasmin Delfs, Daniel Behle, Michael Laurenz, Peter Rose, Sven Eric Bechtolf
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise

Voilà en revanche une reprise qui devrait faire courir. La production légendaire de Giorgio Strehler, venue de Salzbourg passée par Florence et arrivée à la Scala en 1972 n’a pas depuis quitté les programmes. L’œuvre aujourd’hui sent le soufre (on l’a vu à Aix avec la production Kušej) et certains théâtres hésitent même à la programmer ou en changent le livret (à Genève ou Lyon par exemple), entre traitement de la Turquie (Osmin), de l’Islam, et aussi de la femme.
Mais en 1972, on n’y voyait que nostalgie, poésie, mélancolie, sourire et c’est ce qu’offre la production de l’immense metteur en scène qu’était Strehler. En Konstanze, Jessica Pratt, qu’on voit de plus en plus sur les scènes italiennes à ce stade de sa carrière en dehors de son répertoire rossinien ou belcantiste, pour la pyrotechnie de Martern aller Arten. Face à elle en Blonde, une nouvelle venue, tout droit sortie du Studio de l’Opéra de Munich, Jasmine Delfs et dans l’ensemble une distribution parmi les meilleures qu’on puisse trouver (Daniel Behle/Michael Laurenz/Peter Rose) et un clin d’œil de Dominique Meyer à ses « racines » viennoises en appelant Sven-Eric Bechtolf, le metteur en scène (Ring viennois) qui est aussi acteur, en Pacha Selim.
Dans la fosse, un nouveau venu à Milan, Thomas Guggeis, le jeune chef talentueux qui fut l’assistant de Barenboim à Berlin et qui prend ses fonctions de directeur musical à l’opéra de Francfort. Il représente la nouvelle génération germanique qu’il faut suivre.
Voilà une reprise qui a tout pour plaire. Il faut y courir.

Mars-avril 2024
Gioachino Rossini, Guillaume Tell

6 repr. du 20 mars au 10 avril – Dir : Michele Mariotti /MeS : Chiara Muti
Avec Michele Pertusi, Dmitry Korchak, Nahuel di Pierro, Evgeny Stavinsky, Luca Tittoto, Marina Rebeka, Martina Russomanno, Géraldine Chauvet.
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

Comme pour Médée, c’est la première fois que la Scala propose la version originale de Guillaume Tell, c’est une excellente idée et on ne va pas s’en plaindre. On ne se plaindra pas non plus de la présence en fosse de Michele Mariotti, grand rossinien devant l’Éternel, ni d’une distribution de haut niveau, avec Pertusi, inégalable Tell tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change, Nahuel di Pierro, Luca Tittoto qui sont de beaux chanteurs. Le choix de Dmitry Korchak laisse plus perplexe pour Arnold, alors qu’un John Osborn est encore dans le circuit et aujourd’hui peut-être plus convaincant. Marina Rebeka en Mathilde est un choix solide pour les médias et l’affiche, mais c’est une voix sans véritable prise sur les cœurs et sans grand intérêt musical qui me laisse très indifférent.
Comme Daniele Abbado-fils-de pour Boccanegra, Chiara Muti-fille-de pour Guillaume Tell que son auguste père a dirigé avec succès (en version italienne sur cette même scène il y a un peu plus de trois décennies dans une production spectaculaire de Luca Ronconi). Je ne pense pas que la vérité du théâtre sortira de cette mise en scène, au-delà du gentillet, au vu des spectacles précédents qu’elle a déjà proposés. Mais on ne manque pas un Guillaume Tell

Avril 2024
Giacomo Puccini, La rondine
6 repr. du 4 au 20 avril – Dir : Riccardo Chailly – MeS : Irina Brook
Avec Mariangela Sicilia, Rosalia Cid,  Matteo Lippi, Giovanni Sala, Pietro Spagnoli
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production

L’hirondelle (en italien la rondine) fera donc le Printemps. Riccardo Chailly poursuit son exploration du répertoire puccinien en proposant La rondine, un titre aussi fameux que peu représenté, en tous cas moins que d’autres, alors que l’œuvre a été créée dans les grandes années du compositeur (en 1917, à Montecarlo). Le livret de Giuseppe Adami s’inspire du livret original prévu pour une première à Vienne qui n’eut pas lieu à cause de la première guerre mondiale. Avec Riccardo Chailly en fosse, on peut supposer que cette musique peu connue ( à part l’air Chi il bel sogno di Doretta) retrouvera son lustre et toutes ses couleurs. La distribution est composée de chanteurs plutôt jeunes, la nouvelle génération en marche, avec Mariangela Sicilia, l’un des sopranos les plus prometteurs d’Italie en Magda, et à l’autre bout, le très expérimenté Pietro Spagnoli, en Rambaldo, le vieux protecteur de Magda qu’elle choisit à la fin au lieu d’une vie d’amour avec Ruggero (Matteo Lippi). Mise en scène d’Irina Brook, c’est à dire élégance et discrétion. Il faut résolument y aller, tant l’œuvre est rare. 

Avril-mai 2024
Pietro Mascagni/Ruggero Leoncavallo
Cavalleria rusticana/I Pagliacci
9 repr. du 16 avril au 5 mai – Dir : Giampaolo Bisanti – MeS : Mario Martone
Avec :

  • (Cavalleria) Elina Garanča (Ekaterina Semenchuk les 30 avril, 2 et 5 mai), Elena Zilio, Brian Jagde, Amartuvshin Enkhbat.
  • (I Pagliacci) Irina Lungu, Fabio Sartori, Amartuvshin Enkhbat, Mattia Olivieri, Jinxu Xiahou

Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise
9 représentations, c’est une reprise tiroir-caisse (les prix en conséquence…) essentiellement organisée autour de la figure d’Elina Garanča en Santuzza, qui devrait être impressionnante. On y retrouve en Mamma Lucia la légende Elena Zilio, Amartuvshin Enkhbat en puissant Alfio et avec le Turiddu sans charisme mais sonore de Brian Jagde.

Fête vocale également autour de Fabio Sartori en Alfio de Pagliacci, bien entouré par Mattia Olivieri et Amartuvshin Enkhbat.
Aucun souci pour la fréquentation du public avec de tels noms et dans la mise en scène solide de Mario Martone. En fosse Giampaolo Bisanti, passable, suffisant pour une reprise de répertoire où ce n’est pas le chef qui fera événement.

Mai-juin 2024
Gaetano Donizetti, Don Pasquale
6 repr. du 11 mai au 4 juin – Dir : Evelino Pido’/MeS : Davide Livermore
Avec Andrea Carroll, Ambrogio Maestri, Lawrence Brownlee, Mattia Olivieri
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Reprise
Una saison sans Davide Livermore n’est pas une vraie saison à la Scala (ni ailleurs en Italie d’ailleurs) dans une mise en scène qui n’est pas l’une de ses plus mauvaises. La création avait été assurée par Chailly, c’est Evelino Pido’ qui assure la reprise… sic transit. Une distribution très solide, (Maestri, Brownlee, Olivieri) avec en Norina une nouvelle venue, l’américaine Andrea Carroll qui a été en troupe à Vienne aux temps de Dominique Meyer

Juin-juillet 2024
Jules Massenet, Werther
6 repr. du 10 juin au 2 juillet – Dir : Alain Altinoglu – MeS : Christof Loy
Avec Benjamin Bernheim, Victoria Karkacheva, Francesca Pia Vitale, Jean-Sébastien Bou, Armando Noguera, Rodolphe Briand etc..
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
Coproduction avec Théâtre des Champs Élysées, Paris
Nouvelle production avec en fosse Alain Altinoglu qui garantit un Massenet idiomatique et coloré et dans une mise en scène de Christof Loy, un metteur en scène qu’on n’attendrait pas à la Scala en ce moment, mais qui sans être un révolutionnaire, est un vrai metteur en scène de théâtre, solide, avec des idées souvent intelligentes. Une Charlotte russe, Victoria Karkacheva, qu’on a vue notamment à Lyon et Munich (où elle est en troupe), voix solide, expressive, et belle actrice engagée. En face, Benjamin Bernheim le ténor le plus en vue pour ce répertoire, bien meilleur chanteur qu’acteur, mais quel timbre ! Jean-Sébastien Bou sera Albert. Tout cela pour dire que les ingrédients sont réunis pour un très beau Werther, une œuvre très aimée à Milan.

Giacomo Puccini, Turandot
7 repr. du 25 juin au 15 juillet – Dir : Daniel Harding / MeS : Davide Livermore
Avec Anna Netrebko, Yusif Eyvazov/Roberto Alagna (9, 12, 15 juil.), Rosa Feola, Raül Giménez, Vitalij Kowaljow etc…
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
On est rassuré, Davide Livermore se voit confier une nouvelle production, Turandot, dont on imagine que cet apôtre de la superficialité insignifiante en mettra plein les yeux. C’est une nouvelle production peut-être évitable dans la mesure où la dernière, de Nikolaus Lehnhoff (décédé peu après) remonte à 2015 seulement. En fosse Daniel Harding, ce qui est toujours intéressant. Mais c’est bien sûr la distribution qui attire l’attention avec Anna Netrebko en Turandot, le mari Yusif Eyvazov en Calaf, et la délicieuse Rosa Feola en Liù. Mais l’autre événement, ce sont les trois dernières représentations assurées par Roberto Alagna en Calaf, qui revient à la Scala après des années d’absence suite à une Aida fatale plus que céleste. Inutile de souligner qu’un petit week-end estival à Milan s’impose aux fans, à combiner avec Werther si possible.

Septembre 2024
Nino Rota, Il Cappello di paglia di Firenze
5 repr. du 4 au 18 septembre – Dir : Donato Renzetti / MeS : Mario Acampa
Avec les solistes de l’Accademia di Perfezionamento per Cantanti Lirici del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala
Nouvelle production

Un peu comme à Munich avec la production du Studio, la production de l’Accademia est toujours intéressante dans la mesure où l’on peut espérer repérer des voix nouvelles et des futures belles carrières, et que le théâtre ne lésine pas sur les moyens mis en œuvre, avec en fosse un chef aussi sûr et éprouvé que Donato Renzetti, tout en offrant à un jeune metteur en scène, Mario Acampa, déjà animateur et metteur en scène à la Scala des projets pour les enfants, l’occasion de travailler avec des chanteurs en formation toujours plus disponibles,. L’œuvre de Nino Rota, tirée de Labiche, est une farce souriante qui par sa fraîcheur s’adapte parfaitement à un travail avec de jeunes chanteurs, et permet d’effectuer la rentrée lyrique de manière sereine et optimiste, d’autant qu’elle manque dans les programmes depuis 1998.

Septembre-Octobre 2024
Antonio Cesti, L’Orontea
5 repr. di 26 sept. au 5 oct – Dir : Giovanni Antonini/MeS :  Robert Carsen
Avec Stéphanie d’Oustrac, Mirco Palazzi, Hugh Cutting, Francesca Pia Vitale, Carlo Vistoli, Luca Tittoto, Sara Blanch, Marianna Pizzolato.
Orchestre du Teatro alla Scala

Nouvelle production
Né à Arezzo et mort à Florence, Antonio Cesti (1623-1669) n’a pas passé pourtant sa vie en Toscane, mais a commencé une carrière de moine franciscain, bientôt bousculée par son engagement musical comme chanteur et compositeur (il sera d’ailleurs relevé de ses vœux), notamment comme maître de Chapelle à Innsbruck puis à Vienne. L’Orontea de 1656 a d’ailleurs été composée pour Innsbruck.

Après La Calisto (Cavalli) e Li Zite n’galera (Vinci), la Scala explore sous Meyer de nouveau un répertoire moins connu, même si l’opéra de Cesti avait été proposé en 1961 à la Piccola Scala, idéale pour ce type d’œuvre, et malheureusement engloutie dans les restaurations de l’an 2000.
Avec Giovanni Antonini en fosse, on a la garantie d’un travail approfondi et efficace et Robert Carsen, très aimé en Italie, réussit souvent mieux qu’ailleurs dans les œuvres baroques. La distribution est particulièrement solide, autour de Stéphanie d’Oustrac on relève des noms d’artistes qui ont émergé très favorablement ces dernières années (Sara Blanch, Carlo Vistoli, Luca Tittoto, Marianna Pizzolato).
Si vous aimez découvrir des œuvres peu connues…

Octobre 2024
Richard Strauss, Der Rosenkavalier

6 repr. du 12 au 26 octobre 2024 – Dir : Kirill Petrenko/MeS : Harry Kupfer
Avec Krassimira Stoyanova, Kate Lindsey, Günther Groissböck, Sabine Devieilhe, Tanja Ariane Baumgartner, Gerhard Siegel, Johannes Martin Kränzle, Caroline Wenborne
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Nouvelle production
Coproduction avec les Salzburger Festspiele

La belle production du regretté Harry Kupfer, qui remonte déjà à 2014 sera l’écrin somptueux d’une reprise qui a le parfum des grandes premières, même si la distribution allie celle de l’origine soit Krassimira Stoyanova et Günther Groissböck, et de nouvelles venues Sabine Devieilhe (qu’on attend avec impatience en Sophie) et Kate Lindsey en Octavian. Ils seront entourés pour l’occasion de rien moins que Johannes Martin Kränzle en Faninal, Gerhard Siegel et Tanja Ariane Baumgartner en Valzacchi et Annina, et un « vrai » chanteur italien, Piero Pretti.
Mais en l’occurrence, même avec cette belle distribution, toutes les oreilles seront tendues vers la fosse, où pour la première fois officiera Kirill Petrenko, dans un de ses opéras fétiches où il fit tomber de tous les balcons le public munichois…
Inutile de souligner qu’il faut dès maintenant programmer une virée milanaise.

Octobre-novembre 2024
Richard Wagner, Das Rheingold (Der Ring des Nibelungen)
6 repr. du 28 oct. au 10 nov. – Dir : Christian Thielemann/MeS : David Mc.Vicar
Avec Michael Volle, Andrè Schuen, Norbert Ernst, Johannes Martin Kränzle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Jongmin Park, Ain Anger, Okka von der Damerau, Olga Bezsmertna, Christa Mayer etc…
Orchestre du Teatro alla Scala
Nouvelle production

En trente ans, c’est le troisième Ring programmé par la Scala, dans une maison où a officié dès 1951 l’immense Furtwängler dont il reste des traces audio notables. Dix ans après Barenboim/Cassiers, voici revenu le temps du classicisme, avec

un Christian Thielemann qui revient dans une fosse italienne (il fut dans sa jeunesse très fréquent en Italie, et très apprécié) après des décennies et qui cette saison a promené sa vision si ciselée musicalement entre Dresde et Berlin, qui reste fascinante même si on peut lui préférer d’autres approches plus dramatiques – mais ne chipotons pas- et qui arrivera à Milan pour sa première apparition dans la fosse du Piermarini. Du classique à prévoir aussi dans l’approche de David McVicar sans doute moins dérangeante que Cassiers et naturellement de tous les Ring nés ces dernières années de Bayreuth à Berlin ou qui s’apprêtent à naître à Bruxelles (Castellucci) et Munich (Kratzer).
La distribution n’offre aucune espèce de discussion, on y trouve la crème du chant wagnérien – même si j’ai un petit doute sur Olga Bezsmertna en Freia, mais entre Michael Volle en Wotan, Johannes Martin Kränzle en Alberich et tous les autres dont Okka von der Damerau en Fricka, il y a de quoi satisfaire le plus difficile des wagnériens.

Allez, prenez un abonnement d’automne sur Trenitalia pour filer à Milan plusieurs fois entre septembre et novembre.

La saison lyrique reflète l’évolution de ce théâtre qui est en train d’achever sa mue, retrouvant une fréquentation qui tourne autour de 90%, travaillant sur la cité par des initiatives assez nombreuses : n’oublions pas que le public de la Scala, comme disait Lissner, habite dans un rayon de 4 km autour du théâtre et qu’avant d’être un phare international de l’opéra, c’est un théâtre local, que j’aime à l’appeler affectueusement le plus grand théâtre de province du monde.
On y développe donc les aspects numériques (nouveau site à peine ouvert), développement de la plateforme de Streaming La Scala.tv et achèvement des travaux commencés en 2001 avec la création de nouveaux espaces de répétitions (Ballet et orchestre) et de bureaux sur la Via Verdi (à droite quand on regarde la façade), avec tout de même les regrets éternels constitués par la perte de la Piccola Scala, dont la fonction n’a pas été remplacée et qui reste à mon avis une erreur fondamentale du projet de restauration.

Le théâtre va mieux et se relève des crises consécutives au Covid 19 et au départ chaotique d’Alexander Pereira. Qui s’en plaindrait ? Surtout pas celui qui écrit et qui a fait de ce théâtre son quotidien d’amour lorsqu’il vivait à Milan.

Alors la programmation lyrique est bien étayée aussi par celle du ballet, désormais dirigé par Manuel Legris que Dominique Meyer a emporté dans ses valises en venant de Vienne, et celle, très riche, des concerts divers qui sont dans l’histoire de la Scala, on le sait moins, un des axes porteurs de la maison, notamment depuis le passage de Claudio Abbado à la direction musicale qui était très attentif à ce qu’on appelait alors la saison symphonique (qui remplissait l’automne, en attendant l’ouverture de saison du 7 décembre).

 

LE BALLET
(contribution de Jean-Marc Navarro)

S’il est encore un peu tôt pour conceptualiser l’approche de programmation de Manuel Legris, la cure administrée à la Compagnie depuis son entrée en fonction il y a deux ans et demi se structure autour d’un mantra simple : “le plus de longs ballets classiques tu danseras”. La saison 2024 en est une illustration éloquente, qui sera lancée 10 jours après la Saint-Ambroise par une nouvelle production de Coppélia reconstruite, excusez du peu, par Alexei Ratmansky, à qui on doit tant de versions “historiquement informées” de ballets du XIXème siècle. Peu de choses ont filtré sur ce qui attend le balletomane et les sources qu’utilisera l’érudit pétersbourgeois, mais cela donne d’ores et déjà l’eau à la bouche.
La production parisienne de La Bayadère, que Manuel Legris avait fait venir à La Scala en 2021, sera ensuite reprise, avant que la part belle soit laissée à deux hits narratifs. Occasion tout d’abord de fêter les 50 ans de la création de L’histoire de Manon de MacMillan. Puis dans La dame aux camélias, est déjà annoncé l’extraterrestre Roberto Bolle qui à 49 ans assurera le très périlleux rôle d’Armand (!). Il apparaîtra également dans la reprise de la très ambitieuse commande qui avait été faite en 2021 à Fabio Vacchi en support d’un ballet “full-length” de Mauro Bigonzetti, Madina. De même que pour La Bayadère, voilà une belle idée que de reprendre des œuvres nouvellement entrées au répertoire pour les inscrire dans les esprits et dans les corps.
Une soirée de créations contemporaines est prévue autour de Garrett Smith, Leon/Lighfoot et Simone Valastro. Du contemporain peu hardcore et peu conceptuel dont on attend avec impatience la création de Valastro, qui a déjà commis des œuvres étourdissantes, dont Stratégie de l’hippocampe, sa première chorégraphie, pour l’Opéra de Paris à l’époque. Second triptyque programmé, exigeant : une soirée autour de classiques absolus de George Balanchine (Thème et variations) et Jerome Robbins (Dances at a gatheringThe Concert).
L’École de danse du Teatro alla Scala aura droit à une soirée tandis que Legris, qui avait mis en place à Vienne ses Galas Noureev annuels, perpétue sa tradition avec un Gala Fracci désormais inscrit dans le paysage des saisons de danse milanaises.
Plein de belles choses, intelligemment agencées, de nature à permettre à la Compagnie de continuer de progresser.

Les festivaliers juilletistes pourront se faire une première idée des fruits de la “ligne Legris” en allant à Orange le 15 juillet, le programme s’annonçant à son image : mélange de l’académique (acte II du Lac des cygnes), de contemporain classico-sage (Verdi Suite de Legris soi-même), de la création avec Philippe Kratz.

 

CONCERTS et RÉCITALS

La saison symphonique
Aujourd’hui, et depuis bien des années, l’automne (septembre-novembre) jadis dédié à la saison symphonique est la fin de la saison lyrique tandis que la saison symphonique est distribuée sur toute l’année, entre concerts de l’orchestre de la Scala, de la Filarmonica de la Scala (fondée en 1982 par Claudio Abbado), des concerts associés à des événements spéciaux (appelés concerts extraordinaires, des invitations d’orchestres étrangers et des récitals). En outre s’est développée une saison de chambre, avec de nombreux concerts des musiciens de l’orchestre en formation de chambre, qui enrichit le paysage à un horaire inhabituel (le dimanche à 11h)  continuant à faire de la Scala le centre musical névralgique d’une ville de Milan qui n’a pas en dehors de la Scala d’orchestre de prestige puissant comme l’Orchestra Sinfonica nazionale della RAI (pour Turin) ou l’Accademia di Santa Cecilia (pour Rome), même s’il y a des institutions symphoniques et des sociétés musicales historiques qui animent et complètent la vie musicale de la ville.

Sept programmes de concerts « ordinaires » irriguent la saison, avec au pupitre de l’Orchestre della Scala ou de la Filarmonica, outre Riccardo Chailly (trois programmes), Ingo Metzmacher, Daniel Harding, Daniele Gatti (qui reviendra diriger en 2025 un opéra…), Lorenzo Viotti.
Par ailleurs, Riccardo Chailly à qui l’on reproche de ne pas diriger beaucoup d’opéra est très présent au niveau du symphonique, aussi bien pour les concerts « ordinaires » qu’extraordinaires. Il faut noter la diversité des programmes, l’intérêt des solistes et quelques concerts exceptionnels comme les Gurre-Lieder, sans doute programmés à cause de la présence à Milan pour le Ring de la fine fleur du chant allemand, un concert auquel on pourra difficilement résister. Mais aussi bien la Symphonie n°9 de Mahler dirigée par le grand mahlérien qu’est Daniele Gatti qu’un Requiem de Mozart confié à la baguette de Daniel Harding avec une distribution jeune sont des arguments à ne pas négliger non plus.

Novembre 2023

9, 11 et 14 novembre
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Chailly

Schubert : Symphonie n°4 en ut min. D 417 “Tragique”
Verdi : Quattro pezzi sacri

Chef de chœur : Alberto Malazzi

Janvier 2024
22, 24, 25 janvier
Filarmonica della Scala
Direction : Ingo Metzmacher
Luigi Nono : Como una ola de fuerza y luz
                      pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n°4 en ut min. op. 43

Pierre Laurent Aimard, piano
Serena Saenz, soprano
Paolo Zavagna, régie sonore

 

Février 2024
19, 22, 23 février
Filarmonica della Scala
Direction : Lorenzo Viotti
Nikolai Rimski-Korsakov : Capriccio espagnol op.34
Maurice Ravel : Concerto en sol
Serguei Rachmaninov : Danses symphoniques op.45

David Fray, piano

Avril 2024
22, 24, 27 avril

Filarmonica della Scala
Direction : Daniele Gatti

Gustav Mahler : Symphonie n°9 en ré majeur

Mai 2024
27, 29, 30 mai
Filarmonica della Scala
Direction : Riccardo Chailly

Arnold Schönberg : Verklärte Nacht, pour orch. à cordes
Anton Webern : Passacaille op.1
Alban Berg : Trois fragments de Wozzeck op.7, pour soprano et orchestre

Marlis Petersen, soprano

Juin-juillet 2024
29 juin, 3, 5, juillet
Direction : Daniel Harding
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Chef du chœur : Alberto Malazzi

Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem en ré min. K.626

Rosa Feola, soprano
Cecilia Molinari, mezzosopeno
Giovanni Sala, ténor
Adam Platchetka, basse

Septembre 2024
13, 16, 17 septembre
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Chailly
Chef du chœur : Alberto Malazzi
Chor des Bayerischen Rundfunks

Chef de chœur : Peter Dijkstra

Arnold Schönberg, Gurre-Lieder, pour solistes, chœur et orchestre
Waldemar : Andreas Schager
Tove : Camilla Nylund
Waldtaube : Okka von der Damerau
Bauer/Sprecher : Michael Volle
Klaus/Narr : Norbert Ernst

Concerts extraordinaires

Les concerts extraordinaires marquent un moment singulier ou célèbrent des anniversaires, et il y en a trois cette saison (Neuvième de Beethoven, Requiem de Verdi, Mort de Puccini). Ils donnent par exemple l’occasion de réunir Jonas Kaufmann et Anna Netrebko pour un ensemble d’extraits pucciniens rares, d’entendre une Alcina en version de concert et surtout The Fairy Queen en version semi-scénique chorégraphiée par Mourad Merzouki, avec Les Arts Florissants et William Christie. Pour le reste, entre une Neuvième de Beethoven et un Requiem de Verdi, le milanais a de quoi remplir son carnet de concerts, d’autant que la saison symphonique offre aussi le Requiem de Mozart et les Gurre-Lieder

 

1er décembre 2023
Jansen/Maiski/Argerich
Musiques de Chostakovitch et Tchaïkovski
Janine Jansen, violon
Misha Maiski, violoncelle
Martha Argerich, piano

23 décembre 2023
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Daniel Harding
L.v.Beethoven : Fantaisie en ut mineur op.80 pour piano, solistes, chœur et orchestre
Johannes Brahms : Symphonie n°2 en ré majeur op.36

Chef de chœur : Alberto Malazzi

 


8 février 2024
Les Musiciens du Louvre
Dir : Marc Minkowski

Georg Friedrich Haendel, Alcina, en version concertante
Alcina : Magdalena Kožená
Morgana : Erin Morley
Bradamante : Elizabeth Deshong
Ruggero : Anna Bonitatibus
Oronte : Valerio Contaldo
Melisso : Alex Rosen

 

29 avril 2024
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala
Dir : Marco Armiliato
Airs français de Donizetti, Meyerbeer, Rossini, Massenet, Gounod
Lisette Oropesa, soprano
Benjamin Bernheim, ténor

 

7 mai 2024

Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Riccardo Chailly
Pour le bicentenaire de la première exécution
L.v.Beethoven : Symphonie n°9 pour solistes, chœur et orchestre

Olga Bezsmertna, soprano, Wiebke Lehmkuhl, mezzosoprano
Benjamin Bruns, ténor, Markus Werba, baryton
Chef de chœur : Alberto Malazzi

23 mai 2024
Chiesa di San Marco
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Dir : Riccardo Chailly
Pour le 150e anniversaire de la première exécution, el 22 mai 1874 à la Chiesa di San Marco

Giuseppe Verdi : Messa da requiem pour solistes, chœur et orchestre
Marina Rebeka, soprano, Vasilisa Berzhanskaia, mezzosoprano
Freddie De Tommaso, ténor, Alexander Vinogradov, basse
Chef de chœur : Alberto Malazzi

30 juin 2024
Les Arts Florissants
Dir : William Christie
Henry Purcell : The Fairy Queen, version semi-scénique

Chorégraphie et mise en espace : Mourad Merzouki

29 novembre 2024
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants du Teatro alla Scala

Dir : Riccardo Chailly
Chef de chœur : Alberto Malazzi
Chef du chœur d’enfants : Bruno Casoni

Pour le centenaire de la mort de Giacomo Puccini
Anna Netrebko, soprano
Jonas Kaufmann, ténor

Programme

  • de Le villi
    “La tregenda” intermezzo symphonique
  • Requiem
    pour chœur mixte, alto et orgue
  • Crisantemi
    Version pour orchestre à cordes
  • de Madama Butterfly
    Acte II, Introduction
    pour chœur et orchestre
  • de Edgar
    Acte III, Prélude
    Requiem aeternam
    pour chœur, orchestre et chœur d’enfants
  • Preludio Sinfonico
  • de Manon Lescaut
    Intermezzo
    Acte IV

Concerts d’orchestres invités

Quatre prestigieuses phalanges de passage à Milan, dont on retiendra notamment le retour de Riccardo Muti à la tête du Chicago Symphony Orchestra dans un programme incluant même Philip Glass, et la présence d’ Esa-Pekka Salonen, très aimé à Milan, dans un programme Sibelius-Bartók. Une Passion selon saint Mathieu par Herreveghe et le Collegium vocale de Gand, et le Royal Concertgebouw dans un programme plus classique (Mozart Bruckner) dirigé par Myung-Whun Chung.

21 janvier 2024
Royal Concertgebouw Orchestra
Dir : Myung-Whun Chung

W.A.Mozart, concerto n°17 en sol majeur K 453 pour piano et orchestre
Emanuel Ax, piano
Anton Bruckner, Symphonie n°7 en mi majeur

27 janvier 2024
Chicago Symphony Orchestra
Dir : Riccardo Muti
Philip Glass, The Triumph of the Octagon
Igor Stravinski, Suite de L’Oiseau de feu (1919)
Richard Strauss, Aus Italien, fantaisie symphonique en sol majeur op.16

25 mars 2024
Collegium Vocale Gent
Dir : Philippe Herreveghe
Bach, Matthäus-Passion BWV 244

9 novembre 2024
Philharmonia Orchestra
Dir : Esa-Pekka Salonen
Jean Sibelius, Symphonie n°1 en mi min. op.39
Béla Bartók, Concerto pour orchestre

 

Récitals

Du côté des récitals, c’est le répertoire d’opéra qui est privilégié avec Flórez, Feola, Alagna pour son grand retour, plus diversifié avec Garanča et Oropesa, et la promesse d’une grande soirée de Lieder avec Christian Gerhaher dans un programme Brahms. On doit souligner qu’à un moment où cette forme n’est plus guère prisée en France (il fut un temps où de grandes stars donnaient des récitals à Garnier, mais cet heureux temps n’est plus), la Scala maintient la tradition, et la consolide, profitant quelquefois du passage des chanteurs à l’occasion d’une production.


18 décembre 2023
Juan Diego Flórez, ténor
Vincenzo Scalera, piano
Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi

5 février 2024
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano
Brahms

11 mars 2024
Elina Garanča, mezzosoprano
Malcom Martineau, piano
Brahms, Berlioz, Saint-Saëns, Gounod, Tchaïkovski, Rachmaninov, Chapí

24 mars 2024
Rosa Feola, soprano
Fabio Centanni, piano
Gluck, Mozart, Rossini, Donizetti, Verdi

19 mai 2024
Lisette Oropesa, soprano
Beatrice Benzi, piano
Mercadante, Bellini, Donizetti, Schubert, Rodrigo, Nin, De Falla, Sorozábal, Barbieri

24 juin 2024
Roberto Alagna, ténor
Jeff Cohen, piano
Wagner, Massenet, Verdi, Leoncavallo, Moniuszko, Tchaïkovski, Pergolesi, Saint-Saëns       


Grands pianistes à la Scala

La tradition, là encore, du grand récital de piano à la Scala (il y a aussi la salle alternative du Conservatoire Verdi qui en offre quelquefois). C’est à la Scala qu’à la grande époque Maurizio Pollini rencontrait régulièrement son public dont on espère que sa santé lui permettra d’assurer le concert prévu, c’est à la Scala que j’entendis pour une seule et unique fois Vladimir Horowitz. Les noms réunis allient les grandes stars (Trifonov, Pollini, Grimaud) et la nouvelle génération en phase de starification comme la magnifique Beatrice Rana et Alexandre Kantorow qui brûle les planches et les claviers.

31 janvier 2024
Daniil Trifonov

3 juin 2024
Hélène Grimaud

13 octobre 2024
Beatrice Rana

20 octobre 2024
Maurizio Pollini

19 novembre 2024
Alexandre Kantorow

Musique de chambre
Au grand Foyer « Arturo Toscanini » du Teatro alla Scala les dimanches à 11h

J’ai voulu m’attarder sur cette série de concerts déjà programmés la saison actuelle et qui me semblent déterminants à plusieurs niveaux.

  • D’abord, c’est évident, ces concerts mettent en valeur les membres de l’orchestre et du chœur et leur permettent de se confronter à des répertoires divers, tant la variété des programmes est marquée
  • L’horaire, le dimanche à 11 h, casse un peu les rituels d’un théâtre qui en a beaucoup et surtout la réponse très forte du public montre que l’offre a répondu à une demande.
  • Elle permet aussi à un prix très raisonnable (24€) d’accéder à la Scala pour un public peut-être moins habitué, et pour des concerts de grande qualité. C’est aussi un moyen d’élargir le public.
  • C’est ce type de manifestation qui permet de tisser des rapports avec la cité, avec le public potentiel, des rapports de fidélité (il y a onze concerts…) qui pourront amener les publics moins habitués aux concerts symphoniques (prix maximum 110€) ou aux récitals de chant (Prix maximum 60€) puis à l’opéra, plus sélectif (prix maximum s’échelonnant entre 250 et 300 € la place d’orchestre selon les titres).

