“LE BAYREUTH DE L’AVENIR” : AGITATIONS AUTOUR DE LA COLLINE VERTE

L’été d’un nouveau Ring est toujours un moment où le Landerneau des wagnériens s’agite un peu autour de son Festival chéri, et les crises et les déclarations tonitruantes sinon définitives sur la chute du niveau de Bayreuth ne sont pas nouvelles : dès la fin du XIXe, on note une dangereuse baisse du niveau du Festival. De baisse en baisse, je n’ose m’interroger sur le niveau actuel, de peur de la crise cardiaque.
Observateur de la vie et de la production du Festival depuis plusieurs décennies, je voudrais revenir un peu sur les bruits qui courent, sur les vraies difficultés et les rumeurs, en commençant par l’étrange déclaration de Madame Claudia Roth, ministre de la Culture de la République Fédérale allemande.
Au vu de l’argent accumulé que j’ai laissé dans les caisses du Festival depuis 1977 et dans celle de la Société des amis de Bayreuth, il me semble que j’ai le droit de m’interroger sur la pertinence de cette déclaration.
Angela Merkel elle-même, qui fréquente le Festival très régulièrement et depuis longtemps, avait émis des remarques sur son manque d’ouverture vers l’extérieur et sur une billetterie qui privilégiait les associations Wagner et la Société des amis de Bayreuth plutôt que le grand public. Elle avait donc demandé à faire revoir les quotas pour ouvrir le Festival à un public plus large, ce qui avait été fait il y a une dizaine d’années. Elle n’avait pas tout à fait tort, du reste. Pendant longtemps, le système de traitement de la billetterie était suffisamment brumeux pour s’interroger sur ces queues supposées : après la première demande de billet, il fallait paraît-il attendre 7, 8, 9, 10 ans avant qu’une réponse positive n’arrive…
Celui qui écrit a eu une chance incroyable : première demande 1976, premiers billets 1977, peut-être grâce à la fuite des « cerveaux » consécutive au Ring de Chéreau, plus sûrement parce que Dieu-Richard savait reconnaître les siens.
Mais tout cela est un mauvais souvenir, puisqu’internet a permis de résoudre à peu près la question des billets, non sans humour d’ailleurs : le logiciel de vente illustre le temps d’attente par une queue virtuelle qui vous conduit jusqu’au palais des festivals, Graal mystérieux où le quidam découvre les places encore disponibles ; toute virtuelle qu’elle soit, la queue n’en dure pas moins plusieurs heures… Et les oiseaux de mauvais augure, qui ne sont jamais contents, observent désormais qu’il reste des places, avec la même inquiétude qu’ils observaient jadis le pont-levis de la forteresse désespérément levé.
Ceux qui ont fréquenté le Festival 2022, le premier d’après Covid, ont pu remarquer que la délicieuse chaleur des corps serrés les uns aux autres dans le Festspielhaus était revenue… avec bien peu de trous.

Avant d’émettre une série d’observations sur le Festival aujourd’hui, considérons d’abord la déclaration de Madame Roth en rappelant avant tout que le Festival est essentiellement co-financé par l’État Fédéral, l’État Libre de Bavière, la ville de Bayreuth et la Société des Amis de Bayreuth depuis la réforme de ses statuts au début des années 1970. Jusqu’alors, Bayreuth était une entreprise privée familiale. Il devenait clair que ce fonctionnement ne correspondait plus ni à l’époque, ni aux moyens de la famille.
Le nouveau statut qui fait du Festival de Bayreuth un établissement public précise grosso modo que la direction de celui-ci sera assurée par un membre de la famille Wagner aussi longtemps qu’il y en aura un capable de l’assumer. Tant que Wolfgang Wagner a été aux commandes, le silence a prévalu dans les rangs : le prestige de l’homme, son histoire, son parcours interdisaient évidemment toute remarque ou protestation. Par ailleurs, Wolfgang Wagner qui a introduit à Bayreuth Patrice Chéreau, Harry Kupfer, Heiner Müller, Christoph Schlingensief, Christoph Marthaler, Stefan Herheim, Claus Guth, avec des réactions quelquefois violentes, a su aussi équilibrer ses choix par d’autres personnalités, gages de tradition, lui y compris, telles que Jean-Pierre Ponnelle, Peter Hall, Werner Herzog, August Everding, Alfred Kirchner, Deborah Warner et d’autres…

Sous sa direction, on a pu entendre notamment dans la fosse de Bayreuth Pierre Boulez, Sir Georg Solti, Daniel Barenboim, James Levine, Christian Thielemann, Giuseppe Sinopoli, Daniele Gatti.
Il y a eu des remplacements, des accidents (mort de Sinopoli), des choix quelquefois erronés, mais dans l’ensemble, le bilan de Wolfgang Wagner est plutôt flatteur.

Sa succession en revanche a été chaotique : le conseil de surveillance du Festival avait désigné sa fille aînée Eva Wagner-Pasquier comme directrice au début des années 2000, tandis que Wolfgang Wagner désirait y voir son autre fille Katharina, bien plus jeune, qui lui servait alors de conseillère. En tant que « Directeur à vie », il a bloqué le processus, restant en place jusqu’à ce qu’une solution qui lui convienne soit trouvée.
La solution justement, on le sait, a été un Festival à deux têtes : les deux demi-sœurs, Eva et Katharina, ont pris le Festival en main après le dernier été (2008) de Wolfgang Wagner, en se répartissant grosso modo les tâches, Eva sur la musique et Katharina sur les aspects scéniques jusqu’en 2015. Le symbole de cette double direction a été le Ring 2013, où Kirill Petrenko procédait du choix de Eva Wagner-Pasquier, et Frank Castorf de Katharina Wagner.

Depuis le départ d’Eva Wagner-Pasquier en 2015, Katharina Wagner est désormais seule à la barre.
Nous n’avons pas à entrer dans les considérations qui ont présidé au départ d’Eva Wagner-Pasquier, car bien des bruits ont circulé et il est inutile d’y revenir.
Il est clair cependant que Katharina Wagner a dû se faire épauler par des conseillers musicaux et vocaux, ne pouvant assumer seule l’ensemble des tâches et c’est entre autres le sens de la présence à ses côtés comme « directeur musical » de Christian Thielemann, une charge dont il a été relevé discrètement au moment de la période Covid.

Or, Katharina Wagner cristallise des oppositions, pas toutes désintéressées, à la faveur du renouvellement (ou non) de son contrat en 2025 : des voix s’élèvent pour dire qu’il est désormais temps de confier les rênes du Festival à un non-Wagner. Une série de personnages sont sur les starting-blocks qui sont persuadés évidemment qu’ils feraient mieux. Être premier directeur/trice non-Wagner du Festival de Bayreuth devrait être sans doute un titre de gloire à accrocher sur une carrière.
Par ailleurs, Katharina Wagner n’a jamais eu une relation apaisée avec la puissante Société des amis de Bayreuth, notamment depuis que, dès son arrivée à la direction, elle a laissé naître (ou suscité ?) une société concurrente, la TAFF (Team Aktiver Festspielörderer).

Et puis il y a aussi ceux qui sont exaspérés de la politique artistique menée par Katharina Wagner notamment en matière de mise en scène. Comme je l’ai entendu par un éminent confrère cet été : « quand verra-t-on à Bayreuth une vraie mise en scène ? ».
Qu’est-ce qu’une vraie mise en scène ? Mystère, mais on subodore qu’il s’agit d’une mise en scène plus classique, plus plan-plan que ce à quoi Bayreuth nous a habitués ces dernières années, pour pouvoir « écouter la musique » tranquillement et n’être pas obligé comme ces américains ridicules au moment de Castorf de poser sur leurs yeux un pudique masque de sommeil pour ne pas voir et ne faire qu’écouter… Que ce soit au mépris de tout ce que Wagner a déclaré, et au mépris même du sens de la salle de Bayreuth, importe peu… On n’en est pas à une contradiction près.

J’avoue être las de ces cris d’orfraie sur les mises en scène, et de ces combats ridicules contre les « mises-en-scène-modernes-qui-cultivent-la-laideur »… Mais qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la laideur ? on sait depuis longtemps que ce sont des notions, au théâtre surtout, qui n’ont strictement aucun sens et qui sont relatives. Combattre le laid pour imposer le beau c’est grand, c’est noble, c’est surtout désespérément simpliste.

Évidemment les attaques se sont réveillées en ce Festival 2022 qui présentait un nouveau Ring, pas vraiment bien accueilli.

Enfin, d’autres ennemis doivent aussi en vouloir à Katharina Wagner d’avoir écarté de Bayreuth Christian Thielemann. Mais il n’est pas illégitime de relativiser le départ de ce dernier, après une vingtaine d’années de présence régulière à Bayreuth, comme ce fut le cas en son temps de Daniel Barenboim (à peu près vingt ans de présence régulière pour lui aussi).

La politique artistique de Katharina Wagner est claire, dans la droite ligne du concept de Werkstatt Bayreuth, ce laboratoire cher à son père : il s’agit d’explorer tous les possibles de mise en scène aujourd’hui dans différentes directions et sans exclusive. On parle pour le prochain Parsifal d’effets tridimensionnels par exemple, mais c’est encore un objet de conflits puisque le Président de la Société des amis de Bayreuth refuse le financement des lunettes 3D nécessaires au dispositif.

Dans tous ces débats, évidemment pilotés et visant à déstabiliser la direction actuelle, personne n’a évoqué l’éclatante réussite des opéras pour enfants, qui depuis une dizaine d’années propose l’ensemble des opéras de Wagner (ceux présentés au Festival) en version réécrite et adaptée pour les plus jeunes, une entreprise où Katharina Wagner s’est fortement engagée avec des moyens qui ne sont pas indifférents (véritables équipes de mise en scène, orchestre d’une trentaine de musiciens, chanteurs engagés au festival). Comme c’est une réussite, on n’en parle évidemment pas…
A tout cela, il faut ajouter que Katharina Wagner a été assez gravement malade pendant la période Covid, ce qui a évidemment relancé les plans sur la comète et remis en selle les espoirs et les paris sur un départ anticipé.
Tout cela est simplement délétère.

Là-dessus, en dépit d’un Festival qui a renoué avec des conditions normales et a affiché exceptionnellement huit productions, avec un Tristan conçu comme « secours » en cas de défections en masse dues au Covid – ce qui n’était pas si absurde quand on considère les problèmes de remplacement qu’ont eus certains théâtres européens –, la ministre allemande de la Culture Claudia Roth, intervient dans le marigot, appelant à un nécessaire redressement du Festival. Que le Ring ait fait discuter, rien d’étonnant : les hyènes font toujours comme si c’était la première fois. Une nouvelle production est toujours un risque. Moi qui pourtant n’ai pas aimé ce Ring, je ne réclame aucune tête…
Que la ministre qui finance (partiellement) le Festival fasse part de ces remarques, c’est légitime. Qu’elle le fasse brutalement en couronnant les polémiques qui ont couvé tout l’été, c’est déjà moins sympathique. Et qu’elle se propose d’intervenir dans la ligne artistique, c’est franchement insupportable.
J’espère seulement que les Verts allemands (le parti de Madame Roth) ont une vision culturelle moins désolante ou inexistante que leurs cousins français.

Que dit Madame Roth ?

Comme représentante de l’État fédéral, l’un des financeurs du Festival de Bayreuth, la ministre est évidemment légitime pour demander que soit revue l’organisation du Festival. Elle affirme en effet qu’il y a une nécessité de beaucoup réformer le Festival de Bayreuth (« Es gibt auf dem Grünen Hügel wirklich sehr viel Reformbedarf ») .
Elle a ensuite affirmé que le public du Festival ne reflète pas notre société « diverse et colorée » et qu’il faut donc attirer un public plus jeune et plus large.
Enfin, tout en déclarant que confier la direction à un Wagner n’était pas une « obligation rituelle », elle a demandé de faire en sorte que « l’excellence artistique soit atteinte », ce qui à la fin d’une saison où le Ring a été fortement critiqué ne manque pas d’interpeller.

La question de l’excellence artistique ne devrait pas se poser pour un festival aussi fameux que le Festival de Bayreuth et le rappeler a quelque chose d’un peu insultant.
Par ailleurs, l’élargissement du public, tout le monde le sait, ne se commande pas et les vœux d’un public plus diversifié, plus coloré et plus jeune ressemble à de la pure démagogie, de celle qui inonde la société d’aujourd’hui. En ce qui concerne le public jeune, nous avons rappelé les efforts du Festival pour le jeune public qui, une fois de plus, ne semblent pas pris en compte.
Enfin au-delà des goûts du public pour l’opéra en général et pour Wagner en particulier, ouvrir le Festival « aux jeunes » suppose aussi des investissements que l’État et les autres associés sont, en cette période faste pour les budgets, sans nul doute prêts à consentir…

Il faut tout de même rappeler que le Festival de Bayreuth a longtemps été l’un des moins chers des Festivals internationaux et que la révision de la politique tarifaire est intervenue à la fin des années Wolfgang Wagner, puisque dès l’arrivée des sœurs Wagner aux commandes, un mouvement des personnels du Festival a exigé une révision des politiques salariales. Visiblement, c’était le cadeau de début de mandat.
Par ailleurs, les prix des billets ont subi une forte augmentation, de l’ordre de 30% a minima, avec une différentiation entre les Premières, les nouvelles productions et les reprises. Il n’en demeure pas moins que les finances du Festival restent assez justes, même si l’on considère que Bayreuth paie moins bien ses forces artistiques que d’autres institutions, avec des exigences néanmoins en terme d’exclusivité et de présence, qui se sont cependant beaucoup assouplies ces dernières années. Les très grands noms passés par Bayreuth le font pour le CV, mais n’y restent pas, et ceux ou celles qui ont été lancés par le Festival restent quelques années et puis succombent à d’autres sirènes plus rémunératrices.

Cette ouverture à d’autres publics, qui signifie pour le Festival d’autres investissements dans un contexte économique mondial peu favorable, plaide donc aussi pour un financement consolidé de la part des associés… On voit bien que les demandes de Madame Roth, pieuses et généreuses, sont lancées comme un pavé dans la mare, pour éclabousser plus que pour construire.

Car enfin, faisons un rapide bilan artistique des années 2009-2022.
Il y a d’abord de très grandes réussites, musicales et scéniques :

  • Le Ring de Frank Castorf et Kirill Petrenko (n’en déplaise aux traditionalistes) sans oublier les deux années Marek Janowski, qui n’ont pas été musicalement médiocres – même si sa direction ne m’a pas personnellement enthousiasmé ;
  • Le Tannhäuser de Tobias Kratzer, éclatante réussite scénique et vocale, stabilisé dans la fosse par Axel Kober après le passage très discuté de Valery Gergiev ;
  • Le triomphe répété des Meistersinger von Nürnberg, signée Barrie Kosky et Philippe Jordan ;
  • Der fliegende Holländer, dans la production 2021 de Dmitry Tcherniakov avec Oksana Lyniv, première femme dans la fosse de Bayreuth, qui a été ces deux dernières années un très gros succès ;
  • Lohengrin dans la mise en scène de Hans Neuenfels et direction musicale de Andris Nelsons, connu comme le « Lohengrin des rats », qui a finalement laissé un bon souvenir, tout simplement parce que la mise en scène de Neuenfels était l’une des plus intelligentes de l’œuvre de Wagner et que musicalement et vocalement il tenait largement la route (y compris lorsqu’il a été dirigé par Alain Altinoglu).

Il y a bien entendu des demi-succès ou demi-échecs (selon l’adage du verre à moitié vide ou à moitié plein) :

  • Der fliegende Holländer, dans la production de Jan Philipp Gloger, qui sans être une production médiocre, reste discutable et vocalement de facture moyenne, mais musicalement brillante (Thielemann) ;
  • Le Tristan und Isolde de Katharina Wagner qui n’a pas réussi à convaincre à la hauteur de ses Meistersinger, sa production précédente à Bayreuth, mais qui n’était pas une production médiocre non plus, aux distributions irrégulières mais à la direction musicale incontestable de Christian Thielemann ;
  • Parsifal, mise en scène discutable de Uwe Eric Laufenberg, musicalement solide que ce soit avec Hartmut Haenchen ou Semyon Bychkov et vocalement incontestable. Il faut se souvenir que la mise en scène avait été confiée initialement au plasticien Jonathan Meese et que le projet avait été abandonné pour des raisons financières (ou peut-être idéologiques). A cela s’ajoute le départ du chef Andris Nelsons à la suite d’un conflit avec Christian Thielemann. Malgré tous ces avatars, la production a quand même tenu ;
  • Lohengrin dans la production de Yuval Sharon et les décors du célèbre plasticien Neo Rauch, n’a pas convaincu totalement du point de vue scénique, ni du point de vue vocal la première année mais a toujours été un fantastique succès de Christian Thielemann en fosse.

Reste un échec cuisant : le Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, avec une distribution très discutable, une valse des chefs selon les années. Un des pires souvenirs de Bayreuth : l’enfer pavé de bonnes intentions.

Enfin, en 2022, la production du Tristan « de secours », signé Andreas Schwab et dont nous avons parlé, n’a pas soulevé l’enthousiasme mais laissé le public indifférent. Une production passable et très digne en fosse (Markus Poschner, arrivé au dernier moment).

Quant au nouveau Ring, signé Valentin Schwarz, particulièrement problématique au niveau scénique, il mérite sans nul doute d’être revu dans le cadre du Werkstatt Bayreuth, mais reste très défendable vocalement, avec un résultat contrasté en fosse. Le chef Cornelius Meister, arrivé deux semaines avant la première (à cause du Covid qui a frappé le chef Pietari Inkinen), n’ayant pas réussi à homogénéiser l’ensemble. Mais l’an prochain, Pietari Inkinen reprendra la direction et donc avis suspendu.

