OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2021/2022: PREMIÈRE SAISON DE L’ÈRE ALEXANDER NEEF

On ne reviendra pas sur les péripéties des dernières années de l’Opéra de Paris, entre grèves, confinement, passage accidenté du relais entre Stéphane Lissner et Alexander Neef. Le seul fait que soit annoncée une saison entière est déjà un gage que les choses retournent à la normalité et cela ne peut que réjouir les observateurs et les amateurs.
C’est pourquoi il faut aussi tenir compte d’une situation qui a affecté la « grande boutique » à bien des niveaux, et notamment économique, pour comprendre les données d’une saison qui doit tout à la fois tenir compte du passé immédiat mais afficher des intentions qui vont permettre d’envisager ce que sera la politique artistique de l’Opéra de Paris dans le futur. Et juste pour finir un étonnement de détail: le logo de l’Opéra de Paris n’a pas changé depuis 1973, superbe exemple de longévité et de continuité que la vie de la maison n’a pas tout à fait suivi…

L’objectif de Stéphane Lissner, il l’a expliqué dans l’interview qu’il a accordée à Wanderersite.com, était d’attirer à Paris la fleur des chanteurs et des metteurs en scène qui garantiraient un remplissage des deux salles et des sponsors en nombre ; objectif réussi jusqu’aux grèves puisque l’Opéra se finançait de manière autonome à 60% devenant de fait une entreprise privée sans en avoir les avantages.
Qu’en sera-t-il dans les années qui viennent ? L’État a garanti son soutien, mais on ne sait sur quel modèle économique, puisque le rapport de Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu supposé remis à la ministre n’a pas été rendu public et que rien ne transpire de ce côté. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas le moment opportun, car il faut aussi laisser à la nouvelle direction le temps de prendre ses marques et de recommencer à faire fonctionner la machine. C’est le minimum décent pour laisser Alexander Neef appliquer la politique pour laquelle il a été choisi.
Un premier événement a été la nomination de Gustavo Dudamel comme directeur musical, un joli coup médiatique qui par ailleurs ne manquera pas d’attirer d’autres sponsors : le chef vénézuélien est très largement bankable. Mais Philippe Jordan, à plein temps à Vienne, reste jusqu’à l’été directeur musical de l’Opéra de Paris puisqu’il donnera un concert d’adieu en juillet prochain, dernier épisode du feuilleton des successions.
Le premier épisode de la nouvelle direction musicale est fixé cet automne puisque Gustavo Dudamel donnera un concert d’inauguration le 22 septembre: les symboles sont affichés, l’honneur est sauf.

Voilà l’ambiance et les conditions qui président à cette présentation de saison, soumise comme les saisons des autres théâtres aux aléas de la pandémie. Comme nous l’avons souligné pour Lyon, ce n’est pas encore le moment de se lancer à corps perdu dans des réorganisations, révisions politiques, nouvelles voies, dans la mesure où Miss Pandémie est encore au coin de la rue et que son côté fantasque ne préserve pas de mauvaises surprises.

C’est sous tous ces prismes qu’il faut considérer la saison qui vient à Paris, qui ne bouleverse pas autant qu’on le dit çà et là les habitudes. Et notamment l’affichage d’un théâtre de répertoire. Nous avons expliqué dans ce Blog les formes que pouvaient prendre le théâtre de répertoire au sens allemand du terme. Dans cette saison, l’Opéra de Paris reste un théâtre de semi-stagione, ce qu’il a été depuis que Hugues Gall a constitué pour cette maison un répertoire de productions à reprendre pendant un certain temps afin de constituer un « Fonds de roulement ».
Que les directeurs successifs n’aient pas toujours puisé dans ces productions remisées dans les cartons ne change pas la nature de ce théâtre. Par les principes qui ont présidé au projet de Bastille, puis au projet Bastille-Garnier, le théâtre reste cette prochaine saison ce qu’il a été jusque-là avec ses huit nouvelles productions et ses treize reprises : on est à peu près dans les chiffres habituels, et l’essentiel des reprises cette année concerne des productions qu’on a vues grosso modo dans les dix dernières années, ce qui est ordinaire administration. Le seul élément à noter c’est qu’Alexander Neef a puisé dans quelques productions des années Joel qu’on n’avait pas revues, mais les fondements « politiques » ne changent pas pour l’instant. Qu’on ne prenne pas des vessies pour des lanternes.

Toutefois, on note sur les documents transmis que le ton change, notamment avec le projet MORE (Mon Opéra responsable et Engagé) qui propose une méthodologie pour la création, l’accessibilité, la diffusion, l’élargissement du public, et une démarche dynamique pour aller vers les publics éloignés pour les attirer à l’Opéra, mais aussi pour créer des formes d’itinérances de spectacles avec les artistes de l’Académie; une série d’initiatives très bienvenues, qui sont aussi lancées en direction des mécènes sur des opérations précises et ciblées. On ne peut qu’applaudir, et c’est peut-être par là que se verra une évolution parce qu’on sait qu’aussi bien Alexander Neef que Gustavo Dudamel s’intéressent aux actions de l’art sur la société et aux interactions avec le monde social. C’est riche de perspectives, et assez difficile dans une période où l’Opéra ne roue pas sur l’or. Mais il faut saluer chaudement l’idée et l’initiative.