10 décembre 2023
Quatuor à cordes du Teatro alla Scala
Beethoven
Francesco Manara, violon
Daniele Pascoletti, violon
Simonide Bracconi, alto
Massimo Polidori, violoncelle

21 janvier 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Brahms/Schumann
Francesco De Angelis, violon
Sandro Laffranchini, violoncelle
Roberto Paruzzo, piano

23 février 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Ravel / Fauré / Respighi

Indro Borreani, violon
Olga Zakharova, violon
Giuseppe Russo Rossi, alto
Julija Samsonova, mezzosoprano
Michele Gamba, piano

10 mars 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Mozart / Brahms

Alexia Tiberghien, violon
Evgenia Staneva, violon
Francesco Lattuada, alto
Carlo Maria Barato, alto
Simone Groppo, violoncelle

24 mars 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Halvorsen / Boccherini / Pergolesi

Enkeleida Sheshaj, violon
Andrea del Moro, violon
Elena Faccani, alto
Beatrice Pomarico, violoncelle
Attilio Corradini, contrebasse
Giorgio Martano, orgue positif

Barbara Rita Lavarian, soprano
Maria Miccoli, mezzosoprano

7 avril 2024
Percussionistes du Teatro alla Scala
Philip Glass

Gianni Massimo Arfacchia, Giuseppe Cacciola, Gerardo Capaldo, Francesco Muraca
Percussions

28 avril 2024
Choristes féminines du chœur du Teatro alla Scala
Brahms / Rheinberger / Andrès / Holst
Direction : Alberto Malazzi

Margherita Chiminelli, Critina Injeong Hwang, Cristina Sfondrini, Nadia Engheben, Srah Park, Silvia Spurzzola
Sopranos

Marzia Castellini, Alessandra Fratelli, Romina Tomasoni
Messosopranos
Eleonora Adigo, Maria Miccoli, Daniela Salvo
Contraltos

Giovanni Emanuele Urso, cor
Giulia Montorsi, cor
Luisa Prandina, harpe

19 mai 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Mozart, Beethoven
Laura Marzadori, violon
Eugenio Silvestri, alto
Martina Lopez, violoncelle

22 septembre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Poulenc / Verdi / Puccini
Giovanni Emanuele Urso, cor
Marco Toro, trompette
Daniele Morandini, trombone
Nelson Calzi, piano

20 octobre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Strauss / Zemlinsky / Korngold

Agnese Ferraro, violon
Lucia Zanoni, violon
Duccio Beluffi, alto
Joel Imperial, alto
Gianluca Muzzolon, violoncelle
Beatrice Pomarico, violoncelle

10 novembre 2024
Musiciens de l’orchestre du Teatro alla Scala
Schubert / Brahms / Bottesini
Giuseppe Ettorre, contrebasse
Pierluigi Di Tella, piano

17 novembre 2024
Quatuor à cordes du Teatro alla Scala
Beethoven
Francesco Manara, violon
Daniele Pascoletti, violon
Simonide Bracconi, alto
Massimo Polidori, violoncelle

Pour les enfants
La Scala a toujours eu une vraie tradition de relation au public enfantin et avec les écoles, dont jadis le responsable fut une figure historique du théâtre d’une exceptionnelle longévité.
La programmation pour les enfants s’est désormais très étoffée, avec une offre double,

1) des opéras pour enfants (prix maxi : 48€ mais 1€ pour les moins de 18 ans)

27 octobre 2023 : Il piccolo principe (Le petit Prince ) de Pierangelo Valtinoni, (MeS Polly Graham)

11 février 2024 : Il piccolo Spazzacamino (Le petit ramoneur) de Benjamin Britten (MeS Lorenza Cantini)

Outre ces deux représentations, d’autres sont organisées pour public captif (écoles etc…)

2)  des concerts animés et commentés (prix maxi : 18 € mais 1€ pour les moins de 18 ans) avec une programmation thématisée (par exemple, autour de Vivaldi et d’Arlequin pour le premier concert du 28 janvier 2024), sous la responsabilité de Mario Acampa, aussi chargé de la mise en scène du Cappello di Paglia di Firenze de Nino Rota, spectacle de l’Accademia (Septembre 2024) pendant la saison lyrique.
Cette année, la saison des concerts pour les enfants ouvrira le 20 octobre 2023 par un concert exceptionnel des sœurs Katia et Marielle Labèque (au progr. Saint-Saëns, Carnaval des animaux, Ravel, Ma mère l’Oye) (prix maxi : 48€ mais 1€ pour les moins de 18 ans)

À noter que toutes les représentations ont lieu dans la grande salle de la Scala, la salle de Piermarini, ce qui pour un très jeune public, constitue un souvenir sans doute très fort.

Conclusion
J’ai voulu cette année proposer un panorama à peu près complet de toutes les activités du Teatro alla Scala, dont le statut à Milan est un peu particulier puisqu’il porte à la fois la saison lyrique et de ballet, mais aussi une large part de la programmation symphonique de la cité, dont le reste se divise entre plusieurs institutions moins puissantes.
Les saisons symphoniques sont toujours attirantes et variées, et celle-ci ne fait pas exception, mais la saison lyrique est passée à une vitesse supérieure, non pas tant par les distributions, la plupart du temps soignées, mais par les chefs puisqu’on annonce la présence des deux plus grands chefs opérant en Allemagne, Kirill Petrenko et Christian Thielemann, mais aussi d’Aiain Altinoglu pour la première fois à la Scala, ou Daniel Harding et Lorenzo Viotti, aimé du public milanais, le prometteur Thomas Guggeis, sans oublier Michele Mariotti, directeur musical à Rome, et évidemment Riccardo Chailly qui outre les deux opéras, dirigera un certain nombre de grands concerts.
J’ai suffisamment commenté les saisons précédentes avec amertume pour saluer celle-ci, qui fait très envie musicalement par la variété des œuvres et la qualité des interprètes.
Il reste la question des mises en scène, où l’imagination semble s’être arrêtée au seuil du théâtre.

Certes le public milanais est conservateur – comme est frileuse toute l’Italie face au théâtre et à la mise en scène, oubliant qu’elle a produit Visconti, Strehler, Ronconi ou qu’elle produit encore Castellucci dans le monde entier (moins en Italie), Pippo Delbono et Emma Dante.

Certes Dominique Meyer affiche une attitude résolument rétrograde en la matière, une posture longuement construite, et dommageable dans la mesure où sans appeler tout le Regietheater de la terre ou ce qu’il en reste, quelques noms d’aujourd’hui pourraient donner de la couleur à un paysage terne, au mieux sage et élégant (Irina Brook, Daniele Abbado, Mario Martone – pour une reprise), comme si la mise en scène n’avait rien à dire des œuvres : Mc Vicar dans le Ring « fa ridere i polli » (comme on dit en Italie). Certes enfin, Christof Loy fera Werther, ce qui est intéressant, certes, le regretté Harry Kupfer se rappellera à nous pour Rosenkavalier, tout comme Giorgio Strehler pour Entführung aus dem Serail, mais le public milanais a aussi droit au présent du théâtre.

Chez les metteurs en scène italiens, Francesco Micheli mériterait par exemple d’être appelé, et dans l’ailleurs scénique inconnu des théâtres italiens, un Barrie Kosky – qui est un véritable homme de théâtre à qui l’on doit tant de grandes productions très éloignées du Regietheater – ou même un David Bösch, qui signe le meilleur Elisir d’amore sur une scène d’opéra (à Munich), voire un Simon McBurney seraient aussi possibles sans effaroucher ni décoiffer le public scaligère. Ils feraient sans doute mieux que le Davide Livermore des familles.
Mais la saison prochaine, malgré tout, on tâchera d’aller souvent revoir Milan….

Die Entführung aus dem Serail , Mise en scène Giorgio Strehler © Teatro alla Scala Milano

LA SAISON 2023-2024 de l’OPÉRA NATIONAL DE LYON

Visiblement les temps sont durs à l’Opéra de Lyon. D’abord, on ne peut dire que la municipalité soutienne son Opéra National. On se souvient qu’un des premiers signes de ce soutien fut d’amputer brutalement le budget de l’institution. Un opéra n’est-ce pas, non seulement ça coûte cher, c’est réservé à un public réduit et friqué, et c’est un lieu de culture, donc a priori suspect.
Le contexte local est vraiment brumeux, outre la Mairie, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a une politique culturelle proche de l’encéphalogramme plat, et dans l’ensemble le paysage lyrique y est sinistré, entre Clermont-Auvergne Opéra et l’Opéra de Saint Etienne qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, c’est-à-dire pas grand-chose, en l’absence totale de politique régionale concertée ou simplement réfléchie.
Quant à Grenoble, métropole à la vraie tradition culturelle, son activité en matière d’opéra est proche du zéro absolu. Il y a bien sûr Genève, à la politique plus ambitieuse, mais aux tarifs inaccessibles.
Le paysage est sinistré dans la région la plus riche de France après l’Île de France, qui en dit long aussi sur les politiques publiques en matière de lyrique. J’utilise le mot politique, je devrais dire a-politique publique, tant le Ministère de la Culture évite bien soigneusement d’appliquer une politique (il n’en a pas, puisque qu’au plus haut de l’État on s’en moque) préférant gérer ce qui existe sans autre ambition (un mot qui a disparu depuis longtemps rue de Valois) qu’un statu quo. Et en matière de lyrique, malgré les efforts des uns et des autres, c’est un paysage dévasté, parce que le modèle n’est plus adapté.

L’Opéra National de Lyon a longtemps fait figure de leader et de modèle, avec l’Opéra National du Rhin et aussi le Capitole de Toulouse, qui affichent une politique musicale ambitieuse.
Or, coup sur coup, les grèves récentes ont massacré la programmation prévue du Festival 2023, puisque les annulations se sont succédé (y compris trois heures avant le lever de rideau pour l’ouverture du Festival) et un récent communiqué de presse annonce des resserrements budgétaires pour ces derniers mois de saison et la suppression d’une production (avec sans doute les frais d’annulation afférents).
Serge Dorny bénéficiait d’autres temps et d’un soutien sans failles de la municipalité, son successeur Richard Brunel au profil très différent (ce n’est pas du tout un spécialiste du lyrique) n’a pas vu ses débuts facilités et se trouve donc à la peine.
Dans ce contexte a été annoncée la saison 2023-2024 au profil singulier.

Sur les dix productions prévues, on compte deux reprises (Barbe-Bleue d’Offenbach et Brundibár de Hans Krása), une production Dorny qui a été victime de la pandémie (Béatrice et Bénédict de Berlioz), une production venue d’ailleurs (Elias) et pour le reste, quatre productions assez lourdes (cumuler en une saison Die Frau ohne Schatten, La Fanciulla del West, La Dame de Pique et même l’Affaire Makropoulos apparaît un défi, notamment pour l’orchestre).
Au-delà des productions et des distributions, la saison nous semble singulièrement déséquilibrée et lourde pour une salle de 1100 places. Un seul exemple, ouvrir sur Die Frau ohne Schatten jamais joué à Lyon peut sembler une excellente idée, mais où va-t-on mettre les musiciens (rappelons qu’ils n’entraient pas en fosse pour Elektra, sauvée par la mise en scène de Ruth Berghaus qui mettait l’orchestre sur scène) sans réduire l’effectif, ce qui pour cet opéra est non seulement une trahison, mais aussi une absurdité. Femme pour Femme et Strauss pour Strauss, il eût été bien plus intelligent et raffiné d’afficher Die schweigsame Frau (la Femme silencieuse) dont la création en France a eu lieu justement à Lyon (qui s’en souvient ?) et qu’on représente peu (ou pas), plus facile à distribuer et plus adaptée à l’orchestre et à la salle de Lyon et surtout à une tradition de cette maison qui affichait des titres que les autres n’osaient pas, et pas seulement depuis Dorny mais depuis des décennies. Au lieu de ça, on n’a guère que des titres certes séduisants pris un à un, mais sans ligne d’ensemble. Certes, deux titres n’ont jamais été joués à Lyon (Fanciulla del West et Frau ohne Schatten) est-ce une raison pour les afficher la même saison ? Et quand on lit çà et là qu’il s’agit de raretés, on rit sous cape, vu que ce sont des titres joués dans la plupart des grandes salles européennes.

Une saison comme celle de Lyon doit se composer d’une alternance de titres de formats différents, avec une recherche minimale de raffinement, et une ligne, une vraie ligne, et pas un fourre-tout : pour l’intelligence et l’équilibre de la programmation, nous n’y sommes pas.

Octobre 2023
Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten
6 repr. du 17 au 31 octobre – (Dir.Mus : Daniele Rustioni/MeS : Mariusz Trelinski )
Avec Vincent Wolfsteiner, Sara Jakubiak, Josef Wagner, Ambur Braid, Lindsay Ammann etc…

On peut admettre que dans une salle aux dimensions moyennes, on n’ait pas besoin de voix immenses, mais la distribution ne fait pas trop rêver. Sara Jakubiak dans l’impératrice, soit mais elle n’est même pas convaincante en Eva de Meistersinger. Vincent Wolfsteiner est souvent appelé pour remplacer les ténors dramatiques souffrants sur les grandes scènes allemandes et j’attends d’entendre Lindsay Ammann en Nourrice qui n’a pas vraiment le format…
Certes, cela va permettre à Daniele Rustioni d’aborder un répertoire qui ne lui est pas familier, en commençant cependant par l’Everest avant le Mont Blanc, et un orchestre qui va découvrir les mille et mille pièges et raffinements de l’œuvre.
Le tout dans une mise en scène de Mariusz Treliński, dont les spectacles vus n’ont jamais convaincus, ni à Aix (L’Ange de Feu tape à l’œil et inutile), ni à Baden Baden (Tristan lourd et sans âme).
Puisque la représentation concertante est Adriana Lecouvreur, il eût été plus facile de distribuer une production d’Adriana Lecouvreur, jamais jouée à Lyon non plus, et de réserver Frau ohne Schatten à la version concertante, ce qui aurait aussi permis une distribution plus convaincante parce que moins chère sur une seule représentation, ou encore de se transférer pour cette série à l’Auditorium,  plus apte à accueillir un large orchestre. La salle avait servi de lieu de repli à l’Opéra pendant la construction de l’Opéra Nouvel (avec des représentations scéniques et non concertantes).

À part la légitime curiosité que m’inspire la direction de Daniele Rustioni, que j’estime beaucoup, il n’y a pas grand-chose à tirer de ce projet à mon avis

Décembre 2023 – Janvier 2024
Félix Mendelssohn : Elias
6 repr. du 17 décembre 2023 au 1er janvier 2024 – (Dir.Mus : Constantin Trinks/MeS : Calixto Bieito )
Avec : Derek Welton, Kai Rüütel-Pajula, Beth Taylor etc
Production du Musiktheater an der Wien (2019)…
Reprise d’une production vue au Theater an der Wien en 2019, qui bénéficiait de Christian Gerhaher en Elias…
Ici Elias sera Derek Welton, excellent baryton en troupe à la Deutsche Oper Berlin, où il est le Wotan du Ring de Stefan Herheim et qu’on a vu en Klingsor à Bayreuth. Aura-t-il l’intériorité et la puissance du prophète, voix de Dieu ? À voir…
En fosse, Constantin Trinks, l’un des très bons chefs de fosse en Allemagne, ce qui devrait être une garantie de qualité. Quant à Calixto Bieito, qualifié par la bonne presse aux ordres de « provocateur », il y a des années qu’il est rentré dans le rang des grands metteurs en scène, sans provocation particulière.

Janvier-Février 2024
Jacques Offenbach : Barbe Bleue
8 repr. du 24 janv. au 4 fév. – (Dir.Mus : James Hendry/MeS : Laurent Pelly )
Avec : Florian Laconi, Christophe Mortagne, Jérémy Duffau, Héloïse Mas, Jennifer Courcier etc…

On aurait plutôt pensé voir reprise cette production souriante de Laurent Pelly pour les fêtes de Noël et réserver Elias au mois de janvier. On aura plaisir à revoir la production lyonnaise et surtout Christophe Mortagne, Héloïse Mas, Jennifer Courcier, survivants de la production de juin 2019. Et on aura plaisir à entendre Florian Laconi. Mais pourquoi diable aller chercher un chef britannique à Hanovre (sans doute valeureux) quand dans ce répertoire on pouvait offrir le pupitre à un jeune chef français ou rappeler Michele Spotti qui a pris beaucoup de bouteille depuis 2019 et qui aurait sans doute pu montrer une direction plus mûrie qu’alors.

 

Mars-Avril 2024
Festival « Rebattre les cartes »

L’expérience apprend que la recherche d’un thème n’est pas forcément chose facile et dépend d’abord, comme l’œuf et la poule, de ce qu’on décide initialement, les œuvres à jouer ou le thème à illustrer.

Quelle que soit la démarche (choix du thème ou choix des œuvres), dans le cas d’un théâtre comme Lyon, qui n’est pas habitué à une alternance serrée de plusieurs titres il s’agit de trouver un équilibre pour assurer aux forces de la maison un confort de travail et une organisation optimale en une période dense. Depuis des années à Lyon la voie choisie était une œuvre lourde avec chœur et orchestre conséquents, une œuvre requérant une distribution plus légère, ou ne demandant pas de chœur important, la troisième œuvre étant décentrée dans un autre théâtre et libérant les forces de l’opéra (Villeurbanne, Croix Rousse).
Avec deux œuvres aussi importantes en effectifs que Fanciulla del West qui demande masses chorales et distribution lourdes (et qui en plus n’a jamais été jouée à Lyon et nécessite pour le chœur un travail d’apprentissage) et Dame de Pique qui n’exige pas moins de participants (certes jouée à Lyon plusieurs fois, mais pour la dernière fois il y a plus de quinze ans…), il semble donc qu’on ait trouvé un mode d’organisation qui ne surcharge pas la maison. Tant mieux.
Il reste que dans la palette subtile que doit être une programmation, ce sont deux grosses machines, certes susceptibles d’amener du public, mais dont la motivation thématique semble fragile. Derrière « rebattre les cartes » on pense évidemment au deuxième acte de Fanciulla et à Dame de Pïque, dont le titre même est indicateur, mais en lisant le texte du programme, se profile derrière ce titre l’idée de femmes qui décident de leur destin, qui convient à Fanciulla, ou à Otages, la création mondiale. Pour Dame de Pique, les arguments développés dans la brochure paraissent bien faibles, à la limite du risible, et montrent aussi par quel jeu d’équilibriste on a essayé de faire rentrer un thème à travers ces choix d’œuvres. Pas très pensé tout cela.

Peut-être serait-il aussi le moment de revoir le format du Festival de Printemps et ses objectifs, pour accueillir un nouveau concept plus conforme aux ambitions et aux moyens actuels du théâtre.
 

Giacomo Puccini : La Fanciulla del West
7 repr. du 15 mars au 2 avril – (Dir.Mus : Daniele Rustioni/MeS : Barbara Wysocka )
Avec : Chiara Isotton, Riccardo Massi, Claudio Sgura etc…

Avec Barbara Wysocka que Lyon aura découverte par la Katia Kabanova de la saison 2022-2023, on a la garantie d’une metteuse en scène qui a des idées et assez rigoureuse. D’elle on connaît notamment Lucia di Lammermoor à Munich, un travail suffisamment réussi et solide pour traverser des années de répertoire et être encore joué régulièrement.
Chiara Isotton est une voix qu’on commence à entendre dans les grands rôles pucciniens en Italie (Tosca par exemple) et l’espace relativement contenu de la salle de l’Opéra de Lyon devrait permettre de mieux se rendre compte des possibilités de cette voix qui il n’y a pas si longtemps était à l’Académie du Teatro alla Scala. À ses côtés en Dick Johnson Riccardo Massi, qu’on commence à voir un peu partout notamment dans des rôles véristes (mais il sera Manrico de Trovatore à Parme pour le Festival Verdi 2023) et Claudio Sgura dans Jack Rance qu’il promène un peu partout avec succès.
En fosse Daniele Rustioni qu’on a pu entendre à Munich dirigeant de manière flamboyante cette œuvre avec un immense succès (avec Kaufmann en Dick Johnson).


P.I.Tchaïkovski : La Dame de Pique (
Пиковая дама)
7 repr. du 16 mars au 3 avril – (Dir.Mus : Daniele Rustioni/MeS :Timofei Kouliabine)
Avec : Elena Guseva, Najmiddin Mavlianov, Elena Zaremba, Konstantin Shushakov etc…
Belle distribution pour cette production de Dame de Pique avec Elena Guseva, bien connue à Lyon depuis Tosca et L’enchanteresse, Najmiddin Mavlianov en Hermann ne devrait pas décevoir, non plus qu’Elena Zaremba en comtesse.
En fosse, de nouveau Daniele Rustioni, aussi présent en 2023 qu’il était absent au Festival 2022, dans un répertoire qu’il connaît bien, pour avoir été dans ses jeunes années à Saint Petersbourg.
La mise en scène est confiée à Timofei Kouliabine, un jeune metteur en scène russe dont on a vu un Rigoletto à Wuppertal, et qui est aussi passé par la Comédie de Valence (mais aussi par le Festival d’Automne et par Genève) au temps où Richard Brunel la dirigeait (Trois sœurs, en langue des signes russe son spectacle le plus connu aujourd’hui). Il est toujours intéressant de découvrir la vigueur de la scène russe dont plusieurs des représentants sont aujourd’hui des stars en Europe occidentale (Tcherniakov, Serebrennikov, Titov) d’autant que la précédente production lyonnaise confiée à Peter Stein, n’avait pas frappé par son originalité ni son génie.

Sebastian Rivas : Otages
6 repr. du 17 au 23 mars – (Dir.Mus : Rut Schereiner /MeS : Richard
Avec : Nicola Beller Carbone
Brunel)(Au théâtre de la Croix Rousse)

C’est l’occasion de découvrir la cheffe Rut Schereiner, née en Argentine, mais qui travaille essentiellement en France, notamment dans le répertoire contemporain, dans une création mondiale du compositeur Sebastian Rivas, né en France aux racines argentines, co-directeur du GRAME-Générateur de Ressources et d’Activités Musicales Exploratoires, installé à Villeurbanne qui est l’un des groupes les plus actifs en matière de recherche musicale. C’est l’occasion de valoriser cette structure (en co-production dans le cadre de la BIME/Biennale internationale des musiques exploratoires) à travers l’un de ses animateurs, qui plus est auteur de plusieurs œuvres scéniques.
C’est Richard Brunel qui assurera la mise en scène, il a en effet déjà monté le texte de Nadia Bouraoui sur lequel s’appuie cette création.
Nicola Beller-Carbone interprétera Sylvie Meyer qui « consent 53 ans durant à l’ordre dans le quel elle est née, jusqu’à une nuit où elle fiche tout en l’air »

Mai 2024
Hector Berlioz : Béatrice et Benedict
7 repr. du 12 au 24 mai – (Dir.Mus : Johannes Debus / MeS : Damiano Michieletto)
Avec : Cecilia Molinari, Robert Lewis, Giulia Scopelliti etc…

C’était l’une des productions victimes de la Pandémie, jouée et enregistrée sans public en Décembre 2020 sous la direction de Daniele Rustioni avec Julien Behr, Ilse Eerens, Michele Losier, Eve-Maud Hubeaux, c’est-à-dire une solide distribution pour une production prévue pour les fêtes.
Il fallait bien reproposer la production, mais cette fois-ci en version apparemment redimensionnée, avec une distribution moins ambitieuse essentiellement adossée aux artistes du Studio à l’exception de Cecilia Molinari, belle artiste qui reprend le rôle de Michèle Losier et à la place de Daniele Rustioni en fosse, Johannes Debus, excellent chef allemand directeur musical de la Canadian Opera Company de Toronto.
La production de Damiano Michieletto que j’ai eu la chance de voir en décembre 2020 en salle, sa première à Lyon, insiste sur des images poétiques dans une sorte de boite à malices musicales.

 

Hans Krása : Brundibar
(Oullins) 3 repr. du 22 au 25 mai
(Saint Priest) 2 repr. du 31 mai au 1er juin
(Dir.Mus : Clément Lonca/ MeS : Jeanne Candel)
Avec : NN
Au théâtre de la Renaissance (Oullins) et au Théâtre Théo Argence (Saint Priest)

Dans une saison sans opéra itinérant ni trop d’opérations hors les murs, pour des raisons de restrictions budgétaires (merci la Mairie de Lyon), c’est une opération qui reprend une production Dorny dans l’Hinterland lyonnais de cet opéra pour enfants de 1938 joué clandestinement d’abord à Prague en 1942 puis au camp de Theresienstadt. La plupart des protagonistes périrent à Auschwitz. Au pupitre le jeune chef lyonnais Clément Lonca, qui a été plusieurs fois assistant à l’Opéra de Lyon et qui est à l’orée d’une carrière de chef d’orchestre qui s’annonce bien.

 

Leoš Janáček, L’Affaire Makropoulos (Vec Makropoulos)
6 repr. du 14 au 24 juin – (Dir.Mus : Alexander Joel/MeS : Richard Brunel)
Avec : Ausriné Stundyté, Peter Hoare, Károly Szemerédy etc…
Distribution intéressante dominée par la grande Ausriné Stundyté et c’est une immense chance pour Lyon de l’entendre en Emilia Marty dans ce qui est l’un des chefs d’œuvres de Janáček, joué à Lyon en 2005 (Mise en scène Nikolaus Lehnhoff).
On peut en revanche douter de la pertinence du choix d’Alexander Joel, chef de répertoire qui n’a jamais brillé pour son originalité. Pour Janáček, c’est d’abord le chef qu’il faut choisir car c’est un répertoire où l’orchestre est déterminant et dans ce cas précis il semble que ce soit une solution de repli. Pour une œuvre aussi importante, c’est plutôt dommage.
La mise en scène sera assurée par Richard Brunel.

Opéra en concert
3 décembre 2023

Francesco Cilea : Adriana Lecouvreur
Dir.Mus : Daniele Rustioni
Avec : Elena Stikhina, Brian Jagde, Misha Kiria, Clementine Margaine etc…
(Auditorium Maurice Ravel, Lyon)
Au TCE (Paris) le 5 décembre 2023

Adriana Lecouvreur est une de ces œuvres que se réservent les stars, la première fut Magda Olivero, impériale, qui en fit son cheval de bataille et l’enregistra même à l’âge de 82 ans… Mais Freni le chanta à la Scala où elle fit crouler la salle et ce fut sa dernière apparition à Paris dans le tout nouvel Opéra-Bastille, au début des années 1990 dans une série de représentations triomphales.
C’est Elena Stikhina qui sera Adriana, comme elle est Aida ailleurs ou Médée (de Cherubini) à Salzbourg. C’est la « grande » voix qui fait tout un peu partout, quelquefois très bien (Lisa à Baden-Baden) quelquefois très mal (Médée à Salzbourg) mais elle plaît aux managers d’opéra, notamment ceux qui sont loin de ce répertoire. Mais souhaitons avoir une belle surprise.
Brian Jagde sera Maurizio di Sassonia, timbre claironnant et artiste à la fois passe partout et fade, qui peut quelquefois faire bien, on se repliera plutôt sur Misha Kiria, jeune baryton très valeureux, en Michonnet, et surtout Clémentine Margaine, superbe mezzo, idéale princesse de Bouillon.

Et puis Daniele Rustioni fera vibrer ce répertoire mal connu en France, dont c’est la première audition à Lyon.

 

Programmation d’appui

À la programmation lyrique qui nous intéresse pour l’essentiel, s’ajoute celle du ballet de Lyon qui a trouvé un titulaire (Cédric Andrieux vient d’en prendre la direction) dans une ville où la danse est très importante, et de nombreux concerts divers, présentant le Studio et ses jeunes chanteurs qui y sont attachés pour deux ans, des concerts de musique de chambre, des récitals de solistes (Renaud Capuçon, violon, Jean-Marc Luisada, piano, Mao Fujita, piano, Kit Armstrong, piano, Alexander Malofeev, piano, Anne Gastinel et Claire Désert en concert violoncelle et piano) et surtout des concerts symphoniques qui marquent le 40ème anniversaire de l’orchestre.

 

 

Concerts symphoniques

À l’instar de celui de Munich qui fête ses 500 ans en invitant ses anciens chefs, L’orchestre de Lyon affiche trois de ses directeurs musicaux, Daniele Rustioni, Kent Nagano, Kazushi Ono (il reste dans la liste Louis Langrée, Ivan Fischer et surtout le premier d’entre eux, John Eliot Gardiner qu’on eût souhaité revoir à cette occasion)

Quatre concerts sont donc programmés :

Orchestre de l’Opéra National de Lyon
Direction : Daniele Rustioni

Le 24 août 2023 au Festival de la Chaise Dieu
Programme :
Mendelssohn, concerto pour violon op.64 (Soliste Francesca Dego)
Wagner, le Ring sans paroles (arrangement de Lorin Maazel)

Le 15 septembre 2023 à l’Opéra de Lyon

Programme :  Les ballets de Tchaïkovski, suites de ballets

 

Direction : Kent Nagano
Le 26 Novembre 2023 à l’Opéra de Lyon
Programme :
L.v.Beethoven
Ouverture Egmont
Ah ! Perfido (Soprano Nicole Car)
Symphonie n°3, Eroica

Direction : Kazushi Ono
Le 12 janvier 2024 à la MC2 Grenoble
Le 13 Janvier 2024 à l’Opéra de Lyon
Le 14 janvier 2024 à l’Auditorium de Dijon

Programme :
Ravel, Le Tombeau de Couperin
Chausson, Poème pour violon et orchestre (violon, Kazimierz Olechowski)
Prokofiev, Roméo et Juliette (Suite)

Enfin un concert du Réveillon aura lieuLe 31 décembre 2023
Au programme non pas les Strauss mais Franz Lehár et Emmerich Kálmán, avec les solistes du studio, ce qui est une excellente idée.
Direction :  Constantin Trinks

Conclusion :
Dans les difficultés que traverse l’opéra en France aujourd’hui, la saison lyonnaise, si elle est exécutée sans accidents, s’annonce tout de même l’une des meilleures qu’on puisse trouver en métropole, malgré les points discutables qu’on y a relevés çà et là.
Après la saison 2022 commencée par un Tannhäuser correct, un Candide discutable et un Moïse et Pharaon anthologique, qui s’est ensuite heurtée à tous les problèmes possibles qui ont gâché le Festival réduit à l’os par les grèves et contraint à la suppression d’une production pour raison financières, on souhaite une saison 2023 plus apaisée.
Mais il faudra tout de même que s’y définisse une politique artistique à la colonne vertébrale plus solide, que la Mairie de Lyon se décide à dire ce qu’elle veut faire vraiment de son opéra, qui semble être un boulet à traîner, et plus généralement que l’État se décide à revoir la situation de l’art lyrique en région et ne pratique pas la politique de l’autruche : il n’est ni normal ni même admissible que la deuxième salle d’opéra de France ait vu sa saison actuelle gâchée par une conspiration de fées carabosses sans que l’État n’ait levé le moindre petit doigt.

 

LA SAISON 2023-2024 de L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS

 

C’est la troisième saison d’Alexander Neef à Paris. Cela signifie que désormais un certain nombre de points sont repérables dans sa politique, tant au niveau du répertoire que des distributions.

La maison n’est pas facile, on le sait pour des raisons qui tiennent à son gigantisme, avec ses deux théâtres là où un seul suffirait à n’importe quelle capitale, son corps de ballet pléthorique qui n’a pas vécu des jours si heureux ces dernières années, un public assez peu ouvert et un État qui traine l’institution comme un boulet. À tout cela s’ajoutent les déficits qu’il faut combler depuis le Covid et les grèves.
Visiblement Alexander Neef est un homme discret et résiliant, qui ne s’étale pas dans les médias et qui semble faire régner à l’intérieur de l’institution une ambiance plutôt apaisée, ce qui, compte tenu de l’histoire de la maison, est tout à son avantage.

Les difficultés inhérentes à l’Opéra de Paris ces dernières années n’ont pas vraiment suscité des saisons attirantes, quelques perles sur un tas d’ennui. La Saison 2023-2024 est plus riche de promesses, tant sur le lyrique que sur le ballet, dirigé désormais par José Martinez après l’heureux départ d’Aurélie Dupont.

 

Le lyrique

 

20 productions se divisant comme suit :

8 Nouvelles productions :

  • Adès : The exterminating Angel
  • Bellini: Beatrice di Tenda
  • A. Charpentier : Médée
  • Massenet : Don Quichotte
  • Mozart : Don Giovanni
  • Spontini: La Vestale
  • Wagner: Lohengrin
  • Weill : Street scene (Scène de rue)

12 Reprises :

  • Cilea: Adriana Lecouvreur
  • Donizetti : Don Pasquale
  • Haendel : Giulio Cesare
  • Janaček : L’Affaire Makropoulos
  • Massenet : Cendrillon
  • Mozart : Cosi fan tutte
  • Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
  • Puccini : Turandot
  • Ravel : Ma mère L’Oye/L’enfant et les Sortilèges
  • Strauss (R) : Salomé
  • Verdi : Simon Boccanegra
  • Verdi : La Traviata

6 ouvrages en français, 9 en italien, 2 en anglais, 1 en tchèque, 2 en allemand
Parmi eux quatre appartiennent au répertoire des XVIIe et XVIIIe, 9 au XIXe siècle, et quatre au XXe siècle. Prudemment Alexander Neef ne va pas au-delà de 1947 (Street Scene).
Il s’agit de conjuguer goûts du public et une variété suffisante dans la programmation pour défendre une valence culturelle que cette maison doit défendre. Il semble que ce soit assez réussi.

 

NOUVELLES PRODUCTIONS

Septembre-octobre 2023
W.A.Mozart, Don Giovanni
13 repr. du 13 sept au 12 oct – Dir : Alexander Soddy/MeS : Claus Guth
Avec Peter Mattei (A) / Kyle Ketelsen (B) Adela Zaharia (A) / Julia Kleiter(B), Ben Bliss(A) / Cyrille(B)Dubois, John Relyea, Gaelle Arquez(A) / Tara Erraught(B),,Alex Esposito(A)  / Bogdan Talos(B), Guilhem Worms, Ying Fang / Marine Chagnon
Opéra-Bastille

L’Opéra de Paris avait une production de l’époque Mortier tout à fait remarquable qui pouvait durer des années, celle de Michael Haneke crée en 2006. Inexplicablement Stéphane Lissner a voulu une nouvelle production, signée Ivo van Hove, sans aucun intérêt sinon catastrophique en 2019.
Alors Alexander Neef propose une nouvelle production qui n’a de nouvelle que de nom puisqu’elle a été créée à Salzbourg en 2008, c’est-à-dire à peu près contemporaine de celle de Haneke. Signe particulier : c’est sans doute la meilleure production de Don Giovanni qu’on ait fait depuis une vingtaine d’années. Et quand on sait combien l’opéra des opéras est difficile à mettre en scène…
Toutefois, c’est une production qui faisait son effet dans une plus petite salle (au Haus für Mozart de Salzbourg ), ici proposée sur l’immense plateau de Bastille, ce qui laisse supposer qu’elle sera revue.
Musicalement on entendra en fosse Alexander Soddy, le chef britannique qui a fait l’essentiel de sa carrière en Allemagne et Autriche et qui jusqu’à 2022 a été directeur musical au Nationatheater de Mannheim, une baguette dont on dit grand bien.

Et sur scène deux distributions l’une (A) dominée par le couple Peter Mattei/Alex Esposito avec des voix jeunes et intéressantes (Adela Zaharia, Ben Bliss), l’autre par le Don Giovanni de Kyle Ketelsen entouré de Cyrille Dubois, Tara Erraught, Julia Kleiter. Ce qui n’est pas mal non plus. À noter que Peter Mattei était déjà Don Giovanni en 2006 avec Haneke, il y a 17 ans… La mise en scène de Guth devrait fonctionner avec ce Don Giovanni plus mûr…
Aucune hésitation, il faut y courir même si on peut supposer qu’une certaine partie du public recevra l’arrêt d‘autobus de Claus Guth avec des huées, mais à Paris, le bon goût et l’intelligence se font toujours entendre.

