LA SAISON 2021-2022 DU TEATRO ALLA SCALA: L’OCCASION D’UN REGARD HISTORIQUE

Le Teatro alla Scala mérite toujours un approfondissement particulier parce qu’on fait bien des erreurs sur son histoire et ses traditions. Aussi, exceptionnellement, avons-nous opté pour une vision globale de la saison (ballet excepté), mais aussi d’un regard sur d’autres saisons du passé, non seulement par comparaison, mais aussi pour raviver quelques souvenirs et surtout pour lutter contre certaines idées reçues du plus lointain passé. En route pour notre Wanderung scaligère…

 ————————-

Nous avons brièvement évoqué dans un récent post la situation de la Scala, et la présentation de la saison prochaine permet d’en savoir plus sur l’avenir de ce théâtre aimé entre tous.
Dominique Meyer a pris les rênes dans une période troublée, aussi bien à l’intérieur du théâtre à cause du départ anticipé d’Alexander Pereira, qu’à cause du contexte de pandémie, qui a contraint les salles à fermer pendant plusieurs mois au minimum, sinon plus d’une année.
C’est une situation difficile à maîtriser en ces temps extraordinaires. Manque de rentrées, initiatives sporadiques, programmation dans la brume de l’incertitude. On pourrait souhaiter mieux pour les théâtres et leurs managers.
Les choses se lèvent et la plupart des institutions présentent leurs saisons à la presse, en sollicitant les Dieux et les Muses pour que les salles ne soient pas à nouveau contraintes de fermer.

Fin de saison 2020-2021

Dominique Meyer a donc aussi programmé la fin de la saison 2021 (septembre à fin novembre) pour essayer d’attirer le public par des titres appétissants. Contrairement à d’autres maisons, il n’a pas repris les titres qui avaient été prévus avant la crise du covid. Ainsi, l’Ariodante initialement prévu avec Cecilia Bartoli qui avait annulé « par solidarité » avec Alexander Pereira non reconduit, avait-il été conservé sans Bartoli, mais toujours avec Gianluca Capuano, ainsi aussi du Pelléas et Mélisande très attendu qui devait être dirigé par Daniele Gatti (dans une mise en scène – moins attendue- de Matthias Hartmann). Deux spectacles annulés pour cause de Covid que nous ne verrons pas. Mais comme Matthias Hartmann est programmé dans la saison 2021-2022 peut-être lui a-t-on échangé Pelléas contre autre chose.

En septembre 2021, la saison (esquissée fin juin avec la production de Strehler des Nozze di Figaro dirigée par Daniel Harding) trois Rossini bouffes ouvrent l’automne lyrique

Septembre/octobre 2021
Gioachino Rossini, L’Italiana in Algeri (MeS : Jean-Pierre Ponnelle/Dir : Ottavio Dantone)
Avec Gaelle Arquez, Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Mirco Palazzi, Giulio Mastrototaro etc…
Le retour de la production Ponnelle avec cette fois Gaelle Arquez dans le rôle d’Isabella, ce qui est une très bonne idée et les spécialistes Mironov et Siragusa dans Lindoro, avec Mirco Palazzi en Mustafa, le rôle immortalisé par Paolo Montarsolo. Bon début de saison automnale avec en fosse Ottavio Dantone, une sécurité.
(4 repr. du 10 au 18 septembre

Gioachino Rossini, Il barbiere di Siviglia (MeS : Leo Muscato /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Cecilia Molinari, Mirco Palazzi, Mattia Olivieri.
La Scala avait gardé jusqu’ici la trilogie bouffe rossinienne Italiana, Barbiere, Cenerentola, signée Jean-Pierre Ponnelle, précieux trésor scénique qui n’a pas trop pris de rides quand on voit les Rossini bouffes d’une grande banalité qui essaiment les théâtres. Le Barbiere de Ponnelle arrivé de Salzbourg à la Scala en 1969, inaugurant cette série de Rossini bouffes qui vont être immortalisés par Claudio Abbado.
Cette année en remisant Ponnelle au placard, on appelle Leo Muscato, celui qui avait eu la géniale idée de changer la fin de Carmen pour être plus dans l’air #Metoo du temps… Il a commis comme perles à un collier d’autres productions sans intérêt.
De Ponnelle à Muscato… plus dure sera la chute.
En compensation, Riccardo Chailly reprend la baguette dans un répertoire qu’il a abandonné depuis des années, et ça c’est heureux, très heureux même, on a hâte. Mais quelle gueule ça aurait eu qu’après Abbado, Chailly reprenne la production Ponnelle ! Non, on préfère la médiocrité scénique…Solide distribution, on attend avec gourmandise le Figaro de Mattia Olivieri et la Rosina de la jeune et talentueuse Cecilia Molinari.
(6 repr. du 30 sept. au 15 oct)

Gioachino Rossini, Il turco in Italia (MeS : Roberto Andò/Dir : Diego Fasolis)
Avec Rosa Feola, Erwin Schrott, Antonino Siragusa, Alessio Arduini
Même si je ne suis pas convaincu par Fasolis dans Rossini, ce Turco in Italia s’annonce vocalement intéressant avec un Erwin Schrott qui sûrement en fera des tonnes et la très lyrique Rosa Feola. Production distanciée et cynique de Roberto Andò qui eut bien du succès à la création en février 2020, avec une carrière interrompue par le Covid. On la reprend donc et c’est justice.
(5 repr. du 13 au 25 octobre)

Octobre-novembre  2021
Francesco Cavalli, La Calisto
(MeS : David McVicar/Dir : Christophe Rousset)
Avec Chen Reiss, Luca Tittoto, Véronique Gens, Olga Bezsmertna, Christophe Dumaux
Très belle distribution avec la délicieuse et talentueuse Chen Reiss et Véronique Gens, mais aussi les excellents Luca Tittoto et Christophe Dumaux. MeS de David McVicar, c’est à la modernité sans effrayer le bourgeois et les âmes si sensibles du public de la Scala. Direction confiée à Christophe Rousset, qui l’a enregistré avec Les Talens Lyriques : ce sera sans nul doute solide, mais pour ce qui est de l’inventivité ou de l’imagination… N’y avait-il aucun chef italien disponible pour cette œuvre vénitienne ??
(5 repr. du 30 octobre au 13 novembre)

Novembre 2021
Gaetano Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Grisha Asagaroff/Dir : Michele Gamba)
Avec Davide Luciano, Aida Gariffulina, René Barbera, Carlos Alvarez
Beau quatuor pour ce marronnier des scènes lyriques : Carlos Alvarez dans un rôle comique ce sera explosif, et David Luciano en Belcore sera sans doute là aussi très drôle. La production de Grisha Asagaroff est professionnelle et la direction de Michele Gamba, jeune chef appréciable, mais diversement apprécié dans sa prestation de 2019, dernière série de cette production régulièrement présentée depuis 2015, alors que la précédente (Laurent Pelly) ne l’a été qu’une saison.
(5 repr. du 09 au 23 novembre)

Cette saison d’automne constitue donc une bonne introduction à la saison 2021-2022. On peut même dire que saison d’automne 2020-2021 et saison 2021-2022 doivent presque être considérées globalement, puisqu’il n’y a en 2021-2022 ni Rossini ni baroque.

De plus, au total, on n’aura jamais autant vu Riccardo Chailly (on s’en réjouit) que pendant cette saison 2020-2021 tronquée : inauguration 2020 (le spectacle A riveder le stelle), Salomé, Die Sieben Todsünden/Mahagonny Songspiel, Il barbiere di Sivlglia, c’est deux fois plus que d’habitude… Vive les pandémies…

Riccardo Chailly et Dominique Meyer © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala

 Saison 2021-2022

Ainsi donc la saison 2021/22 est-elle la première effective de Dominique Meyer, avec un jeu de propositions où le maître mot est « équilibre » à tous prix.
Treize productions étalées de décembre 2021 à novembre 2022 soit à peu près une par mois, plus des soirées de ballet (Dominique Meyer est depuis longtemps un grand amoureux du ballet et il a amené dans ses valises Manuel Legris, artisan d’un splendide travail à Vienne), et de nombreux concerts de tous ordres que nous détaillerons.

Mais le projet de Dominique Meyer est plus global et plus articulé :

En effet, il affiche aussi une vraie saison musicale et instrumentale, très bien structurée, et alléchante que nous allons d’abord évoquer.
Dominique Meyer est un passionné de musique, et notamment de musique symphonique, sans doute plus mélomane que lyricomane : on le perçoit dans la manière dont il structure l’offre « hors-opéra » de la Scala : il y a très longtemps que l’offre n’avait pas été aussi complète, avec de nouvelles propositions très heureuses.

Concerts et récitals

 

Les concerts avec l’orchestre de la Scala annoncés, avec la présence d’Esa Pekka Salonen, de Riccardo Chailly, qui est sans doute un plus grand chef symphonique que lyrique, et de Tughan Sokhiev, directeur musical du Bolchoï et dernier de la lignée des grands chefs russes, ainsi que de deux jeunes, Speranza Scappucci présence qui sans doute annonce un futur opéra (ce serait une excellente idée) et Lorenzo Viotti, qui est là pour Thais et ainsi sera entendu dans un répertoire symphonique ce qui est intéressant pour mieux le connaître.

Il y a aussi de beaux récitals de chant, une tradition qu’il faut absolument faire revivre et Dominique Meyer a bien raison de reconstruire une saison de récitals, comme la Scala en faisait jadis chaque année : Ildar Abdrazakov (nov. 2021),  Waltraud Meier (janv), Ekaterina Sementchuk (janv.), Ferruccio Furlanetto (avr.), Juan Diego Florez (mai), Anna Netrebko (mai),  Asmik Grigorian (sept.2022) sont affichés, alternant mythes et voix nouvelles ou encore moins connues à Milan avec quelque sommets comme la venue de Waltraud Meier. Il faut espérer que ces soirées réenclencheront la passion des milanais pour les voix et contribueront à attirer un public curieux.
Quelques événements exceptionnels aussi avec un concert de l’Académie avec Placido Domingo (2 décembre), le concert de Noël avec le Te Deum de Berlioz dirigé par Alain Altinoglu (18 décembre), et une soirée Anne-Sophie Mutter-Lambert Orkis le 13 février 2022.
Belle idée aussi qu’un cycle de musique de chambre avec les musiciens de l’orchestre de la Scala dans le Foyer (un concert mensuel), c’est si rare dans ce théâtre qu’on se réjouit de ce type d’initiative qui fait mieux connaître la qualité des musiciens et les valorise et surtout affiche la musique de chambre comme un moment d’écoute privilégié, car c’est la musique de chambre qui fait comprendre à l’auditeur ce qu’est « faire de la musique ensemble » et affine son écoute.
Enfin des orchestres invités et pas des moindres :

Novembre 2021 : Staatskapelle Berlin, direction Daniel Barenboim (2 concerts)
Février 2022 : Orchestre de Paris, Esa Pekka Salonen (1 concert)
Avril 2022 : Mariinsky Teatr, Valery Gergiev (1 concert)
Mai 2022 : East-Western Diwan Orchestra, Daniel Barenboim (1 concert)
Sept. 2022 : Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (2 concerts)

Ainsi reverra-t-on Daniel Barenboim à la Scala pour trois concerts, il n’était pas revenu après avoir quitté son poste de directeur musical, et ainsi verra-t-on Christian Thielemann très rare en Italie, alors qu’il y a souvent dirigé dans sa jeunesse. Tout cela est de très bon augure. Des bruits courent d’ailleurs sur la venue de Thielemann pour la première fois dans la fosse de la Scala… On parle même d’un Ring… Wait and see…
Voilà une « saison symphonique » séduisante, bien articulée, intelligente, qu’il faut accueillir avec plaisir, et même gourmandise.