Nouvelles productions

Septembre 2021
Palais Garnier
(4 repr. du 1er au 4 sept)
Les sept morts de Maria Callas, (Conception : Marina Abramović ; dir : Yoel Gamzou)

Projet de la performeuse Marina Abramović créé à Munich cet automne, autour de sept scènes de mort des héroïnes d’opéra incarnées par Callas en coproduction avec le Deutsche Oper Berlin, le Maggio Musicale Fiorentino, le Greek National Opera et la Bayerische Staatoper où le spectacle a été créé et objet de streaming. C’est la même équipe qui tourne, sans que le choix n’en incombe à Alexander Neef ni à l’Opéra de Paris qui reçoit le package

Septembre-Octobre 2021
Opéra-Bastille (8 repr. du 23 sept. au 14 oct. et une avant-première jeunes le 20 sept)
Georges Enesco : Œdipe (MeS, Wajdi Mouawad/Dir : Ingo Metzmacher)
Avec Christopher Maltman, Brian Mulligan John Tomlinson etc …

L’œuvre d’Enesco semble enfin trouver le chemin des grandes salles, puisqu’après Salzbourg en 2019, elle entre au répertoire parisien, avec le même chef qu’à Salzbourg et le même Œdipe (ils ne sont pas si nombreux, ceux qui ont ce rôle à leur répertoire…), ainsi que quelques-uns des protagonistes salzbourgeois (Brian Mulligan en Créon ou John Tomlinson en Tirésias), mais avec de nouveaux noms intéressants comme Laurent Naouri, Ekaterina Gubanova, Clementine Margaine, Anne Sofie Von Otter qui font de cette création à l’Opéra de Paris un vrai must, d’autant que Wajdi Mouawad, après Lyon avec Entführung aus dem Serail, signe ici sa deuxième mise en scène d’opéra.

Décembre 2021
Opéra Bastille (9 repr. du 4 au 30 déc. Et une avt-première jeunes le 1er déc.)
Giacomo Puccini, Turandot (MeS : Bob Wilson/Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Elena Pankratova, Vanessa Vasquez, Gwyn Hughes Jones

Personne ne se souvient de la dernière production de Turandot de Francesca Zambello en 2002, et ce retour au répertoire après 19 ans d’absence se fait par une « nouvelle » production de Bob Wilson, qui après le Japon de Butterfly, dessinera la Chine de Turandot. Gageons que ce ne sera pas inattendu.
La production vaut par l’arrivée en fosse ès qualités de Gustavo Dudamel, tout le monde se précipitera pour lui. La distribution propose des voix inconnues à Paris, y compris Elena Pankratova qui est désormais pourtant de tous les rôles à voix un peu partout.
C’est une nouvelle production déjà vue à Madrid en 2018 et qui a fait l’objet d’un DVD. Ce ne sera pas du neuf, mais du grain à moudre pour de nombreuses reprises, à l’instar de Butterfly. Un investissement donc, plus qu’une opération vraiment stimulante. Mais il y a une avant-première jeunes le 1er décembre (comme pour toutes les nouvelles productions) et ça c’est plus intéressant.

Janvier-février 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 21 janv. au 18 fév. Et une avt-première jeunes le 19 janv.)
Mozart, Le nozze di Figaro (MeS, Netia Jones ; Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Peter Mattei, Ildebrando D’Arcangelo, Maria Bengtsson, Miah Persson, Ying Fang, Lea Desandre.

Le titre le plus emblématique de l’Opéra de Paris, à cause la production Strehler de 1981 (pas tout à fait celle inaugurale de 1973…) qui a survécu jusqu’en 2013, avec une courte interruption sous Mortier dans la production de Christoph Marthaler, folle production pour folle journée que j’avais adorée. Mais Nicolas Joel avait préféré revenir au Strehler des familles.
Alexander Neef propose une autre voie et une nouvelle production, celle de la vidéaste Netia Jones considérée par The Observer comme la plus inventive des metteuses en scènes britanniques aujourd’hui. La musique ne sera pas en reste avec Gustavo Dudamel en fosse, et une distribution de très haut niveau dominée par Peter Mattei et Ildebrando D’Arcangelo. Cela devrait exciter la curiosité, d’autant que les dernières productions de la trilogie Da Ponte n’ont pas été de particulières réussites à Paris.


Mars 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 9 au 30 mars Et une avt-première jeunes le 7 mars.)
Leonard Bernstein : A quiet place (MeS: Krzysztof Warlikowski/Dir :Kent Nagano). Avec Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Gordon Bintner, Russell Braun

Entrée de Bernstein au répertoire lyrique de l’Opéra de Paris par sa dernière œuvre créée en 1983 (deuxième version en 1984 et révisée pour Vienne en 1986 – c’est cette dernière version qui sera proposée), dont c’est la création française, qui promet d’être un des musts de l’année, avec à la manœuvre un pas si inattendu (vu le sujet) Krzysztof Warlikowski et Kent Nagano, qu’on revoit après 16 ans d’absence dans la fosse de Bastille. Sa présence est sans doute motivée par son enregistrement avec l’Orchestre Symphonique de Montréal qu’Alexander Neef à Toronto a dû vivre de près. Une affiche très alléchante : Nagano, GMD à Hambourg, est devenu l’un des grands chefs d’opéra de référence aujourd’hui et le revoir dans ce répertoire est une grande chance. L’œuvre est un testament presque intime du musicien et de l’homme Bernstein profondément humaniste et tolérant. Une entrée de Bernstein par une œuvre jamais jouée en France, totalement justifiée par les temps qui courent, est un événement.

Mars 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 10 au 30 mars. Et une avt-première jeunes le 7 mars)
Alban Berg, Wozzeck (MeS: Susanna Mälkki/Dir :William Kentridge)
Avec Johan Reuter, Eva Maria-Westbroek, John Daszak, Tansel Akzeybek, Gerhard Siegel.

Était-il si nécessaire d’abandonner la production Marthaler, une des réussites de l’ère Mortier que même Nicolas Joel reprit (c’est dire !) pour cette production de William Kentridge créée à Salzbourg en 2017, qui avait vu le premier grand succès d’Asmik Grigorian dans le rôle de Marie, et dont wanderersite.com a rendu compte ? La production a tourné au MET, en Australie, et Alexander Neef en était aussi pour la Canadian Opera Company de Toronto. C’est un beau spectacle, et un moyen de faire entrer William Kentridge au répertoire parisien (il est déjà dans celui de Lyon), mais ne valait-il pas mieux lui proposer une « vraie » nouvelle production ?
Musicalement, si les protagonistes sont de très bons chanteurs, c’est Susanna Mälkki qui devrait être le vrai must de cette production dans la fosse.
Juste une remarque : le spectacle avait été créé à la Haus für Mozart, dont les dimensions bien plus intimes convenaient à l’entreprise, il a cependant résisté à des salles gigantesques (le MET !), on verra ce qu’il donne à Bastille.