Richard Wagner, Lohengrin
9 repr. du 23 sept au 27 oct – Dir : Gustavo Dudamel/ MeS : Kirill Serebrennikov
Avec Piotr Beczala, Johanni van Oostrum / Sinead Campbell Wallace,
Kwangchul Youn, Wolfgang Koch, Nina Stemme/ Ekaterina Gubanova, Shen Yang
Opéra-Bastille
On ne chôme pas à Paris en automne, deux premières d’importance en septembre, il est vrai que l’usine à productions qu’est Bastille le permet.
Deuxième incursion wagnérienne du directeur musical Gustavo Dudamel après un Tristan diversement accueilli. Wait and see. Après avoir traité du papa Parsifal à Vienne dans une production qui a marqué, Kirill Serebrennikov, désormais exilé en Europe occidentale s’occupe de Lohengrin, le fils. Évidemment, c’est une production qu’on ratera difficilement, même si la production de Claus Guth, coproduite avec la Scala, était une grande mise en scène et pouvait être reprise, mais deux fois Claus Guth dans le même mois, c’est sans doute dangereux pour les accidents cardiaques de certains. Il n’est pas sûr que Kirill Serebrennikov les rassérène…
Distribution très solide, avec le Lohengrin n°2 (le n°1, c’est Vogt) des scènes lyriques, Piotr Beczala, belle voix, beau contrôle, mais pas très vibrant. Plus vibrante à prévoir la Elsa de Johanni van Oostrum qui a triomphé à Munich cette saison, en alternance avec l’irlandaise Sinéad Campbell-Wallace, avec par ailleurs Wolfgang Koch et Nina Stemme (en alternance avec Ekaterina Gubanova) dans Telramund/Ortrud. Du très haut niveau, du référentiel, et tout le monde viendra car c’est immanquable.

 

Février-mars 2024
Vincenzo Bellini, Beatrice di Tenda

8 repr. du 9 fév au 7 mars. – Dir : Mark Wigglesworth/MeS : Peter Sellars
Avec Quinn Kelsey, Tamara Wilson, J’Nai Bridges, Pene Pati, Amitai Pati.
Opéra-Bastille
Une excellente idée que d’exhumer Beatrice di Tenda de Bellini, qui entre au répertoire de l’Opéra de Paris, et qui n’eut aucun succès à la création à Venise en 1833. Pour célébrer l’événement on fait appel à Peter Sellars, un nom légendaire qui peut encore étonner (voir sa Clemenza di Tito salzbourgeoise). Sans préjuger de la qualité de la distribution, je déplore profondément que le tropisme désespérément anglo-saxon du casting-management parisien n’ait pas trouvé un chef italien pour diriger cette œuvre, il y en a, et d’excellents, mais visiblement, ils ne s’y intéressent pas à Paris, et la distribution est du même acabit, avec Tamara Wilson, grande voix pas trop belcantiste (mais puisqu’on chante le bel canto comme Verdi aujourd’hui cela n’a aucune importance, d’autant que cette musique sera accueillie à Bastille…) et Queen Kelsey, dont je ne pense pas de bien mais qui qui est le « grand » baryton américain pour le répertoire italien, alors ça s’impose évidemment. Il y a Pene Pati, certes, pas plus italien, mais avec du style, au moins.
À voir évidemment, car c’est une occasion unique de découvrir ce chef d’œuvre.
À noter que Beatrice di Tenda est donné à Naples en version de concert, le 23 septembre 2023, dirigé par Giacomo Sagripanti, avec une distribution pas plus italienne d’ailleurs (mais dont plusieurs font essentiellement carrière en Italie), mais avec des stylistes Andrzej Filonczyk, Jessica Pratt, Matthew Polenzani. Écoutez Andrzej Filonczyk, fabuleux baryton, et comparez avec celui que nous sert Paris…

 

Thomas Adès, The exterminating Angel
7 repr. Du 29 fév. au 23 mars (Dir : Gustavo Dudamel/MeS : Calixto Bieito)
Avec Jacquelyn Stucker, Caroline Wettergreen, Anna Prohaska, Nicky Spence, Philippe Sly, Rodney Gilfry, Frédéric Antoun etc…
Opéra-Bastille

Poursuivant son exploration du répertoire récent anglo-saxon non encore présenté à Paris, après Bernstein (A quiet place), après Adams (Nixon in China), voici The exterminating Angel de Thomas Adès, créé en 2016 à Salzbourg d’après le film de Buñuel et qui fait le tour de toutes les bonnes maisons, parce que sa musique, très contemporaine, est accessible au plus grande nombre… En fosse Gustavo Dudamel qui fait une double opération ; d’une part il attire le public sur un titre pas vraiment connu et d’autre part, il ne risque pas les comparaisons dans ce répertoire (il risquera plus avec Lohengrin, mais on ne peut pas tout avoir…), c’est sa deuxième et dernière apparition dans la saison parisienne dans un opéra…
De beau noms dans la distribution, Wettergreen , Antoun, Gilfry, Sly. Et à la mise en scène, Calixto Bieito, capable en ce moment du meilleur (Guerre et Paix à Genève) comme du pire.
De toute manière, il ne faut pas manquer les opéras à découvrir. Alors, gageons que le public viendra.

Avril 1993
Kurt Weill, Street scene (scène de rue)

5 repr. Du 19 au 27 avtil – Dir : Yshani Perinpanayagam /MeS : Ted Huffman
Avec les artistes de l’Académie de l’Opéra National de Paris
Cet opéra comédie musicale à mi-chemin entre l’opéra de Quat’sous et West Side Story est la marque des efforts de Kurt Weill de produire une musique qui fusionne les traditions européennes et américaines, c’est en tous cas une excellente initiative de l’Opéra que d’offrir un Kurt Weill qui soit « détaché » de son travail avec Brecht, un Kurt Weill de l’exil.
Ted Huffman aime ce type de répertoire et aime travailler avec des jeunes chanteurs (voir sa Poppea d’Aix), et on découvrira une jeune cheffe qui est aussi compositrice et très en phase avec les musiques d’aujourd’hui. Tous les ingrédients sont là pour intéresser un public curieux. Mais ira-t-il jusqu’à Bobligny ?
Musiciens du CNSM
MC93, Bobligny

Avril-mai 2024
Marc Antoine Charpentier, Médée
12 repr. du 10 avril au 11 mai. – Dir : William Christie/MeS : David Mc Vicar
Avec Léa Desandre, Reinoud van Mechelen, Laurent Naouri, Ana Vieira Leite, Gordon Bintner, Emmanuelle Negri, Élodie Fonnard, Lisandro Abadie, Julie Roset, Mariasole Mainini
Orchestre Les Arts Florissants
Palais Garnier

Dans l’exploration du répertoire baroque, cette Médée a une place à part, dans la mesure où c’est le seul opéra de Marc-Antoine Charpentier, créé en 1693 à l’Académie Royale de Musique et pas représentée à l’Opéra depuis. Le livret de Thomas Corneille garantit un texte puissant, Thomas Corneille vit à l’ombre de la gloire de son frère Pierre, mais reste l’un des grands dramaturges du XVIIe. Confiée à William Christie, la production fleurera bon son baroque « historique » et avec David Mc Vicar, on ne risque pas grand chose en matière de vision scénique innovante, c’est le type de metteur « moderne » qui ne fait peur à personne, tant il est « conforme ». La distribution comporte des noms flatteurs de Naouri à Negri en passant par Van Mechelen, avec en Médée Lea Desandre, dont la brochure de l’Opéra valorise la relative jeunesse (la trentaine), marquant là une ignorance coupable. Tout comme Phèdre, Médée passe pour une matrone. Phèdre dont le film de Pierre Jourdan avec Marie Bell a fait un mal fou aux représentations de l’héroïne, la faisant passer pour une vieille dame prise du démon de l’amour pour la jeunesse. Médée, c’est pareil parce qu’on a en tête le film de Pasolini avec Callas.
En réalité, Phèdre comme Médée sont des êtres jeunes, des jeunes filles piégées, et enlevées à leur bonheur, Phèdre a toute légitimité à tomber amoureuse d’un Hippolyte qui a à peu près son âge, et Médée a de tout jeunes enfants. Pourquoi en faire des dames mûres ? Pour en faire des monstres ? Non ce sont pas des monstres, mais des victimes. Pour le reste, le retour de Médée à l’Opéra de Paris, sa maison, ne se rate pas.

 

Mai-juin 2024
Jules Massenet, Don Quichotte
11 repr. du 10 mai au 11 juin  – Dir : Mikhail Tatarnikov/MeS : Damiano Michieletto
Avec Marianne Crebassa, Ildar Abdrazakov / Ildebrando d’Arcangelo, Étienne Dupuis, Emy Gazeilles, Marine Chagnon, Maciej Kawsnikowski, Nicholas Jones
Opéra-Bastille

Retour de Don Quichotte de Massenet, que j’avais découvert dans la belle production de Piero Faggioni avec les superbes Ruggero Raimondi et Gabriel Bacquier sur la scène de Garnier. On se souvient moins que Nicolai Ghiaurov, Viorica Cortez et Robert Massard incarnèrent les trois héros dans une production de Peter Ustinov, et aussi sous la direction de Georges Prêtre, En 2000 et 2001, Don Quichotte fut confié à Samuel Ramey et  à José Van Dam dans la production de Gilbert Deflo. C’est dire que l’Opéra depuis cinquante ans a produit trois productions de Don Quichotte (c’est beaucoup), avec les plus grandes basses de l’époque. Voilà donc a priori une œuvre très bien servie mais qui à chaque fois n’a jamais été reprise, ni celle d’Ustinov, ni celle de Faggioni et celle de Deflo une seule fois.
Il faut souhaiter un autre destin à celle de Damiano Michieletto, qui offre dans sa distribution la basse la plus en vue actuellement, Ildar Abdrazakov en alternance avec un autre grand Ildebrando d’Arcangelo : la tradition est donc respectée avec Etienne Dupuis en Sancho et Marianne Crebassa en Dulcinée.
En fosse Mihail Tatarnikov, qui est un bon chef, mais était-il nécessaire d’aller chercher si loin ?

 

Gaspare Spontini, La Vestale
9 repr. Du 15 juin au 11 juillet. – Dir : Bertrand de Billy/MeS : Lydia Steier
Avec Michael Spyres, Julien Behr, Jean Teitgen, Florent Mbia, Elza van den Heever, Ève-Maud Hubeaux
Opéra-Bastille

Voilà un titre complètement disparu des grimoires de l’Opéra de Paris, que je n’ai vu qu’une fois à La Scala dirigé par Riccardo Muti dans une pâle mise en scène de Liliana Cavani. La Scala elle-même l’avait déjà remonté pour Callas en 1954. C’est dire quelle personnalité nécessite le personnage principal de Julia.
Spontini, compositeur favori de Napoléon, italien écartelé entre Berlin et Paris, qui a retenu notamment les leçons de Gluck et précurseur d’un certain type de Grand-Opéra revient donc à Paris par la grande porte et c’est heureux. Que Bertrand de Billy dirige est aussi un bon choix, il est plutôt bienvenu dans le répertoire XIXe, que Lydia Steier mette en scène, c’est plus désolant. Après sa Salomé imbécile qu’on va d’ailleurs revoir cette saison à Paris (et d’autres productions massacrées du même acabit), elle s’intéresse à cet autre destin de femme sacrifiée. À tout prendre il vaudrait mieux qu’elle regarde ailleurs, mais elle est désormais à la mode, alors on la voit un peu partout en Europe, en plus, c’est une américaine, et donc parée de toutes les vertus pour le staff parisien. Mais peut-être réussira-t-elle ? Qui sait ?
En revanche, belle distribution (Michael Spyres en Licinio et Van der Heever en Julia notamment). L’œuvre qui sera sans doute musicalement très bien défendue mérite la visite à Paris

 

 

REPRISES

Septembre -Octobre
Gaetano Donizettti, Don Pasquale
9 repr.. du 14 sept au 15 oct – Dir : Speranza Scappucci/ MeS : Damiano Michieletto
Avec Laurent Naouri, Florian Sempey, René Barbera, Julie Fuchs, Slawomir Szychowiak
Palais Garnier

Production tiroir-caisse.
Pure reprise de répertoire, pour remplir des caisses qui en ont bien besoin, avec une distribution solide dominée par Naouri et Sempey, et l’Adina de ma ravissante Julie Fuchs. J’ai moins d’attente pour René Barbera, jamais indigne cependant. En fosse, Speranza Scappucci, a toujours beaucoup de succès.

Octobre 2023
Leos Janáček, L’Affaire Makropoulos
5 repr. du 5 au 17 oct – Dir : Susanna Mälkki/MeS : Krzysztof Warlikowski
Avec Kartita Mattila, Pavel Černoch, Cyrille Dubois, Nicholas Jones, Károly Szemerédy, Johan Reuter etc…
Opéra-Bastille
Reprise de la production désormais culte de Warlikowski, pour qui aime King Kong et la mythologie cinématographique américaine avec une chanteuse aussi culte, Karita Mattila qui promène le rôle depuis longtemps et qui lui donne un relief incroyable, autour d’elle Pavel Černoch, toujours excellent, Cyrille Dubois et Károly Szemerédy notamment. Et en fosse, Susanna Mälkki, un choix idéal pour Janáček. Une reprise qui devrait attirer : Mattila en Emilia Marty, cela ne se manque pas.

 

Octobre-novembre 2023
Jules Massenet, Cendrillon
8 repr. du 25 oct au 16 nov – Dir : Keri-Lynn Wilson/MeS : Mariame Clément
Avec Jeanine de Bique, Daniela Barcellona, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen Emy Gazeilles, Marine Chagnon, Laurent Naouri, Philippe Rouillon. Luca Sannai. Laurent Laberdesque. Fabio Bellenghi, Corinne Talibart.
Opéra Bastille

Deux Massenet en une saison qui ne soient ni Manon ni Werther, c’est signe que le répertoire s’étoffe. Distribution solide dominée par Jeanine de Bique dans la production sage et bien accueillie de Mariame Clément, dirigée par Keri-Lynn Wilson, tout c ela est bien pensé et (presque) bien-pensant : on aura constaté que les trois première reprises de la saison sont dirigées par des cheffes, ce qui est très bien, mais pas une seule Nouvelle production, ce qui l’est moins, si l’on excepte Street Scene, le spectacle de l’académie…

 

Novembre 2023
Giacomo Puccini, Turandot

13 repr. du 6 au 29 nov – Dir : Marco Armiliato – Michele Spotti/ MeS : Robert Wilson
Avec Sondra Radvanovsky(A)/Tamara Wilson(B), Brian Jagde(A) / Gregory Kunde(B), Ermonela Jaho(A) / Adriana Gonzalez(B), Carlo Bosi, Mika Kares, Florent Mbia, Maciej KawSnikowski, Nicholas Jones, Guilhem Worms, Fernando Velasquez, Pranvera Lehnert, Izabella Wnorowska-Pluchart
Opéra Bastille

Production tiroir-caisse
On va donc entendre Tamara Wilson dans Turandot aussi bien que dans Beatrice di Tenda (qui pour mémoire a été chanté par Mirella Freni… qui n’a jamais chanté Turandot…) c’est la science du grand écart, mais peu importe. Sondra Radvanovsky a abordé désormais Turandot, n’ayant plus rien à prouver dans le reste du répertoire. Jaho en Liù c’est magnifique, Jagde en Calaf, c’est bien pâle, on préfèrera Kunde. Deux distributions, la A avec Radvanoivsky/Jaho, la B avec Kunde. Choix cornélien.
Au niveau de la mise en scène, c’est du Wilson des familles, et donc plus aucun intérêt, mais dans la fosse, une alternance entre Marco Armiliato, bon chef italien de répertoire qu’on connaît bien, et Michele Spotti, excellent jeune chef qu’il sera intéressant d’aller entendre. On privilégiera donc les cinq soirées entre le 22 et le 29 novembre.

 

Novembre-décembre 2023
Jacques Offenbach, Les Contes d’Hoffmann
10 repr. du 30 nov au 24 déc. – Dir: Eun Sun Kim/MeS: Robert Carsen
Avec Benjamin Bernheim/ Dmitry Korchak, Pretty Yende, Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen. Christian van Horn, Leonardo Cortellazzi, Christophe Mortagne, Cyrille Lovighi, Christian Rodrigue Moungoungou, Vincent Le Texier, Angela Brower, Sylvie Brunet-Grupposo, Alejandro Baliñas Vieites
Opéra-Bastille
Production tiroir-caisse.

Que ferait l’opéra-Bastille sans cette production des Contes d’Hoffmann signée Robert Carsen 23 ans d’âge (première en 2000) ? Efficace, bien faite, tranquille, remontant à l’époque où Carsen faisait du Théâtre dans le théâtre. C’est la neuvième reprise…
Et pourtant, avant Carsen, ; il y eut Roman Polanski, Jean-Pierre Ponnelle et Patrice Chéreau (l’un de ses grands chefs d’œuvre à l’opéra). L’œuvre est bien servie, sans aucun doute.
La production est solidement distribuée aussi (on préfèrera Bernheim à Korchak cependant), et dirigée par la désormais spécialiste des reprises de répertoire dans les grands théâtres européens Eun Sun Kim, quatrième cheffe à diriger une reprise dans la saison.

Novembre-décembre 2023
Maurice Ravel, Ma Mère l’Oye / L’Enfant et les sortilèges
8 repr. du 21 nov au 14 déc. Dir : Patrick Lange / Chor. Martin Chaix:, MeS : Richard Jones/Antony McDonald
Avec les artistes en résidence à l’Académie et les élèves de l’école de danse de l’Opéra National de Paris
Palais Garnier

Une chorégraphie de Martin Chaix ad hoc pour les élèves de l’école de danse et une œuvre lyrique qui convient idéalement aux élèves de l’Académie, dans une mise en scène qui a déjà fait ses preuves (c’est la cinquième reprise depuis 1998. Un spectacle frais pour les jeunes pousses de l’Opéra qu’il faut aller encourager avec en fosse l’excellent Patrick Lange.

 

Janvier-février 2024
Francesco Cilea, Adriana Lecouvreur

8 repr. Du 16 janv au 7 fév. – Dir : Jader Bignamini/MeS : David Mc Vicar
Avec Anna Netrebko / Anna Pirozzi, Yusif Eyvazov / Giorgio Berrugi, Ekaterina Semenchuk / Clémentine Margaine, Ambrogio Maestri, Sava Vemic, Leonardo Cortellazzi, Alejandro Baliñas Vieites, Nicholas Jones, Marine Chagnon, Ilanah Lobel-Torres, Se-Jin Hwang
Opéra-Bastille

Reprise Tiroir-caisse en or
Que souhaitez-vous Madame Netrebko ? Votre mari ? Mais bien sûr !
Votre chef favori Jader Bignamini ? Mais comment donc ! Et voilà l’affaire est faite.
Pour le reste, en distribution B, Anna Pirozzi, pas si mal, Giorgio Berrugi, qu’on commence à entendre souvent en Italie, et Clementine Margaine, qu’on va peut-être finir à considérer : elle est la Fidès du jour, l’Azucena du jour, mais on lui préfère Semenchuk pour voisiner la Netrebko…
Laissons cela.
Bignamini n’est pas un mauvais chef, Mc Vicar est comme toujours sans intérêt, mais l’intérêt est ailleurs, vous l’aurez bien compris…

Giuseppe Verdi, La Traviata
12 repr. du 25 janv au 25 fév. – Dir : Giacomo Sagripanti/MeS : Simon Stone
Avec Nadine Sierra / Pretty Yende (25 fév.), Marine Chagnon, Cassandre Berthon, René Barbera, Ludovic Tézier, Maciej Kawsnikowski, Alejandro Baliñas Vieites, Florent Mbia, Hyun-Jong Roh, Olivier Ayault, Pierpaolo Palloni
Opéra-Bastille

Reprise Tiroir-Caisse
Enfin la raison s’impose. Cette production avait été créée au Palais Garnier pour seulement 2000 spectateurs. Traviata c’est fait pour les 2700 spectateurs de Bastille et 12 représentations, dont étrangement une seule le 25 février, avec la créatrice de la production, Pretty Yende. On y retrouve Ludovic Tésier, immense, et en Alfredo René Barbera, gentillet, et pour les onze autres représentations, la délicieuse Nadine Sierra.
En fosse, Giacomo Sagripanti qui n’est pas le meilleur des chefs italiens de répertoire d’aujourd’hui, mais on n’est pas à ça près. Et la production de Simon Stone s’installe dans le paysage, à Vienne comme à Paris.

Georg Friedrich Haendel, Giulio Cesare
12 repr. Du 20 janv au 16 fév. – Dir : Harry Bicket/MeS : Laurent Pelly
Avec Emily d’Angelo, Adrien Mathonat, Wiebke Lehmkuhl, Marianne Crebassa, Lisette Oropesa, lestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémy Brès
Palais Garnier

Superbe distribution pour cette reprise du Giulio Cesare de Haendel dans la production de Laurent Pelly dont c’est la troisième reprise depuis janvier 2011. On y trouve Oropesa en Cleopatra, la jeune et talentueuse Emily d’Angelo en Giulio Cesare, entourés par rien moins que Luca Pisaroni, Marianne Crebassa et l’excellent Iestyn Davies. En fosse, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra Nationalm de Paris, Harry Bicket spécialiste de ce répertoire. Rappelons cepdndant que la production avait été créée par Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée.

Mars-avril 2024
Giuseppe Verdi, Simon Boccanegra

7 repr. du 12 mars au 3 avril. – Dir : Thomas Hengelbrock/MeS : Calixto Bieito
Avec Ludovic Tézier, Nicole Car, Mika Kares, Charles Castronovo, Étienne Dupuis, Alejandro Baliñas Vieites, Paolo Bondi, Marianne Chandelier
Opéra-Bastille

Reprise de la belle production de Calixto Bieito avec Ludovic Tézier dans le rôle-titre, ce qui est déjà suffisant. Mika Kares, voix de bronze et encéphalogramme plat au niveau de l’expressivité, Castronovo qui devrait bien convenir en Gabriele, et l’étrange choix de Nicole Car en Amelia. Il faudrait quelqu’un de plus de poids pour le rôle (à quand Oropesa ?). En fosse, Thomas Hengelbrock peu fréquent dans ce répertoire.

Mai 2024
Richard Strauss, Salomé

7 repr. du 9 au 28 mai. – Dir : Mark Wigglesworth/MeS : Lydia Steier
Avec Lise Davidsen, Gerhard Siegel, Ekaterina Gubanova, Johan Reuter, Pavol Breslik, Katharina Magiera, Matthäus Schmidlechner, Éric Huchet, Maciei Kawsnikowski, Nicholas Jones, Florent Mbia
Opéra-Bastille
En fosse, Mark Wigglesworth, qui passe de Bellini à Strauss, c’est beau les chefs qui savent tout faire. En scène, que du beau ou du très beau monde entre Davidsen qui n’aura aucun mal à remplir de sa voix immense la salle de Bastille, le couple Gubanova/Siegel et Pavol Breslik en Narraboth de très grand luxe.
Mais le neutre Johan Reuter en Jochanaan, fait tomber la pression. On aurait pu choisir un baryton au plus grand relief pour faire face à Davidsen…
Mise en scène inutile signée d’une des baudruches à la mode de la mise en scène d’aujourd’hui.

 

Juin-juillet 2024
W.A.Mozart, Cosi fan tutte
12 repr. Du 10 juin au 9 juil. – Dir : Pablo Heras Casado/MeS : Anne Teresa de Keersmaker
Avec Vannina Santoni, Angela Brower, Hera Hyesang Park, Josh Lovell, Gordon Bintner, Paulo Szot.
Reprise tiroir-caisse : c’est Mozaaaart
Palais Garnier.

Cosi fan tutte a été diversement servi à l’Opéra de Paris, sous Liebermann, la production de Jean-Pierre Ponnelle ne fut pas une de ses plus grandes réussites, la production Ezio Toffolutti fut souvent reprise et n’avait pour avantage que de pouvoir être reprise tellement elle ne dérangeait personne, celle de Chéreau, très forte, n’eut pas l’heur de plaire ou d’être comprise. Finalement celle de Anne Teresa de Keersmaker depuis janvier 2017 suit son bonhomme de chemin, portée aux nues par les uns, honnie par les autres, elle en sera à sa cinquième reprise. Cette mise en scène ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
En fosse, Pablo Heras-Casado, un chef précédé d’une réputation qui se dégonfle à chaque fois qu’on l’entend. Poudre aux yeux sans intérêt. Distribution contrastée, entre des voix intéressantes (Santoni, Brower) d’autres moins (Szot) et la découverte d’un ténor à suivre, en troupe à Vienne, Josh Lovell.

 

Au total, une saison qui présente plus d’intérêt que les précédentes, dans le choix des œuvres notamment et dans l’intelligente présence du répertoire historique de la maison, comme le montre le retour de Médée, de La Vestale, mais aussi de Don Quichotte, trois titres sur huit, ce qui est important. Il ne s’agit pas pour moi de défendre le répertoire français, ni la langue française, je n’ai pas ces prurits identitaires inutiles et ridicules, mais il est essentiel qu’une maison témoigne de son histoire et de son passé, et qu’elle le fasse régulièrement.
Que la deuxième ligne de force de la gestion Neef soit l’accueil du répertoire anglo-saxon des cinquante dernières années n’est pas inintéressant non plus, et ne manque pas d’originalité avec ces rendez-vous annuels. Deux œuvres cette saison, Street Scene d’un Kurt Weill en exil qui écrit une œuvre déchirée entre son passé européen et son présent, et The exterminating Angel de Thomas Adès, dont il m’est avis qu’on verra dans pas très longtemps The Tempest que même la Scala a osé…
Enfin deux spectacles confiés à L’Académie, Street Scene justement et L’Enfant et les sortilèges, accouplé à un ballet dansé par l’Ecole de danse, marquent une confiance dans les forces de la maison et son avenir.
Quelque chose commence à se dessiner, une promesse que les deux dernières saisons si mornes ne laissaient pas entrevoir. C’est très positif et on espère que les bourgeons vont fleurir.
D’un autre côté, je déplore personnellement un tropisme anglo-saxon trop marqué au niveau des distributions, l’absence fréquente de chanteurs italiens : c’est une antienne que j’ai aussi reprise à propos de Munich, qui a d’autres tropismes : les directions de casting ont l’indécrottable défaut de rester fidèles à leur aire culturelle, à leurs origines, à leurs habitudes, dans un art qui demande au contraire de respirer au plus large géographiquement. Et plus d’esprit de finesse que de géométrie.

Du point de vue des mises en scène, les nouvelles productions ratissent large, ce qui n’est pas si mal. Entre Bieito, Serebrennikov, McVicar, Sellars, etc…il y en a pour tous les goûts, et il y a même du mauvais goût (Lydia Steier).
En fosse en revanche, si Dudamel est présent seulement deux fois, on ne trouve pas l’imagination au pouvoir, il y a des chefs corrects et de bonne réputation, d’autres moins, mais rien ne fait vraiment rêver…

 

Le Ballet

(Contribution de Jean-Marc Navarro)
L’année écoulée nous aura offert un de ces petits psychodrames à rebondissements comme seul le Ballet de l’Opéra national de Paris aime à les concocter.

  • Acte I : celui d’un naufrage managérial éloquent quand le directeur de la Maison, Alexander Neef, a décidé de nommer Étoile un artiste qui, au-delà de ses qualités artistiques réelles, consacrait chacune de ses interventions médiatiques – nombreuses – depuis des années à conchier l’institution dont il était issu et l’art dont elle prétend incarner la tradition (le ballet académique). Cette décision a entraîné le départ d’Aurélie Dupont, directrice de la Danse, qui n’avait dit-on jamais envisagé une telle nomination et se trouvait désavouée par un directeur plus enclin à se payer un petit coup de pub qu’à mesurer les conséquences d’image et de gestion interne qu’aurait une telle décision au sein de sa Compagnie.
  • L’histoire ne donnera pas tort à Mlle Dupont sur ce point puisque, acte II, s’en est suivie une période de flottement scandée par la perspective ou non du retour en scène du nouveau nommé. La presse se fera écho de ses petits caprices dans le choix des rôles, de ses petites délicatesses dans la gestion de son calendrier, de ses petits atermoiements dans la négociation de son contrat d’Étoile. Sept mois après sa nomination, sans avoir jamais reposé un pied sur la scène de l’Opéra, François Alu sera exfiltré de la Compagnie, départ sans doute salutaire pour l’équilibre collectif interne du Ballet.
  • C’est qu’entre temps, acte III, José Martinez a été nommé directeur de la Danse, à l’issue d’un processus d’appel à candidatures très scientifique et objectif (tout ça pour en arriver à la nomination d’une ancienne Étoile de la Maison dont le nom figurait déjà parmi les favoris depuis un long moment…). Débarrassé de l’épine Alu qu’Alexander Neef avait plantée dans le pied de la Compagnie, José Martinez a eu à cœur depuis sa prise de fonction début décembre d’observer, d’imprimer une communication équilibrée sur ses ambitions et un peu falote sur son projet, de construire des distributions diverses autour de la programmation de sa prédécesseuse. Bref, d’essayer d’apaiser un peu les esprits et de remettre son petit monde au travail, en distillant une douce musique à l’oreille du public : celle d’une volonté claire de revenir à un profil de programmation de fibre plus classique que celle des dernières saisons – difficile toutefois de tomber plus bas dans la très spectaculaire évacuation du répertoire académique opérée par Aurélie Dupont (voir le billet https://wanderersite.com/danse/le-declin/)
  • Acte IV : trois mois après sa prise de fonction, premier coup d’éclat du nouveau directeur de la Danse : pas une, pas deux, trois nominations ! En à peine une semaine, Hannah O’Neill, Marc Moreau (nommés le même soir), Guillaume Diop (nommé à l’issue d’une Giselle en Corée du Sud) accèdent au Graal sur proposition de José Martinez. Il convenait de renforcer les rangs des Étoiles, qui étaient apparus tristement déplumés lors des défilés du Ballet en février, et ce n’est sans doute que le début du renouvellement des cadres suprêmes du Ballet, les départs d’Étoiles expérimentés se profilant dans les prochaines saisons.

 

Quel sera alors l’acte V ? Dans un contexte pollué par « le cas Alu », le départ d’Aurélie Dupont, une programmation que même les plus intenses thuriféraires de la Compagnie commençaient à trouver problématique, José Martinez apparaît comme un sauveur (il faut bien lécher avant de lâcher puis de lyncher…). Il a au moins pour lui le mérite de la cohérence entre ses propos et la réalité de ses actes. À l’Opéra, on se targue d’aimer la tradition et le répertoire tout en piétinant l’une et n’entretenant pas l’autre. Martinez lui n’entre pas dans cette logique comme le montrent ses activités de chorégraphes et transmetteur de répertoire depuis ses adieux.

La saison 2023-2024 dévoilée cette semaine a été largement préparée par Aurélie Dupont, José Martinez ayant eu la pudeur de la présenter comme juste légèrement remaniée. La marque Dupont est bien là, avec deux chorégraphes qu’elle a toujours dit adorer (une belle soirée Kylian et l’entrée au répertoire du Barbe-Bleue de Pina Bausch) et la soirée d’ouverture de saison qui coche toutes les cases attendues des tutelles mais qu’on oubliera aussitôt vue (des femmes chorégraphes, chouette ! du contemporain conceptuel, trop cool !) mais offrira aussi le retour du très populaire The Seasons’ Canon de Crystal Pite.

Mais surprise du chef : la saison affiche un lot de ballets académiques dont le nombre est tout à fait standard pour le type de Compagnies auquel Paris entend appartenir mais qui apparaît désormais impressionnant à Paris tant on était habitué à devoir se limiter à une vache à lait de Noël noyée dans des saisons globalement alla Chaillot : Giselle, Don Quichotte, Le Lac des cygnes, Casse-Noisette ! Si on y ajoute La fille mal gardée et une soirée Robbins, voilà le retour en force des grandes soirées de ballet qui font la part belle à des effectifs dignes de la Compagnie et permettent aux danseurs de prendre des rôles et évoluer dans le répertoire. Voilà aussi – et cela n’est sans doute pas totalement neutre – de quoi assurer un bon petit matelas de recettes, le triple effet magique des hausses de grilles, des tripatouillages de plans de salle et des taux de remplissage systématiquement flatteurs pour les ballets académiques devant produire un plein effet.

Alors bien sûr, on peut regretter que ces titres correspondent à ceux qui ont déjà été repris ces trois quatre dernières saisons. Toujours nulle trace de La Belle au bois dormant, ni de Paquita, de Coppélia ou de Suite en blanc ; il est un peu alarmant de se dire qu’elles n’ont pas été présentées en scène depuis de plus 10 saisons pour certaines ! Dans un art de transmission immatérielle tel que le ballet, voilà qui est très préoccupant. On note également que les productions Noureev des « grands classiques » tiennent le haut du pavé quand ils mériteraient un sacré lifting.

D’autres heureuses nouvelles sont à noter par ailleurs : l’École de danse aura à nouveau droit à une série de spectacles, à une série de démonstrations et à un gala ; les occasions pour les petits rats de se produire à Garnier s’étaient raréfiées ces dernières saisons. Après Peeping Tom (!!), c’est le Béjart Ballet Lausanne qui sera de retour à Paris comme compagnie invitée. José Martinez a aussi mentionné avoir proposé à Marianela Nunez du Royal Ballet de venir danser Giselle.

Attendons de voir si ces premiers signaux se pérennisent et se transforment en marque de fabrique Martinez sur les saisons prochaines ! D’ici là, ouf, commencerait-on à entrevoir la possibilité de reprendre le chemin de la ligne 8 pour aller voir du ballet à l’Opéra, après tant de saisons de vache anorexique ?