Les autres annonces
Pêle-mêle d’autres annonces ont été faites ou confirmées :

  • Début des travaux d’agrandissement des espaces de travail du théâtre qui vont offrir une scène plus vaste, des espaces nouveaux pour la partie administrative et surtout des espaces pour les répétitions d’orchestre et les enregistrements qui seront à l’avant-garde. Avec un regret éternel pour la disparition de la très utile Piccola Scala depuis plusieurs décennies…
  • Projet de construction d’une cité du théâtre et de la musique, une sorte de « Teatrocittà » comme existe « Cinecittà » à Rome dans le quartier périphérique sud de Rubattino, qui devrait regrouper des entrepôts, des ateliers et des possibilités de production artistique. Une cité intégrée pour les arts de la scène, c’est un projet à peu près unique au monde.
  • À l’intérieur du théâtre, Dominique Meyer importe de Vienne le même dispositif de traduction et sous titres par tablette qui substituera les petits écrans derrière les fauteuils actuels, qui avaient été eux aussi à l’époque copiés sur l’opéra de Vienne. Pour l’avoir expérimenté à Vienne, ce système de tablettes est très efficace et particulièrement convivial pour le spectateur (en huit langues). Par ailleurs un plan de numérisation des documents musicaux est lancé.
  • L’accessibilité au théâtre devrait être améliorée et élargie par une nouvelle carte des prix des billets, un nouveau plan de billetterie qui devrait créer de nouvelles catégories, notamment en Platea (Orchestre) et dans les loges. Le constat unanime était que les prix institués dans la période Pereira étaient bien trop élevés (en soi et eu égard à la qualité moyenne) ce qui contraignait stupidement à vendre les billets invendus le dernier jour à 50%. Il est aussi question d’une Scala plus « inclusive », mais là on est plutôt dans la vulgate de toute institution aujourd’hui…

En bref, Dominique Meyer est réputé pour être non seulement un bon organisateur, mais aussi un bon gestionnaire. Le voilà à l’épreuve d’un théâtre qui en la matière n’en finit pas de virer sa cuti.

Quant au cœur du métier Scala, la programmation lyrique, le paysage est hélas nettement plus contrasté

Opéra

En ce qui concerne le lyrique, l’offre se profile de manière assez traditionnelle à l’instar d’autres saisons scaligères avec un plateau de la balance lourd sur le répertoire italien, et plus léger sur le répertoire non italien : un opéra français (Thaïs), un opéra russe (La Dame de Pique), un opéra du répertoire allemand (Ariadne auf Naxos), un Mozart (Don Giovanni) et une création contemporaine à Milan d’un opéra de Thomas Adès, The Tempest, d’après Shakespeare, créé à Londres en 2004, voilà l’offre non italienne, un saupoudrage auquel le théâtre nous a habitués depuis des décennies.
Le reste des titres (huit) appartient au répertoire italien avec un poids assez marqué pour Verdi et le post verdien : un Cimarosa (Il Matrimonio Segreto), pour l’académie, un Bellini (I Capuleti e i Montecchi), trois Verdi (Macbeth, Un ballo in maschera, Rigoletto), et trois post-verdiens (La Gioconda, Fedora, Adriana Lecouvreur). Une manière de revendiquer l’italianità du théâtre avec des titres qui n’ont pas été repris depuis très longtemps pour certains, comme Capuleti e Montecchi ou Matrimonio segreto, mais aussi une accumulation de trois titres de la dernière partie du XIXe, Ponchielli, Giordano, sans un seul Puccini qui il est vrai a été bien servi les saisons précédentes, et sans baroque ni Rossini très bien servis de septembre à novembre 2021, ce qui justifie leur absence. Nous commenterons au cas par cas et essaierons d’en tirer des conclusions générales sur une saison qui ne suscite pas un enthousiasme débordant.

 

Nouvelles productions :

Décembre 2021
Verdi, Macbeth (MeS: Davide Livermore /Dir. : Riccardo Chailly)
Avec Luca Salsi, Anna Netrebko/Elena Guseva (29/12), Francesco Meli, Ildar Abdrazakov etc…
(8 repr. Du 4 (jeunes) au 29 décembre).
La première production est toujours la plus emblématique. Riccardo Chailly revient à Verdi, et à l’un de ses opéras les plus forts avec une distribution évidemment en écho : Anna Netrebko (la dernière sera chantée par la remarquable Elena Guseva) et Luca Salsi forment le couple maudit. Pour des rôles qui exigent beaucoup de subtilité, il n’est pas sûr qu’ils soient les chanteurs adéquats, et pour un rôle pour lequel Verdi ne voulait pas d’une belle voix, il n’est pas certain non plus qu’Anna Netrebko douée d’une des voix les plus belles au monde soit une Lady Macbeth… Meli et Abdrazakov en revanche sont parfaitement à leur place. Mais pour la Prima, il faut des noms et Netrebko a pris l’abonnement… Quant à la mise en scène, c’est l’inévitable Davide Livermore, un excellent « faiseur »; comme metteur en scène, c’est autre chose… Mais depuis quelques années il est adoré à la Scala friande de paillettes et où l’on aime de moins en moins qu’une œuvre soit un peu fouillée. Étrange tout de même l’histoire de ce titre dans les 45 dernières années. D’abord Giorgio Strehler au milieu des années 1970, la production mythique d’Abbado avec Cappuccilli et Verrett, puis, un gros cran en dessous, la production Graham Vick avec Riccardo Muti, puis encore un cran en dessous Giorgio Barberio Corsetti avec Gergiev en fosse : pas de problème du côté des chefs, mais du côté des productions, jamais le souvenir magique de Strehler ne s’est effacé. On relira par curiosité ce que ce Blog écrivait de la production Gergiev/Barberio Corsetti où l’on faisait déjà le point sur la question https://blogduwanderer.com/teatro-alla-scala-2012-2013-macbeth-de-giuseppe-verdi-le-9-avril-2013-dir-mus-valery-gergiev-ms-en-scene-giorgio-barberio-corsetti.
Voilà la quatrième production, et Davide Livermore face à Strehler, c’est McDonald’s face à Thierry Marx ou un trois étoiles Michelin… On sait que Riccardo Chailly n’aime pas les mises en scènes trop complexes : avec Livermore, pas de danger. Mais quel signe terrible de l’intérêt pour la mise en scène de ce théâtre.
Quo non descendas…

Janvier-Février 2022
Bellini : I Capuleti e I Montecchi
(MeS : Adrian Noble /Dir : Evelino Pidò)
Avec Marianne Crebassa, Lisette Oropesa, René Barbera, Michele Pertusi, Yongmin Park,
(5 repr. du 18/01 au 2/02)
Une œuvre merveilleuse, l’une des plus belles du répertorie belcantiste revient après plus de deux décennies, c’est évidemment heureux. Entre Crebassa et Oropesa, Pertusi et Barbera, on tient là une distribution excellente qui ne mérite que l’éloge.
Mais aller chercher le médiocre Adrian Noble pour succéder à la merveilleuse production Pizzi est pire qu’une erreur, une faute.
Au pupitre Evelino Pidò, comme  il y a 14 ans à Paris dans la même œuvre (avec à l’époque Netrebko et DiDonato), et comme dans tant de reprises de répertoire à Vienne les dernières années. Je n’ai rien contre ce chef excellent technicien qui est pour les orchestres une garantie de sûreté surtout dans une perspective de système de répertoire ou de reprise rapide, mais il y avait peut-être d’autres noms à tenter pour une nouvelle production… D’autant que le monde lyrique est plein de chefs italiens très talentueux à essayer.

Février-mars 2022
Massenet, Thais
(MeS: Olivier Py/Dir. : Lorenzo Viotti )
Avec Marina Rebeka, Ludovic Tézier, Francesco Demuro, Cassandre Berthon.
Une œuvre représentée une seule fois à la Scala, en 1942. Puisqu’elle revient à la mode, c’est une bonne idée que de la proposer avec Lorenzo Viotti en fosse, qui avait bien séduit à la Scala dans Roméo et Juliette de Gounod.
Olivier Py est un grand nom de l’écriture et de la mise en scène, mais il y a quelque temps qu’il n’a plus rien à dire, sinon faire du Py et se répéter: gageons que ce « rien » sera déjà quelque chose. Quant à la distribution, c’est le calque de celle de Monte Carlo en mars dernier, et on est surtout très heureux de voir Ludovic Tézier revenir à la Scala après bien des années.(6 repr. du 10/02 au 2/03)

Tchaïkovski, La Dame de Pique (MeS : Mathias Hartmann /Dir. : Valery Gergiev)
Avec Najmiddin Mavlyanov, Roman Burdenko, Asmik Grigorian/Elena Guseva, Olga Borodina, Alexey Markov etc…
(5 repr. du 23/02 au 15/03)
Mathias Hartmann, un metteur en scène très « fausse modernité », qui fait peut-être Dame de Pique parce que le Pelléas prévu a été annulé mais on s’en moque puisque Gergiev, Borodina, Grigorian etc… Et donc une distribution de très haut vol dont il faudra bien profiter. En plus, Gergiev est l’une des rares grandes baguettes présentes cette saison, il faut saisir cette chance, même si l’on connaît son côté un peu fantasque, boulimique du kilomètre et peu des répétitions…

Mars 2022
Cilea, Adriana Lecouvreur
(MeS : David Mc Vicar /Dir : Giampaolo Bisanti)
Avec Freddie De Tommaso (4 au 10/03)/Yusif Eyvazov (9 au 19/03) Maria Agresta (4 au 10/03)/Anna Netrebko (9 au 19/03), Anita Rashvelishvili(4, 6, 16, 19/03) /Elena Zhidkova (9,10,12/03), Alessandro Corbelli (4 au 10/03)/Ambrogio Maestri (9 au 19/03)
(7 repr. du 4 au 19/03)
Co-Prod Liceu, San Francisco Opera, Paris, Vienne, Royal Opera House
Une large co-production pour ce retour à Milan d’Adriana Lecouvreur après une quinzaine d’années d’absence et surtout après une production Lamberto Pugelli qui a duré deux décennies. De David McVicar il faut s’attendre à un travail bien fait (encore un qui fait de l’habillage moderne d’idées éculées) qui n’effarouchera pas le public peu curieux de la Scala, mais on se demande bien quelle différence de qualité avec la production précédente, sinon l’habillage d’une nouveauté factice.
Mais une distribution étincelante où l’on découvrira (courez-y) le nouveau ténor coqueluche de toute  l’Europe lyrique, le britannique Freddie De Tommaso en alternance avec « Monsieur » Netrebko. Une production idéale pour période de foire et selfies en goguette.
Et puis, last but not least, un chef qu’on commence à entendre à l’extérieur de l’Italie, Giampaolo Bisanti, directeur musical du Petruzzelli de Bari. Applaudissons à ce choix

Avril-mai 2022
Strauss (R) Ariadne auf Naxos
(MeS : Sven Erich Bechtolf /Dir : Michael Boder)
Avec Krassimira Stoyanova, Erin Morley, Stephen Gould, Sophie Koch, Markus Werba etc…
(5 repr. du 15/04 au 03/05)
Co-Prod Wiener Staatsoper Salzburger Festspiele)
Venue d’une production viennoise et salzbourgeoise, élégante et creuse qui mérite les poussières ou les oubliettes de l’histoire : Bechtolf  en effet n’a jamais frappé les foules par son génie, ni par ses trouvailles. Distribution en revanche de très haut niveau (comme la plupart des distributions cette saison) Stoyanova, Gould, Koch sont des garanties pour l’amateur de lyrique. Chef solide de répertoire, familier de Vienne. Mais pour une nouvelle production d’un Strauss aussi important, on pouvait peut-être afficher une autre ambition notamment au niveau du chef.

