“LE BAYREUTH DE L’AVENIR” : AGITATIONS AUTOUR DE LA COLLINE VERTE

L’été d’un nouveau Ring est toujours un moment où le Landerneau des wagnériens s’agite un peu autour de son Festival chéri, et les crises et les déclarations tonitruantes sinon définitives sur la chute du niveau de Bayreuth ne sont pas nouvelles : dès la fin du XIXe, on note une dangereuse baisse du niveau du Festival. De baisse en baisse, je n’ose m’interroger sur le niveau actuel, de peur de la crise cardiaque.
Observateur de la vie et de la production du Festival depuis plusieurs décennies, je voudrais revenir un peu sur les bruits qui courent, sur les vraies difficultés et les rumeurs, en commençant par l’étrange déclaration de Madame Claudia Roth, ministre de la Culture de la République Fédérale allemande.
Au vu de l’argent accumulé que j’ai laissé dans les caisses du Festival depuis 1977 et dans celle de la Société des amis de Bayreuth, il me semble que j’ai le droit de m’interroger sur la pertinence de cette déclaration.
Angela Merkel elle-même, qui fréquente le Festival très régulièrement et depuis longtemps, avait émis des remarques sur son manque d’ouverture vers l’extérieur et sur une billetterie qui privilégiait les associations Wagner et la Société des amis de Bayreuth plutôt que le grand public. Elle avait donc demandé à faire revoir les quotas pour ouvrir le Festival à un public plus large, ce qui avait été fait il y a une dizaine d’années. Elle n’avait pas tout à fait tort, du reste. Pendant longtemps, le système de traitement de la billetterie était suffisamment brumeux pour s’interroger sur ces queues supposées : après la première demande de billet, il fallait paraît-il attendre 7, 8, 9, 10 ans avant qu’une réponse positive n’arrive…
Celui qui écrit a eu une chance incroyable : première demande 1976, premiers billets 1977, peut-être grâce à la fuite des « cerveaux » consécutive au Ring de Chéreau, plus sûrement parce que Dieu-Richard savait reconnaître les siens.
Mais tout cela est un mauvais souvenir, puisqu’internet a permis de résoudre à peu près la question des billets, non sans humour d’ailleurs : le logiciel de vente illustre le temps d’attente par une queue virtuelle qui vous conduit jusqu’au palais des festivals, Graal mystérieux où le quidam découvre les places encore disponibles ; toute virtuelle qu’elle soit, la queue n’en dure pas moins plusieurs heures… Et les oiseaux de mauvais augure, qui ne sont jamais contents, observent désormais qu’il reste des places, avec la même inquiétude qu’ils observaient jadis le pont-levis de la forteresse désespérément levé.
Ceux qui ont fréquenté le Festival 2022, le premier d’après Covid, ont pu remarquer que la délicieuse chaleur des corps serrés les uns aux autres dans le Festspielhaus était revenue… avec bien peu de trous.

Avant d’émettre une série d’observations sur le Festival aujourd’hui, considérons d’abord la déclaration de Madame Roth en rappelant avant tout que le Festival est essentiellement co-financé par l’État Fédéral, l’État Libre de Bavière, la ville de Bayreuth et la Société des Amis de Bayreuth depuis la réforme de ses statuts au début des années 1970. Jusqu’alors, Bayreuth était une entreprise privée familiale. Il devenait clair que ce fonctionnement ne correspondait plus ni à l’époque, ni aux moyens de la famille.
Le nouveau statut qui fait du Festival de Bayreuth un établissement public précise grosso modo que la direction de celui-ci sera assurée par un membre de la famille Wagner aussi longtemps qu’il y en aura un capable de l’assumer. Tant que Wolfgang Wagner a été aux commandes, le silence a prévalu dans les rangs : le prestige de l’homme, son histoire, son parcours interdisaient évidemment toute remarque ou protestation. Par ailleurs, Wolfgang Wagner qui a introduit à Bayreuth Patrice Chéreau, Harry Kupfer, Heiner Müller, Christoph Schlingensief, Christoph Marthaler, Stefan Herheim, Claus Guth, avec des réactions quelquefois violentes, a su aussi équilibrer ses choix par d’autres personnalités, gages de tradition, lui y compris, telles que Jean-Pierre Ponnelle, Peter Hall, Werner Herzog, August Everding, Alfred Kirchner, Deborah Warner et d’autres…

Sous sa direction, on a pu entendre notamment dans la fosse de Bayreuth Pierre Boulez, Sir Georg Solti, Daniel Barenboim, James Levine, Christian Thielemann, Giuseppe Sinopoli, Daniele Gatti.
Il y a eu des remplacements, des accidents (mort de Sinopoli), des choix quelquefois erronés, mais dans l’ensemble, le bilan de Wolfgang Wagner est plutôt flatteur.

Sa succession en revanche a été chaotique : le conseil de surveillance du Festival avait désigné sa fille aînée Eva Wagner-Pasquier comme directrice au début des années 2000, tandis que Wolfgang Wagner désirait y voir son autre fille Katharina, bien plus jeune, qui lui servait alors de conseillère. En tant que « Directeur à vie », il a bloqué le processus, restant en place jusqu’à ce qu’une solution qui lui convienne soit trouvée.
La solution justement, on le sait, a été un Festival à deux têtes : les deux demi-sœurs, Eva et Katharina, ont pris le Festival en main après le dernier été (2008) de Wolfgang Wagner, en se répartissant grosso modo les tâches, Eva sur la musique et Katharina sur les aspects scéniques jusqu’en 2015. Le symbole de cette double direction a été le Ring 2013, où Kirill Petrenko procédait du choix de Eva Wagner-Pasquier, et Frank Castorf de Katharina Wagner.

Depuis le départ d’Eva Wagner-Pasquier en 2015, Katharina Wagner est désormais seule à la barre.
Nous n’avons pas à entrer dans les considérations qui ont présidé au départ d’Eva Wagner-Pasquier, car bien des bruits ont circulé et il est inutile d’y revenir.
Il est clair cependant que Katharina Wagner a dû se faire épauler par des conseillers musicaux et vocaux, ne pouvant assumer seule l’ensemble des tâches et c’est entre autres le sens de la présence à ses côtés comme « directeur musical » de Christian Thielemann, une charge dont il a été relevé discrètement au moment de la période Covid.

Or, Katharina Wagner cristallise des oppositions, pas toutes désintéressées, à la faveur du renouvellement (ou non) de son contrat en 2025 : des voix s’élèvent pour dire qu’il est désormais temps de confier les rênes du Festival à un non-Wagner. Une série de personnages sont sur les starting-blocks qui sont persuadés évidemment qu’ils feraient mieux. Être premier directeur/trice non-Wagner du Festival de Bayreuth devrait être sans doute un titre de gloire à accrocher sur une carrière.
Par ailleurs, Katharina Wagner n’a jamais eu une relation apaisée avec la puissante Société des amis de Bayreuth, notamment depuis que, dès son arrivée à la direction, elle a laissé naître (ou suscité ?) une société concurrente, la TAFF (Team Aktiver Festspielörderer).

Et puis il y a aussi ceux qui sont exaspérés de la politique artistique menée par Katharina Wagner notamment en matière de mise en scène. Comme je l’ai entendu par un éminent confrère cet été : « quand verra-t-on à Bayreuth une vraie mise en scène ? ».
Qu’est-ce qu’une vraie mise en scène ? Mystère, mais on subodore qu’il s’agit d’une mise en scène plus classique, plus plan-plan que ce à quoi Bayreuth nous a habitués ces dernières années, pour pouvoir « écouter la musique » tranquillement et n’être pas obligé comme ces américains ridicules au moment de Castorf de poser sur leurs yeux un pudique masque de sommeil pour ne pas voir et ne faire qu’écouter… Que ce soit au mépris de tout ce que Wagner a déclaré, et au mépris même du sens de la salle de Bayreuth, importe peu… On n’en est pas à une contradiction près.

J’avoue être las de ces cris d’orfraie sur les mises en scène, et de ces combats ridicules contre les « mises-en-scène-modernes-qui-cultivent-la-laideur »… Mais qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la laideur ? on sait depuis longtemps que ce sont des notions, au théâtre surtout, qui n’ont strictement aucun sens et qui sont relatives. Combattre le laid pour imposer le beau c’est grand, c’est noble, c’est surtout désespérément simpliste.

Évidemment les attaques se sont réveillées en ce Festival 2022 qui présentait un nouveau Ring, pas vraiment bien accueilli.

Enfin, d’autres ennemis doivent aussi en vouloir à Katharina Wagner d’avoir écarté de Bayreuth Christian Thielemann. Mais il n’est pas illégitime de relativiser le départ de ce dernier, après une vingtaine d’années de présence régulière à Bayreuth, comme ce fut le cas en son temps de Daniel Barenboim (à peu près vingt ans de présence régulière pour lui aussi).

La politique artistique de Katharina Wagner est claire, dans la droite ligne du concept de Werkstatt Bayreuth, ce laboratoire cher à son père : il s’agit d’explorer tous les possibles de mise en scène aujourd’hui dans différentes directions et sans exclusive. On parle pour le prochain Parsifal d’effets tridimensionnels par exemple, mais c’est encore un objet de conflits puisque le Président de la Société des amis de Bayreuth refuse le financement des lunettes 3D nécessaires au dispositif.

Dans tous ces débats, évidemment pilotés et visant à déstabiliser la direction actuelle, personne n’a évoqué l’éclatante réussite des opéras pour enfants, qui depuis une dizaine d’années propose l’ensemble des opéras de Wagner (ceux présentés au Festival) en version réécrite et adaptée pour les plus jeunes, une entreprise où Katharina Wagner s’est fortement engagée avec des moyens qui ne sont pas indifférents (véritables équipes de mise en scène, orchestre d’une trentaine de musiciens, chanteurs engagés au festival). Comme c’est une réussite, on n’en parle évidemment pas…
A tout cela, il faut ajouter que Katharina Wagner a été assez gravement malade pendant la période Covid, ce qui a évidemment relancé les plans sur la comète et remis en selle les espoirs et les paris sur un départ anticipé.
Tout cela est simplement délétère.

Là-dessus, en dépit d’un Festival qui a renoué avec des conditions normales et a affiché exceptionnellement huit productions, avec un Tristan conçu comme « secours » en cas de défections en masse dues au Covid – ce qui n’était pas si absurde quand on considère les problèmes de remplacement qu’ont eus certains théâtres européens –, la ministre allemande de la Culture Claudia Roth, intervient dans le marigot, appelant à un nécessaire redressement du Festival. Que le Ring ait fait discuter, rien d’étonnant : les hyènes font toujours comme si c’était la première fois. Une nouvelle production est toujours un risque. Moi qui pourtant n’ai pas aimé ce Ring, je ne réclame aucune tête…
Que la ministre qui finance (partiellement) le Festival fasse part de ces remarques, c’est légitime. Qu’elle le fasse brutalement en couronnant les polémiques qui ont couvé tout l’été, c’est déjà moins sympathique. Et qu’elle se propose d’intervenir dans la ligne artistique, c’est franchement insupportable.
J’espère seulement que les Verts allemands (le parti de Madame Roth) ont une vision culturelle moins désolante ou inexistante que leurs cousins français.

Que dit Madame Roth ?

Comme représentante de l’État fédéral, l’un des financeurs du Festival de Bayreuth, la ministre est évidemment légitime pour demander que soit revue l’organisation du Festival. Elle affirme en effet qu’il y a une nécessité de beaucoup réformer le Festival de Bayreuth (« Es gibt auf dem Grünen Hügel wirklich sehr viel Reformbedarf ») .
Elle a ensuite affirmé que le public du Festival ne reflète pas notre société « diverse et colorée » et qu’il faut donc attirer un public plus jeune et plus large.
Enfin, tout en déclarant que confier la direction à un Wagner n’était pas une « obligation rituelle », elle a demandé de faire en sorte que « l’excellence artistique soit atteinte », ce qui à la fin d’une saison où le Ring a été fortement critiqué ne manque pas d’interpeller.

La question de l’excellence artistique ne devrait pas se poser pour un festival aussi fameux que le Festival de Bayreuth et le rappeler a quelque chose d’un peu insultant.
Par ailleurs, l’élargissement du public, tout le monde le sait, ne se commande pas et les vœux d’un public plus diversifié, plus coloré et plus jeune ressemble à de la pure démagogie, de celle qui inonde la société d’aujourd’hui. En ce qui concerne le public jeune, nous avons rappelé les efforts du Festival pour le jeune public qui, une fois de plus, ne semblent pas pris en compte.
Enfin au-delà des goûts du public pour l’opéra en général et pour Wagner en particulier, ouvrir le Festival « aux jeunes » suppose aussi des investissements que l’État et les autres associés sont, en cette période faste pour les budgets, sans nul doute prêts à consentir…

Il faut tout de même rappeler que le Festival de Bayreuth a longtemps été l’un des moins chers des Festivals internationaux et que la révision de la politique tarifaire est intervenue à la fin des années Wolfgang Wagner, puisque dès l’arrivée des sœurs Wagner aux commandes, un mouvement des personnels du Festival a exigé une révision des politiques salariales. Visiblement, c’était le cadeau de début de mandat.
Par ailleurs, les prix des billets ont subi une forte augmentation, de l’ordre de 30% a minima, avec une différentiation entre les Premières, les nouvelles productions et les reprises. Il n’en demeure pas moins que les finances du Festival restent assez justes, même si l’on considère que Bayreuth paie moins bien ses forces artistiques que d’autres institutions, avec des exigences néanmoins en terme d’exclusivité et de présence, qui se sont cependant beaucoup assouplies ces dernières années. Les très grands noms passés par Bayreuth le font pour le CV, mais n’y restent pas, et ceux ou celles qui ont été lancés par le Festival restent quelques années et puis succombent à d’autres sirènes plus rémunératrices.

Cette ouverture à d’autres publics, qui signifie pour le Festival d’autres investissements dans un contexte économique mondial peu favorable, plaide donc aussi pour un financement consolidé de la part des associés… On voit bien que les demandes de Madame Roth, pieuses et généreuses, sont lancées comme un pavé dans la mare, pour éclabousser plus que pour construire.

Car enfin, faisons un rapide bilan artistique des années 2009-2022.
Il y a d’abord de très grandes réussites, musicales et scéniques :

  • Le Ring de Frank Castorf et Kirill Petrenko (n’en déplaise aux traditionalistes) sans oublier les deux années Marek Janowski, qui n’ont pas été musicalement médiocres – même si sa direction ne m’a pas personnellement enthousiasmé ;
  • Le Tannhäuser de Tobias Kratzer, éclatante réussite scénique et vocale, stabilisé dans la fosse par Axel Kober après le passage très discuté de Valery Gergiev ;
  • Le triomphe répété des Meistersinger von Nürnberg, signée Barrie Kosky et Philippe Jordan ;
  • Der fliegende Holländer, dans la production 2021 de Dmitry Tcherniakov avec Oksana Lyniv, première femme dans la fosse de Bayreuth, qui a été ces deux dernières années un très gros succès ;
  • Lohengrin dans la mise en scène de Hans Neuenfels et direction musicale de Andris Nelsons, connu comme le « Lohengrin des rats », qui a finalement laissé un bon souvenir, tout simplement parce que la mise en scène de Neuenfels était l’une des plus intelligentes de l’œuvre de Wagner et que musicalement et vocalement il tenait largement la route (y compris lorsqu’il a été dirigé par Alain Altinoglu).

Il y a bien entendu des demi-succès ou demi-échecs (selon l’adage du verre à moitié vide ou à moitié plein) :

  • Der fliegende Holländer, dans la production de Jan Philipp Gloger, qui sans être une production médiocre, reste discutable et vocalement de facture moyenne, mais musicalement brillante (Thielemann) ;
  • Le Tristan und Isolde de Katharina Wagner qui n’a pas réussi à convaincre à la hauteur de ses Meistersinger, sa production précédente à Bayreuth, mais qui n’était pas une production médiocre non plus, aux distributions irrégulières mais à la direction musicale incontestable de Christian Thielemann ;
  • Parsifal, mise en scène discutable de Uwe Eric Laufenberg, musicalement solide que ce soit avec Hartmut Haenchen ou Semyon Bychkov et vocalement incontestable. Il faut se souvenir que la mise en scène avait été confiée initialement au plasticien Jonathan Meese et que le projet avait été abandonné pour des raisons financières (ou peut-être idéologiques). A cela s’ajoute le départ du chef Andris Nelsons à la suite d’un conflit avec Christian Thielemann. Malgré tous ces avatars, la production a quand même tenu ;
  • Lohengrin dans la production de Yuval Sharon et les décors du célèbre plasticien Neo Rauch, n’a pas convaincu totalement du point de vue scénique, ni du point de vue vocal la première année mais a toujours été un fantastique succès de Christian Thielemann en fosse.

Reste un échec cuisant : le Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, avec une distribution très discutable, une valse des chefs selon les années. Un des pires souvenirs de Bayreuth : l’enfer pavé de bonnes intentions.

Enfin, en 2022, la production du Tristan « de secours », signé Andreas Schwab et dont nous avons parlé, n’a pas soulevé l’enthousiasme mais laissé le public indifférent. Une production passable et très digne en fosse (Markus Poschner, arrivé au dernier moment).

Quant au nouveau Ring, signé Valentin Schwarz, particulièrement problématique au niveau scénique, il mérite sans nul doute d’être revu dans le cadre du Werkstatt Bayreuth, mais reste très défendable vocalement, avec un résultat contrasté en fosse. Le chef Cornelius Meister, arrivé deux semaines avant la première (à cause du Covid qui a frappé le chef Pietari Inkinen), n’ayant pas réussi à homogénéiser l’ensemble. Mais l’an prochain, Pietari Inkinen reprendra la direction et donc avis suspendu.

Au total, le bilan n’est pas si noir que les hyènes ne le prétendent. Certes Katharina Wagner au niveau des productions a eu à cœur d’appeler des metteurs en scène très célèbres en Allemagne, qui n’y avait jamais travaillé (Castorf ; Neuenfels) et s’est ouverte à la génération des metteurs en scène les plus en vue dans l’aire germanophone aujourd’hui.

Il y a eu aussi des accidents et des remplacements de dernière minute qui ne sont pas toujours de son fait, mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les choix scéniques et musicaux, le bilan 2009-2022 n’est ni moins ni plus honorable que certains festivals comme Salzbourg ou Aix-en-Provence. On tire à vue sur les choix scéniques de Katharina Wagner, plus au nom de l’idéologie que des véritables résultats artistiques. La liste que nous avons rappelée nous montre qu’à part un seul véritable échec, il n’y a aucun scandale.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans le meilleur des mondes wagnériens possibles ? Évidemment pas.
On a notamment remarqué des évolutions dans les organisations qui ne sont pas toutes des réussites.

D’abord le public du Festival a pu constater qu’en une dizaine d’années, une séparation plus nette s’est faite entre les espaces publics et les espaces professionnels :  c’est peut-être un détail aux yeux de certains, mais dans l’histoire de ce lieu il a son importance. On pouvait faire le tour du théâtre, traverser le passage de l’arrière scène vers les dépôts de décors, jeter un œil par ci par là. Ce n’est plus possible, de hideuses cloisons provisoires bloquent tous les accès arrière. Cette fermeture a sans doute été décidée pour des raisons de sécurité et pour que les professionnels puissent travailler sans que le public ne gêne. Quand on pense que jusqu’au seuil des années 1970 la cantine était commune au public et aux artistes, on ne peut que constater que le sens de l’histoire va vers la clôture.

Précisons également que si les espaces professionnels ont été protégés, le public ne l’est toujours pas les jours de pluie, qui peuvent être fréquents à Bayreuth. C’est un problème lancinant depuis qu’ont été supprimés les galeries couvertes qui protégeaient l’arrivée des spectateurs.

Si l’on n’a pas veillé à la pluie, on a en revanche veillé à la nourriture… Toute la politique de catering, importante à Bayreuth dans la mesure où les spectacles durent jusqu’à six heures avec des entractes d’une heure, a été réorganisée. Jusqu’au seuil des années 2020, il y avait essentiellement un self, le fameux stand des saucisses, un bar-self et un restaurant un peu plus chic : le public pouvait circuler dans les différents espaces. Aujourd’hui, les comptoirs qui vendent glaces, bières, eaux minérales et autres délices se sont multipliés tout autour du théâtre, ridiculement baptisé « Walk of fame » et prenant la forme de « barnums » (ceux-là même qui auraient pu être utilisés il y a encore peu de temps pour tester le Covid renforçant le côté un peu piteux de la chose). D’autres accès se sont fermés, comme le bâtiment du restaurant, réservé aux VIP et autres privilégiés. La salle du self a été réaménagée dans le genre faux chic, les prix également. Et les espaces publics (rappelons qu’à Bayreuth il n’y a pas de foyer) se sont remplis de kiosques à catering (appelés « Wahnfood ») qui ont troqué la simplicité d’antan contre un style chic et choc plus douteux. A l’évidence, le Festival en tire aussi quelques rentrées, mais Bayreuth a perdu en naturel et en simplicité ce qu’il n’a pas gagné en efficacité : la queue est toujours aussi longue devant le kiosque à saucisses !
Par delà l’anecdote, rappelons qu’un festival, c’est un caractère, une ambiance, des rituels et de ce point de vue les évolutions ne vont pas forcément dans une direction sympathique.

Les autres changements ont affecté les agendas. Et l’organisation des représentations, essentiellement pour des questions dues au Covid. L’ajout de la production de Tristan a contraint à trouver des espaces pour les répétitions et laissé le théâtre fermé une semaine après l’ouverture officielle du 25 juillet. Deuxième conséquence : la concentration des représentations (normalement, le Ring est étalé sur six jours avec deux journées de repos, mais cette année les journées de repos étaient occupées par d’autres représentations singulières). La communication du Festival n’a pas été claire à ce propos, mais dès 2023, les choses reviendront à la norme.

En revanche, la communication sur les prochaines productions, les chefs invités et le calendrier du Festival 2023 est très claire, ce qui n’a pas toujours été le cas sur la colline verte.
Autre évolution, la diffusion TV des productions est devenue plus ouverte. On a pu voir dès cette année le Götterdämmerung du nouveau Ring par exemple. Il y a encore quelques années, seuls les spectacles éprouvés étaient enregistrés pour la télévision ou la production de DVD.