Le reste

La saison symphonique et les récitals

C’est simple : il n’y en a pas.
Un seul concert (à la Philharmonie de Paris) de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris dirigé par Gustavo Dudamel le 2 avril, au programme Debussy Canteloube Varèse Ravel avec Julie Fuchs, repris le 5 avril 2024 au Festival de Pâques d’Aix en Provence.
Et une apostille le 31 août 2023 à Saint Jean de Luz (Programme Penderecki, Haydn, Schumann)

Il y a bien des séries de musique de chambre à l’Amphithéâtre et les Midis musicaux, mais pas d’autres concerts symphoniques que celui précité.
Est-ce le résultat de la grève des musiciens qui a contraint d’annuler la tournée prévue de l’orchestre sous la direction de son chef ? Est-ce une politique délibérée ? On se perd en conjectures.
Une saison symphonique même petite (il n’y a jamais eu à l’Opéra de véritable saison symphonique articulée) permettrait peut-être d’inviter sur quatre ou cinq concerts par an des chefs qu’on n’a pas l’habitude de voir, qui ont une surface symphonique intéressante, et de faire travailler l’orchestre hors fosse, ce qui est toujours salutaire.
C’est la morne plaine.

Il y a bien des récitals des présentations des artistes de l’académie, mais pas de récital de grandes voix d’aujourd’hui : cela se perd dans les opéras, même en Allemagne, et pourtant, un cycle de récitals s’imposerait dans une maison de cette importance, mais, vous l’aurez compris, en terme de rapport qualité-prix, de présence du public, c’est trop aléatoire, on ne va donc pas de poser la question de l’apport culturel ou de la valence artistique. N’employons pas de vilains mots.
Et puis il y a cet OVNI
2 décembre 2023
Gala Maria Callas
Dir.Mus : Eun Sun Kim / MeS : Robert Carsen
Avec Sondra Radvanovsky

Une opération tout à fait extraordinaire pour célébrer Maria Callas. Un Gala pour soutenir…La Croix rouge ? Non. Les réfugiés Ukrainiens ? Non. Les victimes du tremblement de terre en Turquie et Syrie ? Pas plus.
Lisons la brochure : À l’occasion du centenaire de la naissance
de Maria Callas, le 2 décembre 1923, l’Opéra national de Paris propose un gala exceptionnel au bénéfice des activités de l’institution, le jour même de cet anniversaire.

Les tarifs n’en sont pas communiqués, c’est un Gala de Bienfaisance pour une Institution nécessiteuse : L’Opéra National de Paris.
On croit rêver.
J’ose espérer que l’institution en question fait de l’auto-ironie, soulignant que cette institution publique fait la quête parce que l’État ne lui donne pas assez d’argent.
Nous avons souligné par ailleurs que l’État traitait l’Opéra comme un boulet, nous ne cessons de souligner l’absence de politique du Ministère de la Culture et nous observons la situation difficile des Opéras en région, mais une telle manifestation a quelque chose d’étrange, acceptable ou admissible dans un état libéral comme les USA, où les Opéras doivent chercher leurs financements, inadmissible pour notre première scène nationale, alors que la Culture est l’une des prérogatives de l’État. Dérive libérale de la culture, comme d’autres dispositifs (le Pass Culture pas exemple) et désintérêt au sommet de l’État-Macron, on l’avait compris depuis longtemps et on en a la confirmation. Ce n’est pas l’Opéra de Paris qui est lamentable en l’occurrence, c’est sa tutelle.

Quelques éléments sur la politique tarifaire

Et puisqu’on parle gros sous quelques mots sur les tarifs.
Soyons honnêtes, dans le paysage européen, les tarifs pratiqués à l’Opéra de Paris sont diversifiés et dans la moyenne des salles (haute) de ce niveau, moins chers qu’à Londres, Vienne, et à la Scala bien plus chers qu’à Munich (maximum en saison 163 Euros) et qu’à Hambourg ou Francfort, deux excellents théâtres où le prix maximum n’excède pas 130 Euros L’échelle est large, elle  va pour l’Opéra de 10 (Garnier)/15 (Bastille) à 220 Euros (prix maximum) et pour le ballet du même minimum au maximum de 170 Euros, sachant que le ballet rapporte bien plus à salle complète que l’opéra (vu que le corps de ballet et les solistes forment troupe). Le prix maximum est fonction de l’œuvre, indépendamment qu’elle soit nouvelle production ou reprise, et de ce qu’on suppose de la venue du public. Étrangement d’ailleurs Adriana Lecouvreur avec Netrebko n’est pas au tarif maximum, sans doute parce qu’elle ne les fait pas toutes, et que le reste du cast, chef compris n’est pas trop cher). Mais peu importe, on voit bien quelles reprises servent de tiroir-caisse, quels ballets sont supposés attendus par le public. Apparemment Giselle, Casse-Noisette et l’inévitable Lac des Cygnes rapporteront beaucoup. A noter que La Vestale bénéficie d’une baisse de tarif en juillet, puisque le public d’opéra  est en vacances ou à Aix…

Bien sûr la brochure prévoit des tarifs spéciaux pour les familles, les étudiants, les handicapés, les chômeurs et une infinité de moyens d’accéder au Graal pour moins cher ; c’est un labyrinthe savant, mais il reste que les tarifs, les plans de salle sont assez tortueux, et que le débat continue sur l’accessibilité à cette maison.

 

 

Conclusion

On peut se réjouir de l’esquisse d’un apaisement dans le ballet, après les crises des années précédentes, on peut se réjouir d’une programmation lyrique plus inventive et plus élaborée avec des lignes de force importantes (répertoire historique de l’Opéra de Paris, créations d’œuvres anglo-saxonnes qui manquaient à Paris), tout cela est positif et mérite d’être signalé.
On peut saluer l’effort pour valoriser l’Ecole de Danse et l’Académie, même si la troupe tant souhaitée commence à être formée et qu’elle sera sans doute étoffée les années prochaines.

On peut d’un autre côté déplorer dans les distributions un tropisme anglo-saxon excessif, l’absence de chefs d’envergure, d’autant plus marquée que Gustavo Dudamel assure deux titres et un concert, ce qui n’est pas énorme sur 20 productions.
On peut enfin déplorer qu’en dehors du ballet et du lyrique, il n’y ait pas l’esquisse d’une saison symphonique, ni une saison de récitals. On sent une maison qui fait des efforts, dans un univers qui ne lui est pas très favorable et avec une situation financière critique.  On est, disons, dans une remontée lente et plutôt positive. Et c’est déjà beaucoup. En ce sens, cette saison marque un tournant.

LA SAISON 2022-2023 du MAGGIO MUSICALE FIORENTINO, OPÉRA DE FLORENCE


Les choses ont un peu bougé cette saison en Italie : un des phares de la musique de la péninsule, Daniele Gatti a quitté la direction musicale de l’Opéra de Rome où il a magnifiquement réussi, pour prendre celle du Mai Musical Florentin, dirigé par Alexander Pereira depuis 2020 et son départ de la Scala, reconstituant ainsi un couple artistique né à Zurich.
L’Opéra de Florence est une machine musicalement forte depuis des décennies, sans doute l’institution la plus ouverte d’Italie, avec un des meilleurs orchestres, un chœur vraiment exceptionnel dirigé par Lorenzo Fratini. Désormais, à la salle de l’Opéra construite il y a dix ans, s’est ajouté en décembre dernier l’auditorium adjacent, Sala Zubin Mehta, faisant de l’espace qui occupe les boulevards extérieurs de Florence, à la lisière du Centre-Ville (et à quelques centaines de mètres de l’ancien Comunale, une immense salle pas très jolie mais que j’aimais bien) un espace dédié à la musique, une Città della Musica version florentine.
L’Opéra de Florence gère aussi le petit Teatro Goldoni, sur la rive gauche de l’Arno pas très loin de la Cappella Brancacci et de ses Masaccio, et peut aussi occuper de temps à autre le Teatro della Pergola, l’un des plus anciens d’Italie, où fut créé Macbeth de Verdi en 1847 sur la rive droite pas très loin du Duomo Santa Maria del Fiore. En bref, la ville pas si grande a une solide implantation musicale et la décision de Daniele Gatti de s’y transférer n’est pas étrangère à l’ensemble des possibilités offertes.
Alexander Pereira est quant à lui un manager solide, qui n’a plus néanmoins le goût du risque, et dont les metteurs en scène de référence qui ont fait la gloire de ses années zurichoises ont disparu, ou n’ont pas l’heur de plaire au public italien, peu enclin à accepter les « nouvelles mises en scène ». plus si nouvelles d’ailleurs
Il est vrai que la situation du théâtre parlé en Italie est un désastre, que la vie d’acteur est difficile, et que le seul grand metteur en scène italien actuel qu’on voit partout à l’opéra dans les grandes salles européennes, Romeo Castellucci n’a jamais fait d’opéra en Italie ou presque (sinon Parsifal à Bologne, mais l’initiative venait de La Monnaie de Bruxelles, son théâtre d’attache).
Ni Strehler, ni Ronconi n’ont su faire école, et les metteurs en scène qui occupent les opéras de la péninsule sont souvent bien médiocres. Un seul exemple, le programme du festival de Pesaro 2022 est une misère du point de vue théâtral…
Dans ce contexte, que nous offre l’Opéra de Florence, avec sa saison « ordinaire » et son festival de Printemps, plus connu sous le nom de Mai Musical Florentin ?

Florence est une ville moyenne, aristocratique, qui vit du tourisme et des touristes, tout au long de l’année, et l’Opéra de Florence dépend de ce double public, local (tout de même assez réduit) et touristique, essentiellement saisonnier. Tous les théâtres d’Europe ont des problèmes de remplissage, comment s’en sort Florence ?
Par chance, désormais, les transports en Italie ont fait d’extraordinaires progrès : Florence est à 1h30 de Milan et 1h30 de Rome par le train à grande vitesse et le public mélomane peut désormais circuler avec plus de facilité. Il est vrai que ce public a toujours été mobile, mais l’amélioration du transport ferroviaire épargne les longs trajets en voiture qui émaillaient (quand j’habitais Milan) nos virées lyriques à Turin, Bologne ou Florence.

Pour comprendre l’organisation de la saison florentine, il faut considérer à part le « Mai Musical » qui est le Festival de Printemps (Avril-Juillet) prestigieux, fondé en 1933 par le chef d’orchestre Vittorio Gui, l’un des grands chefs italiens pas toujours si connu hors d’Italie. C’est un Festival prestigieux qui a vu la participation de chefs d’envergure comme Erich Kleiber qui y fit des Vespri Siciliani légendaires avec Maria Callas et Boris Christoff en 1951, ou Hermann Scherchen, parce que le Mai Musical stimula la diffusion de la musique du XXe siècle. Parmi les plus récents directeurs musicaux, Riccardo Muti de 1969 à 1981 qui y construisit sa carrière de chef lyrique et plus récemment Zubin Mehta de 1985 à 2018, qui est direttore emerito principale a vita. Daniele Gatti est devenu cette année le directeur musical jusqu’en 2025.
On ne compte pas les enregistrements de l’orchestre avec divers chefs, c’est en effet l’une des phalanges de référence en Italie.
En dehors du Mai musical, dont le programme est annoncé plus tard, il y a une saison d’automne et une saison d’hiver, appelées l’une « Festival d’automne » (5 productions et 1 spectacle jeunesse) et l’autre « Festival de Carnaval » (6 productions, dont deux plus légères essentiellement offertes aux solistes de l’Accademia del Maggio Musicale) , appellations qui tendent à montrer qu’à Florence règne un festival permanent (ça, c’est la com…)
De fait, la saison (qui court de septembre à avril) a tout pour séduire musicalement. Pas un théâtre en Italie peut se targuer d’afficher autant de chefs de grand renom, ou de très grande qualité : Zubin Mehta bien sûr (trois productions), Daniele Gatti (trois productions), mais aussi James Conlon, Ingo Metzmacher ou Gianluca Capuano.

Certain « plus grand théâtre lyrique du monde » à 1h30 de train vers le nord pourrait en prendre un peu de graine.
Les distributions sont elles aussi plutôt flatteuses, Francesco Meli semble y être chez lui, mais aussi Cecilia Bartoli, Nicola Alaimo, Placido Domingo, Nadine Sierra, Roberto Frontali.
Seule ombre au tableau, une politique de mises en scène dans l’ensemble médiocre, qui ne correspond en rien à la qualité musicale affichée, dont le nom le plus intéressant est Damiano Michieletto, avec pour les autres l’inévitable et désolant Livermore, Leo Muscato, ou Frederic Wake-Walker, qui ni les uns ni les autres n’ont inventé la poudre scénique.

Il faudra quand même un jour que l’Italie lyrique sorte de cette misère scénique qui la caractérise depuis les disparition de Strehler et Ronconi ou que les managers comme Pereira se secouent un peu la poussière. Seule note « historique » et plutôt positive, la présence de Piero Faggioni (né en 1936…) pour Carmen dont la mise en scène sera sans doute fille de celle que créa Berganza à Edimbourg en 1975. Metteur en scène traditionnel, élégant, et intelligent.

Très grande qualité musicale, sans doute le plus grand niveau en Italie, qualité scénique médiocre, en cela pas si loin de ce qui est affiché à la Scala alors que Naples et Rome font quelque effort pour dépoussiérer, voilà le bilan. Il reste que plusieurs voyages à Florence sont à prévoir pour les amateurs, ce qui n’est jamais désagréable…
Enfin, Pereira qui connaît son public limite les représentations à quatre ou cinq et alterne les salles entre l’auditorium très modulable, tout nouveau, aux capacités scéniques limitées mais muni de dispositifs techniques aptes au montage de productions légères (ce qui limite les frais) et à la jauge moyenne (1100 spectateurs qu’on peut aussi limiter à 500) et la Grande Sala (grande salle) de 1800 places. Ce jeu entre les salles permet sans doute de substantielles économies et d’adaptation.

La grande salle d’opéra


SAISON LYRIQUE

Festival d’automne, dédié à Giuseppe Verdi

Septembre 2022
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia
5 repr. du 8 au 15 sept. 2022 – Dir : Daniele Gatti/MeS : Damiano Michieletto
Avec Ruzil Gatin, Vasilisa Berzhanskaja, Nicola Alaimo, Fabio Capitanucci

On oublie souvent que Daniele Gatti est un chef exceptionnel pour Rossini, aussi bien bouffe que sérieux (Mosè, La Donna del Lago…). La distribution est dominée par la Rosine du moment Vasilisa Berzhanskaja que les français ont découvert à Aix dans Moïse, et par Nicola Alaimo qui est aujourd’hui la basse bouffe la plus en vue pour Rossini, sans compter l’intéressant Ruzil Gatin pour Almaviva. Vaut le voyage, évidemment, et puis, Florence en septembre… Mise en scène de Damiano Michieletto archi connue (même à Paris…) et réussie.

Septembre-Octobre
Giuseppe Verdi
Il Trovatore

4 repr. du 29 sept. au 7 oct – Dir : Zubin Mehta/MeS : Cesare Lievi
Avec Maria José Siri, Amartuvshin Enkhbat, Fabio Sartori, Ekaterina Semenchuk etc…
Retour à l’opéra de Cesare Lievi, qui fut familier de Zurich aux temps de Pereira, et qui à la fin des années 1980, était un des grands espoirs de la scène avec son génial frère, le scénographe Daniele Lievi, mort prématurément à la même époque. Vous voulez connaître Daniele ? Une exposition lui est dédiée au MuSa (Musée de Salò, au bord du lac de Garde) jusqu’au 30 novembre 2022. Faites le voyage, vous ne le regretterez pas…
Distribution solide à défaut d’être excitante, Amartuvshin Enkhbat et Fabio Sartori sont une garantie de qualité, Ekaterina Semenchuk qu’on voit beaucoup dans la saison devrait être une bonne Azucena. Maria José Siri a la voix à défaut du charisme. Et puis bien sûr Zubin Mehta, l’un des grands chefs de référence pour cette œuvre.

 

Octobre 2022
Georg Friedrich Haendel
Alcina

5 repr. du 18 au 26 octobre – Dir: Gianluca Capuano/MeS Damiano Michieletto
Avec Cecilia Bartoli, Carlo Vistoli, Lucía Martín Cartón, Kristina Hammarström etc…
Les Musiciens du Prince – Monaco
Cecilia Bartoli fut sous Pereira abonnée à l’Opernhaus Zurich, qu’elle continue pour notre bonheur à fréquenter. L’an prochain, elle a programmé Alcina à Monte-Carlo dans une autre production, et c’est donc un peu une année Alcina, et à Florence, les Musiciens du Prince – Monaco seront aussi dans la fosse avec leur chef Gianluca Capuano, ce qui nous garantit une exécution exemplaire. Distribution solide avec notamment Carlo Vistoli, le meilleur contre-ténor italien et mise en scène de Michieletto, qui pourrait être intéressante. Vaut le voyage évidemment.

Novembre 2022
Giuseppe Verdi
Ernani
5 repr. du 10 au 20 nov – Dir : James Conlon/MeS : Leo Muscato
Avec Maria José Siri, Francesco Meli, Roberto Frontali, Vitalij Kowaljow
Quatuor vocal solide une fois de plus, même si ni Siri, ni Kowaljow ne font rêver, mais Francesco Meli, dans un de ses meilleurs rôles, et Roberto Frontali, le meilleur et le plus subtil des barytons italiens, sont aptes quant à eux à nous ravir. Mise en scène de Leo Muscato dont il n’y pas grand-chose à attendre, et direction musicale de James Conlon, un des chefs lyriques les plus réguliers, une garantie sinon d’originalité, du moins de cohérence et de fidélité à Verdi.

Décembre 2022
Faust
9 repr. du 24 nov. au 2 déc. – Musiques de Berlioz, Gounod, Mozart, Bach
Un spectacle de Venti Lucenti avec 80 jeunes du projet “All’Opera… in campo!
Un spectacle largement dédié aux jeunes et aux écoles
Au Teatro Goldoni

Décembre 2022-Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Don Carlo (Version en 4 actes)

5 repr. du 27 déc. au 8 janv. – Dir: Daniele Gatti/MeS: Roberto Andò
Avec Mikhail Petrenko, Francesco Meli, Ekaterina Semenchuk, Alexander Vinogradov.
On aurait évidemment préféré la version française, mais on se contentera de la version italienne en quatre actes, plus courte, plus ramassée et donc sans doute plus économique. Pas encore d’Elisabetta affichée, mais Francesco  Meli est une garantie, et Semenchuk peut-être dans le Don fatale, mais sûrement pas dans la canzone del velo, et pour moi aucune garantie pour un Mikhail Petrenko comme Filippo II, u timbre trop clair pour le rôle.
Mise en scène Roberto Andò, qui s’attaque là à une oeuvre trop grande pour lkui…
Mais Daniele Gatti en fosse, cela nous garantit un Verdi fouillé, limpide, dramatique. C’est lui qui vaut le voyage initial de 2023.

 

Festival de Carnaval, dédié à Faust et Goethe

Janvier 2023
W.A.Mozart
La Finta semplice
4 repr. du 24 au 29 janvier – Dir : Theodor Guschlbauer/MeS : Claudia Blersch
Avec Benedetta Torre, Luca Bernard, et des solistes de L’Accademia del Maggio Musicale Fiorentino
Au Teatro Goldoni
On change de Festival et on passe au Carnaval. Pereira aime beaucoup Theodor Guschlbauer, autrichien comme lui, dont les strasbourgeois se souviennent qu’il fut pendant 14 ans (1983-1997) directeur du Philharmonique de Strasbourg. C’est un chef de style « Kapellmeister », auquel les musiciens peuvent se fier, pas forcément inventif, mais garantie musicale. Il dirige ce Mozart dans le cadre intime du Teatro Goldoni avec la jeune Benedetta Torre et les solistes de l’Accademia del Maggio… la mise en scène est signée Claudia Blesch à qui l’on doit l’adaptation semi-scénique de la Cenerentola avec Bartoli qui a fait le tour du monde.
Si vous ne connaissez pas le teatro Goldoni et si vous passez par là…

Février 2023
Ferruccio Busoni
Doktor Faustus
5 repr. du 7 au 21 février – Dir : Ingo Metzmacher/MeS : Davide Livermore
Avec AJ Gluckert, Olga Bezsmertna, Wilhelm Schwinghammer, Thomas Hampson/Dietrich Henschel.
Continuant la tradition XXe siècle du Mai Musical Florentin, voici le rare Doktor Faustus du rare Busoni, une œuvre taillée exactement pour le chef Ingo Metzmacher, qui aime cette période de la musique (1924). L’œuvre pas tout à fait achevée malgré une composition qui dura six ans requiert un orchestre important. C’est Thomas Hampson en alternance avec Dietrich Henschel (sur une date) qui tient le rôle principal, c’est dire la qualité d’ensemble qu’on doit attendre d’une bonne distribution par ailleurs. Mise en scène de Davide Livermore qui au seul nom de Faust doit déjà mettre en place son cirque folie-bergérien.
Mais pour l’œuvre, devrait valoir le voyage.

Février 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata

4 repr. du 12 au 22 fév. – Dir : Zubin Mehta / MeS : Davide Livermore
Avec Nadine Sierra, Francesco Meli, Placido Domingo/George Petean
Une Traviata de légende, signée Franco Zeffirelli dont fut tiré un film, est née à Florence, et même venue ensuite à Paris.
C’est une fois encore à David Livermore à qu’on a confié la production. C’est à croire qu’il n’y a que lui de disponible en Italie, même pour une Traviata. Choix lamentable de Pereira. Je ne suis pas zeffirellien a priori, mais j’aurais plus volontiers revu la vieille production.
Au contraire, c’est musicalement sans doute un must qui va faire courir les foules : Sierra, Meli, Domingo, c’est un trio de choc et même quand Domingo ne chantera pas, c’est l’excellent Petean qui sera Germont avec dans la fosse un Zubin Mehta qui dirigeait à Florence et à la reprise parisienne en 1986 (d’ailleurs sifflé par les arbitres du bon goût parisien, je veux dire les imbéciles patentés de notre scène nationale). Comme on le sait, aux vieux pots la meilleure soupe, même à la grimace Livermore.

Mars 2023
Igor Stravinsky
The Rake’s progress
5 repr. du 12 au 26 mars – Dir: Daniele Gatti / MeS: Frederic Wake-Walker
Avec Sara Blanch, Matthew Swensen, Vito Priante, Marie Claude Chappuis, Adriana di Paola

Daniele Gatti est un grand admirateur de la musique de Stravinsky, et il avait prévu ce Rake’s Progress à Rome dans une mise en scène de Graham Vick, ce qui était autre chose que Frederic Wake-Walker, un metteur en scène assez pâle et plus paillettes que substance. Mais ce Rake’s Progress romain a été annulé (Covid) et Graham Vick est décédé.
Alors sans doute à cause du désir de Gatti, l’œuvre réapparaît à Florence et c’est une excellente idée, dans une autre distribution avec la charmante (et excellente)  Sara Blanch, le très intéressant Vito Priante en Nick Shadow et le jeune ténor Matthew Swensen déjà vu à Florence (Cosi fan tutte notamment) comme Tom Rakewell.
Vaudra le voyage, d’abord pour le chef et l’orchestre.

Mars-avril 2023
Georges Bizet
Carmen

5 repr. du 28 mars au 16 avril – Dir : Zubin Mehta / MeS : Piero Faggioni
Avec Clémentine Margaine, Valentina Nafornita, Francesco Meli, Mattia Olivieri
Zubin Mehta dirige le chef d’œuvre de Bizet, encore une série de représentations apte à attirer du public local et extérieur. On y note la Carmen de Clémentine Margaine, qu’on voit peu en France et c’est dommage, la charmante Valentina Nafornita en Micaela, et le Don José de Francesco Meli qu’on voit décidément beaucoup cette saison à Florence, mais on notera avec intérêt l’Escamillo du baryton qui monte en Italie et ailleurs, l’excellent et sympathique Mattia Olivieri.
On l’a déjà écrit, appeler le vétéran Piero Faggioni pour une mise en scène créée pour Teresa Berganza qui a marqué l’histoire de l’œuvre (vue à Edimbourg, Paris Opéra-Comique et à la Scala) n’est pas en soi une mauvaise idée. Mieux vaut une mise en scène ancienne mais marquante, que tant de médiocres faussement modernes.

 

Gioachino Rossini
L’Italiana in Algeri per le Scuole

5 repr. du 31 mars au 5 avril – MeS : Grisha Asagaroff
Solistes de l’Accademia del Maggio Musicale Fiorentino
Pour les écoles, sans doute (vu le metteur en scène) une adaptation de la mise en scène de Ponnelle

La suite lorsque le programme du Mai Musical Florentin 2023 sera annoncé


SAISON SYMPHONIQUE

Le nouvel auditorium

La saison symphonique reflète l’impression de richesse musicale de la saison lyrique, on y retrouve évidemment et Zubin Mehta et Daniele Gatti dans des programmes très divers, faits de « must » et de pièces moins connues– un seul exemple, Daniele Gatti dirige un concert de compositeurs italiens du XXe siècle peu fréquents dans les programmes, même en Italie (le 24 novembre), les chefs invités du lyrique (Theodor Guschlbauer, Ingo Metzmacher, James Conlon) sont aussi affichés dans la saison symphonique, et d’autres comme Andrés Oroczo Estrada, Sir Mark Elder, Marc Albrecht ou Dame Jane Glover (seule femme dans la série) sont par ailleurs programmés. Deux orchestres extérieurs, le prestigieux Gustav Mahler Jugendorchester avec à sa tête le non moins prestigieux Herbert Blomstedt et l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo (Charles Dutoit) avec Martha Argerich complètent un riche tableau où chaque programme est donné une seule fois, mais où la saison affiche 24 concerts différents.

 

2 septembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino

Theodor Guschlbauer, direction
Andrea Lucchesini, piano

Mozart, Beethoven
(Cavea del Maggio – en plein air )

4 septembre 2022
Gustav Mahler Jugendorchester
Herbert Blomstedt, direction

Schubert, Bruckner
(Auditorium)

9 septembre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Mandy Fredrich, soprano
Marie-Claude Chappuis, mezzosoprano
Maximilian Schmitt, ténor
Tareq Nazmi, basse

Cycle Beethoven
Symphonies 8 et 9
(Sala Grande)

6 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Guglielmi, Cherubini, Schumann
(Sala Grande)

13 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Bruckner,
Symphonie n°8
(Sala Grande)

16 octobre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
NN, Soprano

Wagner,
Parsifal, prélude acte I, Verwandlungsmusik acte I, Enchantement du Vendredi Saint (Acte III)
Verdi,
Quattro pezzi sacri
(Sala Grande)

19 octobre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Eleonora Filopponi, mezzosoprano

Mahler,
Symphonie n°3
(Sala Grande)

23 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Andrés Oroczo Estrada, direction

Haydn, Ravel, Strauss(R)
(Sala Grande)

29 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Maurizio Pollini, piano

Schubert, Mozart Haydn
(Sala Grande)

30 octobre 2022
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Charles Dutoit, direction
Martha Argerich, piano

Ravel
Valses nobles et sentimentales
Concerto en sol
Stravinsky
Le sacre du printemps
(Sala Grande)

 

12 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
James Conlon, direction

Respighi, Chostakovitch
(Auditorium)

19 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Dame Jane Glover, direction
Luca Benucci, cor
NN, soprano

Prokofiev, Mozart, Haydn
(Auditorium)


24 novembre 2022

Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction

Petrassi, Ghedini, Casella
(Auditorium)

27 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Christoph Eschenbach, direction

Bruckner
Symphonie 7
(Auditorium)

 

3 décembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction

De Falla, Debussy, Ravel
(Auditorium)

 

15 décembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Sir Mark Elder, direction

Weber, Mahler
(Auditorium)

 

22 décembre 2022
Concert de Noël

Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Diego Fasolis, direction

Lenneke Ruiten, soprano
Lucia Cirillo, mezzosoprano
Juan Francisco Gatell,  tenor
Georg Nigl, baryton

Bach,
Oratorio de Noël
Cantates 1, 2 et 3
(Auditorium)

 

31 décembre 2022
Concert de fin d’année
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Lenneke Ruiten, soprano
Eleonora Filopponi, mezzosoprano
Maximilian Schmitt, ténor
NN, baryton

Beethoven
Symphonie n°9
(Auditorium)

13 janvier 2023
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Marc Albrecht, direction

Liszt
(Auditorium)

21 janvier 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Ingo Metzmacher, direction
NN, soliste

Mahler, Schubert
(Auditorium)

18 février 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Brahms, Bartók
(Auditorium)


28 février 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Rudolf Buchbinder, pIano

Wagner, Beethoven, Moussorgsky, Stravinsky
(Auditorium)

10 mars 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Jessica Pratt, soprano

Vivaldi, Bach, Stravinsky
(Sala Grande)

24 mars 2023
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Christiane Karg, soprano
Michèle Losier, mezzosoprano

Mahler
Symphonie n°2 “Résurrection”
(Auditorium)

CONCLUSION:

On tiendrait là la meilleure saison de l’année de tous les théâtres de la péninsule si des efforts un peu plus marqués avaient été faits du côté des metteurs en scène, mais peut-être aussi les saisons en Italie ne sont pas faites suffisamment à l’avance pour s’assurer les meilleurs qui sont forcément pris ailleurs. Quoi qu’il en soit, on tient sans conteste la saison musicale la meilleure de la Péninsule, et parmi les théâtres de stagione, une des meilleures en Europe, il suffit de comparer avec d’autres théâtres pour le constater . Florence a la chance d’avoir dans sa maison deux chefs pratiquement à demeure qui font partie des références musicales de ce temps, Zubin Mehta, au crépuscule d’une immense carrière mais qui continue d’étonner, et Daniele Gatti qui vient d’être choisi comme successeur de Christian Thielemann à la Staatskapelle de Dresde, excusez du peu. Peu d’institutions musicales peuvent se prévaloir de tels chefs qui se partagent la saison.

C’est donc le moment de fréquenter Florence, en essayant de faire contre mauvaise fortune (la scène) bon cœur (la fosse et les plateaux).

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO ALLA SCALA

La saison de la Scala est parue et avec elle son cortège de discussions et de considérations diverses. Il y a ceux qui défendent les choix et il y a ceux qui s’en désolent, comme de juste. Mais en l’occurrence la Scala ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Au vu de cette saison et de quelques autres il est clair que le Teatro alla Scala peine à rester un leader artistique en Europe. Certes le théâtre reste un phare « mythique », mais sa programmation n’a plus la force d’entraînement qu’elle a pu avoir jadis, et elle n’est plus une référence musicale, sauf à de rares exceptions. La Scala est essentiellement un objet médiatique qui fonctionne encore…. Si la saison est attendue avec curiosité, c’est par un vague espoir que ses couleurs en seront ravivées. Ce n’est encore pas le cas pour 2022-2023.

Il y a déjà belle lurette que la Scala n’est plus la référence européenne  ou “le plus grand théâtre lyrique du monde”, même s’il en est encore sans aucun doute le plus célèbre : pas de productions phares, pas de voix nouvelles découvertes, peu de chefs d’envergure – nous avions à ce propos la saison dernière proposé une comparaison cruelle avec une saison du passé.
Mais, plus étonnant, la Scala est en train de perdre aussi ce statut en Italie où d’autres institutions proposent des productions qui attirent plus, des spectacles plus avancés, plus intelligemment distribués et plus ouverts. En bref qui font plus envie.
Cette maison vit sur sa gloire passée, sur son histoire et sa mythologie, et c’est un peu ce qui lui reste: une force d’inertie. Mais elle n’a plus de couleur artistique claire, comme si le pouvoir avait été pris par un algorithme qui prévoit un certain nombre de productions selon des recettes qui recommandent la voie moyenne, sinon quelquefois la poussière, à tous les niveaux. Une saison anonyme, qui n’apparaît être faite que par dosages sans envie, et pourtant malgré une vraie variété dans l’offre et des choix qui peuvent sans aucn doute séduire: paradoxal, je sais.

Les innovations, on les trouve dans un nouveau design pour l’image du matériel promotionnel de la Scala (à part les affiches et « locandine » historiques) ou une façade qui va retrouver les couleurs originales voulues par son architecte Piermarini et un nouveau bâtiment qui agrandit les espaces arrière. La Scala s’agrandit, la Scala ne cesse de se moderniser, c’est parfait, mais pour quelle politique?
Si innovation et couleur pouvaient aussi inonder autre chose que design et façade, on penserait moins à Potemkine…

Il y a longtemps que le spectateur que je suis a constaté cette très lente dégradation : elle ne date pas de cette année ni de la saison précédente, elle a commencé par l’ère Muti, qui au moins avait pour garantie un chef d’envergure dont on pouvait ne pas partager les options, mais qui était très présent . Il y a eu aussi la période Barenboim qui a redonné du brillant, même si Stéphane Lissner était critiqué : mais tout de même, Lohengrin de Claus Guth avec Kaufmann et Harteros, Tristan de Chéreau avec Meier, et le Ring de Cassiers, ou La Traviata de Tcherniakov avec Gatti en fosse, qu’on partage ou non les options des mises en scène, tout cela avait de la gueule.
On chercherait en vain un spectacle qui ait « de la gueule » aujourd’hui, malgré des forces locales toujours exceptionnelles quand elles sont motivées et emportées par l’envie: c’est un point à souligner, choeur, orchestre, et techniciens restent parmi les équipes les plus enviables au monde.
Quant à la saison, un peu de Kaufmann et un peu de Netrebko ne font pas une saison brillante, même si, reconnaissons-le, les temps que nous traversons sont difficiles pour tous les théâtres : mais comment expliquer que la Scala, le théâtre le mieux doté d’Italie, soit l’un des moins stimulants ?

Sur les 14 productions d’opéra certaines peuvent attirer et même valoir le voyage, d’autres choix sont inexplicables et d’autres enfin sans autre intérêt que remplir un agenda. C’est une somme sans ligne, parce que cela va dans tous les sens. Pas de ligne artistique, mais simplement un souci de gestion des attentes supposées du public. Il aime Bohème de Zeffirelli ? on lui donne La Bohème de Zeffirelli. Il rêve au nom de Strehler, si lié à cette maison, on lui sert des Nozze di Figaro qui ne sont que la resucée en moins bien du spectacle parisien. Qu’importe puisque tout le monde, depuis 1981 (date de la production) a oublié…
La politique des metteurs en scène évite soigneusement les grands noms qui circulent dans toute l’Europe et même aux USA aujourd’hui (même à New York qui est pourtant un temple du conservatisme), on cherche soit les morts, les poussiéreux qui l’étaient déjà il y a vingt ans et au mieux ceux qui frôlent de loin une apparence de modernité non dérangeante en se risquant à un ou deux noms à la mode qui apaiseront les regards critiques.