Mai 2022
Verdi, Un Ballo in maschera (MeS : Marco-Arturo Marelli /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Francesco Meli, Sondra Radvanovsky, Luca Salsi, Iulia Matochkina (4, 7, 10, 12/05), Raehann Bryce-Davis (14, 19, 22/05) Federica Guida
(7 repr. du 04 au 22/05).
Magnifique distribution, avec l’Amelia la meilleure qui soit sur le marché aujourd’hui (on peut même dire la verdienne du moment), qui était déjà l’Amelia de la production précédente (Michieletto/Rustioni) et direction musicale du maître des lieux qui dirige un deuxième Verdi, comme il sied à tout directeur musical scaligère, mais il ne nous avait pas habitué à un tel festin.
Avec Marco-Arturo Marelli comme metteur en scène, c’est plutôt l’inquiétude en revanche, tant ont fait pschitt les espoirs qu’on mettait en lui dans les années 1980 (sous Martinoty il avait signé à Paris un Don Carlos programmé par Bogianckino bien peu convaincant) et tant ses nouvelles productions viennoises malgré leur nombre n’ont pas remué le Landerneau lyrique (Capriccio, Cardillac, Die Schweigsame Frau Der Jakobsleiter sous Holänder et Zauberflöte, Falstaff, Gianni Schicchi, La Fanciulla del West, Medea, La Sonnambula, Orest, Pelléas et Mélisande, Turandot pendant le mandat de Dominique Meyer). Le voilà à la Scala, vous conclurez vous-mêmes…

Juin 2022
Ponchielli, La Gioconda
(MeS : Davide Livermore /Dir : Frédéric Chaslin)
Avec Sonya Yoncheva, Daniela Barcellona, Erwin Schrott, Fabio Sartori, Judith Kutasi, Roberto Frontali
(6 repr. du 7 au 25/06)
Sonya Yoncheva veut marcher dans les pas de Callas et s’empare de ses rôles les uns après les autres (Tosca, Médée, et maintenant La Gioconda), la voix est belle, mais le reste n’est pas à l’avenant. N’est pas Callas qui veut, même quand on est soi-disant un nom. Le reste de la distribution est en revanche vraiment très convaincant.
Le metteur en scène est encore une fois Davide Livermore qui fait du (quelquefois bon, reconnaissons-le) spectacle (les américains appellent cela entertainment) et surtout pas plus loin : vous grattez les paillettes, et c’est du vide qui sort.
Il est singulier, voire stupéfiant que Livermore soit tant sollicité à la Scala depuis quelques années et ça en dit long sur les ambitions artistiques de l’institution en matière de mise en scène… Bon, pour Gioconda, ça peut mieux passer que pour Macbeth. Moins gênant en tous casDirection musicale confiée à Frédéric Chaslin, très aimé de Dominique Meyer qui lui a confié à Vienne de nombreux titres de répertoire (à peu près 25) de tous ordres.

Juin-Juillet 2022
Verdi, Rigoletto
(MeS : Mario Martone /Dir. : Michele Gamba)
Avec Piero Pretti, Enkhbat Amartüvshin, Nadine Sierra, Marina Viotti, Gianluca Buratto …
(8 repr. du 20 juin au 11 juillet)
Production de juillet, quand les touristes viennent, le Verdi des familles, signé Mario Martone (sa présence deux fois dans la saison compensera en mieux l’autre présence double, celle de Livermore…) qui est un metteur en scène « classique » mais intelligent et fin, après des dizaines années de règne incontesté de la production Gilbert Deflo : il était effectivement temps de changer.
Distribution solide avec le Rigoletto confié à Enkhbat Amartüvshin, une voix d’airain, mais un interprète peut-être à affiner encore, et accompagné de la délicieuse Nadine Sierra et du pâle mais vocalement très correct Piero Pretti. En fosse, un des jeunes chefs italiens digne d’intérêt, Michele Gamba que le public aura entendu déjà dans L’Elisir d’amore en novembre 2021 (voir plus haut).

Septembre 2022
Cimarosa, Il Matrimonio segreto
(MeS : Irina Brook /Dir : Ottavio Dantone)
Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala
(6 repr. du 7 au 22/09)
La production traditionnelle et annuelle de l’académie, aux mains d’une équipe équilibrée et très respectable. C’est de bon augure pour une œuvre qu’on n’a pas vue à la Scala… depuis 1980 !

Octobre/Novembre 2022
Giordano, Fedora
(MeS : Mario Martone /Dir : Marco Armiliato)
Avec Sonya Yoncheva, Mariangela Sicilia, Roberto Alagna (15 au 21/10), Fabio Sartori (24/10 au 3/11), George Petean.
(7 repr. du 15/10 au 3/11).
Là aussi, Lamberto Puggelli a signé une mise en scène restée au répertoire longtemps dont la dernière reprise remonte à 2004 qui était bien faite et c’est Mario Martone qui signera la nouvelle mise en scène. Dans le naufrage des mises en scènes de la saison, c’est la garantie d’un travail digne.
Distribution en revanche somptueuse qui marque le retour à la Scala de Roberto Alagna après des années d’absence, dans un rôle (Loris) très peu familier du public français, raison de plus pour y aller. Fedora, un rôle que les sopranos abordent sur le tard, est ici Sonya Yoncheva, actuellement loin d’être en fin de carrière mais j’ai beau aller souvent l’écouter, je trouve la voix très belle mais peu d’intérêt au-delà.
Et le chef, Marco Armiliato, efficace, solide, écume les scènes du monde.
Mon unique Fedora à la Scala (et ailleurs) était dirigée par Gianandrea Gavazzeni, avec Freni et Domingo.
Gavazzeni réussissait à faire respecter cette musique, voire la faire aimer… Il en fallait du génie pour faire de ce plomb de l’or.

Novembre 2022
The Tempest
(MeS : Robert Lepage /Dir : Thomas Ades)
Avec Leigh Melrose, Audrey Luna, Isabel Leonard, Frederic Antoun, Toby Spence
 (MET, Opéra National du Québec, Wiener Staatsoper)
(5 repr. du 5 au 18 nov.)
Une des rares créations (2004) qui ait fait carrière, signée Thomas Adès (compositeur et chef) avec la mise en scène « magique » de Robert Lepage, maître en images et en technologie scénique. Pour la plus baroque des pièces shakespeariennes, il fallait au moins ça, avec une distribution de très grande qualité (Antoun, Spence) dominée par le magnifique Leigh Melrose. Une bonne conclusion de la saison, une respiration « ailleurs » avec un niveau musical et scénique garanti.

Reprise :
Mars-avril 2022
Mozart, Don Giovanni
(MeS : Robert Carsen/Dir : Pablo Heras-Casado)
Avec Günther Groissböck/Jongmin Park (5, 10 apr.), Christopher Maltman, Alex Esposito, Hanna Elisabeth Müller, Emily d’Angelo, Andrea Caroll
Reprise de la médiocre mise en scène de Robert Carsen, théâtre dans le théâtre (comme d’habitude…) qui n’a pas marqué les esprits, mais il est vrai que trouver une production de Don Giovanni satisfaisante est un vrai problème. La production précédente de Peter Mussbach n’a pas marqué, et celle de Giorgio Strehler n’a pas non plus été à la hauteur de ses Nozze di Figaro légendaires. Donc, on accepte ce Carsen sans saveur pour jouir de l’excellente distribution et d’un chef qu’on dit très bon, mais qui ne m’a jamais vraiment convaincu.
(7 repr. du 27/03 au 12/04)

 

Conclusions :
Quelques lignes se dégagent :

  • Des distributions solides, voire exceptionnelles, il n’y a là-dessus pas l’ombre d’un doute, nous sommes bien à la Scala et l’excellence est dans chaque production
  • Des choix de chefs éprouvés, souvent familiers du répertoire à l’opéra de Vienne, et capables de bien gérer une représentation parce que ce sont souvent des chefs solides, mais en aucun cas ils n’ont offert de grandes visions artistiques ou de lecture d’une particulière épaisseur par le passé. Sans doute la saison préparée rapidement nécessitait de parer au plus pressé mais sans doute préside aussi l’idée que les chanteurs affichés suffiront à faire le bonheur du public. Des chefs pour la plupart au mieux efficaces, et donc à mon avis inadaptés à la Scala-plus-grand-théâtre-lyrique-du-monde comme « ils » disent…
  • Des choix de metteurs en scène sans aucun intérêt, à une ou deux exceptions près, voire souvent médiocres. Des choix de tout venant qui affichent l’opéra comme un divertissement pour lequel la complexité n’est pas conseillée: des metteurs en scène pour consommation courante, pas pour une vraie démarche artistique.
    Où est la Scala des Strehler, des Ronconi, des Visconti ? (Et même des Guth, Kupfer, ou Chéreau plus récemment) ?

 

Mon trépied de l’opéra chant-direction-mise en scène est bien bancal à la Scala cette année. Jamais la seule brochette de grands chanteurs dans une production n’a suffi à faire une grande soirée.

Il faudra sans doute attendre la saison 2022-2023 pour clarifier les choses puisqu’on espère qu’il n’y aura pas d’accident covidien en cours de route et voir si c’est ce chemin qu’on va emprunter.

Alors, pour essayer d’éclairer le lecteur, j’ai voulu remonter dans le temps, du récent (2012) au plus ancien (1924) pour voir à quoi dans le temps ressemblait vraiment la Scala, car en matière de Scala, le mythe construit dans les années 1950 est tel qu’on croit des choses qui n’ont existé que très récemment. En présentant deux saisons d’avant-guerre (avant deuxième guerre mondiale), à lire évidemment avec des clefs différentes nous avons eu de singulières surprises. Toujours mettre en perspective, c’est la loi du genre, sans jamais de jugements qui ne soient pas nés de l’expérience…

Arturo Toscanini

Plongeons dans l’histoire de la Scala

 

En conclusion de ce post mi-figue mi-raisin, j’ai donc voulu pour la première fois faire profiter le lecteur d’un de mes hobbies préférés, le plongeon dans les archives du théâtre pour mettre tout ce qu’on a pu écrire face au réel de l’histoire, et non face au rêve. Comme on pourra le constater, il y a à la fois des souvenirs, encore vifs, mais aussi des surprises de taille.
En plongeant dans cette histoire, se confronter avec d’autres saisons fait revenir à la raison ou relativiser (ou confirmer) nos déceptions. J’ai donc fixé comme critère des saisons où Macbeth était dans les productions prévues.

 

  • Une saison d’avant la deuxième guerre mondiale et une saison « Toscanini »

On devrait plus souvent se pencher sur les saisons de la Scala au temps de Toscanini et autour, on verrait l’extrême diversité de l’offre lyrique, et notamment aux temps de Toscanini, la présence quasi permanente du chef légendaire au pupitre. On verrait aussi que Verdi était bien moins représenté que de nos jours, avec quelques œuvres mais en aucun cas la large palette que les théâtres de tous ordres offrent dans Verdi. <

Ainsi Macbeth n’est pas représenté entre 1873 et 1939, année où l’œuvre de Verdi ouvre la saison (à l’époque le 26 décembre) dirigée par l’excellent Gino Marinuzzi.