Au total, le bilan n’est pas si noir que les hyènes ne le prétendent. Certes Katharina Wagner au niveau des productions a eu à cœur d’appeler des metteurs en scène très célèbres en Allemagne, qui n’y avait jamais travaillé (Castorf ; Neuenfels) et s’est ouverte à la génération des metteurs en scène les plus en vue dans l’aire germanophone aujourd’hui.

Il y a eu aussi des accidents et des remplacements de dernière minute qui ne sont pas toujours de son fait, mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les choix scéniques et musicaux, le bilan 2009-2022 n’est ni moins ni plus honorable que certains festivals comme Salzbourg ou Aix-en-Provence. On tire à vue sur les choix scéniques de Katharina Wagner, plus au nom de l’idéologie que des véritables résultats artistiques. La liste que nous avons rappelée nous montre qu’à part un seul véritable échec, il n’y a aucun scandale.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans le meilleur des mondes wagnériens possibles ? Évidemment pas.
On a notamment remarqué des évolutions dans les organisations qui ne sont pas toutes des réussites.

D’abord le public du Festival a pu constater qu’en une dizaine d’années, une séparation plus nette s’est faite entre les espaces publics et les espaces professionnels :  c’est peut-être un détail aux yeux de certains, mais dans l’histoire de ce lieu il a son importance. On pouvait faire le tour du théâtre, traverser le passage de l’arrière scène vers les dépôts de décors, jeter un œil par ci par là. Ce n’est plus possible, de hideuses cloisons provisoires bloquent tous les accès arrière. Cette fermeture a sans doute été décidée pour des raisons de sécurité et pour que les professionnels puissent travailler sans que le public ne gêne. Quand on pense que jusqu’au seuil des années 1970 la cantine était commune au public et aux artistes, on ne peut que constater que le sens de l’histoire va vers la clôture.

Précisons également que si les espaces professionnels ont été protégés, le public ne l’est toujours pas les jours de pluie, qui peuvent être fréquents à Bayreuth. C’est un problème lancinant depuis qu’ont été supprimés les galeries couvertes qui protégeaient l’arrivée des spectateurs.

Si l’on n’a pas veillé à la pluie, on a en revanche veillé à la nourriture… Toute la politique de catering, importante à Bayreuth dans la mesure où les spectacles durent jusqu’à six heures avec des entractes d’une heure, a été réorganisée. Jusqu’au seuil des années 2020, il y avait essentiellement un self, le fameux stand des saucisses, un bar-self et un restaurant un peu plus chic : le public pouvait circuler dans les différents espaces. Aujourd’hui, les comptoirs qui vendent glaces, bières, eaux minérales et autres délices se sont multipliés tout autour du théâtre, ridiculement baptisé « Walk of fame » et prenant la forme de « barnums » (ceux-là même qui auraient pu être utilisés il y a encore peu de temps pour tester le Covid renforçant le côté un peu piteux de la chose). D’autres accès se sont fermés, comme le bâtiment du restaurant, réservé aux VIP et autres privilégiés. La salle du self a été réaménagée dans le genre faux chic, les prix également. Et les espaces publics (rappelons qu’à Bayreuth il n’y a pas de foyer) se sont remplis de kiosques à catering (appelés « Wahnfood ») qui ont troqué la simplicité d’antan contre un style chic et choc plus douteux. A l’évidence, le Festival en tire aussi quelques rentrées, mais Bayreuth a perdu en naturel et en simplicité ce qu’il n’a pas gagné en efficacité : la queue est toujours aussi longue devant le kiosque à saucisses !
Par delà l’anecdote, rappelons qu’un festival, c’est un caractère, une ambiance, des rituels et de ce point de vue les évolutions ne vont pas forcément dans une direction sympathique.

Les autres changements ont affecté les agendas. Et l’organisation des représentations, essentiellement pour des questions dues au Covid. L’ajout de la production de Tristan a contraint à trouver des espaces pour les répétitions et laissé le théâtre fermé une semaine après l’ouverture officielle du 25 juillet. Deuxième conséquence : la concentration des représentations (normalement, le Ring est étalé sur six jours avec deux journées de repos, mais cette année les journées de repos étaient occupées par d’autres représentations singulières). La communication du Festival n’a pas été claire à ce propos, mais dès 2023, les choses reviendront à la norme.

En revanche, la communication sur les prochaines productions, les chefs invités et le calendrier du Festival 2023 est très claire, ce qui n’a pas toujours été le cas sur la colline verte.
Autre évolution, la diffusion TV des productions est devenue plus ouverte. On a pu voir dès cette année le Götterdämmerung du nouveau Ring par exemple. Il y a encore quelques années, seuls les spectacles éprouvés étaient enregistrés pour la télévision ou la production de DVD.

Du point de vue des distributions, il est clair que tout mélomane est un membre actif du café du commerce. Chaque période a eu ses habitués, ses fidèles, chaque période a également eu ses conflits et ses exclusions. Vogt, Zeppenfeld sont des habitués de Bayreuth. Groissböck l’était mais ne l’est plus. Lise Davidsen quitte le Festival l’an prochain, mais Catherine Foster y revient et si certains choix peuvent étonner, Bayreuth nous a toujours habitués à des surprises ou à des choix bizarres. Disons que globalement, les distributions de Bayreuth ne sont jamais scandaleuses. Du point de vue des chefs, à côté de noms bien connus et expérimentés, la politique semble être d’inviter également ceux ou celles de la génération montante, charge à ces derniers ou dernières de conquérir leur place. Katharina Wagner désormais veille à équilibrer les invitations entre chefs et cheffes. Mais l’histoire nous montre qu’il y a eu des chefs régulièrement attachés à Bayreuth et d’autres – et pas des moindres – qui n’y ont jamais dirigé, pas forcément parce qu’ils n’étaient pas invités d’ailleurs. Les choix de chefs actuels, entre jeune génération et chefs d’expérience, sont globalement équilibrés.

Alors quelles réformes ?

Il y a d’abord ceux qui déclarent que la famille Wagner ça suffit ou encore que « Richard Wagner exclusif à Bayreuth, ça suffit ».
Avec le festival baroque de fin d’été de Max Emanuel Cencic, la ville de Bayreuth s’enrichit pourtant d’un autre horizon dans l’autre théâtre exceptionnel de la ville, l’Opéra des Margraves.
Ensuite j’ai toujours soutenu et continue de soutenir que le Festival de Bayreuth doit rester exclusivement consacré à l’œuvre de Wagner. Il existe un festival éclectique pluridisciplinaire de grand niveau en Europe et c’est Salzbourg. Il n’y a aucun intérêt à faire de Bayreuth un second Salzbourg.  Personne n’en comprendrait la raison.
Bayreuth est un théâtre qui a été construit par Wagner pour représenter les œuvres de Wagner et il doit le rester.
Toutefois, si le Festival d’été doit rester avec les œuvres « canoniques » et reconnues, rien n’empêcherait de créer un festival à Pentecôte ou à Pâques, peut-être plus « ouvert » où seraient représentées les autres œuvres de Wagner, jusqu’à Rienzi. En 2013, elles ont été représentées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Wagner, en amont du Festival et dans un lieu impossible (une grande salle de sport) dans des conditions indignes. Le théâtre n’était pas disponible, du fait des répétitions du Ring de Castorf. Sans doute également n’a-t-on pas osé utiliser le Festspielhaus pour des œuvres que Wagner n’y voulait pas voir. Ce fut un échec cuisant.
Je pensais à l’époque et je continue de penser qu’un festival plus concentré, placé à une autre époque de l’année pour attirer du public avec les autres œuvres de Wagner pourrait fonctionner. Pentecôte et Pâques fonctionnent à Salzbourg, Pâques et novembre fonctionnent à Lucerne. Cela vaudrait le coup de tenter. Il est regrettable que Rienzi, ou Das Liebesverbot, qui ne sont pas des œuvres médiocres, aient si peu d’espace dans les théâtres.

Et pour s’ouvrir aux jeunes, des solutions peu onéreuses expérimentées ailleurs comme les pré générales ou générales ouvertes pourraient fonctionner même si la tradition actuelle du Festival est à la fermeture pendant les répétitions.

En somme, il y a un espace pour du neuf à Bayreuth mais il faudrait surtout penser à faire fonctionner un peu plus la salle, qui est LE monument que les touristes et les visiteurs veulent voir, même si les coûts d’une ouverture (personnel de salle, contrôles, techniciens, etc.) sont importants.

Alors rêvons un peu et supposons que tous les problèmes soient aplanis.

Ne pourrait-on pas par exemple impliquer, pour quelques concerts Wagner par an (ou des représentations en version concertante), les Bamberger Symphoniker, qui sont à 65km, en les faisant jouer dans la fosse avec les chanteurs sur la scène, à des tarifs plus bas, pour permettre à un autre public de pouvoir apprécier cette acoustique exceptionnelle ? Il y a là des pistes sans doute à explorer, mais cela suppose des financements supplémentaires que Madame Roth est sûrement prête à  assurer.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2021/2022: PREMIÈRE SAISON DE L’ÈRE ALEXANDER NEEF

On ne reviendra pas sur les péripéties des dernières années de l’Opéra de Paris, entre grèves, confinement, passage accidenté du relais entre Stéphane Lissner et Alexander Neef. Le seul fait que soit annoncée une saison entière est déjà un gage que les choses retournent à la normalité et cela ne peut que réjouir les observateurs et les amateurs.
C’est pourquoi il faut aussi tenir compte d’une situation qui a affecté la “grande boutique” à bien des niveaux, et notamment économique, pour comprendre les données d’une saison qui doit tout à la fois tenir compte du passé immédiat mais afficher des intentions qui vont permettre d’envisager ce que sera la politique artistique de l’Opéra de Paris dans le futur. Et juste pour finir un étonnement de détail: le logo de l’Opéra de Paris n’a pas changé depuis 1973, superbe exemple de longévité et de continuité que la vie de la maison n’a pas tout à fait suivi…

L’objectif de Stéphane Lissner, il l’a expliqué dans l’interview qu’il a accordée à Wanderersite.com, était d’attirer à Paris la fleur des chanteurs et des metteurs en scène qui garantiraient un remplissage des deux salles et des sponsors en nombre ; objectif réussi jusqu’aux grèves puisque l’Opéra se finançait de manière autonome à 60% devenant de fait une entreprise privée sans en avoir les avantages.
Qu’en sera-t-il dans les années qui viennent ? L’État a garanti son soutien, mais on ne sait sur quel modèle économique, puisque le rapport de Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu supposé remis à la ministre n’a pas été rendu public et que rien ne transpire de ce côté. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas le moment opportun, car il faut aussi laisser à la nouvelle direction le temps de prendre ses marques et de recommencer à faire fonctionner la machine. C’est le minimum décent pour laisser Alexander Neef appliquer la politique pour laquelle il a été choisi.
Un premier événement a été la nomination de Gustavo Dudamel comme directeur musical, un joli coup médiatique qui par ailleurs ne manquera pas d’attirer d’autres sponsors : le chef vénézuélien est très largement bankable. Mais Philippe Jordan, à plein temps à Vienne, reste jusqu’à l’été directeur musical de l’Opéra de Paris puisqu’il donnera un concert d’adieu en juillet prochain, dernier épisode du feuilleton des successions.
Le premier épisode de la nouvelle direction musicale est fixé cet automne puisque Gustavo Dudamel donnera un concert d’inauguration le 22 septembre: les symboles sont affichés, l’honneur est sauf.

Voilà l’ambiance et les conditions qui président à cette présentation de saison, soumise comme les saisons des autres théâtres aux aléas de la pandémie. Comme nous l’avons souligné pour Lyon, ce n’est pas encore le moment de se lancer à corps perdu dans des réorganisations, révisions politiques, nouvelles voies, dans la mesure où Miss Pandémie est encore au coin de la rue et que son côté fantasque ne préserve pas de mauvaises surprises.

C’est sous tous ces prismes qu’il faut considérer la saison qui vient à Paris, qui ne bouleverse pas autant qu’on le dit çà et là les habitudes. Et notamment l’affichage d’un théâtre de répertoire. Nous avons expliqué dans ce Blog les formes que pouvaient prendre le théâtre de répertoire au sens allemand du terme. Dans cette saison, l’Opéra de Paris reste un théâtre de semi-stagione, ce qu’il a été depuis que Hugues Gall a constitué pour cette maison un répertoire de productions à reprendre pendant un certain temps afin de constituer un “Fonds de roulement”.
Que les directeurs successifs n’aient pas toujours puisé dans ces productions remisées dans les cartons ne change pas la nature de ce théâtre. Par les principes qui ont présidé au projet de Bastille, puis au projet Bastille-Garnier, le théâtre reste cette prochaine saison ce qu’il a été jusque-là avec ses huit nouvelles productions et ses treize reprises : on est à peu près dans les chiffres habituels, et l’essentiel des reprises cette année concerne des productions qu’on a vues grosso modo dans les dix dernières années, ce qui est ordinaire administration. Le seul élément à noter c’est qu’Alexander Neef a puisé dans quelques productions des années Joel qu’on n’avait pas revues, mais les fondements « politiques » ne changent pas pour l’instant. Qu’on ne prenne pas des vessies pour des lanternes.

Toutefois, on note sur les documents transmis que le ton change, notamment avec le projet MORE (Mon Opéra responsable et Engagé) qui propose une méthodologie pour la création, l’accessibilité, la diffusion, l’élargissement du public, et une démarche dynamique pour aller vers les publics éloignés pour les attirer à l’Opéra, mais aussi pour créer des formes d’itinérances de spectacles avec les artistes de l’Académie; une série d’initiatives très bienvenues, qui sont aussi lancées en direction des mécènes sur des opérations précises et ciblées. On ne peut qu’applaudir, et c’est peut-être par là que se verra une évolution parce qu’on sait qu’aussi bien Alexander Neef que Gustavo Dudamel s’intéressent aux actions de l’art sur la société et aux interactions avec le monde social. C’est riche de perspectives, et assez difficile dans une période où l’Opéra ne roue pas sur l’or. Mais il faut saluer chaudement l’idée et l’initiative.

Nouvelles productions

Septembre 2021
Palais Garnier
(4 repr. du 1er au 4 sept)
Les sept morts de Maria Callas, (Conception : Marina Abramović ; dir : Yoel Gamzou)

Projet de la performeuse Marina Abramović créé à Munich cet automne, autour de sept scènes de mort des héroïnes d’opéra incarnées par Callas en coproduction avec le Deutsche Oper Berlin, le Maggio Musicale Fiorentino, le Greek National Opera et la Bayerische Staatoper où le spectacle a été créé et objet de streaming. C’est la même équipe qui tourne, sans que le choix n’en incombe à Alexander Neef ni à l’Opéra de Paris qui reçoit le package

Septembre-Octobre 2021
Opéra-Bastille (8 repr. du 23 sept. au 14 oct. et une avant-première jeunes le 20 sept)
Georges Enesco : Œdipe (MeS, Wajdi Mouawad/Dir : Ingo Metzmacher)
Avec Christopher Maltman, Brian Mulligan John Tomlinson etc …

L’œuvre d’Enesco semble enfin trouver le chemin des grandes salles, puisqu’après Salzbourg en 2019, elle entre au répertoire parisien, avec le même chef qu’à Salzbourg et le même Œdipe (ils ne sont pas si nombreux, ceux qui ont ce rôle à leur répertoire…), ainsi que quelques-uns des protagonistes salzbourgeois (Brian Mulligan en Créon ou John Tomlinson en Tirésias), mais avec de nouveaux noms intéressants comme Laurent Naouri, Ekaterina Gubanova, Clementine Margaine, Anne Sofie Von Otter qui font de cette création à l’Opéra de Paris un vrai must, d’autant que Wajdi Mouawad, après Lyon avec Entführung aus dem Serail, signe ici sa deuxième mise en scène d’opéra.

Décembre 2021
Opéra Bastille (9 repr. du 4 au 30 déc. Et une avt-première jeunes le 1er déc.)
Giacomo Puccini, Turandot (MeS : Bob Wilson/Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Elena Pankratova, Vanessa Vasquez, Gwyn Hughes Jones

Personne ne se souvient de la dernière production de Turandot de Francesca Zambello en 2002, et ce retour au répertoire après 19 ans d’absence se fait par une « nouvelle » production de Bob Wilson, qui après le Japon de Butterfly, dessinera la Chine de Turandot. Gageons que ce ne sera pas inattendu.
La production vaut par l’arrivée en fosse ès qualités de Gustavo Dudamel, tout le monde se précipitera pour lui. La distribution propose des voix inconnues à Paris, y compris Elena Pankratova qui est désormais pourtant de tous les rôles à voix un peu partout.
C’est une nouvelle production déjà vue à Madrid en 2018 et qui a fait l’objet d’un DVD. Ce ne sera pas du neuf, mais du grain à moudre pour de nombreuses reprises, à l’instar de Butterfly. Un investissement donc, plus qu’une opération vraiment stimulante. Mais il y a une avant-première jeunes le 1er décembre (comme pour toutes les nouvelles productions) et ça c’est plus intéressant.

Janvier-février 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 21 janv. au 18 fév. Et une avt-première jeunes le 19 janv.)
Mozart, Le nozze di Figaro (MeS, Netia Jones ; Dir : Gustavo Dudamel)
Avec Peter Mattei, Ildebrando D’Arcangelo, Maria Bengtsson, Miah Persson, Ying Fang, Lea Desandre.