Du point de vue des distributions, il est clair que tout mélomane est un membre actif du café du commerce. Chaque période a eu ses habitués, ses fidèles, chaque période a également eu ses conflits et ses exclusions. Vogt, Zeppenfeld sont des habitués de Bayreuth. Groissböck l’était mais ne l’est plus. Lise Davidsen quitte le Festival l’an prochain, mais Catherine Foster y revient et si certains choix peuvent étonner, Bayreuth nous a toujours habitués à des surprises ou à des choix bizarres. Disons que globalement, les distributions de Bayreuth ne sont jamais scandaleuses. Du point de vue des chefs, à côté de noms bien connus et expérimentés, la politique semble être d’inviter également ceux ou celles de la génération montante, charge à ces derniers ou dernières de conquérir leur place. Katharina Wagner désormais veille à équilibrer les invitations entre chefs et cheffes. Mais l’histoire nous montre qu’il y a eu des chefs régulièrement attachés à Bayreuth et d’autres – et pas des moindres – qui n’y ont jamais dirigé, pas forcément parce qu’ils n’étaient pas invités d’ailleurs. Les choix de chefs actuels, entre jeune génération et chefs d’expérience, sont globalement équilibrés.

Alors quelles réformes ?

Il y a d’abord ceux qui déclarent que la famille Wagner ça suffit ou encore que « Richard Wagner exclusif à Bayreuth, ça suffit ».
Avec le festival baroque de fin d’été de Max Emanuel Cencic, la ville de Bayreuth s’enrichit pourtant d’un autre horizon dans l’autre théâtre exceptionnel de la ville, l’Opéra des Margraves.
Ensuite j’ai toujours soutenu et continue de soutenir que le Festival de Bayreuth doit rester exclusivement consacré à l’œuvre de Wagner. Il existe un festival éclectique pluridisciplinaire de grand niveau en Europe et c’est Salzbourg. Il n’y a aucun intérêt à faire de Bayreuth un second Salzbourg.  Personne n’en comprendrait la raison.
Bayreuth est un théâtre qui a été construit par Wagner pour représenter les œuvres de Wagner et il doit le rester.
Toutefois, si le Festival d’été doit rester avec les œuvres « canoniques » et reconnues, rien n’empêcherait de créer un festival à Pentecôte ou à Pâques, peut-être plus « ouvert » où seraient représentées les autres œuvres de Wagner, jusqu’à Rienzi. En 2013, elles ont été représentées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Wagner, en amont du Festival et dans un lieu impossible (une grande salle de sport) dans des conditions indignes. Le théâtre n’était pas disponible, du fait des répétitions du Ring de Castorf. Sans doute également n’a-t-on pas osé utiliser le Festspielhaus pour des œuvres que Wagner n’y voulait pas voir. Ce fut un échec cuisant.
Je pensais à l’époque et je continue de penser qu’un festival plus concentré, placé à une autre époque de l’année pour attirer du public avec les autres œuvres de Wagner pourrait fonctionner. Pentecôte et Pâques fonctionnent à Salzbourg, Pâques et novembre fonctionnent à Lucerne. Cela vaudrait le coup de tenter. Il est regrettable que Rienzi, ou Das Liebesverbot, qui ne sont pas des œuvres médiocres, aient si peu d’espace dans les théâtres.

Et pour s’ouvrir aux jeunes, des solutions peu onéreuses expérimentées ailleurs comme les pré générales ou générales ouvertes pourraient fonctionner même si la tradition actuelle du Festival est à la fermeture pendant les répétitions.

En somme, il y a un espace pour du neuf à Bayreuth mais il faudrait surtout penser à faire fonctionner un peu plus la salle, qui est LE monument que les touristes et les visiteurs veulent voir, même si les coûts d’une ouverture (personnel de salle, contrôles, techniciens, etc.) sont importants.

Alors rêvons un peu et supposons que tous les problèmes soient aplanis.

Ne pourrait-on pas par exemple impliquer, pour quelques concerts Wagner par an (ou des représentations en version concertante), les Bamberger Symphoniker, qui sont à 65km, en les faisant jouer dans la fosse avec les chanteurs sur la scène, à des tarifs plus bas, pour permettre à un autre public de pouvoir apprécier cette acoustique exceptionnelle ? Il y a là des pistes sans doute à explorer, mais cela suppose des financements supplémentaires que Madame Roth est sûrement prête à  assurer.

LA SAISON 2022-2023 DE LA WIENER STAATSOPER

Bogdan Roščić continue en 2022-2023, sa troisième saison, le ripolinage (le mot est revenu à la mode lors de notre dernière présidentielle) de la programmation de la Wiener Staatsoper, qui n’apparaît pas aussi aisé qu’on pouvait l’attendre. Les nouvelles productions de sa deuxième saison n’ont pas toutes été accueillies avec faveur par le public et la critique : il est vrai que le public viennois est historiquement plus intéressé par le chant que par les productions proprement dites. La dernière période où de grandes productions (musique, chant et mise en scène) ont été programmées à Vienne fut l’ère Abbado, relativement courte, interrompue par la mort de Klaus Helmut Drese et son remplacement par Eberhard Wächter et Ioan Holender. Entre 1991 et 2020, ce ne sont pas les mises en scènes qui ont marqué cette maison.
Trois décennies, c’est plutôt lourd et ça ne contribue pas à « habituer » un public non aux tendances actuelles de la mise en scène, mais simplement à la question de la mise en scène. D’où des secousses devant un Tristan und Isolde signé Bieito (plus de deux décennies de carrière internationale, petit nouveau apparu il y a deux ans à Vienne avec sa Carmen déjà vénérable et que tout le monde a déjà vue) , voire un Wozzeck de Stone ou un Parsifal de Serebrennikov.
Quant à savoir en revanche si la production du Barbiere di Siviglia signée Herbert Fritsch vaut mieux que la vieille production de Gunther Rennert, c’est aussi un vaste débat : si on remplace une production qui a fait son temps par une autre qui probablement ne fera pas le sien, c’est qu’on a raté son coup. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé le Don Giovanni signé Kosky, le Parsifal signé Serebrennikov, mais je sais que beaucoup ne partagent pas mon avis.
C’est toute la complexité de cette maison, qui a besoin de temps pour accueillir sans tousser ou hurler des productions qui ailleurs ne feraient pas tant de bruit .
Et cette complexité tient à plusieurs données.

  • Un système de répertoire qui reste la racine de cette maison, avec ses conséquences sur les répétitions avec des distributions qui doivent toujours avoir au moins quelques éléments attirants pour le public et surtout sur l’esprit général qui y règne qui est esprit de conservation.
  • Un authentique public de fans: Vienne est à peu près la seule maison où à la sortie des artistes, chaque soir, une quinzaine de personnes a minima attendent les chanteurs et le chef pour des selfies, des photos, des autographes, des signatures de documents, voire des cadeaux. J’ai connu ça à Paris dans les années 1970, aujourd’hui les artistes ne sont pas attendus à la sortie du 120 rue de Lyon.
    C’est encore vrai à Munich et un peu vrai à Berlin, mais pas avec la ferveur et la régularité viennoises. Et ce public vient pour les chanteurs, il ne vient pas pour les mises en scène.
  • La présence depuis 2006 à Vienne d‘un autre Théâtre, le Theater an der Wien, système stagione avec des productions très contemporaines, comme si on se partageait le territoire de l’opéra : à la Staatsoper le conservatoire et au Theater an der Wien la création. D’autant plus que la prochaine saison au Theater an der Wien voit les débuts du metteur en scène Stefan Herheim comme Intendant. Les deux maisons ne sont pas comparables, ni pour la capacité, ni pour le système de production, ni pour les présupposés.

Je persiste néanmoins à penser que l’Opéra de Vienne, sans avoir besoin d’être à la pointe de la modernité scénique – ce n’est pas son rôle- et tout en conservant son cortège de stars du chant (sur lequel le dossier de presse insiste très lourdement) et ses distributions somptueuses, a besoin d’être un théâtre de son temps, dont la couleur productive ressemble peu ou prou à celle des autres théâtres comparables, Berlin, Munich, Hambourg ou Londres. Il s’agit simplement de « rattraper » ce retard de plusieurs décennies.
Au-delà de cette constatation, purement déclarative d’un spectateur fidèle des évolutions de l’opéra aujourd’hui, Vienne a aussi besoin de productions qui durent à cause du système de répertoire dont il était question plus haut. Cela signifie que si les productions nouvelles affichées ne sont pas incontestables par leur force et leur qualité, elles risquent de ne pas durer. Là est le pari.

On comprend alors mieux le geste tant raillé de la première saison où ont été achetées des productions récentes à d’autres théâtres, qui avaient fait leurs preuves ailleurs, et qui enrichissaient la maison au lieu de la plomber (par exemple : L’Eugène Onéguine de Tcherniakov ou Die Entführung aus dem Serail signé Neuenfels), c’était une garantie pour des productions de répertoire car on savait d’avance que ces productions étaient bonnes et pouvaient remonter immédiatement le niveau moyen des productions du répertoire viennois.

Cette nouvelle saison est assez étrange a priori : les nouvelles productions affichées sont intéressantes, mais ne font pas tant saliver les Wanderer lyriques que les Wiederaufnahmen, les productions de répertoire retravaillées dont certaines affolent déjà le Landerneau lyrique… Il reste qu’entre nouvelles productions, Wiederaufnahmen et productions de répertoire (celles qui sont très peu répétées et qui se succèdent au quotidien), on a encore un peu plus de 40 spectacles différents d’opéra dans ce théâtre dont un Ring (de répertoire)… Qui peut s’y comparer ?

Nouvelles productions

Six titres, trois titres qui sont indispensables dans une maison de répertoire, deux titres importants mais moins essentiels pour une maison comme Vienne, et une fantaisie…toute viennoise. Mais il faut juger la saison dans sa globalité, avec les Wiederaufnahme et le répertoire.

Septembre-Octobre 2022/Mai 2022
Gustav Mahler
Von der Liebe Tod
10 repr. en deux séries : 6 repr. du 29 sept au 13 oct et 4 repr. du 6 au 16 mai (Dir.Lorenzo Viotti/MeS : Calixto Bieito)
Avec Vera-Lotte Böcker, Tanja Ariane Baumgartner, Daniel Jenz, Florian Boesch
Une soirée « viennoise », voire une soirée maison autour de Gustav Mahler, qui la dirigea, sans jamais avoir écrit d’opéras et donc une sorte de rentrée au répertoire du compositeur.
Une soirée de Théâtre musical, autour de la mort et à travers Das Klagende Lied et les Kindertotenlieder. Habile moyen de faire un travail de mise en scène qui pourra moins heurter les tenants de la tradition parce que l’on ne touche à aucun titre, et par ailleurs d’inviter pour la première fois à Vienne Lorenzo Viotti, dont beaucoup font grand cas.
Avec des chanteurs aux dons de diseurs tels qu’ils s’imposent naturellement dans une telle soirée.
Une initiative surprenante, et une manière surprenante d’ouvrir les nouvelles productions. Mais il faut tenter. Reste à savoir ce qu’on fera de cette soirée dans le répertoire de la maison.

Décembre 2022
Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg
(5 repr. du 4 au 20 déc)(Dir : Philippe Jordan/MeS : Keith Warner)
Avec Michael Volle, David Butt Philip, Hanna Elisabeth Müller, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld
La précédente production, signée Otto Schenk, remontait à 1975 et la dernière reprise remonte, de manière surprenante à 2012. 77 représentations et 47 ans d’âge, ce sont de bons et loyaux services.
Distribution de haut niveau avec le dialogue Wolfgang Koch en Beckmesser (une prise de rôle) et Michael Volle en Hans Sachs (et qui fut un inoubliable Beckmesser à Bayreuth), et le jeune David Butt Philip en Walther, une des voix émergentes les plus intéressantes du moment, une voix large, capable de chanter aussi bien Florestan de Fidelio que Rodolfo de Bohème.
Georg Zeppenfeld plus habituel en Pogner et Hanna Elisabeth Müller, enfin Eva, on l’attendait depuis longtemps dans ce rôle. Philippe Jordan dans la fosse, c’est naturel vu ses fonctions, et une production signée Keith Warner, modernité sans doute sans provocation. Les enjeux sont forts, il ne faut pas à chaque fois dans Wagner effaroucher le public (comme  pour Parsifal de Serebrennikov et Tristan de Bieito), et surtout dans un titre aussi emblématique. On fera le voyage de Vienne…

Février-Avril 2023
Richard Strauss
Salomé

9 repr. en deux séries : 5 repr. du 2 au 12 fév. et 4 repr. du 21 au 29 avril.)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Cyril Teste)
Avec Gerhard Siegel (Fev)/Jörg Schneider (Avr.), Michaela Schuster, Malin Byström, Iain Paterson etc…
251 représentations depuis 1972, la production de Boreslaw Barlog aux couleurs Sécession a vaillamment donné à l’opéra. Il était plus que temps de la remiser.
Et c’est le français Cyril Teste qui va succéder à cette production, souhaitons-lui de durer autant (50 ans)… C’est une de ses premières mises en scène d’opéra (il fait aussi la saison prochaine Fidelio à Nice) et on est très curieux de voir comment ce spécialiste des relations entre scène et vidéo, va lire l’œuvre de Strauss et la pièce de Wilde. En tous cas, c’est une des surprises positives de cette année.
C’est Philippe Jordan qui, en spécialiste et amoureux de Strauss, compositeur avec lequel il fit ses débuts à l’opéra de Vienne (Capriccio). Et la distribution est composée de spécialistes des rôles, notamment Malin Byström qui fut naguère une grande Salomé à Amsterdam avec Gatti et Van Hove, mais aussi Iain Paterson, et bien sûr Gerhard Siegel et Michaela Schuster, (Hérode et Hérodias) sans oublier Jörg Schneider, une des révélations de de ces dernières années, qui reprend Hérode en avril.
On ne manquera pas cette production, évidemment, et d’abord par curiosité pour le travail de Cyril Teste.

Mars/juin 2022
Mozart
Le Nozze di Figaro
9 repr. en deux séries : 7 repr. du 11 au 26 mars. et 4 repr. du 6 au 17 juin.)
Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky
Avec Andrè Schuen, Hanna Elisabeth Müller, Patricia Nolz, Peter Kellner, Ying Fang etc…
Bogdan Roščić a confié à Barrie Kosky le soin de mettre en scène les trois opéras de la trilogie Da Ponte et la saison 2023-2024 verra sa conclusion avec Così fan tutte. Mozart est évidemment stratégique à Vienne, c’est un des compositeurs « maison », et on ne compte pas le nombre de chanteurs mozartiens légendaires issus de la troupe viennoise. Par ailleurs, les dernières productions signées aussi bien Jean-Louis Martinoty (pour Nozze et Don Giovanni) ou Roberto De Simone (pour Così) n’était pas très satisfaisantes.
J’ai apprécié le Don Giovanni proposé fin 2021, vision abstraite et originale du mythe. On verra si Le nozze di Figaro continue cette veine, où change complètement de direction.
Musicalement, c’est Philippe Jordan qui en assure la direction, ce qui est légitime vu son statut de Directeur musical, les parisiens savent que c’est un chef qui dirige un Mozart solide, classique et assez théâtral.
La distribution montre à la fois un souci de passer à une nouvelle génération de chanteurs : Andrè Schuen vient de faire Figaro (à Aix par exemple), il devient Il conte Almaviva, et Hanna Elisabeth Müller qui était Donna Anna dans Don Giovanni sera la Comtesse : un couple plus jeune que d’habitude.
Bonne part du reste de la distribution vient de la troupe de la maison, aussi bien Peter Kellner (Figaro) que Patricia Nolz, belle chanteuse qui sera Cherubino. Quant au rôle de Susanna, il est confié à Ying Fang, qu’on voit fréquemment dans des rôles mozartiens ou haendeliens, et qui a commencé à chanter sur les grandes scènes du monde, dont New York et Paris.
Et c’est donc une vraie surprise qui attend le spectateur à travers une distribution neuve. Il est vrai qu’on cherche – et sans doute aussi à Vienne- à se constituer un réservoir de bons chanteurs pour Mozart.

Avril 2022
Claudio Monteverdi
Il ritorno d’Ulisse in patria
(5 repr. du 2 au 14 avril) Dir : Pablo Heras Casado/MeS : Jossi Wieler & Sergio Morabito
Avec Georg Nigl, Kate Lindsey, Josh Novell, Andrea Mastroni
Comme c’est étrange : il y a des modes sur des œuvres qu’on va voir plus ou moins adaptées ou arrangées sur plusieurs scènes européennes. Comme on a vu beaucoup L’Orfeo et L’incoronazione di Poppea un peu partout, on s’essaie maintenant à Il ritorno d’Ulisse in patria qu’on verra par exemple à Genève, à Munich, à Barcelone, à Cremone, à Schwetzingen. Mais Bogdan Roščić a programmé depuis son arrivée à Vienne les trois Monteverdi. Il a déjà fait L’Orfeo et L’incoronazione di Poppea. Il programme donc le troisième. Dans une production de Jossie Wieler & Sergio Morabito (qui ont déjà mis en scène Das verratene Meer de Henze) où ce dernier est Chefdramaturg, c’est à dire responsable de la partie « production théâtrale » des opéras. La distribution, dominée par Georg Nigl et Kate Lindsey, (qui sont dans L’Orfeo en juin prochain) est très prometteuse, et c’est Pablo Heras Casado, qui a déjà dirigé L’incoronazione di Poppea, et qui s’apprête en juin à diriger L’Orfeo, qui sera dans la fosse. Ainsi c’est la cohérence musicale qui a été choisie et non la cohérence scénique (comme pour la trilogie Mozart/Da Ponte), puisque les trois Monteverdi ont été réalisés par trois équipes différentes (Lauwers, Morris, Wieler & Morabito). Ce sera de toute manière intéressant à voir.

Mai-Juin 2022
Francis Poulenc
Dialogues de Carmélites

(5 repr. du 21 mai au 2 juin) Dir : Bertrand de Billy/MeS : Magdalena Fuchsberger
Avec Sabine Devieilhe, Bernard Richter, Nicole Car, Michaela Schuster, Eve-Maud Hubeaux
Une seule production, celle de la création en 1959, signée Margherita Wallmann, pour 20 représentations avec la dernière en 1964 justifient cette deuxième production, après 58 ans d’absence. C’est Magdalena Fuchsberger, ex assistante et responsable des reprises à Stuttgart où officiaient Jossi Wieler & Sergio Morabito, qui est chargée de la mise en scène ; on voit donc de qui vient l’idée. Aujourd’hui metteuse en scène, essentiellement dans des théâtres allemands de ville moyennes (Hagen, Lübeck, Heidelberg), cet engagement à Vienne constitue donc un certain enjeu pour cette artiste autrichienne 5 (née à Salzburg) encore jeune.
C’est Bertrand de Billy, bien connu à Vienne qui sera en fosse, avec une distribution solide dominée par Sabine Devieilhe, qui sera Blanche, avec Eve-Maud Hubeaux en Mère Marie et Michaela Schuster en Madame de Croissy.

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

À peu près  autant de Wiederaufnahmen que de nouvelles productions  avec des distributions de grande classe, sinon immanquables, on comprend le calcul de la Wiener Staatsoper :

  • D’abord, retravailler des œuvres assez rares qui n’ont pas été trop souvent reprises, et qui ne nécessitent donc pas encore de nouvelles productions (La Juive, Jenufa, Lady Macbeth de Mzensk, Cardillac par exemple)
  • Ensuite, retravailler des titres populaires, dont la production peut encore durer (Aida, André Chénier, Fidelio)
  • Valoriser l’ensemble de ces reprises par des distributions séduisantes voire exceptionnelles et ainsi attirer le public et, pour ceux qui viennent de loin, leur permettre d’accéder en même temps aux nouvelles productions souvent qui les accompagnent dans le calendrier.
  • Autre calcul plus « pervers » : on sait que les stars n’aiment pas les répétitions. Une star, c’est bien connu, a des compétences innées… et un agenda si chargé qu’elle n’a pas envie de perdre trop de temps en répétitions alors qu’elle pourrait chanter ailleurs et être grassement payée…
  • Enfin, les polémiques sur les nouvelles productions viennoises et les manœuvres locales habituelles nécessitent que la balance penche aussi vers des distributions qui vont faire taire, puisqu’on pourra dire que Vienne danse avec le feu pour ses nouvelles productions, mais chante avec les stars. Tout cela est de bonne guerre, et met ainsi peut-être le projecteur plus sur les reprises que sur les premières. C’est le calcul qui a déjà été fait dans la saison actuelle avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann dans Peter Grimes.
  • En somme, moins de frais de productions, moins de répétitions qu’une première et l’assurance d’un bon remplissage : tout bénéfice.

Septembre 2023
jacques Fromental Halévy
La Juive
(5 repr. du 5 au 18 sept.) Dir : Bertrand de Billy/MeS : Günter Krämer
Avec Roberto Alagna, Sonya Yoncheva, Nina Minasyan, Günther Groissböck, Cyrille Dubois
207 représentations à Vienne entre 1870 et 1933, deux représentations concertantes en 1981 , 36 représentations entre 1999 et 2015 de la production de Günter Krämer, dominée par la prestation désormais légendaire de Neil Shicoff qui a été quasiment de l’ensemble des reprises jusqu’à la dernière de 2015.
À Neil Shicoff succède Roberto Alagna, magnifiquement entouré par des vedettes du chant actuel comme Groissböck ou Yoncheva, et par des grands espoirs internationaux comme Cyrille Dubois qu’on ne présente pas et Nina Minasyan qu’on a vue à Lyon dans Le Coq d’or.
Dans la fosse, Bertrand de Billy, excellent dans ce répertoire.
Y courir évidemment, indépendamment de la production de Krämer, qui ne présente pas d’intérêt . Mais ouvrir la saison ainsi, c’est ce qu’on appelle un beau coup. 

Octobre 2022
Leoš Janáček
Jenůfa
(5 repr. du 9 au 23 octobre 2022) (Dir : Tomáš Hanus/MeS : David Pountney)
Avec Asmik Grigorian, Violeta Urmana, David Butt Philip, Michael Laurenz.
Jenůfa est entré au répertoire à Vienne en 1918 et a connu depuis 7 productions, la production de David Pountney la septième remonte à 2002 et fut créée par Seiji Ozawa. Elle a connu depuis 36 représentations, et elle est suffisamment bonne pour ne pas nécessiter de nouvelle production.
Cette reprise sera dirigée par Tomáš Hanus, qui vient de diriger l’œuvre à Genève avec grand succès et c’est donc une garantie. La distribution est dominée par Asmik Grigorian (Jenůfa) et Violeta Urmana (la sacristine) du côté des deux frères, Laca est confié au jeune ténor David Butt Philip, que le public découvrira aussi en Walther et Steva à l’excellent Michael Laurenz.
Une distribution solide, un excellent chef, une production qui a fait ses preuves, que demander de plus ?