Pour donner une indication encore plus surprenante : il y a 23 titres de tous ordres dont nous allons simplement donner la liste, et deux Verdi (Macbeth pour 4 repr. et La Traviata pour 11), tous deux dirigés par Gino Marinuzzi. Voici la liste des œuvres données en 1939, quelquefois inconnues de nos jours, et les œuvres étrangères données toutes en italien :

  • Verdi, Macbeth
  • Massenet, Werther
  • Mulé, Dafni
  • Bellini, La Sonnambula
  • Puccini, La Bohème
  • Rabaud, Marouf, savetier du Caire
  • Puccini, Turandot
  • Wolf-Ferrari, La Dama Boba
  • Wagner, Tristan und Isolde
  • Verdi, La Traviata
  • Leoncavallo, Pagliacci
  • Cilea, Adriana Lecouvreur
  • Humperdinck, Haensel und Gretel
  • Pizzetti, Fedra
  • Catalani, Loreley
  • Mascagni, Il Piccolo Marat
  • Beethoven, Fidelio
  • Wagner, Siegfried
  • Ghedini, Maria d’Alessandria
  • Boito, Nerone
  • Donizetti, La Favorita
  • Giordano, Fedora
  • Paisiello, Il Barbiere di Siviglia ovvero la precauzione inutile

Ainsi, on voit la grande diversité de l’offre, avec beaucoup d’œuvres « contemporaines » ou récentes à l’époque, pas un seul Rossini (la Rossini Renaissance sera pour plus tard).
On peut être surpris sur le nombre de titres affichés, mais c’était l’époque où la mise en scène n’était pas essentielle ou tout simplement n’existait pas au profit d’une mise en espace devant des toiles peintes, faciles à changer d’un jour à l’autre, sans décors construits. Une alternance plus rapide était plus facile à mettre en place.
Nettoyons nos idées reçues sur la Scala : à peine le nez dans son histoire qu’on découvre que tout ce qu’on raconte sur la Scala et Verdi, demande au moins une révision des rêves d’aujourd’hui sur un hier mythique.
Toscanini a beaucoup dirigé Verdi à la Scala, mais pas tous les titres, et il a autant dirigé Wagner et d’autres compositeurs. Prenons la saison 1924, celle du fameux Tristan und Isolde pour lequel Toscanini, arguant qu’il était ouvert à tout ce qui était novateur (les temps ont changé), avait appelé Adolphe Appia pour la mise en scène.
En 1924, voici les 24 titres, avec seulement trois chefs, Arturo Toscanini, Arturo Lucon, Vittorio Gui (un magnifique chef, si vous trouvez des enregistrements, n’hésitez pas, c’est un des plus grands chefs italiens, mort à 90 ans en 1975).

  • Strauss, Salomé (Vittorio Gui) (Ouverture de saison)
  • Riccitelli, I Compagnacci (Vittorio Gui)
  • Mozart, Zauberflöte (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Aida (Arturo Toscanini)
  • Verdi, La Traviata (Arturo Toscanini)
  • Donizetti, Lucia di Lammermoor (Arturo Lucon)
  • Puccini, Manon Lescaut (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Tristan und Isolde (Arturo Toscanini)
  • Mascagni, Iris (Arturo Toscanini)
  • Rossini, Il Barbiere di Siviglia (Arturo Lucon)
  • Bellini, La Sonnambula (Vittorio Gui)
  • Puccini, Gianni Schicchi (Vittorio Gui)
  • Gluck, Orfeo ed Euridice (Arturo Toscanini)
  • Alfano, La leggenda di Sakuntala (Vittorio Gui)
  • Verdi, Falstaff (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Rigoletto (Arturo Toscanini)
  • Bizet, Carmen (Vittorio Gui)
  • Pizzetti, Debora e Jaele (Arturo Toscanini)
  • Charpentier, Louise (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Lohengrin (Vittorio Gui)
  • Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg (Arturo Toscanini)
  • Moussorgski, Boris Godunov (Arturo Toscanini)
  • Boito, Nerone (Arturo Toscanini)
  • Giordano, Andrea Chénier (Vittorio Gui).

Sur 14 titres dirigés, Arturo Toscanini dirige Verdi (4), Mozart (1), Gluck (1) Puccini (1), Mascagni (1), Moussorgski (1) Boito (1) Charpentier (1) Pizzetti (1) Wagner (2).

Plus près de nous, les saisons d’Abbado ressemblent par leur organisation aux saisons d’aujourd’hui. Vous pourrez constater que c’est à juste titre qu’on peut « mythifier » la période :

  • Une saison du temps de Claudio Abbado et Paolo Grassi
  • 1975-1976
  • Macbeth (Abbado/Strehler)
  • Io Bertold Brecht (Tino Carraro/Milva/Strehler) ) à la Piccola Scala
  • La Cenerentola (Abbado/Ponnelle)
  • L’Heure Espagnole/L’Enfant et les sortilèges/Daphnis et Chloé (Prêtre/Lavelli)
  • Cosi fan tutte (Böhm/Patroni-Griffi)
  • Simon Boccanegra (Abbado/Strehler)
  • Aida (Schippers/Zeffirelli)
  • Werther (Prêtre/Chazalettes)
  • Benvenuto Cellini (Davis/Copley) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Peter Grimes (Davis/Moshinsky) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • La Clemenza di Tito (Pritchard/Besch) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Der Rosenkavalier (Kleiber/Schenk)
  • Luisa Miller (Gavazzeni/Crivelli)
  • Turandot (Mehta/Wallmann)

Tournée aux USA pour le bicentenaire de l’indépendance américaine
– La Bohème (Prêtre-Zeffirelli)
– La Cenerentola (Abbado-Ponnelle)
– Simon Boccanegra (Abbado-Strehler)
– Macbeth (Abbado-Strehler)

Considérons le niveau des chefs invités à la Scala en dehors d’Abbado, Böhm, Prêtre, Kleiber, Mehta, Gavazzeni, Colin Davis : c’est le « festival permanent »… on comprend pourquoi le public était difficile…

Au temps de Muti, la saison 1997 a aussi ouvert par Macbeth, c’est moins festivalier que la saison 1975, mais cela reste assez solide avec trois titres dirigés par Muti sur dix.

  • Une saison du temps de Riccardo Muti et Carlo Fontana
    1997-1998
  • Macbeth (Muti/Vick)
  • Il Cappello di paglia di Firenze (Campanella/Pizzi)
  • Die Zauberflöte (Muti/De Simone)
  • Khovantschina (Gergiev/Barstov)
  • Linda di Chamounix (A.Fischer/Everding) (Prod.Wiener Staatsoper)
  • Der Freischütz (Runnicles/Pier’Alli)
  • Manon Lescaut (Muti/Cavani)
  • Lucrezia Borgia (Gelmetti/De Ana)
  • L’Elisir d’amore (Zanetti/Chiti)
  • Carillon (Pesko/Marini) au Piccolo Teatro Strehler

Même impression pour cette saison Lissner/Barenboim : Lissner a été décrié par le public local, pourtant, à lire la saison 2012 (il n’y a que 9 ans), on est tout de même séduit par la diversité de l’offre et la qualité moyenne… afficher dans une saison un Ring, un Lohengrin, un Don Carlo, une Aida etc… Ça laisse un peu rêveur…

  • Une saison du temps de Daniel Barenboim et Stéphane Lissner
    2012-2013
  • Lohengrin (Barenboim/Guth)
  • Falstaff (Harding/Carsen)
  • Nabucco (Luisotti/D.Abbado)
  • Der fliegende Holländer (Haenchen/Homoki)
  • Cuore di Cane (Brabbins/McBurney)
  • Macbeth (Gergiev/Barberio-Corsetti)
  • Oberto, conte di San Bonifacio (Frizza/Martone)
  • Götterdämmerung (Steffens-Barenboim/Cassiers)
  • Der Ring des Nibelungen (Barenboim/Cassiers)
  • Un ballo in maschera (Rustioni/Michieletto)

Tournée au Japon : Falstaff/Rigoletto/Aida

  • La Scala di Seta (Rousset/Michieletto)(Accademia)
  • Don Carlo (Luisi/Braunschweig)
  • Aida (Noseda/Zeffirelli)

De cette manière le lecteur tient des éléments de comparaison. L’intérêt de se plonger dans les archives, c’est de faire des découvertes, de rétablir des vérités contre les idées préconçues et surtout les mythes d’aujourd’hui :

  • quand on voit ce que dirige Riccardo Chailly, directeur musical (2 productions) et ce qu’ont dirigé encore près de nous Barenboim, Muti, un peu plus loin Abbado, et encore plus loin Toscanini, on se dit que le titre est usurpé parce qu’il est évident que Riccardo Chailly ne donne pas grand-chose à ce théâtre. À ce niveau, c’est plutôt la Scala qui sert la soupe à un grand absent.
  • quand on voit la saison 1975-1976 à la Scala on comprend pourquoi ces années-là semblent un rêve éveillé. Inutile même de comparer, c’est trop douloureux, mais à regarder la saison Muti et la saison Barenboim, la comparaison est aussi éloquente.
  • Personnellement, je revendique l’intérêt de mises en scène contemporaines, qui parlent aux sociétés d’aujourd’hui et pas de mises en scènes qui ne sont qu’un cadre divertissant à la musique : c’est une erreur profonde de penser que l’opéra c’est musique et chant + guirlandes. Qu’importe d’ailleurs que la mise en scène soit traditionnelle ou novatrice, si elle a du sens.

La saison lyrique 2021-2022 à la Scala, est grise et ne soulève pas l’enthousiasme. Il y a peut-être des raisons objectives à ces choix qui laissent un peu perplexes, mais sans penser qu’on doit faire de la saison un festival permanent (c’est pourtant le sens du système stagione : faire de chaque production un moment d’exception), il y a peut-être à trouver une voie un peu plus stimulante. Je peux comprendre des difficultés dues au contexte, mais ce programme ne donne aucun signe d’avenir, et c’est là la question. On compensera sa déception par une saison symphonique et musicale intelligente et bien construite qui est-elle tout à fait digne de cette maison.

On souhaite alors ardemment que la saison symphonique par son organisation et son offre, trace un sillon que suivra la saison lyrique les années prochaines pour un théâtre qui sait, quand il faut, être le plus beau du monde.
Mais, dans la déception comme dans le triomphe, on continue de l’aimer éperdument… Et lucidement, car on le sait, la passion va de pair avec la lucidité, comme chez Racine.

WIENER STAATSOPER 2020-2021, NOUVELLE SAISON et NOUVELLE DIRECTION

Haus am Ring

Bogdan Roscic, (venu de Sony Classical) nouveau directeur de l’Opéra de Vienne où il succède à Dominique Meyer, commence son mandat avec une année à surprises motivées par l’épidémie de Covid-19. On ne sait en effet que sera le 6 septembre, jour de l’Ouverture, la situation en termes de circulation du virus, de distanciation sociale, de thérapies, même si les conditions en Autriche ont été moins dramatiques qu’ailleurs en Europe. Chargé de faire souffler un vent nouveau sur l’institution et la programmation, Bogdan Roscic propose effectivement beaucoup de changements, dans beaucoup de continuité aussi.
D’une certaine manière, l’évolution de la Staatsoper de Vienne est comparable – toutes proportions gardées- à celle du Grand Théâtre de Genève, avec les mêmes ingrédients, et une même volonté de changer de logiciel, même si sur le papier cela semble être une révolution. Méfions-nous quand même de la communication triomphaliste…
Des nouvelles productions qui renversent la vapeur, mais dont un certain nombre sont connues parce qu’elles viennent d’ailleurs. C’était attendu et c’était le motto de la nouvelle direction qui faisait fuiter habilement certains noms annonciateurs de crises cardiaques à Vienne, comme Frank Castorf.
Des « Wiederaufnahme » (reprises retravaillées) ou des « Musikalische einstudierungen » (retravail musical) avec des productions sorties du répertoire et qui y entrent de nouveau (Elektra de Kupfer par exemple), c’est en revanche un peu inattendu…
Et le répertoire, parce que dans cette maison on ne peut le changer du jour au lendemain, affiche des masse de granit historiques (Tosca…), et des productions nombreuses de Sven-Eric Bechtolf, c’est à dire une modernité qui-ne-fait-pas-peur  et souvent désolante.
Quelque chose change, c’est sûr, et une institution aussi installée dans l’histoire et la tradition doit le faire sans tout à fait heurter les habitudes…parce qu’à Vienne, les directeurs d’opéra ont souvent valsé, et pas au bal de l’Opéra.