En fait, on n’aime pas le théâtre en ce moment à la Scala. C’est assez singulier dans cette maison, qui accueillit Visconti, Strehler, Ronconi, Lioubimov, Vitez, Ponnelle, Wilson et plus récemment Tcherniakov, Cassiers, Bondy et Chéreau. Mais le phénomène a commencé dès le mandat de Riccardo Muti comme directeur musical, où les spectacles ont perdu de leur intérêt. Le passage de Lissner, si décrié par certains milanais, à un peu rafraîchi l’offre, mais celui d’Alexander Pereira est resté bien trop prudent en la matière.
Mais qu’un Barrie Kosky qui n’est pas un révolutionnaire soit encore inconnu à Milan, ou pire, un italien comme Romeo Castellucci, salué dans le monde entier, c’est tout de même d’un ridicule achevé. On leur préfère Davide Livermore, herméneute de la superficialité insignifiante, qui a son rond de serviette depuis des années et dont on reverra le Macbeth insupportable cette année, avec, en plus une nouvelle production des Contes d’Hoffmann sans doute plumes, paillettes et vidéo.
Même étrangeté dans la politique des chefs d’orchestres, erratique, entre très grands noms particulièrement légitimes et chefs de répertoire à la viennoise (ce qui n’est pas forcément un compliment) dans le théâtre le plus symbolique du système stagione, où le choix du chef est essentiel pour chaque production, où comme disait il y a 50 ans Paolo Grassi, le résultat de la représentation du soir est déterminant et où la programmation devrait être, disent d’autres, le Festival permanent: quand on est la Scala, trouver une dizaine de chefs de bon profil ne doit pas être si difficile … Visiblement, comme on ne les trouve pas, cela signifie qu’ils sont ailleurs et que la Scala n’a plus de pouvoir d’attraction, ou bien, plus vraisemblable, qu’on n’a pas envie de les chercher.
Mais c’est aussi un débat qui remonte à très loin puisque déjà Carlo Fontana répondait que les « grands » chefs ne voulaient plus faire d’opéra hors de leur propre maison. Alors quand on regarde le passé,  les saisons de la Scala sont quelquefois contrastées mais dans l’ensemble elles se tiennent du point de vue des choix de chefs, comme le montrent les cinq exemples ci-dessous : il y a des noms très connus aujourd’hui, mais à l’époque, c’était des chefs plus jeunes, voire débutants, et leur carrière depuis montre que le théâtre avait eu du nez…
Cinq saisons au hasard ( 3 sous Carlo Fontana/Riccardo Muti, et 2 sous Stéphane Lissner/Daniel Barenboim) assez différentes et considérons seulement  les noms des chefs invités

  • 1988-1989 :
    (saison avec tournée du Bolchoï) Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Gianandrea Gavazzeni, Daniele Gatti (débuts), Alexandre Lazarev (Bolchoï), Andrei Christiakov (Bolchoï), Gary Bertini, Tiziano Severini, Lorin Maazel, Gennadi Rozhdestvenski, Zoltan Pesko
    Riccardo Muti, directeur musical (6 productions)
  • 1997-1998 :
    Zoltan Pesko, Massimo Zanetti, Gianluigi Gelmetti, Riccardo Muti, Donald Runnicles, Adam Fischer, Valery Gergiev, Bruno Campanella
    Riccardo Muti, directeur musical (3 productions)
  • 1998-1999 :
    Riccardo Muti, Bruno Bartoletti, Giuseppe Sinopoli, Mstislav Rostropovitch, David Robertson, Riccardo Chailly, Gary Bertini.
    Riccardo Muti, directeur musical (5 productions)
  • 2010-2011:
    Daniel Barenboim, Omer Meir Wellber, Daniel Harding, Edward Gardner, Roland Boër, Susanna Mälkki, Yannick Nézet-Séguin, Franz Welser-Möst, Nicola Luisotti, Antonello Allemandi, Rinaldo Alessandrini, Roberto Abbado, Philippe Jordan, Valery Gergiev
    Daniel Barenboim, (1 production) n’était pas encore directeur musical il le sera la saison suivante.
  • 2011-2012
    Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel, Daniele Rustioni, Enrique Mazzola, Fabio Luisi, Gianandrea Noseda, Robin Ticciati, Andrea Battistoni, Nicola Luisotti, Marc Albrecht, Marco Letonja, Omer Meir Wellber
    Daniel Barenboim, directeur musical (2 productions)
    Ces cinq exemples parlent d’eux mêmes.

_____

Cette saison Il y a quatorze productions d’opéra entre reprises et nouvelles productions.
On compte donc :

Nouvelles productions :

Boris Godounov
I Vespri Siciliani
Les contes d’Hoffmann
Li Zite n’galera
Lucia di Lammermoor
Rusalka
Peter Grimes
L’Amore dei tre re’

Reprises :
Salomé : même si la production n’a pas été vue par le public, elle a été, répétée et retransmise en streaming en 2021, c’est donc une reprise.
La Bohème
Andrea Chénier
Macbeth
Il Barbiere di Siviglia
Le nozze di Figaro

Au palmarès des compositeurs :

Répertoire italien
1 Vinci
1 Rossini
1 Donizetti
2 Verdi
1 Puccini
1 Giordano
1 Montemezzi

Répertoire non italien
1 Mozart
1 Offenbach
1 Moussorgsky
1 Dvořák
1 R.Strauss
1 Britten

Un peu de tout, couvrant scrupuleusement toutes les périodes de l’art lyrique, des compositeurs au profil classique, des metteurs en scène éprouvés sinon éprouvants, quelques bons à très bons chefs et deux chefs de grande envergure dont le directeur musical, d’autres chefs qui ailleurs font du répertoire pour une bonne moitié des productions, et des distributions correctes sans remuer les tripes.
J’ai lu avec amusement à propos de cette saison « pluie de stars » : il faudrait s’entendre sur la qualification de « star » Yoncheva ? Rebeka ? Allons donc… J’en trouve trois sur 14 productions, Kaufmann, Netrebko, Flórez… une bruine plutôt qu’une pluie. Et d’ailleurs, les stars viennent sur une ou deux productions, jamais plus, donc c’est un épiphénomène.

 

Décembre 2022
Modest Moussorgski
Boris Godounov

8 repr.(comprises l’Avant-première jeunes (4/12) et la « Prima » (7/12) et du 10 au 29 déc.) – Dir : Riccardo Chailly / MeS : Kasper Holten
Avec Ildar Abdrazakov, Ain Anger, Misha Didyk, Norbert Ernst…
43 ans après la production mythique de Iouri Lioubimov, dirigée par Claudio Abbado dans la version originale (version 1872) de Moussorgski (qui en fait lança cette musique dans tous les théâtres du monde jusque-là habitués à la version Rimsky), la Scala produit un nouveau Boris Godounov. Certes, depuis 1979, l’œuvre a été reprise en 1980-1981, puis le Bolchoï en 1988-1989 l’a présentée en tournée, et Gergiev a dirigé les forces de la Scala dans la production du Mariinski en 2001-2002, mais c’est la première production « maison » du chef d’œuvre de Moussorgski depuis 1979.
En outre, cette ouverture de saison sera marquée par la présentation de la version originale de 1969. Évidemment la direction de Riccardo Chailly sera particulièrement guettée car c’est là que se situe le plus grand intérêt. La distribution solide est quand même assez attendue, avec Ildar Abdrazanov en Boris, évidemment inévitable, avec un Ain Anger en Pimen qu’on eût pu peut-être éviter (ses dernières prestations sont médiocres), mais Misha Didyk est un autre des chanteurs « attendus », qui a l’avantage d’être ukrainien (important un soir de Prima) encore qu’il y ait des ténors russes aujourd’hui bien plus intéressants dans ce rôle. Norbert Ernst en Shuiski en revanche est une jolie idée.
La mise en scène est signée de Kasper Holten, qui avait fait un Ring remarqué à Copenhague en 2006, mais qui depuis n’a pas imprimé les mémoires par des productions notables.
Le débat a porté dans la critique italienne sur la présence d’un entracte, qui ne se justifie pas dans la version de 1869. Mais comment peut-on imaginer une Prima du 7 décembre sans entracte, autant enlever 95% de l’intérêt de la soirée… Enfin, Der fliegende Holländer, qui se joue sans entracte partout dans le monde, a des entractes à la Scala… Quand on vous dit que ce théâtre est unique…

Janvier 2023
Richard Strauss
Salomé

6 repr. du 1er au 31 janv. – Dir : Zubin Mehta/MeS : Damiano Michieletto
Avec Vida Miknevičiūtė, Michael Volle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Linda Watson…
Comme ailleurs, les productions sacrifiées sur l’autel du Covid reviennent devant le public. Celle-ci avait été doublement frappée : d’une part Zubin Mehta, prévu, avait déclaré forfait et c’est Riccardo Chailly qui avait dirigé à sa place (magnifique interprétation d’ailleurs), et d’autre part, le confinement avait contraint la Scala à une reprise en streaming. Cette année, Mehta revient, et c’est l’attraction.
La production de Michieletto (qui ne m’a pas enthousiasmé) va enfin avoir droit à son vrai public, et attraction supplémentaire, c’est Vida Miknevičiūtė aujourd’hui appelée partout, qui va faire sa première apparition à la Scala en Salomé. Vaut le voyage donc, d’autant que Iochanaan sera l’immense Michael Volle, sauf le 31 janvier où ce sera Tomasz Konieczny. Hérode de choix avec Wolfgang Ablinger Sperrhacke, le meilleur ténor de caractère de langue allemande mais grave chute de goût avec Linda Watson en Hérodias quand on a sur le marché désormais Waltraud Meier… Conclusion : vaut le voyage

 

Février 2023
Giuseppe Verdi
I Vespri Siciliani

7 repr. du 28 janv. au 21 fev. – Dir : Fabio Luisi/MeS : Hugo de Ana
Avec Marina Rebeka/Angela Meade, Piero Pretti, Luca Micheletti/Roman Burdenko, Dmitry Beloselskiy.
Cette production n’est pas en soi une mauvaise idée : depuis la production Pizzi dirigée par Riccardo Muti en 1987-1988 et 1989-1990, pas de Vespri Siciliani à la Scala. Il est vrai aussi que ce n’est pas un titre typiquement scaligère. La confier à Fabio Luisi, solide, élégant, très ductile, ce n’est pas non plus un mauvais choix d’autant qu’il est très aimé de l’orchestre.
Mais donner la mise en scène à Hugo de Ana, qui avait déjà au début des années 2000 massacré un Trovatore dirigé par Muti, c’est une très mauvaise idée. De Ana est peut-être(?) un bon décorateur, mais un mauvais metteur en scène, et il écume les scènes depuis des années sans rien faire de vraiment original. De la vieillerie.
Distribution correcte sans être exceptionnelle, Marina Rebeka fait de belles notes, mais c’est de la glace à aigus. Angela Meade est une vraie Elena (entendue jadis au MET, et avec quel éclat !): si vous y allez, mieux vaut choisir les 11 ou 21 février. Piero Pretti est un bon ténor, mais sans grande personnalité, Dmitry Beloselskiy une belle basse, mais quand on a en Italie un Roberto Tagliavini… Pour Monforte, du neuf, Luca Micheletti qu’on voit plusieurs fois dans la saison, et Roman Burdenko, plus habituel.
Enfin, quand tous les théâtres désormais proposent le plus souvent la version originale en français, la Scala se distingue en programmant la traduction italienne. C’est une faute pour un théâtre qui se dit un temple verdien.
L’Opéra de Rome inaugura sa saison en 2019 par la version française « Les Vêpres siciliennes » sous la direction d’un Daniele Gatti au sommet. Ainsi on évitera les comparaisons…
Un spectacle globalement inutile des choix discutables, qui part sous de mauvais auspices.

Mars 2023
Giacomo Puccini
La Bohème

8 repr. du 4 au 26 mars – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Marina Rebeka/Irina Lungu, Irina Lungu/Mariam Battistelli, Freddie De Tommaso, Yongmin Park, Luca Micheletti
Présenter la énième fois la Bohème de Zeffirelli a été raillé par certains commentateurs ; je ne suis pas de cet avis dans la mesure où cette production attire à chaque fois un public ravi et qu’elle est une signature du théâtre, un des symboles de cette maison. Et donc on peut comprendre.
On peut comprendre aussi l’appel à la jeune cheffe Eun Sun Kim, qui dirige beaucoup en Europe. Et c’est aussi une bonne idée de faire appel à Freddie De Tommaso comme Rodolfo, qui est l’une des voix nouvelles intéressantes du répertoire italien qu’on commence à s’arracher, et le faire débuter à la Scala en Rodolfo qui n’est pas un rôle trop difficile, pourquoi pas ?
Pour le reste, Marina Rebeka en Mimi, ça n’a aucun intérêt, tant les Mimi écument les salles, et Rebeka ne me semble pas avoir le cœur puccinien (en tous cas elle ne me fait pas pleurer) et donner à Irina Lungu Mimi et Musetta en alternance, est-ce une si bonne idée ? On s’ingénie habituellement à bien séparer les deux typologies vocales.
Pour une Bohème à la Scala, l’alternative est simple : ou bien on appelle des stars, et là on crée un événement, ou bien on compose une distribution de jeunes très prometteurs (chef compris), sur Bohème c’est sans grand risque et il y a en Italie des chefs et des cheffes jeunes capables de diriger.
Là on est dans un entre deux, un peu fade, qui ne donne pas vraiment envie.

Mars 2023
Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann

6 repr. du 15 au 31 mars – Dir : Frédéric Chaslin/MeS : Davide Livermore
Avec Vittorio Grigolo, Ildar Abdrazakov, Eleonora Buratto, Federica Guida, Francesca Di Sauro, Marina Viotti
Pendant la saison 1994-1995, Les Contes d’Hoffmann fut signé Alfredo Arias et dirigé par Riccardo Chailly. Ça ne manquait pas de gueule. La production fut reprise plusieurs saisons et remplacée en 2012 par celle bien connue de Robert Carsen.
Une nouvelle production, pourquoi pas ?
Comme une saison n’est pas concevable aujourd’hui à la Scala sans Davide Livermore, on lui donne l’opéra fantastique, avec ses jeux d’images vidéos dont il a le secret, quelle que soit l’œuvre, mais au moins celle-ci s’y prêtera. Direction musicale Frédéric Chaslin, très apprécié par Dominique Meyer (bien moins par d’autres) et une distribution que Marina Viotti, Ildar Abdrazakov, Vittorio Grigolo et Eleonora Buratto rendent très solide.
Dans une saison qui ne brille pas par l’originalité, et où on donne pas mal de platitudes de luxe, des Contes d’Hoffmann paillettes sur scène peuvent attirer. Ne vaut pas le voyage en tous cas pour mon goût.

Avril 2023
Leonardo Vinci
Li zite n’galera
5 repr. du 4 au 21 avril – Dir : Andrea Marcon/MeS: Leo Muscato
Avec Raffaele Pe, Marco Filippo Romano, Francesca Aspromonte, Cecilia Molinari etc…
Leo Muscato, vous vous souvenez ? Celui qui avait inversé la fin de Carmen au nom de l’honneur des femmes…
Metteur en scène sans grand intérêt (cependant meilleur dans le comique) mais qui a deux productions à la Scala cette année, comme quoi…
Andrea Marcon, au contraire est l’un des maîtres du répertoire baroque en Italie, une référence internationale. Et donc, c’est un choix judicieux pour cette œuvre inconnue, une commedia per musica, créée à Naples en 1722.
Dans la distribution, Raffaele Pe le contre-ténor et d’autres spécialistes bien connus de ce répertoire. Tout cela fait, si on ferme les yeux sur Muscato (à moins qu’il ne trouve l’inspiration, ce qui est toujours possible), une production qui devrait valoir le voyage, rien que par curiosité.

 

Avril-Mai 2023
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

8 repr. du 13 avril au 5 mai – Dir : Riccardo Chailly/MeS :  Yannis Kokkos
Avec Boris Pinkhasovich, Lisette Oropesa, Juan Diego Flórez, Ildebrando D’Arcangelo, Leonardo Cortellazzi
Avec Flórez, Oropesa et Chailly en fosse, c’est un tiercé gagnant, qui devait être de la Prima annulée pour Covid en 2020 et remplacée par ce spectacle ridicule télévisé réalisé par Davide Nevermore, oh pardon, Livermore.
Entourés, en plus par Boris Pinkhasovich : la Scala va découvrir l’un des meilleurs barytons actuels, et Ildebrando d’Arcangelo bien connu, c’est la garantie d’un succès.
Pour la mise en scène, la dernière, pas géniale mais passable, venait du MET (Mary Alice Zimmermann), et l’avant-dernière était signée Pier’Alli, mieux. Pourquoi faire une nouvelle production si les autres sont encore dans les cartons ? Lucia est l’un de ces titres qui n’a pas besoin de changer si souvent et la production Zimmermann tenait le coup. Alors on fait du neuf (?)… en appelant Yannis Kokkos.
Le décorateur de Vitez (mort en 1990) est un décorateur souvent inspiré mais jamais ne fut un metteur en scène, sauf peut-être pour Les Troyens, sa production qui a le plus marqué, un peu comme le bien plus médiocre Hugo De Ana (voir plus haut). En tous cas pas un metteur en scène d’avenir, mais plutôt des années 1990. Un choix peu explicable sinon par la peur de la nouveauté.
Mais devrait, pour la musique, valoir le voyage.


Mai 2023
Umberto Giordano
Andrea Chénier
7 repr. du 3 au 27 mai – Dir : Marco Armiliato/MeS : Mario Martone
Avec Sonya Yoncheva, Yusif Eyvazov/Jonas Kaufmann, Ambrogio Maestri / Amartuvshin Enkhbat , Elena Zilio
Reprise de la mise en scène de Mario Martone qui avait enchanté la Prima de 2017 (Eyvazov, Salsi, Netrebko). La star cette fois est Jonas Kaufmann, et la starlette Sonya Yoncheva qui n’a pas la moitié de la voix de Netrebko… Pour le reste du solide, avec la seule apparition émouvante, celle de Elena Zilio en Madelon. En fosse, Marco Armiliato, qui avec Fedora l’automne prochain arrivera enfin à diriger à la Scala après une carrière qui l’a mené dans tous les grands opéras de la planète pour diriger le répertoire italien. C’est un bon chef sans aucun doute, en particulier dans le vérisme, un chef de répertoire de série A, qui a beaucoup dirigé au MET et à Vienne.
À Vienne qui propose, si vous avez des envies, un André Chénier avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta sous la direction de Francesco Lanzillotta. Comparez, et décidez…

 

Juin 2023
Antonín Dvořák
Rusalka
6 repr. du 6 au 22 juin 2023 – Dir : Tomáš Hanus/MeS : Emma Dante
Avec Dmitry Korchak, Elena Guseva, Olga Bezsmertna, Okka von der Damerau, Yongmin Park
Emma Dante comme metteuse en scène, c’est au moins un nom italien de prestige dont le choix ne peut heurter. Tomáš Hanus en fosse, c’est un très bon chef d’opéra sur ce répertoire qui assurera un niveau musical très enviable. Okka von der Damerau en Jezibaba et Elena Guseva en princesse étrangère, c’est excellent. Mais Olga Bezsmertna en Rusalka, c’est médiocre, et Dmitry Korchak en prince, c’est une idée baroque. Distribution bizarre, faite d’excellentes idées d’un côté et de drôles d’idées de l’autre qui risquent de gâcher la fête.

 

Juin-Juillet 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth

8 repr. du 17 juin au 8 juillet – Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Davide Livermore
Avec Ekaterina Semenchuk/Anna Netrebko, Luca Salsi/ Amartuvshin Enkhbat
Fabio Sartori/Giorgio Berrugi, Jongmin Park
La mise en scène lamentable de Davide Livermore ne sera pas rééquilibrée par la direction de Chailly, remplacé par Giampaolo Bisanti, chef correct sans doute, mais pas pour ce type d’œuvre qui nécessite une toute autre personnalité.  Netrebko en juin-juillet, pour aimanter les premiers touristes qui feront l’aller et retour Vérone-Milan, la solide Semenchuk fera le reste.

Septembre 2023
Gioachino Rossini

Il barbiere di Siviglia
6 repr. du 4 au 18 septembre 2023 – Dir : Evelino Pidò/MeS Leo Muscato
Avec les artistes de l’Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala.
Toujours excellente idée d’une production de l’Accademia insérée dans le programme annuel. La production est celle de Leo Muscato, qui a remporté un certain succès en septembre 2021, avec Chailly en fosse et une jolie distribution. Ici Evelino Pidò est une garantie de précision pour des jeunes chanteurs et les jeunes musiciens de l’orchestre de l’académie.

Septembre-Octobre 2023
W.A.Mozart
Le nozze di Figaro
7 repr. du 30 sept. au 20 oct – Dir : Andres Oroczo-Estrada/MeS : Giorgio Strehler
Avec Ildebrando D’Arcangelo, Olga Bezsmertna, Luca Micheletti, Benedetta Torre, Svetlina Stoyanova
Andrès Oroczo-Estrada, vient de démissionner de son poste de directeur musical des Wiener Symphoniker après à peine un an d’exercice comme Directeur musical où il succédait à Philippe Jordan. Le chef colombien a une réputation assez solide dans le Mozart symphonique. À noter la comtesse d’Olga Bezsmertna qui m’a vraiment déçu dans ce rôle quand je l’ai entendue à Munich. Ildebrando D’Arcangelo est un chanteur particulièrement rôdé, dans Le nozze où il a chanté Bartolo, Figaro et il Conte Almaviva. Svetlina Stoyanova a chanté Cherubino à Vienne en 2018, Luca Micheletti est metteur en scène devenu chanteur, avec un certain succès et il apparaît plusieurs fois cette saison à la Scala, Benedetta Torre est une jeune chanteuse à laquelle on commence à s’intéresser. Une distribution qui mélange jeunes et moins jeunes. À découvrir seulement si vous êtes par hasard à Milan.


Octobre-Novembre 2023
Benjamin Britten
Peter Grimes

6 repr. du 18 oct. au 2 nov – Dir : Simone Young/ MeS : Robert Carsen
Avec Brandon Jovanovich, Nicole Car, Ólafur Sigurdarson, Natasha Petrinsky
Simone Young est un bon choix pour le chef d’œuvre de Britten, je l’ai entendue à Vienne en janvier dernier et sa direction était très solide. Robert Carsen est Robert Carsen : il n’a plus grand chose à inventer, mais il plaît en Italie où il représente une modernité sans grand risque, donc évidemment en odeur favorable à la Scala. Distribution sans grande saveur cependant, sinon Natasha Petrinsky et Nicole Car, une Ellen Orford sans doute intéressante, mais Brandon Jovanovich en Peter Grimes, ce n’est pas vraiment attirant… Donc une production nouvelle, sur laquelle le théâtre n’a pas l’air de parier, comme si on se disait, « inutile de chercher la distribution idéale, de toute manière le théâtre ne sera pas plein ».

 

Italo Montemezzi
L’amore dei tre re’

5 repr. du 28 oct. au 12 nov – Dir : Michele Mariotti /MeS :Alex Ollé, La Fura dels Baus
Avec Günther Groissböck, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi, Chiara Isotton, Giorgio Misseri
Pour information, deux reprises à la Scala l’une en 1948 (dir.Franco Capuana) et l’autre en 1953 (direction Victor De Sabata), chacune pour trois représentations. Avec les cinq prévues, cela fera 11 représentations en 75 ans… L’œuvre est donc un peu disparue des programmes, même si elle fut un des grands succès du MET où elle fut créée en 1914.
On ne peut pas donc reprocher au théâtre de la ré-exhumer et de parier sur L’amore dei tre re’ d’Italo Montemezzi sur un livret de Sem Benelli, créé à la Scala en 1913. Puisque le centenaire n’a pas été fêté, on fête donc en 2023 le 110e anniversaire de la création qui bénéficia de la direction de Tullio Serafin.
Pour ce retour à la Scala, à 71 ans de la mort de Montemezzi, c’est Alex Ollé, de la Fura dels Baus qui met en scène. Entre Carlus Pedrissa et Alex Ollé, c’est le moins intéressant et évidemment le plus consensuel des deux qui a été choisi dans l’équipe de la Fura dels Baus pour cette production. En revanche musicalement, entre Günther Groissböck qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi et Chiara Isotton, c’est une très belle distribution et en fosse, Michele Mariotti ranimera sans doute la flamme morte, du moins on l’espère. Une œuvre à connaître de toute manière, qui ne jouit pas d’une grande faveur cependant malgré son succès avant la deuxième guerre mondiale.
C’est donc un voyage possible, si vous êtes curieux.

Le Ballet :

Le Ballet de la Scala a une grande tradition classique et ceux qui s’y intéressent se rendront certainement à Milan pour constater les premiers résultats du travail de Manuel Legris et de voir sur scène le dernier arrivé, Jacopo Tissi, « guest », et danseur étoile du BolchoÏ, qui a quitté la Russie suite aux événements que vous savez. Les ballettomanes auront peut-être plus de chance que les lyricomanes. Une saison brillante.

Productions :

Casse-Noisette (Chor. Rudolf Noureev)
Soirée chorégraphes : Dawson, Duato, Kratz, Kylián
Le Corsaire (Chor.Manuel Legris)
Soirée William Forsythe (Chor.William Forsythe)
Romeo et Juliette (Chor. Kenneth Mac Millan)
Gala Fracci
Le Lac des Cygnes (Chor.Rudolf Noureev)
Aspects of Nijinsky (Chor.John Neumeier)

 

Les concerts :

C’est toujours une carte maîtresse du théâtre, et cette année, entre les chefs de premier plan et des petits nouveaux, les concerts sont bien diversifiés et, comme la saison dernière, la programmation musicale hors opéra a des attraits que la programmation lyrique n’a pas toujours.
Les concerts symphoniques mêlent orchestre du Teatro alla Scala pour les grands concerts avec chœur et de la Filarmonica pour les concerts strictement symphoniques
La saison de la Filarmonica peut être consultée sur le site https://www.filarmonica.it/

Novembre 2022
9, 10, 12 novembre
Orchestre du Teatro alla Scala
Chœur de femmes du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants de l’Accademia du Teatro alla Scala

Daniele Gatti, direction

Mahler, Symphonie n°3

Gatti grand mahlérien revient pour un des monuments de Gustav Mahler. À ne pas manquer

Janvier 2023
16, 18, 19 janvier
Filarmonica della Scala

Daniel Lozakovich, violon
Riccardo Chailly, direction

Tchaïkovski,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.35
Symphonie n°6 en si mineur op.74 « Pathétique »

Un programme de couleur russe quelques jours après le Boris Godounov d’ouverture

Février 2023
15, 16, 18 février
Filarmonica della Scala

Daniel Harding, direction

Mozart
Symphonie n° 39 en mi bemol majeur KV 543
Symphonie n° 40 en sol mineur KV 550
Symphonie n° 41 en ut majeur KV 551 « Jupiter »

Les trois dernières symphonies de Mozart, par Daniel Harding, assez familier de cette maison. Harding n’est jamais inintéressant,

Mars 2023
6, 8, 10 mars

Filarmonica della Scala

Marc Bouchkov, violon
Lorenzo Viotti, direction

Haydn
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Korngold
Concerto en ré majeur op. 35 pour violon et orchestre
Strauss
Tod und Verklärung op.24

L’un des jeunes chefs désormais chéris de cette maison, engagé dans un programme très diversifié et une rareté, le concerto de Korngold

Avril 2023
24, 27, 28 avril

Filarmonica della Scala

Timur Zangiev, direction

Tchaikovski, Symphonie n°5 en mi mineur op.64
Chostakovitch, Symphonie n°5 en ré mineur op.47

Le jeune chef russe qui a remplacé Gergiev non sans succès dans les Dame de Pique de ce printemps, dans un programme idiomatique.


Mai 2023
18,19,20 mai
Orchestra del Teatro alla Scala
Chœur du Teatro La Fenice di Venezia
Chœur d’enfants de l’Accademia del Teatro alla Scala
Solistes:
Marina, Rebeka, Krassimira Stoyanova, Regula Mühlemann, Okka von der Damerau, Klaus Florian Vogt, Andrè Schuen, Ain Anger

Mahler, Symphonie n°8 en mi bemol majeur “Des Mille”

Immanquable, évidemment

Octobre 2023
11, 12, 14 octobre

Yuja Wang, piano
Zubin Mehta, direction

Messiaen, Turangalila Symphonie pour piano, ondes Martenot, et orchestre

Tout autant immanquable


Concerts exceptionnels


Décembre 2022
22 décembre 2022
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Lauren Michelle, Annalisa Stroppa, Giovanni Sala, Luca Micheletti

Chef des chœurs : Alberto Malazzi

Zubin Mehta, direction

Haydn,
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Messe en ut majeur “Paukenmesse” Hob:XXII:9

Concert de noël désormais traditionnel, au programme alléchant

Mai 2023
11 mai
Concert pour l’anniversaire de la reconstruction de la Scala
Chœur du Teatro alla Scala

Alberto Malazzi, direction

Rossini, Petite messe solennelle pour solistes, chœur, harmonium et deux pianos

Évidemment passionnant

Juin 2023
14 juin
Armonia Atenea
Gaelle Arquez, Max Emanuel Cencic, Julia Lezhneva, Suzanne jerosme, Dennis ORellana, Stefan Sbonnic
George Petrou, direction

Nicola Porpora, Carlo il calvo

Même en version de concert, la distribution vaut le coup .

Orchestres invités

Novembre 2022
19 novembre
Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia

Lisa Batiashvili, violon
Antonio Pappano, direction

Beethoven,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.61
Schumann,
Symphonie n°2 en ut majeur op.61

Programme très (trop ?) classique.

 

Décembre 2022
3 décembre 2022

English Baroque Solists
Monteverdi Choir

John Eliot Gardiner, direction

Bach,
du « Weihnachtsoratorium » BWV 248
Parties I-II-III

Difficile de manquer Gardiner

Mai 2023
25 mai 2023
Gustav Mahler Jugendorchester

Daniele Gatti, direction

Mahler,
Adagio de la Symphonie n°10
Symphonie n°1 en ré majeur « Titan »

Encore un Mahler, décidément prisé cette année et avec un orchestre de jeunes désormais mythique, jadis créé par Abbado. L’Italie a la chance d’avoir en son sein deux des plus grands chefs mahlériens actuels, qui sont dans la saison de la Scala, il faut en profiter.

Juin 2023
20 juin 2023
Wiener Philharmoniker

Riccardo Chailly, direction

R. Strauss
Don Juan, op 20
Guntram op. 25 Prélude
Feuersnot op.50 Scène d’amour
Ein Heldenleben op.40 Poème symphonique

Un programme Strauss qui offre deux raretés, Guntram et Feuersnot. On ne va pas bouder son plaisir avec un tel orchestre et un tel chef.

 

Récitals

Soulignons encore une fois l’initiative louable de proposer une saison de récitals, profitant souvent de la présence dans les distributions de bien des impétrants. Mais il y a récitals et récitals et je doute de Vittorio Grigolo et Michael Volle rencontrent le même public. Mais c’est aussi habile de réunir des artistes au profil radicalement différent, pour d’authentiques soirées de Lieder (Volle, Werba), de grandes soirées de folie lyrique (Netrebko, Grigolo), de belles soirées vocales (Salsi, Bernheim) et un récital que personne ne doit manquer : Rachmaninov par Evgueni Kissin et Renée Fleming sans doute le must de l’année.
C’est varié, la salle ne sera sans doute pas toujours remplie, mais c’est un programme au dosage assez séduisant.


Décembre 2022
18 décembre
Michael Volle, baryton
Helmut Deutsch, piano

Mozart, Schubert, Liszt


Janvier 2023
8 janvier 2023
Markus Werba, baryton
Michele Gamba, piano

Schubert, Winterreise op.89 D. 911

28 janvier 2023
Renée Fleming soprano
Evgueny Kissin, piano

Rachmaninov

Février 2023
26 février 2023
Vittorio Grigolo, ténor
Vincenzo Scalera, piano

Programme non communiqué

Mars 2023
19 mars 2023
Anna Netrebko, soprano
Elena Bashkirova, piano

Tchaïkovski, Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Glinka

Juin 2023
10 juin 2023

Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi

Octobre 2023
5 octobre 2023
Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

Chausson, Berlioz, Duparc, Puccini, Verdi

 

Grands pianistes à la Scala

On oublie souvent quand on ne vit pas ou qu’on n’a pas vécu à Milan que la Scala est non seulement le théâtre lyrique que l’on sait, mais aussi le lieu des « grands » concerts et des « grands » récitals. Il y a certes des auditoriums liés à des orchestres locaux (deux) : le troisième c’est celui du Conservatoire Giuseppe Verdi, belle salle mais moins prestigieuse et à la capacité qui ne concurrence pas la Scala. Milan n’a pas en dehors de la Scala un autre grand lieu de rendez-vous musical de prestige.
Alors les grands récitals de piano ont toujours lieu à la Scala, j’y ai par exemple entendu Horowitz, sauf pour certains programmes : un de mes souvenirs les plus frappants fut la deuxième sonate de Boulez par Maurizio Pollini au Conservatoire. Un de ces souvenirs qui poursuivent une vie.
Les solistes invités font partie de la fleur des pianistes du moment, avec le traditionnel concert de Maurizio Pollini, et la conclusion en octobre avec l’immense Igor Levit. De quoi remplir de grandes soirées.

 

Décembre 2022
11 décembre
Khatia Buniatishvili

Mozart, Bach, Chopin, Liszt, Rachmaninov, Prokofiev

 

Février 2023
13 février 2023

Maurizio Pollini

Programme non communiqué


Mars 2023
20 mars 2023

Jan Lisieki

Chopin, Études et Nocturnes

Avril 2023
2 avril

Rudolf Buchbinder

Bach, Suite anglaise n°3 en sol mineur BWV 808
Beethoven, Sonate n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata »
Schubert, Sonate en si bémol majeur D 960

Octobre 2023
22 octobre 2023

Igor Levit

Liszt, Liebestraum n°3
Mahler, Adagio de la Symphonie n° 10 (arrangement Ronald Stevenson)
Wagner, Prélude de Tristan und Isolde (Arrangement Zoltán Koksis)
Liszt, Sonate en si mineur.