Novembre 2022
Paul Hindemith
Cardillac
(5 repr. du 2 au 13 nov. 2022) (Dir : Cornelius Meister/MeS : Sven-Eric Bechtholf)
Avec Tomasz Konieczny, Vera-Lotte Böcker, Gerhard Siegel etc…
Cardillac n’est pas une des œuvres qui remplissent les programmes (ni les salles) fréquemment : à Vienne, quatre productions depuis 1927 avec au total des quatre productions et en tout 35 représentations… La dernière, signée Sven-Eric Bechtholf remonte à 2010 et a connu 11 représentations en tout (2010, 2012, 2015). La nouvelle production ne s’impose pas, même si la production Bechtholf est comme les autres productions Bechtholf, sans grand intérêt.
La distribution est solide, avec le Cardillac de l’excellent Tomasz Konieczny et Vera-Lotte Böcker, qu’on commence à voir sur bien des scènes, un des sopranos les plus intéressants du moment. Quant à Gerhard Siegel, c’est un des meilleurs ténors de caractère du marché (un Loge exceptionnel). C’est Cornelius Meister, le GMD de Stuttgartqui sera en fosse, et cela, c’est particulièrement intéressant. Il représente la relève de la direction musicale germanique, et a déjà dirigé depuis quelques années 9 productions à Vienne,

Novembre-décembre 2022
Umberto Giordano
Andrea Chénier
(4 repr. du 30 nov au 9 déc. 2022) (Dir : Francesco Lanzilotta/MeS : Otto Schenk)
Avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta.
La distribution parle d’elle-même. Qui manquera un Andrea Chénier avec Jonas Kaufmann ? L’œuvre a connu à Vienne 4 productions, et Lotte Lehmann chanta Madeleine de Coigny à la première en 1926 mais la quatrième, signée Otto Schenk, a connu 120 représentations depuis 1981 : on ne change pas une production qui gagne, d’autant qu’Andrea Chénier est une de ces œuvres où la mise en scène demande réalisme et reconstitution historique… Francesco Lanzillotta, en fosse, est un des excellents chefs de la nouvelle génération italienne et a dirigé à pour la première fois à Vienne la saison actuelle 21/22 avec succès. On ne présente plus Carlos Alvarez, toujours remarquable, et Maria Agresta devrait être une touchante Madeleine.
Préparez donc votre voyage…

Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Aida
(4 repr. du 14 au 24 Janvier 2023) (Dir : Nicolas Luisotti/MeS : Nicolas Joel)
Avec Elina Garanca, Jonas Kaufmann, Luca Salsi…
Encore un motif de voyage à Vienne, même si la production signée Nicolas Joel ne décoiffe pas (créée en 1984 et 124 représentations quand même), et même s’il ne faut pas attendre grand-chose de la direction de Nicola Luisotti, chef correct de répertoire, routine confortable qui écume la plupart des grands théâtres internationaux sans jamais étonner…
Mais Garanca, Kaufmann et Salsi valent déjà la réservation d’un train de nuit…
Certes Aida n’est pas annoncée, mais on sussurre, on murmure un nom qui circule d’une cantatrice autrichienne à la double nationalité et qui n’a pas encore repris trop de service depuis la guerre en Ukraine… Vous devinez… ?
Si c’est le cas, on campera autour de l’opéra… prudemment, le nom est gardé in pectore par la direction.
A ne pas manquer évidemment, même si personnellement à choisir j’eus préféré Lanzillotta dans Aida et Luisotti dans Chénier

Février-mars 2023
Ludwig van Beethoven
Fidelio
(4 repr. du 22 fév. au 4 mars 2023) (Dir : Axel Kober/MeS : Otto Schenk)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Christof Fischesser, Jochen Schmeckenbecher, Slávka Zámečníková.
Se souvient-on que cette production (260 représentations au compteur) fut créée par Leonard Bernstein en 1970, avec Gwyneth Jones, James King, Theo Adam, Franz Crass, Lucia Popp… ?
Cette reprise est moins prestigieuse sans doute, mais solide, avec la lumineuse Leonore d’Anja Kampe. je suis moins convaincu par Brandon Jovanovich en Florestan, mais ils sont bien entourés, en signalant la délicieuse Slávka Zámečníková en Marzelline, Donna Anna fabuleuse à Berlin, qu’on s’arrachera dans les prochaines années. En fosse, Axel Kober, un des chefs très solides pour ce répertoire.
Une reprise qui tiendra sans doute la distance. À remarquer que les productions d’Otto Schenk sont précieusement conservées dans cette maison où il a tant fait. Et cette reprise retravaillée montre que ce Fidelio en a encore pour quelques années.

Mai-Juin 2023
Dmitry Chostakovitch
Lady Macbeth de Mzensk
(5 repr. du 28 mai au 12 juin 2023) (Dir : Alexander Soddy/MeS : Matthias Hartmann)
Avec Günther Groissböck, Aušrinè Stundytè, Dmitry Golovnin, Andrei Popov etc…
Étonnamment, une seule production de l’opéra de Chostakovitch à Vienne, créé très tardivement (2009) repris deux fois (2015 et 2017) pour un total de 16 représentations. Matthias Hartmann n’est pas un metteur en scène très intéressant (un des représentants d’une fausse modernité sans grandes idées), mais la distribution, dominée par la Katerina d’Aušrinè Stundytè, qui est devenue la référence absolue du rôle depuis six à sept ans (elle a explosé à Anvers dans la production Bieito) à ses côtés Günther Groissböck qu’on ne présente plus et Dmitry Golovnin, que je considère comme l’un des ténors les plus intéressants du répertoire russe, qui sera Serghei.
En fosse, un chef que tous désignent comme l’une des figures du futur de la direction musicale, Alexander Soddy, GMD à Mannheim, qui fut l’assistant de Petrenko à Bayreuth. À écouter avec curiosité d’autant qu’aussi bien à Berlin qu’à Londres, il commence vraiment à intéresser les maisons d’opéra.

Comme on le voit, même sans nouvelles productions, il y aurait de quoi faire quelques voyages viennois tant ces reprises sont somptueusement distribuées.
Considérons maintenant le répertoire, qui comme on le sait à Vienne, ne fait pas l’objet de travail de répétitions longues, mais qui constitue le quotidien de la maison et presque son âme. La question du répertoire, bien au-delà de la question de la troupe, nécessite une organisation technique particulière, avec une occupation de la scène continue, nuit et jour (faire et défaire les décors par exemple) : les horaires de répétitions, les répétitions générales des nouvelles productions dans une maison qui joue quasiment chaque soir nécessitent un agenda serré.
Bogdan Roščić a réduit le nombre de titres proposés pour aérer un peu la programmation et laisser un peu plus d’espace, il a compensé quelquefois en élargissant le nombre de représentations de titres populaires en deux séries distribuées sur la saison, voire trois pour Tosca, avec des distributions un peu ou totalement différentes et des changements de chefs.
Sauf en de rares occasions, chaque distribution a au moins un élément digne d’intérêt, une star, une prise de rôle, une première apparition à Vienne. Du point de vue des productions, dans les représentations de répertoire, on prend ce qu’il y a en magasin, et c’est aussi la raison pour laquelle Bogdan Roščić a acheté des productions réussies qui avaient fait leur temps ailleurs pour rafraîchir la “garderobe”.
Mais on remarque aussi la présence de productions historiques, qui sont des témoignages, en premier lieu la fameuse Tosca de Margharete Wallmann, qui remonte à 1958, que tout visiteur de l’opéra de Vienne doit au moins avoir vue une fois, mais il y en a d’autres, comme La Bohème de Zeffirelli (la même qu’à la Scala), ou diverses productions d’Otto Schenk dont le Rosenkavalier. En bref, même si les conditions musicales ne sont pas toujours idéales, loin de là (en fosse, l’orchestre de la Staatsoper, à géométrie variable à cause du nombre de titres et de l’alternance au quotidien, ne ressemble quelquefois que de très très loin aux fameux Wiener Philharmoniker qui sont issus de l’orchestre ; il faut sans cesse corriger certains journalistes qui appellent Wiener Philharmoniker l’orchestre en fosse à l’Opéra. Les Wiener Philharmoniker n’officient en fosse ès qualité qu’au festival de Salzbourg…
Il reste qu’en Europe occidentale, seules Munich et Vienne peuvent afficher un nombre aussi important de productions, et ne leur sont comparables que des institutions russes comme le Bolchoï ou le Mariinsky, impraticables en ce moment pour les raisons qu’on sait.

Alors avant d’aborder les titres singuliers (quand cela vaut la peine, il est bon de faire quelques statistiques des compositeurs proposés cette saison.
R= Répertoire
W=Wiederaufnahme (reprise travaillée)
NP= Nouvelle production

1 Beethoven (Fidelio) W
1 Berg (Wozzeck R)
1 Bizet (Carmen) R
1 Chostakovitch (Lady Macbeth de Mzensk) W
3 Donizetti (La fille du régiment R, L ‘Elisir d’amore R, Don Pasquale R)
1 Giordano (Andrea Chénier) W
1 Halévy (La juive, W)
1 Hindemith (Cardillac W)
1 Janáček (Jenůfa W)
1 Mahler (NP)
1 Mascagni/Leoncavallo (Cav-Pag R)
2 Massenet (Werther R, Manon R)
2 Monteverdi (Il ritorno di Ulisse NP, L’Orfeo R)
3 Mozart (Die Zauberflöte R, Don Giovanni R, Nozze di Figaro NP)
1 Poulenc (Dialogues des Carmélites NP)
3 Puccini (Madame Butterfly R, La Bohème R, Tosca R)
2 Rossini (Il Barbiere di Siviglia R, La Cenerentola R)
1 Strauss J. (Fledermaus R)
4 Strauss (Salomé NP, Elektra R, Ariadne auf Naxos R, Rosenkavalier R)
4 Verdi (Aida W, Macbeth R, Rigoletto R, Traviata R)
7 Wagner (Meistersinger NP, Parsifal R, Lohengrin R, Ring (4 titres) R)

Répertoire

Septembre 2022/Avril 2023
Georges Bizet
Carmen
8 repr. : 4 repr. du 6 au 15 sept 2022(A) et 4 repr. du 19 au 28 avril 2023  (B)
(Dir : Yves Abel(A) Alexander Soddy (B)/MeS : Calixto Bieito)
Avec Elina Garança, Piotr Beczala, Roberto Tagliavini, Slávka Zámečníková (A)
Eve-Maud Hubeaux, David Butt Philip, Erwin Schrott, Slávka Zámečníková (B)

Ouverture de saison et mois de septembre construit pour attirer le public : Carmen avec Garança et Beczala, c’est évidemment très attirant d’autant que Tagliavini est excellent, et que Slávka Zámečníková sera sans doute une excellente Micaela.
La reprise d’avril est intéressante à cause des voix nouvelles (Eve-Maud Hubeaux en Carmen, et David Butt Philip qu’on va voir assez souvent dans la saison en Don José). Pour Erwin Schrott, c’est moins convaincant.
Yves Abel est un chef solide et bien connu à Vienne (mais dans un autre répertoire) et Soddy pour la reprise devrait intéresser.

Septembre/Décembre 2022
Mozart
Die Zauberflöte
9 repr. : 4 repr. du 7 au 16 sept 2022(A) et 5 repr. du 7 au 19 déc. 2022  (B)
(Dir : Bertrand de Billy(A) Alexander Soddy (B)/MeS : Patrice Caurier-Moshe Leiser)
Avec Günther Groissböck, Pavel Petrov, Golda Schultz, Kathrin Lewek etc.. (A)
Franz-Josef Selig, Sebastian Kohlhepp, Erin Morley, Brenda Rae etc… (B)
Pour la distribution, sans doute mieux vaut la distribution B (décembre) avec Selig et le jeune Sebastien Kohlhepp, excellent ténor.

Septembre 2022/Janvier-Février 2023
Mozart
Don Giovanni
9 repr. : 5 repr. du 17 au 28 sept 2022(A) et 4 repr. du 29 janv. au 6 fév. 2023  (B)
Dir : Philippe Jordan(A) Antonello Manacorda(B)/ MeS : Barrie Kosky
Avec Kyle Ketelsen, Philippe Sly, Hanna Elisabeth Müller, Pavol Breslik, Tara Erraught, Ain Anger (A)
Kyle Ketelsen, Philippe Sly, Eleonora Buratto, Dmitry Korchak, Kate Lindsey,  Ain Anger (B)
Une production que j’ai beaucoup aimée, et des deux distributions, sans doute faut-il conseiller celle de septembre (A), dirigée par Philippe Jordan avec l’essentiel du cast de la création en décembre 2021. La distribution B garde le couple phénoménal Ketelsen/Sly, mais en fosse, je ne suis jamais convaincu par Antonello Manacorda.

Septembre 2022/Janvier 2023
Rossini
Il barbiere di Siviglia
9 repr. : 4 repr. du 22 au 30 sept 2022(A) et 5 repr. du 3 au 15 janv. 2023  (B)
(Dir : Giacomo Sagripanti (A)/ Michele Mariotti (B) ; MeS : Herbert Fritsch)
Avec Levy Sekgapane, Vasilisa Berzhanskaya, Paolo Bordogna, Marco Caria etc…(A)
Alasdair Kent, Patricia Nolz, Paolo Bordogna, Boris Pinkhasovich etc…(B)
Distribution A absolument « rossinienne » avec une Berzhanskaya fabuleuse Rosine découverte par l’Opéra de Rome que celui de Vienne semble s’être assuré pour beaucoup de représentations. Distribution B moins « idiomatique », même avec de bons chanteurs, (Rossini demande vraiment des chanteurs rompus à l’exercice…) mais en fosse Michele Mariotti est la garantie rossinienne, bien plus que Bisanti (A)… Choix difficile, mais si vous avez à choisir, plutôt d’autant que le mois (avec La Juive et Carmen et le reste) vous garantit un petit Festival d’opéra particulièrement séduisant. 

Octobre 2022
Giuseppe Verdi
Rigoletto
(4 repr. du 1er au 11 oct) (Dir : Pier Giorgio Morandi MeS : Pierre Audi)
Avec Benjamin Bernheim, Erin Morley, Simon Keenlyside
Mise en scène sans intérêt, chef de répertoire sans grand intérêt, distribution séduisante (Keenlyside en Rigoletto est assez attirant, hors des sentiers battus) Bernheim aura les notes, le timbre, la couleur, presque tout en somme…
Si vous êtes par là, pourquoi pas ?

Claudio Monteverdi
L’Orfeo
(4 repr. du 14 au 22 oct. ) (Dir : Stefan Gottfried MeS : Tom Morris)
Avec Georg Nigl, Patricia Nolz, Slávka Zámečníková
Reprise de la production qui va avoir sa première en juin 2022, une distribution dominée par Georg Nigl mais Patricia Nolz est vraiment intéressante et il vous faut découvrir Slávka Zámečníková ! Dommage que Pablo Heras-Casado ne soit plus en fosse

Octobre 2022-Février-mars 2022
Gaetano Donizetti
L’Elisir d’amore
8 repr. : 4 du 21 au 30 oct 2022, 4 du 21 févr. au 10 mars 2023
Dir : Gianluca Capuano(A)/Stefano Montanari (B)/MeS Otto Schenk
Avec Slávka Zámečníková, Bogdan Volkov, Davide Luciano, Alex Esposito…(A)
Kristina Mkhitaryan, Francesco Demuro, Clemens Unterreiner, Ambrogio Maestri etc…(B)
Vu que les deux chefs sont vraiment excellents, parmi les meilleurs sur ce répertoire, c’est la distribution qui fera la différence, et là, pas d’hésitation, c’est la A qu’il faut aller écouter. Bogdan Volkov en Nemorino devrait être magnifique.

Octobre-novembre 2022/Février 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata
9 repr. du 29 oct au 8 nov (A) et du 5 au 11 fév 2023 (B)
Dir : Thomas Guggeis(A)/Nicola Luisotti (B)MeS : Simon Stone
Avec
A et B: Kristina Mkhitaryan, Dmytro Popov, Amartuvshin Enkhbat
Aucun intérêt à aucun niveau. Une série purement alimentaire, sauf si le hasard vous trouve à Vienne évidemment.

Novembre 2022

Richard Strauss
Ariadne aud Naxos
4 repr. du 9 au 17 novembre Dir : Thomas Guggeis/MeS : Sven Eric Bechtholf
Avec Christina Bock, Eric Cutler, Camilla Nylund, Caroline Wettergreen.
Pour Nylund et Cutler, évidemment passionnants, peut-être aussi le chef Thomas Guggeis , mais pas pour la mise en scène,

Giuseppe Verdi
Macbeth
4 repr. du 18 au 27 novembre Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Barrie Kosky
Avec Simon Keenlyside, Riccardo Fassi, Anna Pirozzi, Freddie De Tommaso
Même si pour Macbeth, on aurait peut-être préféré un autre chef, la mise en scène exceptionnelle de Barrie Kosky, de très loin le meilleur Macbeth du marché  vaut le coup. Distribution dominée par Simon Keenlyside dont on connaît l’intelligence et les qualités et Anna Pirozzi, en grande forme en ce moment, avec Riccardo Fassi qui est aussi une très bonne basse.

Jules Massenet
Werther
4 repr. du 19 au 29 novembre Dir : Alejo Pérez/MeS : Andre Serban
Avec Attila Mokus, Vasilisa Berzhanskaya, Dmitry Korchak
Pour Berzhanskaya et pour Aléjo Pérez, toujours intéressant, si vous êtes sur place mais ne vaut évidemment pas un voyage.

Novembre-décembre 2022/Mars 2023/Mai 2023
Giacomo Puccini
Tosca
10 repr. du 23 nov au 5 déc (A), du 25 au 31 mars (B), du 12 au 18 mai (C) Dir : Giacomo Sagripanti (A)(C), Marco Armiliato(B)/MeS : Margarethe Wallmann
Avec
A : Camilla Nylund, Stefano La Colla, Erwin Schrott
B : Krassimira Stoyanova, Michele Fabiano, Luca Salsi
C : Maria Agresta, Piotr Beczala, Bryn Terfel
En absolu, distribution B la plus équilibrée avec un bon chef de repertoire. Mais peut-on manquer un Scarpia de Bryn Terfel (distr.C)
Et de toute manière, il faut voir une fois dans sa vie ce monument historique qu’est la Tosca de Vienne.

Décembre 2022
Richard Strauss
Der Rosenkavalier
3 repr. du 18 au 26 décembre – Dir : Philippe Jordan MeS : Otto Schenk
Avec Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Kate Lindsey, Adrian Eröd, Vera-Lotte Böcker etc…
Si vous passez les fêtes à Vienne, à ne pas manquer, c’est une très belle distribution, une très belle production historique et Philippe Jordan est un très bon straussien.

Décembre 2022-Janvier 2023
Gaetano Donizetti
La fille du régiment
4 repr. du 25 déc. au 2 janv. – Dir : Michele Spotti MeS : Laurent Pelly
Avec Pretty Yende, Juan Diego Flórez, Adrian Eröd etc..
Production désormais culte, créée en 2007 par Natalie Dessay, et déjà Flórez. En fosse, Michele Spotti à Vienne pour la première fois qui a montré à Bergamo combien il possédait cette partition et combien il lui donnait verve et force. Vous passez les fêtes à Vienne. Ne manquez pas une des soirées.

Johann Strauss
Die Fledermaus
6 repr :  31 déc (A)/(B), 1 janv (B), 4 janv. (B), 6 janv (A)(B)- Dir : NN (A) Simone Young (B) MeS : Otto Schenk.
Avec
Peter Simonischek, Jörg Schneider, Daria Sushkova etc…(A)
Peter Simonischek, Andreas Schager, Rachel Willis-Sørensen, Christina Böck, Vera-Lotte Böcker (B)
Pour canaliser la demande du public, deux representations les 31 et 6 janvier, avec une autre distribution. Mais il faut évidemment chercher la distribution B, dominée notamment par Andreas Schager et Rachel Willis-Sørensen. Fledermaus à Vienne, c’est évidemment un must notamment avec le grand Simonischek en Frosch.

Janvier 2023
Richard Strauss
Elektra
3 repr. du 5 au 11 jan. – Dir : Simone Young MeS : Harry Kupfer
Avec Violeta Urmana, Nina Stemme, Simone Schneider, Jörg Schneider, Christof Fischesser
Avec intelligence, Bogdan Roščić a remisé la médiocre production Laufenberg et repris la production désormais historique de Harry Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989, restée dans les entrepôts. Direction sans doute solide de Simone Young, et trio de choc avec Violeta Urmana en Clytemnestre, désormais un de ses rôles fétiches, Nina Stemme qu’on ne présente plus, et Simone Schneider en Chrysothemis, qui est l’une des voix les plus intéressantes et vibrantes, et sensibles du moment.

Giacomo Puccini
La Bohème
5 repr. du 19 au 31 jan. – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Benjamin Bernheim, Rachel Willis-Sørensen, Boris Pinkhasovich, Slávka Zámečníková.
Pour voir la production Zeffirelli, qui fait les beaux soirs de la Scala et de Vienne depuis les années 1960 (à Vienne, 443 représentations depuis 1963). Bernheim au timbre d’or, mais au phrasé italien à polir, et pour le reste entendre Slávka Zámečníková en Musetta. On ne ma convaincra jamais que Rachel Willis-Sørensen convienne au repertoire italien.

Février 2023
Mozart
Die Zauberflöte für Kinder
2 repr. le 17 févr. 2023
Deux représentations en une journée de cette présentation pour les classes du pilier du patrimoine musical local

Richard Wagner
Tristan und Isolde
3 repr. du 20 au 26 févr. – Dir. : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito
Avec : Nina Stemme, Andreas Schager, Christof Fischesser, Christa Mayer, Iain Paterson
Distribution dominée par Nina Stemme et Andreas Schager. Stemme succède à Martina Serafin et elle n’aura aucun mal à la faire oublier, si elle est plus en forme qu’à Aix en Provence. En fosse, Philippe Jordan et production intelligente de Calixto Bieito (et donc mal accueillie par un certain public).


Mars 2023
Gioachino Rossini
La Cenerentola
4 repr. du 3 au 12 mars – Dir: Stefano Montanari/MeS : Sven Eric Bechtholf
Avec Dmitry Korchak, Roberto Tagliavini, Vasilisa Berzhanskaya, Pietro Spagnoli, Michael Arivoni.
Oui pour Vasilisa Berzhanskaya et Roberto Tagliavini, oui pour le magnifique Stefano Montanari en fosse. Il y a d’autres ténors que Dmitry Korchak… Quant à la production de Sven Eric Bechtholf, elle est sans intérêt comme la plupart des productions signées par ce metteur en scène très surfait.

P.I.Tchaïkovski
Eugène Onéguine
4 repr. du 14 au 24 mars – Dir: Tomáš Hanus/MeS : Dmitry Tcherniakov
Avec Etienne Dupuis, Nicole Car, Iván Ayón Rivas, Dimttry IvaschenkoBelle production de Dmitry Tcherniakov, qu’il faut avoir vu. En fosse Tomáš Hanus remarquable chef d’opéra et distribution solide sans être exceptionnelle.