Mars-avril 2022
Opéra Bastille
(11 repr. du 26 mars au 28 avril. Et une avt-première jeunes le 23 mars)
Jules Massenet, Cendrillon (MeS : Mariame Clément ; Dir : Carlo Rizzi)
Avec Tara Erraught, Daniela Barcellona, Anna Stephany, Kathleen Kim, Lionel Lhote etc…

Entrée au répertoire de l’œuvre de Massenet, dans une production qui s’annonce plutôt sage, avec un chef solide mais pas plus pour Massenet que pour d’autres compositeurs, et avec Tara Erraught dans le rôle-titre, bien connue des habitués de Munich et très belle chanteuse, très bien entourée par ailleurs. Moui.

Avril-mai 2022
Palais Garnier
(8 repr. du 30 avr. au 19 mai Et une avt-première jeunes le 28 avr.)
György Kurtág, Fin de partie (MeS, Pierre Audi/Dir : Markus Stenz)
Avec Frode Olsen, Leigh Melrose, Hillary Summers, Leonardo Coltellazzi.

Une autre création, très attendue, de cette œuvre du grand compositeur György Kurtág dans la production de Pierre Audi née à la Scala en 2018 (Wanderersite.com en a rendu compte) avec la même équipe et le même chef. Une œuvre difficile et forte qu’il faut absolument voir avec un Leigh Melrose exceptionnel.

 

Au niveau du bilan de ces huit « nouvelles » productions, quatre ont été déjà vues ailleurs et ne sont donc que nouvelles à Paris, ce qui diminue les coûts et quatre sont d’authentiques nouvelles productions parisiennes, d’esthétiques très différentes, ce qui est plutôt de bon augure, des chefs de très bonne réputation voire des stars, et des distributions qui sans être des feux d’artifice, sont plutôt solides.

Reprises

Treize productions sont reprises du répertoire de l’Opéra, dont deux de l’ère Joel, la plupart de l’ère Lissner, et quatre de l’ère Gall (1999) dont les dernières reprises remontent à 2014 et 2015. En réalité, aucune des reprises n’a été excavée des entrepôts de l’Opéra et remise au goût du jour pour afficher un glissement vers un opéra de répertoire ; le système reste le même. On puise dans les réserves de spectacles montés encore récemment (c’est à dire à peu près dans les dix dernières années).

Septembre-octobre 2021
Palais Garnier
(7 repr. du 14 sept. au 2 oct.)
Gluck, Iphigénie en Tauride
(MeS : Krzysztof Warlikowski /Dir :Thomas Hengelbrock)
Avec Nicole Chevalier, Jacques Imbrailo, Julien Behr etc…
Reprise de la production mythique de Krzysztof Warlikowski, la première qui le fit vraiment connaître en France, récemment reproposée par Stéphane Lissner en 2016.
Nouvelle distribution, chef spécialiste de ce répertoire, une production à voir et à revoir, dans une distribution toute nouvelle.
Iñaki Encina Oyón, jeune chef qui participa dans les années 2000 à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et à plusieurs productions assurera la dernière du 2 octobre.

Septembre-octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(12 repr. du 28 sept. au 9 nov)
Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Laurent Pelly/Dir : Giampaolo Bisanti/Leonardo Sini)
Avec Sydney Mancasola, Matthew Polenzani/Pene Pati, Simone del Savio et Ambrogio Maestri
Nouveaux visages pour cette autre reprise alimentaire (12 repr…) d’une production qu’on va voir pour la septième fois depuis sa création (sous Mortier) en 2006, dont deux fois sous Lissner.
Les nouveaux visages?  Le jeune chef Leonardo Sini (encore un chef italien qui monte) ou la jeune américaine Sydney Mancasola dans Adina, pour le reste du solide.

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(9 repr. du 7 oct. au 6 nov.)
Wagner, Der Fliegende Holländer (MeS : Willy Decker/Dir : Hannu Lintu)
avec Tomasz Konieczny, Günther Groissböck, Ricarda Merbeth, Michael Weinius dans les principaux rôles

Une production Gall reprise pour la dernière fois par Nicolas Joel en 2010, avec un chef finlandais nouveau à Paris, et une belle distribution. C’est la cinquième reprise de cette mise en scène. On ira pour les chanteurs, tous de premier plan et pour écouter un chef jamais entendu du « team Finland ».

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(16 repr. du 23 oct au 24nov)
Verdi, Rigoletto (MeS : Claus Guth/Dir: Dan Ettinger (A)/Giacomo Sagripanti(B))
avec Ludovic Tézier(A)/ Željko Lučić(B), Dmitry Korchak(A)/Joseph Calleja(B), Nadine Sierra(A)/Irina Lungu(B)
Longue série qui sent son tiroir-caisse (16 repr. double distribution, A : du 23 oct au 15 nov/B : du 5 au 24 nov en alternance). Pour Ludovic Tézier, pour Nadine Sierra…

Novembre-décembre 2021
Palais Garnier
(13 repr. du 25 nov au 30 déc.)
Haendel, Alcina
(MeS : Robert Carsen/Dir : Thomas Hengelbrock/Iñaki Encina Oyón)
Cinquième reprise de la production Carsen vue pour la dernière fois en 2014 avec une très solide distribution, Jeanine de Bique dans Alcina, Gaelle Arquez dans Ruggiero, mais aussi Sabine Devieilhe (ou Elsa Benoît) et Nicolas Courjal. Toute nouvelle distribution et un chef dont le répertoire XVIIIe est la spécialité. À voir ou surtout à revoir. Il sera temps ensuite de proposer une vision nouvelle de cette œuvre devenue populaire et qui peut-être, aura fait son temps dans cette production..
Deux représentations seront dirigées par Iñaki Encina Oyón.

Janvier-février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 26 janvier au 18 février)
Moussorsgski, Khovantchina
(MeS : Andrei Serban/Dir : Hartmut Haenchen)
Avec Anita Rachvelishvili, Dmitry Ivaschenko, Evgueni Nikitin, Dmitry Belosselskiy.