______________________________________

Comme on le voit, comme on a pu le lire, il y a des grands moments à prévoir dans cette saison, mais pas forcément à l’opéra. Ballet, concerts symphoniques, récitals divers devraient offrir de quoi remplir les soirées.

On reste un peu hésitant face au programme lyrique, ce qui est presque un comble concernant la Scala. Des choix souvent ennuyeux, des productions qui ne font pas envie, marquées par la prudence et l’évitement de tout ce qui pourrait secouer les attentes d’un public qu’on doit estimer un peu rassis pour lui servir des choses aussi tièdes.
On connaît ce public de la Scala, très local, ou touristique et d’affaires (les foires) mais on sait aussi que les abonnements ont chuté, que l’on affiche désormais rarement tutto esaurito (complet). À ce type de public, c’est vrai qu’il ne faut servir que du digeste, et surtout pas d’effervescent. Comme d’autres théâtres, la Scala doit se relever des deux années de pandémie, mais la crise du public avait commencé bien avant. On voyait beaucoup de russes et beaucoup d’asiatiques : pour des raisons diverses, les uns et les autres ne voyagent plus. Est-ce la raison de cette prudence affichée pour ne pas heurter le public qui reste ?
Et pourtant, s’il y a des choix difficilement compréhensibles (I vespri siciliani), il y a des titres exigeants ou moins connus (Boris, Salomé, Peter Grimes, Rusalka Macbeth), des titres rares (Li zite n’galera, L’amore dei tre Re’) des titres populaires (Barbiere, Lucia, Chénier, Hoffmann ), des productions mythiques (Nozze, Bohème), c’est à dire une composition soucieuse d’équilibres qui devrait convaincre, et qui ne convainc pas.

Je persiste à croire qu’un peu plus d’ouverture sur les productions et les mises en scène ne devrait pas nuire, je persiste à croire que c’est cette image un peu passéiste des choix scéniques qui jette sur l’ensemble, peut-être injustement, une image poussiéreuse qui n’est pas compensée par des chefs incontestables et des distributions qui font naître l’envie… Mais on continue à l’aimer, ce satané théâtre qui nous énerve tant.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2021/2022: PREMIÈRE SAISON DE L’ÈRE ALEXANDER NEEF

On ne reviendra pas sur les péripéties des dernières années de l’Opéra de Paris, entre grèves, confinement, passage accidenté du relais entre Stéphane Lissner et Alexander Neef. Le seul fait que soit annoncée une saison entière est déjà un gage que les choses retournent à la normalité et cela ne peut que réjouir les observateurs et les amateurs.
C’est pourquoi il faut aussi tenir compte d’une situation qui a affecté la “grande boutique” à bien des niveaux, et notamment économique, pour comprendre les données d’une saison qui doit tout à la fois tenir compte du passé immédiat mais afficher des intentions qui vont permettre d’envisager ce que sera la politique artistique de l’Opéra de Paris dans le futur. Et juste pour finir un étonnement de détail: le logo de l’Opéra de Paris n’a pas changé depuis 1973, superbe exemple de longévité et de continuité que la vie de la maison n’a pas tout à fait suivi…

L’objectif de Stéphane Lissner, il l’a expliqué dans l’interview qu’il a accordée à Wanderersite.com, était d’attirer à Paris la fleur des chanteurs et des metteurs en scène qui garantiraient un remplissage des deux salles et des sponsors en nombre ; objectif réussi jusqu’aux grèves puisque l’Opéra se finançait de manière autonome à 60% devenant de fait une entreprise privée sans en avoir les avantages.
Qu’en sera-t-il dans les années qui viennent ? L’État a garanti son soutien, mais on ne sait sur quel modèle économique, puisque le rapport de Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu supposé remis à la ministre n’a pas été rendu public et que rien ne transpire de ce côté. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas le moment opportun, car il faut aussi laisser à la nouvelle direction le temps de prendre ses marques et de recommencer à faire fonctionner la machine. C’est le minimum décent pour laisser Alexander Neef appliquer la politique pour laquelle il a été choisi.
Un premier événement a été la nomination de Gustavo Dudamel comme directeur musical, un joli coup médiatique qui par ailleurs ne manquera pas d’attirer d’autres sponsors : le chef vénézuélien est très largement bankable. Mais Philippe Jordan, à plein temps à Vienne, reste jusqu’à l’été directeur musical de l’Opéra de Paris puisqu’il donnera un concert d’adieu en juillet prochain, dernier épisode du feuilleton des successions.
Le premier épisode de la nouvelle direction musicale est fixé cet automne puisque Gustavo Dudamel donnera un concert d’inauguration le 22 septembre: les symboles sont affichés, l’honneur est sauf.

Voilà l’ambiance et les conditions qui président à cette présentation de saison, soumise comme les saisons des autres théâtres aux aléas de la pandémie. Comme nous l’avons souligné pour Lyon, ce n’est pas encore le moment de se lancer à corps perdu dans des réorganisations, révisions politiques, nouvelles voies, dans la mesure où Miss Pandémie est encore au coin de la rue et que son côté fantasque ne préserve pas de mauvaises surprises.

C’est sous tous ces prismes qu’il faut considérer la saison qui vient à Paris, qui ne bouleverse pas autant qu’on le dit çà et là les habitudes. Et notamment l’affichage d’un théâtre de répertoire. Nous avons expliqué dans ce Blog les formes que pouvaient prendre le théâtre de répertoire au sens allemand du terme. Dans cette saison, l’Opéra de Paris reste un théâtre de semi-stagione, ce qu’il a été depuis que Hugues Gall a constitué pour cette maison un répertoire de productions à reprendre pendant un certain temps afin de constituer un “Fonds de roulement”.
Que les directeurs successifs n’aient pas toujours puisé dans ces productions remisées dans les cartons ne change pas la nature de ce théâtre. Par les principes qui ont présidé au projet de Bastille, puis au projet Bastille-Garnier, le théâtre reste cette prochaine saison ce qu’il a été jusque-là avec ses huit nouvelles productions et ses treize reprises : on est à peu près dans les chiffres habituels, et l’essentiel des reprises cette année concerne des productions qu’on a vues grosso modo dans les dix dernières années, ce qui est ordinaire administration. Le seul élément à noter c’est qu’Alexander Neef a puisé dans quelques productions des années Joel qu’on n’avait pas revues, mais les fondements « politiques » ne changent pas pour l’instant. Qu’on ne prenne pas des vessies pour des lanternes.

Toutefois, on note sur les documents transmis que le ton change, notamment avec le projet MORE (Mon Opéra responsable et Engagé) qui propose une méthodologie pour la création, l’accessibilité, la diffusion, l’élargissement du public, et une démarche dynamique pour aller vers les publics éloignés pour les attirer à l’Opéra, mais aussi pour créer des formes d’itinérances de spectacles avec les artistes de l’Académie; une série d’initiatives très bienvenues, qui sont aussi lancées en direction des mécènes sur des opérations précises et ciblées. On ne peut qu’applaudir, et c’est peut-être par là que se verra une évolution parce qu’on sait qu’aussi bien Alexander Neef que Gustavo Dudamel s’intéressent aux actions de l’art sur la société et aux interactions avec le monde social. C’est riche de perspectives, et assez difficile dans une période où l’Opéra ne roue pas sur l’or. Mais il faut saluer chaudement l’idée et l’initiative.

Nouvelles productions

Septembre 2021
Palais Garnier
(4 repr. du 1er au 4 sept)
Les sept morts de Maria Callas, (Conception : Marina Abramović ; dir : Yoel Gamzou)

Projet de la performeuse Marina Abramović créé à Munich cet automne, autour de sept scènes de mort des héroïnes d’opéra incarnées par Callas en coproduction avec le Deutsche Oper Berlin, le Maggio Musicale Fiorentino, le Greek National Opera et la Bayerische Staatoper où le spectacle a été créé et objet de streaming. C’est la même équipe qui tourne, sans que le choix n’en incombe à Alexander Neef ni à l’Opéra de Paris qui reçoit le package

Septembre-Octobre 2021
Opéra-Bastille (8 repr. du 23 sept. au 14 oct. et une avant-première jeunes le 20 sept)
Georges Enesco : Œdipe (MeS, Wajdi Mouawad/Dir : Ingo Metzmacher)
Avec Christopher Maltman, Brian Mulligan John Tomlinson etc …

L’œuvre d’Enesco semble enfin trouver le chemin des grandes salles, puisqu’après Salzbourg en 2019, elle entre au répertoire parisien, avec le même chef qu’à Salzbourg et le même Œdipe (ils ne sont pas si nombreux, ceux qui ont ce rôle à leur répertoire…), ainsi que quelques-uns des protagonistes salzbourgeois (Brian Mulligan en Créon ou John Tomlinson en Tirésias), mais avec de nouveaux noms intéressants comme Laurent Naouri, Ekaterina Gubanova, Clementine Margaine, Anne Sofie Von Otter qui font de cette création à l’Opéra de Paris un vrai must, d’autant que Wajdi Mouawad, après Lyon avec Entführung aus dem Serail, signe ici sa deuxième mise en scène d’opéra.

Décembre 2021
Opéra Bastille (9 repr. du 4 au 30 déc. Et une avt-première jeunes le 1er déc.)
Giacomo Puccini, Turandot (MeS : Bob Wilson/Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Elena Pankratova, Vanessa Vasquez, Gwyn Hughes Jones

Personne ne se souvient de la dernière production de Turandot de Francesca Zambello en 2002, et ce retour au répertoire après 19 ans d’absence se fait par une « nouvelle » production de Bob Wilson, qui après le Japon de Butterfly, dessinera la Chine de Turandot. Gageons que ce ne sera pas inattendu.
La production vaut par l’arrivée en fosse ès qualités de Gustavo Dudamel, tout le monde se précipitera pour lui. La distribution propose des voix inconnues à Paris, y compris Elena Pankratova qui est désormais pourtant de tous les rôles à voix un peu partout.
C’est une nouvelle production déjà vue à Madrid en 2018 et qui a fait l’objet d’un DVD. Ce ne sera pas du neuf, mais du grain à moudre pour de nombreuses reprises, à l’instar de Butterfly. Un investissement donc, plus qu’une opération vraiment stimulante. Mais il y a une avant-première jeunes le 1er décembre (comme pour toutes les nouvelles productions) et ça c’est plus intéressant.

Janvier-février 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 21 janv. au 18 fév. Et une avt-première jeunes le 19 janv.)
Mozart, Le nozze di Figaro (MeS, Netia Jones ; Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Peter Mattei, Ildebrando D’Arcangelo, Maria Bengtsson, Miah Persson, Ying Fang, Lea Desandre.

Le titre le plus emblématique de l’Opéra de Paris, à cause la production Strehler de 1981 (pas tout à fait celle inaugurale de 1973…) qui a survécu jusqu’en 2013, avec une courte interruption sous Mortier dans la production de Christoph Marthaler, folle production pour folle journée que j’avais adorée. Mais Nicolas Joel avait préféré revenir au Strehler des familles.
Alexander Neef propose une autre voie et une nouvelle production, celle de la vidéaste Netia Jones considérée par The Observer comme la plus inventive des metteuses en scènes britanniques aujourd’hui. La musique ne sera pas en reste avec Gustavo Dudamel en fosse, et une distribution de très haut niveau dominée par Peter Mattei et Ildebrando D’Arcangelo. Cela devrait exciter la curiosité, d’autant que les dernières productions de la trilogie Da Ponte n’ont pas été de particulières réussites à Paris.


Mars 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 9 au 30 mars Et une avt-première jeunes le 7 mars.)
Leonard Bernstein : A quiet place (MeS: Krzysztof Warlikowski/Dir :Kent Nagano). Avec Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Gordon Bintner, Russell Braun

Entrée de Bernstein au répertoire lyrique de l’Opéra de Paris par sa dernière œuvre créée en 1983 (deuxième version en 1984 et révisée pour Vienne en 1986 – c’est cette dernière version qui sera proposée), dont c’est la création française, qui promet d’être un des musts de l’année, avec à la manœuvre un pas si inattendu (vu le sujet) Krzysztof Warlikowski et Kent Nagano, qu’on revoit après 16 ans d’absence dans la fosse de Bastille. Sa présence est sans doute motivée par son enregistrement avec l’Orchestre Symphonique de Montréal qu’Alexander Neef à Toronto a dû vivre de près. Une affiche très alléchante : Nagano, GMD à Hambourg, est devenu l’un des grands chefs d’opéra de référence aujourd’hui et le revoir dans ce répertoire est une grande chance. L’œuvre est un testament presque intime du musicien et de l’homme Bernstein profondément humaniste et tolérant. Une entrée de Bernstein par une œuvre jamais jouée en France, totalement justifiée par les temps qui courent, est un événement.

Mars 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 10 au 30 mars. Et une avt-première jeunes le 7 mars)
Alban Berg, Wozzeck (MeS: Susanna Mälkki/Dir :William Kentridge)
Avec Johan Reuter, Eva Maria-Westbroek, John Daszak, Tansel Akzeybek, Gerhard Siegel.

Était-il si nécessaire d’abandonner la production Marthaler, une des réussites de l’ère Mortier que même Nicolas Joel reprit (c’est dire !) pour cette production de William Kentridge créée à Salzbourg en 2017, qui avait vu le premier grand succès d’Asmik Grigorian dans le rôle de Marie, et dont wanderersite.com a rendu compte ? La production a tourné au MET, en Australie, et Alexander Neef en était aussi pour la Canadian Opera Company de Toronto. C’est un beau spectacle, et un moyen de faire entrer William Kentridge au répertoire parisien (il est déjà dans celui de Lyon), mais ne valait-il pas mieux lui proposer une « vraie » nouvelle production ?
Musicalement, si les protagonistes sont de très bons chanteurs, c’est Susanna Mälkki qui devrait être le vrai must de cette production dans la fosse.
Juste une remarque : le spectacle avait été créé à la Haus für Mozart, dont les dimensions bien plus intimes convenaient à l’entreprise, il a cependant résisté à des salles gigantesques (le MET !), on verra ce qu’il donne à Bastille.

Mars-avril 2022
Opéra Bastille
(11 repr. du 26 mars au 28 avril. Et une avt-première jeunes le 23 mars)
Jules Massenet, Cendrillon (MeS : Mariame Clément ; Dir : Carlo Rizzi)
Avec Tara Erraught, Daniela Barcellona, Anna Stephany, Kathleen Kim, Lionel Lhote etc…

Entrée au répertoire de l’œuvre de Massenet, dans une production qui s’annonce plutôt sage, avec un chef solide mais pas plus pour Massenet que pour d’autres compositeurs, et avec Tara Erraught dans le rôle-titre, bien connue des habitués de Munich et très belle chanteuse, très bien entourée par ailleurs. Moui.

Avril-mai 2022
Palais Garnier
(8 repr. du 30 avr. au 19 mai Et une avt-première jeunes le 28 avr.)
György Kurtág, Fin de partie (MeS, Pierre Audi/Dir : Markus Stenz)
Avec Frode Olsen, Leigh Melrose, Hillary Summers, Leonardo Coltellazzi.

Une autre création, très attendue, de cette œuvre du grand compositeur György Kurtág dans la production de Pierre Audi née à la Scala en 2018 (Wanderersite.com en a rendu compte) avec la même équipe et le même chef. Une œuvre difficile et forte qu’il faut absolument voir avec un Leigh Melrose exceptionnel.

 

Au niveau du bilan de ces huit « nouvelles » productions, quatre ont été déjà vues ailleurs et ne sont donc que nouvelles à Paris, ce qui diminue les coûts et quatre sont d’authentiques nouvelles productions parisiennes, d’esthétiques très différentes, ce qui est plutôt de bon augure, des chefs de très bonne réputation voire des stars, et des distributions qui sans être des feux d’artifice, sont plutôt solides.

Reprises

Treize productions sont reprises du répertoire de l’Opéra, dont deux de l’ère Joel, la plupart de l’ère Lissner, et quatre de l’ère Gall (1999) dont les dernières reprises remontent à 2014 et 2015. En réalité, aucune des reprises n’a été excavée des entrepôts de l’Opéra et remise au goût du jour pour afficher un glissement vers un opéra de répertoire ; le système reste le même. On puise dans les réserves de spectacles montés encore récemment (c’est à dire à peu près dans les dix dernières années).

Septembre-octobre 2021
Palais Garnier
(7 repr. du 14 sept. au 2 oct.)
Gluck, Iphigénie en Tauride
(MeS : Krzysztof Warlikowski /Dir :Thomas Hengelbrock)
Avec Nicole Chevalier, Jacques Imbrailo, Julien Behr etc…
Reprise de la production mythique de Krzysztof Warlikowski, la première qui le fit vraiment connaître en France, récemment reproposée par Stéphane Lissner en 2016.
Nouvelle distribution, chef spécialiste de ce répertoire, une production à voir et à revoir, dans une distribution toute nouvelle.
Iñaki Encina Oyón, jeune chef qui participa dans les années 2000 à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et à plusieurs productions assurera la dernière du 2 octobre.

Septembre-octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(12 repr. du 28 sept. au 9 nov)
Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Laurent Pelly/Dir : Giampaolo Bisanti/Leonardo Sini)
Avec Sydney Mancasola, Matthew Polenzani/Pene Pati, Simone del Savio et Ambrogio Maestri
Nouveaux visages pour cette autre reprise alimentaire (12 repr…) d’une production qu’on va voir pour la septième fois depuis sa création (sous Mortier) en 2006, dont deux fois sous Lissner.
Les nouveaux visages?  Le jeune chef Leonardo Sini (encore un chef italien qui monte) ou la jeune américaine Sydney Mancasola dans Adina, pour le reste du solide.

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(9 repr. du 7 oct. au 6 nov.)
Wagner, Der Fliegende Holländer (MeS : Willy Decker/Dir : Hannu Lintu)
avec Tomasz Konieczny, Günther Groissböck, Ricarda Merbeth, Michael Weinius dans les principaux rôles

Une production Gall reprise pour la dernière fois par Nicolas Joel en 2010, avec un chef finlandais nouveau à Paris, et une belle distribution. C’est la cinquième reprise de cette mise en scène. On ira pour les chanteurs, tous de premier plan et pour écouter un chef jamais entendu du “team Finland”.

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(16 repr. du 23 oct au 24nov)
Verdi, Rigoletto (MeS : Claus Guth/Dir: Dan Ettinger (A)/Giacomo Sagripanti(B))
avec Ludovic Tézier(A)/ Željko Lučić(B), Dmitry Korchak(A)/Joseph Calleja(B), Nadine Sierra(A)/Irina Lungu(B)
Longue série qui sent son tiroir-caisse (16 repr. double distribution, A : du 23 oct au 15 nov/B : du 5 au 24 nov en alternance). Pour Ludovic Tézier, pour Nadine Sierra…

Novembre-décembre 2021
Palais Garnier
(13 repr. du 25 nov au 30 déc.)
Haendel, Alcina
(MeS : Robert Carsen/Dir : Thomas Hengelbrock/Iñaki Encina Oyón)
Cinquième reprise de la production Carsen vue pour la dernière fois en 2014 avec une très solide distribution, Jeanine de Bique dans Alcina, Gaelle Arquez dans Ruggiero, mais aussi Sabine Devieilhe (ou Elsa Benoît) et Nicolas Courjal. Toute nouvelle distribution et un chef dont le répertoire XVIIIe est la spécialité. À voir ou surtout à revoir. Il sera temps ensuite de proposer une vision nouvelle de cette œuvre devenue populaire et qui peut-être, aura fait son temps dans cette production..
Deux représentations seront dirigées par Iñaki Encina Oyón.

Janvier-février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 26 janvier au 18 février)
Moussorsgski, Khovantchina
(MeS : Andrei Serban/Dir : Hartmut Haenchen)
Avec Anita Rachvelishvili, Dmitry Ivaschenko, Evgueni Nikitin, Dmitry Belosselskiy.

La production Serban (qui remonte à 2001) n’a plus été vue depuis 2013 (sous Joel). La voilà donc reprise huit ans après, pour la troisième fois depuis sa création qui était alors l’entrée au répertoire du chef d’œuvre de Moussorgski. Belle distribution avec les artistes parmi les plus réclamés aujourd’hui dans ce répertoire sous la direction d’un chef très solide. Un Moussorgski ne se manque pas…

Février-mars 2022
Opéra Bastille
(12 repr. du 1er février au 11 mars)
Mozart, Don Giovanni (MeS, Ivo van Hove/Dir : Bertrand de Billy)
Avec Christian van Horn, Krzysztof Baczyk, Nicole Car, Adela Zaharia, Pavel Petrov, Alexander Tsymbalyuk, Anna El-Khashem, Mikhail Timoshenko.

Soyons honnêtes, on aurait aimé, au lieu de cette production médiocre (qui va encombrer les combles de l’Opéra pas trop longtemps espérons-le) qu’Alexander Neef aille rechercher la production Haneke (à condition qu’elle existe encore) plus digne de la maison. Pour le reste une distribution très honnête qui verra Christian van Horn (le Mephisto du Faust de Kratzer) en Don Giovanni avec la charmante Anna El-Khashem (Zerlina), vue à Munich et les deux voix intéressantes que sont Nicole Car et Adela Zaharia. Dans la fosse un Bertrand de Billy toujours rare en France : c’est normal, c’est un chef français.

Février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 5 au 26 fév.)
Jules Massenet, Manon
(MeS : Vincent Huguet/Dir : James Gaffigan)
Avec Ailyn Perez, Joshua Guerrero et Andrzej Filonczyk en Lescaut.

Un chef correct pour du répertoire, une distribution correcte aussi.
Moui, du passe-partout pour passer le temps.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 10 mai au 1er juin)
Richard Strauss, Elektra
(MeS : Robert Carsen/Dir : Semyon Bychkov)
Avec Christiane Goerke, Waltraud Meier, Elza van den Heever,  Gerhard Siegel et Tómas Tómasson.

Une distribution de très haut niveau et un chef d’envergure pour la reprise d’une production bien propre que tout le monde avait oubliée même si elle avait été appréciée à sa création. On ira évidemment, rien que pour revoir Meier et entendre Goerke, précédée par sa légende bien orchestrée, mais Elza van den Heever, ce n’est pas mal non plus.
La production Joel ne fut jouée qu’une seule saison, la reprise se justifie donc pleinement. D’autant que la production est typique de celles qui peuvent durer longtemps avec des distributions variées.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 24 mai au 12 juin)
Wagner, Parsifal
(MeS : Richard Jones/Dir : Simone Young)
Avec Iain Paterson, Simon O’Neill, Kwangchul Youn, Marina Prudenskaya, Reinhard Hagen et Falk Struckmann.

Un Parsifal de bonne série solidement distribué mais sans attrait particulier, d’autant que la production n’est pas de celles qu’on emporte sur l’île déserte. Alors on ira pour un Wagner en salle dirigé par Simone Young, plutôt intéressante dans ce répertoire.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 30 mai au 19 juin)
Rossini, Le Barbier de Séville (MeS : Damiano Michieletto, Dir : Roberto Abbado)
Avec Marianne Crebassa, René Barbera, Renato Girolami, Andrzej Filończyk, Alex Esposito.

Une des productions vedettes de la maison, souvent reprise ces dernières années depuis son arrivée en 2014, l’opéra de Rossini est d’ailleurs l’un des titres les plus fréquents depuis l’ouverture de Bastille, et c’est donc une reprise alimentaire avec une solide distribution (écoutez le Figaro vraiment excellent d’Andrzej Filończyk et Renato Girolami, la basse bouffe rossinienne qui monte) les autres on les connaît et ils sont tous très bons. Autre heureuse surprise, le retour après 12 ans d’absence dans la fosse de Bastille de Roberto Abbado, toujours injustement ignoré en France.

Juin-Juillet 2022
Palais Garnier (
11 repr. du 17 juin au 12 juillet)
Rameau, Platée (MeS : Laurent Pelly/Dir : Marc Minkowski – et les Musiciens du Louvre en fosse)
Avec Lawrence Brownlee, Matthias Vidal, Julie Fuchs/Amina Edris, Reinoud van Mechelen etc…

Sixième reprise de la mise en scène de Laurent Pelly (la dernière en 2016), créée sous Gall et reprise sous Mortier, Joel, Lissner. Une unanimité bienvenue et une distribution excellente. Voilà une production typique d’un  répertoire de qualité et parfaite pour le début d’été.

Juin-juillet 2022
Opéra Bastille
(6 repr. du 28 juin au 10 juil.)
Charles Gounod, Faust
(MeS : Tobias Kratzer/Dir : Thomas Hengelbrock)
Avec Benjamin Bernheim, Christian van Horn, Florian Sempey, Angel Blue en Marguerite et Emily d’Angelo en Siebel.

Fausse reprise, car création en public de la magnifique production de Tobias Kratzer, avec un autre chef (encore Hengelbrock !) dont on peut regretter le nombre réduit de représentations (étonnant quand on voit le nombre atteint par d’autres titres dans cette saison). C’est dommage. À noter une nouvelle Marguerite (Angel Blue) et un nouveau Siebel (Emily D’Angelo), des voix d’outre Atlantique qui sont de plus en plus réclamées.
À voir absolument, évidemment.

Enfin, un coup d’œil aux concerts montre que l’Orchestre de l’Opéra va sortir un peu du périphérique avec Gustavo Dudamel (Toulouse, St Quentin en Yvelines, Barcelone), et que le Liceu viendra avec son orchestre et son chef (Josep Pons) pour un Château de Barbe-Bleu de Bartók concertant et luxueusement distribué (Ausrine Stundyté/ Sir Bryn Terfel) (9 janv.2022) tandis que Renée Fleming promènera à Garnier sa voix crémeuse (j’adore l’expression qui ne veut rien dire, mais qu’on lisait partout il y a quelques années dans la presse) dans un gala lyrique à Garnier dirigé par James Conlon et mis en espace par Robert Carsen le 6 avril 2022.

Faisons les comptes, entre nouvelles productions et reprises, le paysage est assez diversifié, donnant une forte empreinte au XVIIIe (Haendel, Rameau Gluck, Mozart, soit cinq productions), mais laissant aussi globalement la place à des titres habituels (les « standards ») des grandes salles de référence dont un tiers d’œuvres en français (Œdipe, Iphigénie en Tauride, Manon, Cendrillon, Fin de Partie, Platée, Faust), et quelques marronniers de l’Opéra de Paris (Barbiere di Siviglia et Elisir d’Amore) soit une palette large du répertoire international et quelques raretés.

Si l’on cherche une patte Neef, on la trouve d’abord dans la brochure programme, illustrée par des portraits de membres du personnel de l’opéra pris dans leur diversité, et c’est fort bienvenu dans une maison un peu secouée que de souligner que tous contribuent à l’élaboration de la saison et font vivre la maison. .
On peut lire aussi une tendance peut être plus marquée que ses prédécesseurs à ouvrir à des chanteurs d’outre Atlantique (Angel Blue, Emily d’Angelo, Sydney Mancasola, Jeanine De Bique etc…) ou des esthétiques anglo-saxonnes (Netia Jones par exemple), le séjour d’Alexander Neef au Canada a sans doute laissé des traces.

Il reste que les distributions, même sans les stars habituelles, sont très solides et donneront des soirées de très bonne tenue musicale. Du côté des chefs, on note sur 21 productions très peu de chefs français (vu la pauvreté du marché qui s’en étonne ?) On ne trouve dans la liste des chefs invités que Marc Minkowski et Bertrand de Billy.
On note en revanche un appel répété à Thomas Hengelbrock (qui est un très bon chef) pour trois productions, dont le Faust de Gounod pour lequel il est très inattendu, mais aussi l’appel à des chefs de renom outre Gustavo Dudamel, Kent Nagano, Semyon Bychkov, Hartmut Haenchen et deux des meilleures cheffes d’aujourd’hui Susanna Mälkki et Simone Young dans deux grandes œuvres référentielles du répertoire.
Quant aux mises en scènes des nouvelles productions elles reflètent la diversité des esthétiques d’aujourd’hui, du vétéran Bob Wilson à Netia Jones, en passant par Wajdi Mouawad, Krzysztof Warlikowski, William Kentridge, Mariame Clément, Marina Abramović, Pierre Audi. Souci des équilibres là aussi.

Dans l’ensemble, la programmation manque peut-être un peu de saveur ou de peps notamment pour les fans d’opéra (mais ce n’est pas à eux que s’adresse une programmation) et très (trop ?) soucieuse d’équilibres. On a l’impression qu’Alexander Neef ci va coi piedi di piombo[1]diraient nos amis italiens Donc, wait and see, parce qu’on ne lira vraiment la politique imprimée par la direction qu’après au moins deux saisons et si cette première saison se passe sans encombre, notamment pandémique, ce sera déjà un grand soulagement.

[1] « Il y va avec des pieds de plomb », c’est à dire avec grande prudence.

Alexander Neef

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2020-2021, PRÉSENTATION DE LA SAISON LYRIQUE

L'Opéra de Lyon (Arch. Jean Nouvel)Voici présentée la dernière saison de Serge Dorny à Lyon. Par rapport à notre article publié en mars dernier, en plein confinement, il y a eu de sensible modifications, et le profil en est changé, ainsi que le calendrier. 

Tous ceux qui suivent depuis longtemps cette maison déplorent que la catastrophe qui s’est abattue sur le monde en ce printemps ait en particulier interrompu brutalement (le jour même de l’ouverture) un festival qui promettait beaucoup, mais nul doute que les productions qui étaient bouclées et prêtes à aller en scène se retrouveront dans les premières années de l’ère Brunel, voire à Munich.
Néanmoins, la perte financière est énorme : tous les artistes avaient répété, et l’annulation intervient alors que tout était prêt, les productions construites : tous les frais avaient été engagés mais sans aucune recette de public en retour.
L’annulationde Shirine, cette année en mai et  celle des Nozze di Figaro très attendues d’Olivier Assayas  sont d’autres catastrophes du type de celles dont tous les théâtres souffrent, et qui pèsent lourdement sur les budgets.
Dans ces conditions, la saison 2020-2021 a dû être retouchée : moins de productions dans la salle, calendrier resserré, remise à plus tard (sous le règne Brunel) de productions prévues.
Dans ce désastre, seule la production de La Lune prévue cette saison pendant le Festival sera l’an prochain présentée et donc créée, dans le cadre dans un autre Festival, Contes et fantaisies lyriques, autour du travail de Grégoire Pont, qui a eu un gros succès à Lyon.

Néanmoins, malgré cruelles révisions et nécessaires redimensionnements, cette saison a de l’allure, avec des choix d’un grand raffinement et des idées passionnantes marquées par l’incontestable patte Dorny.

Évidemment après ces 16 années pendant lesquelles l’Opéra de Lyon de grande scène française est devenu théâtre de référence international, nous voyons Dorny s’éloigner avec regret même si s’ouvrent pour lui les portes d’un des plus importants, sinon le plus important théâtre lyrique au monde.
Nous y reviendrons de manière plus approfondie plus avant, mais nous pouvons déjà évoquer ce que Dorny a apporté à Lyon, où il a été nommé en 2003.
Au moment où Serge Dorny prend sa charge à Lyon, l’Opéra avait eu quelques saisons difficiles et instables après le départ de Jean-Pierre Brossmann pour le Châtelet. C’était une période longue et riche qui se terminait, et comme toujours, il y a toujours après un âge d’or les dangers d’une relative fragilité, notamment au moment de la prise de fonctions d’une nouvelle équipe, avec son corollaire sur la programmation. Beaucoup de maisons l’ont vécu.

Serge Dorny a apporté une culture héritée d’abord et surtout de Gérard Mortier avec qui il a travaillé à la Monnaie, ensuite du festival des Flandres dont il a été directeur artistique depuis 1987, et enfin de Londres où il était le manager du London Philharmonic Orchestra quand on est venu le chercher pour diriger Lyon.
Gérard Mortier pensait profondément la logique de ses productions et de ses saisons. Il se refusait à aligner titres et noms flatteurs mais pensait les programmes en fonction des idées, envisageant les œuvres pour leur apport intellectuel et refusant la facilité. Dorny travaille un peu de la même manière, essayant de partir des idées pour construire une programmation. La manière dont il a progressivement profilé le « Festival » en est la preuve. Il n’hésite pas à proposer des œuvres rares, à composer des programmes habiles qui allient raretés et œuvres du grand répertoire, mais aucune de ses saisons n’a cherché à être attrape-tout. De plus en plus, les saisons de Lyon ont acquis une couleur particulière, plus marquée, sans concessions.
Il est vrai qu’il a un fonds de public déjà habitué par les années Erlo-Brossmann, dans une ville où la mise en scène contemporaine a pignon sur rue depuis le transfert du TNP à Villeurbanne, avec Planchon et Chéreau. Le public lyonnais est donc l’un des plus « éduqués » depuis des années, même si Dorny l’a profondément renouvelé de sorte que c’est l’un des plus disponibles parmi les publics d’opéra.

Un rapide regard sur la programmation depuis 2004 montre une richesse étonnante de productions d’œuvres rarement jouées, d’appel à des metteurs en scène peu connus en France et qu’on n’a souvent vus qu’à Lyon (David Bösch ou Andryi Zholdak par exemple) et des choix de programmation hardis : pensons par exemple à cette saison 2011-2012 qui, par une trouvaille extraordinaire associait Il Trittico de Puccini à Eine Florentinische Tragödie de Zemlinsky, Von heute auf morgen de Schönberg et Sancta Susanna de Hindemith en mettant en regard des œuvres du même format (un acte) de la même époque (les années 20), où se confrontaient les styles, montrant la liberté artistique fabuleuse qui a été la marque de ces années-là. Combien de théâtres auraient osé cela ? C’est pour moi l’un de ces coups de génie qui vous marquent une programmation.
Il marque bien sa différence avec beaucoup de managers aujourd’hui à l’opéra, qui souvent se laissent aller à des facilités ou n’ont pas de logique apparente à la composition de leurs saisons (suivez mon regard…).