Mars-Avril 2023
Alban Berg
Wozzeck
3 repr. du 29 mars au 5 avril – Dir: Philippe Jordan/MeS : Simon Stone
Avec Johannes Martin Kränzle, Sean Panikkar, Sara Jakubiak, Dmitry Belosselskiy, Jörg Schneider
Johannes Martin Kränzle en Wozzeck, c’est évidemment très intéressant, tant le chanteur est un acteur éblouissant et un diseur fantastique et sensible. Moins convaincu par l’annonce de Sara Jakubiak en Marie, qui ne m’a jamais convaincu. En revanche bon entourage (Excellent Panikkar notamment).

Avril 2023

Richard Wagner
Parsifal
4 repr. du 6 au 16 avril – Dir: Philippe Jordan/MeS : Kirill Serebrennikov
Avec : Michael Nagy, Franz-Josef Selig, Klaus Florian Vogt, Ekaterina Gubanova, Derek Welton.
La production de Serebrennikov avec une distribution complètement modifiée, dont l’intérêt est Michael Nagy en Amfortas, Selig en Gurnemanz, et bien sûr Vogt en Parsifal (même si ce n’est pas le rôle où je le préfère) et la Kundry de Gubanova, qui devrait être intéressante dans le personnage voulu par Serebrennikov. Pourrait valoir un voyage.

Richard Wagner
Lohengrin
3 repr. du 15 au 23 avril – Dir: Omer Meir Wellber/MeS : Andreas Homoki
Avec Tareq Nazmi, Piotr Beczala, Camilla Nylund, Tomasz Konieczny, Nina Stemme
Autre distribution intéressante, Beczala et Nylund en Lohengrin et Elsa, et Konieczny Telramund bien connu, et surtout Stemme en Ortrud…
En fosse, Omer Meir Wellber, très irrégulier. A entendre pour la distribution et combiner 15 avril (Parsifal) et 16 avril (Lohengrin)

Avril-Mai 2023
Jules Massenet
Manon
5 repr. du 30 avril au 13 mai – Dir : Bertrand De Billy/MeS : Andrei Serban
Avec Pretty Yende, Charles Castronovo etc…
Si on aime…

Mai 2023
Gaetano Donizetti
Don Pasquale
4 repr. du 17 au 26 mai – Dir :  Francesco Lanzillotta/ MeS : Irina Brook
Avec Michele Pertusi, Brenda Rae, Josh Lovell, Michael Arivony
Intéressant pour Lanzillotta en fosse, excellent et Pertusi toujours intéressant. Pour le reste…

Juin 2023
Richard Wagner
Der Ring des Nibelungen
2 séries – Dir : Franz Welser-Möst/MeS : Sven Eric Bechtholf

Das Rheingold
1er et 21 juin 2023
Avec Eric Owens, Tanja Ariane Baumgartner, Michael Nagy, Michael Laurenz, Ain Anger

Die Walküre
4 et 22 juin 2023
Avec Eric Owens, Ricarda Merbeth, Giorgio Berrugi, Ain Anger, Tamara Wilson, Tanja Ariane Baumgartner

Siegfried
11 et 25 juin 2023
Avec Eric Owens, Klaus Florian Vogt, Ricarda Merbeth, Michael Nagy, Ain Anger

Götterdämmerung
18 et 30 juin 2023
Avec Burkhard Fritz, Dmitry Belosselskiy, Ricarda Merbeth, Michael Nagy, Regine Hangler etc…

La mise en scène est sans aucun intérêt (Sven Eric Bechtholf), en revanche, Franz Welser-Möst en fosse, c’est diablement passionnant (c’est lui qui a créé cette nouvelle production en 2007). Pour la distribution, c’est le Wotan d’Eric Owens, extraordinaire Alberich de la production Lepage au MET, et le Siegfried (de Siegfried) de Klaus Florian Vogt dans une prise de rôle qui seront évidemment une attraction pour tous les wagnériens : le très prudent ténor pourrait nous étonner diablement. L’Alberich de Michael Nagy devrait aussi être digne d’intérêt tant le chanteur est intelligent. Des valeurs sûres comme Tanja Ariane Baumgartner qui est une excellente Fricka et une équation à deux inconnues à tester, Tamara Wilson en Sieglinde, et Giorgio Beruggi en Siegmund.
Très tentant… très tentant…

Pietro Mascagni/Ruggiero Leoncavallo
Cavalleria Rusticana/Pagliacci
4 repr. du 15 au 27 juin – Dir : Daniel Harding/ MeS : Jean-Pierre Ponnelle
Avec Asmik Grigorian, Jonathan Tetelman, Amartuvshin Enkhbat, Yonghoon Lee
Pour Harding, intéressant en fosse et notamment dans un répertoire où il est inattendu, et pour Grigorian

Giacomo Puccini
Madama Butterfly
4 repr. du 20 au 29 juin – Dir :  Antonello Manacorda/ MeS : Anthony Minghella
Avec Sony Yoncheva, Charles Castronovo, Boris Pinkhasovich, Isabel Signoret
Intéressant pour la mise en scène. Pour le reste, si vous êtes à Vienne pour le Ring, et si vous n’avez rien de mieux…

Évidemment de petites vacances d’une dizaine de jours à Vienne entre le 20 et le 30 juin rempliraient vos soirées d’opéra…

Même avec de nouvelles productions, même avec des mises en scènes plus actuelles que depuis des années, la Wiener Staatsoper reste un temple de la tradition et du classicisme. La programmation n’a pas de prétentions autres que faire de l’opéra. Cela semble évident, mais d’autres maisons comme Genève ou Munich essaient d’accompagner la programmation d’un discours sur l’actualité, sur l’art, sur notre monde. Rien de tout cela ici. L’Opéra dans tous ses états, qui va de l’impossible à rater à l’aimable médiocrité. Avec 42 productions annuelles, il y a le choix : Vienne sera toujours Vienne et au fond, vaut toujours le voyage, si on peut combiner Opéra, Musikverein (ou Konzerthaus) et Theater an der Wien.

 

 

LA SAISON 2021-2022 DE LA WIENER STAATSOPER

UNE NORMALITÉ DE TRÈS HAUT NIVEAU

Après une première saison 2020-21 tronquée par la pandémie, mais dont nous avons pu voir quelques moments clefs en streaming ou même en salle, la saison 2021-22 s’annonce un peu moins explosive. Cinq nouvelles productions et quelques « Wiederaufnahmen » de productions de répertoire rafraichies, et pour le reste des productions de répertoire plus ou moins habituelles font une année presque normale, que nous allons détailler.
La Wiener Staatsoper est une maison de grande tradition, et pour sûr le modèle du système de répertoire, nous l’avons souvent souligné. Dominique Meyer en avait fait d’ailleurs le pilier de sa politique, garantissant un niveau moyen élevé de ses représentations « ordinaires », plus élevé en tous cas que celui de son prédécesseur Ioan Holender.
Le nouvel intendant Bogdan Roščić devait donc marquer une ligne de rupture, notamment au regard de la politique de mises en scène menée depuis des années, qui faisait de Vienne un temple très traditionnel, ce qui n’est pas problématique, mais aussi d’une certaine médiocrité scénique, ce qui l’est plus. Un seul exemple, la production musicalement fabuleuse de Die Frau ohne Schatten en juin 2019 dirigée par un Christian Thielemann des grands soirs avec un cast à faire pâlir, dans une mise en scène plan-plan et sans aucun intérêt de Vincent Huguet, dont nous avions rendu compte dans le site Wanderer.

Bogdan Roščić a donc suivi une double ligne : des nouvelles productions faisant appel à des metteurs en scène plus inventifs, comme le Parsifal signé Kirill Serebrennikov  dont Wanderer a rendu compte, et d’un autre côté là où c’était nécessaire rafraîchir le répertoire rapidement en achetant des productions  qui avaient marqué ailleurs, c’est le cas de l’Eugène Onéguine vu par Dmitry Tcherniakov, ou du Faust de Frank Castorf, dont Wanderer a aussi rendu compte, mais aussi de l’Incoronazione di Poppea (de Jan Lauwers) pris à Salzbourg et du Macbeth (dont Wanderer a rendu compte en juin dernier) signé Kosky qui vient de Zurich (Wanderer a aussi rendu compte de la production zurichoise) sans jamais renoncer à l’excellence musicale, voir à l’exceptionnel (cf. Parsifal) qui fait partie de l’ADN de la maison, au moins pour les Premières et les grandes reprises. Le public viennois est en effet l’un des plus sensibles qui soient aux équipes musicales et aux voix.

Tout cela doit demander à Bogdan Roščić, et à ses équipes, notamment à son responsable-casting Robert Körner (qui officiait naguère à Lyon) un jeu subtil d’équilibres qui devrait à terme permettre à ce public d’évoluer dans ses habitudes et attentes. Un retournement de la sorte se fait progressivement et lentement.
C’est pourquoi cette deuxième année apparaît comme un peu moins bouleversée, mais avec des nouvelles productions qui stimulent les envies du mélomane voyageur…

 

Nouvelles productions :
Les cinq nouvelles productions donnent une belle visibilité sur les intentions de la direction du théâtre, qui loin de négliger le répertoire, veulent au contraire l’asseoir et le « ravaler » avec des productions correspondant un peu plus à notre modernité : Rossini (Il Barbiere di Siviglia), Mozart (Don Giovanni) Berg (Wozzeck), Wagner (Tristan und Isolde), Monteverdi (L’Orfeo) sont des productions-emblèmes qu’il faut à la fois considérer en soi, de simples nouvelles productions d’une saison, mais surtout par ce qu’elles disent derrière, entre les lignes, des intentions artistiques.

Septembre 2021/Juin 2022
Rossini, Il barbiere di Siviglia
(6 repr. du 28 sept au 14 oct/4 repr. du 4 au 12 juin) (MeS : Herbert Fritsch)
Avec

  • Dir : Michele Mariotti
    Florez/Berzhanskaja/Bordogna/Abdrazakov/Luciano/Brauer-Kvam
  • Juin Dir : Stefano Montanari
    Florez/Molinari/Bank/Kellner/Olivieri

La production de Gunther Rennert a fait son temps, qui fut particulièrement long (depuis 1966), mais elle n’a pas été reprise depuis 1990, ce qui est surprenant pour un titre aussi populaire. La nouvelle production est confiée à Herbert Fritsch, qui a fait ses classes chez Castorf à la Volksbühne de Berlin jusqu’en 2007. Voilà qui promet.
Du côté de la distribution, en octobre, du beau monde, avec Florez et Vasilisa Berzhanskaya (remplaçant Crebassa), mais aussi Bordogna et Abdrazakov, avec le Figaro d’Etienne Dupuis à découvrir remplaçant Davide Luciano, le tout sous la direction experte de Michele Mariotti, né dans les langes de Rossini.
En juin  un autre chef, Stefano Montanari, aussi excellent que Mariotti, sinon encore plus inventif, et une distribution où les basses sont celles de la maison (Bankl, Kellner) et où Etienne Dupuis laisse la place à Mattia Olivieri, l’un des meilleurs jeunes barytons de la péninsule qui vient de triompher dans le rôle à la Scala. Pour le reste, Florez répondra aussi présents en juin. Florez a été Faust dans la production de Frank Castorf, il peut affronter Herbert Fritsch dans Almaviva. Quant à Crebassa elle sera remplacée par Cecilia Molinari. Le public viennois n’est pas au bout de ses (bonnes) surprises.

Décembre 2021
Mozart, Don Giovanni
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky)
Avec Ketelsen/Sly/de Barbeyrac/Anger/Kellner/ H.E.Müller/Lindsey/Nolz
Attention! Piège. La durée relative de la mise en scène fameuse de Franco Zeffirelli de 1972 à 1990 ne doit pas masquer les successives, Bondy (plutôt pas mal) dura deux saisons, puis De Simone pas beaucoup plus. La dernière, celle de Martinoty dura l’ère Dominique Meyer mais n’était pas de celles qu’on garde pour l’éternité.
L’échec récent de Castellucci à Salzbourg nous indique combien l’œuvre de Mozart est piégeuse.
Comme c’est la mode aujourd’hui, on confie la trilogie Da Ponte à un seul metteur en scène, Barrie Kosky, qui se lance dans l’aventure. S’il y réussit, tout le monde courra à Vienne pour voir.

Du côté musical, pas de risque en fosse où Philippe Jordan, mozartien devant l’Éternel, assure la direction musicale, mais sur scène, un plateau inhabituel avec Kyle Ketelsen en Don Giovanni, lui qui fut un extraordinaire Leporello, et en Leporello, Philippe Sly, qui ne fut pas un Don si convaincant. Un Ottavio de grand style, Stanislas de Barbeyrac, et deux dames qui devraient convaincre, -mais qui sait? – Hanna Elisabeth Müller en Anna et Kate Lindsey en Elvira. Sachant la difficulté à monter Mozart aujourd’hui, rien n’est assuré. Attendons.
(6 repr du 5 au 20 déc/5 repr. du 3 au 15 juin)

Mars 2022
Berg, Wozzeck
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Simon Stone)
Avec Gerhaher/Kampe/Panikkar/Schneider/Belosselsky
La mise en scène de Dresen a duré jusqu’à 2014, et c’était une très belle production dont il existe une vidéo avec Grundheber, Behrens et Abbado. Plusieurs dizaines de représentations plus tard, il peut s’avérer nécessaire de produire une nouvelle production, confiée à Simon Stone, dont l’Opéra de Vienne propose en début de saison la Traviata parisienne, avec Pretty Yende, Frédéric Antoun et Ludovic Tézier.
La distribution de ce Wozzeck est superbe, Gerhaher et Kampe ont déjà fait les beaux soirs de Munich dans ces rôles. Cela devrait valoir le voyage.
(5 repr. du 22 mars au 3 avril)

Avril 2022
Wagner, Tristan und Isolde (5 repr.  du 14 avril au 1er mai)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito)
(Avec Schager, Serafin, Pape, Gubanova, Paterson)

Trois productions depuis 1967, Everding, qui a duré jusqu’à 2003, puis Gunter Krämer (celui qui commit le Ring parisien) et enfin depuis 2013 David McVicar, dont on connaît les productions sans sel ni poivre.

Cette fois-ci ce sera Calixto Bieito, qui peut être va réveiller un peu l’histoire des productions de l’œuvre à Vienne. Au fond, le travail de Bogdan Roščić est aisé pour le choix des metteurs en scène, comme aucun des noms importants de la mise en scène n’ont travaillé à Vienne depuis des années, il lui suffit de distribuer des productions à la bande des quatre ou cinq habituels, Bieito, Stone, Kosky, Tcherniakov et quelques autres et le tour est joué. En un an on aura aussi vu Castorf, Serebrennikov … L’Opéra de Vienne se « normalise », il rentre dans la ronde des opéras d’Europe qui ont depuis longtemps des spectacles signés de ces artistes, mais il faudra aussi trouver des noms nouveaux…
Du côté musical, on connaît le Wagner de Philippe Jordan, garantie de solidité, et la distribution est sans reproche, là aussi habituelle : Schager, Pape, Paterson, Gubanova : que de bons chanteurs. Bien sûr, c’est hélas Martina Serafin qui chante Isolde, mais on ne peut pas tout avoir.

Juin 2022
Monteverdi, L’Orfeo

(4 repr. du 11 au 18 juin 2022)
Dir : Pablo Heras Casado/MeS Tom Morris)
Avec Nigl, Lindsey, Zámečníková, Mastroni, Bock

Après L’Incoranazione di Poppea venue de Salzbourg (Lauwers) qui a très bien marché auprès du public, c’est au tour de L’Orfeo ; c’est Munich qui a à mon avis la meilleure production actuelle (David Bösch), et Bogdan Roščić table sur un autre style, celui de l’imagination anglo-saxonne, entre marionnettes et émerveillements scéniques de Tom Morris.
Wait and see, mais musicalement, même si je ne suis pas toujours convaincu par Heras Casado, c’est une distribution très séduisante, dominée par Georg Nigl, l’autre baryton (à côté de Gerhaher), qui devrait être très stimulant car l’autrichien Georg Nigl est l’un des plus intéressants de sa génération.

_____________________

Juin-Juillet 2022
Rossinimania
Du 28 juin au 8 juillet

Une nouveauté, une révolution même à l’Opéra de Vienne qui va rester ouvert après sa fermeture… pour accueillir une tournée de l’Opéra de Monte-Carlo et surtout Cecilia Bartoli, qui tenez-vous bien, n’a jamais chanté à l’Opéra de Vienne. Alors, c’est une semaine Bartolimania aussi bien que Rossinimania

 

28 juin
La Cenerentola
(Repr. semi-scénique)
Dir : Gianluca Capuano/ Real.sc. Claudia Blersch
Avec Bartoli, Rocha, Alaimo, Chausson, Coca Loza, Bove, Olvera
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Les Musiciens du Prince Monaco

Une réalisation qui a beaucoup tourné, toujours avec le même succès, avec les costumes de l’opéra de Zurich, et une distribution hyper-rodée. Ce devrait être le triomphe mérité habituel avec Capuano au pupitre des excellents Musiciens du Prince-Monaco.

Il Turco in Italia
(3 repr. les 3, 5 et 7 juillet 2022)
Dir : Gianluca Capuano/MeS : Jean-Louis Grinda
Avec Abdrazakov, Bartoli, Alaimo, Banks, Romeo ; Lo Monaco, Astorga
Les Musiciens du Prince-Monaco
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
La production qui sera créée en janvier à Monte-Carlo est présentée à Vienne pour trois soirs avec une distribution dominée par Cecilia Bartoli et Ildar Abdrazakov, et avec Barry Banks qui n’a pas convaincu à Pesaro.
Aucun souci du côté de l’orchestre, avec Capuano et Les Musiciens du Prince. On sait aussi déjà que la mise en scène de Jean-Louis Grinda ne sera pas révolutionnaire, cela reposera les viennois un peu secoués ces deux dernières années.

Rossini-Gala
8 juillet 2021

Dir : Gianluca Capuano
Les Musiciens du Prince-Monaco
Avec : Bartoli, Abrahamyan, Villazón, Levy-Sekgapane, Corbelli, Abdrazakov

Fin en feu d’artifice rossinien. Faisons confiance à Cecilia Bartoli pour animer la soirée et mettre la salle en délire avec cette brochette de chanteurs et remarquons la présence de Levy-Sekgapane, ténor aux aigus stratosphériques et au timbre lumineux. À suivre.

Voilà une saison aux Premières un peu plus normalisées que la saison dernière, avec des poids lourds du répertoire Barbier, Don Giovanni, Wozzeck, Tristan… Bogdan Roščić poursuit son travail de rafraichissement, voire de nettoyage et il faut reconnaître que cette maison en avait un peu besoin.
L’initiative rossinienne est aussi une excellente opération de communication envers le public viennois, l’impression produite par cette deuxième saison est celle d’une consolidation des principes affichés la saison dernière avec une sorte de rythme normal retrouvé.

Même si elles sont entrées au répertoire, certaines productions 2020, à cause du Covid, n’ont pas encore été vues en public, mais éventuellement en streaming, c’est le cas de Das verratene Meer, de Traviata et de Parsifal, nous les signalons en priorité, et puis il y a des Wiederaufnahmen, des reprises retravaillées (alors que les titres de répertoire ne le sont pas)..

Reprises post Covid de productions réalisées mais non représentées en public

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata
(Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Simon Stone)
Avec Pretty Yende, Ludovic Tézier, Frédéric Antoun…
En ce début de saison, des titres d’appel, dont Falstaff et Tosca, pour réamorcer la pompe et attirer le public et puis la nouvelle production du Barbier de Séville en fin de mois. Ce spectacle est la production parisienne vue à Garnier avec comme à Paris Pretty Yende et Ludovic Tézier, mais avec Frédéric Antoun, nouveau venu en Alfredo. Distribution qui garantit des soirées de haut niveau vocal.
(5 repr. du 5 au 18 Septembre)
Coproduction Opéra de Paris

Septembre 2021
Hans Werner Henze, Das verratene Meer
(Dir.: Simone Young/Ms : Jossi Wieler/Sergio Morabito)
Avec Vera-Lotte Boecker, Bo Skovhus, Josh Lovell…
“La mer trahie”, titre du drame musical de Henze créé à Berlin en 1990 n’est pas le plus connu des opéras de Henze, tiré du roman de Mishima « Le marin rejeté par la mer » de 1963. Désespoir, déchirement face aux valeurs, bouleversement des individus, violence, tous les ingrédients de Mishima sont là, mis en musique par Henze qui a vécu les mêmes déchirements en faisant des choix opposés.
3 repr. les 19, 23, 27 septembre

Décembre 2021
Richard Wagner, Parsifal
(Dir. : Philippe Jordan/Ms : Kirill Serebrennikov)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Wolfgang Koch, René Pape
Reprise de la mise en scène dont Wanderersite a rendu compte, mais sans Elina Garanča ni Jonas Kaufmann ni Georg Zeppenfeld, mais avec Jovanovich,  Kampe et Pape, ce qui n’est pas si mal non plus. A noter que Wolfgang Koch chante Amfortas ET Klingsor, ce qui va encore accentuer la mise en abyme du travail de Serebrennikov. À voir évidemment, d’autant que la production succède à celle si médiocre d’Alvis Hermanis.
(5 repr. du 12 au 26 déc.)
A noter : avec le Don Giovanni de Kosky qui commence le 5 décembre, les Wanderer du lyrique devront jouer des dates pour combiner une riche virée viennoise car décembre est sans doute le mois le plus adapté à un voyage dans la capitale autrichienne si on y va pour l’Opéra.

Les « Wiederaufnahmnen »
Dans le système de répertoire, il y a des reprises directes, avec très peu de répétitions et puis les « Wiederaufnahmen » qui sont les reprises retravaillées scéniquement et musicalement, en général de productions qu’on n’a pas l’intention de remplacer à court terme.
On va donc retrouver des productions de l’ère précédente et de l’ère Holender, avec de nouvelles distributions et de nouveaux chefs. Il y a neuf reprises retravaillées, et une reprise retravaillée seulement musicalement (Capriccio).