La production Serban (qui remonte à 2001) n’a plus été vue depuis 2013 (sous Joel). La voilà donc reprise huit ans après, pour la troisième fois depuis sa création qui était alors l’entrée au répertoire du chef d’œuvre de Moussorgski. Belle distribution avec les artistes parmi les plus réclamés aujourd’hui dans ce répertoire sous la direction d’un chef très solide. Un Moussorgski ne se manque pas…

Février-mars 2022
Opéra Bastille
(12 repr. du 1er février au 11 mars)
Mozart, Don Giovanni (MeS, Ivo van Hove/Dir : Bertrand de Billy)
Avec Christian van Horn, Krzysztof Baczyk, Nicole Car, Adela Zaharia, Pavel Petrov, Alexander Tsymbalyuk, Anna El-Khashem, Mikhail Timoshenko.

Soyons honnêtes, on aurait aimé, au lieu de cette production médiocre (qui va encombrer les combles de l’Opéra pas trop longtemps espérons-le) qu’Alexander Neef aille rechercher la production Haneke (à condition qu’elle existe encore) plus digne de la maison. Pour le reste une distribution très honnête qui verra Christian van Horn (le Mephisto du Faust de Kratzer) en Don Giovanni avec la charmante Anna El-Khashem (Zerlina), vue à Munich et les deux voix intéressantes que sont Nicole Car et Adela Zaharia. Dans la fosse un Bertrand de Billy toujours rare en France : c’est normal, c’est un chef français.

Février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 5 au 26 fév.)
Jules Massenet, Manon
(MeS : Vincent Huguet/Dir : James Gaffigan)
Avec Ailyn Perez, Joshua Guerrero et Andrzej Filonczyk en Lescaut.

Un chef correct pour du répertoire, une distribution correcte aussi.
Moui, du passe-partout pour passer le temps.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 10 mai au 1er juin)
Richard Strauss, Elektra
(MeS : Robert Carsen/Dir : Semyon Bychkov)
Avec Christiane Goerke, Waltraud Meier, Elza van den Heever,  Gerhard Siegel et Tómas Tómasson.

Une distribution de très haut niveau et un chef d’envergure pour la reprise d’une production bien propre que tout le monde avait oubliée même si elle avait été appréciée à sa création. On ira évidemment, rien que pour revoir Meier et entendre Goerke, précédée par sa légende bien orchestrée, mais Elza van den Heever, ce n’est pas mal non plus.
La production Joel ne fut jouée qu’une seule saison, la reprise se justifie donc pleinement. D’autant que la production est typique de celles qui peuvent durer longtemps avec des distributions variées.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 24 mai au 12 juin)
Wagner, Parsifal
(MeS : Richard Jones/Dir : Simone Young)
Avec Iain Paterson, Simon O’Neill, Kwangchul Youn, Marina Prudenskaya, Reinhard Hagen et Falk Struckmann.

Un Parsifal de bonne série solidement distribué mais sans attrait particulier, d’autant que la production n’est pas de celles qu’on emporte sur l’île déserte. Alors on ira pour un Wagner en salle dirigé par Simone Young, plutôt intéressante dans ce répertoire.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 30 mai au 19 juin)
Rossini, Le Barbier de Séville (MeS : Damiano Michieletto, Dir : Roberto Abbado)
Avec Marianne Crebassa, René Barbera, Renato Girolami, Andrzej Filończyk, Alex Esposito.

Une des productions vedettes de la maison, souvent reprise ces dernières années depuis son arrivée en 2014, l’opéra de Rossini est d’ailleurs l’un des titres les plus fréquents depuis l’ouverture de Bastille, et c’est donc une reprise alimentaire avec une solide distribution (écoutez le Figaro vraiment excellent d’Andrzej Filończyk et Renato Girolami, la basse bouffe rossinienne qui monte) les autres on les connaît et ils sont tous très bons. Autre heureuse surprise, le retour après 12 ans d’absence dans la fosse de Bastille de Roberto Abbado, toujours injustement ignoré en France.

Juin-Juillet 2022
Palais Garnier (
11 repr. du 17 juin au 12 juillet)
Rameau, Platée (MeS : Laurent Pelly/Dir : Marc Minkowski – et les Musiciens du Louvre en fosse)
Avec Lawrence Brownlee, Matthias Vidal, Julie Fuchs/Amina Edris, Reinoud van Mechelen etc…

Sixième reprise de la mise en scène de Laurent Pelly (la dernière en 2016), créée sous Gall et reprise sous Mortier, Joel, Lissner. Une unanimité bienvenue et une distribution excellente. Voilà une production typique d’un  répertoire de qualité et parfaite pour le début d’été.

Juin-juillet 2022
Opéra Bastille
(6 repr. du 28 juin au 10 juil.)
Charles Gounod, Faust
(MeS : Tobias Kratzer/Dir : Thomas Hengelbrock)
Avec Benjamin Bernheim, Christian van Horn, Florian Sempey, Angel Blue en Marguerite et Emily d’Angelo en Siebel.

Fausse reprise, car création en public de la magnifique production de Tobias Kratzer, avec un autre chef (encore Hengelbrock !) dont on peut regretter le nombre réduit de représentations (étonnant quand on voit le nombre atteint par d’autres titres dans cette saison). C’est dommage. À noter une nouvelle Marguerite (Angel Blue) et un nouveau Siebel (Emily D’Angelo), des voix d’outre Atlantique qui sont de plus en plus réclamées.
À voir absolument, évidemment.

Enfin, un coup d’œil aux concerts montre que l’Orchestre de l’Opéra va sortir un peu du périphérique avec Gustavo Dudamel (Toulouse, St Quentin en Yvelines, Barcelone), et que le Liceu viendra avec son orchestre et son chef (Josep Pons) pour un Château de Barbe-Bleu de Bartók concertant et luxueusement distribué (Ausrine Stundyté/ Sir Bryn Terfel) (9 janv.2022) tandis que Renée Fleming promènera à Garnier sa voix crémeuse (j’adore l’expression qui ne veut rien dire, mais qu’on lisait partout il y a quelques années dans la presse) dans un gala lyrique à Garnier dirigé par James Conlon et mis en espace par Robert Carsen le 6 avril 2022.