Le titre le plus emblématique de l’Opéra de Paris, à cause la production Strehler de 1981 (pas tout à fait celle inaugurale de 1973…) qui a survécu jusqu’en 2013, avec une courte interruption sous Mortier dans la production de Christoph Marthaler, folle production pour folle journée que j’avais adorée. Mais Nicolas Joel avait préféré revenir au Strehler des familles.
Alexander Neef propose une autre voie et une nouvelle production, celle de la vidéaste Netia Jones considérée par The Observer comme la plus inventive des metteuses en scènes britanniques aujourd’hui. La musique ne sera pas en reste avec Gustavo Dudamel en fosse, et une distribution de très haut niveau dominée par Peter Mattei et Ildebrando D’Arcangelo. Cela devrait exciter la curiosité, d’autant que les dernières productions de la trilogie Da Ponte n’ont pas été de particulières réussites à Paris.


Mars 2022
Palais Garnier
(11 repr. du 9 au 30 mars Et une avt-première jeunes le 7 mars.)
Leonard Bernstein : A quiet place (MeS: Krzysztof Warlikowski/Dir :Kent Nagano). Avec Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Gordon Bintner, Russell Braun

Entrée de Bernstein au répertoire lyrique de l’Opéra de Paris par sa dernière œuvre créée en 1983 (deuxième version en 1984 et révisée pour Vienne en 1986 – c’est cette dernière version qui sera proposée), dont c’est la création française, qui promet d’être un des musts de l’année, avec à la manœuvre un pas si inattendu (vu le sujet) Krzysztof Warlikowski et Kent Nagano, qu’on revoit après 16 ans d’absence dans la fosse de Bastille. Sa présence est sans doute motivée par son enregistrement avec l’Orchestre Symphonique de Montréal qu’Alexander Neef à Toronto a dû vivre de près. Une affiche très alléchante : Nagano, GMD à Hambourg, est devenu l’un des grands chefs d’opéra de référence aujourd’hui et le revoir dans ce répertoire est une grande chance. L’œuvre est un testament presque intime du musicien et de l’homme Bernstein profondément humaniste et tolérant. Une entrée de Bernstein par une œuvre jamais jouée en France, totalement justifiée par les temps qui courent, est un événement.

Mars 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 10 au 30 mars. Et une avt-première jeunes le 7 mars)
Alban Berg, Wozzeck (MeS: Susanna Mälkki/Dir :William Kentridge)
Avec Johan Reuter, Eva Maria-Westbroek, John Daszak, Tansel Akzeybek, Gerhard Siegel.

Était-il si nécessaire d’abandonner la production Marthaler, une des réussites de l’ère Mortier que même Nicolas Joel reprit (c’est dire !) pour cette production de William Kentridge créée à Salzbourg en 2017, qui avait vu le premier grand succès d’Asmik Grigorian dans le rôle de Marie, et dont wanderersite.com a rendu compte ? La production a tourné au MET, en Australie, et Alexander Neef en était aussi pour la Canadian Opera Company de Toronto. C’est un beau spectacle, et un moyen de faire entrer William Kentridge au répertoire parisien (il est déjà dans celui de Lyon), mais ne valait-il pas mieux lui proposer une « vraie » nouvelle production ?
Musicalement, si les protagonistes sont de très bons chanteurs, c’est Susanna Mälkki qui devrait être le vrai must de cette production dans la fosse.
Juste une remarque : le spectacle avait été créé à la Haus für Mozart, dont les dimensions bien plus intimes convenaient à l’entreprise, il a cependant résisté à des salles gigantesques (le MET !), on verra ce qu’il donne à Bastille.

Mars-avril 2022
Opéra Bastille
(11 repr. du 26 mars au 28 avril. Et une avt-première jeunes le 23 mars)
Jules Massenet, Cendrillon (MeS : Mariame Clément ; Dir : Carlo Rizzi)
Avec Tara Erraught, Daniela Barcellona, Anna Stephany, Kathleen Kim, Lionel Lhote etc…

Entrée au répertoire de l’œuvre de Massenet, dans une production qui s’annonce plutôt sage, avec un chef solide mais pas plus pour Massenet que pour d’autres compositeurs, et avec Tara Erraught dans le rôle-titre, bien connue des habitués de Munich et très belle chanteuse, très bien entourée par ailleurs. Moui.

Avril-mai 2022
Palais Garnier
(8 repr. du 30 avr. au 19 mai Et une avt-première jeunes le 28 avr.)
György Kurtág, Fin de partie (MeS, Pierre Audi/Dir : Markus Stenz)
Avec Frode Olsen, Leigh Melrose, Hillary Summers, Leonardo Coltellazzi.

Une autre création, très attendue, de cette œuvre du grand compositeur György Kurtág dans la production de Pierre Audi née à la Scala en 2018 (Wanderersite.com en a rendu compte) avec la même équipe et le même chef. Une œuvre difficile et forte qu’il faut absolument voir avec un Leigh Melrose exceptionnel.

 

Au niveau du bilan de ces huit « nouvelles » productions, quatre ont été déjà vues ailleurs et ne sont donc que nouvelles à Paris, ce qui diminue les coûts et quatre sont d’authentiques nouvelles productions parisiennes, d’esthétiques très différentes, ce qui est plutôt de bon augure, des chefs de très bonne réputation voire des stars, et des distributions qui sans être des feux d’artifice, sont plutôt solides.

Reprises

Treize productions sont reprises du répertoire de l’Opéra, dont deux de l’ère Joel, la plupart de l’ère Lissner, et quatre de l’ère Gall (1999) dont les dernières reprises remontent à 2014 et 2015. En réalité, aucune des reprises n’a été excavée des entrepôts de l’Opéra et remise au goût du jour pour afficher un glissement vers un opéra de répertoire ; le système reste le même. On puise dans les réserves de spectacles montés encore récemment (c’est à dire à peu près dans les dix dernières années).

Septembre-octobre 2021
Palais Garnier
(7 repr. du 14 sept. au 2 oct.)
Gluck, Iphigénie en Tauride
(MeS : Krzysztof Warlikowski /Dir :Thomas Hengelbrock)
Avec Nicole Chevalier, Jacques Imbrailo, Julien Behr etc…
Reprise de la production mythique de Krzysztof Warlikowski, la première qui le fit vraiment connaître en France, récemment reproposée par Stéphane Lissner en 2016.
Nouvelle distribution, chef spécialiste de ce répertoire, une production à voir et à revoir, dans une distribution toute nouvelle.
Iñaki Encina Oyón, jeune chef qui participa dans les années 2000 à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris et à plusieurs productions assurera la dernière du 2 octobre.

Septembre-octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(12 repr. du 28 sept. au 9 nov)
Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Laurent Pelly/Dir : Giampaolo Bisanti/Leonardo Sini)
Avec Sydney Mancasola, Matthew Polenzani/Pene Pati, Simone del Savio et Ambrogio Maestri
Nouveaux visages pour cette autre reprise alimentaire (12 repr…) d’une production qu’on va voir pour la septième fois depuis sa création (sous Mortier) en 2006, dont deux fois sous Lissner.
Les nouveaux visages?  Le jeune chef Leonardo Sini (encore un chef italien qui monte) ou la jeune américaine Sydney Mancasola dans Adina, pour le reste du solide.

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(9 repr. du 7 oct. au 6 nov.)
Wagner, Der Fliegende Holländer (MeS : Willy Decker/Dir : Hannu Lintu)
avec Tomasz Konieczny, Günther Groissböck, Ricarda Merbeth, Michael Weinius dans les principaux rôles

Une production Gall reprise pour la dernière fois par Nicolas Joel en 2010, avec un chef finlandais nouveau à Paris, et une belle distribution. C’est la cinquième reprise de cette mise en scène. On ira pour les chanteurs, tous de premier plan et pour écouter un chef jamais entendu du “team Finland”.

Octobre-novembre 2021
Opéra Bastille
(16 repr. du 23 oct au 24nov)
Verdi, Rigoletto (MeS : Claus Guth/Dir: Dan Ettinger (A)/Giacomo Sagripanti(B))
avec Ludovic Tézier(A)/ Željko Lučić(B), Dmitry Korchak(A)/Joseph Calleja(B), Nadine Sierra(A)/Irina Lungu(B)
Longue série qui sent son tiroir-caisse (16 repr. double distribution, A : du 23 oct au 15 nov/B : du 5 au 24 nov en alternance). Pour Ludovic Tézier, pour Nadine Sierra…

Novembre-décembre 2021
Palais Garnier
(13 repr. du 25 nov au 30 déc.)
Haendel, Alcina
(MeS : Robert Carsen/Dir : Thomas Hengelbrock/Iñaki Encina Oyón)
Cinquième reprise de la production Carsen vue pour la dernière fois en 2014 avec une très solide distribution, Jeanine de Bique dans Alcina, Gaelle Arquez dans Ruggiero, mais aussi Sabine Devieilhe (ou Elsa Benoît) et Nicolas Courjal. Toute nouvelle distribution et un chef dont le répertoire XVIIIe est la spécialité. À voir ou surtout à revoir. Il sera temps ensuite de proposer une vision nouvelle de cette œuvre devenue populaire et qui peut-être, aura fait son temps dans cette production..
Deux représentations seront dirigées par Iñaki Encina Oyón.

Janvier-février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 26 janvier au 18 février)
Moussorsgski, Khovantchina
(MeS : Andrei Serban/Dir : Hartmut Haenchen)
Avec Anita Rachvelishvili, Dmitry Ivaschenko, Evgueni Nikitin, Dmitry Belosselskiy.

La production Serban (qui remonte à 2001) n’a plus été vue depuis 2013 (sous Joel). La voilà donc reprise huit ans après, pour la troisième fois depuis sa création qui était alors l’entrée au répertoire du chef d’œuvre de Moussorgski. Belle distribution avec les artistes parmi les plus réclamés aujourd’hui dans ce répertoire sous la direction d’un chef très solide. Un Moussorgski ne se manque pas…

Février-mars 2022
Opéra Bastille
(12 repr. du 1er février au 11 mars)
Mozart, Don Giovanni (MeS, Ivo van Hove/Dir : Bertrand de Billy)
Avec Christian van Horn, Krzysztof Baczyk, Nicole Car, Adela Zaharia, Pavel Petrov, Alexander Tsymbalyuk, Anna El-Khashem, Mikhail Timoshenko.

Soyons honnêtes, on aurait aimé, au lieu de cette production médiocre (qui va encombrer les combles de l’Opéra pas trop longtemps espérons-le) qu’Alexander Neef aille rechercher la production Haneke (à condition qu’elle existe encore) plus digne de la maison. Pour le reste une distribution très honnête qui verra Christian van Horn (le Mephisto du Faust de Kratzer) en Don Giovanni avec la charmante Anna El-Khashem (Zerlina), vue à Munich et les deux voix intéressantes que sont Nicole Car et Adela Zaharia. Dans la fosse un Bertrand de Billy toujours rare en France : c’est normal, c’est un chef français.

Février 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 5 au 26 fév.)
Jules Massenet, Manon
(MeS : Vincent Huguet/Dir : James Gaffigan)
Avec Ailyn Perez, Joshua Guerrero et Andrzej Filonczyk en Lescaut.

Un chef correct pour du répertoire, une distribution correcte aussi.
Moui, du passe-partout pour passer le temps.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 10 mai au 1er juin)
Richard Strauss, Elektra
(MeS : Robert Carsen/Dir : Semyon Bychkov)
Avec Christiane Goerke, Waltraud Meier, Elza van den Heever,  Gerhard Siegel et Tómas Tómasson.

Une distribution de très haut niveau et un chef d’envergure pour la reprise d’une production bien propre que tout le monde avait oubliée même si elle avait été appréciée à sa création. On ira évidemment, rien que pour revoir Meier et entendre Goerke, précédée par sa légende bien orchestrée, mais Elza van den Heever, ce n’est pas mal non plus.
La production Joel ne fut jouée qu’une seule saison, la reprise se justifie donc pleinement. D’autant que la production est typique de celles qui peuvent durer longtemps avec des distributions variées.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(7 repr. du 24 mai au 12 juin)
Wagner, Parsifal
(MeS : Richard Jones/Dir : Simone Young)
Avec Iain Paterson, Simon O’Neill, Kwangchul Youn, Marina Prudenskaya, Reinhard Hagen et Falk Struckmann.

Un Parsifal de bonne série solidement distribué mais sans attrait particulier, d’autant que la production n’est pas de celles qu’on emporte sur l’île déserte. Alors on ira pour un Wagner en salle dirigé par Simone Young, plutôt intéressante dans ce répertoire.

Mai-juin 2022
Opéra Bastille
(8 repr. du 30 mai au 19 juin)
Rossini, Le Barbier de Séville (MeS : Damiano Michieletto, Dir : Roberto Abbado)
Avec Marianne Crebassa, René Barbera, Renato Girolami, Andrzej Filończyk, Alex Esposito.

Une des productions vedettes de la maison, souvent reprise ces dernières années depuis son arrivée en 2014, l’opéra de Rossini est d’ailleurs l’un des titres les plus fréquents depuis l’ouverture de Bastille, et c’est donc une reprise alimentaire avec une solide distribution (écoutez le Figaro vraiment excellent d’Andrzej Filończyk et Renato Girolami, la basse bouffe rossinienne qui monte) les autres on les connaît et ils sont tous très bons. Autre heureuse surprise, le retour après 12 ans d’absence dans la fosse de Bastille de Roberto Abbado, toujours injustement ignoré en France.

Juin-Juillet 2022
Palais Garnier (
11 repr. du 17 juin au 12 juillet)
Rameau, Platée (MeS : Laurent Pelly/Dir : Marc Minkowski – et les Musiciens du Louvre en fosse)
Avec Lawrence Brownlee, Matthias Vidal, Julie Fuchs/Amina Edris, Reinoud van Mechelen etc…

Sixième reprise de la mise en scène de Laurent Pelly (la dernière en 2016), créée sous Gall et reprise sous Mortier, Joel, Lissner. Une unanimité bienvenue et une distribution excellente. Voilà une production typique d’un  répertoire de qualité et parfaite pour le début d’été.

Juin-juillet 2022
Opéra Bastille
(6 repr. du 28 juin au 10 juil.)
Charles Gounod, Faust
(MeS : Tobias Kratzer/Dir : Thomas Hengelbrock)
Avec Benjamin Bernheim, Christian van Horn, Florian Sempey, Angel Blue en Marguerite et Emily d’Angelo en Siebel.

Fausse reprise, car création en public de la magnifique production de Tobias Kratzer, avec un autre chef (encore Hengelbrock !) dont on peut regretter le nombre réduit de représentations (étonnant quand on voit le nombre atteint par d’autres titres dans cette saison). C’est dommage. À noter une nouvelle Marguerite (Angel Blue) et un nouveau Siebel (Emily D’Angelo), des voix d’outre Atlantique qui sont de plus en plus réclamées.
À voir absolument, évidemment.

Enfin, un coup d’œil aux concerts montre que l’Orchestre de l’Opéra va sortir un peu du périphérique avec Gustavo Dudamel (Toulouse, St Quentin en Yvelines, Barcelone), et que le Liceu viendra avec son orchestre et son chef (Josep Pons) pour un Château de Barbe-Bleu de Bartók concertant et luxueusement distribué (Ausrine Stundyté/ Sir Bryn Terfel) (9 janv.2022) tandis que Renée Fleming promènera à Garnier sa voix crémeuse (j’adore l’expression qui ne veut rien dire, mais qu’on lisait partout il y a quelques années dans la presse) dans un gala lyrique à Garnier dirigé par James Conlon et mis en espace par Robert Carsen le 6 avril 2022.

Faisons les comptes, entre nouvelles productions et reprises, le paysage est assez diversifié, donnant une forte empreinte au XVIIIe (Haendel, Rameau Gluck, Mozart, soit cinq productions), mais laissant aussi globalement la place à des titres habituels (les « standards ») des grandes salles de référence dont un tiers d’œuvres en français (Œdipe, Iphigénie en Tauride, Manon, Cendrillon, Fin de Partie, Platée, Faust), et quelques marronniers de l’Opéra de Paris (Barbiere di Siviglia et Elisir d’Amore) soit une palette large du répertoire international et quelques raretés.

Si l’on cherche une patte Neef, on la trouve d’abord dans la brochure programme, illustrée par des portraits de membres du personnel de l’opéra pris dans leur diversité, et c’est fort bienvenu dans une maison un peu secouée que de souligner que tous contribuent à l’élaboration de la saison et font vivre la maison. .
On peut lire aussi une tendance peut être plus marquée que ses prédécesseurs à ouvrir à des chanteurs d’outre Atlantique (Angel Blue, Emily d’Angelo, Sydney Mancasola, Jeanine De Bique etc…) ou des esthétiques anglo-saxonnes (Netia Jones par exemple), le séjour d’Alexander Neef au Canada a sans doute laissé des traces.

Il reste que les distributions, même sans les stars habituelles, sont très solides et donneront des soirées de très bonne tenue musicale. Du côté des chefs, on note sur 21 productions très peu de chefs français (vu la pauvreté du marché qui s’en étonne ?) On ne trouve dans la liste des chefs invités que Marc Minkowski et Bertrand de Billy.
On note en revanche un appel répété à Thomas Hengelbrock (qui est un très bon chef) pour trois productions, dont le Faust de Gounod pour lequel il est très inattendu, mais aussi l’appel à des chefs de renom outre Gustavo Dudamel, Kent Nagano, Semyon Bychkov, Hartmut Haenchen et deux des meilleures cheffes d’aujourd’hui Susanna Mälkki et Simone Young dans deux grandes œuvres référentielles du répertoire.
Quant aux mises en scènes des nouvelles productions elles reflètent la diversité des esthétiques d’aujourd’hui, du vétéran Bob Wilson à Netia Jones, en passant par Wajdi Mouawad, Krzysztof Warlikowski, William Kentridge, Mariame Clément, Marina Abramović, Pierre Audi. Souci des équilibres là aussi.