Historiquement, il faut être clair. Vienne est une capitale musicale de premier plan, et la Staatsoper est le navire amiral de la musique à Vienne, c’est une institution énorme, où c’est la musique qui prime sur la scène, et cela a toujours été le cas. Les très grandes productions d’opéra, celles dont on se souvient, celles qu’on aimerait voir et revoir, ne viennent pas de Vienne. Il y a eu des productions qui ont marqué la « Haus am Ring », mais le temps d’une saison et d’un règne, pas sur toute une vie. Même le fameux Rosenkavalier de Otto Schenk, une référence, est plutôt meilleur dans sa version munichoise un peu postérieure. Mais on se souvient de la présence de Karajan, de Bernstein, de Kleiber, d’Abbado, de Muti, de Prêtre, d’Ozawa au pupitre, et plus récemment de Thielemann ou de Rattle. C’est là la force de cette maison, et de cet orchestre qui est le terreau du Philharmonique de Vienne, c’est ce qui fait et qui fera la gloire de Vienne, pas les productions (pas même celles des metteurs en scène que j’aime si dans la fosse il y a un quidam…).
Si l’on veut voir à Vienne des curiosités, ce sont des productions historiques, encore au répertoire, Il Barbiere di Siviglia (Gunther Rennert, depuis 1966, première dirigée par Karl Böhm avec Fritz Wunderlich), Tosca (Margarethe Wallmann depuis 1958, première dirigée par Herbert von Karajan avec Renata Tebaldi en Tosca !), La Bohème de Franco Zeffirelli depuis 1963, copie exacte de celle de la Scala, première dirigée par Herbert von Karajan avec Gianni Raimondi et Mirella Freni (tout comme à la Scala), ou la Salomé de Boleslaw Barlog de 1972, première dirigée par Karl Böhm) et cela ne dérange pas. Pour Bohème et Tosca, on se demande bien ce qu’une nouvelle production pourrait apporter, tant les nouvelles productions de Bohème et Tosca çà et là sont sans intérêt.
Plus important que les productions fétiches citées, ce qui est important à Vienne, c’est le répertoire, c’est la présence de nombreuses reprises qui font que le touriste de passage ou le viennois qui a envie d’entendre un opéra, le puisse pratiquement chaque soir, la plupart du temps (mais pas toujours) dans des conditions plutôt honnêtes et quelquefois pour des soirées musicalement exceptionnelles. Les tentatives de revenir sur le système de répertoire se sont toujours heurtées à l’hostilité du public et de la presse et ont conduit à l’interruption de plusieurs mandats par le passé.

Que cette maison soit celle qui, plus que toute autre en Europe, illustre une certaine histoire de l’opéra, son archive en ligne le montre, qui depuis 1869 retrace beaucoup de soirées avec leur distribution, et depuis 1955 toutes les soirées sans exception, une promenade dans les rêves, les mythes, qui enchante l’amateur d’opéra. Tapez Lilly Lehmann et vous aurez toutes les représentations où elle chanta à Vienne…
Voilà qui fascine ici.

Pour une maison à l’activité aussi énorme, il faut lister les titres pour se faire une idée globale, voici donc les nouvelles productions que nous reverrons point par point pour l’essentiel.

Nouvelles productions (10 et 2 opéras pour enfants):

  • 2020
  • Madama Butterfly (Septembre)
  • Die Entführung aus dem Serail (Octobre)
  • Eugène Onéguine (Octobre)
  • Die Entführung in Zauberreich (Octobre, opéra pour enfants)
  • Das verratene Meer (Décembre)
  • 2021
  • Der Barbier für Kinder (Janvier) adaptation pour enfants de Il barbiere di Siviglia de Rossini
  • Carmen (Février)
  • La Traviata (Mars)
  • Parsifal (Avril)
  • Faust (Avril)
  • L’incoronazione di Poppea (Mai)
  • Macbeth (Juin)

En italique, les productions créées ailleurs.
Hors opéras pour enfants, sur 10 nouvelles productions, seules deux (Parsifal, et Das verratene Meer) sont d’authentiques nouvelles productions…l’imagination ne semble pas vraiment au pouvoir…

Wiederaufnahmen (3 reprises retravaillées) :

  • Elektra
  • Don Carlos (Fr.)
  • Le nozze di Figaro

Musikalische Wiedereinstudierung (1 production retravaillée musicalement)

  • Der Rosenkavalier

Répertoire (26 titres):

  • Simon Boccanegra
  • L’elisir d’amore
  • La Fille du régiment
  • Salomé
  • Don Pasquale
  • Cavalleria/Pagliacci
  • A Midsummer night’s dream
  • Roméo et Juliette
  • Ariadne auf Naxos
  • Arabella
  • Werther
  • La Bohème
  • Tosca
  • Hänsel und Gretel
  • Die Fledermaus
  • Rusalka
  • Nabucco
  • La Cenerentola
  • Don Pasquale
  • Manon
  • Rigoletto
  • Turandot
  • Die Walküre
  • Die Zauberflöte
  • Les contes d’Hoffmann
  • Lohengrin

 

Vienne a eu jusque-là un plus grand nombre de productions de répertoire, à partir de la saison 2020/2021, la Staatsoper sera à peu près dans la bonne moyenne haute des autres théâtres de l’ère germanophone.

—-

Nouvelles productions

 

Septembre 2020/Janvier 2021/Mars/Avril
Puccini, Madama Butterfly (12 repr.), MeS : Anthony Minghella Dir : Philippe Jordan (sept-janv)/Ramón Tebar (16 janv)/Joana Mallwitz (Mars-Avril) avec :
-sept. : Asmik Grigorian, Freddie De Tommaso, Boris Pinkhasovich
-janvier : Asmik Grigorian, Marcelo Puente, Boris Pinkhasovich
-mars-avril : Hui he, Roberto Alagna, Boris Pinkhasovich
Quelle drôle d’idée ! Non pas d’ouvrir avec Butterfly, mais avec cette production-là. On concède que la production Josef Gielen (Près de 400 représentations depuis la création en 1957 sous la direction de Dimitri Mitropoulos avec Sena Jurinak…) avait vécu depuis longtemps, sans avoir la qualité de la Tosca de Wallmann. Il était temps de la remiser.
Mais au lieu d’ouvrir sur une production maison, ce à quoi on pouvait s’attendre avec une nouvelle équipe de direction, on présente une production née en 2005, dont le metteur en scène est mort il y a douze ans (Anthony Minghella), passée successivement par l’ENO (où elle a été créée), puis le MET, avant d’atterrir à Vienne. Drôle de manière d’annoncer des nouveautés.
Les nouveautés elles sont dans la distribution, avec Asmik Grigorian dans Butterfly, et les deux ténors en alternance qui sont parmi les voix nouvelles intéressantes, Freddie De Tommaso et Marcelo Puente. Dans les reprises de l’année, on retrouvera du plus traditionnel (mais pas moins bon) avec Hui hé et Roberto Alagna, mais sans Jordan puisque c’est la jeune et talentueuse Joana Mallwitz (34 ans) qui dirigera en mars et avril… Un début en mode mineur et c’est dommage. 

Octobre 2020/Juin 2021
W.A.Mozart, Die Entführung aus dem Serail (8 repr.), MeS : Hans Neuenfels, Dir : Antonello Manacorda avec:
– oct: Lisette Oropesa, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
– juin : Brenda Rae, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
Jolie distribution dominée par Lisette Oropesa, une magnifique Konstanze. Je pense cependant que pour une œuvre aussi inscrite dans le répertoire et dans les gênes de la ville de Vienne où elle a été créée (au Burgtheater), le choix du chef Antonello Manacorda, assez irrégulier, peut surprendre, mais qui sait…
Quant à Neuenfels, qui signe la production, c’est sa deuxième apparition après une production du Prophète pendant la saison 1997-1998. On aurait pu tout aussi bien la reprendre d’ailleurs, puisque Manacorda a dirigé Meyerbeer à Francfort…Au lieu de cela on va chercher une production de Mayence de 1999, qui a même eu les honneurs d’une retransmission télévisée.
Il est vrai en revanche qu’une nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail s’imposait vu la désastreuse production précédente (signée  Karin Beier et dirigée par Philippe Jordan, avec Diana Damrau) qui n’a duré que 10 représentations en 2006 (pour un ouvrage du répertoire aussi important, c’est un vrai trou noir).
Il est enfin dommage que la production des Herrmann (1989) créée par Harnoncourt n’ait probablement pas été conservée, parce qu’elle aurait été une reprise intéressante.
Là encore, risquer une nouvelle production maison pour un ouvrage aussi essentiel dans le répertoire de Vienne, n’aurait pas été un contresens.

Octobre-Novembre 2020
P.I.Tchaïkovsky, Eugène Onéguine
(5 repr.), MeS : Dmitry Tcherniakov, Dir : Tomáš Hanus avec Tamuna Gochashvili, Anna Goryachova, Andrè Schuen, Bogdan Volkov, Dmitry Ivashchenko
Dans ce Musée de la production moderne, il fallait évidemment une salle Tcherniakov. Le choix est tombé sur une de ses productions premières montrées en Europe occidentale (Barenboim l’avait déjà invité à Berlin pour Boris et Nagano à Munich pour Khovantchina, Eugène Onéguine, créée au Bolchoï et montrée ensuite à Paris (en 2008…) avec les forces du Bolchoï, dont il existe un DVD. Les viennois verront donc du jeune Tcherniakov, en souhaitant qu’il retravaille sa production. Solide distribution : on est heureux de voir l’excellent Bogdan Volkov dans Lenski.
Surprise du chef : Tomáš Hanus qu’on connaît sur un autre répertoire sera au pupitre. C’est plutôt un bon chef, on attendra donc avec confiance.

Décembre 2020
Hans Werner Henze, Das verratene Meer (4 repr.) MeS: Jossi Wieler & Sergio Morabito, Dir: Simone Young avec Vera Lotte Böcker, Bo Skovhus, Josh Lovell
Création à Vienne de cet opéra rarement proposé, créé à la Deutsche Oper de Berlin en 1990, sur un livret de Hans Ulrich Treichel d’après Le marin rejeté par la mer, de Mishima (1963).
C’est la première production maison de la saison, confiée à Jossi Wieler & Sergio Morabito, une garantie dans le monde de la mise en scène d‘aujourd’hui avec Bo Skovhus toujours impressionnant en scène et la jeune Vera Lotte Böcker qu’on a récemment découverte à la Komische Oper de Berlin dans Frühlingsstürme où elle était vraiment excellente. Dans la fosse, la très solide Simone Young.