Faisons les comptes, entre nouvelles productions et reprises, le paysage est assez diversifié, donnant une forte empreinte au XVIIIe (Haendel, Rameau Gluck, Mozart, soit cinq productions), mais laissant aussi globalement la place à des titres habituels (les « standards ») des grandes salles de référence dont un tiers d’œuvres en français (Œdipe, Iphigénie en Tauride, Manon, Cendrillon, Fin de Partie, Platée, Faust), et quelques marronniers de l’Opéra de Paris (Barbiere di Siviglia et Elisir d’Amore) soit une palette large du répertoire international et quelques raretés.

Si l’on cherche une patte Neef, on la trouve d’abord dans la brochure programme, illustrée par des portraits de membres du personnel de l’opéra pris dans leur diversité, et c’est fort bienvenu dans une maison un peu secouée que de souligner que tous contribuent à l’élaboration de la saison et font vivre la maison. .
On peut lire aussi une tendance peut être plus marquée que ses prédécesseurs à ouvrir à des chanteurs d’outre Atlantique (Angel Blue, Emily d’Angelo, Sydney Mancasola, Jeanine De Bique etc…) ou des esthétiques anglo-saxonnes (Netia Jones par exemple), le séjour d’Alexander Neef au Canada a sans doute laissé des traces.

Il reste que les distributions, même sans les stars habituelles, sont très solides et donneront des soirées de très bonne tenue musicale. Du côté des chefs, on note sur 21 productions très peu de chefs français (vu la pauvreté du marché qui s’en étonne ?) On ne trouve dans la liste des chefs invités que Marc Minkowski et Bertrand de Billy.
On note en revanche un appel répété à Thomas Hengelbrock (qui est un très bon chef) pour trois productions, dont le Faust de Gounod pour lequel il est très inattendu, mais aussi l’appel à des chefs de renom outre Gustavo Dudamel, Kent Nagano, Semyon Bychkov, Hartmut Haenchen et deux des meilleures cheffes d’aujourd’hui Susanna Mälkki et Simone Young dans deux grandes œuvres référentielles du répertoire.
Quant aux mises en scènes des nouvelles productions elles reflètent la diversité des esthétiques d’aujourd’hui, du vétéran Bob Wilson à Netia Jones, en passant par Wajdi Mouawad, Krzysztof Warlikowski, William Kentridge, Mariame Clément, Marina Abramović, Pierre Audi. Souci des équilibres là aussi.

Dans l’ensemble, la programmation manque peut-être un peu de saveur ou de peps notamment pour les fans d’opéra (mais ce n’est pas à eux que s’adresse une programmation) et très (trop ?) soucieuse d’équilibres. On a l’impression qu’Alexander Neef ci va coi piedi di piombo[1]diraient nos amis italiens Donc, wait and see, parce qu’on ne lira vraiment la politique imprimée par la direction qu’après au moins deux saisons et si cette première saison se passe sans encombre, notamment pandémique, ce sera déjà un grand soulagement.

[1] « Il y va avec des pieds de plomb », c’est à dire avec grande prudence.

Alexander Neef

FESTIVAL DE BAYREUTH 2012: TANNHÄUSER SERA DIRIGÉ PAR CHRISTIAN THIELEMANN

Christian Thielemann arrive...

Le Festival de Bayreuth a annoncé le 3 mars que Thomas Hengelbrock ne dirigera pas « Tannhäuser » lors du festival 2012 et qu’il est remplacé au pupitre par Christian Thielemann.
Il est dommage que Thomas Hengelbrock n’ait pas continué à diriger ce Tannhäuser car sa manière d’aborder la partition était originale, et cohérente, même si critiquée. Cependant il faut bien reconnaître que le souvenir de Christian Thielemann au pupitre du dernier Tannhäuser de Bayreuth (Mise en scène Philippe Arlaud) est si fort (c’est pour moi l’un des plus beaux Tannhäuser jamais entendus) me fait accueillir ce changement avec joie.
Une autre remarque: avant que la solution « Eva-Katharina » à la tête du Festival ne soit décidée, le projet de Katharina Wagner impliquait fortement la présence de Christian Thielemann à Bayreuth et l’arrivée d’Eva (liée à d’autres clans artistiques) avait laissé penser à un éloignement. Le rôle de ce chef lors des commémorations du bicentenaire 2013, et sa présence renforcée en 2012 laisse penser que son influence artistique n’a pas baissé sur la colline verte ou du moins qu’il est revenu en cour. Il est vrai que sa présence à Dresde, ville importante pour Wagner et les succès qu’il a remportés à Salzbourg (La Femme sans Ombre), à Vienne (Le Ring l’automne dernier) et sa prochaine arrivée (à Pâques 2013: Parsifal) au Festival de Pâques de Salzbourg avec la Staatskapelle de Dresde (puisque les Berliner Philharmoniker s’en vont à Baden-Baden, cruelle erreur à mon avis!) en font actuellement un incontournable: depuis les départs de Daniel Barenboim et de James Levine de Bayreuth, aucun chef n’a vraiment « incarné » le Festival depuis une dizaine d’années, sinon justement Thielemann, mais pour un Ring très discutable.
Les mouvements du monde musical sont dignes des stratégies politiques: la pointe émergée d’un iceberg qui cache bien d’autres enjeux. Christian Thielemann, très apprécié en Autriche, n’a pas réussi à s’implanter à  Berlin, sa ville, et n’a pas réussi à s’implanter non plus à Munich, la seconde capitale musicale d’Allemagne; il a besoin de points d’ancrage allemands qui en fassent un incontournable dans le paysage musical allemand. En imposant la Staatskapelle de Dresde à Salzbourg, en s’imposant à Bayreuth et dans les festivités du bicentenaire, il redevient un pôle fort du paysage germanique. D’autant que Munich est actuellement en période de transition et que la situation à Berlin est verrouillée par Sir Simon Rattle au Philharmonique et Daniel Barenboim à la Staatsoper.