Dans l’ensemble, la programmation manque peut-être un peu de saveur ou de peps notamment pour les fans d’opéra (mais ce n’est pas à eux que s’adresse une programmation) et très (trop ?) soucieuse d’équilibres. On a l’impression qu’Alexander Neef ci va coi piedi di piombo[1]diraient nos amis italiens Donc, wait and see, parce qu’on ne lira vraiment la politique imprimée par la direction qu’après au moins deux saisons et si cette première saison se passe sans encombre, notamment pandémique, ce sera déjà un grand soulagement.

[1] « Il y va avec des pieds de plomb », c’est à dire avec grande prudence.

Alexander Neef

BAYREUTHER FESTSPIELE 2018: PARSIFAL, de Richard WAGNER le 1er AOÛT 2018 (Dir.mus: Semyon BYCHKOV; Ms en sc. Uwe Eric LAUFENBERG)

La nouveauté de cette production de Parsifal résidait en la direction musicale de Semyon Bychkov qui faisait ainsi ses débuts sur la colline verte. La distribution demeure presque inchangée, et nous avons déjà largement donné une idée de la mise en scène de Uwe Eric Laufenberg en la décrivant par le menu naguère :

2017 : http://wanderersite.com/2017/07/kundry-nettoie-frigo/
2016 : http://wanderer.blog.lemonde.fr/2016/08/08/bayreuther-festspiele-2016-parsifal-de-richard-wagner-les-2-et-6-aout-2016-dir-mus-hartmut-haenchen-ms-en-scene-uwe-eric-laufenberg/

Il semblerait donc inutile d’y revenir, mais Je voudrais aborder quelques points dérangeants, voire paradoxaux dans la « philosophie » qu’elle propage .
Rappelons que le projet initial prévoyait l’appel au plasticien Jonathan Meese, mais le projet était paraît-il onéreux (et probablement trop dérangeant) et on a appelé Uwe Erik Laufenberg à la rescousse, un metteur en scène qui sous des habits « modernistes » ne dérange en fait jamais grand monde.
Rappelons aussi qu’en 2016, Bayreuth avait laissé filtrer des bruits alarmistes pour faire buzz et la peur d’un attentat avait saisi la colline verte, dans une ambiance assez angoissante pour que les tensions internes en arrivent au départ d’Andris Nelsons qui devait diriger. Ainsi d’un projet Meese/Nelsons on en est arrivé à un projet Laufenberg/Haenchen  et aujourd’hui Laufenberg/Bychkov.

Une vision dialectique :

En essayant de tirer toutes les logiques possibles de cette mise en scène, on ne peut que constater sa pauvreté conceptuelle, réduite à une sorte de bande dessinée, tout en affichant une propagande perverse pour un pacifisme à sens unique, christianoïde, voire américanoïde. Et face à la complexité du monde, et notamment du monde où Laufenberg a imaginé son travail je trouve cette approche à tout le moins légère, voire expéditive. Le spectacle répond à un schéma dialectique thèse/antithèse/synthèse, dont la synthèse en réalité est politiquement orientée, loin d’un message plus idéaliste, comme la scène finale  le laisserait penser.
La question posée par ce travail n’est pas strictement théâtrale, car Laufenberg est un professionnel reconnu et les choses sont techniquement bien faites. Elle est idéologique et dans ce sens, cette mise en scène est faussement syncrétique (à la fin toutes les religions renoncent à leurs oripeaux) et très idéologiquement dirigée.
Aussi bien Christoph Schlingensief que Stefan Herheim avaient envisagé un humanisme rassembleur, en s’appuyant sur des concepts différents, philosophiques et esthétiques pour le premier, historiques pour le second. Le chœur de Schlingensief (une production née avant les développements du terrorisme islamiste) rassemblait déjà une globalité humaine faite de catholiques de juifs et de musulmans, mais aussi transtemporelle, réunissant Napoléon et Louis XIV, et d’autres personnages historiques…Quant à Herheim, il faisait de Parsifal le pacificateur d’une Allemagne déchirée, en faisant de Klingsor une sorte de portevoix de la peste brune.
En bref l’idée de faire un Parsifal pacificateur n’est pas neuve, elle est même si enracinée que les nazis estimaient ce héros suffisamment dangereux pour interdire dès le début de la guerre les représentations de Parsifal à Bayreuth, dans le théâtre pour lequel il avait été créé.
L’idée d’un Parsifal qui casse le rituel et renouvelle le sens du rite final n’est pas neuve non plus : Götz Friedrich en 1982 déjà faisait de Parsifal le rassembleur d’un peuple jusque-là exclu en faisant éclater le décor ; on voit où Laufenberg a puisé son « inspiration ».

En décidant d’inscrire sa mise en scène dans une actualité brûlante, la situant aux confins de la Syrie et de l’Irak, dans une communauté religieuse qui accueille des réfugiés, il rapproche immédiatement le spectateur d’images qu’il connaît. Ainsi des réfugiés pendant l’ouverture, dans un décor d’église orientale (de Gisbert Jäkel), traversé de temps à autres par des soldats en armes. La communauté chrétienne, charitable et au service des peuples en besoin est sous surveillance.
Je passerai sur les allusions à Tibérine, et sur la relation de ce petit lieu perdu d’Irak avec l’univers, par la traduction vidéo (de Gérard Naziri) de « Zum Raum wird hier die Zeit »  en style Google Earth qui n’est pas la pire des idées, même si un peu caricaturale dans sa représentation.
La manière anecdotique qui nous invite à entrer dans ce monde est déjà plus discutable : voilà des chevaliers qui partagent le pain arabe (sorte de large pitta) et boivent l’eau dans des bouteilles plastique, signe qu’on est aujourd’hui « hic et nunc », sans changer rien de l’histoire. Mais aussi la manutention du crucifix un peu cryptique au départ et plus claire quand on voit ce qu’on fait du corps d’Amfortas, ou encore la vision d’Amfortas dans son bain plus ou moins lustral (la purification par l’eau semble être un leitmotiv dans ce spectacle, du premier au dernier acte) sont des éléments qui apparemment veulent clarifier et qui n’apportent rien de tangible à la lecture.

Un rituel du Graal moins chrétien que sectaire, voire païen

La cérémonie du Graal fait d’Amfortas celui qui souffre les souffrances du Christ, c’est-à-dire qu’elle mime la crucifixion pour recueillir le sang du Christ, qui est l’histoire même de la Sainte lance et du Graal, cette coupe qui recueillit le sang du Christ en croix après qu’il eut été frappé par la lance. Lance et Graal sont donc cause et effet, et vont ensemble. L’absence de lance laisse seul le sang en scène. Et de ce point de vue, la mise en scène a été un peu modifiée depuis la première série : les chevaliers prenaient le sang à un robinet qui coulait abondamment, Amfortas substitut christique étant littéralement saigné après des scarifications imposées qui l’épuisaient. Aujourd’hui,Amfortas est toujours saigné, mais le robinet ne coule plus, la chose est mimée, et le sens est resté : la cérémonie du Graal est sanglante, non dépourvue de barbarie telle un sacrifice humain.

Amfortas est une double victime : à la fois de lui-même et de son désir, qu’il expie, et de son père Titurel (qu’on voit en scène, comme chez Tcherniakov) qui veut sa ration de sang pour survivre, comme s’il y avait quelque chose de vampirisant chez ce père abusif.
Schlingensief, encore lui, avait fait de ce rituel une cérémonie vaudou, aussi sanglante. En est-on si loin ? Ce rituel semble en effet profondément païen, comme est païenne l’adoration de la lance et comme est d’origine païenne tout culte des idoles et des reliques. La valeur chrétienne de ce premier acte, avec la manutention du crucifix et le déroulement du sacrifice sanglant, me semble douteuse, et plus proche d’une dérive sectaire. C’est peut-être voulu, car on peut toujours invoquer la distanciation, il reste que la présence au sommet du décor d’un personnage de « Bon Pasteur » avec bâton de berger, qui rassemble et qui guide, montre aussi qu’on cible une imagerie chrétienne, même s’il s’agit alors d’un christianisme dévié. Quelque chose ne va pas au royaume du Graal, mais la mise en scène laisse l’ambiguïté. Vivement que Parsifal arrive pour remettre tout cela d’équerre.
Dans ce premier acte donc, la mise en scène dit des choses sans jamais affirmer, aller jusqu’au bout et parsème le récit de points anecdotiques, quelquefois non dépourvus de drôlerie involontaire, comme le maniement d’un rideau de fond, tantôt rideau, tantôt bâche de plastique ou bien, dans ce lointain coin désert, l’apparition du cygne sorti des réserves de Bayreuth qui doit en avoir des pelletées, avec en parallèle le cadavre du petit Elan, qui lui  ne fait pas rire du tout, qui n’est qu’un « être-là » sans rapport à l’histoire puisqu’il n’en est rien fait…mais à force de vouloir montrer une histoire actuelle, on instrumentalise la tragédie, et c’est médiocre.

Un Islam de clichés, putassier et dangereux

Le deuxième acte est bien plus discutable encore.
Klingsor se trouve être un converti récent à l’Islam (il cherche la direction de La Mecque avec des hésitations visibles), dans un espace qui reprend celui de l’église du premier acte, mais tapissé de céramiques à la manière des harems. C’est cohérent avec le livret qui dit que Klingsor fonde un royaume qui est le négatif du royaume du Graal.
C’est donc bien de l’antagonisme Christianisme/Islam qu’il va s’agir d’autant que Klingsor officie d’un antre  tapissé de croix de toutes sortes, qui sont autant de trophées, dont la diversité montre en réalité que le symbole de la croix devient un objet presque personnalisé, et évidemment au final dégagé de toute valence religieuse, allant de l’esthétique au sexuel.

Le signe est clair : face au royaume « chrétien » du Graal, dont on a constaté le « christianisme » un peu discutable, Klingsor a construit un royaume antithétique musulman, tout aussi discutable. Nous assistons à une lutte « chrétiens vs. Musulmans », où les convertis (Klingsor en l’espèce) sont les pires de tous, voire une lutte « faux chrétiens » contre « faux musulmans ». Ce choix est si grossièrement manichéen qu’on pourrait croire à de l’ironie, à une volonté de détruire le message voulu par Wagner en en montrant les limites, voire les ridicules. On pourrait croire aussi en une critique du regard du monde « occidental » (ou américano-bushien) sur le monde islamique, vu comme la force du mal et donc à une charge faisant de Klingsor une sorte de caricature dans un monde islamique réduit à nos fantasmes mais cet exercice de distanciation reste si ambigu qu’on n’arrive pas à  en voir les tenants et les aboutissants : un spectateur voit ce qui lui est donné, et ce qu’il voit est une grossière opposition.
D’ailleurs, dans l’interview délivrée dans le programme de salle, il n’y a aucune allusion à ce deuxième acte, pourtant essentiel…
Parsifal arrive dans ce royaume en soldat noir (Chevalier noir ?). Il se fait déshabiller par une armée de femmes en Nikab (costumes de Jessica Karge). Le Nikab qu’elles jettent bientôt laisse voir sous le voile les habits de l’hétaïre (genre cabaret à danse du ventre d’Istanbul). Ces femmes désirantes mettent à nu le héros et  le poussent dans l’eau. Au premier acte, le bain d’Amfortas, au deuxième, celui de Parsifal, au troisième (on va le voir bientôt) la douche : que d’eau que d’eau…L’eau a-t-elle une fonction lustrale ou est-elle ici seulement destinée à préparer le héros à sa rencontre érotique : pourquoi le bain de Parsifal ? Grave question non inscrite dans le livret mais qui fait sourire le spectateur amusé des contorsions pour que la nudité du héros n’apparaisse pas tout en se laissant voir.
L’originalité de la scène de « séduction » qui suit (un repas galant avec table dressée) est la présence d’Amfortas, tunique blanche, visiblement amoureux de Kundry. Si Parsifal la refuse, Amfortas quant à lui la possède : la mise en parallèle Amfortas et Parsifal, un Amfortas qui désire, qui possède, et qui probablement aime, et un Parsifal saisi par le même aiguillon qui en sent la blessure et s’écarte, n’est pas clairement réalisée. Voilà une volonté démonstrative de la mise en scène qui nous montre d’une manière maladroite sans une once de sensualité  ce qu’Amfortas a fait (la copulation avec Kundry est relativement ridicule aussi, sans apparente volonté de l’être) et que Parsifal ne fait pas. La scène de séduction entre Parsifal et Kundry, autour d’une table dressée, fait penser à ces films où le repas n’est que prélude à un dessert plus doux, – on est là aussi dans le cliché.  Plus de séduction ni d’érotisme dans la seconde partie où Kundry décline un très pascalien « art de persuader » qui échoue. Parsifal rhabillé rapidement en soldat, récupère la lance, en fait une croix (mais alors, ce n’est plus la lance précieusement conservée intacte par les chevaliers du Graal…), laisse le royaume de Klingsor vidé de son sens, et brandissant la croix. Il s’en va étrangement suivi de deux soldats à la recherche du royaume du Graal…il était donc en service commandé?
Autrement dit, Parsifal devient le chevalier sauveur, en Irak, portant la croix rédemptrice ayant terrassé le vilain Islam : pax americana…
La croix triomphe des méchants, musulmans en l’occurrence. C’est un message simpliste, donnant l’idée du soldat protecteur, le bien contre le mal, du Georges Bush dans le texte…

Et c’est bien cette idée sous-jacente qui est détestable, le mal qu’est Klingsor épouse l’islam comme « couverture » certes, parce qu’il épouse l’idée commune aujourd’hui que l’Islam, c’est le mal – avec la confusion non-dite Islamisme/islam qui arrange tant de monde. De l’autre côté, Parsifal le soldat, c’est le bien. Simpliste, stupide et dangereux.

Laufenberg propose d’inscrire Parsifal dans une histoire d’aujourd’hui, ou plutôt dans les obsessions du monde d’aujourd’hui, s’appuyant sur le point de vue à la fois occidental et chrétien, sans aucune espèce de distance.
C’est bien ce mélange de concepts, d’éléments anecdotiques, soi-disant accrochés à l’actualité qui fait problème parce qu’en réalité ce travail  n’épouse que les clichés les plus communs, voire les plus dangereux (L’islam en soi n’est le mal que pour les imbéciles) sans même afficher une vision a minima idéologique.
Dans pareil contexte, en se référant à ce que dit Castorf dans son Ring, on aurait pu ramener les enjeux à ce qu’ils sont pour les USA et faire du Graal un baril de pétrole qu’on adore, bien plus proche de la vérité de ce conflit qu’une opposition stérile Christianisme/Islam.

Retour au paganisme?  Retour à l’humanisme? Ou retour à un Christianisme universel, “catholique” au sens propre?

Le troisième acte pose et dit des choses tout aussi discutables.
L’enchantement du vendredi saint devient une sorte de vision d’un paradis clairement païen (le royaume du Graal à la sauce néoplatonicienne de la Renaissance, avec une allusion au Printemps Botticellien) avec une nature envahissante d’une manière si caricaturale qu’elle en devient là aussi un signe de déréliction. Au moins, ce paganisme très proche de la vision riante d’un printemps à la mode de la Renaissance italienne réadaptée est inoffensif et moins violent que le sectarisme du premier acte. Ce pourrait être une conclusion originale de troisième acte…

Conformément au livret, Parsifal apparaît en chevalier muni d’une armure grossière qu’on croirait en carton, on peut passer  sur la Kundry servante âgée qui nettoie le frigo dont on a parlé en d’autres temps pour s’attacher non à la douche de ces corps nus et innocents en arrière scène (encore un cliché…et encore de l’eau, que l’on retrouve aussi inondant le masque mortuaire de Wagner dans la scène vidéo de la Verwandklungsmusik) mais à la scène finale, où tout décor disparaît,  pour laisser place à une assemblée qui jette tous ses oripeaux religieux – juifs, musulmans, chrétiens même combat – en un « embrassons-nous Folleville » général tandis que le « bon pasteur » qui surveille tout ça a lui-aussi jeté aux orties son bâton de berger.
Le simplisme de cette scène laisse penser au simplisme de la vision américaine du Proche Orient en 2003 ou 2004 : le monde est si simple… alors que c’est le résultat d’une logique née au deuxième acte où Parsifal muni de sa lance-croix a laissé le royaume de Klingsor suivi de deux soldats, comme s’il était mandaté pour la mission de pacification en suscitant le refus des religions dans une vision unifiée, sans Dieu mais pleine de cette nouvelle humanité que déjà Götz Friedrich en 1982 avait affichée : sauf que Götz Friedrich tenait un discours moins anecdotique.
Une autre possibilité est aussi la création d’une nouvelle religion dont Parsifal serait le prophète, porteurs d’idéaux de “l’occupant”. Et dans ce cas-là, on n’est pas loin de jouer « notre agent en Irak » ou « miracle à la CIA ». Il reste que Parsifal est revenu avec la lance-croix, une croixqu’il brandit devant Amfortas: le christianisme reste présent. Tout le monde jette les objets de culte, mais c’est bien la croix qui est revenue en vainqueur sans (trop) le dire. Cette fois, on est dans la manœuvre démocrate-chrétienne à l’italienne, il ne manque plus que l’évocation du fantôme de Giulio Andreotti. Ce final qui semble dire une chose en en disant une autre n’est que ce qu’on appelle aujourd’hui un « fake ». Comme toute cette mise en scène.