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, Falstaff (Dir : Nicola Luisotti/Gianpaolo Bisanti/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Wolfgang Koch/Gerald Finley, Josh Lovell/Frédéric Antoun, Boris Pinkhasovich, Eleonora Buratto…
Deux chefs italiens solides, dont le second (Bisanti) commence à être invité un peu partout en Europe, et une double distribution plutôt stimulante, notamment les deux Falstaff.
9 repr. (5 en sept 2021) /4 en juin 2022 (du 14 au 24 juin 2022)

 

Novembre 2021
Rihcard Wagner, Der fliegende Holländer (Dir. : Bertrand de Billy/Ms : Christine Mielitz)
Avec Anja Kampe, Bryn Terfel, Eric Cutler, Franz Josef Selig
Production de 2003 (de la période Holender), avec déjà 58 représentations au compteur. Distribution de très haut vol, à peu près ce qui se fait de mieux aujourd’hui.
5 repr. du 17 nov. au 2 déc. 2021

Décembre 2021
Giuseppe Verdi, Don Carlo (ital.) (Dir : Franz Welser Möst/Ms Daniele Abbado)
Avec Ain Anger, Boris Pinkasovitch, Fabio Sartori, Anita Rashvelichvili, Asmik Grigorian
Petite histoire : Franz Welser-Möst revient au pupitre d’une production qu’il a créée en 2012, avant de laisser la fonction de GMD en 2014. La distribution, correcte, vaut surtout par les deux dames, Gubanova et surtout Grigorian, Qui ne devrait pas manquer d’exciter toutes les curiosités des fans.
(4 repr. du 16 au 25 déc. 2021)
Notons qu’avec Parsifal et Don Giovanni, ce Don Carlo est une raison de plus d’un voyage à Vienne en décembre 2021, à vos agendas.

Janvier 2022
Tchaïkovski : La Dame de Pique (Dir. : Valery Gergiev/Ms : Vera Nemirova)
Avec Dmitry Golovnin, Boris Pinkasovitch, Elena Guseva, Olga Borodina
Reprise de la production de 2007, alors créée par Seiji Ozawa qu’on n’a pas vue à Vienne depuis 2015. C’est Valery Gergiev qui sera dans la fosse, voilà donc une reprise alla grande, d’autant que Gergiev est assez rare à Vienne car on ne l’a vu que pour Parsifal en 2019 et Lohengrin en 2020. Belle distribution avecla très intense Elena Guseva en Lisa.
(4 repr. du 21 au 30 janv. 2022)

Britten: Peter Grimes (Dir.: Simone Young/Ms: Christine Mielitz)
Avec Jonas Kaufmann, Sir Bryn Terfel, Lise Davidsen
Reprise de la première production viennoise de l’Opéra de Britten, entré au répertoire en 1996, par une étincelante distribution avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann. Cela devrait fortement stimuler le public à voir ou revoir cette œuvre, qui en sera le 26 janvier 2022 à sa 42e représentation à Vienne.
(5 repr. du 26 janvier au 8 février 2022)

Février 2022
Giacomo Puccini : Manon Lescaut (Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Robert Carsen)
Avec Asmik Grigorian, Brian Jagde, Boris Pinkasovich.
Se souvient-on que Carsen émergea à l’international par Manon Lescaut à l’Opéra-Bastille tout neuf, en 1991, dans une production venue de l’Opéra des Flandres, qui reste l’une de  ses meilleures. Le solide Nicola Luisotti en fosse, mais vaut évidemment par la Manon de Asmik Grigorian, plus connue pour ses rôles de répertoire germanique du XXe siècle. Grande curiosité …
(5 repr. du 1er au 13 février 2022)

Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (Dir. :Thomas Guggeis/Ms: Willy Decker)
Avec Klaus Florian Vogt, Vida Miknevičiūtė, Adrian Eröd, Monika Bohinec
Production de 2004, sous le mandat Holender, pas reprise depuis 2017, ici avec une belle distribution, Vogt, l’un des Paul de référence aujourd’hui, et dans le rôle de Marietta, la voix qui monte, qui vient de triompher à Salzbourg dans Chrysothemis Vida Miknevičiūté. En fosse, Thomas Guggeis, l’un des jeunes chefs remarqués à Berlin autour de Daniel Barenboim. Ce devrait être solide.
(4 repr. du 6 au 14 février 2022)

Gaetano Donizetti : Anna Bolena (Dir.:  Giacomo Sagripanti /Ms : Eric Genovèse)
Avec Erwin Schrott, Diana Damrau, Ekaterina Sementchuk, Pene Patti, Virginie Verrez
Une des productions réussies de l’ère Meyer, il est vrai qu’à la première en 2011, les deux dames étaient Anna Netrebko, déjà star  et Elina Garanča à l’aube de sa gloire. Au pupitre Giacomo Sagripanti, un chef italien qui conduit une belle carrière à l’international. Diana Damrau et Ekaterina Sementchuk ne devraient pas décevoir. À noter le ténor Pene Patti qu’on commence à voir un peu partout.
(3 repr. du 12 au 19 février 2022)

Mai 2022
Modest Mussorgski : Boris Godunov (Dir.: Sebastian Weigle/Ms: Yannis Kokkos)
Avec Ildar Abdrazakov, Vitalij Kowaljow, Dmitry Golovnin, Thomas Ebenstein, Tamuna Gochashvili
Production classique de l’ère Holender (2007). Kokkos avait déjà mis en scène Boris Godunov à Bologne. Distribution solide dominée évidemment par Ildar Abdrazakov.
(5 repr. du 11 au 27 mai 2022)


Reprise musicale
Juin 2022
Richard Strauss : Capriccio (Dir.: Philippe Jordan/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Maria Bengtsson, Adrian Eröd, Daniel Behle, André Schuen, Christof Fischesser, Michaela Schuster.
C’est une reprise musicale, ce qui signifie que la mise en scène n’est pas retravaillée, il est vrai que la production Marelli qui remonte à 2008 (avant-dernière année de l’ère Holender) est passe-partout et ne nécessite pas forcément d’être revue. À noter que ce fut la première apparition de Philippe Jordan au pupitre de la Wiener Staatsoper. 13 ans après il en est le directeur musical. Distribution équilibrée, et de qualité.
(4 repr.du 20 au 30 juin 2022)

On le constate, tout ce qui est proposé est solide, bien distribué et devrait garantir un haut niveau moyen de représentations. Mais le cœur, l’ADN de ce théâtre est le répertoire, c’est à dire l’alternance serrée de représentations avec peu de répétitions, quelques « guest-stars » et la troupe. On joue pratiquement tous les soirs à Vienne et il y a toujours un opéra à voir, chaque soir différent.
Cependant, la nouvelle direction a limité le nombre de titres à 40, ce qui n’est déjà pas mal et dépasse la plupart des maisons comparables. Voici la liste des titres présentés, en dehors de ceux que nous avons détaillés :

Octobre 2021 :
Otello
L’Incoronazione di Poppea
Eugène Onéguine
Adriana Lecouveeur (Octobre et novembre) (à noter Elina Garanča en princesse de Bouillon)

Novembre 2021 :
Faust (première le 31 octobre)
Nabucco (ce devait être la prise de rôle d’Anna Netrebko en Abigaille, il faudra attendre parce qu’elle a annulé à cause d’une opération d’urgence, il reste Placido Domingo en Nabucco pour la dernière, les autres étant assurées par Amartuvshin Enkhbat) et les Zaccaria du remarquable Roberto Tagliavini, la basse italienne de référence aujourd’hui)
Carmen
L’Elisir d’amore (Novembre, décembre, février, mars)


Décembre 2021 :

Don Pasquale (Décembre 2021, avril, mai 2022)
Tosca (Décembre, février, mars)
Die Fledermaus (Décembre, janvier)

Janvier 2022 :
La Bohème
La Cenerentola
Werther
Macbeth

Février 2022: Voir ci-dessus Wiederaufnahmen

Mars 2022:
Salomé
Die Entführung aus dem Serail
Rigoletto
Wozzeck (mars-avril)

Avril 2022
Der Rosenkavalier
Tristan und Isolde (avril-mai 2022)
Lucia di Lammermoor

Mai 2022
Le nozze di Figaro
Das Rheingold
Die Walküre
Siegfried
Götterdämmerung

Juin 2022
I Puritani
Il Barbiere di Siviglia
Die Zauberflöte

Dans cette liste abondante, on remarque la Tétralogie de Richard Wagner, qui sera donnée deux fois au mois de mai dans la production bien connue de Sven Eric Bechtolf (2007-2008)
Nous donnons les principaux éléments de la distribution
Direction musicale Axel Kober
Avec John Lundgren, Daniel Behle, Monika Bohinec, Jochen Schmeckenbecher, Stuart Skelton, Lise Davidsen, Nina Stemme, Michael Weinius etc…

Cela mérite peut-être un petit voyage.

Vienne qui avait un peu disparu des radars, non pour le niveau musical, toujours haut, mais par les choix de productions et de mises en scène, revient sur le devant de la scène.  Sans proposer des choix d’une originalité marquée, l’Opéra de Vienne propose un choix de nouvelles productions comparables aux théâtres européens de même importance avec des distributions de très haut niveau. En deux saisons même tronquées, on reparle de Vienne et on a vraiment envie d’y découvrir des spectacles.  Donc on ne peut qu’encourager à bien étudier les périodes qui permettront à l’amateur de faire le plein d’opéra et en particulier décembre 2021.

Pour plus de détails, regarder le site très clair de la Wiener Staatsoper (https://www.wiener-staatsoper.at) et notamment la page de tous les titres présentés dans la saison (https://www.wiener-staatsoper.at/spielplan-kartenkauf/werke/)en cliquant sur le titre, vous y découvrirez les distributions notamment pour le répertoire)

Et dans quelques jours sur Wanderersite.com une interview passionnante de Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne.

Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne ©WienerStaatsoper

 

 

 

 

 

 

BIENVENUE À PARIS, GUSTAVO !

Gustavo Dudamel © Julien Mignot

Un directeur musical à Paris

La nomination attendue de Gustavo Dudamel comme directeur musical à l’Opéra de Paris a provoqué le concert de louanges et déchainé les trompettes de la renommée. C’est effectivement une nouvelle positive car on parle futur, ce qui est toujours agréable.
Dans ce blog, on parle aussi beaucoup du passé, qui souvent éclaire le présent et détermine le futur. J’ai été interpellé par l’expression d’un article élogieux d’un de nos deux grands quotidiens nationaux de référence « premier chef sud-américain » nommé à Paris, comme s’il arrivait après une longue liste de noms les plus divers. Or un regard sur l’histoire récente montre qu’il n’en est rien. Pas de noms au XIXe, pas de noms au XXe jusqu’en 1973 où Georg Solti est « conseiller musical » – il le reste deux ans (Rolf Liebermann avait besoin d’un nom…), Georg Solti est donc le « premier chef magyaro-britannique » à « conseiller/diriger » musicalement l’Opéra de Paris. Puis après Solti arrive plus de dix ans après et pour deux ans, Lothar Zagrosek, nommé par Jean-Louis Martinoty, directeur musical en titre (le premier depuis le XVIIe) qui est donc le «premier chef allemand» à exercer cette fonction. En 1989, ce devait être Barenboim, éliminé par oukase, et c’est en 1990, nommé par oukase, Myung-Whun Chung, directeur musical et « premier chef coréen » à l’opéra de Paris. Chung est remercié par Hugues Gall, qui nomme en 1995 James Conlon « premier nord-américain » appelé à être directeur musical, jusqu’en 2004. Enfin, en 2009, Nicolas Joel appelle Philippe Jordan, « premier chef suisse » à exercer la fonction de directeur musical. Tout cela fait sourire.
Deux observations:
– la période contient deux blancs : 1975-1987 (Liebermann et Bogianckino) et 2004-2009 (Gérard Mortier). C’est dire simplement que la fonction n’est pas naturelle à Paris comme on semble le penser, et certains directeurs ou administrateurs généraux (et pas des moindres) ont préféré s’en passer. Gérard Mortier en avait un « in pectore », Sylvain Cambreling, mais il n’avait pas le titre. Rappelons aussi que Dominique Meyer à Vienne après la démission fracassante de Franz Welser-Möst en 2014 a préféré se passer de directeur musical…
– on attend donc dans un futur qu’on espère lointain pour Dudamel, la nomination du «premier directeur musical français»…

La fonction est obligatoire en Allemagne et en Italie, il y en a à Zurich, Bruxelles, Barcelone, Madrid et à Londres, mais pas vraiment en France sauf à Lyon où depuis une quarantaine d’années, elle est instituée (John Eliot Gardiner, Kent Nagano, Ivan Fischer, Louis Langrée, Kazushi Ono, Daniele Rustioni), à Toulouse (Michel Plasson, Tugan Sokhiev) et à Bordeaux (Paul Daniel actuellement) mais dans ces deux villes l’orchestre de l’opéra est en même temps l’orchestre régional, alors qu’à Lyon, l’orchestre de l’Opéra est spécifique et ne cumule pas les deux fonctions.

Les directeurs d’opéra n’ont en effet pas toujours envie de voir leur pouvoir limité par un directeur musical, quelquefois envahissant et on connaît quelques incompatibilités d’humeur (Riccardo Muti-Cesare Mazzonis à la Scala, mais aussi Claudio Abbado face à la paire Eberhard Wächter/Ioan Holänder à Vienne)

Il est clair que l’Opéra de Paris dans la situation actuelle a besoin de la figure du directeur musical, pour faire repartir la machine perturbée par la crise du Covid, le départ à épisodes de Stéphane Lissner, et la présence plus rare de Philippe Jordan, qui a conclu son mandat par un Ring en retransmission radio fin 2020, qui reste directeur musical en titre jusqu’à fin août mais sans diriger puisqu’il est officiellement à Vienne depuis septembre 2020. Il est vrai aussi que le Covid a rebattu les cartes.

La stratégie d’Alexander Neef est très claire. Il a besoin de relancer la machine, d’attirer de nouveau le public, et surtout de faire parler de l’Opéra autrement qu’en termes de crises, de contestations, de grèves et j’en passe…
Il lui fallait donc un nom, et un chef plutôt « communiquant » pour prendre la lumière et séduire les médias : en Gustavo Dudamel, il a tout. C’est un beau coup. 

Gustavo Dudamel

J’ai connu personnellement Gustavo Dudamel en 2004, à Bamberg, lors d’un concert d’automne des Bamberger Symphoniker consécutif à son succès au concours de direction d’orchestre «Mahler-Wettbewerb » de Bamberg, un concert au programme français, L’horloge de Flore de Jean Françaix avec Albrecht Mayer au hautbois (Albrecht Mayer était hautbois solo aux Bamberger Symphoniker avant d’intégrer les Berliner) et la Symphonie n°3 pour orgue de Saint Saëns. Je l’avais interviewé à cette occasion pour le mensuel italien Amadeus. Mais je l’avais vu précédemment diriger à l’Expo 2000 l’orchestre Simon Bolivar (Orquestra Sinfónica Simón Bolívar de Venezuela) à Hanovre (il avait alors 19 ans) où j’étais conseiller musical. Cela pour préciser qu’il fait partie des chefs que j’ai suivis depuis très longtemps. Lors de cette interview, sa disponibilité, sa gentillesse et sa modestie m’avaient vraiment frappé, ainsi que la manière dont il parlait de ses maîtres, José Antonio Abreu le fondateur du Sistema vénézuélien, Sir Simon Rattle qui l’avait remarqué et Claudio Abbado passionné par les orchestres de jeunes et donc forcément par le projet d’Abreu. Il dirigea d’ailleurs régulièrement l’Orchestre Simon Bolivar entre 2005 et 2010, car il passait alors ses hivers au Venezuela et à Cuba. Il laissa même la baguette à Dudamel pour la 5ème de Mahler lors d’une tournée de l’Orchestre Bolivar à Rome et Palerme en septembre 2006 alors que lui dirigeait en première partie le triple concerto de Beethoven.
Gustavo Dudamel est fils du Sistema vénézuélien, c’est une évidence, mais il n’est pas issu d’une famille venue des bidonvilles où le Sistema recrutait, il provient d’une famille de musiciens et a commencé à diriger très tôt, et à 19 ans, il dirigeait déjà la Simon Bolivar, qui est le sommet de la pyramide d’orchestres qui composent El Sistema : intégrer immédiatement les jeunes dans un orchestre local et peu à peu permettre à ceux qui sont doués et qui veulent en faire leur métier d’accéder par étapes à des orchestres plus importants du pays est le principe de la construction fondée par José-Antonio Abreu dès les années 1970.
Ceux qui ont assisté à des concerts de l’Orchestre Simon Bolivar ont pu constater l’enthousiasme et la virtuosité de ces jeunes aussi fascinants dans Tchaïkovski, Mahler ou Prokofiev que dans West Side Story ou dans la musique populaire sud-américaine : ce sont les meilleurs musiciens d’orchestre de toute l’Amérique du Sud..
Le monde de la musique classique est désormais irrigué de ces jeunes musiciens vénézuéliens qui ont intégré les orchestres du monde entier. Par ailleurs, El Sistema a produit après Gustavo Dudamel un certain nombre de bons chefs qui font actuellement carrière, Domingo Hindoyan (à l’orchestre Symphonique de la Radio polonaise), Rafael Payare (à l’Orchestre symphonique de Montréal), Diego Matheuz (qui a été directeur musical de La Fenice de Venise), Christian Vasquez ( directeur musical du Teresa Carreño Youth Orchestra à Caracas et ex-directeur musical du Stavanger Symphony Orchestra). Notons enfin que la vénézuélienne Gladysmarli Del Valle Vadel Marcano a obtenu le prix de l’orchestre lors du premier concours La Maestra en septembre 2020 (remporté par Rebecca Tong).
Il faut insister sur cet aspect du parcours de Gustavo Dudamel pour mieux saisir le chef d’aujourd’hui : et d’abord il faut noter l’importance qu’il donne à la jeunesse (il m’avait dit que les salles de concerts vénézuéliennes étaient remplies de jeunes, et qu’en arrivant en Europe, il avait été surpris du public plutôt mûr). Ensuite il est très soucieux de diffusion musicale par des efforts marqués pour « populariser » la musique grâce au mélange de répertoires, et à l’ouverture à tous les publics, mais aussi par l’importance donnée à la communication.
Du point de vue musical, il s’est formé très jeune à la direction, et notamment avec de jeunes exécutants ; cela signifie des gestes précis, clairs, compréhensibles par le groupe, cela suppose aussi un rapport très naturel et très cordial, qualités dont évidemment il fait encore preuve à la tête des différents orchestres où il provoque une véritable empathie.
Comme d’autres collègues vénézuéliens (Matheuz ou Payare par exemple), il a été marqué par Claudio Abbado, qui dirigeait au moins deux fois par an à Caracas (janvier et février) et faisait avec l’orchestre de longues répétitions.
Son répertoire de base et sa formation sont donc essentiellement symphoniques (à commencer par les grands classiques comme Beethoven ou Mahler), et moins opératiques: il dirige son premier opéra, Don Giovanni, à la Scala en 2006 où Stéphane Lissner avait offert des productions à une série de jeunes chefs. Je l’avais entendu dans cette production et je me souviens de l’impression forte qu’il m’avait procurée dans la scène de la mort de Don Giovanni, au rythme et à la pulsion qui m’avaient évoqué quelque chose de Furtwängler, mais d’un autre côté, il avait tendance dans la fosse à se concentrer sur l’orchestre et à moins tenir compte des chanteurs. Je l’ai entendu dans Don Giovanni (Scala), Rigoletto (Scala), La Bohème (Berlin), West Side Story (Salzbourg-Pentecôte) et la semaine dernière dans Otello (Liceu), où j’ai été cette fois plus frappé par la manière dont il suivait très attentivement le plateau, par sa précision et le son qu’il arrivait à tirer de cet orchestre moyen, mais moins par l’originalité de l’approche.
Son répertoire lyrique va évidemment s’étoffer à l’Opéra de Paris. Philippe Jordan est arrivé à Paris à l’âge de 34 ans avec une réputation de chef lyrique plutôt que symphonique et donc avec un répertoire plus large : il dirigeait régulièrement à Berlin, à Zurich, et avait été directeur musical à Graz. Ce n’est que depuis qu’il prit en main les Wiener Symphoniker (en 2014) qu’il a construit son image de chef symphonique.
Dudamel c’est un peu l’inverse : il arrive à 40 ans, avec une expérience lyrique plus réduite et sans avoir exercé de fonctions dans un théâtre d’opéra, mais avec une très grosse réputation de chef symphonique au point qu’il compte aujourd’hui dans le top-ten des chefs d’aujourd’hui. Tout en gardant la Simon Bolivar, il a dirigé successivement l’Orchestre Symphonique de Göteborg puis il est passé au très prestigieux Los Angeles Philharmonic Orchestra, où exerçait alors Esa-Pekka Salonen qui était au jury du concours Mahler dont il sortit vainqueur en 2004.

C’est donc sans aucun doute en ce moment the right man on the right place pour Neef qui a besoin de redorer le blason parisien un peu piétiné depuis trois ans, et pour Dudamel qui a besoin quant à lui de compléter sa connaissance du répertoire lyrique, d’où un contrat de six ans (relativement long) qui sera sans doute renouvelé si chacun y trouve son compte. Un chef de grande réputation internationale comme lui doit s’affirmer aussi à l’opéra.
Il est bouillant, énergique, sympathique, tout en étant rigoureux, il plaît aux orchestres parce qu’il est techniquement très sûr et il est sans conteste un grand musicien. Mais il n’est pas encore un inventeur, et n’a pas trouvé encore à mon avis son style mais à quelques exceptions près, on sait bien que souvent, à part le jeunisme ambiant et ses instabilités, on devient « chef de référence » après quarante-cinq ans, « vénérable et respecté » après soixante-dix et « mythe vivant » après quatre-vingts. Wait and see. Bienvenue à Paris, Gustavo !

 

 

 

WIENER STAATSOPER 2020-2021, NOUVELLE SAISON et NOUVELLE DIRECTION

Haus am Ring

Bogdan Roscic, (venu de Sony Classical) nouveau directeur de l’Opéra de Vienne où il succède à Dominique Meyer, commence son mandat avec une année à surprises motivées par l’épidémie de Covid-19. On ne sait en effet que sera le 6 septembre, jour de l’Ouverture, la situation en termes de circulation du virus, de distanciation sociale, de thérapies, même si les conditions en Autriche ont été moins dramatiques qu’ailleurs en Europe. Chargé de faire souffler un vent nouveau sur l’institution et la programmation, Bogdan Roscic propose effectivement beaucoup de changements, dans beaucoup de continuité aussi.
D’une certaine manière, l’évolution de la Staatsoper de Vienne est comparable – toutes proportions gardées- à celle du Grand Théâtre de Genève, avec les mêmes ingrédients, et une même volonté de changer de logiciel, même si sur le papier cela semble être une révolution. Méfions-nous quand même de la communication triomphaliste…
Des nouvelles productions qui renversent la vapeur, mais dont un certain nombre sont connues parce qu’elles viennent d’ailleurs. C’était attendu et c’était le motto de la nouvelle direction qui faisait fuiter habilement certains noms annonciateurs de crises cardiaques à Vienne, comme Frank Castorf.
Des « Wiederaufnahme » (reprises retravaillées) ou des « Musikalische einstudierungen » (retravail musical) avec des productions sorties du répertoire et qui y entrent de nouveau (Elektra de Kupfer par exemple), c’est en revanche un peu inattendu…
Et le répertoire, parce que dans cette maison on ne peut le changer du jour au lendemain, affiche des masse de granit historiques (Tosca…), et des productions nombreuses de Sven-Eric Bechtolf, c’est à dire une modernité qui-ne-fait-pas-peur  et souvent désolante.
Quelque chose change, c’est sûr, et une institution aussi installée dans l’histoire et la tradition doit le faire sans tout à fait heurter les habitudes…parce qu’à Vienne, les directeurs d’opéra ont souvent valsé, et pas au bal de l’Opéra.