Février-mars/mai-juin 2021
Georges Bizet, Carmen (11 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Andrés Orozco-Estrada (Février-mars-mai-juin)Alexander Soddy (9 juin) avec
– Février-mars : Anita Rashvelishvili, Charles Castronovo, Erwin Schrott, Olga Kulchynska
– Mai-juin : Michèle Losier, Dmytro Popov, Sergei Kaydalov, Vera-Lotte Böcker
Ne rions pas, après avoir fait le tour du monde de l’opéra depuis plus de 20 ans, la Carmen de Calixto Bieito, qui est même passée par Paris, arrive à Vienne pour remplacer la vieille production de Franco Zeffirelli ; j’y avais vu en son temps Baltsa, Carreras et Ramey, dirigés par Claudio Abbado (en 1990) (Soupir…), ce sera cette année Castronovo et Rashvelishvili, ce qui est bien, et Erwin Schrott, ce qui est moins bien, mais le rôle d’Escamillo-Matamore lui va bien…Au pupitre Andrés Orozco-Estrada, l’actuel directeur musical du Symphonique de Vienne, autrichien d‘origine colombienne, ce qui ne devrait pas être mal.
Enfin gageons que Bieito ne fera même plus peur au public de Vienne, c’est dire…

Mars 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata,
(5 repr.) MeS : Simon Stone, Dir : Giacomo Sagripanti avec Pretty Yende, Frédéric Antoun, Igor Golovatenko
Tiens, une mise en scène récent mais bien entendue née ailleurs, la Traviata parisienne signée Simon Stone arrive à Vienne avec ici aussi Pretty Yende dans le rôle-titre et l’excellent Frédéric Antoun en Alfredo. Igor Golovatenko est Germont. Giacomo Sagripanti est pour la première fois dans la fosse viennoise, un chef correct, mais pour une  nouvelle Traviata à Vienne, d’autres chefs ne convenaient-ils pas mieux ?
La production de Simon Stone succède à celle de Jean-François Sivadier, vue aussi à Aix, qui n’était pas si médiocre et qui en valait bien d’autres, d’autant que la production de Simon Stone ne vaut pas cet excès d’honneur, ce n’est pas l’une de ses meilleures créations. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Oui sans doute si on veut montrer à tous prix que la dernière actualité de la scène moderne arrive à Vienne. Inutile.
Voir: http://wanderersite.com/2019/09/le-bucher-des-vanites/

Avril 2021
Richard Wagner, Parsifal (4 repr.) MeS Kirill Serebrennikov, Dir: Philippe Jordan avec Jonas Kaufmann, Elina Garanča, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld, Ludovic Tézier
Deuxième authentique production maison qui remplace la très récente production d’Alvis Hermanis (12 représentations depuis 2017) d’une œuvre qui il faut bien le dire, était l’objet chaque année de distributions très solides et souvent de chefs remarquables. Quelle raison peut justifier le retrait au bout de si peu de temps? Peut-être sa qualité discutable, peut-être les déclarations d’Hermanis, politiquement très peu correctes, qui ont singulièrement freiné sa carrière ces dernières années. mais ce sont des conjectures. (Et un grand merci au lecteur qui m’a rappelé que la production Mielitz, médiocre, avait été retirée en 2017).
Parsifal est donc un symbole, et c’est Philippe Jordan qui en assurera la direction. Il ne pouvait en être autrement à partir du moment où il y a un directeur musical dans la maison.
C’est Kirill Serebrennikov qui en assurera la mise en scène, mais sa situation en Russie impose la présence d’un dramaturge qui est Sergio Morabito. D’autres théâtres ont fait ainsi travailler Serebrennikov par personne interposée, et le message pacifique de Parsifal convient à la situation difficile à laquelle il doit faire face.
Une distribution hors normes, pour quatre représentations seulement où ce sera la ruée, avec deux prises de rôle, Ludovic Tézier, en Amfortas, deviendra-t-il le lointain successeur d’Ernest Blanc ? Et Elina Garanča aborde Kundry face au Parsifal de Jonas Kaufmann, au Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, et au Klingsor de Wolfgang Koch, remarquables tous, voire exceptionnels mais moins nouveaux dans ces rôles.
Une distribution de feu. C’est la production à ne rater sous aucun, mais aucun prétexte.

Mai 2021
Charles Gounod, Faust
(4 repr.) MeS: Frank Castorf Dir: Bertrand de Billy avec Juan Diego Flórez, Adam Palka, Nicole Car, Boris Prygl
Castorf à l’opéra de Vienne !! je présume que des défibrillateurs supplémentaires seront installés dans la salle pour soigner les crises cardiaques.
Pour faire au mieux, on devrait souhaiter que le Burgtheater accueille le Faust de Goethe du même Castorf, pour établir un discours cohérent entre ces deux Häuser am Ring…
La production est connue, elle vient de Stuttgart et Wanderersite en a rendu compte, c’est évidemment une production d’une prodigieuse intelligence, qui travaille sur le mythe de Faust dans un contexte français et parisien (stupéfiant décor de Alexander Denić) .
C’est Bertrand de Billy qui dirige, on espère qu’il connaît la production et c’est Juan Diego Flórez et Nicole Car qui chantent Faust et Marguerite, ce qui nous garantit un chant impeccable. Bien heureusement, c’est le seul survivant de Stuttgart, Adam Palka, qui reprend Mephisto, où il avait été totalement bluffant. Wanderer y sera, peut-il en être autrement ?
Voir: http://wanderersite.com/2016/11/f-comme-faust-f-comme-france/

Mai-juin 2021
Claudio
Monteverdi, L’incoronazione di Poppea (5 repr.) MeS : Jan Lauwers, Dir: Pablo Heras Casado avec Kate Lindsey, Slávka Zámečniková, Xavier Sabata, Christina Bock, Willard White, Vera-Lotte Böcker.
Autre production importée, cette fois de Salzbourg où elle a été présentée en 2018 avec William Christie en fosse. On y retrouve Kate Lindsey entourée du remarquable Xavier Sabata, de Willard White  notamment. La production fortement marquée par le corps, qui souligne où illustre les sentiments et attitudes des personnages avait été assez bien accueillie à Salzbourg, même si certains l’avaient vertement critiquée. Dans la fosse, Pablo Heras Casado  aborde un répertoire où on l’entend très peu, mais la direction de Willima Chrisite avait été critiquée à Salzbourg. Raison de plus pour faire le voyage.

Juin 2021
Giuseppe Verdi, Macbeth,
(6 repr.), MeS Barrie Kosky, Dir: Philippe Jordan avec Luca Salsi, Roberto Tagliavini, Martina Serafin, Freddie De Tommaso
Si la distribution est loin de me convaincre pour les deux protagonistes, car Macbeth exige bien plus que deux grandes voix, et Luca Salsi n’a pas vraiment la subtilité exigée pour un rôle où se sont illustrés un Bruson ou un Cappuccilli. Un Tézier aurait été bienvenu. Quant à Serafin, dans le répertoire italien…(soupir…). Reste Tagliavini, excellent, et Freddie De Tommaso, la voix de ténor émergente qu’on va voir partout. La manière de distribuer le répertoire italien lourd (comme le Macbeth de Verdi) me laisse quand même quelquefois rêveur hors d’Italie, notamment pour ce genre d’œuvre.
Jordan dans la fosse, cela montre aussi l’importance accordée à cette dernière production de la saison…
Car et c’est là le point fort, ce Macbeth venu de Zurich est simplement la plus belle mise en scène de Macbeth de Verdi qu’on ait vu depuis Strehler. Barrie Kosky fait un Macbeth noir, avec un espace de jeu de quatre m2, éclairé, un drame à deux où les deux protagonistes se meuvent et s’étouffent. Un des plus beaux spectacles de ces dernières années, à voir absolument si on l’a raté à Zurich, où le rapport scène salle était idéal.
Voir: http://wanderersite.com/2018/10/les-corbeaux-volent-la-ou-est-la-charogne/

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

 

Septembre 2020/Juin 2021
Richard Strauss, Elektra (7 repr.), MeS: Harry Kupfer, Dir: Franz Welser-Möst /Alexander Soddy (19 & 22 sept) avec
Septembre: Ricarda Merbeth, Doris Soffel, Camilla Nylund, Derek Welton
Juin: Ausrine Stundyte, Michaela Schuster, Camilla Nylund, Derek Welton

On est évidemment curieux d’entendre Ausrine Stundyte (on connaît l’Elektra de Merbeth)qui devrait mieux lui convenir que Salomé – du moins pour mon goût. Belle distribution, avec Nylund et Doris Soffel, et l’Orest de Derek Welton ne devrait pas décevoir non plus.
Franz Welser-Möst pour son grand retour à Vienne dans une de ses œuvres fétiches, mais surtout le retour (après l’intermède raté Uwe-Eric Laufenberg) de la très belle production de Harry Kupfer, violente et glaciale, créée par Claudio Abbado en 1989, une des rares productions de Kupfer au répertoire de Vienne. Comme le grand metteur en scène vient de disparaître, ce sera aussi un hommage. Par chance, la production n’a pas été détruite. Une excellente initiative.

 

Septembre-Octobre 2020
Giuseppe Verdi, Don Carlos (version originale)
(5 repr), MeS: Peter Konwitschny Dir: Bertrand de Billy avec Jonas Kaufmann, Ildar Abdrazakov, Igor Golovatenko, Eve-Maud Hubeaux, Malin Byström, Roberto Scandiuzzi
Autre belle initiative, la reprise de ce Don Carlos spectaculaire, qui se déroule sur scène, en salle, dans les corridors, avec son ballet délirant et si juste « le rêve petit bourgeois d’Eboli » . D’une part, la production Peter Konwitschny est cohérente et sans concessions, d’autre part elle rend justice au grand opéra spectaculaire. En fosse, Bertrand de Billy et une distribution rompue à cette œuvre (à part Golovatenko…on rêverait là aussi Tézier) où il y a certes  Kaufmann (magnifique dans Carlos) et Byström, mais on remarque en Eboli celle qui à Lyon nous avait tant plu, Eve-Maud Hubeaux, qui entre à Vienne « alla grande », avec le Grand Inquisiteur de Lyon, Roberto Scandiuzzi et le Philippe II de Ildar Abdrazakov, qui le chantait à Paris.

Janvier-Février 2021
W.A. Mozart: Le nozze di Figaro
(5 repr.) MeS: Jean-Pierre Ponnelle (reprise par Grischa Asagaroff) Dir: Philippe Jordan avec Andrè Schuen, Federica Lombardi, Louise Alder, Philippe Sly, Virginie Verrez
On devrait conserver les productions Ponnelle qui circulent encore précieusement, tant elles ne vieillissent pas, avec leurs images magnifiques et leur élégance intrinsèque. Certes, aujourd’hui, la mode est à la trilogie Da Ponte confiée à un seul metteur en scène mais je ne suis pas si sûr que ce soit une idée géniale de notre théâtre contemporain. Il fait donc accueillir ce retour de Ponnelle à Vienne avec une joie sans mélange. Philippe Jordan dans la fosse retrouvera Mozart dans la ville où le compositeur vécut, et où il créa Le nozze di Figaro. Distribution qui ne me convainc pas où l’on entendra cependant avec plaisir l’Almaviva Andrè Schuen, originaire du Sud Tyrol (italien) mais d’origine ni germanophone ni italophone, mais ladine (la langue des Grisons, troisième langue du Sud-Tyrol) que les spectateurs d’Angers ont déjà entendu.

 

 

Musikalische Neueinstudierung (reprise musicale)

 

Décembre 2020/juin 2021
Richard Strauss, Der Rosenkavalier
( 7 repr.) MeS: Otto Schenk. Dir: Philippe Jordan avec

  • Décembre : Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker, Erin Morley, Piotr Beczala
  • Juin : Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso.

Voilà une œuvre fétiche de l’opéra de Vienne, voilà une mise en scène historique de la maison (Otto Schenk, 1968, antérieure à sa production munichoise et un peu moins de 400 représentations) créée en fosse par Leonard Bernstein, voilà aussi la dernière production d’opéra dirigée par Carlos Kleiber… un monument en somme.
Le directeur musical ne peut faire autrement que la diriger, d’autant que Philippe Jordan est un bon straussien et qu’il n’e l’a dirigée que deux fois à Paris, une fois sous Mortier, et une fois sous Lissner.
Il est légitime qu’il retravaille la lecture avec l’orchestre et qu’il « créée des habitudes » dans une œuvre rebattue pour l’orchestre de la Staatsoper et reprise presque chaque année au répertoire.
En décembre, il dirigera un cast excellent  (Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker) avec le chanteur italien de Piotr Beczala, un peu moins excitant en juin (Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso).
Il n’importe, Rosenkavalier à Vienne c’est un « Hausoper », un opéra qui est chez lui. Il s’agit donc d’un enjeu fort pour le directeur musical.