On aurait pu penser que, comme d’autres, pour marquer sa dernière saison, Serge Dorny aurait composé un mix de productions marquantes de son mandat, et de nouvelles productions. Il n’en est rien. Il y a certes plusieurs reprises, notamment celle du Rossignol de Stravinsky dans la fascinante production de Lepage (2010) mais aussi Les Enfants du Levant, L’Enfant et les sortilèges, l’Heure Espagnole, des spectacles dont certains ont eu des succès énormes, mais d’un format moindre et mobilisant les forces locales (studio, maîtrise).

Au-delà des reprises, la saison 2020-2021 est résolument conforme au profil « Opéra de Lyon », en plus radical peut-être, avec des œuvres dont aucune n’est un «must» du répertoire d’opéra. Dorny se refuse à cette facilité et propose au spectateur une série de productions pour le moins peu « populaires ». Ironiquement, le seul titre « populaire » c’est Werther de Massenet pour une seule soirée concertante…et comme spectacle « léger » de Noël , il propose Béatrice et Bénédict de Berlioz, un ouvrage rare inspiré de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare,  inclassable, un opéra-comique connu des spécialistes ou des mélomanes, mais pas d’un public des fêtes, qui sera mis en scène par l’un des plus imaginatifs des metteurs en scène, Damiano Michieletto.

Cette saison a néanmoins une sorte de fil rouge implicite, la question de la fable, du conte et de ses variations. Il y a là une volonté de signer une ligne, une méthode qui tranche singulièrement sur les autres maisons françaises (Strasbourg mis à part, peut-être) et bien des maisons étrangères. S’alignent sur ce fil rouge notamment Le Coq d’or, un festival du conte et des fantaisies lyriques, le Rossignol et autres fables, deux variations sur Barbe-Bleue, Le château de Barbe-Bleue et Ariane et Barbe-Bleue, et Der Freischütz, une histoire puisée dans les contes populaires allemands.
Autres fils thématiques, l’enfance, avec de nombreux spectacles faits pour les enfants ou dont les enfants sont le centre, et la femme, dont la liberté, symbolisée par l’histoire de Barbe-bleue, est au centre du Festival de mars 2021.
En bref, une saison forte, qui fait appel comme d’habitude à des metteurs en scène devenus incontournables aujourd’hui, Kosky, Tcherniakov, Zholdak, Michieletto, Robert Lepage…quelle maison aujourd’hui en France affiche en même temps tant de références essentielles du théâtre contemporain ?

Du point de vue musical, deux directeurs musicaux très différents se sont succédé pendant la période : Kazuchi Ono, précis, rigoureux, discret, spécialiste du XXe, qui a bien fait progresser l’orchestre, et Daniele Rustioni, jeune, énergique, qui a fait rentrer dans cette maison à la fois un véritable enthousiasme musical et un peu plus de répertoire italien qui était rare à Lyon. Pendant cette saison, et c’est sans doute voulu,  il va montrer sa ductilité, puisqu’il ne dirige rien d’italien, et qu’il est au pupitre de Werther, Béatrice et Bénédict, Le Rossignol, et Le Coq d’or, soit Massenet, Berlioz, Stravinsky, Rimsky-Korsakov, c’est à dire une palette très ouverte de compositeurs auxquels on ne l’associe pas  naturellement.

Voici donc cette saison, refaite, mais  toujours passionnante.

Novembre 2020
Jules Massenet, Werther,
Version concertante (1 repr.Lyon/1 repr.TCE), Dir : Daniele Rustioni avec Stéphanie d’Oustrac, Simon Keenlyside, Jean-Sébastien Bou etc…
Une seule soirée à Lyon et une seule au TCE, pour ce Werther dirigé par Daniele Rustioni, dans la rare version pour baryton (on a entendu Ludovic Tézier à Paris en 2009 dans la production de Jürgen Rose). À Lyon et au TCE, c’est Simon Keenlyside, grand styliste devant l’éternel, qui chante le héros goethéen, tandis que Stéphanie d’Oustrac sera Charlotte et Jean-Sébastien Bou Albert. À ne pas manquer.

Déc.2020/1er Janv 2021
Hector Berlioz, Béatrice et Bénédict,
(8 repr.) MeS: Damiano Michieletto, Dir : Daniele Rustioni avec Michèle Losier, Julien Behr, Hélène Guilmette, Frédéric Caton…
Nous avons déjà évoqué cette production de fête plus haut. Il est évident que ce sera un feu d’artifice Michieletto, invité pour la première fois à l’Opéra de Lyon, avec Daniele Rustioni en fosse. Un Berlioz rare et joyeux sur les scènes, en style opéra-comique, pour le dernier Noël lyonnais de Serge Dorny, il y a de quoi exciter la curiosité, d’autant que la distribution est solide : Michèle Losier et Julien Behr dans les rôles titre, entourés d’Hélène Guilmette et Frédéric Caton. À ne pas manquer parce qu’on ne reverra pas ce Berlioz de sitôt. Pour mémoire l’Opéra de Paris avait présenté l’œuvre en 2016-2017, mais en version de concert mise en espace pour un seul soir

Janvier 2021
Igor Stravinsky, Le Rossignol et autres fables
, (8 repr.) MeS: Robert Lepage, Dir : Daniele Rustioni avec Anna Denisova, Yulia Pogrebnyak, Mairam Sokolova, Taras Berezhansky.
Reprise de la production de Robert Lepage de 2010, en coproduction avec le Canadian Opera Company de Toronto, le Nederlandse Opera d’Amsterdam et en collaboration avec Ex Machina, Québec. Une production qui joue sur divers modes, ombres chinoises, marionnettes  sur l’eau etc…Un pur enchantement qui a marqué les mémoires.
À voir absolument, et ceux qui ont déjà vu cette production reviendront, évidemment, pour écouter en plus Daniele Rustioni qui succède au pupitre à Kazushi Ono.

Mars 2021
Festival Femmes libres
Bélá Bartok, Le Château de Barbe-bleue
(6 repr.), MeS : Andryi Zholdak , Dir : Titus Engel avec Kàroly Szemerédy Eve-Maud Hubeaux / Victoria Karkacheva
Un chef remarquable, Titus Engel, un Barbe Bleue et deux Judith (dont Eve Maud Hubeaux, l’Eboli du Don Carlos de Christophe Honoré..). Deux Judith ? Il y aura effectivement deux mises en scène dans la même soirée du même opéra, car Zholdak veut montrer par ce biais la diversité des lectures possibles…Du jamais vu à l’opéra…

Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue
(7 repr.), MeS Alex Ollé (La Fura dels Baus), Dir : Lothar Koenigs avec Alexandra Deshorties,  Enkelejda Shkoza, Adèle Charvet, Hélène Carpentier, Tomislav Lavoie
Lothar Koenigs, chef très solide et bon wagnérien pour un opéra taxé de wagnérisme, confié à la puissance imaginative de la Fura dels Baus (Alex Ollé) qui marque les débuts à Lyon d’Alexandra Deshorties, la soprano canadienne qui tourneboula Genève quand elle y interpréta Médée de Cherubini il y a quelques années.

Maurice Maeterlinck (d’après), Pelléas et Mélisande, (6 repr.) MeS Richard Brunel, avec Judith Chemla, Musique de Debussy, Fauré, Sibelius. Un spectacle musicalement appuyé sur les différentes version de Pelléas et Mélisande écrites au début du siècle (il manque Schönberg…), avec Judith Chemla en Mélisande, une actrice qui sait aussi chanter. Un travail de Richard Brunel, le futur maître des lieux.
Au Musée des Tissus et des Arts décoratifs, Lyon 5e.

Avril 2021
Festival Contes et fantaisies lyriques
Maurice Ravel, L’Heure espagnole
(4 repr.), Concept Grégoire Pont et MeS : James Bonas, Artistes du Studio de l’Opéra de Lyon
(Opéra de Lyon)
Carl Orff, La Lune, (6 repr.), Concept Grégoire Pont et MeS : James Bonas, Dir : Hugo Peraldo, Artistes du Studio de l’Opéra de Lyon
(ENSATT, Lyon)
Maurice Ravel, L’enfant et les sortilèges (5 repr.), Concept Grégoire Pont et MeS : James Bonas, Ensemble instrumental, orchestration Didier Puntos, Artistes du Studio de l’Opéra de Lyon
(Théâtre de la Croix Rousse)

Trois lieux, trois œuvres « tous publics » et un concept unique par l’un des maîtres de la magie des images, Grégoire Pont. Cette saison, La Lune de Carl Orff devait être proposée dans le Festival 2020 au Théâtre du Point du Jour. L’annulation du spectacle fait qu’on le découvrira la saison prochaine, mais à l’ENSATT, tandis que L’Enfant et les sortilèges est une reprise de la production de 2016, déjà reprise en novembre 2019 et l’Heure Espagnole une production de 2018. La féérie sera au rendez-vous pour ces trois spectacles qui forment Festival et qui devraient permettre de voir ou revoir le travail fascinant de Grégoire Pont qui a eu à chaque fois un immense succès.

Avril 2021
Isabelle Aboulker, Les enfants du levant
(6 repr.), MeS : Pauline Laidet
Dir : Karine Locatelli, Maîtrise et orchestre de l’opéra de Lyon
Théâtre de la Renaissance (Oullins)

Une histoire peu connue, celle du bagne des enfants de l’île du Levant, un bel opéra pour enfants où brille la Maîtrise de l’Opéra de Lyon déjà présenté en avril 2019 et repris deux ans après.

Mai-Juin 2021
Nikolaï Rimsky-Korsakov, Le Coq d’or, (7 repr.) MeS : Barrie Kosky, Dir : Daniele Rustioni . Distribution en cours.
La première production signée Barrie Kosky à Lyon, une coproduction avec le Festival d’Aix, la Komische Oper de Berlin et le festival d’Adélaïde en Australie.  Les dates en ont été déplacées, et la production remplace celle de Der Freischütz (Tcherniakov) initialement prévue.
Créé en 1909, c’est le dernier opéra de Rimsky Korsakov, mort en 1910. Le livret, tiré de Pouchkine est une satire féroce du pouvoir tsariste. Dans la distribution où Dmitry Ulyanov est le roi Dodon et le remarquable Andrei Popov chante l’astrologue, Sabine Devieilhe est la reine de Shemakha abordant un répertoire où on ne l’avait pas encore entendue. La direction est confiée  à Daniele Rustioni, contrairement à ce qui avait été précédemment annoncé. On sait que Rustioni a de l’affinité avec ce répertoire. À ne manquer sous aucun prétexte.

 

 

Les circonstances terribles que nous traversons laissent encore dans l’expectative et le doute la réalisation au moins partielle des saisons 2020-2021 dans le monde, notamment dans les théâtres de stagione (France, Italie, Genève, Espagne, Belgique, Pays-Bas) qui construisent leurs saisons essentiellement sur des nouvelles productions . Ce devrait être moins sensible pour les théâtres de répertoire qui peuvent toujours puiser dans leurs réserves de spectacles et sur leurs troupes.
Il reste que les pertes énormes des théâtres cette année vont peser lourdement sur la ou les saisons suivantes: même si elles sont des institutions publiques : dans les urgences qui apparaîtront, les spectacles ne seront sûrement pas la priorité des États, même s’il sera nécessaire et indispensable de remettre en route la machine, pour ne pas parler des Festivals (on pense à Baden-Baden, qui est une structure non financée par la puissance publique). Les propositions même déjà publiées seront peut-être revues à la baisse, je ne suis pas optimiste à cet égard.

Serge Dorny

LES SAISONS 2016-2017 (2): OPÉRA NATIONAL DE PARIS

Carmen de Calixto Bieito (ici à l'ENO de Londres)
Carmen de Calixto Bieito (ici à l’ENO de Londres)

L’Opéra de Paris. La plus grande maison d’opéra du monde au budget colossal, dont ceux qui le dénoncent oublient qu’il faut entretenir et programmer deux salles dont chacune d’elles équivaut à n’importe quelle grande salle du monde. Les pourfendeurs épient et guettent les moindres faux pas. Les accusations de gâchis, de dépenses somptuaires alimentent les polémiques depuis des années et des années. Je suis entré en opéra aux temps de Liebermann et que n’a-t-on pas écrit contre lui, avec les mêmes arguments (les coûts de production, les cachets prohibitifs avec en plus, l’accusation de ne faire chanter que des étrangers).

L’arrivée de Lissner à Paris était attendue, il y couronne une carrière commencée aux Bouffes du Nord, puis au Châtelet, à Aix, à Vienne, à Madrid, à la Scala qu’il a sortie du trou. Il a trouvé ici une maison en état de marche, un orchestre en forme, qui travaille bien avec Philippe Jordan, mais la mission est claire, redorer le blason d’un théâtre qui ne faisait plus événement, avec des productions ternes et des distributions moyennes. Autrement dit un rapport qualité-prix qui ne faisait pas rêver.
Il fallait donc annoncer la couleur d’emblée et c’était la fonction de la présente saison, appelant les chanteurs les plus prestigieux, Netrebko, Kaufmann, Harteros, les metteurs en scène qu’on ne voyait plus à l’opéra de Paris ou qu’on voyait partout sauf à Paris: Castellucci, Warlikowski, Guth, Hermanis, Bieito. Avec des fortunes diverses, mais c’est la loi du genre. La première saison était une carte de visite.
La deuxième saison n’est jamais facile : elle doit confirmer, mais en même temps proposer d’autres nouveautés, d’autres excitations. La nouveauté, c’était déjà le maître mot au XVIIIème siècle à l’Opéra. Contrairement à d’autres maisons de même envergure, l’opéra de Paris n’a jamais eu de couleur bien définie, sinon celle de proposer les spectacles les plus fastueux dans les distributions les plus enviables, et ce depuis les origines : en ce sens, les modèles sont Londres et le MET.
L’Opéra de Paris est la plus vieille institution de spectacle vivant en France (1669, alors que la Comédie Française date de 1680) et n’a pourtant jamais été reconnu comme emblématique de l’Etat culturel français. La France, c’est d’abord la Comédie Française, qui peut avoir des saisons ternes ou des spectacles médiocres, mais qui ne sera jamais remise en cause dans son statut de référence nationale. Il est de bon ton en revanche, c’est même un jeu habituel, de remettre en cause les sous qu’on investit dans l’Opéra. La Scala est un théâtre de référence nationale en Italie, symbole de la reconstruction du pays après la guerre, symbole de l’art national qu’est l’opéra, symbole du bel canto italien (qui n’est plus, en Italie au moins), je me demande de quoi est symbole l’opéra de Paris ?
C’’est un paradoxe sur lequel on pourrait s’interroger que cette institution énorme, la première du genre au monde qui accueille un peu moins de 5000 spectateurs en deux salles chaque soir, qui porte un art qui, s’il n’est pas né en France,  s’y est développé mais sans jamais être art national, et qui a gardé, au contraire d’autres pays, son aura d’art exclusif, d’exception, réservé.
Le genre-symbole de l’Opéra de Paris n’est pas l’opéra, mais le ballet, l’autre genre historique attaché à cette maison, historique par l’histoire et par les pratiques, par les habitudes, par la sacro-sainte tradition (qu’un Benjamin Millepied a essayé de bousculer avec le succès que l’on sait). Le genre-opéra n’est pas le parent pauvre (vu les sommes qu’on y engouffre), mais c’est un genre qui semble toujours “rapporté”, allez savoir pourquoi. Il ne s’agit pas stupidement d’en appeler au « répertoire français », à l’art français ou à je ne sais quoi, car l’opéra et la danse sont des arts internationaux par excellence, des arts transversaux qui ne connaissent aucune frontière, par bonheur car la frontière est détestable en soi,  mais c’est une maison qui n’ose pas afficher son histoire en matière d’opéra, alors que c’est l’une des plus riches et des plus anciennes: je le répète à l’envi, le seul qui ait osé , c’est Massimo Bogianckino, un italien qui a eu l’intelligence de proposer à la programmation des pièces qui ont fait l’histoire de cette maison et qu’on avait oublié. Alors bien sûr, la faveur actuelle du baroque fait qu’on interpelle plus souvent Gluck ou Rameau, un peu moins Lully, mais bien plus à cause du goût pour le répertoire baroque que par la volonté d’afficher l’histoire de l’Opéra de Paris. Quant au répertoire du XIXème siècle créé à Paris, d’une grande richesse, il est encore enfoui sous la poussière.
Enfin, j’ai déjà écrit là-dessus et je me répète, mais on ne se répètera jamais assez sur ces thèmes : un théâtre, d’opéra ou non, est un lieu d’accueil, un lieu pour rêver, mais aussi un lieu de mémoire. La Comédie Française l’est, les grands opéras du monde, Scala, Vienne, MET, Munich affichent tous fièrement leur histoire, leurs vieilles affiches, leurs portraits de chanteurs ou de chefs, leurs autographes même. Pas Paris.
Pourtant, Garnier a des espaces suffisamment vastes pour cela et la bibliothèque de l’Opéra est pleine de trésors enfouis, et Bastille ressemblerait un peu moins à un aéroport si on y rappelait que l’Opéra de Paris a un passé.
Notons quand même que le site Mémopéra remonte désormais à 1973, entrée en fonction de Rolf Liebermann. On progresse.
J’aime cette maison qui m’a appris l’opéra, avec une tendresse particulière pour Garnier (cloisons ou pas), où ma passion a grandi et où j’ai vu (ou seulement entendu) tant de grands spectacles. Alors c’est avec un certain plaisir que je voudrais évoquer ici, et longuement la seconde saison montée par Stéphane Lissner.
La politique de Lissner n’est pas audacieuse, elle le paraissait un peu plus à Milan, à cause d’un public fossilisé, qui a plutôt régressé depuis que Grassi, Abbado, Mazzonis, qui avaient ouvert les perspectives (apriti cielo !!) ont eu pour successeurs des programmateurs incapables de donner une vraie ligne et conduit le théâtre au bord de la catastrophe. Lissner a proposé à Milan de nouveaux chefs, de nouveaux metteurs en scène, un répertoire élargi qui a fait du bien à la maison, même s’il fut critiqué à la fin de son mandat.
Il applique plus ou moins la même politique à Paris, où la période grise a duré seulement cinq ou six ans et n’a pas affecté les fondements de la maison, et a  affiché une programmation sans saveur pour ce style d’institution, mais où Mortier auparavant avait déjà remarquablement déblayé le terrain, en montrant ce qu’ouverture voulait dire, après que Gall eut reconstitué le répertoire. L’effet de changement ne fonctionne que par rapport aux dernières années. Disons que Lissner est un “retour à la normale” pour une telle maison.
Stéphane Lissner apparaît donc forcément moins novateur, même si il fait sans conteste de nouveau respirer l’institution. La saison prochaine il appelle à l’opéra de nouveaux noms (Thomas Jolly) ce sont des noms à la mode, dans l’air du temps : Lissner hume sans cesse l’air du temps, sur la scène et dans les gosiers : en garantissant (sous réserve des risques d’annulation) Harteros, Kaufmann et Netrebko chaque année, il donne satisfaction aux fans, en offrant de nouveaux noms pour les productions, il affiche la modernité.

Les nouvelles productions

9 nouvelles productions, c’est un chiffre très respectable.

 Eliogabalo, de Francesco Cavalli (1602-1676) (16 septembre-15 octobre 2016) dans la mise en scène de Thomas Jolly et sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon (au Palais Garnier). L’opéra prévu pour le carnaval de Venise de 1668 ne fut jamais joué, et recréé dans les années 2000. Il retrace la vie de l’empereur Héliogabale qui fascinait tant Artaud. Sans doute le rapport au pouvoir du personnage, et son rapport au plaisir en font une sorte de personnage shakespearien : c’est par là que Thomas Jolly s’est fait connaître. Dans la distribution, Franco Fagioli la star des contreténors, et Paul Groves, ainsi que la jeune Nadine Sierra qu’on verra aussi dans les reprise de Rigoletto et de Zauberflöte.

Samson et Dalila, de Saint Saëns (4 octobre-5 novembre 2016). Non repris à l’Opéra-Bastille depuis la saison 1990-1991 (une nouvelle production de Pier-Luigi Pizzi) et à Garnier l’objet d’une production de Piero Faggioni en 1975 reprise jusqu’en 1978-1979. L’opéra emblématique de Saint Saëns créé à Weimar en 1877 et entré au répertoire de Paris en 1892, attendait depuis pas mal de temps sur le seuil de la porte. Il y a pourtant les chanteurs idoines en ce moment (Samson est un rôle pour Kaufmann..). C’est la surdouée Anita Rachvelishvili qui sera Dalila, un must. Samson sera le solide et moins excitant Aleksandr Antonenko, tandis d’Egil Silins sera le grand prêtre de Dagon. Distribution 100% non française. On aurait peut-être pu trouver au moins un grand prêtre ? C’est Philippe Jordan qui sera au pupitre et la mise en scène sera signée Damiano Michieletto. On est curieux de savoir comment Michieletto dont c’est la spécialité transposera l’univers biblique.

Cavalleria rusticana, de Pietro Mascagni/Sancta Susanna, de Paul Hindemith du 30 novembre au 23 décembre 2016. C’est loin d’être la première fois que l’on sépare CAV de PAG : à l’Opéra de Paris, on a accolé à I Pagliacci Il Tabarro de Puccini, puis Erszebet de Charles Chaynes, et ce n’est qu’en 2012 que PAG a retrouvé CAV. Rapprocher Mascagni de Hindemith, c’est créer ce que Le Canard Enchaîné appelait les apparentements terribles, tant les deux univers semblent opposés. On verra comment le metteur en scène italien plutôt sobre Mario Martone s’en sortira. Les lyonnais connaissent Sancta Susanna proposée il y a quelques années dans une belle mise en scène de John Fulljames: c’est Anna Caterina Antonacci qui endossera l’habit de la Sainte, dans cette histoire de fantasme et de désir, sur un livret de August Stramm, considéré comme le premier auteur de théâtre expressionniste. Dans Cavalleria Rusticana, étonnamment rare à Paris qui aime encore moins le vérisme que le bel canto romantique, c’est Elina Garanča qui sera Santuzza (puis la très bonne Elena Zhidkova) aux côtés de Turiddu de Yonghoon Lee, auquel succèdera Marco Berti tandis qu’en Mamma Lucia alterneront Elena Zaremba et Stefania Toczyska. Et l’orchestre sera dirigé par Carlo Rizzi dont Hindemith n’est pas le répertoire de prédilection. On a sans doute essayé de combiner le goût supposé du public en l’attirant avec le miel mascagnien (et Garanča) pour faire passer un Hindemith passionnant qui n’eût sans doute pas fait le plein avec un autre opéra expressionniste…

Lohengrin, de Richard Wagner, du 18 janvier au 18 février 2017. La (très bonne) mise en scène de Claus Guth vue à Milan arrive à Paris avec deux distributions, en janvier Jonas Kaufmann, René Pape, Martina Serafin (jusqu’au 8 février), Evelyn Herlitzius (à Serafin près la distribution milanaise) et en février Stuart Skelton (Lohengrin devrait très bien lui aller), Rafal Siwek, Edith Haller, Michaela Schuster. Il faudra aller voir les deux distributions, sachant que c’est Philippe Jordan, à qui aucun Wagner n’échappe qui dirigera l’Orchestre de l’Opéra. Le titre en soi est une garantie de public, alors, avec Kaufmann, on se battra.

Così fan tutte, de W.A Mozart au Palais Garnier du 26 janvier au 19 février 2017. La production intéressante, de Patrice Chéreau n’aura pas fait long feu à Paris, déjà remplacée par Nicolas Joel par celle sans intérêt d’Ezio Toffolutti et c’est une nouvelle production qui arrive, confiée à Anna Teresa de Keersmaker sous la direction de Philippe Jordan qui passera de Mozart à Wagner et de Garnier à Bastille pendant la période. Distribution jeune et peu connue, sinon l’excellent Frédéric Antoun (en alternance avec le non moins excellent Cyrille Dubois dans Ferrando), tandis que Guglielmo sera Philippe Sly en alternance avec Edwin Crossley-Mercer (Wagner dans la Damnation de Faust cette année) alors que dans Fiordiligi l’américaine Jacquelyn Wagner (qui fait l’essentiel de la carrière en Allemagne) alternera avec Ida Falk-Winland, soprano attachée à l’opéra de Göteborg et plutôt spécialisée dans le répertoire XVIIIème. Quant à Dorabella, ce sera l’excellente Michelle Losier en alternance avec la jeune et prometteuse Stéphanie Lauricella. Une production intéressante qui confirme la mode des chorégraphes metteur en scènes d’opéra (après Sasha Waltz et Sidi Larbi Cherkaoui) et qui présente plein de jeunes chanteurs peu connus. Mais qui était Elina Garanča quand elle chanta Dorabella à Aix avec Chéreau ?

Carmen, de Georges Bizet du 10 mars au 16 juillet 2017 (pour 22 représentations et plusieurs distributions ..ça s’appelle vouloir remplir les caisses). Que Carmen constitue l’un des piliers du répertoire de Paris est évidemment une obligation. Qu’on en soit à la quatrième production depuis l’ouverture de Bastille, dont la dernière n’a pas fait long feu (Yves Beaunesne, qui s’en souvient ?) et remonte à 2012, montre les errances de la programmation. Carmen est une de ces œuvres emblématiques qui a besoin d’une production sur la durée, qui s’amortisse grâce à des distributions renouvelées. Bien sûr, le nom de Bieito excite immédiatement le chaland, mais c’est l’une des plus anciennes productions de Bieito qu’on a vue partout, à Bâle, Venise, Barcelone, Palerme Turin, Amsterdam, et ailleurs. Le coût n’en sera donc pas stratosphérique. 3 Micaela (Aleksandra Kurzak, Nicole Car, Maria Agresta)  , 4 Carmen dont deux chanteuses émergentes et très prometteuses, (Clementine Margaine, Varduhi Abrahamyan) et deux confirmées (Anita Rachvelishvili, Elina Garanča) 2 Don José (Roberto Alagna et Bryan Hymel), 2 Escamillo (Roberto Tagliavini, Ildar Abdrazakov) et une représentation « de Festival » le 16 juillet où les dames chanteront cette seule représentation (Alagna, Abdrazakov, Garanča, Agresta), le tout sous la direction de Lionel Bringuier pour ses débuts à l’opéra de Paris, en alternance (bien moins stimulante) avec Mark Elder. Au total : une opération qui lance des jeunes, qui offre une longue série de représentations, dans une mise en scène éprouvée et sans danger qui affiche un nom qui attire (ou fait peur). Avec un chef dont on parle beaucoup qu’on n’a jamais vu à l’opéra. Pas mal conçu.

Trompe-la-mort, de Luca Francesconi, création mondiale pour 5 représentations entre le 16 mars et le 5 avril 2017 au Palais Garnier (plus facile à remplir), dirigé par Susanna Mälkki dans une mise en scène de Guy Cassiers qui ainsi lui aussi fait son entrée à l’Opéra de Paris. Le livret de Luca Francesconi s’appuie sur Splendeur et misère des courtisanes de Balzac et tourne autour de la figure de Vautrin dont l’un des surnoms est Trompe-la-mort . La distribution est très brillante : Thomas Johannes Mayer, le Moses de cette saison sera Vautrin, Julie Fuchs, Cyrille Dubois, Laurent Naouri, Jean Philippe Lafont, Béatrice Uria-Monzon et Ildikó Komlósi. Francesconi est l’auteur d’assez nombreux opéras (Quartett , d’après Heiner Müller et Les liaisons dangereuses a été créé à la Scala en 2011 avec déjà Susanna Mälkki au pupitre et repris à Londres et à Vienne). La production devrait être intéressante. Là aussi, l’opération est bien montée.

Snegourotchka, de Rimski Korsakov pour 5 représentations du 15 avril au 3 mai, est le deuxième volet d’un cycle russe confié à Dmitri Tcherniakov. On a vu cette année Iolanta et Casse Noisette, la saison prochaine, c’est au tour de cette rareté, qui mérite l’attention. L’œuvre de Rimski-Korsakov n’est pas suffisamment présente sur les scènes non russes, comme plus généralement les opéras russes en dehors de Moussorgski et Tchaïkovski. Mais Tcherniakov a fait de ce répertoire moins connu une sorte de spécialité : on a vu à New York (et l’an prochain à Amsterdam) la magnifique production du Prince Igor de Borodine, à Berlin et à la Scala La fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov. Paris entre ainsi dans la ronde russe et c’est une bonne initiative. On pourrait penser la distribution entièrement russe, pour un opéra si rare, mais non, c’est une vrai distribution internationale qui compte Martina Serafin, Luciana d’Intino, Thomas Johannes Mayer, Ramon Vargas, Franz Hawlata, et le contreténor britannique Rupert Enticknap mais aussi quelques slaves de l’étape, Vladimir Ognovenko, Vasily Efimov, Olga Oussova, Vasily Gorshkov et naturellement le rôle de Snegourotchka confié à la jeune soprano russe Aida Garifullina , premier prix des Operalia 2013, actuellement en troupe à Vienne. Quant à la direction musicale, elle est confiée au jeune et talentueux directeur du Théâtre Michailovski de Saint Petersbourg, Mikhail Tatarnikov. Sans aucun doute voilà pour moi l’une des productions phare de la saison prochaine.

La Cenerentola de Rossini, dernière nouvelle production de la saison pour 11 représentations entre le 10 juin et le 13 juillet . C’est un peu le même cas que Carmen. Nicolas Joel avait eu la bonne idée de montrer la production Ponnelle, qui remonte à 1972, et qui est toujours et encore reprise à la Scala et à Munich, et au fond, pourquoi ne pas la garder ?  Sans leur faire insulte, il n’est pas sûr que Guillaume Gallienne (mise en scène) et Eric Ruf (décor) soient si innovants pour proposer une idée vraiment différente (comme Michieletto pour Barbiere di Siviglia). Mais je me trompe peut-être. En tous cas, j’ai mes doutes sur la nécessité d’une nouvelle production qui ne « tranche » pas ou fasse oublier Ponnelle ou même Savary (qu’Hugues Gall avait importée de Genève).
La direction est confiée à Ottavio Dantone, l’un des bons chefs italiens plutôt rompu au baroque et la distribution est faite de jeunes, à peine arrivés sur le marché, comme Teresa Iervolino fraîche émoulue de l’AsLiCo, qui sera Angelina, le jeune américain  Juan José de León en Ramiro ou l’excellent Alessio Arduini (Dandini) vu l’an dernier dans Silvio de I Pagliacci à Salzbourg (sous la direction de Thielemann) et qu’on voit de plus en plus dans le circuit international. Et Don Magnifico sera Maurizio Muraro, désormais basse bouffe de référence. Du point de vue de la production, c’est le type même d’opération marketing, parce que le nom de Gallienne se vend bien, parce que c’est afficher la Comédie Française (voir plus haut le symbole) et donc parce que cela attirera aussi les médias (qui aiment Gallienne).

Les nouvelles productions pour l’Académie

Stéphane Lissner a remplacé le Studio de l’opéra par une « académie », reprenant le nom qui a si bien réussi à Aix, qui accueille non plus seulement des chanteurs, mais des chorégraphes, des musiciens, une sorte de creuset artistique pour jeunes artistes, recrutés annuellement autour de projets.
Les deux productions pour l’académie auront lieu à l’amphithéâtre, qui, en l’absence de la salle modulable chère à Boulez devenue remise à décor, fait un peu office de scène alternative. Il est clair que ces productions eussent pu prendre place dans la programmation d’une salle modulable de 1000 spectateurs, si elle avait existé.
En fait, et c’est paradoxal là encore, il manque à l’Opéra de Paris une petite salle, qui complèterait le dispositif général, et contrairement à ce que d’aucuns ont pensé à un moment, la petite salle ne peut être l’Opéra Comique, qui a montré son rôle de scène alternative pour un répertoire spécifique joué rarement (et qui a une jauge de 1500 places, un peu excessive pour ce type de projet). Garnier et Bastille sont deux grandes salles (la plupart des grands théâtres internationaux ont environ la jauge de Garnier, si on excepte le MET) qui sont faites pour le même type de répertoire.
Mais le projet Bastille, à l’origine Opéra National Populaire (avec système de répertoire) face à Garnier Opéra National Aristocratique (avec système stagione) avec deux directions séparées sur le modèle ENO/ROH est devenu ce que l’on sait, avec deux grosses salles sous un même toit et une programmation globale en stagione. Le public a répondu, et c’est heureux, mais il manque toujours à l’institution un espace alternatif. Et en cela, Boulez avait vu juste.
La programmation spécifique de l’académie permet d’afficher des spectacles de qualité à moindre prix, et donc plus accessibles à un public moins fortuné, dans des conditions de vision et d‘écoute satisfaisantes, puisque d’opéra populaire, on n’a plus que des souvenirs, vu les prix pratiqués, vu la disparition des places debout instituées par Mortier (une pure imbécillité comme savent les inventer les gestionnaires qui n’ont aucune idée du public de l’opéra) pour les remplacer par des places assises à bas prix impossibles qui se réduisent comme peau de chagrin. Avec plus de 500 places debout, Vienne est un modèle : les places debout forment un fond de public (comme celles qui ont été supprimées à la Scala aussi – pour cause de sécurité paraît-il) et donnent sa couleur (voire son folklore) au théâtre. Mais ce n’est pas une mode française.

 Owen Wingrave, de Benjamin Britten, 5 représentations du 19 au 28 novembre à l’amphithéâtre de l’opéra de Britten, livret de Henry James, dans une mise en scène de Tom Creed, metteur en scène résident à l’académie et sous la direction de Stephen Higgins

 Les fêtes d’Hébé, de Jean-Philippe Rameau pour 3 représentations à l’Amphithéâtre du 22 au 25 mars et 2 représentations à Londres, au Royal College of Music ; Il s’agit d’une coproduction entre l’Académie et le Centre de musique baroque de Versailles, en partenariat avec le Royal College of Music, London. La mise en scène est de Thomas Lebrun, chorégraphe directeur du Centre Chorégraphique National de Tours et la direction musicale de Jonathan Williams, spécialisé dans le répertoire baroque et notamment Rameau..