Historiquement, il faut être clair. Vienne est une capitale musicale de premier plan, et la Staatsoper est le navire amiral de la musique à Vienne, c’est une institution énorme, où c’est la musique qui prime sur la scène, et cela a toujours été le cas. Les très grandes productions d’opéra, celles dont on se souvient, celles qu’on aimerait voir et revoir, ne viennent pas de Vienne. Il y a eu des productions qui ont marqué la « Haus am Ring », mais le temps d’une saison et d’un règne, pas sur toute une vie. Même le fameux Rosenkavalier de Otto Schenk, une référence, est plutôt meilleur dans sa version munichoise un peu postérieure. Mais on se souvient de la présence de Karajan, de Bernstein, de Kleiber, d’Abbado, de Muti, de Prêtre, d’Ozawa au pupitre, et plus récemment de Thielemann ou de Rattle. C’est là la force de cette maison, et de cet orchestre qui est le terreau du Philharmonique de Vienne, c’est ce qui fait et qui fera la gloire de Vienne, pas les productions (pas même celles des metteurs en scène que j’aime si dans la fosse il y a un quidam…).
Si l’on veut voir à Vienne des curiosités, ce sont des productions historiques, encore au répertoire, Il Barbiere di Siviglia (Gunther Rennert, depuis 1966, première dirigée par Karl Böhm avec Fritz Wunderlich), Tosca (Margarethe Wallmann depuis 1958, première dirigée par Herbert von Karajan avec Renata Tebaldi en Tosca !), La Bohème de Franco Zeffirelli depuis 1963, copie exacte de celle de la Scala, première dirigée par Herbert von Karajan avec Gianni Raimondi et Mirella Freni (tout comme à la Scala), ou la Salomé de Boleslaw Barlog de 1972, première dirigée par Karl Böhm) et cela ne dérange pas. Pour Bohème et Tosca, on se demande bien ce qu’une nouvelle production pourrait apporter, tant les nouvelles productions de Bohème et Tosca çà et là sont sans intérêt.
Plus important que les productions fétiches citées, ce qui est important à Vienne, c’est le répertoire, c’est la présence de nombreuses reprises qui font que le touriste de passage ou le viennois qui a envie d’entendre un opéra, le puisse pratiquement chaque soir, la plupart du temps (mais pas toujours) dans des conditions plutôt honnêtes et quelquefois pour des soirées musicalement exceptionnelles. Les tentatives de revenir sur le système de répertoire se sont toujours heurtées à l’hostilité du public et de la presse et ont conduit à l’interruption de plusieurs mandats par le passé.

Que cette maison soit celle qui, plus que toute autre en Europe, illustre une certaine histoire de l’opéra, son archive en ligne le montre, qui depuis 1869 retrace beaucoup de soirées avec leur distribution, et depuis 1955 toutes les soirées sans exception, une promenade dans les rêves, les mythes, qui enchante l’amateur d’opéra. Tapez Lilly Lehmann et vous aurez toutes les représentations où elle chanta à Vienne…
Voilà qui fascine ici.

Pour une maison à l’activité aussi énorme, il faut lister les titres pour se faire une idée globale, voici donc les nouvelles productions que nous reverrons point par point pour l’essentiel.

Nouvelles productions (10 et 2 opéras pour enfants):

  • 2020
  • Madama Butterfly (Septembre)
  • Die Entführung aus dem Serail (Octobre)
  • Eugène Onéguine (Octobre)
  • Die Entführung in Zauberreich (Octobre, opéra pour enfants)
  • Das verratene Meer (Décembre)
  • 2021
  • Der Barbier für Kinder (Janvier) adaptation pour enfants de Il barbiere di Siviglia de Rossini
  • Carmen (Février)
  • La Traviata (Mars)
  • Parsifal (Avril)
  • Faust (Avril)
  • L’incoronazione di Poppea (Mai)
  • Macbeth (Juin)

En italique, les productions créées ailleurs.
Hors opéras pour enfants, sur 10 nouvelles productions, seules deux (Parsifal, et Das verratene Meer) sont d’authentiques nouvelles productions…l’imagination ne semble pas vraiment au pouvoir…

Wiederaufnahmen (3 reprises retravaillées) :

  • Elektra
  • Don Carlos (Fr.)
  • Le nozze di Figaro

Musikalische Wiedereinstudierung (1 production retravaillée musicalement)

  • Der Rosenkavalier

Répertoire (26 titres):

  • Simon Boccanegra
  • L’elisir d’amore
  • La Fille du régiment
  • Salomé
  • Don Pasquale
  • Cavalleria/Pagliacci
  • A Midsummer night’s dream
  • Roméo et Juliette
  • Ariadne auf Naxos
  • Arabella
  • Werther
  • La Bohème
  • Tosca
  • Hänsel und Gretel
  • Die Fledermaus
  • Rusalka
  • Nabucco
  • La Cenerentola
  • Don Pasquale
  • Manon
  • Rigoletto
  • Turandot
  • Die Walküre
  • Die Zauberflöte
  • Les contes d’Hoffmann
  • Lohengrin

 

Vienne a eu jusque-là un plus grand nombre de productions de répertoire, à partir de la saison 2020/2021, la Staatsoper sera à peu près dans la bonne moyenne haute des autres théâtres de l’ère germanophone.

—-

Nouvelles productions

 

Septembre 2020/Janvier 2021/Mars/Avril
Puccini, Madama Butterfly (12 repr.), MeS : Anthony Minghella Dir : Philippe Jordan (sept-janv)/Ramón Tebar (16 janv)/Joana Mallwitz (Mars-Avril) avec :
-sept. : Asmik Grigorian, Freddie De Tommaso, Boris Pinkhasovich
-janvier : Asmik Grigorian, Marcelo Puente, Boris Pinkhasovich
-mars-avril : Hui he, Roberto Alagna, Boris Pinkhasovich
Quelle drôle d’idée ! Non pas d’ouvrir avec Butterfly, mais avec cette production-là. On concède que la production Josef Gielen (Près de 400 représentations depuis la création en 1957 sous la direction de Dimitri Mitropoulos avec Sena Jurinak…) avait vécu depuis longtemps, sans avoir la qualité de la Tosca de Wallmann. Il était temps de la remiser.
Mais au lieu d’ouvrir sur une production maison, ce à quoi on pouvait s’attendre avec une nouvelle équipe de direction, on présente une production née en 2005, dont le metteur en scène est mort il y a douze ans (Anthony Minghella), passée successivement par l’ENO (où elle a été créée), puis le MET, avant d’atterrir à Vienne. Drôle de manière d’annoncer des nouveautés.
Les nouveautés elles sont dans la distribution, avec Asmik Grigorian dans Butterfly, et les deux ténors en alternance qui sont parmi les voix nouvelles intéressantes, Freddie De Tommaso et Marcelo Puente. Dans les reprises de l’année, on retrouvera du plus traditionnel (mais pas moins bon) avec Hui hé et Roberto Alagna, mais sans Jordan puisque c’est la jeune et talentueuse Joana Mallwitz (34 ans) qui dirigera en mars et avril… Un début en mode mineur et c’est dommage. 

Octobre 2020/Juin 2021
W.A.Mozart, Die Entführung aus dem Serail (8 repr.), MeS : Hans Neuenfels, Dir : Antonello Manacorda avec:
– oct: Lisette Oropesa, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
– juin : Brenda Rae, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
Jolie distribution dominée par Lisette Oropesa, une magnifique Konstanze. Je pense cependant que pour une œuvre aussi inscrite dans le répertoire et dans les gênes de la ville de Vienne où elle a été créée (au Burgtheater), le choix du chef Antonello Manacorda, assez irrégulier, peut surprendre, mais qui sait…
Quant à Neuenfels, qui signe la production, c’est sa deuxième apparition après une production du Prophète pendant la saison 1997-1998. On aurait pu tout aussi bien la reprendre d’ailleurs, puisque Manacorda a dirigé Meyerbeer à Francfort…Au lieu de cela on va chercher une production de Mayence de 1999, qui a même eu les honneurs d’une retransmission télévisée.
Il est vrai en revanche qu’une nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail s’imposait vu la désastreuse production précédente (signée  Karin Beier et dirigée par Philippe Jordan, avec Diana Damrau) qui n’a duré que 10 représentations en 2006 (pour un ouvrage du répertoire aussi important, c’est un vrai trou noir).
Il est enfin dommage que la production des Herrmann (1989) créée par Harnoncourt n’ait probablement pas été conservée, parce qu’elle aurait été une reprise intéressante.
Là encore, risquer une nouvelle production maison pour un ouvrage aussi essentiel dans le répertoire de Vienne, n’aurait pas été un contresens.

Octobre-Novembre 2020
P.I.Tchaïkovsky, Eugène Onéguine
(5 repr.), MeS : Dmitry Tcherniakov, Dir : Tomáš Hanus avec Tamuna Gochashvili, Anna Goryachova, Andrè Schuen, Bogdan Volkov, Dmitry Ivashchenko
Dans ce Musée de la production moderne, il fallait évidemment une salle Tcherniakov. Le choix est tombé sur une de ses productions premières montrées en Europe occidentale (Barenboim l’avait déjà invité à Berlin pour Boris et Nagano à Munich pour Khovantchina, Eugène Onéguine, créée au Bolchoï et montrée ensuite à Paris (en 2008…) avec les forces du Bolchoï, dont il existe un DVD. Les viennois verront donc du jeune Tcherniakov, en souhaitant qu’il retravaille sa production. Solide distribution : on est heureux de voir l’excellent Bogdan Volkov dans Lenski.
Surprise du chef : Tomáš Hanus qu’on connaît sur un autre répertoire sera au pupitre. C’est plutôt un bon chef, on attendra donc avec confiance.

Décembre 2020
Hans Werner Henze, Das verratene Meer (4 repr.) MeS: Jossi Wieler & Sergio Morabito, Dir: Simone Young avec Vera Lotte Böcker, Bo Skovhus, Josh Lovell
Création à Vienne de cet opéra rarement proposé, créé à la Deutsche Oper de Berlin en 1990, sur un livret de Hans Ulrich Treichel d’après Le marin rejeté par la mer, de Mishima (1963).
C’est la première production maison de la saison, confiée à Jossi Wieler & Sergio Morabito, une garantie dans le monde de la mise en scène d‘aujourd’hui avec Bo Skovhus toujours impressionnant en scène et la jeune Vera Lotte Böcker qu’on a récemment découverte à la Komische Oper de Berlin dans Frühlingsstürme où elle était vraiment excellente. Dans la fosse, la très solide Simone Young.

Février-mars/mai-juin 2021
Georges Bizet, Carmen (11 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Andrés Orozco-Estrada (Février-mars-mai-juin)Alexander Soddy (9 juin) avec
– Février-mars : Anita Rashvelishvili, Charles Castronovo, Erwin Schrott, Olga Kulchynska
– Mai-juin : Michèle Losier, Dmytro Popov, Sergei Kaydalov, Vera-Lotte Böcker
Ne rions pas, après avoir fait le tour du monde de l’opéra depuis plus de 20 ans, la Carmen de Calixto Bieito, qui est même passée par Paris, arrive à Vienne pour remplacer la vieille production de Franco Zeffirelli ; j’y avais vu en son temps Baltsa, Carreras et Ramey, dirigés par Claudio Abbado (en 1990) (Soupir…), ce sera cette année Castronovo et Rashvelishvili, ce qui est bien, et Erwin Schrott, ce qui est moins bien, mais le rôle d’Escamillo-Matamore lui va bien…Au pupitre Andrés Orozco-Estrada, l’actuel directeur musical du Symphonique de Vienne, autrichien d‘origine colombienne, ce qui ne devrait pas être mal.
Enfin gageons que Bieito ne fera même plus peur au public de Vienne, c’est dire…

Mars 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata,
(5 repr.) MeS : Simon Stone, Dir : Giacomo Sagripanti avec Pretty Yende, Frédéric Antoun, Igor Golovatenko
Tiens, une mise en scène récent mais bien entendue née ailleurs, la Traviata parisienne signée Simon Stone arrive à Vienne avec ici aussi Pretty Yende dans le rôle-titre et l’excellent Frédéric Antoun en Alfredo. Igor Golovatenko est Germont. Giacomo Sagripanti est pour la première fois dans la fosse viennoise, un chef correct, mais pour une  nouvelle Traviata à Vienne, d’autres chefs ne convenaient-ils pas mieux ?
La production de Simon Stone succède à celle de Jean-François Sivadier, vue aussi à Aix, qui n’était pas si médiocre et qui en valait bien d’autres, d’autant que la production de Simon Stone ne vaut pas cet excès d’honneur, ce n’est pas l’une de ses meilleures créations. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Oui sans doute si on veut montrer à tous prix que la dernière actualité de la scène moderne arrive à Vienne. Inutile.
Voir: http://wanderersite.com/2019/09/le-bucher-des-vanites/

Avril 2021
Richard Wagner, Parsifal (4 repr.) MeS Kirill Serebrennikov, Dir: Philippe Jordan avec Jonas Kaufmann, Elina Garanča, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld, Ludovic Tézier
Deuxième authentique production maison qui remplace la très récente production d’Alvis Hermanis (12 représentations depuis 2017) d’une œuvre qui il faut bien le dire, était l’objet chaque année de distributions très solides et souvent de chefs remarquables. Quelle raison peut justifier le retrait au bout de si peu de temps? Peut-être sa qualité discutable, peut-être les déclarations d’Hermanis, politiquement très peu correctes, qui ont singulièrement freiné sa carrière ces dernières années. mais ce sont des conjectures. (Et un grand merci au lecteur qui m’a rappelé que la production Mielitz, médiocre, avait été retirée en 2017).
Parsifal est donc un symbole, et c’est Philippe Jordan qui en assurera la direction. Il ne pouvait en être autrement à partir du moment où il y a un directeur musical dans la maison.
C’est Kirill Serebrennikov qui en assurera la mise en scène, mais sa situation en Russie impose la présence d’un dramaturge qui est Sergio Morabito. D’autres théâtres ont fait ainsi travailler Serebrennikov par personne interposée, et le message pacifique de Parsifal convient à la situation difficile à laquelle il doit faire face.
Une distribution hors normes, pour quatre représentations seulement où ce sera la ruée, avec deux prises de rôle, Ludovic Tézier, en Amfortas, deviendra-t-il le lointain successeur d’Ernest Blanc ? Et Elina Garanča aborde Kundry face au Parsifal de Jonas Kaufmann, au Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, et au Klingsor de Wolfgang Koch, remarquables tous, voire exceptionnels mais moins nouveaux dans ces rôles.
Une distribution de feu. C’est la production à ne rater sous aucun, mais aucun prétexte.

Mai 2021
Charles Gounod, Faust
(4 repr.) MeS: Frank Castorf Dir: Bertrand de Billy avec Juan Diego Flórez, Adam Palka, Nicole Car, Boris Prygl
Castorf à l’opéra de Vienne !! je présume que des défibrillateurs supplémentaires seront installés dans la salle pour soigner les crises cardiaques.
Pour faire au mieux, on devrait souhaiter que le Burgtheater accueille le Faust de Goethe du même Castorf, pour établir un discours cohérent entre ces deux Häuser am Ring…
La production est connue, elle vient de Stuttgart et Wanderersite en a rendu compte, c’est évidemment une production d’une prodigieuse intelligence, qui travaille sur le mythe de Faust dans un contexte français et parisien (stupéfiant décor de Alexander Denić) .
C’est Bertrand de Billy qui dirige, on espère qu’il connaît la production et c’est Juan Diego Flórez et Nicole Car qui chantent Faust et Marguerite, ce qui nous garantit un chant impeccable. Bien heureusement, c’est le seul survivant de Stuttgart, Adam Palka, qui reprend Mephisto, où il avait été totalement bluffant. Wanderer y sera, peut-il en être autrement ?
Voir: http://wanderersite.com/2016/11/f-comme-faust-f-comme-france/

Mai-juin 2021
Claudio
Monteverdi, L’incoronazione di Poppea (5 repr.) MeS : Jan Lauwers, Dir: Pablo Heras Casado avec Kate Lindsey, Slávka Zámečniková, Xavier Sabata, Christina Bock, Willard White, Vera-Lotte Böcker.
Autre production importée, cette fois de Salzbourg où elle a été présentée en 2018 avec William Christie en fosse. On y retrouve Kate Lindsey entourée du remarquable Xavier Sabata, de Willard White  notamment. La production fortement marquée par le corps, qui souligne où illustre les sentiments et attitudes des personnages avait été assez bien accueillie à Salzbourg, même si certains l’avaient vertement critiquée. Dans la fosse, Pablo Heras Casado  aborde un répertoire où on l’entend très peu, mais la direction de Willima Chrisite avait été critiquée à Salzbourg. Raison de plus pour faire le voyage.

Juin 2021
Giuseppe Verdi, Macbeth,
(6 repr.), MeS Barrie Kosky, Dir: Philippe Jordan avec Luca Salsi, Roberto Tagliavini, Martina Serafin, Freddie De Tommaso
Si la distribution est loin de me convaincre pour les deux protagonistes, car Macbeth exige bien plus que deux grandes voix, et Luca Salsi n’a pas vraiment la subtilité exigée pour un rôle où se sont illustrés un Bruson ou un Cappuccilli. Un Tézier aurait été bienvenu. Quant à Serafin, dans le répertoire italien…(soupir…). Reste Tagliavini, excellent, et Freddie De Tommaso, la voix de ténor émergente qu’on va voir partout. La manière de distribuer le répertoire italien lourd (comme le Macbeth de Verdi) me laisse quand même quelquefois rêveur hors d’Italie, notamment pour ce genre d’œuvre.
Jordan dans la fosse, cela montre aussi l’importance accordée à cette dernière production de la saison…
Car et c’est là le point fort, ce Macbeth venu de Zurich est simplement la plus belle mise en scène de Macbeth de Verdi qu’on ait vu depuis Strehler. Barrie Kosky fait un Macbeth noir, avec un espace de jeu de quatre m2, éclairé, un drame à deux où les deux protagonistes se meuvent et s’étouffent. Un des plus beaux spectacles de ces dernières années, à voir absolument si on l’a raté à Zurich, où le rapport scène salle était idéal.
Voir: http://wanderersite.com/2018/10/les-corbeaux-volent-la-ou-est-la-charogne/

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

 

Septembre 2020/Juin 2021
Richard Strauss, Elektra (7 repr.), MeS: Harry Kupfer, Dir: Franz Welser-Möst /Alexander Soddy (19 & 22 sept) avec
Septembre: Ricarda Merbeth, Doris Soffel, Camilla Nylund, Derek Welton
Juin: Ausrine Stundyte, Michaela Schuster, Camilla Nylund, Derek Welton

On est évidemment curieux d’entendre Ausrine Stundyte (on connaît l’Elektra de Merbeth)qui devrait mieux lui convenir que Salomé – du moins pour mon goût. Belle distribution, avec Nylund et Doris Soffel, et l’Orest de Derek Welton ne devrait pas décevoir non plus.
Franz Welser-Möst pour son grand retour à Vienne dans une de ses œuvres fétiches, mais surtout le retour (après l’intermède raté Uwe-Eric Laufenberg) de la très belle production de Harry Kupfer, violente et glaciale, créée par Claudio Abbado en 1989, une des rares productions de Kupfer au répertoire de Vienne. Comme le grand metteur en scène vient de disparaître, ce sera aussi un hommage. Par chance, la production n’a pas été détruite. Une excellente initiative.

 

Septembre-Octobre 2020
Giuseppe Verdi, Don Carlos (version originale)
(5 repr), MeS: Peter Konwitschny Dir: Bertrand de Billy avec Jonas Kaufmann, Ildar Abdrazakov, Igor Golovatenko, Eve-Maud Hubeaux, Malin Byström, Roberto Scandiuzzi
Autre belle initiative, la reprise de ce Don Carlos spectaculaire, qui se déroule sur scène, en salle, dans les corridors, avec son ballet délirant et si juste « le rêve petit bourgeois d’Eboli » . D’une part, la production Peter Konwitschny est cohérente et sans concessions, d’autre part elle rend justice au grand opéra spectaculaire. En fosse, Bertrand de Billy et une distribution rompue à cette œuvre (à part Golovatenko…on rêverait là aussi Tézier) où il y a certes  Kaufmann (magnifique dans Carlos) et Byström, mais on remarque en Eboli celle qui à Lyon nous avait tant plu, Eve-Maud Hubeaux, qui entre à Vienne « alla grande », avec le Grand Inquisiteur de Lyon, Roberto Scandiuzzi et le Philippe II de Ildar Abdrazakov, qui le chantait à Paris.

Janvier-Février 2021
W.A. Mozart: Le nozze di Figaro
(5 repr.) MeS: Jean-Pierre Ponnelle (reprise par Grischa Asagaroff) Dir: Philippe Jordan avec Andrè Schuen, Federica Lombardi, Louise Alder, Philippe Sly, Virginie Verrez
On devrait conserver les productions Ponnelle qui circulent encore précieusement, tant elles ne vieillissent pas, avec leurs images magnifiques et leur élégance intrinsèque. Certes, aujourd’hui, la mode est à la trilogie Da Ponte confiée à un seul metteur en scène mais je ne suis pas si sûr que ce soit une idée géniale de notre théâtre contemporain. Il fait donc accueillir ce retour de Ponnelle à Vienne avec une joie sans mélange. Philippe Jordan dans la fosse retrouvera Mozart dans la ville où le compositeur vécut, et où il créa Le nozze di Figaro. Distribution qui ne me convainc pas où l’on entendra cependant avec plaisir l’Almaviva Andrè Schuen, originaire du Sud Tyrol (italien) mais d’origine ni germanophone ni italophone, mais ladine (la langue des Grisons, troisième langue du Sud-Tyrol) que les spectateurs d’Angers ont déjà entendu.

 

 

Musikalische Neueinstudierung (reprise musicale)

 

Décembre 2020/juin 2021
Richard Strauss, Der Rosenkavalier
( 7 repr.) MeS: Otto Schenk. Dir: Philippe Jordan avec

  • Décembre : Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker, Erin Morley, Piotr Beczala
  • Juin : Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso.