N’importe, le Festival de Bayreuth n’y perd pas à ce remplacement, qui va réveiller la curiosité pour ce Tannhäuser bien mal accueilli en 2011, et relancer la chasse au billet!!

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Et Thomas Hengelbrock s'en va

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: TANNHÄUSER le 1er août 2011 (Dir.Mus.: Thomas HENGELBROCK, Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)


Photo: Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

Il y a deux manières de considérer l’opéra et le théâtre. Ou bien ce sont des arts de l’agrément, distractions culturelles certes mais distractions d’abord qui permettent à la fois la rencontre sociale et le contact avec l’art en passant le temps agréablement.  Ce sont aussi des distractions de luxe, qui sont les premières victimes des situations de crise (on le voit en Italie actuellement) car on les considère comme superflues. Et puis, en lien avec ses origines religieuses, il y a une manière de considérer le théâtre comme un art indispensable à toute société selon les formes qu’elle se crée, où la distraction passe au second plan après l’expérience théâtrale. Indispensable, c’est-à-dire aussi nécessaire que d’autres rites sociaux, ou nécessités sociales. En Allemagne, le théâtre fait partie intégrante de l’éducation du citoyen, les affaires de théâtre sont sérieuses, ce qui se passe au théâtre est sérieux et fait débat.

C’est aussi pourquoi l’entreprise de Bayreuth est en perpétuel débat. Depuis ses origines, le débat théâtral y est âpre : il faut se rappeler de la violence des réactions devant les mises en scène de Wieland Wagner, notamment lorsqu’il a touché aux sacro-saints Meistersinger, il faut aussi se rappeler les formes de protestation au moment du Ring de Chéreau (broncas dans la salle, au moins les premières années, distribution de tracts à l’entrée du théâtre avertissant le spectateur de l’horreur à laquelle il allait assister), et évidemment, les Cassandre annonçant la fin de Bayreuth, l’irrémédiable déclin, qu’on annonçait déjà lorsqu’on toucha à la mise en scène originelle de Parsifal, inscrite dans le plâtre pendant une quarantaine d’années après la création. C’est ainsi, Bayreuth est l’un des lieux de débat de la culture allemande, beaucoup plus que ne peut l’être Avignon pour le théâtre en France. En ce sens le passage à Bayreuth de Christoph Schlingensief fut hautement symbolique, lui à qui le pavillon allemand de la Biennale de Venise rend actuellement hommage. C’est la direction qu’a prise Katharina Wagner en faisant désormais systématiquement appel à des metteurs en scène novateurs de la scène germanique, que ce soit Marthaler (suisse), Herheim (norvégien), ou Neuenfels et maintenant pour ce Tannhäuser, Sebastian Baumgarten. Le débat a toujours eu lieu, et il ne s’agit pas d’une question de snobisme : que signifie « respecter la pensée de l’auteur », quand cet auteur a vécu dans un contexte différent du nôtre, et avec des présupposés moraux, politiques, artistiques différents. Si Wagner parle aux metteurs en scènes d’aujourd’hui et au public d’aujourd’hui, c’est que ces œuvres parlent au-delà d’elles-mêmes et de l’époque où elles ont été composées, elles parlent au monde d’aujourd’hui avec des problèmes d’aujourd’hui, elles continuent de poser question et c’est heureux. C’est l’éternelle question de l’interprétation. La représentation théâtrale évolue avec le temps, les techniques, la société. Et de même que nous ne voyons pas un tableau « tel qu’il a été conçu », ou une cathédrale gothique, ou le Parthénon, de même nous ne pouvons voir une œuvre « telle qu’elle a été conçue », c’est un leurre. Je pense que nous ne supporterions pas de voir les œuvres que nous admirons telles qu’elles ont été conçues, y compris au niveau musical et au niveau du chant. Aussi devons-nous, du moins c’est mon avis, rester disponibles et ouverts aux formes d’interprétation possibles, à toutes les formes, et c’est une force de ce Festival de faire encore polémique, à sa 100ème édition. De ce point de vue, Salzbourg est beaucoup plus consensuel et moins intéressant.

Ainsi l’accueil de ce Tannhäuser fait débat, violent débat : des spectateurs partent en cours de représentation, d’autres ressortent avant même la première note, dès qu’il voient le décor, à rideau ouvert 15 minutes avant le spectacle, à l’ouverture des portes. Il fait débat, aussi bien musicalement que scéniquement.

Musicalement, la direction de Thomas Hengelbrock a été fortement contestée : ses choix « philologiques », sa manière d’aborder l’œuvre très attentive à la génétique de la partition, son souci de coller à la mise en scène, sa relative lenteur, son manque d’éclat volontaire,  tout cela a été pêle-mêle reproché, arguant qu’un chef venu du baroque ne pouvait pas aborder Wagner. Hengelbrock qui vient effectivement du baroque, a depuis longtemps élargi son répertoire, et il est connu pour son exigence et sa rigueur.  Je n’ai pas été loin de là scandalisé par son approche, plutôt originale, sortant des sentiers battus, mais approfondie et particulièrement stimulante au début du troisième acte, par exemple. Ensembles et grandes scènes chorales gardent de toute manière leur capacité à fasciner (la fin notamment), même si elles sont moins spectaculaires. Au total, une interprétation certes un peu inhabituelle, peut-être moins somptueuse (si l’on compare à ce que fit Christian Thielemann dans la production précédente de Philippe Arlaud, et qui reste une grande référence), mais très prenante et très en place.

Du point de vue du chant, beaucoup à dire, et la distribution arrêtée cette année n’a pas vraiment donné les résultats escomptés. Il y a du très bon (Günther Groissböck dans le Landgrave, Michael Nagy dans Wolfram), du bon (Camilla Nylund), du moins bon (Lars Cleveman), du très mauvais (Stephanie Friede dans Venus).