Avec Bychkov, un équilibre musical est trouvé

Du côté musical, la direction de Semyon Bychkov semble elle-aussi synthétiser deux tendances, celle très objective de Hartmut Haenchen, assez éloignée par son hiératisme de la scène touffue et anecdotique à laquelle nous avons droit, et une tendance plus pathétique, plus appuyée comme celle de Marek Janowski, qui remplaça un soir Haenchen l’an dernier.
Elle représente un équilibre assez élégant très en place, avec un tempo quelquefois rapide, et une belle science des équilibres de la fosse. Cette direction est fluide, pas vraiment dramatique, soulignant plutôt la poésie du discours et accompagnant sans verser dans le sublime, ni dans le profane, et reste toujours très attentive aux chanteurs. On pourrait souhaiter une approche plus singulière, plus marquée, mais Bychkov a veillé plutôt à la continuité d’un discours, dans une fosse qui par sa nature étouffe les excès. Il en résulte une incontestable réussite, sans doute pour moi la plus satisfaisante direction musicale de la saison, sans fadeur, avec ses reliefs et ses moments d’exception (la scène finale particulièrement réussie) qui a valu au chef un véritable triomphe. La production a trouvé son chef.
Le chœur du festival (dir.Eberhard Friedrich) était là dans une grande forme, plus marquée que dans les autres opéras (notamment Lohengrin), les deux scènes du Graal (et notamment la seconde) furent des moments d’exception et le chœur des filles fleurs était particulièrement intense.
La distribution sans grands changements par rapport aux années précédentes proposait la nouveauté du Gurnemanz de Günther Groissböck. C’est un Gurnemanz au phrasé impeccable qui sculpte les mots et qui donne beaucoup d’expressivité à son récit du premier acte. Il apparaît plutôt jeune et vif, ce qui tranche avec les figures qui habitent normalement le rôle,  mais le timbre plutôt mat n’a pas la profondeur dont on a l’habitude. Peut-être sommes-nous trop déterminés par les grands Gurnemanz du passé, au volume très marqué et avec des graves abyssaux, du genre Kurt Moll. Il reste que Groissböck est un très grand bonhomme.
Tobias Kehrer en Titurel a au contraire la voix plutôt courte, et un peu claire, qui ne convient pas à ce rôle d’outre-tombe. C’est une petite déception devant un chanteur qui à Salzbourg s’était particulièrement signalé, même dans le rôle très secondaire du Polizeikommissar.
Derek Welton est un bon Klingsor, qui ne donne jamais dans la caricature, même si la mise en scène l’y inviterait, joli phrasé, timbre chaleureux. Je le dis souvent, un bon Klingsor est rare (jadis Franz Mazura, aujourd’hui Wolfgang Koch depuis le Parsifal définitif de Munich) et Derek Welton est un de ceux qui réussit le mieux à incarner le personnage. Ce rôle est maltraité parce qu’il est court et que les théâtres ne trouvent pas toujours intérêt à soigner sa distribution.
L’Amfortas de Thomas Johannes Mayer, qui succède à Ryan McKinny impose dans le personnage une maturité et une présence sans doute plus fortes, avec une voix toujours un peu voilée qui convient bien à l’homme souffrant et subissant qu’il est. McKinny était un Amfortas athlétique, une figuration christique qui laissait penser à certains Christ de Michel Ange (Santa Maria della Minerva à Rome). Mayer est aussi un corps imposant mais un peu plus mur. On devrait toujours aligner Amfortas et Gurnemanz (c’est d’ailleurs le cas dans cette mise en scène, reconnaissons-le), qui sont des compagnons, alors qu’on a tendance à faire de Gurnemanz une sorte de patriarche à la Pimen. Mayer n’est pas toujours régulier dans ses prestations, mais ce soir, il a pleinement convaincu, avec lui aussi un sens du cisèlement des mots et une expressivité vraiment étudiée, en grand artiste très raffiné ce qui n’était pas le cas de Mc Kinny.
La Kundry d’Elena Pankratova n’a ni problème de volume, ni problème de voix et elle s’impose. Scéniquement et physiquement, elle n’a rien d’une Kundry « traditionnelle » et mystérieuse, elle laisse l’érotisme du côté de ses filles fleurs et se réserve la séduction par les mots, l’art de persuader dont il était question plus haut, mais sans vrai raffinement ni véritable art. Ce chant puissant reste assez monochrome et le jeu répond à la mise en scène (le jeu du double avec Amfortas) sans vraiment acquérir de singularité. Comme on dit « elle fait le job », sans que la mise en scène n’invente quelque chose pour faire coller son physique et son personnage. Il n’y a pas beaucoup de profondeur dans cette Kundry qui n’a pas le caractère attendu du personnage. Les décibels à eux seuls ne font pas le printemps…
Le Parsifal d’Andreas Schager laisse toujours lui-aussi un goût d’inachevé. La voix est somptueuse, imposante, le timbre éclatant, lumineux, et de ce point de vue il est le personnage jeune qui convient à la mise en scène. Mais « derrière les yeux » porte-t-il quelque chose de plus abouti, de plus profond, de plus senti.
Pas vraiment. Il traverse l’œuvre sans qu’on ait une vision réelle du personnage, sans même qu’on aperçoive une consistance. C’est une question de couleur, et d’interprétation. Schager a besoin d’un grand metteur en scène qui puisse le diriger et le cadrer : il a réussi avec Tcherniakov à Berlin aussi bien dans Tristan que dans Parsifal à incarner un personnage et à convaincre. Ici, il reste en dehors, et sa voix magnifique ne suffit pas. Si Parsifal n’est pas un rôle trop difficile vocalement, il est au contraire plus difficile à incarner. Comment rendre le « roman d’apprentissage » qu’est Parsifal, comment marquer son évolution, comment aussi montrer la voix sans jamais cesser de la contrôler. Rares sont les très grands Parsifal qui ont réussi à montrer toutes les couleurs du personnage. Schager le fut de manière fugace avec Tcherniakov, mais pas ici.

 

La genèse de ce Parsifal aux changements de chef et de metteur en scène n’a pas toujours favorisé un aboutissement aussi bien musical que scénique. La mise en scène anecdotique et toujours à la limite du ridicule, toujours ambiguë, ne colle pas vraiment à la direction toute en fluidité et élégance de Bychkov, et les chanteurs ne sont pas vraiment dirigés avec la précision et les détails voulus. C’est une occasion perdue. Pour une telle œuvre et dans un tel lieu, c’est problématique.

 

 

LES SAISONS 2016-2017 (8): WIENER STAATSOPER

Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper
Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper

Comment dans une succession de textes sur la présentation des saisons lyriques échapper à la salle la plus symbolique du monde, celle aux levers de rideau les plus nombreux, celle sans doute dont l’histoire (depuis 150 ans au moins) est la plus riche, où ont défilé Mahler, Karajan, Abbado (non sans difficultés d’ailleurs pour les uns comme pour les autres), celle dont les murs suent la mémoire la plus glorieuse de l’art lyrique. Il y a sans doute dans les salles européennes des fleurs qui font traditionnellement plus rêver (La Scala par exemple), mais sous les fleurs, il y a un terreau, et le terreau, c’est sans conteste Vienne, resté en permanence un lieu de référence.
Car dans le paysage des salles d’opéra, Vienne reste un mystère, car alors que les publics évoluent partout, que des théâtres comparables (le MET par exemple) affichent une crise de fréquentation sans précédent, Vienne affiche des taux de remplissage à faire pâlir d’envie Peter Gelb (Manager du MET) et ses collègues, et ce, sans GMD depuis la démission brutale, voire violente de Franz Welser-Möst, sans productions scandaleuses qui attirent par l’odeur du souffre, et au fond, sans faire parler de soi, sinon par des aventures loufoques comme le retard d’entrée en scène d’Angela Gheorghiu que les mauvaises langues attribuent au succès trop délirant de Jonas Kaufmann, dans une Tosca dont tout le monde a parlé, au moins le petit monde du lyrique, une production âgée de 59 ans, créée par Karajan, signée Margherita Walmann, qui continue à faire les beaux soirs du répertoire viennois et qui doit en être pas loin de sa 600ème
Car le secret de Vienne – si secret il y a- ce ne sont pas ses « nouvelles productions », dont finalement on parle peu, ce sont ses 300 soirées, du 1er septembre au 30 juin, de ballet et d’opéra, ses 50 ou 60 titres annuels, et son orchestre, qui selon les occasions s’appelle Orchestre de la Wiener Staatsoper ou Wiener Philharmoniker. Cet orchestre envié, un groupe à géométrie variable, doit être dans la fosse pendant que les Wiener Philharmoniker, les mêmes, sont en tournée à Shanghaï ou ailleurs, ce qui suppose un planning serré, et plusieurs configurations. Ce qui fait dire aussi aux amateurs qu’il y a un orchestre A, B, ou C et ce qui fait circuler les plus plaisantes histoires sur les remplacements des musiciens par le fils du concierge. Plaisanterie que tout cela, dirait Dominique Meyer, le premier directeur « étranger » à la tête d’une institution au budget confortable, et tellement nationale que le directeur de l’Opéra est aussi célèbre qu’un ministre (sinon plus) et qu’il vit sous le regard d’une presse qui a toujours près d’elle (c’est sa réputation) son sac de peaux de bananes sur lesquelles ont trébuché bien des chefs ou des directeurs.
Ce qui fait Vienne, c’est son système de répertoire – il est ici exploité au maximum – de réserves de productions, montées et démontées en permanence (il suffit de passer derrière la Staatsoper pour voir les camions livrer), peu de répétitions des œuvres au quotidien, à l’exception des nouvelles productions ou des Wiederaufnahmen, les reprises retravaillées, où même quelquefois on fait revenir le metteur en scène (quand il est encore vivant) et où on rafraîchit les décors. C’est ce système qui, mis en cause par certains au nom du niveau artistique, leur a coûté leur place ou au moins de sérieuses sueurs froides, c’est ce système dont Abbado et Drese au départ voulaient la peau, et qui finalement a eu la leur, au sens où les successeurs Holaender et Wächter ont affiché leur attachement très viennois à la tradition immuable de la maison. Avec l’évolution technologique nécessaire, Vienne fonctionne à peu près comme il y a 50 ans, comme il y a 100 ans, comme il y a 150 ans.
Et c’est ce qu’a bien compris Dominique Meyer, dont le soin le plus important consiste à maintenir un niveau artistique moyen des représentations de répertoire défendable, à proposer ça et là des soirées ou ses séries avec des stars qui vont occasionner les queues légendaires pour les Stehplätze, les places debout : celui qui écrit a passé quelques nuits de sa pauvre vie en SDF du lyrique, emmitouflé dans un sac de couchage en plein hiver glacial, ou quelquefois en automne un peu plus doux : Ainsi, à mon époque – je parle des années 80 du siècle dernier – Vienne affichait José Carreras, qui était adulé, la queue pouvait atteindre un ou deux tours du bâtiment. Vienne c’est aussi le petit groupe de fans qui attend systématiquement les chanteurs pour les autographes à la sortie des artistes, une tout petite porte côté Kärtnerstrasse, où j’ai attendu Jones, Bernstein, Nilsson, Caballé, Domingo, Baltsa et d’autres.

Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper
Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper

Quand on parle de Vienne, il faut rappeler ces rituels, ce public à la fois connaisseur et fidèle, très traditionnel et hyper musical. Le public de Vienne n’est pas accroc aux productions (sinon, il n’y aurait plus depuis belle lurette la Tosca de Wallmann ou la Salomé de Boleslaw Barlog (autre monument à la poussière, de 1972, plus récent de 15 ans cependant), mais il est très difficile sur les chanteurs et soucieux des chefs, tout en ayant, comme celui de la Scala d’alors, ses têtes, mais pas les mêmes. Quand Kleiber est venu pour ses derniers Rosenkavalier en 1994, c’était un événement incroyable à voir et à vivre.
Enfin c’est un théâtre qui a gardé ses places debout, qui les préserve même car elles sont un symbole local fort, et pas seulement les place de Stehparterre, à l’endroit le meilleur de la salle, au fond du parterre, à l’acoustique enviable, mais aussi ses places debout de galerie, sur les côtés, sans visibilité ou presque. Il y en a au total plus de 500. Munich a le même culte des places debout – elles sont même à Munich numérotées, pas à Vienne (peut-être le sont elles aujourd’hui ?) En tous cas, à mon époque, c’était la course à la meilleure place : si était dans les 100 premiers de la queue, on achetait son billet, on courait, on se précipitait au Stehparterre, on allait se placer du mieux possible, on faisait un nœud à son écharpe ou son mouchoir attaché à la rambarde pour montrer que la place était occupée, et on allait enfin s’asseoir et boire un café en attendant la représentation. Une vraie culture, que Paris aurait pu faire naître pour un public populaire de jeunes, mais à laquelle il a renoncé, grâce à Nicolas Joel qui a entériné leur suppression (il est vrai que c’était Mortier qui les avait créées, ce qui suffisait sans doute à les condamner). Les places debout, cela veut dire que si vous avez envie d’entendre pour une somme dérisoire l’opéra du soir quel qu’il soit, vous pouvez entrer. J’ai ainsi vu Turandot (Eva Marton- Maazel), Samson et Dalila (Domingo Baltsa Prêtre), Tosca – moi aussi j’y ai eu droit- mais avec Rysanek, Milnes, Carreras, Barbier de Séville, avec Baltsa, et un concert hallucinant, pas d’autre mot, pour l’équivalent de 15 francs de l’époque qui célébrait l’ouverture de la cité des Nations Unies, avec – je peux montrer encore le programme à ceux qui douteraient, Ruza Baldani, Leonie Rysanek, Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Siegfried Jerusalem, René Kollo, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Agnès Baltsa, Sonia Ghazarian, Sherill Milnes, Edita Gruberova, Ruggero Raimondi, Gianfranco Cecchele, Kurt Rydl…
Vienne, c’est ce passé là, c’est une maison qui ne peut être confondue avec le reste des maisons d’opéra, et son programme se regarde avec les nouvelles productions, mais aussi les reprises et le répertoire car on risquerait de perdre la soirée d’opéra de l’année, qui se cache derrière la 588ème Tosca ou la 421ème Bohème (Zeffirelli, 1963, la copie de la production de la Scala).
Sans la question du répertoire, on ne peut lire le travail artistique de Dominique Meyer. Certes, il n’est pas très favorable au Regietheater ni à la mise en scène dramaturgique ou aux « lectures » à la Castorf. Mais une nouvelle production pour Vienne signifie rester à l’affiche une dizaine d’années au minimum et l’expérience montre que certains travaux très contemporains vieillissent très vite. Le répertoire est plutôt l’ennemi des modes, car il faut que les productions à la fois tiennent le coup esthétiquement mais aussi dramatiquement, car le petit nombre de répétitions lors des reprises est l’ennemi de mises en scène trop complexes pour le cas de changements de distribution.
La saison 2016-2017, c’est donc 55 titres différents, dont 5 nouvelles productions seulement (moins qu’en 2015-2016) , mais dont trois titres « lourds »  Parsifal, Il Trovatore, Falstaff,et deux beaucoup plus rares pour Vienne, Armide de Gluck (pour la première fois à Vienne dans la version française et la dernière reprise de la version italienne remonte à 1892) et Pelléas et Mélisande (plus représenté depuis 1991, après 14 représentations distribuées entre 1988 et 991 de la fameuse et sublime mise en scène d’Antoine Vitez).
Même si Munich se rapproche du nombre de titres proposés en un an (Munich est sans doute le théâtre qui se rapproche le plus du modèle viennois), il reste que 55 opéras différents est un record qui demande en terme de logistique, d’organisation technique, de planning et de gestion des distributions des personnels rompus à l’exercice, et surtout une troupe solide d’où émergent de ci de là de futures vedettes, être en troupe à Vienne est un atout pour tout jeune chanteur : notre Natalie Dessay y fut par exemple dans les années 90.

On comprend que dans ces conditions, la « politique artistique » de l’opéra de Vienne soit particulière et d’abord musicale : il s’agit d’assurer un cast solide à chacune des soirées d’opéra), et quelquefois des stars, de garantir la venue de chefs prestigieux quelquefois dans l’année, mais il y a aussi des soirées où la question du chef n’est pas essentielle. Les nouvelles productions devant, comme je l’ai souligné plus, être durables.

Nous allons donc procéder de manière légèrement différente : il ne saurait être question de faire défiler et commenter les 55 titres, nous nous limiterons donc à la liste des titres par auteur : le lecteur y a droit, ne serait-ce que pour mesurer ce qui éloigne Vienne de toutes les autres salle, à la liste des nouvelles productions et des reprises avec disctribution et chefs qui vaudraient le voyage.
De plus le voyageur mélomane trouvera toujours un concert intéressant au Konzerthaus (une très belle salle, moins connue que le fameux Musikverein) ou justement au Musikverein, à trois minutes à pied de l’opéra, mais pourra aller aussi au Theater an der Wien, l’autre salle, en tous points opposée à la Staatsoper, de système stagione, pour des opéras plus (ou moins) rares dans des mises en scènes plus « ouvertes », dans une salle historique (Die Zauberflöte y fut créé) aux dimensions plus réduites. Chaque institution a sa fonction : dans l’une la tradition et l’offre délirante, dans l’autre la « modernité » et une offre restreinte. Sans compter sur la Volksoper, l’opéra populaire en allemand, avec son culte de l’opérette et les quelques autres théâtres musicaux.
Mais le touriste germanophone pourra aussi errer dans les nombreux théâtres de la ville, dont le premier d’entre eux, le Burgtheater, trône comme l’opéra sur le Ring, le boulevard circulaire qui enserre la vieille ville, à quelques centaines de mètres de la Staatsoper (la Haus am Ring, « maison » sur le Ring), en face de l’hôtel de Ville néo-gothique. Autrement dit, tout voyage à Vienne se prépare avec tous les programmes des théâtres et des salles de concert, pour être optimisé.