 

 

Chefs engagés :

Philippe Jordan, Directeur musical : Parsifal, Der Rosenkavalier, Madame Butterfly, Le nozze di Figaro, Macbeth

Bertrand de Billy : Don Carlos, Faust, Tosca, Werther, Ariadne auf Naxos
Giacomo Sagripanti : La Traviata, L’Elisir d’amore, La Fille du régiment
Pablo Heras Casado: L’incoronazione di Poppea
Antonello Manacorda : Die Entführung auf dem Serail
Franz Welser-Möst : Elektra
Alexander Soddy : Elektra, Carmen, Salomé
Ramón Tebar: Madama Butterfly
Joana Mallwitz: Madame Butterfly
Simone Young: Das verratene Meer, A Midsummer Night’s Dream
Sebastian Weigle: Arabella
Christian Thielemann: Ariadne auf Naxos
Andrés Orozco-Estrada: Carmen
Marco Armiliato: Cavalleria Rusticana – I Pagliacci, Don Pasquale
Cornelius Meister: Die Fledermaus, Hänsel und Gretel, Lohengrin
Adam Fischer: Die Walküre, Die Zauberflöte
Tomáš Hanus: Eugène Onéguine, Rusalka
Stefano Montanari: Il barbiere di Siviglia
Eun Sun Kim: La Bohème
Gianluca Capuano: La Cenerentola
Axel Kober, Les contes d’Hoffmann
Evelino Pidò: Manon, Roméo et Juliette, Simon Boccanegra
Paolo Carignani: Nabucco, Rigoletto
Pier Giorgio Morandi: Tosca
Giampaolo Bisanti: Turandot

On le voit, parmi les chefs engagés, on remarque quelques chefs de premier plan, comme Christian Thielemann et le retour de deux chefs qui avaient rompu de manière spectaculaire avec Dominique Meyer, Franz Welser-Möst l’ex-GMD de l’Opéra de Vienne et Bertrand de Billy, ce dernier très sollicité, dirigeant trois opéras français, Ariadne auf Naxos une longue série de Tosca, l’une des reprises importantes de l’année, comme on va le voir.

Pour le reste, on remarque quelques noms intéressants comme Gianluca Capuano (La Cenerentola), Cornelius Meister (qui dirige trois productions dont un Lohengrin de fin de saison, Andrés Orozco-Estrada, qui succède à Philippe Jordan à la tête du Wiener Symphoniker (c’est une courtoisie normale que d’inviter le voisin) Sebastian Weigle à qui est confié Arabella. Stefano Montanari, nouveau venu à Vienne pour il Barbiere di Siviglia, nouveau également Giacomo Sagripanti, invité tout septembre pour diriger L’Elisir d’amore et La Fille du régiment .
Dans le regard sur le répertoire, nous avons relevé une sélection de titres qui pourraient être intéressants.

Novembre 2020/Mars 2021
Richard Strauss, Ariadne auf Naxos
(7 repr.) MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Christian Thielemann (Novembre), Bertrand de Billy (Mars) avec
– Novembre : Camilla Nylund, Jennifer Holloway, Stephen Gould, Erin Morley
– Mars : Lise Davidsen, Angela Brower, Brandon Jovanovich, Erin Morley
Christian Thielemann, adoré à Vienne, revient pour Strauss, un de ses compositeurs de prédilection pour une petite série d’Ariadne auf Naxos en novembre. En mars, ce sera Bertrand de Billy, décidément très sollicité dans cette saison.
Les deux distributions, très différentes, sont vraiment d’un (très bon) niveau comparable, avec dans l’une la très belle primadonna de Camilla Nylund, et en mars la présence de Lise Davidsen, entendue dans ce rôle à Aix. Mise en scène de Sven Eric Bechtolf, rien à dire.

Décembre 2020/Janv-Fév 2021/Mai 2021
Giacomo Puccini, Tosca
(12 repr.) MeS: Margarethe Wallmann, Dir: Bertrand de Billy (déc.)Pier Giorgio Morandi (Janv-fév-mai)
Qu’il soit entendu que Tosca à Vienne doit être vu une fois par tout visiteur, c’est une production muséale (1958) et Dominique Meyer avait pris soin de faire restaurer les productions les plus anciennes. Qu’il soit aussi entendu qu’avec 12 représentations, c’est une production alimentaire, avec un prix d’appel, la présence d’Anna Netrebko pour les trois premières (au-delà ce serait hasardeux) avec Monsieur…Dès la quatrième, c’est au tour de l’excellente Saioa Hernandez, qui ne chantera cette saison qu’une représentation.
Décembre : Anna Netrebko/Saioa Hernandez, Yusif Eyvazof, Wolfgang Koch
Janv-Février : Sonya Yoncheva, Roberto Alagna, Alexey Markov
Mai : Anja Harteros, Massimo Giordano, Luca Salsi
On a là une palette de possibilités selon les goûts, avec quatre Tosca qui sont des grands noms (Netrebko, Harteros), des petits noms (Yoncheva) un véritable espoir (Hernandez), palette de ténors aussi desquels on retiendra Alagna évidemment, et Giordano en l’espérant plus en forme qu’à Lyon, et trois Scarpia de choix, Koch pour l’intelligence, Markov pour l’élégance, Salsi pour la grosse voix, mais pour rien d’autre tant il n’a pas le profil pour le personnage. Bref, en douze représentations, une sorte de voyage dans les possibles pour Tosca.

Décembre 2020
Jules Massenet, Werther
, (4 repr.) MeS : Andrei Serban, Dir : Bertrand de Billy avec Piotr Beczala, Gaelle Arquez, Daniela Fally, Clemens Unterreiner.
Andrei Serban fut dans les années 1990 un exemple de metteur en scène ébouriffé. Il s’est coiffé depuis et représente une sage modernité aux yeux du très conservateur Opéra de Vienne. D’où plusieurs productions de répertoire, jouées assez souvent, comme ce Werther qui remonte à 2005 et repris plusieurs dizaines de fois depuis. Intérêt de cette reprise, la présence de Bertrand de Billy en fosse, mais surtout de Piotr Beczala, un Werther exemplaire et Gaelle Arquez en Charlotte.

Janvier 2021
Antonín Dvořák, Rusalka
(4 repr.) MeS : Sven-Eric Bechtolf Dir : Tomáš Hanus avec Piotr Beczala, Elena Zhidkova, Kristine Opolais etc…Bechtolf, la fausse modernité et le vrai conformisme, directeur du théâtre au Festival de Salzbourg jusqu’à 2016. Ce n’est pas de la mise en scène que vient l’intérêt mais du chef, pleinement dans son répertoire, voire une référence, et une belle distribution, avec Opolais, Zhidkova, deux bêtes de scène, et Beczala, moins bête de scène, mais lui aussi référence dans ce type de rôle.

Avril 2021
Wagner, Die Walküre
(4 repr.), MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Adam Fischer avec Andreas Schager, Mika Kares, Günther Groissböck, Camilla Nylund, Martina Serafin.
Là où Walküre passe…le wagnérien fait halte. Avril sera un mois wagnérien à Vienne avec ce Parsifal exceptionnel dont on a parlé et cette Walküre. En arrangeant son emploi du temps, on peut voir la dernière de Parsifal (11 avril) et la première de Die Walküre (14 avril). Adam Fischer est un chef solide, qui fréquente le Ring depuis des décennies, la mise en scène de Bechtolf est attendue, c’est à dire sans intérêt, et la distribution entre Schager, Kares, Groissböck et Nylund est plutôt très flatteuse. Il reste que je me demande ce qu’on continue de trouver à Martina Serafin.

Juin 2021
Richard Wagner, Lohengrin
(4 repr) MeS : Andreas Homoki, Dir : Cornelius Meister avec Kwangchul Youn, Klaus Florian Vogt, Sara Jakubiak, Tanja Ariane Baumgartner, Adrian Eröd.
Continuons la promenade wagnerienne. La production de Homoki, qu’on voit aussi à Zürich est faite pour les amateurs de Dirndl et culottes de peau, la direction de Cornelius Meister ne devrait pas être négligeable, la distribution solide mais pas exceptionnelle, même avec Vogt, le Lohengrin de ce début de XXIe siècle. Vous pouvez combiner avec l’autre production de Zurich, le Macbeth miraculeux de Kosky, qui est présenté dans la même période. Cela vous fera du Zurich sur Danube.

Mai 2021
Jacques Offenbach, Les contes d’Hoffmann
(5 repr.), MeS : Andrei Serban, Dir : Axel Kober avec Juan Diego Flórez, Sabine Devieilhe, Miche!le Losier, Erwin Schrott etc…
Andrei Serban, production de 1993, qui a sans doute épuisé ce qu’elle avait à dire. Axel Kober, bon chef, mais surprenant dans ce répertoire qui n’est pas le sien. Enfin dans la distribution, à part Erwin Schrott qui dans ce rôle (Lindorf etc..) c’est à dire le méchant, en fera des tonnes. On note Michèle Losier dans la Muse, Sabine Devieilhe en Olympia et Juan Diego Flórez dans Hoffmann, celui qui fut le plus grand chanteur pour Rossini et le répertoire romantique à la faveur de l’âge se lance dans le répertoire fin XIXe, Werther, Faust et Hoffmann…soit. L’intelligence, le phrasé, la technique restent… et on l’aime.

 

Conclusion :
Au-delà du souhait que la saison se réalise complètement et dès septembre, c’est une saison un peu bizarre, qui semble une manière de dire : « c’est le changement », en s’appuyant sur une dizaine de productions de metteurs en scène d’aujourd’hui, comme un défilé muséal de mises en scènes contemporaines (enfin pas toutes, parce que certaines sont de vieux souvenirs), de metteurs en scène qui souvent jamais n’ont travaillé dans la maison. Donc c’est la carte de visite d’un futur qu’on espère plus original, plus inventif et moins « conforme » (dans l’autre sens…). Avec Vienne, dernier bastion d’un théâtre plutôt traditionnel, qui rentre dans l’ordre moderne, le « mortierisme » se sera installé dans tous les grands théâtres d’opéra d’Europe occidentale ou peu s’en faut. Mais c’est un faux mortierisme, parce que Gérard Mortier était un intellectuel et un vrai créateur dans son ordre. Ici, on a de la gestion de productions achetées ou louées ailleurs. Le panier de la ménagère, c’est possible une saison mais pas deux. Vienne devra ou bien aller plus loin et se montrer créatif et simplement plus intelligent, ou bien le spectateur verra le même style partout et la routine s’installera.
Du point de vue musical, on est à Vienne et des chefs invités stimulants sont attendus. Vienne est pour moi d’abord un Opéra pour grands chanteurs et grands chefs : grands chanteurs cette année ? Un peu mais pas trop, et quand même pas mal de jeunes artistes qui commencent la carrière et qui vont se faire entendre, ce qui est positif. Grands chefs d’aujourd’hui ? Un peu mais vraiment pas trop. L’impression est celle d’un « plan plan » un peu plus coloré que précédemment, mais pas fondamentalement différent avec d’autres noms d’une qualité comparable. Sans doute la nouvelle direction procède-t-elle prudemment, à l’instar d’un Aviel Cahn à Genève, mais Aviel Cahn a un projet lisible et affirmé, ici il ne l’est pas encore, sinon par l’effet d’annonce : mais à vouloir s’afficher moderne, on arrive à faire sourire : reprendre après 20 ans et une douzaine de théâtres la fameuse Carmen de Bieito, c’est touchant dans la volonté de se montrer risque-tout (on pouvait en dire de même quand cette Carmen a été montrée à Paris). Il valait mieux garder la vieille production Zeffirelli…
Évidemment, d’un point de vue économique avec deux seules vraies nouvelles productions d’opéra sur une dizaine, c’est plutôt de bonne gestion.
En fait, à part la production de Parsifal, vraiment exceptionnelle, les bonnes idées on les trouve dans les reprises de vieilles (et excellentes) productions de la maison, L’Elektra de Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989 et reprise jusqu’à 2012, Le nozze di Figaro de Ponnelle (243 représentations de 1977 à 2010) une production que personne n’a oubliée, d’une suprême élégance, et l’intelligent et spectaculaire Don Carlos de Peter Konwitschny (2004), dont la dernière reprise remonte à 2013. Il reste qu’on aura par ailleurs plaisir à (re)voir le Kosky, le Tcherniakov, le Lauwers etc…Car ces considérations n’empêchent pas les productions présentées d’être intéressantes, mais comme elles sont connues et appréciées, c’est autant de risque que l’équipe de Vienne ne prend pas, Attendons la saison suivante pour nous faire une idée plus précise du nouveau cours que prend cette vénérable maison.