Camilla Nylund n’a pas une grande voix, les aigus se resserrent dès que la voix monte, la voix disparaît dans les ensembles (final de l’acte II) mais le timbre est joli, mais l’interprétation modèle, mais le personnage d’une grande tenue. La prière du 3ème acte est vraiment une modèle de tenue de voix, d’attention aux détails, de contrôle. Pour toutes ces raisons, Camilla Nylund, tout en ayant des moyens limités, réussit à passer la rampe avec grand honneur. Lars Cleveman en revanche déçoit. Je l’avais beaucoup apprécié dans Tristan à Londres où il remplaçait Ben Heppner. La voix semble prématurément vieillie, les aigus peinent à sortir, la vaillance ne lui réussit pas et l’ensemble reste pâlot. Rien à avoir avec le Tannhäuser de Stephen Gould dans cette même salle il y a quelques années, ou même celui de Peter Seiffert à Zürich cet hiver. La prestation n’est pas convaincante à 100%, et les difficultés sont visibles, bien que la scène finale soit assez réussie.
Stephanie Friede dans Venus, c’est exactement l’opposé de tout ce qu’il faudrait faire. Certes, la Venus de Baumgarten est volontairement enlaidie, enceinte, c’est un repoussoir qui malgré tout attire les hommes (tous peu ou prou veulent descendre dans le Venusberg …). Est-ce pour être aussi un repoussoir vocal et donc à la limite du supportable pour le spectateur qu’elle a été choisie ? Rarement nous avons entendu plus laid : attaques peu précises, cris, problèmes de stabilité vocale et surtout série de problèmes de justesse très lourds : rien n’est juste, la voie bouge et sa dernière intervention au troisième acte est un modèle du genre insupportable : on ne reconnaît même pas les notes ! A  oublier…à moins qu’elle n’ait justement été engagée pour tous ces défauts, ce qui serait un comble. Si tel n’est pas le cas, c’est une erreur de casting manifeste qui ne peut que susciter des lourdes interrogations sur la pertinence de certains choix vocaux à Bayreuth.

Günther Groissböck reçoit le plus imposant triomphe de la soirée, la voix est grande, le personnage imposant, la technique impeccable. Rien à dire. Mais on ne fait pas un Tannhäuser avec le Landgrave. Ni même avec un excellent Wolfram comme celui de Michael Nagy (que j’avais remarqué dans le héraut de Lohengrin à Budapest). Un peu moins impressionnant que Michael Volle dans ce même rôle à Zürich (la voix est plus légère), mais d’une grande douceur vocale, avec un timbre chaleureux, une très belle couleur. Dans les rôles plus petits, notons le Walther de Lothar Odinius, presque plus en place et plus puissant que Tannhäuser et la voix elle aussi bien en place de la jeune Katja Stuber (ein junger Hirt).

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est  comme toujours incomparable et reçoit une ovation impressionnante et amplement  méritée.

Mais on le constate,  musicalement, le spectateur ne pouvait sortir pleinement satisfait de la salle, et inévitablement, il faudra sans doute revenir sur le métier l’an prochain pour afficher un cast plus homogène.

Mais venons-en au nœud de notre affaire, la mise en scène de Sebastian Baumgarten, qui a violemment heurté une partie du public. On ne peut dire que Baumgarten ne soit pas un enfant du milieu, lui dont l’aïeul dirigeait l’opéra de Berlin. Le propos de départ est assez simple, voire assez commun et déjà traité par d’autres : le monde de la Wartburg est un monde fermé, coupé du monde et d’un idéalisme et intellectualisme totalitaires (un peu comme la République de Platon, le débat autour de l’amour dans le concours de chant n’est-il pas une version particulière du Banquet du même Platon ?) c’est aussi un monde artistiquement apollinien. Par son chant Tannhäuser est un poète en rupture avec ce monde, il affiche des valeurs dionysiaques. Ayant décidé de quitter la Wartburg, il se retrouve là où son chant charme, au Venusberg, amant de Venus. Comment concilier Apollon et Dionysos, éternelle question de l’art et de la vie, dont il nous est proposé une réponse ici .  Avec son décorateur Joep van Lieshout, un plasticien créateur d’objets à la limite de l’art, de l’architecture et du design, il a créé un espace sur trois niveaux, qui envahit toute la scène de Bayreuth, y compris en hauteur, sensé figurer une usine de retraitement de déchets organiques (excréments humains), qui fait vivre la communauté en totale autonomie. Nourriture et alcool (il faut bien aussi se distraire…)  sont produits , et ce qui est rejeté se retrouve sous terre, au Venusberg, qui dans cette architecture se trouve être une cage dans les dessous, dans laquelle on accède par une trappe. L’essentiel se déroule sur le plateau, dans le cercle qui délimite (le toit de) la cage qui pendant la scène du Venusberg monte  sur le plateau, puis disparaît dans les dessous lorsque Tannhäuser fuit (à voir sur youtube). On comprend le symbole : la Wartburg est une société autosuffisante dont l’objet est la purification. Tout ce qui n’est pas pur est envoyé soit au Venusberg (si incurable), soit à Rome chez le pape (si on l’estime curable). D’où les containers (marqués ROM 451) où rentrent les pèlerins, et d’où ils sortiront au troisième acte, purifiés (et obsédés par le nettoyage : ils ne cessent de s’essuyer) . Que ces containers rappellent certains wagons remplis d’humains de la seconde guerre mondiale n’est sans doute pas un hasard. Sur la scène, des cuves d’alcool, d’éthanol , de méthane (Biogas).
Le monde du Venusberg en revanche est une cage remplie de monstres, de créatures spermatozoïdaires, et gouverné par une Venus enlaidie, et enceinte. Rien du Venusberg langoureux et mystérieux de la version de Paris. On est à l’opposé de la purification, on est dans le trash. Mais les deux mondes communiquent, par une trappe : y disparaissent Elisabeth et Tannhäuser au début du 2ème acte, y descend un instant Wolfram, s’y retrouvent un moment tous les protagonistes : tout le monde à un moment ou un autre a envie de Venusberg ou a à faire avec le Venusberg.
Qu’ensuite Elisabeth seule comprenne parfaitement le chant de Tannhäuser qui vante la chair comme enjeu de l’amour puisqu’elle vient d’y goûter et qu’elle s’ouvre les veines en guise d’expiation ensuite (comme des stigmates) est aussi logique dans cette perspective.