Les titres proposés (en gras et marqués NP, les nouvelles productions):

BEETHOVEN, Ludwig v. :
(1) Fidelio (Mai/juin 2017)

BELLINI, Vincenzo :
(2) La Sonnambula (Janvier 2017)

 BIZET, Georges :
(3) Carmen (Septembre 2016)

BRITTEN, Benjamin :
(4) Peter Grimes (Décembre 2016)

CHOSTAKOVITCH, Dimitri:
(5) Lady Macbeth de Mzensk (Avril/mai 2017)1

 DEBUSSY Claude :
(6) Pelléas et Mélisande (NP) (Juin 2017)

DONIZETTI, Gaetano :
(7) L’Elisir d’amore (Déc.2016-février 2017-juin 2017)
(8) La Fille du régiment (Septembre 2016)
(9) Don Pasquale (Oct.2016-juin 2017)

GLUCK, Christoph Willibald :
(10) Armide (NP) (Oct.2016)

GOUNOD, Charles :
(11) Faust (Mars 2017)
(12) Roméo et Juliette (Janv./Fév.2017)

 HAENDEL, Georg Friedrich :
(13) Alcina (Octobre 2016)

HUMPERDINCK, Engelbert :
(14) Haensel und Gretel (Déc. 2016/Janv.2017)

JANÁČEK, Leos :
(15) Katjá Kabanová (Avril 2017)

KORNGOLD, Erich Wolfgang :
(16) Die tote Stadt (Janvier 2017)

MASSENET, Jules :
(17) Manon (Novembre 2016)
(18) Werther (Mars/avril 2017)

 MOZART, Wolfgang Amadé :
(19) Die Zauberflöte (Décembre 2016)
(20) Die Zauberflöte für Kinder (Février 2017) (pour les enfants)
(21) Le Nozze di Figaro (Oct.2016/avril-mai 2017)
(22) Don Giovanni (Janvier 2017-mars 2017)

PUCCINI, Giacomo :
(23) Madama Butterfly (Septembre 2016)
(24) La Bohème (Novembre 2016)
(25) La Fanciulla del West (Nov./Déc.2016 – Janvier 2017)
(26) Tosca (Oct.2016 – Janvier/fév.2017 – Mai 2017)
(27) Turandot (Sept.2016- Fév./mars 2017)

REIMANN, Aribert :
(28) Medea (Avril 2017)

ROSSINI, Gioacchino :
(29) Il barbiere di Siviglia (Nov./Déc. 2016)
(30) La Cenerentola (Novembre 2016)
(31) L’italiana in Algeri (Mars/avril 2017)

STRAUß, Johann :
(32)Die Fledermaus (Décembre 2016/janvier 2017)

STRAUSS, Richard :
(33) Arabella (Mars 2017)
(34) Der Rosenkavalier (Mai/juin 2017)
(35) Elektra (Juin 2017)
(36) Salomé (Sept.2016 -Janvier/Févr.2017)

TCHAÏKOVSKI, Piotr Ilitch :
(37) Eugène Onéguine (Mai 2017)

VERDI Giuseppe :
(38) Aida (Sept/Oct 2016)
(39) Simon Boccanegra (Sept/oct.2016)
(40) La Traviata (Nov/déc.2016)
(41) Macbeth (Décembre 2016)
(42) Falstaff (NP) (Décembre 2016)
(43) Nabucco (Février 2017)
(44) Il Trovatore (NP) (Février 2017)
(45) Otello (Février 2017)
(46) Un ballo in maschera (Avril 2017)
(47) Don Carlo (Juin 2017)
(48) Rigoletto (Juin 2017)

WAGNER Richard :
(49) Lohengrin (Sept.2016)
(50) Tristan und Isolde (Mars 2017)
Der Ring des Nibelungen :
(51) Das Rheingold (Avril/mai 2017)
(52) Die Walküre(Mai 2017)
(53) Siegfried (Mai 2017)
(54) Die Götterdämmerung (Mai/juin 2017)
(55) Parsifal (NP) (Mars/avril 2017)

 

Quelques remarques sur cette liste impressionnante :

  • D’une part, et c’est l’effet Meyer, c’est une liste de titres assez diversifiés. Certes on trouve beaucoup de Verdi et de Wagner (dont le Ring) en nombre, qui restent un fond de commerce essentiel dans le système de répertoire, ainsi que l’essentiel de Puccini, mais aussi bien Mozart que Strauss, sur lesquels cette maison a aussi construit sa gloire sont présents sans être en nombre important. En revanche, on trouve des auteurs assez divers (Korngold, Massenet, Chostakovitch, Tchaïkovski, Britten, Janáček, Reimann) et donc une palette de titres assez large, même si les œuvres plus contemporaines (Reimann excepté) restent absentes.
  • Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
    Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

    On retrouve des productions anciennes, qui ont marqué cette maison, et notamment Madama Butterfly (1957 !) de Josef Gielen, Carmen (1978) et La Bohème (1963) de Zeffirelli, la fameuse Tosca de Wallman (1958), Der Rosenkavalier (1968), Fidelio (1970) et Die Fledermaus (1979) d’Otto Schenk, Salomé (1972) de Boleslaw Barlog, L’Italiana in Algeri (1987) de Jean-Pierre Ponnelle (reprise de la Scala) ou Il Barbiere di Siviglia (1966, retravaillée en 1986 et 2006) de Günther Rennert. Même si le lecteur connaît mon goût pour le Regietheater et un théâtre très contemporain, je défends le maintien au répertoire de certaines mises en scène qui témoignent d’une époque, pour des titres où souvent les nouvelles productions n’inventent rien de plus (combien de La Bohème inutiles et répétitives : quand on a Zeffirelli au répertoire, et cette réussite là, autant la conserver !) et c’est la même chose pour les productions d’Otto Schenk, ou la Tosca. Il y a de grandes mises en scène qui n’ont pas d’âge car elles marquent une sorte de permanence, une sorte de manière de faire presque immémoriale qui a marqué les mémoires. Très honnêtement, entre la production de Tosca de Luc Bondy (2009) qu’on a vu sur toutes les scènes et celle de Wallmann (1958) créée par Karajan et Tebaldi, il n’y a pas d’abyssales différences. En revanche, il serait peut-être temps de mettre au musée après 60 ans de bons et loyaux services la Butterfly de Josef Gielen (créée sous la baguette de Dimitri Mitropoulos…en 1957)

  • Peu de productions « révolutionnaires » ou marquantes, mais essentiellement de la grande série, modernisante ou non, comme Marco Arturo Marelli, Christine Mielitz, Gianfranco De Bosio, Nicolas Joel, Sven Eric Bechtolf, Daniele Abbado, Matthias Hartmann, avec certains metteurs en scène pour mon goût plus discutables comme Günter Krämer ou Uwe Erik Laufenberg, les plus ouvertes des productions sont signées Andreas Homoki, Jürgen Flimm, Andrei Serban, Irina Brook, Adrian Noble, Peter Stein, Falk Richter, Jean-François Sivadier, Willy Decker ou Caurier/Leiser, André Engel et Jean-Louis Martinoty, avec d’ailleurs des fortunes diverses.
  • A ces titres il faut rajouter les soirées de ballet (incluses dans les 300 soirées): Dominique Meyer en arrivant à Vienne avait emmené Manuel Legris dans ses bagages, pour redonner du lustre à cette école historique de la danse classique.

Ainsi, les nouvelles productions 2016-2017 sont :

ARMIDE de C.W.Gluck : 5 représentations du 5 au 29 octobre 2016
La première des Premières de la saison 2016-2017, qui est une vraie Première puisque l’œuvre n’a jamais été représentée en français à Vienne, confiée à la baguette de Marc Minkowski (qui dirigera aussi Alcina de Haendel pendant la même période) avec une distribution où la remarquable Gaëlle Arquez sera Armide, tandis que Stanislas de Barbeyrac sera Renaud. Ils seront entourés de Paolo Rumetz, Gabriel Bermúdez, baryton et le ténor Jinxu Xiahou, qui sont membres de la troupe.
Je ne suis pas un grand fan de Marc Minkowski, mais c’est un spécialiste reconnu de ce répertoire ; j’ai encore plus de réserves sur le choix d’Ivan Alexandre à la mise en scène : c’est un très bon journaliste musical, mais ce que j’ai vu de lui (Hippolyte et Aricie, Orphée et Eurydice) est certes élégant voire esthétisant, mais est loin de m’avoir convaincu au niveau dramaturgique, il sera entouré du décorateur Pierre André Weitz, et de Bertrand Killy aux lumières tous deux compagnons de route d’Olivier Py.

FALSTAFF, de G.Verdi : 5 représentations du 4 au 15 décembre 2016
Curieusement le chef d’œuvre de Verdi fait son apparition à Vienne grâce à Karajan en 1957, c’est ensuite Bernstein qui dirige la production suivante (Luchino Visconti). En 1980, c’est Georg Solti qui dirige la production de Filippo Sanjust, restée au répertoire jusqu’en 1993 (et dirigée alors par Ozawa). Une dernière production (Marelli) née en 2003 dont la dernière représentation remonte à 2011 et depuis, aucune représentation de Falstaff, ce qui du moins  confirme que l’opéra de Verdi n’est pas vraiment un opéra de répertoire, nécessaire chaque année mais exige un chef et des protagonistes de toute première importance.
C’est le choix fait pour cette nouvelle production qui s’imposait. Zubin Mehta, un des derniers grands verdiens, un des chefs d’envergure de ce temps pour l’opéra, montera au pupitre, tandis que David McVicar signera la production, dont on peut attendre une modernité sans risque, mais un travail solide. Pas de risque non plus dans la distribution où Ambrogio Maestri qui promène son Falstaff dans le monde entier sera donc de nouveau Falstaff, face au Ford de Ludovic Tézier et au Fenton de l’excellent Paolo Fanale, distribution masculine exceptionnelle, tandis que du côté féminin Alice Ford sera Carmen Giannatasio, avec la Ms Quickly désopilante (et de référence) de Marie-Nicole Lemieux. Une nouvelle production au vrai relief.

IL TROVATORE, de G.Verdi : 5 représentations du 5 au 18 février 2017
De 1963 à 1991, c’est la production Karajan (décors de Teo Otto) qui reste au répertoire, et la suivante (dont la première est dirigée par Zubin Mehta) est confiée au hongrois Istvan Szábó, dont la dernière remonte à 2001. On est quelquefois surpris de voir que des titres qui semblent être des piliers du répertoire ne sont pas si fréquents à Vienne.
Une nouvelle production s’impose donc, et c’est à Daniele Abbado qu’elle est confiée, qui a aussi signé la production actuelle de Don Carlo (vers.it). Daniele Abbado, bon connaisseur de Verdi (il a de qui tenir), est un artiste de qualité, qui jusqu’ici n’a rien produit de mémorable, mais qui conçoit  des spectacles bien faits qui ne dérangent pas le public. Exactement le type de spectacle qui peut durer. La direction musicale est assurée par Marco Armiliato, un bon chef de répertoire, et la distribution comprend Ludovic Tézier dans Luna, Roberto Alagna dans Manrico, Anna Netrebko dans Leonora, et Luciana d’Intino dans Azucena. Avec pareil quatuor, le public viendra, et c’est l’essentiel. Il reste qu’artistiquement cette production n’est pas vraiment excitante pour mon goût. Quand retrouvera-t-on dans les générations plus jeunes des chefs incontestables pour Verdi et, plus difficile encore, des metteurs en scène marquants ?

PARSIFAL, de R.Wagner, 6 représentations du 30 mars au 16 avril 2017
La production de 2004 de Christine Mielitz a fait semble-t-il son temps après un peu moins de 50 représentations, la précédente née en 1979 (d’August Everding) en avait eu 74. Sans doute Dominique Meyer tient-il pendant son mandat a proposer une nouvelle production, qu’il a confiée à Alvis Hermanis, bien connu désormais, d’un modernisme modéré, mais qui a su déchaîner les passions à Paris pour sa Damnation de Faust martienne. Gageons que son Parsifal passera la rampe sans notables réactions (sinon sans doute les hueurs traditionnels lors des Premières), comme ses Soldaten ou son Gawain à Salzbourg. Son théâtre ne m’intéresse pas vraiment, mais c’est musicalement que la production m’apparaît sans doute plus intéressante, puisque Semyon Bychkov dirigera l’orchestre – un très bon chef – et que la distribution comprend Nina Stemme (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Hans Peter König (Gurnemanz) et Gerald Finley (Amfortas), une distribution qui attirera évidemment la gent wagnéro-stemmolâtre, puisque la cantatrice suédoise se confrontera à ce rôle symbolique entre tous. Nul doute que les réseaux sociaux en feront non un opéra de Wagner, mais un concerto pour Stemme et tutti.

PELLÉAS ET MÉLISANDE, de Cl.Debussy, 5 représentations du 18 au 30 juin 2017
Depuis longtemps, sans doute depuis la production Martinoty-Haitink du théâtre des Champs Elysées, Dominique Meyer méditait un Pelléas et Mélisande à Vienne,  puisque la dernière représentation remontait à 1991 à Vienne. Peu de productions du chef d’œuvre de Debussy à Vienne, mais quels chefs : Bruno Walter pour l’entrée au répertoire en 1911 (en allemand), Karajan pour la première grande reprise et production (de Karajan lui-même) en 1962 (entre deux, une tournée de l’opéra de Cologne pour 1 représentation en 1928 et 3 représentations en 1946 à la sortie de la guerre, sans doute financée par la France, avec Roger Désormières au pupitre et Irène Joachim en Mélisande), et de 1988 à 1991 Claudio Abbado et Antoine Vitez, production des adieux à la Scala (1986) qu’Abbado avait fait venir à Vienne (14 représentations) et qui ira ensuite à Londres en 1993 (après la mort de Vitez).
La direction musicale est confiée à Alain Altinoglu (qui dirige l’œuvre dans les prochains jours -8 mai 2016- à Zürich), avec une distribution non francophone, qui ne doit pas étonner : pourquoi toujours confier à des français un tel chef d’œuvre, il faut au contraire que les chanteurs non francophones puissent s’en emparer : ainsi Benjamin Bruns, qu’on sait excellent, sera Pelléas, et la jeune Olga Bezsmertna, membre de la troupe, sera Mélisande, tandis que Golaud sera Simon Keenlyside après avoir été un inoubliable Pelléas (que j’avais vu à Genève) Arkel sera le grand Franz-Josef Selig et Geneviève, Bernarda Fink.
C’est la question de la mise en scène qui me paraît plus que décevante. Voilà une œuvre qui a Vienne a été défendue par des grands, voire des légendes. Aller chercher Marco Arturo Marelli, certes un habitué de Vienne (11 productions depuis les années 90), mais un metteur en scène sans génie ni sans grand intérêt me paraît problématique : une œuvre aussi importante si peu représentée à Vienne avait besoin d’un grand metteur en scène d’aujourd’hui. Ou alors, puisque c’est la mode (à Lyon, à Salzbourg Pâques) de remonter des productions disparues, pourquoi ne pas avoir repris la production Vitez, qui avait seulement 14 représentations à Vienne, qui est sans doute la plus belle production de cet opéra depuis une quarantaine d’années. Des décors peints sur toile, peu d’éléments construits ou lourds, et surtout Yannis Kokkos le décorateur est encore bien vivant ainsi que Lorenzo Mariani, qui l’avait reprise à Londres après la mort de Vitez et qui n’est pas l’un des pires metteurs en scène italiens. Quel manager de théâtre osera remettre cette production dans le circuit d’aujourd’hui, qui est non seulement une magnifique production, et qui surtout, j’en suis sûr pour l’avoir vue quatre fois, n’est pas de ces productions qui vieillissent, parce qu’elle est d’abord évocatoire et poétique. Enfin, cela permettrait de rappeler qui était Vitez, un peu oublié aujourd’hui du public et de la critique alors qu’il a été essentiel dans la vie du théâtre en France. Dans un théâtre qui fait survivre des productions de 60 ans d’âge, on peut imaginer que celle là, qui en a la moitié, n’a été représentée que 14 fois à Vienne, aurait mérité qu’on s’en souvienne.

Avant de clore cette très longue présentation, mais Vienne le mérite, quelques représentations ou distributions à voir dans les reprises de répertoire en 2016-2017 : chaque représentation (ou presque) comprend un motif d’intérêt, mais certaines sont plus stimulantes que d’autres :

 

DER RING DES NIBELUNGEN de R.Wagner
Deux cycles complets du Ring entre le 30 avril et le 3 juin, dans la mise en scène sans génie ni excès de Sven Erik Bechtolf, dirigé par Peter Schneider, dont la réputation chez les wagnériens est souvent injuste, tant il a sauvé de spectacles à Bayreuth et ailleurs, dont le Tristan de Marthaler et dont le Ring de Solti à partir de 1984: c’est un chef remarquable, un Kapellmeister solide de toute confiance.
La distribution évidemment attire:
Bryn Terfel (Wotan) Okka von der Damerau (Erda) Mihoko Fujimura (Fricka) Ain Anger/Yongmin Park(Hunding), Robert Dean Smith (Siegmund), Camilla Nylund (Sieglinde). Stefan Vinke (Siegfried) Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Falk Struckman (Hagen), Waltraud Meier (Waltraute) et Brünnhilde sera Petra Lang, qui sait être remarquable les bons soirs…
Ceux qui n’ont pas entendu Bryn Terfel doivent faire le voyage, tant son Wotan est extraordinaire, et puis Waltraud Meier, même pour vingt minutes, est toujours un cadeau.