Voilà une œuvre fétiche de l’opéra de Vienne, voilà une mise en scène historique de la maison (Otto Schenk, 1968, antérieure à sa production munichoise et un peu moins de 400 représentations) créée en fosse par Leonard Bernstein, voilà aussi la dernière production d’opéra dirigée par Carlos Kleiber… un monument en somme.
Le directeur musical ne peut faire autrement que la diriger, d’autant que Philippe Jordan est un bon straussien et qu’il n’e l’a dirigée que deux fois à Paris, une fois sous Mortier, et une fois sous Lissner.
Il est légitime qu’il retravaille la lecture avec l’orchestre et qu’il « créée des habitudes » dans une œuvre rebattue pour l’orchestre de la Staatsoper et reprise presque chaque année au répertoire.
En décembre, il dirigera un cast excellent  (Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker) avec le chanteur italien de Piotr Beczala, un peu moins excitant en juin (Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso).
Il n’importe, Rosenkavalier à Vienne c’est un « Hausoper », un opéra qui est chez lui. Il s’agit donc d’un enjeu fort pour le directeur musical.

 

 

Chefs engagés :

Philippe Jordan, Directeur musical : Parsifal, Der Rosenkavalier, Madame Butterfly, Le nozze di Figaro, Macbeth

Bertrand de Billy : Don Carlos, Faust, Tosca, Werther, Ariadne auf Naxos
Giacomo Sagripanti : La Traviata, L’Elisir d’amore, La Fille du régiment
Pablo Heras Casado: L’incoronazione di Poppea
Antonello Manacorda : Die Entführung auf dem Serail
Franz Welser-Möst : Elektra
Alexander Soddy : Elektra, Carmen, Salomé
Ramón Tebar: Madama Butterfly
Joana Mallwitz: Madame Butterfly
Simone Young: Das verratene Meer, A Midsummer Night’s Dream
Sebastian Weigle: Arabella
Christian Thielemann: Ariadne auf Naxos
Andrés Orozco-Estrada: Carmen
Marco Armiliato: Cavalleria Rusticana – I Pagliacci, Don Pasquale
Cornelius Meister: Die Fledermaus, Hänsel und Gretel, Lohengrin
Adam Fischer: Die Walküre, Die Zauberflöte
Tomáš Hanus: Eugène Onéguine, Rusalka
Stefano Montanari: Il barbiere di Siviglia
Eun Sun Kim: La Bohème
Gianluca Capuano: La Cenerentola
Axel Kober, Les contes d’Hoffmann
Evelino Pidò: Manon, Roméo et Juliette, Simon Boccanegra
Paolo Carignani: Nabucco, Rigoletto
Pier Giorgio Morandi: Tosca
Giampaolo Bisanti: Turandot

On le voit, parmi les chefs engagés, on remarque quelques chefs de premier plan, comme Christian Thielemann et le retour de deux chefs qui avaient rompu de manière spectaculaire avec Dominique Meyer, Franz Welser-Möst l’ex-GMD de l’Opéra de Vienne et Bertrand de Billy, ce dernier très sollicité, dirigeant trois opéras français, Ariadne auf Naxos une longue série de Tosca, l’une des reprises importantes de l’année, comme on va le voir.

Pour le reste, on remarque quelques noms intéressants comme Gianluca Capuano (La Cenerentola), Cornelius Meister (qui dirige trois productions dont un Lohengrin de fin de saison, Andrés Orozco-Estrada, qui succède à Philippe Jordan à la tête du Wiener Symphoniker (c’est une courtoisie normale que d’inviter le voisin) Sebastian Weigle à qui est confié Arabella. Stefano Montanari, nouveau venu à Vienne pour il Barbiere di Siviglia, nouveau également Giacomo Sagripanti, invité tout septembre pour diriger L’Elisir d’amore et La Fille du régiment .
Dans le regard sur le répertoire, nous avons relevé une sélection de titres qui pourraient être intéressants.

Novembre 2020/Mars 2021
Richard Strauss, Ariadne auf Naxos
(7 repr.) MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Christian Thielemann (Novembre), Bertrand de Billy (Mars) avec
– Novembre : Camilla Nylund, Jennifer Holloway, Stephen Gould, Erin Morley
– Mars : Lise Davidsen, Angela Brower, Brandon Jovanovich, Erin Morley
Christian Thielemann, adoré à Vienne, revient pour Strauss, un de ses compositeurs de prédilection pour une petite série d’Ariadne auf Naxos en novembre. En mars, ce sera Bertrand de Billy, décidément très sollicité dans cette saison.
Les deux distributions, très différentes, sont vraiment d’un (très bon) niveau comparable, avec dans l’une la très belle primadonna de Camilla Nylund, et en mars la présence de Lise Davidsen, entendue dans ce rôle à Aix. Mise en scène de Sven Eric Bechtolf, rien à dire.

Décembre 2020/Janv-Fév 2021/Mai 2021
Giacomo Puccini, Tosca
(12 repr.) MeS: Margarethe Wallmann, Dir: Bertrand de Billy (déc.)Pier Giorgio Morandi (Janv-fév-mai)
Qu’il soit entendu que Tosca à Vienne doit être vu une fois par tout visiteur, c’est une production muséale (1958) et Dominique Meyer avait pris soin de faire restaurer les productions les plus anciennes. Qu’il soit aussi entendu qu’avec 12 représentations, c’est une production alimentaire, avec un prix d’appel, la présence d’Anna Netrebko pour les trois premières (au-delà ce serait hasardeux) avec Monsieur…Dès la quatrième, c’est au tour de l’excellente Saioa Hernandez, qui ne chantera cette saison qu’une représentation.
Décembre : Anna Netrebko/Saioa Hernandez, Yusif Eyvazof, Wolfgang Koch
Janv-Février : Sonya Yoncheva, Roberto Alagna, Alexey Markov
Mai : Anja Harteros, Massimo Giordano, Luca Salsi
On a là une palette de possibilités selon les goûts, avec quatre Tosca qui sont des grands noms (Netrebko, Harteros), des petits noms (Yoncheva) un véritable espoir (Hernandez), palette de ténors aussi desquels on retiendra Alagna évidemment, et Giordano en l’espérant plus en forme qu’à Lyon, et trois Scarpia de choix, Koch pour l’intelligence, Markov pour l’élégance, Salsi pour la grosse voix, mais pour rien d’autre tant il n’a pas le profil pour le personnage. Bref, en douze représentations, une sorte de voyage dans les possibles pour Tosca.

Décembre 2020
Jules Massenet, Werther
, (4 repr.) MeS : Andrei Serban, Dir : Bertrand de Billy avec Piotr Beczala, Gaelle Arquez, Daniela Fally, Clemens Unterreiner.
Andrei Serban fut dans les années 1990 un exemple de metteur en scène ébouriffé. Il s’est coiffé depuis et représente une sage modernité aux yeux du très conservateur Opéra de Vienne. D’où plusieurs productions de répertoire, jouées assez souvent, comme ce Werther qui remonte à 2005 et repris plusieurs dizaines de fois depuis. Intérêt de cette reprise, la présence de Bertrand de Billy en fosse, mais surtout de Piotr Beczala, un Werther exemplaire et Gaelle Arquez en Charlotte.

Janvier 2021
Antonín Dvořák, Rusalka
(4 repr.) MeS : Sven-Eric Bechtolf Dir : Tomáš Hanus avec Piotr Beczala, Elena Zhidkova, Kristine Opolais etc…Bechtolf, la fausse modernité et le vrai conformisme, directeur du théâtre au Festival de Salzbourg jusqu’à 2016. Ce n’est pas de la mise en scène que vient l’intérêt mais du chef, pleinement dans son répertoire, voire une référence, et une belle distribution, avec Opolais, Zhidkova, deux bêtes de scène, et Beczala, moins bête de scène, mais lui aussi référence dans ce type de rôle.

Avril 2021
Wagner, Die Walküre
(4 repr.), MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Adam Fischer avec Andreas Schager, Mika Kares, Günther Groissböck, Camilla Nylund, Martina Serafin.
Là où Walküre passe…le wagnérien fait halte. Avril sera un mois wagnérien à Vienne avec ce Parsifal exceptionnel dont on a parlé et cette Walküre. En arrangeant son emploi du temps, on peut voir la dernière de Parsifal (11 avril) et la première de Die Walküre (14 avril). Adam Fischer est un chef solide, qui fréquente le Ring depuis des décennies, la mise en scène de Bechtolf est attendue, c’est à dire sans intérêt, et la distribution entre Schager, Kares, Groissböck et Nylund est plutôt très flatteuse. Il reste que je me demande ce qu’on continue de trouver à Martina Serafin.

Juin 2021
Richard Wagner, Lohengrin
(4 repr) MeS : Andreas Homoki, Dir : Cornelius Meister avec Kwangchul Youn, Klaus Florian Vogt, Sara Jakubiak, Tanja Ariane Baumgartner, Adrian Eröd.
Continuons la promenade wagnerienne. La production de Homoki, qu’on voit aussi à Zürich est faite pour les amateurs de Dirndl et culottes de peau, la direction de Cornelius Meister ne devrait pas être négligeable, la distribution solide mais pas exceptionnelle, même avec Vogt, le Lohengrin de ce début de XXIe siècle. Vous pouvez combiner avec l’autre production de Zurich, le Macbeth miraculeux de Kosky, qui est présenté dans la même période. Cela vous fera du Zurich sur Danube.

Mai 2021
Jacques Offenbach, Les contes d’Hoffmann
(5 repr.), MeS : Andrei Serban, Dir : Axel Kober avec Juan Diego Flórez, Sabine Devieilhe, Miche!le Losier, Erwin Schrott etc…
Andrei Serban, production de 1993, qui a sans doute épuisé ce qu’elle avait à dire. Axel Kober, bon chef, mais surprenant dans ce répertoire qui n’est pas le sien. Enfin dans la distribution, à part Erwin Schrott qui dans ce rôle (Lindorf etc..) c’est à dire le méchant, en fera des tonnes. On note Michèle Losier dans la Muse, Sabine Devieilhe en Olympia et Juan Diego Flórez dans Hoffmann, celui qui fut le plus grand chanteur pour Rossini et le répertoire romantique à la faveur de l’âge se lance dans le répertoire fin XIXe, Werther, Faust et Hoffmann…soit. L’intelligence, le phrasé, la technique restent… et on l’aime.

 

Conclusion :
Au-delà du souhait que la saison se réalise complètement et dès septembre, c’est une saison un peu bizarre, qui semble une manière de dire : « c’est le changement », en s’appuyant sur une dizaine de productions de metteurs en scène d’aujourd’hui, comme un défilé muséal de mises en scènes contemporaines (enfin pas toutes, parce que certaines sont de vieux souvenirs), de metteurs en scène qui souvent jamais n’ont travaillé dans la maison. Donc c’est la carte de visite d’un futur qu’on espère plus original, plus inventif et moins « conforme » (dans l’autre sens…). Avec Vienne, dernier bastion d’un théâtre plutôt traditionnel, qui rentre dans l’ordre moderne, le « mortierisme » se sera installé dans tous les grands théâtres d’opéra d’Europe occidentale ou peu s’en faut. Mais c’est un faux mortierisme, parce que Gérard Mortier était un intellectuel et un vrai créateur dans son ordre. Ici, on a de la gestion de productions achetées ou louées ailleurs. Le panier de la ménagère, c’est possible une saison mais pas deux. Vienne devra ou bien aller plus loin et se montrer créatif et simplement plus intelligent, ou bien le spectateur verra le même style partout et la routine s’installera.
Du point de vue musical, on est à Vienne et des chefs invités stimulants sont attendus. Vienne est pour moi d’abord un Opéra pour grands chanteurs et grands chefs : grands chanteurs cette année ? Un peu mais pas trop, et quand même pas mal de jeunes artistes qui commencent la carrière et qui vont se faire entendre, ce qui est positif. Grands chefs d’aujourd’hui ? Un peu mais vraiment pas trop. L’impression est celle d’un « plan plan » un peu plus coloré que précédemment, mais pas fondamentalement différent avec d’autres noms d’une qualité comparable. Sans doute la nouvelle direction procède-t-elle prudemment, à l’instar d’un Aviel Cahn à Genève, mais Aviel Cahn a un projet lisible et affirmé, ici il ne l’est pas encore, sinon par l’effet d’annonce : mais à vouloir s’afficher moderne, on arrive à faire sourire : reprendre après 20 ans et une douzaine de théâtres la fameuse Carmen de Bieito, c’est touchant dans la volonté de se montrer risque-tout (on pouvait en dire de même quand cette Carmen a été montrée à Paris). Il valait mieux garder la vieille production Zeffirelli…
Évidemment, d’un point de vue économique avec deux seules vraies nouvelles productions d’opéra sur une dizaine, c’est plutôt de bonne gestion.
En fait, à part la production de Parsifal, vraiment exceptionnelle, les bonnes idées on les trouve dans les reprises de vieilles (et excellentes) productions de la maison, L’Elektra de Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989 et reprise jusqu’à 2012, Le nozze di Figaro de Ponnelle (243 représentations de 1977 à 2010) une production que personne n’a oubliée, d’une suprême élégance, et l’intelligent et spectaculaire Don Carlos de Peter Konwitschny (2004), dont la dernière reprise remonte à 2013. Il reste qu’on aura par ailleurs plaisir à (re)voir le Kosky, le Tcherniakov, le Lauwers etc…Car ces considérations n’empêchent pas les productions présentées d’être intéressantes, mais comme elles sont connues et appréciées, c’est autant de risque que l’équipe de Vienne ne prend pas, Attendons la saison suivante pour nous faire une idée plus précise du nouveau cours que prend cette vénérable maison.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2020-2021: PRÉSENTATION DE LA PROCHAINE SAISON LYRIQUE ET SYMPHONIQUE

Sauve qui peut.
Stéphane Lissner signe un programme qu’il ne suivra pas puisqu’il part pour Naples jouir de la plus belle baie du monde et d’un des plus beaux théâtres qui soient, lieu de la grande tradition italienne.
Quant au directeur musical Philippe Jordan, il aura déjà un pied à Vienne, le théâtre de référence du genre, et ne sera présent que pour son deuxième Ring. Reste Aurélie Dupont à la tête du ballet, pour poursuivre une gestion pour le moins problématique.
Le seul événement de l’année, Ring mis à part, sera la présence de Daniel Barenboim au pupitre de Bastille pour la première fois, puisque Pierre Bergé l’en avait chassé avant même qu’il lève la baguette de directeur musical en 1989. C’est évidemment un événement symbolique considérable, car les très grands chefs mythiques ne sont pas légion depuis très longtemps dans les fosses bastillaises.

Un regard sur les chefs invités pendant la saison montre d’ailleurs que si la plupart sont des bons chefs, on peine à voir de grands chefs.

Annus Horribilis

Annus Horribilis, telle a été l’année du 350ème anniversaire de la maison, qui s’est terminée par la plus longue grève de son histoire. Avec le coronavirus et la fermeture pour plusieurs mois des théâtres, la catastrophe continue, annulées par exemple les premières productions du Ring, sur lequel l’Opéra comptait pour se refaire au moins une image sinon une santé.
Il n’est pas question de revenir sur les motifs de cette très longue grève, une sorte de feuilleton quotidien où les artistes eux-mêmes (et le public avec) apprenaient à 15h (au mieux) qu’ils ne chanteraient pas le soir à 19h30.
En revanche, un tel mouvement, qui a atteint toutes les forces de la maison, est indice du profond malaise de ce théâtre, au-delà du motif affiché de la réforme des retraites. Un malaise qu’on avait perçu dans le ballet, et Madame Dupont ne fera pas d’ombre à Brigitte Lefèvre ni même à Benjamin Millepied qui l’ont précédée : avec elle « on allait voir ce qu’on allait voir »…et on a vu. Mais la question dépasse celle du Corps de ballet, elle réside dans la relation que l’on à une mission artistique, sur la confiance qu’on a dans les pilotes, sur le sentiment d’appartenance.
On aurait pu souhaiter pour Stéphane Lissner une fin de mandat moins bousculée, je persiste à penser qu’il n’a pas du tout démérité dans sa programmation, après les années Nicolas Joel (encore un qui nous avait claironné qu’on allait voir ce qu’on allait voir…et on a vu). Mais Lissner au terme d’une carrière riche n’a pas pu donner à cette maison la cohésion que sa glorieuse histoire mériterait, et il ne s’est pas vraiment attaché aux réformes qui étaient peut-être nécessaires, il n’avait pas envie de s’y atteler, alors qu’au terme de sa carrière il eût pu sans trop de risque pour son image s’y engager, mais sans doute aussi le silence assourdissant du Ministère de la Culture sur ces questions ne l’encourageait pas.

Une immense « boutique »

L’Opéra de Paris est certes un objet artistique, mais aussi et surtout politique (on n’est pas fondé par Louis XIV pour rien). Le politique, qui a déjà fort à faire par ailleurs, n’a pas envie d’y rajouter la question de l’Opéra, lancinante, qui apparaît, disparaît, et réapparaît régulièrement depuis que je fréquente les lieux, soit depuis 1973. La réforme des retraites n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le vase souvent plein de l’Opéra de Paris.

Et pourtant quel théâtre au monde pourrait se targuer de cette puissance de feu : une salle historique de 2000 places, le Palais Garnier, qui aurait sans doute pu suffire à notre plaisir, une des merveilles des théâtres au monde, une salle récente, l’Opéra Bastille (30 ans à peine) de 2700 places esthétiquement et architectoniquement ratée, sans parler des espaces techniques, mais qui bon an mal an depuis son ouverture a répondu à l’exigence d’élargir le public, et qui ces dernières années notamment à cause d’une politique tarifaire erratique mais pas seulement, n’arrivait plus à remplir…
Et voilà qu’on nous a annoncé récemment la future ouverture de la salle ex-modulable, troisième espace d’un millier de places, restée fermée depuis l’inauguration du théâtre. Ce qui ferait si les trois salles fonctionnaient en même temps 5700 places offertes au quotidien rien que pour l’Opéra de Paris. On aimerait que le bassin de public soit aussi énorme, cela signifierait que l’opéra et le ballet sont devenus les chouchous du public.
Bon courage pour gérer ce mastodonte, parce qu’il faudra programmer des centaines de soirées et que Paris a déjà bien d’autres salles concurrentes, avec moins de charges et plus de sveltesse. C’est exactement l’histoire de l’A380 d’Airbus, arrivé trop tard sur le marché et remplacé par des avions de capacité moindre et technologiquement plus efficients.

L’Opéra de Paris dans son format actuel ne correspond plus au profil voulu pour le genre, à moins d’un manager génial qui réussisse à résoudre la quadrature du cercle, ce que nous souhaitons à Alexander Neef.

Nous l’avons déjà écrit : quand au début des années 1980 a été lancé le projet Bastille, il n’y avait pas d’alternative à Paris, le succès de l’Opéra à Garnier ne se démentait pas, le public affluait et débordait. À l’inauguration de Bastille en 1989 les choses avaient déjà changé avec notamment le Châtelet et bientôt le Théâtre des Champs Elysées.
L’Opéra-Bastille, construit pour être un théâtre de répertoire à l’alternance serrée (on parlait d’un « Opéra national populaire » sur le modèle de l’ENO de Londres ou de la Volksoper de Vienne) est devenu un théâtre de stagione-répertoire (rappelons pour mémoire que Barenboim a été chassé sous le prétexte qu’il proposait un pur théâtre de stagione, une hérésie paraît-il à l’époque qui allait contre tout le projet « populaire » affiché de Bastille). Bastille est redevenu un théâtre de stagione-répertoire sur le modèle du MET, et du ROH Covent Garden, avec un nombre de productions respectable puisé dans le répertoire de la maison (un répertoire construit par Hugues Gall qui a répondu à sa mission) et huit ou neuf nouvelles productions par an… Mais on a oublié le concept d’opéra populaire.

Management et politique culturelle

L’Opéra de Paris, rappelons-le aussi, fut au XIXe le plus grand et le plus prestigieux des opéras, rang qu’il a perdu au XXe, notamment après la deuxième guerre mondiale. Quand Rolf Liebermann en a pris les rênes en 1973, c’était une institution tellement fossilisée qu’il a dû refonder tout son fonctionnement artistique, en licenciant dans la douleur et la troupe et le chœur.
Si l’on reprend le management de la maison pendant ces années : Liebermann, qui en a fait simplement une maison européenne normale à l’instar de Londres, est resté sept ans, puis remercié. Puis se sont succédé, plus ou moins de deux ans en deux ans, Bernard Lefort, Alain Lombard et Paul Puaux (interim) Massimo Bocianckino, Jean-Louis Martinoty, René Gonzalès, Jean-Marie Blanchard pour arriver à Hugues Gall, le seul qui a duré une dizaine d’années, Gérard Mortier, dura cinq ans, puis  arrivèrent Nicolas Joel et enfin Stéphane Lissner (il y a quand même eu depuis l’inauguration de Bastille, soit 30 ans, six directeurs généraux).
Comment construire une politique durable à ce rythme, là où ailleurs les managers durent au minimum dix ans ?
Le manque de regard stratégique des politiques est justifié par cette valse de Directeurs généraux, qui n’ont simplement pas le temps de construire une politique à long terme et qui sont réduits à « faire des coups » qui sont autant de coups d’épée dans l’eau la plupart du temps, même pour les productions à succès. La question de la stratégie tient moins aux individus qu’au suivi très lâche, sinon incompétent de la tutelle.
Le Ministère de la Culture aujourd’hui est le grand muet:  on n’y pense pas à long terme : le rôle qu’on y préfère, depuis qu’il n’y a plus de stratégie, c’est d’être la puissance qui nomme avec les jeux de cour, les jeux de couloir, les jeux de lobbying qui vont avec. La dernière nomination d’Alexander Neef a dû être reprise en main par la Présidence de la République, ce qui en dit long sur l’état des troupes et sur les agitations de la courette culturelle.
Cela traduit à la fois la pauvreté conceptuelle de nos politiques culturelles,  la charge que constitue le « machin » Opéra de Paris, et enfin le manque de candidats capables de le gouverner. Serge Dorny était de ceux-là, mais pour les raisons ci-dessus évoquées, on lui a préféré Lissner, selon la vieille théorie du bâton de maréchal, et Dorny a été bien inspiré de se tourner vers Munich.

Nous nous trouvons donc devant un État qui considère plutôt son Opéra National comme un boulet à traîner, devant une maison dont le format ne correspond plus ni à l’époque, ni au bassin de public, devant un management qui est incapable de donner un sens et une direction dans lesquels le personnel de l’opéra puisse se reconnaître et retrouver un sens à son travail, et devant une crise économique profonde due aux événements récents et actuels.