Ainsi Tannhäuser pris entre Dionysos et Apollon, entre l’Esprit et Venus, ne peut choisir, et le pape ne peut l’absoudre, ce serait reconnaître que Venus est parmi nous : c’est idéologiquement impossible : il mourra donc, et son corps dans l’image finale gît entre le Venusberg (en bas) régénéré par la naissance d’un enfant de Venus, et la figure hiératique entourée de prêtres de Sainte Elisabeth (en haut). Ce que s’ingénie à montrer la mise en scène, c’est que notre société est prise dans sa globalité dans cet éternel dilemme : d’où la scène ouverte sur la salle avant même le début de l’œuvre, d’où la scène ouverte aux « vrais » spectateurs présents sur le plateau même (une cinquantaine, nos représentants), d’où des figurants en travail permanent avant le lever de rideau, dès la fin de la musique, pour gérer le fonctionnement  de la communauté et de la structure de production, d’où un monde global mécanisé, où même le Venusberg a sa place, un monde tragique qui ne sort jamais de ses contradictions (c’est un peu le propos de Lohengrin, c’est aussi la situation dont on ne se sort pas dans Parsifal à moins de connaître la blessure de la chair pour que naisse la compassion). En bref une situation assez habituelle chez Wagner, où c’est quelque part le proscrit ou l’étranger qui porte la lumière (Parsifal, Lohengrin, Walther même, et bien sûr Tannhäuser, cet autre Richard Wagner), car l’art ne peut naître que de l’opposition, que de Prométhée, que du vol du feu.

Il en résulte sur scène une mise en scène complexe, où le regard sur le monde est sans concession (couleurs criardes, Venus horrible, monstres, refus de l’esthétisme), sans doute trop complexe. Bien des choses ont déjà été dites par d’autres metteurs en scène, et je pense qu’on aurait eu intérêt à épurer, mais cet excès même, insupportable, n’est-il pas en quelque sorte le ressort de ce travail, qui se veut sans réponse, sans issue, que celle de la fuite, du refus, de la mort. Que Venus s’en sorte à la fin (en bel habit doré) avec cet enfant que le chœur se passe de bras en bras, que le monde de la joie, du mouvement  et du futur soit chez Venus, pendant que le monde figé est du côté d’Elisabeth peut se comprendre, c’est la victoire de Dionysos sur Apollon, mais en même temps, toute option de libre arbitre, tout mouvement de l’un vers l’autre est interdit et conduit à l’impasse. On retiendra des moments réussis, le troisième acte, le final du deuxième où la vision d’une Isabelle tout sauf éthérée, femme courageuse et décidée, est une vision intéressante qui sort des schèmes habituels. Mais on peut regretter le désordre scénique, qui distrait de l’action, un décor complexe dont on pouvait faire quelque économie : certes ce travail n’est pas stupide, et demande une grande concentration, mais il ne peut qu’être violemment rejeté par ceux qui voulaient retrouver un Tannhäuser traditionnel qui fasse un peu rêver. C’est raté, dans cette apologie du cauchemar permanent que Baumgarten nous a proposés.

J’ai essayé d’être le plus clair et le plus juste possible. Je n’ai pas été enthousiasmé. Je n’ai pas été non plus ni offusqué, ni choqué. Il m’a manqué un peu (beaucoup) d’émotion. Mais si la distribution avait vraiment convaincu, je pense que les nerfs de certains spectateurs n’auraient pas craqué.

Voir le reportage d’ARTE d’il y a quelques jours

 

 

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011 : Quelques échos de l’accueil de TANNHÄUSER

N’ayant pas assisté à la première je me garderai bien d’en faire un compte rendu en bonne et due forme. J’ai écouté la retransmission radio, qui ne m’est pas apparue musicalement à dédaigner. La direction de Thomas Hengelbrock, très critiquée pour sa lenteur (il a été fortement hué) m’est apparue à la radio effectivement lente, mais plutôt très analytique, très architecturée, avec un final somptueux. (Sans doute aussi la mise en scène qui a excédé certains spectateurs a-t-elle contribué à gauchir l’audition…). Camilla Nylund a les qualités habituelles : la chanteuse est appliquée, très professionnelle, mais a des problèmes dès qu’elle monte trop à l’aigu, qu’elle a court et qui serre la voix. Les centres sont beaux, les aigus moins. Lars Cleveman m’est apparu plutôt satisfaisant à l’audition, beaucoup ont critiqué sa manière de chanter et ont noté des difficultés. Unanimité en revanche pour Günther Groissbrock (Landgrave), magnifique et surtout pour Michael Nagy, magnifique Wolfram qui a triomphé auprès du public (cela ne me surprend pas, vu son Héraut de Lohengrin le mois dernier à Budapest). Unanimité aussi, mais contre Stephanie Friede dans Venus, ce que j’en ai entendu en radio confirme : attaques ratées, aigus courts, voix vieillie, désagréable à entendre.
La mise en scène de Sebastian Baumgarten dénonce le cloisonnement culturel de notre société aseptisée, marquée par le catholicisme, qui ne permet pas aux âmes libres de passer d’un mode de vie et de pensée à l’autre, pas de place pour des Tannhäuser qui ne trouvent leur identité que dans le changement : c’est Wagner lui-même qui fait dire à Wotan dans Rheingold : « Qui vit aime le changement et la variété: ce jeu je ne peux m’en passer ». Le spectacle a été très mal accueilli à la Première, avec une bordée impressionnante de huées (le final, particulièrement provoquant, montre une Venus enceinte, qui triomphe.et qui met au monde un enfant…) Ce que j’en ai su par des amis spectateurs confirme cette impression négative. Ce que j’en ai lu et les déclarations d’intentions du metteur en scène stimulent en revanche ma curiosité. J’espère pouvoir m’y confronter dès cette année.