LOHENGRIN, de R.Wagner, 4 représentations du 5 au 18 septembre 2016
La mise en scène « bavaroise » de Andreas Homoki que se partagent Vienne et Zürich, sous la direction de Yannick Nézet Séguin (pour les trois premières représentations, la quatrième étant dirigée par Graeme jenkins) est incontestablement digne d’intérêt, d’autant qu’elle est portée par Klaus Florian Vogt, irremplaçable dans Lohengrin, et Ricarda Merbeth (Elsa), Petra Lang (Ortrud), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Tomasz Koniezcny (Telramund); même s’il est à craindre plus un concours de décibels que d’ineffables raffinements du côté des dames, les messieurs constituent un trio de choix…Mais ici, c’est vraiment le chef canadien qui excite la curiosité.

Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

DER ROSENKAVALIER, de R.Strauss, 5 représentations du 23 mai au 3 juin 2017
L’occasion de voir la version viennoise de la mise en scène d’Otto Schenk (celle de Munich est différente) et de découvrir le jeune chef autrichien Sascha Goetzel que Dominique Meyer distribue relativement fréquemment. En l’absence de Franz Welser Möst, il y a peu de chefs autrichiens et il est intéressant de connaître la nouvelle génération. Une distribution carrée et solide, Angela Denoke (Marschallin), Sophie Koch (Octavian), Daniela Fally (Sophie) Peter Rose (Ochs).

DIE TOTE STADT, de E.W.Korngold, 4 représentations en janvier du 9 au 20 janvier 2017.
Sans considération pour le chef ou la distribution, il faudrait aller à toutes les représentations proposées par les théâtres de ce répertoire ou de ces auteurs que la période nazie a détruits, et Die tote Stadt est l’une de ces œuvres clefs de la période, au succès phénoménal d’ailleurs dès sa création en 1920.
Pour la reprise viennoise, la curiosité devrait être stimulée par le chef, Mikko Franck, qu’on connaît bien désormais, et par une distribution magnifique : Camilla Nylund (Marietta..), Klaus Florian Vogt (Paul), Adrian Eröd (Frank/Fritz..) . La production est signée Willy Decker, garantie d’intelligence.

Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper
Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper

DON CARLO, de G.Verdi, 4 représentations du 2 au 21 juin 2017
La production passe partout de Daniele Abbado (la production locale de Don Carlos en version française de Peter Konwitschny est plus forte) est reprise sous la direction de Myung-Whun Chung, assez rare à l’opéra et donc intéressant, dans une distribution très solide, indispensable pour l’ouvrage de Verdi : Ferruccio Furlanetto sera Filippo II. La basse italienne est toujours passionnante dans ce rôle, et mérite le détour, Ramón Vargas Don Carlo, Placido Domingo sera Rodrigo, la suavité de son timbre devrait faire merveille dans ce rôle d’une humanité déchirante. Krassimira Stoyanova sera Elisabetta et Elena Zhidkova Eboli, deux voix somptueuses. Gageons qu’il ne sera pas facile d’avoir des places, à cause de Placido.

DON GIOVANNI, de W.A.Mozart, les 23, 26, 29 janvier et les 2, 5, 9 mars 2017
Deux distributions très différentes de janvier à mars; plus jeune (s’appuyant sur la troupe) en mars,  le tout dirigé par l’excellent Adam Fischer, un des chefs les plus réguliers et les plus solides des grands chefs d’opéra, dans la production de Jean-Louis Martinoty, à qui Dominique Meyer avait confié deux grands Mozart dès son entrée en fonction.
– En janvier, Simon Keenlyside (Don Giovanni), Irina Lungu (Donna Anna), Benjamin Bruns (Don Ottavio), Dorothea Röschmann (Donna Elvira) et Erwin Schrott (Leporello)
– En mars, Adam Plachetka (Don Giovanni), pur produit de la maison, découvert à partir d’un remplacement et fait une jolie  carrière depuis, Albina Shagimuratova (Donna Anna), Saimir Pirgu (Don Ottavio), Olga Bezsmertna (Donna Elvira) et Jongmin Park (Leporello).
Un Mozart à Vienne s’impose évidemment.

ELEKTRA, de R.Strauss, 3 représentations les 19, 23, 26 juin 2017
L’excellent chef Michael Boder, trop peu connu du public (il fut pourtant directeur musical du Liceo de Barcelone) reprend la mise en scène assez critiquée de Uwe Eric Laufenberg. Stemmolâtres et Meierolâtres au rendez-vous avec une Chrysothemis issue de la troupe, nouvelle venue sur le marché (étroit) des Chrysothémis, Regine Hangler et l’Orest du vétéran Alan Held.

Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

FIDELIO de L.v.Beethoven, 4 représentations du 24 mai au 2 juin 2017
La mise en scène vénérable d’Otto Schenk avec au pupitre le talentueux Cornelius Meister, et sur la scène Albert Dohmen (Pizzaro), Peter Seiffert (Florestan), Camille Nylund (Leonore), Günther Groissböck (Rocco). Ce devrait être intéressant si vous passez par Vienne à ce moment.

KÁTJA KABANOVÁ, de L.Janáček 4 représentations du 18 au 27 avril
La belle mise en scène d’André Engel, la direction musicale idiomatique de Tomáš Netopil avec une distribution enviable dominée par Angela Denoke et avec toujours, la magnifique Jane Henschel dans Kabanicha, et Misha Didyk dans Boris. Une reprise stimulante.

La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper
La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper

LA FANCIULLA DEL WEST, de G.Puccini, 4 représentations du 27 novembre au 6 décembre 2016, et 4 représentations du 11 au 21 janvier 2017
La mise en scène de Marco Arturo Marelli, et, en 2016, la direction de Mikko Franck avec Eva Maria Westbroek, Tomasz Koniezcny et José Cura tandis qu’en janvier 2017 ce sera une autre équipe, Marco Armiliato au pupitre, Emily Magee, Andezej Dobber et Aleksandr Antonenko.

LADY MACBETH DE MZENSK, de D.Chostakovitch, du 22 avril au 3 mai 2017
C’est moins la mise en scène de Matthias Hartmann qui est ici digne d’intérêt que la direction d‘Ingo Metzmacher qui se fera la main à Vienne avant de commencer les répétitions munichoises, avec Eva-Maria Westbroek, Wolfgang Bankl et Brandon Jovanovich.

MEDEA, d’A.Reimann, 4 représentations du 7 au 19 avril 2017
Michael Boder dirige, Marco Arturo Marelli met en scène et Marlis Petersen et Adrian Eröd sont Medea et Jason pour cette reprise de l’opéra créé à Vienne avec succès en 2010. Le seul opéra contemporain de la saison.

PETER GRIMES de B.Britten, 4 représentations du 13 au 21 décembre 2016.
La mise en scène de Christine Mielitz (Moui), la direction musicale de Graeme Jenkins et la passionnante distribution dominée par le Peter Grimes de Stephen Gould, l’Ellen Orford d’Elza van der Heever, et le Balstrode de Brian Mullighan

ROMÉO ET JULIETTE, de Ch.Gounod, 4 représentations du 22 janvier au 1er févrierL’increvable Placido Domingo dans la fosse comme chef de ce Roméo et Juliette (mise en scène intéressante de Jürgen Flimm) avec la jeune et prometteuse Aida Garifullina en Juliette aux côtés du Roméo de Juan Diego Flórez en train de basculer du bel canto au post romantisme. Il suffit de prononcer Domingo/Florez pour que la queue des places debout se forme déjà…

Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper
Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper

TOSCA, de G.Puccini, du 7 au 13 oct 2016, du 31 janv.au 3 février, du 5 au 11 mai 2017
De l’art de remplir la salle à coup sûr toute l’année, un jour pour Tosca, un autre pour le chef, un troisième pour Mario…
Octobre : Mikko Franck (dir.mus), Anja Harteros, Jorge de Leon, Marco Vratogna
Janv/févr : Placido Domingo (dir.mus), Adrianne Pieczonka, Aleksandr Antonenko, Thomas Hampson
Mai : Eivind Gullberg Jensen (dir.mus), Jonas Kaufmann, Angela Gheorghiu, Marco Vratogna

Sans commentaires…

TRISTAN UND ISOLDE, de R.Wagner, 3 représentations du 12 au 19 mars 2017
La production de David McVicar, sans histoires ni problèmes, et même esthétique, la direction de Mikko Franck, que Dominique Meyer apprécie, et une distribution solide à la Bayreuth (encore mieux peut-être ?), avec Petra Lang en Isolde (elle sera entrée dans la ronde depuis son apparition estivale à Bayreuth), Sophie Koch en Brangäne, Stephen Gould en Tristan, Matthias Goerne en Kurwenal et Kwangchul Youn en Marke.

WERTHER de J.Massenet du 26 mars au 3 avril 2017 (4 représentations)
La mise en scène un peu vieillie d’Andrei Serban, Frédéric Chaslin au pupitre qu’on voit plus à Vienne qu’en France, et une rareté, la version pour baryton qui voit Ludovic Tézier en Werther, Sophie Koch en Charlotte et Adrian Eröd en Albert. Belle distribution. Vraie curiosité pour le public viennois qui a vu depuis 1986 tous les grands ténors défiler dans le rôle, mais pas un seul baryton.
Et aussi…
Un Elisir d’amore avec Rolando Villazon et Bryn Terfel dirigé par Guillermo Garcia Calvo, un Eugène Onéguine avec Pavol Breslik et Christopher Maltman, dans la belle mise en scène de Falk Richter et sous la direction du très bon Patrick Lange, une Cenerentola avec Pertusi, mais aussi les excellents Alessio Arduini et Maxim Mironov, une Fille du régiment avec notre Julie Fuchs (et Pido’ dans la fosse), une Sonnambula avec Daniela Fally, Luca Pisaroni et Juan Diego Flórez, le tout dirigé par Guillermo Garcia Calvo., une Traviata avec Marina Rebeca, Charles Castronovo et Dmitri Hvorostovski dans la mise en scène de Jean-François Sivadier, ou Marianne Crebassa Cherubino des Nozze di Figaro dirigé par Cornelius Meister aux côtés du Figaro d’Alessio Arduini, Simon Keenlyside dans Macbeth de Verdi aux côtés de Martina Serafin, Kristine Opolais en Butterfly, Marlis Petersen et Jean-François Borras dans la Manon de Massenet (dir.Frédéric Chaslin), Véronique Gens sera Desdemona dans Otello dirigé par Marco Armiliato (Seiffert et Carlos Alvarez), Matthias Goerne en Jochannan de Salomé (Dir.Altinoglu), Dmitri Hvorostovski en Boccanegra, Piotr Beczala en Gustave III du Bal masqué.
Et aussi…quelques soirées ou productions sans grand intérêt.

Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper
Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper

Comme on le voit, au grand supermarché du lyrique, on est tantôt chez Fauchon, tantôt chez Monoprix, mais jamais chez Lidl ou Leader Price. L’amateur de voix auquel ce type de programmation s’adresse, devrait y trouver son bonheur, l’amateur de chefs quelquefois, l’amateur de mises en scène et de théâtre assez rarement. Mais j’ai tenu à être détaillé sur la programmation d’une maison qui a un côté immuable assez séduisant finalement. On ne verrait pas Vienne, vieille Dame d’une ville de mémoire de souvenirs et de nostalgie, changer de couleur. Vienne n’est ni Munich ni Berlin ni Amsterdam.
Alors vous ferez bien un tour à Vienne, n’est-ce pas, il y a toujours quelque chose à voir…et si vous ne pouvez pas y aller, il reste le streaming, très bien fait sur le site de la Wiener Staatsoper, un des sites les plus clairs qu’on puisse trouver. [wpsr_facebook]

Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper
Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper

LUCERNE FESTIVAL 2015: WIENER PHILHARMONIKER dirigés par Semyon BYCHKOV le 12 SEPTEMBRE 2015 (HAYDN, WAGNER, BRAHMS) avec Elisabeth KULMAN, Mezzo-soprano

Wiener Phil.et SemyoN Bychkov ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL
Wiener Phil.et SemyoN Bychkov ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL

Dès le premier accord de la Symphonie de Haydn nous saisit une évidence : quel son ! cela saute d’autant plus aux oreilles qu’on a encore le son du San Francisco Symphony Orchestra de la veille, beaucoup plus linéaire et sans cet incroyable relief. Ici on est saisi. On avait donc oublié cette profondeur, cette chaleur, cette grandeur alors que les viennois sont en formation réduite (Haydn). L’acoustique de Lucerne est à la fois précise et chaleureuse, réverbérante mais pas trop, elle est un idéal d’équilibre et respecte les volumes et l’intensité, et donc quel que soit l’orchestre elle est fidèle. Ici, le son respire et s’épanche : on est immédiatement sur une autre planète. Il faudrait vraiment étudier les différences en bien comme en moins bien entre les orchestres américains et les orchestres européens, et notamment ceux qui portent une tradition séculaire. Y-a-t-il en dépit des différences entre les orchestres un son européen spécifique?
En tous cas, ce son est une captatio benevolentiae. Un piège à délices. Et ce soir, on s’adonnera d’abord à cette jouissance-là, à la jouissance d’un orchestre en très grande forme, sans aucune scorie (les Wiener sont quelquefois irréguliers).
À dire vrai, je ne suis pas un auditeur régulier de Semyon Bychkov, ma dernière expérience fut cette belle Khovantchina viennoise (avec les mêmes musiciens donc) en novembre dernier, mais je dois dire que Bychkov ne m’a jamais ni enthousiasmé ni déçu. Il est très aimé en Italie depuis son passage à Florence, son passage pourtant intéressant jadis à l’Orchestre de Paris n’a pas marqué les mémoires, mais sa carrière est solide et ses prestations ne sont jamais décevantes, même si elles ne sont pas toujours « caractérisées » par des traits spécifiques. Il reste que c’est un excellent chef d’opéra, aussi bien dans Verdi que dans Strauss, mais aussi dans Schubert (Fierrabras) ou dans le répertoire russe, son répertoire atavique puisqu’il a été formé à Leningrad et qu’il a même failli succéder à Mravinski au Phiharmonique de Leningrad.
Il n’a pas en ce moment d’orchestre attitré, mais il dirige cet été les Wiener Philharmoniker dans une tournée qui va l’amener après Lucerne à Bucarest pour se terminer à Vienne.

Haydn a été beaucoup joué cet été à Lucerne, mais la symphonie funèbre (Trauersymphonie, le nom ne vient pas de Haydn) I :44 (1770/71) est-elle vraiment avec son début particulièrement grave une parfaite illustration de la thématique « Humor » du Festival ? Considérée comme une œuvre du Sturm und Drang, le début est particulièrement grave et solennel tandis que le deuxième mouvement est plus dansant (menuet) et que l’adagio est situé en troisième mouvement. Le premier mouvement avec ses contrastes marqués de volume, son relief, est évidemment typique de la période et l’expressivité de sa musique illustre peut-être un moment où Haydn fréquentait un peu plus l’opéra. On dit qu’il exprima le désir que le mouvement lent (le troisième, et c’est inhabituel) soit joué à ses funérailles. Le mouvement dansant, avec sa couleur de cour, tranche un peu avec la gravité de l’ensemble qu’on retrouve au dernier mouvement.
Mηδὲν ἄγαν, rien de trop, voilà ce qui marque dans ce que nous avons entendu. Bychkov soigne les couleurs, les équilibres, mais ne charge aucun moment : cela reste un peu distancié, très attentif et parfaitement en place. Mais pas très inventif, les contradictions relatives entre les mouvements, qui eussent pu être tirées vers l’humour noir en lien avec le thème du festival ne sont pas vraiment marquées. C’est une performance très équilibrée, parfaitement classique, mais ni Sturm, ni Drang. Comme c’est parfaitement joué, avec des violons à se damner emporté par le remarquable Rainer Honeck on y prend un grand plaisir, mais c’est un plaisir hic et nunc qu’on n’emmènera pas avec soi dans l’armoire à souvenirs. Souplesse, fluidité, perfection des lignes, pureté du son, on ne sait que privilégier. C’est le pur plaisir de l’oreille dans une interprétation sage qui ne vibre pas, mais qui calme notre soif de beaux sons et de plaisirs immédiats.