Les reprises au répertoire

 Huit reprises et un concert, pour neuf nouvelles productions et deux productions de l’académie, il est clair que la direction imprimée est celle d’une inflexion des productions  pour un changement d’image de la maison.
Dans un pur système de stagione (qui était celui de la Scala pendant les années 70 ou 80) l’offre est presque exclusivement des nouveautés (avec une ou deux reprises) pour attirer le public, friand de nouveaux titres. Les reprises offrent le plus souvent une nouvelle distribution, quelquefois plus brillante qu’à la première. C’était aussi le système Liebermann à Paris. Pour garantir cette sorte de Festival permanent, on ne peut multiplier les représentations sous peine d’exploser les budgets.
Or, l’Opéra Bastille est construit et conçu pour un système de répertoire et d’alternance serrée qui nécessite une logistique particulière (changements rapides de décor, équipes nombreuses, jour et nuit). À Vienne qui est le temple du répertoire, les équipes tournent pour faire et défaire les décors puisque chaque soir affiche un titre différent et que pendant la journée on répète autre chose. Les espaces scéniques de Bastille sont énormes (deux terrains de foot sur deux niveaux) et garantissent des changements a priori rapides. Bastille permet donc une alternance plus serrée et au moins le double de titres qu’un opéra stagione ordinaire (Scala, ou Madrid par exemple), une vingtaine sans compter les ballets, à l’apparat scénique plus léger.

Tosca : un des must de l’opéra, qui garantit l’afflux du public. La production précédente de Tosca de Werner Schroeter a duré une vingtaine d’années et a été bien amortie. La production actuelle date de 2014-2015 et a été confiée à Pierre Audi, la modernité sans peur et sans scandale, et donc voilà une production faite pour durer et être amortie, c’est ce qu’on lui souhaite. La distribution est typique des reprises qui devraient attirer du monde avec 10 représentations du 16 septembre au 18 octobre : Anja Harteros pour 3 représentations (seulement) en septembre à l’ouverture de saison, avec les risques du métier puisque madame Harteros annule souvent et pour le reste Liudmyla Monastyrska, une chanteuse de grande série solide ; l’autoroute des Tosca, face à deux vedettes, Marcelo Alvarez (pour moi sans intérêt, mais c’est un nom paraît-il) et Bryn Terfel, intéressant quant à lui dans Scarpia. C’est Dan Ettinger qui assure la direction musicale, désormais familier de grandes scènes internationales.

 Lucia di Lammermoor : voilà une production qui fit scandale à sa création en janvier 1995 (avec June Anderson et Roberto Alagna) qui porte allègrement ses  22 ans bientôt, et qui revient du 14 octobre au 16 novembre pour 10 représentations. La direction musicale est confiée au très classique Riccardo Frizza, et les distributions en alternance affichent Pretty Yende désormais bien connue et Nina Minasyan, très prometteuse, issue toute fraîche du Young Artists program du Bolshoï. Enrico Ashton sera Artur Ruciński, dont on se souvient qu’il remplaça à Salzbourg Placido Domingo malade dans Trovatore, et Edgardo sera Piero Pretti et Abdellah Lasri, qui fait une belle carrière internationale à coups de Rodolfo et d’Alfredo notamment.

 Les contes d’Hoffmann : La production de Robert Carsen depuis 2000 fait les beaux soirs de Bastille (c’est une production Gall) et c’est le type même de production qui peut durer : une modernité de bon aloi, qui continue de fonctionner sans rien de poussiéreux. Elle est donc de retour et cette année on met les petits plats dans les grands pour 9 représentations du 3 au 27 novembre, puisque Philippe Jordan dirige lui-même une somptueuse distribution, les trois femmes seront Sabine Devieilhe, Kate Royal, Ermonela Jaho, les quatre basses seront interprétées par Roberto Tagliavini qu’on voit beaucoup dans les distributions de Paris et Hoffmann sera en alternance Jonas Kaufmann (6 représentations) et Stefano Secco (3 représentations). De quoi accourir, tout le monde sera là.

Iphigénie en Tauride, de C.W.Gluck : 9 représentations du 2 au 25 décembre 2016 pour ce retour de la production princeps (merci Mortier) de Krzysztof Warlikowski sur la scène de Garnier, après avoir été ostracisé par Nicolas Joel. Pour ce grand retour d’une magnifique production, une distribution renouvelée : Véronique Gens dans Iphigénie, je jeune baryton canadien Etienne Dupuis (à ne pas manquer) dans Oreste, et Stanislas de Barbeyrac (à ne pas manquer non plus) dans Pylade, tandis que Thoas sera Thomas Johannes Mayer (qu’on voit aussi beaucoup à Paris, y aurait-il une troupe qui ne dit pas son nom ?). L’Orchestre sera dirigé par Bertrand de Billy, inexplicablement absent de la fosse de l’opéra de Paris depuis une Carmen de 1999. Voilà une reprise excitante.

Die Zauberflöte, de W.A Mozart : retour de la production Carsen, mieux accueillie à Paris qu’à Baden-Baden où elle est née. Et cette fois-ci avec une distribution passionnante qui mérite le détour, pour 17 représentations du 23 janvier au 23 février. Au pupitre, le directeur musical de la Komische Oper de Berlin, l’excellent, vraiment excellent Henrik Nanási et sur la scène, en alternance deux ténors très différents de style en Tamino, Stanislas de Barbeyrac que l’on connaît bien en Tamino depuis Aix, et Pavol Breslik que Paris a moins vu mais qui connaît un grand succès outre Rhin. En Pamina, la jeune Nadine Sierra (qu’on voit aussi pas mal à Paris) en alternance avec Kate Royal, une Pamina consommée, et une toute jeune, Elsa Dreisig, René Pape en Sarastro en alternance avec Tobias Kehrer (qui est aussi une basse intéressante), un Papageno de grand luxe, Michael Volle, en alternance avec le jeune et talentueux Florian Sempey, Albina Shagimuratova alternera avec Sabine Devieilhe en Reine de la nuit, mais le plus luxueux ce sera le Sprecher de José Van Dam.

Béatrice et Bénédict, d’Hector Berlioz : Il est un peu excessif de la part du marketing de l’opéra  de faire passer cette version de concert (même mise en espace par Stephen Taylor) d’une seule soirée (le 24 mars 2017) comme une « production », on prend le lecteur pour un idiot. D’autant que la programmation générale assez riche n’a pas besoin de ce type de trucage. On aurait pu en revanche en faire une vraie production.
Le concert sera dirigé par Philippe Jordan et affiche une belle distribution. Stanislas de Barbeyrac (Bénédict), Stéphanie d’Oustrac (Béatrice) entourés de Laurent Naouri, Florian Sempey, Sabine Devieilhe.

 Wozzeck, d’Alban Berg : pour 7 représentations du 26 avril au 15 mai 2017, retour du Wozzeck de Marthaler, une des rares productions Mortier reprises par son successeur, sous la direction de Michael Schønwandt (un peu plus d’imagination pour trouver un chef n’aurait pas nui), avec Johannes Martin Kränzle dans Wozzeck, Štefan Margita dans le Tambour Major, le vétéran Kurt Rydl dans le Doktor, tandis que Marie sera Gun-Brit Barkmin. Une distribution solide pour une reprise dont l’intérêt est toujours le remarquable travail de Marthaler.

Eugène Onéguine, de P.I Tchaïkovski : 10 représentations dirigées par Edward Gardner du 16 mai au 14 juin 2017. C’est une reprise de la production de Willy Decker (qui remonte à 1995, sous Hugues Gall) et non de celle de 2008-2009 de Dmitri Tcherniakov (sous Gérard Mortier) qui sert d’écrin à la Tatiana d’Anna Netrebko. Elle alternera avec Sonya Yoncheva. La distribution est séduisante avec l’Onéguine de Peter Mattei, le Lenski de Pavel Černoch  (alternant avec Arseny Yakovlev), la Olga de Varduhi Abrahamyan, tandis que Madame Larina sera Elena Zaremba et Flipevna la grande Hanna Schwarz. Une reprise qui attirera les foules pour le couple Netrebko/Mattei.   Sans doute le choix de Decker et non de Tcherniakov vise-t-il à ne pas “tcherniakoviser” définitivement le répertoire russe à Paris, avec quelques motifs techniques ou financiers derrière.

Rigoletto (Prod.Claus Guth) ©Monika Rittershaus
Rigoletto (Prod.Claus Guth) ©Monika Rittershaus

Rigoletto, de G.Verdi : Le seul Verdi de la saison, du 27 mai au 27 juin 2017 pour 11 représentations de la production de Claus Guth créée cette année, dans une distribution et avec un chef (Daniele Rustioni) aussi intéressants que cette année. Daniel Rustioni, futur directeur musical de Lyon, qui fait sa deuxième apparition dans la fosse parisienne dirigera Vittorio Grigolo (Il Duca), la jeune Nadine Sierra (Gilda), Kwangchul Youn en Sparafucile et le Rigoletto de Željko Lučić.

 

Lorsque la saison est parue, beaucoup de fans mélomaniaques ont trouvé cette seconde saison Lissner moins excitante que la saison actuelle qui affichait la brochette de metteurs en scène-qu’il- faut-avoir-vu. La saison prochaine affiche peut-être moins de paillettes, mais reste très diversifiée par ses choix qui vont du baroque au contemporain, sans trop insister sur les grands standards et plutôt ouverte sur un répertoire plus large, où apparaissent des metteurs en scène nouveaux pour l’Opéra, comme Thomas Jolly, Guy Cassiers, AT de Keersmaker, Guillaume Gallienne, Mario Martone (qu’on a vu au TCE), mais aussi les piliers que sont Bieito (dans sa production historique de Carmen), Tcherniakov, Guth et Michieletto. On reverra aussi avec plaisir l‘Iphigénie en Tauride de Warlikowski.

C’est une saison très bien faite, très équilibrée (il y en a pour tous les goûts), et qui surtout dans ses distributions affiche une ouverture vers les voix jeunes, sorties il y a peu des grands concours, en leur donnant leur chance dans de nombreux spectacles et dans des vrais grands rôles. Il y a peu de grandes salles d’opéras en Europe qui osent autant de chanteurs nouveaux, c’est tout à l’honneur de l’opéra ; mais Paris aussi affiche une politique de fidélisation de nombreux chanteurs (et donc de baisse des coûts de plateau au nom de la loi des “packages” ) qui crée ce que j’appellerais une troupe en creux et c’est sans doute une volonté animée par le directeur de casting Ilias Tzempetonidis que Lissner a emporté de la Scala dans ses valises. C’est vraiment l’effet casting, qui est ici très intéressant à étudier, y compris d’ailleurs pour les chefs (Bringuier, Rustioni, Tatarnikov, Nánási, Garcia Alarcón, Dantone).
Quant à Philippe Jordan, il se réserve trois nouvelles productions (Samson et Dalila, Così fan Tutte, Lohengrin) un opéra en concert (Béatrice et Bénédict) et une reprise (Les Contes d’Hoffmann), ce qui très honnêtement n’est pas exagéré. En se faisant plus rare, il se fait désirer.
Voilà, la saison d’opéra de l’Opéra est une saison bien composée, intelligente et variée. Rien de plus, rien de trop, mais c’est déjà beaucoup. [wpsr_facebook]

Iphigénie en Tauride (Warlikowski) © Éric Mahoudeau / OnP
Iphigénie en Tauride (Warlikowski) © Éric Mahoudeau / OnP

 

SALZBURGER FESTSPIELE 2014 (PFINGSTEN): LA CENERENTOLA de Gioacchino ROSSINI le 5 JUIN 2014 (Dir.mus:Jean-Christophe SPINOSI; Ms en scène: Damiano MICHIELETTO) avec Cecilia BARTOLI

Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli
Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli

Cecilia Bartoli est à la fois directrice artistique, prolongée jusqu’en 2016 et vedette du Festival de Pentecôte de Salzbourg, traditionnellement dédié au répertoire baroque et construit en ce moment sur mesure pour la star italienne. Depuis deux ans, elle a proposé des pièces du grand répertoire (l’an dernier Norma, cette année Cenerentola) accompagnées par un orchestre d’instruments anciens, un « retour aux sources », dit-elle. C’était l’an dernier la formation baroque de l’Opéra de Zürich, l’Orchestra La Scintilla, c’est cette année l’Ensemble Matheus dirigé par son chef Jean-Christophe Spinosi.
La présence d’orchestres français dans la fosse salzbourgeoise n’est pas si fréquente, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Dispositif d'ensemble © Silvia Lelli
Dispositif d’ensemble © Silvia Lelli

La mise en scène a été confiée à Damiano Michieletto, qui commence à essaimer sur les grandes scènes internationales, et la distribution est évidemment dominée par Cecilia Bartoli en Angelina, un rôle qu’elle a beaucoup chanté et qu’elle a aussi enregistré, par le ténor mexicain Javier Camarena en Ramiro, et par le baryton Nicola Alaimo en Dandini.
Une production annonciatrice de succès, ce qui fut, et un succès même triomphal.
La présence d’un orchestre d’instruments anciens enrichit-il notre vision de l’œuvre? J’avoue avoir mes doutes à ce propos. L’an dernier, je n’ai pas été trop surpris par Norma ni même dérangé, par rapport à la version habituelle avec un orchestre traditionnel. Cette année, j’avoue que mon oreille habituée à d’autres sons et à un autre Rossini a été un peu perturbée : certes, Spinosi mène l’ensemble avec beaucoup d’énergie très démonstrative, mais je trouve que les rythmes (notamment dans l’ouverture) s’en ressentent, que la fluidité s’en ressent, et que le rééquilibrage cordes/vents au profit des vents donne un son très différent et pas forcément plus intéressant que dans la version traditionnelle. Est-ce dû à l’acoustique ? à la place où j’étais ? J’ai par exemple trouvé que la flûte solo avait un petit air d’acouphène très désagréable. Le son d’ailleurs était assez mat dans l’ensemble, et souvent l’orchestre se faisait trop discret au profit du plateau. J’avoue avoir été « formé » ou « formaté » à l’excellente interprétation que Lopez-Cobos en donna jadis à Paris (avec en alternance Teresa Berganza et Frederica von Stade, excusez du peu) puis avec Abbado dans la production Ponnelle, désormais légendaire, mais aussi par l’enregistrement de Chailly (avec Bartoli) dans une version un peu plus rèche que celle d’Abbado, qui reste pour moi dans Rossini la référence. J’ai trop entendu son Rossini léger, clair, rythmé, aux crescendos incroyables (ah, le final du 1er acte…quelle frustration !), pour être séduit par ce son mat, ce manque de clarté ou de lisibilité (pour mon goût), même si certains moments m’ont plu notamment dans le second acte et que j’ai trouvé le continuo magnifiquement réussi, de justesse, de rythme, de présence discrète (Felice Velanzoni au pianoforte, Claire Lise Demettre au violoncelle , Thierry Runarvot à la contrebasse)

Angelina acte I © Silvia Lelli
Angelina acte I © Silvia Lelli

Certes, dans une mise en scène certes très « fun », mais où les aspects dramatiques et sombres notamment au début ne manquent pas (ne pas oublier que Cenerentola est un melodramma giocoso), un son moins clair, moins lumineux pouvait se comprendre. Dans l’ouverture notamment, il y a de la part du chef un parti pris plus saccadé pour accompagner le plateau et correspondre point à point aux gestes et aux mouvements voulus par le metteur en scène, et une manière sympathique de s’engager dans le spectacle (notamment lorsqu’au début du second acte, Alidoro lui envoie une flèche qui le transperce : Spinosi s’en donne à cœur joie pour le plus grand bonheur du public), tout cela contribue évidemment à la bonne humeur générale.
Mais c’est la mise en scène qui soutient l’ensemble et non l’orchestre.
Il est évident aussi que cet orchestre plus sourd ne pouvait que convenir à la voix de Cecilia Bartoli, dans une salle à l’acoustique idéale pour elle. Mon sentiment est donc mitigé ; l’expérience reste seulement pour moi une expérience.
Le plateau était dans l’ensemble plutôt homogène et très équilibré : il faut pour Rossini un engagement vocal et musical exceptionnels, une technique très maîtrisée, notamment dans la diction, et les rythmes, et il faut que les chanteurs s’amusent, sans quoi le soufflé retombe. Le sextet Che sarà du second acte, où toute la distribution est enfermée par Alidoro dans un rouleau de plastique adhésif  est l’un des meilleurs moments où cette homogénéité est mise en valeur.

Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli
Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli

Le travail de Michieletto est tellement précis, tellement intelligent, tellement juste, que chacun est scéniquement à sa place. Les deux sœurs Clorinda (Lynette Tapia) et Tisbe (Hilary Summers) sont par exemple désopilantes, d’une incroyable justesse, d’un engagement scénique irréprochable, l’une Clorinda avec sa voix un peu nasale et l’autre Tisbé à la voix d’alto tellement profonde qu’on ne serait pas étonné que ce fut un homme déguisé, d’autant que, physiquement à l’opposé l’une de l’autre, elles composent une de ces paires impossibles qui ne peuvent qu’avoir effet sur le public. Mais voilà, quand elles jouent, c’est parfait, mais dès qu’elles chantent, c’est moins précis, moins en rythme, et quelquefois aux limites de la justesse (notamment Hilary Summers trop rauque, même si elle s’en sert avec brio). L’Alidoro de la jeune basse Ugo Guagliardo est très efficace scéniquement lui aussi, d’autant que dans la vision de Michieletto il est le personnage toujours présent en scène qui manipule toute l’action. Même si le timbre est pour mon goût un peu trop jeune pour le rôle, la voix a une belle couleur, et la prestation est très honorable.

Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli
Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli

Le Dandini de Nicola Alaimo est irrésistible de présence. On connaît ce baryton, neveu de Simone Alaimo, qu’on a vu à Paris dans Dandini et Melitone de La Forza del Destino. Belle technique, belle présence scénique, un vrai baryton de caractère à la voix plutôt puissante, avec un vrai contrôle sur la voix, qui dessine un personnage désopilant de Prince vulgaire et excessif.

Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli
Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli

Enzo Capuano en revanche est un peu décevant dans Magnifico : certes, lui aussi est scéniquement d’une rare justesse, dans son personnage de père méchant, voire violent, et pas vraiment la basse bouffe et presque inoffensive qu’on a l’habitude de voir. J’ai encore le souvenir de Paolo Montarsolo qui dans son monologue initial Miei ramponi femminini faisait crouler la salle. C’est la mise en scène qui impose un personnage plus négatif que le clown qu’était Montarsolo jadis, mais vocalement il ne réussit pas à s’imposer pour mon goût, même si scéniquement il est remarquable.

Javier Camarena est un Ramiro exceptionnel, dans la tradition des ténors latinos qui depuis Luigi Alva ont toujours été de grands rossiniens. La voix est ductile, puissante, et si le personnage reste un peu pâlichon (mais c’est aussi la couleur voulue par Rossini), la présence vocale est telle dans les airs qu’il remporte un immense triomphe, à l’égal de Bartoli. Un moment merveilleux de suavité musicale et de style, de très grand style même.
Reste Cecilia Bartoli, très familière du rôle, qu’elle reprend après avoir fréquenté d’autres répertoires ou un Rossini plus sérieux (Desdemona d’Otello par exemple). Les agilités de l’air final « Non piu’ mesta » sont étourdissantes, les cadences acrobatiques. On connaît cette Bartoli-là qui est un feu d’artifice irrésistible.

Enzo capuano (Magnifico) et Angelina (Cecilia Bartoli) © Silvia Lelli
Enzo capuano (Magnifico), Angelina (Cecilia Bartoli) et Ramiro (Javier Camarena) © Silvia Lelli

Mais dans la ligne de sa Norma de l’an dernier, c’est son sens dramatique aigu qui m’a frappé et c’est là ce qui m’a peut-être le plus ému : une Angelina quelquefois déchirante, discrète, modeste, d’une étonnante justesse en bref un vrai personnage à la fois émouvant, mais aussi énergique, qui ne s’en laisse pas compter. On reconnaît les très grands à leur capacité à vous étonner et à être là où on ne les attend pas : Cecilia Bartoli est de ceux-là.
Mais le plateau et l’orchestre n’auraient peut-être pas remporté l’immense triomphe qu’ils ont connu à Salzbourg sans le travail de Damiano Michieletto, qui donne sens à l’ensemble et qui porte complètement la soirée. C’est à mon avis lui la clef de voûte et qui va n’en doutez pas, faire courir le public cet été à Salzbourg. On connaît la technique de Michieletto : de la transposition naît la lumière. Il éclaire les livrets par une vision d’aujourd’hui (rappelons Un Ballo in maschera de la Scala vu comme une campagne électorale à l’américaine par exemple).
Ici toute l’action est transposée dans un bar-buffet à l’américaine (ce pourrait d’ailleurs être en Sicile ?) un peu cheap, tenu par un Magnifico qui a tout d’un émigré italien avec ses deux filles oisives et pestes, et Angelina qui fait tout le boulot : laver les sols, nettoyer les tables, servir les clients. La situation est donc respectée.

Au palais apparition d'Angelina © Silvia Lelli
Au palais apparition d’Angelina © Silvia Lelli

On passe ensuite au Palais, vu comme un bar de luxe, divans, lumières tamisées, jardin, fréquenté par l’aristocratie locale, structuré comme le bar de Magnifico mais en version luxe, avec l’apparition d’Angelina en star hollywoodienne qui m’a rappelé Audrey Hepburn. Ainsi les deux moments sont-ils d’une lumineuse clarté dramaturgique, d’une belle lisibilité et d’une grande logique.

Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli
Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli

Toute l’action est pilotée par Alidoro, sorte de magicien qui gère les lieux, les gens, les lumières, qui crée les situations, génie invisible ou visible selon les moments, et qui arrive dès l’ouverture comme descendu du ciel. C’est lui le deux ex machina, c’est lui le génie, le magicien d’Oz, sorte d’enfant grandi trop vite avec son petit costume blanc et son Bermuda. Une sorte de vision du bon génie qui créé les situations où les méchants se confirment et où la bonté d’Angelina éclate.
Alors, changements à vue, décor à transformations, changements de lumières très efficaces d’Alessandro Carletti et utilisation très réussie de la vidéo, qui contribue à éclairer l’intrigue, tout cela file avec une grande fluidité.  Avec évidemment des moments désopilants, qui provoquent applaudissements à vue, et une vraie joie du public.
Le rythme, la couleur, les contrastes, tout dépend de ce travail scénique d’une incroyable précision, d’une très grande tenue, et en même temps d’une justesse dans la transposition qui éclaire l’intrigue sans jamais casser l’histoire : Michieletto en bon italien a son Rossini dans le sang, mais il a su aussi en tirer des éléments moins souvent valorisés, comme la violence subie par Angelina, et la pointe tragique qu’on lit pendant le premier acte, une pointe de serio dans cette fête du giocoso. Un spectacle complet, une vision à la fois traditionnelle et renouvelée, une ambiance poétique par l’image finale où tous lavent les sols, pendant qu’Angelina, de blanc vêtue, chante son rondo, rythmée par les bulles de savon qui envahissent la scène, à la fois issues du nettoyage général et du rêve de la jeune fille. Monsieur Propre au pays des Fées. [wpsr_facebook]

Effets vidéo © Silvia Lelli
Effets vidéo © Silvia Lelli

 

TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: UN BALLO IN MASCHERA de Giuseppe VERDI le 22 JUILLET 2013 (Dir.mus: Daniele RUSTIONI; Ms en scène Damiano MICHIELETTO)

Dispositif scénique ©Teatro alla Scala

J’ai écrit il y a quelques années sur ce blog un article intitulé l’impossible Ballo in Maschera et la difficulté de chanter Verdi : la représentation d’hier à la Scala en est l’illustration jusqu’à la caricature. Sur le papier, une proposition intéressante avec Sondra Radvanovsky (dont j’écrivais qu’elle est aujourd’hui l’une des seules sopranos verdiennes), Marcelo Alvarez, titulaire à peu près unique de Riccardo, et Zeljko Lucic, qui est en matière de baryton verdien ce qui se fait à peu près de mieux. Un jeune chef prometteur (il a eu l’Opera Award du jeune le plus prometteur) dans la fosse, et sur le plateau un metteur en scène italien qui explose depuis quelques années. Quoi de mieux pour motiver une petite virée rapide à Milan?
On ne peut reprocher à la Scala d’avoir sous-distribué son cast A (il y a en revanche dans le cast B Oksana Dyka, motif évident de fuite éperdue), ni d’avoir proposé une production ordinaire. Une production du Ballo in maschera est aujourd’hui une manière de défi et c’est tout le mérite de la Scala d’avoir pu le proposer.
Après la soirée d’hier qu’en reste-t-il?

Campagne électorale ©Teatro alla Scala

En premier lieu, la mise en scène. Damiano Michieletto est une nouvelle coqueluche de l’opéra: on a vu sa production salzbourgeoise de La Bohème l’an dernier, visions modernes, décalées, transpositions qui font sens. L’Italie semble avoir trouvé là une figure nouvelle correspondant à notre temps, subversif, mais pas trop, provocateur mais pas trop, juste ce qu’il faut au public de l’opéra pour jouer à se faire peur. Et de fait, sa mise en scène a déchaîné les passions, au point que la plupart des critiques n’accordent qu’une importance très relative à la musique. C’est pourtant là que le bât blesse surtout.

Marcelo Alvarez et Patrizia Ciofi ©Teatro alla Scala

L’idée qui domine ce Ballo in maschera est une analyse du personnage de Riccardo, au grand charisme, aimé des foules, et en même temps, vivant dans le privé un drame personnel parce qu’il aime la femme de son meilleur ami. Cette opposition sphère privée/publique, ce côté brillant de l’homme de cour, a renvoyé Michieletto au monde politique et notamment celui des campagnes électorales et à ce qu’elles imposent en termes d’image, et en termes de maquillage du privé. Ce monde de paillettes et d’apparence pourrait aussi être le miroir aux alouettes berlusconien vécu en Italie des années durant.
Alors, le début apparaît très divertissant, riche d’idées nécessaires à rendre crédible la transposition: Oscar le page devient la responsable de com plus ou moins amoureuse du chef, et qui le protège, Renato le responsable de la sécurité, le plus proche ami du boss et son épouse Amelia une sorte de caricature de l’épouse américaine, bien coiffée, tailleur, manteau de vison et sac à main. Il n’est pas sûr que Madame Radvanovky se sente à son aise dans cette vision, tant elle semble empruntée en scène.
Quant à Ulrica, c’est une prédicatrice d’église évangéliste, thaumaturge (elle fait du miracle – préparé?- à la pelle), tout de blanc vêtue, et la foule la presse. L’idée est amusante: là aussi, on ne peut que sourire à l’acrobatie théâtrale.
“L’orrido campo” où se rencontrent Amelia et Riccardo est un lieu de prostitution, sans doute derrière un stade. Riccardo arrive en voiture (mais à part l’idée gadget, rien n’en est fait) et Amelia se fait voler par une méchante prostituée sac à main et vison. Quand Amelia doit se dissimuler, elle est obligée de vêtir le ciré blanc de la prostituée, laissé à terre quand elle a pris le vison…
L’arrivée des conjurés, sur une musique assez ironique, n’est pas mise en valeur et l’on revient aux visions traditionnelles, élections à l’américaine ou pas.

Ld bal final ©Teatro alla Scala

Quant au bal final, c’est la fête de fin de campagne, et si les gens ne sont pas masqués, beaucoup portent l’effigie du candidat Riccardo  sous un néon géant “Riccardo incorrotta gloria”  slogan de la campagne qui s’éteint au moment de l’assassinat. Riccardo chante les dernières répliques debout à pleine voix pendant que son cadavre gît aux pieds d’Amelia. Marcelo Alvarez ne pouvait-il donc pas chanter allongé? fallait-il chanter cette mort à pleine voix?
Au-delà du divertissement procuré par cette transposition  bien faite, force est de constater qu’il n’en sort pas grand chose,  que bien des idées tiennent du gadget, et que les ressorts psychologiques ne sont pas plus fouillés que si l’on était à Boston au XVIIème siècle ou en Suède au XVIIIème. En fait, Michieletto ne tire pas grand chose de son idée centrale, néons, affiches, mannequins et tee shirts à l’effigie de Riccardo, et alors?
Et alors? tout cela fait un peu poudre aux yeux, tout cela fait un peu inutile, tout cela amuse la galerie (ou l’horrifie, l’accueil du public a été très violent à la première), mais il ne se passe rien, rien du tout, et surtout pas une quelconque émotion ni une quelconque idée qui sortent du tout venant habituel. Déception… Mais tout passe…
Du chef Daniele Rustioni on a dit grand bien (y compris dans ce blog): il est jeune, sérieux, très musicien, très travailleur. on va le voir l’an prochain dans Simon Boccanegra à Lyon. Et pourtant, fallait-il qu’il dirige Un ballo in maschera? Ou la Scala a pêché par excès de légèreté en le lui confiant, ou il a pêché lui-même par excès de présomption.
Sa direction est à l’évidence travaillée, mais il n’en sort rien. Il faut plus que révéler des notes et des phrases musicales, il faut plus qu’organiser la partition: ici, cela ne part jamais, jamais de dynamisme (c’est très lent), jamais de mise en dialogue de telle ou telle phrase, de tel ou tel pupitre qu’on invite à jouer plus fort, plus fin, plus subtil, aucune pulsion vitale, qu’une mise en place assez plate et sans âme, sans vie. Un travail qui distille l’ennui et qui finit par mettre un peu mal à l’aise tant on est loin de ce que Verdi exigerait: maturité insuffisante, manque de profondeur, “concertazione” inexistante . Alors le chef est hué à la fin, et les applaudissements en contraste sont bien grêles pour le chef et l’orchestre. Le public sent bien le décalage entre les exigences et le résultat, et l’échec musical de la représentation est pour une grande part dû à la fosse. Pour ma part je considère que c’est surtout la musique qui ne va pas: et c’est bien plus grave qu’une mise en scène à la mode qui fait hurler.
Du côté des chanteurs, Sondra Radvanovsky  est aujourd’hui l’une des voix qui peut chanter les grands Verdi. Un organe homogène (même avec des petits problèmes dans les notes basses, surtout au début de l’opéra) et un peu de temps pour se réchauffer la voix, mais une seconde partie très en place, avec des aigus superbes, et surtout des passages bien négociés, un appui sur le souffle sans reproches, y compris dans les mezze voci et les notes filées. On ne peut que souligner la qualité et la sûreté de la prestation et la belle ligne de chant. Enfin un vrai lirico spinto.

Alvarez dédoublé? ©Teatro alla Scala

Mercelo Alvarez chante Riccardo depuis longtemps, et l’on reconnaît l’agrément du timbre et de la couleur vocale. Mais son seul souci est de bien accrocher les aigus. Pas de ligne de chant, pas  d’homogénéité (les graves sont inexistants, le centre est inaudible) et au total pas de style, même si rien de ce qu’on entend n’est scandaleux.Il n’y a aucune intensité, aucun accent, un chant indifférent. Le personnage n’est pas dessiné, il n’est que joué et rien dans le chant n’est vraiment engagé. Une interprétation extérieure de qualité moyenne, on est loin de ce que je considère un grand standard verdien. Tel qu’il a été entendu ce soir, Marcelo Alvarez usurpe sa qualité de star du chant.
L’Ulrica de Marianne Cornetti , prédicatrice télévisuelle à l’américaine, est bien plus mezzo que contralto. Elle a des grands aigus volumineux et des graves inexistants, là où le rôle exige à la fois de beaux aigus, mais surtout de très beaux graves (le début Rè dell’abisso, affrettati). La voix manque donc de cette homogénéité qui devrait marquer Ulrica, mais on peine à en trouver sur le marché lyrique aujourd’hui. N’est pas Obratzova qui veut.

Zeljko Lucic et Marcelo Alvarez ©Teatro alla Scala

Zeljko Lucic ménage sa voix pour lancer ses différents airs, la prestation est correcte, sans être de celles qui vous chavirent ou même qui seulement vous procurent un peu de satisfaction. La voix reste toujours un peu opaque, sans éclat. Les aigus sortent mais toujours un peu forcés. L’artiste est sérieux, gagne son pain dans les grands barytons verdiens, mais tout comme Gagnidzé dans Rigoletto la veille, il ne peut à mon avis prétendre à incarner un style verdien, dans son intensité et son originalité. Quand il y avait des voix pour Verdi, il n’aurait probablement pas chanté Renato à la Scala. Mais quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a. C’est aujourd’hui ce que la scène peut procurer de mieux, paraît-il. Acceptons-le.
Quant à l’Oscar de  Serena Gamberoni, qui succède à Patrizia Ciofi pour ces dernières représentations, c’est une très jolie voix, en place, à la technique assurée, qui s’entend bien dans les ensembles, et qui a bien éclairé la soirée. C’est le plus grand succès aux saluts, cette jeune artiste est à suivre, incontestablement.
Dernier rayon de soleil: un petit rôle, Silvano le marinaio chanté par Alessio Arduini. Il a peu à chanter, mais dans cette médiocrité d’ensemble, on reconnaît immédiatement là un très joli timbre, une voix de qualité. Le public ne s’est pas trompé, pour ce tout petit rôle, il a réservé une belle ovation. Alessio Arduini, un nom à suivre aussi.
On sort de ce spectacle non pas scandalisé, mais amer. Car mon dernier Ballo in maschera à la Scala en 1987 s’était très mal passé, bien plus mal que cette fois-ci, avec deux protagonistes sur trois en méforme (Leo Nucci et une certaine Maria Parazzini catastrophique en Amelia) et un Riccardo (Luciano Pavarotti) qui n’en pouvait mais. Même avec un chef (et quel chef! Gianandrea Gavazzeni), la soirée s’était finie en bronca dans les sifflets et les huées. Rien de cela ici. Mais des applaudissements polis et l’envie de passer à autre chose.
La représentation se déroule dans une certaine indifférence résignée. Il ne s’est rien passé, on n’a rien ressenti et on ressort un peu triste qu’une fois de plus on soit passé à côté de la plaque. Voilà une représentation qui sur le papier devrait fonctionner. Même avec une mise en scène contestée; son postulat de départ est assez juste, voire séduisant: c’est la manière de ne pas la développer sinon dans le gadget qui me dérange.
Mais pour moi le point essentiel,  c’est surtout la musique qui s’impose mal et qui fait défaut.   Le papier est donc chose fragile. Et Verdi est encore très loin, très loin.
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final©Teatro alla Scala