SALZBURGER FESTSPIELE 2015 – THÉÂTRE: MACKIE MESSER – EINE SALZBURGER DREIGROSCHENOPER de Bertolt BRECHT/Kurt WEILL le 13 AOÛT 2015 (Ms en scène: Julian CROUCH/Sven-Eric BECHTOLF)

La garderobe des mendiants © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
La garderobe des mendiants © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

« Einmalige Experimentalfassung in der musikalischen Adaption von Martin Lowe. »
 » Version expérimentale unique dans l’adaptation musicale de Martin Lowe. »
Voilà le sous titre de la performance à laquelle nous avons assisté au Festival de Salzbourg, dans une Felsenreitschule archi comble.
Il y a derrière la singularité de l’expression quelque chose qui ressemble à un aveu d’échec. En effet, quel intérêt à souligner que la version ne sera jouée qu’une fois, qu’elle est expérimentale etc…sinon pour parer à la critique et pouvoir répondre dans un sens politiquement correct sur la forme et non sur le fond.
Il y a dans l’entreprise une triple erreur :

  • la première est de faire de Dreigroschenoper un musical quand la musique originale elle-même est un entre-deux. On est dans la parodie de la parodie, dans la réécriture de la réécriture.
  • la seconde est de faire une mise en scène en somme classique, qui ne tient pas compte de l’ambiance musicale, bien faite, mais sans la vivacité que le musical apporte
  • la troisième déjà soulignée dans mon texte sur la Comédie des erreurs, est qu’on ne peut avoir deux mises en scène qui réfèrent directement à l’univers du musical, comme si c’était la seule alternative possible à un théâtre de texte et de « Regie ».

Le résultat est un ensemble sans intérêt, mal porté par les artistes un peu perdus, où l’on est ni satisfait de la musique, ni de la scène, ni de l’ensemble. Mais  c’est « expérimental » n’est-ce pas et tout est pardonné.

Décidément, Kurt Weill n’a pas de chance à Salzbourg, Mahagonny en 1998 avait été accueilli froidement et ce n’était pas la meilleure des productions Mortier (Peter Zadek), et cet Opéra de Quat’sous ne durera qu’un été (c’est écrit ci-dessus), puis sera oublié. C’est d’autant plus rageant que Dreigroschenoper n’a jamais été joué à Salzbourg et qu’une version concertante dirigée par HK Gruber appuyée sur l’édition révisée de la partition en 2000 en est donnée à la Felsenreitschule le 15 août avec une autre distribution, comme pour compenser.
Avant de faire une expérience aussi étrange, il eût peut-être été plus habile de présenter une version scénique authentique de l’œuvre, y compris avec Julian Couch comme metteur en scène se coltinant la musique originale et n’imposant pas une version abâtardie et inutile. C’est juste si on n’a pas demandé au public de reprendre la complainte de Mackie Messer (Die Moritat von Mackie Messer) qui clôt comme un adieu de la troupe la soirée après les applaudissements.

Jenny (Sona Macdonald) chantant la complainte de Mackie Messer © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Jenny (Sona Macdonald) chantant la complainte de Mackie Messer © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Le titre Mackie Messer fait allusion au surnom du personnage principal Macheath dit Mackie le couteau (Mackie the Knife, Mackie Messer), en français le couteau qui poignarde s’appelle un « surin », ce serait donc Mackie le Surin ou Mackie le surineur. Il est probable que ce nom apparu dans The Beggar’s Opera (John Gay, 1728) qui est la source de Kurt Weill et Bertolt Brecht soit un jeu sur Macbeth, tant le personnage est noir.
En recentrant sur le « héros » de cette histoire, un héros des bas fonds, criminel, voleur, mais séducteur et beau parleur, qui aspire quand même « à se ranger », on aurait pu penser que la mise en scène le mettrait plus en valeur. Certes, il apparaît bien comme le personnage principal, ne serait que par son costume un peu élégant par rapport aux autres personnages, mais sans excès, sans en tous cas être une sorte d’Arsène Lupin des profondeurs élégant et raffiné, ni être une brute épaisse : il a l’air d’un héros mais n’a rien d’un héros : jusqu’à la fin, il ne se repent pas et ne travaille qu’à son compte et intérêt. C’est justement une des marques de l’œuvre que de sauver par un ridicule deus ex machina un type qui au fond ne vaut même pas la corde avec laquelle il ne sera pas pendu. Il s’agit de mimer  le théâtre traditionnel et bourgeois en en ridiculisant les mécanismes et en jouant sur les diverses réactions de spectateurs. Dans ce remake qui lui est consacré, l’interprète (Michael Rotschopf) ne m’a pas semblé faire preuve d’une personnalité scénique forte, un peu monotone, et un peu pâlichon.

Peachum (Graham F.Valentine) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Peachum (Graham F.Valentine) et Steffen Schortie Scheumann (Smith) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Bien plus caractéristique le Peachum de Graham F.Valentine, à la diction marquée (bien qu’il soit écossais, mais formé à Zürich et Paris) ce qui est si important dans cette œuvre. Peachum, l’opposé de Mackie, laid, vieilli, est un horrible ( qui ressemble ici à un vieux juif, à un Shylock version XIXème) qui habille sa laideur morale en conformisme bourgeois : on lit la bible, on est bon citoyen, pour faire une digne couverture aux affaires qu’on conduit (gérer la population des clochards et des mendiants de Londres, comme un maquereau gère ses putes).

Les Peachum © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Les Peachum © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

 

 

 

Graham F.Valentine fait plus vivre le personnage (c’est aussi le cas de sa femme, la plantureuse Pascal von Wroblewski un peu plus attendue cependant). Quant à Polly Peachum, de jeune fille tendre et naïve au départ, elle profite du contact avec son mari Mackie pour se durcir et devenir en son absence chef de gang : elle gagne en maturité au contact de la pègre.

Polly (Sonia Beisswenger) et Brown (Sierk Radzei) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Polly (Sonia Beisswenger) et Brown (Sierk Radzei) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

L’interprétation de Sonia Beisswenger est assez intéressante, sans être renversante, là aussi marquée par le conformisme qu’on lui demande. Il reste le Brown de Sierk Radzei, lointain parent d’un des gendarmes de Saint Tropez, assez vivant et bien caractérisé et la Jenny de Sona Macdonald, qui chante avec élégance la balade de Mackie pendant le prologue.

Polly (Sonja Beisswenger) et Macheath (Michael Rotschopf) Polly (Sonja Beisswenger) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Polly (Sonja Beisswenger) et Macheath (Michael Rotschopf) Polly (Sonja Beisswenger) © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Dans ce petit monde où le chef des bas fonds est le rival du chef des gangsters, dont l’ami est le chef de la police, la morale dite bourgeoise en prend un coup : ironie, sarcasme, cynisme, intérêts guident les personnages : « l’opérette » est noire.

De tout cela, la mise en scène de Julian Crouch ( auquel s’est rajouté Sven-Eric Bechtolf) révèle bien peu, elle reste en superficie, préférant évoquer l’Angleterre victorienne de Sherlock Holmes, la reine Victoria, Jack L’Eventeur et Oliver Twist, avec une vision d’images d’Epinal des bas fonds londoniens, sans vraiment cultiver l’ironie (même si elle affleure çà et là) de l’entreprise de Brecht, dont le Londres est bien mâtiné du Berlin-république-de-Weimar.
Dans cet espace sans dégagement ni coulisses (les dépôts se trouvent sous les gradins) d’une grande largeur (40m), on note quelques trouvailles ingénieuses pour changer les décors (portés par des « mendiants » machinistes). Déposés latéralement ou contre les arcades, les décors apparaissent comme des remises, des espaces laissés pour compte et donnent l’impression de bas fonds, mais le trompe l’œil (les canapés !) les fausses perspectives, font de l’ensemble bien plus une imagerie presque naïve de livre d’enfant qu’un décor.

Des canapés de livres d'enfants © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Des canapés de livres d’enfants © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Les échelles formant barreaux de la prison de Macheath sont une assez bonne idée visuelle qui ne change rien au fond. Les arcades de la Felsenreitschule sont peu utilisées, sinon pour quelques projections vidéos ou en ombre chinoise et quelques éclairages colorés, mais exploitées de manière très limitée : le lieu n’est pas pris en considération et c’est un peu dommage.

La prison de Macheath et Lucy (Miriam Fusseneger) et PollySonja Beisswenger) devant © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
La prison de Macheath et Lucy (Miriam Fusseneger) et PollySonja Beisswenger) devant © Salzburger Festspiele / Ruth Walz

Ainsi se trouve-t-on pris dans une contradiction : ce qui fait le sel de l’œuvre, son ironie, son ton, la diction des lyrics disparaît sous un conformisme qui range, un comble, cette œuvre anti-culture bourgeoise dans un genre plus ou moins touristique adapté au désir du touriste argenté qui fréquente le lieu. Dans ce décor, un musical comme Les Misérables (à quand ?) aurait pu trouver place sans y changer grand chose. Quant à la musique, que les producteurs ont voulu plus adaptée à nous, moins marquée par le style Weimar (qui est pourtant toute l’œuvre), elle est sans saveur aucune: quelques coups de batterie, quelques effets d’une affligeante banalité (arrangement par Martin Löwe, qui a à son actif Mamma Mia…),  au point que chacun se demandait pourquoi avoir voulu faire cette « expérience ». Si encore la charge contre le théâtre bourgeois, avec ses incohérences (le livret n’est pas toujours un modèle de linéarité ), son Deus ex machina improbable (certes ils sont tous improbables, mais celui-là récompense un bandit en l’ennoblissant sans qu’à un seul moment il y a eu regret ou repentence) avait été souligné au-delà d’une gentille ironie de théâtre pour enfant (l’entrée de Brown sur son cheval à la fin), si le ton et les accents, la diction et l’expression avaient été l’objet d’un soin particulier, on aurait pu sauver l’entreprise, mais dans ce travail, je ne vois pas véritablement d’intérêt ni à l’entreprise, ni au résultat.
Car on peut parfaitement travailler les classiques sous forme d’entertainment, pourquoi pas, mais est-ce le lieu ? et si c’est le lieu, ce produit-là est en dessous de l’attendu, monotone, sans grandes idées, sans mise en scène, sans travail de l’acteur puisque chacun parle comme l’autre, avec les gestes convenus et les mauvaises habitudes ; certes il y a quelques moments bien réalisés comme les géants, ou comme les ombres chinoises qui suivent pas à pas la complainte de Mackie Messer en l’illustrant, mais au-delà, il ne se passe vraiment rien, aucun caractère n’émerge, aucune idée de fait tilt dans la tête du spectateur. Le résultat, bien des départs à l’entracte et un bon succès mais rien de terrible à la fin où les spectateurs cherchent à filer au point qu’il sont surpris lorsque la troupe entonne la complainte de Mackie Messer en guise d’adieu. Weill méritait mieux, même si certains s’y sont cassé les dents (Strehler). C’était un Opéra de quat’sous qui ne les valait pas.[wpsr_facebook]

Les figures géantes, une des scènes les plus réussies © Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Les figures géantes, une des scènes les plus réussies © Salzburger Festspiele / Ruth Walz