Elisabeth Kulman et Semyon Bychkov dans Wesendonck Lieder, Lucerne le 12 août ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL
Elisabeth Kulman et Semyon Bychkov dans Wesendonck Lieder, Lucerne le 12 août ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL

Il en va autrement pour les Wesendonck Lieder, chantés par Elisabeth Kulman.
Je me souviens avoir découvert cette chanteuse il y a quelques années à l’occasion de la retransmission télévisée de l’Anna Bolena de Vienne (Netrebko/Garanca) où elle chantait le petit rôle de Smeton.
Immédiatement j’ai été attiré par son beau mezzo, et par une pose de voix qui m’a frappé : je me suis dit immédiatement, voilà une voix qu’il faut suivre.
D’où ce que j’écrivais à l’époque (2010) dans ce blog : La surprise de la soirée vient de l’extraordinaire page Smeton de la jeune Elisabeth Kulman, mezzo autrichien qui devrait être promise aux plus hauts sommets du Panthéon lyrique: il ne faut pas la rater si elle passe en France, elle est stupéfiante d’engagement scénique, d’intensité, de technique, de volume (autant qu’on en puisse juger à la TV). C’est une Carmen évidente (elle l’a à son répertoire), mais elle doit être une Vénus de Tannhäuser assez étonnante. Chacune de ses apparitions (le rôle est assez bref) fut vraiment un magnifique moment. Je l’ai ensuite essentiellement entendue dans Fricka, à Lucerne d’abord (avec le Bamberger Symphoniker et Jonathan Nott), puis à Munich dans la production de Kriegenburg. Elle est tout simplement et de loin la meilleure Fricka actuelle.
Ce qui frappe chez Elisabeth Kulman, c’est d’abord une impeccable diction, aucun mot n’échappe, tout est d’une clarté évidente, c’est ensuite une voix d’une rare homogénéité, charnue, sans ruptures, avec des passages impeccables et une ligne de chant exceptionnelle, ainsi qu’une capacité à contrôler les aigus, pour les filer, pour les atténuer, ou à l’inverse pour les darder.
Mais c’est surtout une véritable interprète, avec un sens du mot et une capacité à dessiner un univers qui rend la rencontre de ce soir vraiment exceptionnelle : il faut l’entendre dès Der Engel, appuyer sur von Engeln sagen, ou plus avant saisir la manière dont elle prononce niederschwebt. Il faut aussi entendre la sensibilité avec laquelle elle prononce versinken à la fin de Stehe still ! ou encore dans Im Treibhaus dont la musique est celle du début de l’acte III de Tristan, cette musique sombre et tendue, j’ai rarement entendu si intensément prononcer Luft (Malet Zeichen in die Luft) et süsser Duft. Il y a la douceur du mot lui même, il y a aussi le souffle qui passe, comme quelque chose de léger et d’aérien, tout comme ce Gruft final de Träume (avec cette musique sublime de l’acte II de Tristan) qui évoque presque une mort heureuse et apaisée (et je ne parle même pas de Allvergessen, Eingedenken dits avec une imperceptible respiration entre les deux, qui donne en même temps une vraie urgence).
À cette voix somptueuse correspond un orchestre à ce moment phénoménal : on ne sait que retenir, de l’alto sur schweben dans Im Treibhaus, ou le hautbois dans Stehe still ! Les instruments chantent avec la voix, dans une sorte d’émulation qui naît évidemment de mutuelles perfections. Et Bychkov, sans jamais « en rajouter », en restant d’une impeccable sobriété, accompagne en vrai chef d’opéra, attentif à la voix, aux inflexions, dosant le volume pour ne jamais couvrir. C’est bien là le sommet de la soirée.
Wagner, toujours Wagner…
La dernière fois qu’on a entendu à Lucerne la 3ème symphonie de Brahms, c’était en 2014 avec le LFO et Nelsons remplaçant Abbado qui aurait dû la diriger si hélas, le destin n’en avait décidé autrement.

Wiener Philharmoniker Semyon Bychkov ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL
Wiener Philharmoniker Semyon Bychkov ici dans Haydn ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL

On ne revient pas sur l’orchestre qui est ce soir vraiment fabuleux, avec un son d’une clarté et d’un éclat particuliers : avec Brahms, il sonne dans son répertoire atavique. Bychkov, comme dans Haydn, approche l’œuvre d’une manière assez « classique » avec une certaine lenteur, sinon une certaine gravité. La 3ème n’est pas la plus brillante ni la plus énergique des quatre symphonies de Brahms, et Bychkov, sans jamais insister et en travaillant sur la perfection des équilibres et des volumes, propose une symphonie d’une grande clarté, avec des rythmes marqués sans nuire toutefois à la fluidité d’ensemble, mettant en valeur les pupitres (contrebasses au premier mouvement, la clarinette au début second mouvement). Le troisième mouvement plus lyrique et à la fois plus mélancolique, qui a été repris par de nombreux chanteurs populaires dont Gainsbourg, reste tout de même lui aussi assez retenu, avec un tempo lent, sans jamais se « laisser aller » complaisamment à la mélodie, d’une manière presque pudique. Cette retenue est encore plus nette dans le quatrième mouvement à la tonalité plutôt sombre et inquiétante malgré le caractère intense et passionné de l’ensemble. Bychkov préfère visiblement insister sur le caractère mélancolique, sans jamais en exagérer cependant la portée. Cela reste équilibré et réservé. Mais certains moments de ce quatrième mouvement sont tout simplement prodigieux à l’orchestre comme les crescendos de la (longue) coda avant de se terminer sur des rappels du 1er mouvement mais sur une couleur moins éclatante, plus grise, encore plus réservée, qui clôt de manière surprenante la symphonie. C’est bien cette couleur un peu retenue qui semble intéresser Bychkov sur l’ensemble de la symphonie d’où tout vrai brio est évité, au profit d’une réserve et d’un équilibre qui courent l’ensemble de la prestation. Une troisième de Brahms plus grave qu’à l’accoutumée, un Haydn parfaitement classique, plus classique que Sturm und Drang, et des Wesendonck Lieder exceptionnels, voilà une soirée de très haute tenue, d’une certaine sagesse et qui va se terminer par un bis préparatoire au concert du lendemain puisqu’il s’agit d’une variation Enigma de Elgar, interprétée avec un sens des nuances, des niveaux sonores, une légèreté et une subtilité qui donnaient envie d’en écouter plus.
Les viennois sont grands, Kulman immense, et Bychkov était ce soir une garantie de sagesse et d’équilibre. Le tout a produit un magnifique concert, un vrai moment musical.[wpsr_facebook]

Semyon Bychkov ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL
Semyon Bychkov ©: Peter Fischli, LUCERNE FESTIVAL

ORCHESTRES DE RADIO FRANCE: PARIS SERA TOUJOURS PARIS

Après avoir applaudi à sa programmation à l’Opéra, la clique s’est gaussée des ignorances de Stéphane Lissner en matière d’opéra : il ne connaissait pas La Wally ! `
La belle affaire, avant le film Diva de Beineix, personne en France ne connaissait La Wally. Et qui dans la clique l’a écoutée jusqu’au bout ? Car après Diva, tout le monde s’est précipité pour écouter l’opéra et chacun a alors compris qu’il valait mieux ne pas connaître, tellement l’œuvre est ennuyeuse et sans intérêt.
On demande à Lissner de faire tourner la machine : certes, c’est mieux s’il connaît bien la musique, mais s’il sait s’entourer, ce qui est le cas, point n’est besoin d’être un spécialiste ou un musicologue. Lissner vient de l’univers du théâtre, un univers que bien des spécialistes de musique ignorent et il a montré qu’il savait prendre des risques (voir Die Meistersinger von Nürnberg de Claude Régy au Châtelet jadis…) et sa carrière parle pour lui, au-delà même de ses méthodes, de ses richesses comme de ses faiblesses. Et la médiocrité de l’ère Joel montre que même si on connaît Wally ou Verdi, on n’est pas forcément un grand manager.

Voilà le type de polémique stupide dont le net s’empare, au premier rang desquels le micromarquisat mélomaniaque. Mais c’est un détail de la poussière médiocre que nous respirons à Paris dans l’univers musical…

Autrement plus sérieux la grève à Radio France, les menaces qui pèsent sur ses orchestres, les bruits qui se mettent à courir dans la presse. Ce sont des indices du climat qui règne dans le pays, appliqué au microcosme microcéphale parisien. Une fois de plus, les bruits et les manœuvres sont aux commandes parce que la puissance publique fait défaut : le ministère de la Culture, qui n’a plus d’argent mais qui n’a pas d’idées non plus, et pas l’ombre d’une intelligence stratégique, se tait (en réalité aujourd’hui a -t-on entendu quand même Fleur Pellerin). Sa seule puissance, et encore, c’est nommer les patrons des grands établissements, puissance qu’il partage avec la présidence de la République, dans un sens aigu de la soumission au monarque, qui de culture n’a cure, sinon dans les discours.
À quoi sert un ministère de la culture sans idées quand la compétence culturelle est partagée par les collectivités territoriales, qui peuvent faire très bien (à Lille, à la Région Rhône-Alpes) ou très mal (comme en ce moment à Grenoble, avec une entreprise de destruction programmée dans la musique classique).

Si ce qui se dit est vrai, Radio France cherche à se débarrasser d’un de ses orchestres en le proposant à l’encan à la Caisse des Dépôts et donc au TCE. Que voilà belle politique ! Réflexion stratégique ou prospective? non. Politique culturelle ? ne prononçons pas de mots pornographiques. On cherche simplement à saisir l’occasion de se débarrasser d’un orchestre au nom des finances, c’est à dire pour la plus stupide des raisons, celle qui dicte les décisions à l’emporte pièce et à court terme pour des motifs d’épicerie.
Le président de Radio France a souligné le rapport entre coût des orchestres et billetterie. Comme si les orchestres devaient rapporter alors que leur rôle est la diffusion sur les ondes. Combien de fois entend-on sur France Inter, la radio grand public, un des deux orchestres. Tout juste entend-on quelquefois le chroniqueur Gérard Courchelle débiter ses fadaises. Mais de musique dite « classique », pratiquement jamais, surtout depuis que Mathieu Gallet, grand mélomane éclairé dit-on et formé à la meilleure école critique, a fait supprimer l’émission du dimanche soir. Et Frédéric Lodéon, trop intellectuel sans doute, a été envoyé à France Musique, et remplacé par Natalie Dessay l’après midi, pour faire plus people. Choix dérisoires, minables, qui ne traduisent que l’idée méprisable que se font des goûts du public ces grands penseurs, sans doute guidés par des études d’opinion mais guidés surtout par un grand mépris des gens.
Mais peu importe, ça, c’est le contexte (assez gauche caviar, il faut bien le reconnaître, plus apte au caviar qu’à la gauche).
Revenons aux orchestres ; la clique parisienne critique a commencé depuis longtemps à dire que l’Orchestre National de France était moins intéressant que le Philharmonique de Radio France et qu’ils ont le même répertoire etc…etc…Plein de mélomanes reproduisent à l’aveugle cette affirmation, à laquelle s’ajoute la critique quelquefois inculte et imbécile contre Daniele Gatti, mais par bonheur, il quitte la capitale du Monde pour celle de l’Edam et du Roll mops. Bon débarras.
Ce départ et ces polémiques sont évidemment l’occasion de grandes manœuvres et sans doute aussi pour les managers de Radio France de réfléchir à la situation en se débarrassant d’orchestres qui sont considérés comme un boulet coûteux plus que comme une chance. Dépeçons les orchestres, supprimons la Maîtrise et faisons de l’auditorium un aquarium plein de requins et de mollusques : on aura une belle métaphore de la vie culturelle parisienne.
Rappelons pour mémoire que dans les années 70, il y avait un troisième (!) orchestre à Radio France, l’Orchestre Lyrique, spécialisé dans les opéras rares en version de concert. Trois orchestres…une horreur…L’INA est plein de ces concerts dont personne ne pense à commercialiser le fonds. Dans une capitale dont l’Opéra National à l’époque venait d’accueillir dans son répertoire des pièces aussi rares que Le Nozze di Figaro (réservé à l’Opéra Comique auparavant), on peut penser que le répertoire des soirées de Radio France était large.
Déjà, cela coûtait cher. C’est bizarre d’ailleurs comme la culture coûte et pèse : on la glorifie à coup d’incantations et on la détricote au nom des coûts déraisonnables…Il est vrai que l’incantation ne coûte rien (“il en coûte peu de prescrire l’impossible quand on se dispense de le pratiquer” disait Rouseeau) et que ce ne sont pas les orchestres de Radio France qui feront descendre les gens dans la rue, d’autant que des gens bien intentionnés ne verraient pas d’un mauvais œil la disparition d’un orchestre. On va sans doute avoir à Paris pléthore de salles disponibles sans orchestre à y mettre dedans…
On a donc jadis fusionné l’orchestre Lyrique et le Philharmonique (Nouvel orchestre philharmonique de Radio France) avec pour mission d’être un orchestre lyrique, et un orchestre exploratoire d’autres répertoires etc…. Tout cela a fait long feu. J’ai beau scruter les programmes, rien de lyrique à l’horizon, ni de répertoire novateur ou élargi, à de très rares exceptions près.
On a laissé les directeurs musicaux et programmateurs proposer une programmation symphonique de plus en plus traditionnelle, qui devenait alors la photocopie du répertoire du National. La faute aux orchestres ? Non. La faute aux managers et aux chefs, qui au lieu de penser politique culturelle, ont pensé les uns à leur carrière, les autres au bling bling musical au lieu de penser mission culturelle.
Quand le Philharmonique jouait le Ring de Wagner avec Janowski, il était dans son rôle, quand il joue une intégrale Beethoven, il l’est déjà moins, à moins que cette intégrale ne soit l’occasion d’entendre une édition particulière, une formation différente que la formation habituelle etc…Education du public ? Diversification de l’offre ? Pornographie que cela, on vous dit.
On parle de guerre des chefs.
Ah ? depuis quand la gloire musicale à Paris est-elle un enjeu ? La clique parisienne pense que Paris est LA capitale de l’art et du bon goût. Ça lui permet de se penser importante et référentielle…C’est vrai pour l’architecture (mais voyez le sort de Nouvel à la Philharmonie..) c’est vrai pour l’art patrimonial, c’est vrai pour le théâtre patrimonial, mais ce n’est plus vrai pour l’art contemporain et très contemporain qui va ailleurs, sauf, et c’est un paradoxe, pour la musique contemporaine, grâce à l’action de Pierre Boulez (qui lui aussi a été l’objet de camarillas, voir la polémique pitoyable avec Michel Schneider jadis).

Pour la musique plus « classique » ou patrimoniale, Paris est une capitale somme toute assez médiocre, avec des orchestres corrects, mais moyens sur le marché international, tout simplement parce que la France, comme l’Italie, fournit des grands solistes, voire des grands chefs, mais que ses orchestres sont pleins d’individualités très douées pas toujours capables de jouer collectif. D’ailleurs, à Radio France, la programmation se limite peu ou prou à un concert hebdomadaire par orchestre, ce qui me paraît peu compatible avec la construction d’un travail très approfondi, même avec les meilleurs chefs. La diffusion, qui devrait être le souci premier d’un orchestre de radio, n’est pas assurée, sinon par les ondes spécialisées (France musique) et encore, et les tournées ont lieu essentiellement à l’étranger mais pas (ou très peu) en France, alors que c’est la collectivité nationale qui finance.
Ainsi, qui veut tuer son chien l’accuse de la rage.
On accuse les orchestres de coûter alors que les politiques menées au sommet dans cette maison ont abouti à des problèmes de public, des problèmes de répertoire et désormais des problèmes de diffusion et de finances. Où sont les incapables ?
Alors Mathieu Gallet dont la mission est de faire des économies et faire gagner de l’audience, le fameux « mieux avec moins » cher aux politiques incapables du mieux, mais garants du moins, est le pur produit de cette caste qui de diffusion musicale et d’acculturation du public se soucie en réalité comme d’une guigne.
On parle donc de guerre des chefs ou laisse entendre que l’un ou l’autre est responsable de la situation parce que certains éléments du milieu musical règlent leurs comptes, se placent, poussent des poulains. Alors que les chefs n’ont rien à voir dans la situation des orchestres aujourd’hui, bien plus liée aux organisations et aux politiques managériales qu’à la contingence.
En réalité, qui ferait la guerre pour conquérir Paris ? Paris est un marchepied pour chefs en ascension. C’est le cas de Jordan à l’Opéra qui ne va pas tarder à laisser la place à mon avis, pour aller vers des sommets plus germanophones. C’est aussi le cas de Gatti, qui laisse Paris pour Amsterdam, ce fut le cas de Barenboim jadis, qui fut lui aussi victime des cliques ou ce fut le cas de Bychkov. Mais aussi chez les managers, de Massimo Bogianckino à l’Opéra, victime avant même sa prise de fonction de polémiques, et bien sûr de Rolf Liebermann, quand il a restructuré l’Opéra et dans le sillon duquel Orchestre et Chœur de l’Opéra vivent encore.
Quant aux chefs prestigieux arrivés à Paris, comme Karajan pour l’Orchestre de Paris ou Solti pour celui de l’Opéra, ils étaient là pour (re) lancer les machines, et en sont repartis quand les machines tournaient.
Dans la musique classique, Paris n’est jamais un but, mais un moyen. Pour les orchestres internationaux, c’est évidemment un passage obligé (Paris sera toujours Paris) et l’ouverture de la Philharmonie est une aubaine (et là aussi, combien de polémiques et de contre vérités), Paris a désormais les structures, mais a-t-il la volonté ? Entre les coteries, les ignorances, le désintérêt de la puissance publique pour la musique classique, qui finance tant bien que mal, mais qui n’impulse rien, le manque d’idées et de dynamisme pour soutenir des institutions qui loin d’être un poids sont une chance et une opportunité, nous sommes bien mal partis pour diffuser la culture. Quant aux orchestres de Radio France, tout se passe comme si subrepticement on voulait faire croire que c’étaient des bouches inutiles dont personne ne veut ou pire, que la fusion annoncée n’était pas un mal, comme si la mort d’un orchestre n’était pas un terrible aveu d’échec. Manœuvres à l’image de ceux qui lancent ces bouchons…minables.[wpsr_facebook]