On comprendra bien que dans la situation actuelle, la question de la programmation est contingente (et la programmation lyrique est plutôt solide ces dernières années, et qu’il s’agit bien plus de restimuler à tous niveaux une machine qui semble en suspens, en attente d’arrivée du nouveau directeur général, du nouveau directeur musical, et en attente du départ de la directrice du ballet, qui n’a pas donné de grandes preuves de compétences. La situation n’est pas vraiment azuréenne

Malgré les problèmes, une programmation qui se défend

Néanmoins, celui qui écrit a suivi cette maison passionnément, il l’aime comme on aime sa vieille école, où l’on a tout appris, il retourne toujours à Garnier avec émotion, se revoyant dans ses jeunes années, tout excité à l’idée d’entendre ses voix préférées. Celui qui écrit est loin d’être indifférent à cette maison, – même si depuis, il a élu domicile opératique plutôt ailleurs. Et il espère toujours que tout cela va se stabiliser et repartir sur des bases plus solides.
Pendant la longue grève de l’opéra, on a vécu sans Opéra et sans avoir l’air d’en souffrir (évidemment les autres maisons parisiennes fonctionnaient et les grèves focalisaient l’attention ailleurs) comme si cette maison était devenue inutile et ne provoquait qu’indifférence, comme si on s’en passait sans douleur. Quelle tristesse… Qui redonnera de l’âme à l’Opéra de Paris, qui lui redonnera son histoire et la joie de travailler pour elle, qui ranimera son lustre, qui recréera des rituels, qui recréera chaque soir la joie d’y aller ?

C’est dans ces conditions que Stéphane Lissner signe une programmation 2020-2021 amputée de deux productions (Jenufa et le ballet Le Rouge et le Noir) et un nombre de productions moindre, mais des nouvelles productions et reprises alléchantes et notamment un Ring. C’est tout à son honneur. La programmation lyrique résiste bien à ce contexte. Mais qu’en sera-t-il dans cinq ou six mois ? L’opéra sera-t-il en mesure de la réaliser compte tenu du drame que l’Europe et le monde traversent en ce moment? Ce sont de vraies questions. Mais, n’est-ce pas, mieux vaut rêver.

Opéra :

18 spectacles lyriques, 9 nouvelles productions (Ring inclus) et 9 reprises

Avant d’en aborder les détails, quelques observations.
Nous en avons des preuves chaque année, dans un théâtre qui a mission de répertoire et qui doit faire des reprises, en réalité, beaucoup de productions ne sont proposées qu’une saison, au mieux deux saisons, alors que – comme Gall l’avait pensé- certaines productions sont faites pour durer bien plus longtemps ; la plupart du temps, les seules productions qui furent reprises plusieurs fois le furent sous Gall et quelques (rares) fois après lui .
Quel sens avait donc de refaire une Bohème aussi particulière que celle de Claus Guth alors que c’est l’opéra « durable » type et que la production Jonathan Miller pouvait durer encore, comme aurait pu durer (à plus forte raison) la magnifique production Menotti de Garnier, et comme dure encore Zeffirelli à Milan ou Vienne. Claus Guth avec sa vision si particulière se comprend dans un contexte de Festival, pas à Bastille qui a 2700 places à remplir.
Quel intérêt de proposer une nouvelle production de Manon ? C’est depuis 1974 la cinquième production, celle de Deflo (ère Gall) ayant été proposée quatre fois (un record), alors que l’Opéra-Comique, en plus, a proposé l’œuvre la saison dernière ?
L’ancienne production Serreau de l’Opéra de Paris était nulle, mais ne valait-il donc pas mieux alors louer celle de Pelly au MET (déjà proposée à la Scala), que de proposer une nouvelle production qui durera ce que dure les roses… Car ce n’est pas la production de Vincent Huguet (bien sage en l’occurrence) qui attire les foules ici, c’est la distribution et le couple Pretty Yende-Benjamin Bernheim :  alors qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivraie.
Dans la prochaine saison, mêmes interrogations : quel intérêt de proposer une nouvelle production d’Aïda, 7 ans après celle de Py ? On ne regrettera pas la production Py, et l’appel très intéressant à Lotte De Beer n’est pas en cause, mais le choix de refaire une Aïda, dont l’Opéra de Paris s’était passé depuis des dizaines d’années avant 2013, alors que manquent au répertoire de Paris ou n’ont pas été proposés depuis longtemps un Trouvère en français (de nouveau on propose en reprise la version italienne), Ernani, Attila, I Lombardi (ou pourquoi pas Jérusalem vu à Garnier en 1984), ou le Macbeth de Tcherniakov (depuis onze ans, il n’y pas eu une seule reprise) voire un Macbeth dans la version parisienne, Les Vêpres siciliennes en français, présenté à Amsterdam, Munich, Genève, mais pas à Paris. Et plutôt qu’une nouvelle Aïda, un nouveau Falstaff ne se justifiait-il pas mieux, puisque la production Pitoiset remonte à 1999.

En revanche, on ne peut dire la même chose des nouvelles productions de Faust ou de La Dame de Pique.
–  Pour Faust, l’échec retentissant de la production Martinoty justifiait une nouvelle production, proposée opportunément au grand Tobias Kratzer, qui fera sans doute frémir le public particulièrement conservateur de l’Opéra, mais qui ne manquera pas d’intelligence.
– Pour La Dame de Pique, ce sera la troisième production après Konchalovsky (en 1991) une des première productions de Bastille, et celle de Dodin, reprise de 1999 jusqu’à 2012. La venue de Barenboim justifie la nouvelle production, d’autant qu’il s’agit d’une coproduction avec la Staatsoper de Berlin.

Il reste que sur les nouvelles productions comme pour les représentations de répertoire qui vont être reprises, les distributions sont à la hauteur,

Nouvelles productions :

 

  • Le Ring : Calixto Bieito, Dir : Philippe Jordan avec Iain Paterson (Wotan), Martina Serafin/Ricarda Merbeth (Brünnhilde), Andreas Schager (Siegfried), Jonas Kaufmann (Siegmund), Eva-Maria Westbroek (Sieglinde), Elaterina Gubanova (Fricka), Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Gerhard Siegel (Mime) etc…(Nov-dec) (2 Ring complets) et sont prévues Siegfried (en oct., 3 repr.) et Götterdämmerung (en nov, 3 repr.), mais tout cela sera en suspens à cause du problème Rheingold/Walkyrie non présentés ce printemps.

Qu’un Ring attire les foules est évident, que cette maison ait une production médiocre (Günter Krämer) dans ses réserves, grâce aux idées de Nicolas Joel, c’est aussi évident.
Que Lissner ait envie de laisser un Ring à Paris qui ait sa patte, c’est peut-être compréhensible, à condition que Calixto Bieito signe une mise en scène qui soit plus brillante que l’existante, alors que ces deux ou trois dernières années il n’a pas été très inventif.
Que Philippe Jordan continue d’avoir envie de diriger le Ring, c’est aussi d’autant plus compréhensible qu’il part à Vienne, et qu’il aura sans doute à le diriger là-bas, avec un tout autre enjeu.
Bref, les deux protagonistes ont un motif évident de voir ce Ring naître. Il reste qu’on peut malgré tout s’interroger sur la pertinence d’investir dans une nouvelle production, dans la mesure où l’ancienne toute médiocre qu’elle soit, pouvait être reprise avec une distribution étincelante qui aurait pu justifier la reprise à moindre frais – et on aurait fermé les yeux, dans la tradition de certaines reprises du répertoire : la production Bechtolf de Vienne n’a aucun intérêt non plus, et elle est pourtant fréquemment reprise.
On a là un nouveau Ring mais une distribution qui présente des hauts et des bas : Jochen Schmekenbecher est par exemple un excellent choix pour Alberich ou Ain Anger en Hagen, il n’est pas sûr qu’aujourd’hui Eva-Maria Westbroek soit une Sieglinde incontestable, et enfin soyons clairs, pour un Kaufmann et un Schager, on aura une Serafin et un Paterson, qui, tout en étant de bons professionnels, n’ont pas montré être les Brünnhilde et les Wotan de la décennie, ni de l’année.
De plus, Das Rheingold et Die Walküre doivent glisser la saison prochaine. Dans les conditions actuelles, Das Rheingold a été annulé et on voit mal comment Die Walküre pourrait naître début mai, les répétitions devant nécessairement commencer alors que le confinement continuera encore probablement plusieurs semaines ; dans les conditions les plus optimistes, c’est en début de saison prochaine qu’il faudra préparer en même temps les quatre opéras du Ring pour fin novembre prochain…Quant à la construction des décors de Siegfried et Götterdämmerung (à supposer que les deux autres soient prêts…), il n’est pas sûr que le confinement la permette…
Le feuilleton ne fait donc que commencer.

  • Sept morts de Maria Callas , Conception Marina Abramović, Musique Marko Nikodijević, MeS Marina Abramović (avec Lynsey Peysinger), Dir.mus : Yoel Gamzou (Orchestre de l’Opéra National de Paris) (Sept.2020) (4 repr), Palais Garnier.
    Une création de la performeuse Marina Abramović, bien connue pour la manière extrême de travailler sur son corps, passionnée de Maria Callas, qui construit un opéra sur les sept morts de grandes héroïnes chantées par Callas, Carmen, Tosca, Desdemona, Lucia, Norma, Cio Cio San, Violetta.
    Un projet conçu comme européen, qui tourne aussi à Athènes, Berlin, Munich, Florence et qui va pâtir de la période (repr. supprimées à Munich par exemple).
  • Giuseppe Verdi, Aida, MeS : Lotte De Beer, Dir : Michele Mariotti, avec Kaufmann, Radvanosky, Tézier, Garanča (12 fev/2 mars), et Pretti, Stikhina/ Rowley, Sgura, Dudnikova, (6-27 mars) (Fev-mars 2021) (14 repr.), Opéra-Bastille.
    Tout en s’interrogeant sur la pertinence de cette nouvelle production, on doit se féliciter de la présence à la mise en scène de Lotte De Beer (qui fit à Munich un Trittico assez intéressant), d’une distribution A totalement tourneboulante et d’un grand chef verdien.
  • P.I.Tchaïkovski, La Dame de pique, MeS Tcherniakov, Dir : Daniel Barenboim/Oksana Lyniv avec Jovanovich, Lundgren, Dupuis, Urmana, Grigorian, Margaine etc…(Mai-juin 2021)(7 repr). Palais Garnier.
    Une distribution très solide notamment pour les rôles féminins, et une mise en scène évidemment prometteuse car Tcherniakov est une boite à idées.
    Mais ce qui va déterminer la ruée, c’est l’arrivée enfin au pupitre de l’Orchestre de l’Opéra (pour 4 représentations seulement) de Daniel Barenboim : on l’attend depuis 30 ans. Un mythe vivant dans la fosse de l’Opéra, ça n’était pas arrivé depuis des lustres et Barenboim n’a jamais dirigé à l’Opéra de Paris. Les trois autres représentations seront dirigées par Oksana Lyniv, l’une des cheffes les plus en vue aujourd’hui (la première cheffe invitée à Bayreuth), ce qui est pas inintéressant non plus.
  • Charles Gounod, Faust, MeS Tobias Kratzer, Dir : Lorenzo Viotti avec Benjamin Bernheim, Ildar Abdrazakov, Florian Sempey, Ermonela Jaho etc (du 16 mars au 3 avril), Steven Costello, John Relyea, Anita Hartig (6-21 avril) (Mars-avril 2021)(13 repr), Opéra-Bastille.
    Il faut faire oublier la prod.Martinoty pour ce titre emblématique de l’Opéra de Paris qui doit être régulièrement affiché. Cette fois-ci, c’est à Tobias Kratzer que Lissner confie la mise en scène, ce qui est un choix excellent, Kratzer étant l’un des plus grands metteurs en scène aujourd’hui, d’une fulgurante intelligence, particulièrement pour le répertoire du XIXe. Quant à Lorenzo Viotti, c’est le jeune chef qu’on s’arrache à l’opéra ces derniers temps. Excellente distribution A, un peu plus discutable la distribution B, mais pour les deux on se demande où sont passés les chanteurs français pour les principaux rôles : à part Bernheim et Sempey (et aussi Sylvie Brunet-Grupposo) indiscutables, où sont les autres ?
  • Marc-André Dalbavie, Le soulier de satin, MeS: Stanislas Nordey Dir : M.A.Dalbavie avec Luca Pisaroni, Eve-Maud Hubeaux, Jean-Sébastien Bou, Vannina Santoni etc…(Mai-juin 2021) (5 repr.) Opéra-Bastille
    Très belle distribution pour cette création attendue de Marc-André Dalbavie, dont la mise en scène est confiée à Stanislas Nordey. Claudel à l’opéra, c’est quand même un événement.

Reprises de répertoire :

Beaucoup de reprises « alimentaires » cette saison (Elisir, Carmen, Traviata, Tosca, Zauberflöte, Trovatore), et quelques-unes plus stimulantes (Snegourotchka, Iphigénie en Tauride) et le seul Strauss de l’année, Capriccio à Garnier avec des distributions pour la plupart intéressantes qui donnent à ces reprises un véritable intérêt pour certaines.

  • Donizetti, L’elisir d’amore, MeS : Pelly, Dir : Frizza avec Julie Fuchs, Xabier Anduaga, Gabriele Viviani, Bryn Terfel (Sept.oct)(10 repr.) Opéra-Bastille. Entre Julie Fuchs et Xabier Anduaga, c’est la nouvelle génération qui est ici en première ligne, et Bryn Terfel en Dulcamara, c’est plutôt excitant. Quant à Riccardo Frizza, c’est un spécialiste de ce répertoire.
  • Bizet, Carmen, MeS : Bieito, (Sept-oct/Déc) (19 repr.) Opéra-Bastille
    • Sept-oct 2020 Dir : Hindoyan avec Vittorio Grigolo/Charles Castronovo, Adam Plachetka, Clémentine Margaine/Elina Garanča, Nadine Sierra
    • Déc.2020
      Dir : K.L.Wilson avec Charles Castronovo, Lucas Meachem, Varduhi Abrahamyan, Valentina Naforniţă

Le nombre de représentations (19) montre que l’effet Carmen fonctionne toujours, dans une production (Bieito) qui a fait ses preuves sur pas mal de scènes du monde depuis 20 ans. Deux chefs, Domingo Hindoyan, surgi récemment sur la scène internationale (on l’entend partout) et plutôt intéressant et la cheffe canadienne Keri-Lynn Wilson, qu’on voit aussi dans de nombreux opéras, d’Oslo à Moscou. Quant aux deux distributions, celle d’octobre avec Garanča et Sierra attirera les foules, mais celle de décembre n’est pas mal non plus (Castronovo/Abrahamyan)

  • Gluck, Iphigénie en Tauride, MeS : Warlikowski, Dir : Hengelbrock avec Joyce Di Donato, Florian Sempey, Stanislas de Barbeyrac, Laurent Naouri (Sept-oct.2020) (8 repr.) Palais Garnier. Reprise d’un très beau spectacle de Warlikowski, l’un des premiers (2006) au temps de Mortier qui va bénéficier de la baguette experte dans ce répertoire de Thomas Hengelbrock avec pour l’occasion une distribution exceptionnelle dont Joyce Di Donato est le diamant, accompagnée d’autres joyaux (Sempey, Barbeyrac, Naouri). Il faudra y courir. 
  • Rimsky-Korsakov, La fille de neige (Snegourotchka), MeS : Tcherniakov, Dir : Tatarnikov avec Ayda Garifullina, Yurij Minenko, Oksana Dyla, Marie-Nicole Lemieux, Stanislav Trofimov (Oct-nov 2020), (6 repr.) Opéra-Bastille. Autre grand moment glorieux de l’histoire des représentations de l’Opéra de Paris avec une distribution de grande qualité et un excellent chef, directeur musical du Mikhailovski de Saint Petersbourg. À voir et à revoir.
  • Verdi, La Traviata, MeS : Stone, Dir : James Gaffigan avec Zuzana Marková, Frédéric Antoun, Peter Mattei (Nov-déc 2020) (10 repr.) Palais Garnier
    La production discutée de Simon Stone, dirigée cette fois par James Gaffigan, un chef correct, avec une distribution nouvelle et le très grand Peter Mattei en Germont.
  • Mozart, Die Zauberflöte, MeS : Carsen, Dir : Cornelius Meister avec Cyrille Dubois/Stanislas de Barbeyrac, Julie Fuchs/Christiane Karg, Alex Esposito/Florian Sempey, Nicolas Testé, Sabine Devieihle/Nina Minasyan, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Janv-fév 2021)(15 repr.) Opéra-Bastille.
    Belle distribution dans toutes ses déclinaisons, et chef plutôt intéressant, GMD de la Staatsoper de Stuttgart. La production de Robert Carsen est un beau spectacle intelligent ; il faut donc y aller.
  • Verdi, Il Trovatore, MeS : Alex Ollé (La Fura dels Baus), Dir : Luisotti (janv-fév-mars 2021) (12 repr.) Opéra-Bastille
    – avec Luca Salsi, Krassimira Stoyanova, Brian Jagde, Daniela Barcellona (21 janv-14 fév)
    avec Artur Ruciński, Marina Rebeka, Yusif Eyvazov, Daniela Barcellona (17 fév-3 mars)
    Comme on l’a souligné plus haut, on peut, on doit regretter que la version française Le Trouvère, n’ait pas encore été tentée à Paris. Nicola Luisotti est un bon professionnel et les deux distributions sont correctes sans être fabuleuses, malgré la grande Stoyanova et la populaire Marina Rebeka.

Strauss, Capriccio, MeS : Carsen , Dir : Marc Albrecht avec Diana Damrau, Simon Keenlyside, Pavol Breslik, Günther Groissböck, Ekaterina Gubanova (Janv-fév 2021)(8 repr.) Palais Garnier.
Une autre production de Robert Carsen, intéressante, très bien distribuée et dirigée par un spécialiste de Strauss, une de ces reprises qui stimulent et qu’on peut vraiment aller revoir (ou simplement voir).

Puccini, Tosca, MeS : Audi,
– Mai: Dir : Sagripanti avec Alexandra Kurzak, Roberto Alagna, Zeljko Lučić
– Juin: Dir : Ettinger avec Maria Agresta Michele Fabiano, Ludovic Tézier(Mai-juin 2021)(15 repr.) Opéra-Bastille.
Avec 15 représentations, cette reprise de la Tosca médiocre de Pierre Audi affiche des distributions qui vont attirer le public aussi bien le couple Kurzak/Alagna que Agresta/Fabiano (je ne suis pas sûr qu’Agresta soit une Tosca), avec une deuxième distribution qui bénéficie en plus du Scarpia de Ludovic Tézier. Les deux chefs sont aimés à Paris, mais ne m’inspirent pas beaucoup personnellement.

En conclusion

Une saison d’opéra dans l’ensemble intéressante, avec les réserves exprimées plus haut, mais diversifiée, avec des distributions solides, des productions stimulantes et des metteurs en scène qui titillent (Bieito, Kratzer, Tcherniakov etc..) y compris dans les reprises. On regrette d’autant plus évidemment la suppression de Jenufa au vu de ce qui se profilait (distribution exceptionnelle, prod. Warlikowski). Au niveau musical, la présence de Barenboim au pupitre de Dame de Pique, qu’on espérait depuis l’arrivée de Lissner à l’Opéra, se réalise au moment de son départ et c’est pour moi, bien plus que Le Ring, l’événement de l’année.
Espérons simplement que le coronavirus ne dévore pas ce projet, très menacé au moins pour le début de saison et donc pour le Ring.


Concerts :

 

Dans les concerts programmés à Bastille ou à Garnier, il faut saluer l’excellent cycle de musique de chambre à l’Amphithéâtre, belle initiative pour aider les musiciens de l’Opéra à « faire de la musique ensemble » dans un programme assez structuré autour des instruments (cordes, vents, sextuors, percussions) ou d’une thématique (Orient Express, musique française) ainsi que les « Midis musicaux » à Garnier, un lointain souvenir de ceux du Châtelet que Lissner et Blanchard avaient inventé à la fin des années 1980.

Les concerts symphoniques ont en revanche à mon avis deux problèmes :

  • D’une part un nombre insuffisant (quatre) à la régularité élastique, sans vraie ligne.
  • D’autre part l’omniprésence de Philippe Jordan au pupitre, (trois concerts sur quatre en 2019-2020) alors que l’on pourrait en profiter pour inviter d’autres chefs (si le nombre de concerts était plus consistant).

Structurer, cela veut dire afficher une ligne de programmation (cycles, thématiques, monographies) et donner des rendez-vous fixes et une régularité (un programme par mois, peut-être deux soirées par programme etc…) et surtout dans un seul lieu.
La saison offre cette saison quatre concerts symphoniques, deux à Bastille, un à Garnier, un à la Philharmonie, dont le 27 juin 2021 un gala lyrique « au bénéfice des activités de l’Opéra de Paris » à un moment où l’Opéra a beaucoup souffert et a besoin de soutiens financiers ainsi qu’un concert au programme non communiqué, sans doute pour célébrer le départ de Philippe Jordan (1er juillet 2021).

Il reste dans « l’ordinaire » deux concerts

  • 16 octobre 2020 : Dir : Philippe Jordan
    Schönberg : Verklärte Nacht
    Strauss: Eine Alpensinfonie
    Opéra-Bastille
  • 5 mai 2021: Dir: Daniel Barenboim
    P.I.Tchaikovski
    Concerto n°1 pour piano et orchestre en si bémol mineur op.23
    Piano : Martha Argerich
    Symphonie n°5 en mi mineur
    Philharmonie de Paris

L’irrégularité des dates saute aux yeux : 20 octobre, 5 mai, 27 juin, 1er juillet et la seule cohérence programmatique est la soirée Tchaikovski liée à la série de La Dame de Pique, avec Barenboim et Argerich dont le programme suscitera une ruée à la Philharmonie.
Il y là quelque chose à retravailler : l’Orchestre de l’Opéra National de Paris a longtemps été considéré comme le meilleur sur la place, et il mériterait d’être mieux mis en valeur dans des programmes symphoniques réguliers que quatre soirées un peu jetées là au hasard.

Pour la programmation du ballet et les réflexions qu’elle suscite, voir le site Wanderersite.com dans ses pages « Danse ».

Tarifs
Tarif pour les “grands” ballets compris entre 15 et 150 €
Tarif pour les opéras compris entre 15 et 195/210 €
Tarif pour le Festival Ring compris entre 215 € et 1000 €
On est loin de l’opéra populaire vu le nombre de places à tarifs “raisonnables”, mais 215€ pour un Ring complet comme tarif minimal (plus de 50€ en moyenne par place/opéra aux places les plus mauvaises de la salle) sans faire l’effort d’un prix politique, c’est scandaleux. Et dire qu’on a supprimé les places debout instituées par Mortier…On n’aime pas les pauvres à l’Opéra de Paris.