Il ne reste que quelques mots à rajouter à ce qui a déjà été dit…pour conclure sur cette ouverture de saison.
L’autre jeudi à la Scala, ce fut la dernière de cette série de Lohengrin, et ce fut un feu d’artifice. On comprenait bien que pour la dernière, les chanteurs donneraient tout alors qu’on avait craint , comme c’est quelquefois le cas à ces dates, des changements de distribution de dernière minute. Rien de tout cela; ils étaient tous là, Kaufmann, Harteros, Pape, Tomasson, Herlitzius et Lucic.
Pour ma part j’avais choisi d’être en haut, en galerie, là où selon Paolo Grassi se trouvent les racines du théâtre, là où sont les habitués, les passionnés, les hueurs, là où tout le monde se retrouve à l’entracte pour discuter passionnément de ce qui vient de se passer, bref, là où le théâtre vit et respire.
Et, cela n’a pas manqué, nous avons commencé à évoquer avec les vieux amis et les vieux habitués le Lohengrin d’Abbado de 1981, et la mise en scène de Giorgio Strehler, qui faisait de Lohengrin un héros médiéval mythique, armures rutilantes, décors dorés, miroirs en reflets infinis, étourdissement de lumière: bref, le Lohengrin de toutes les fascinations et un Abbado qu’on découvrait dans Wagner (c’était son premier Wagner) un Wagner allégé, souple, d’une clarté cristalline, d’une rare élégance, sans aucune lourdeur, lyrique à faire fondre les cœurs. Un miracle.
A la date même où, trente et un an avant exactement, je voyais pour la seconde fois le Lohengrin d’Abbado, je me trouve donc à la Scala pour ce Lohengrin de Barenboim, si différent dans l’esprit, si différent dans sa réalisation, et tout aussi miraculeux pour des raisons différentes.
Le miracle ce soir s’appelle Jonas Kaufmann, qui a rendu ce troisième acte sublime, avec un ‘Im fernem Land” tout en pianissimi comme la dernière fois, mais encore plus épurés, encore plus maîtrisés, et notamment ce “Taube”, parti du fond du silence, puis au son de plus en plus projeté, tenu, puis redescendant sur un fil de souffle et de son, pour retrouver le silence originel. Et qui provoque les larmes. Jamais entendu cela ainsi.
Jonas Kaufmann est la preuve que même avec une voix intrinsèquement “normale”, dont la couleur n’est pas exceptionnelle, ni l’étendue, mais avec une exceptionnelle intelligence et une maîtrise de l’art (au sens de technique), on arrive à construire l’exception, la singularité, on arrive à l’incomparable. Kaufmann réussit à être un vrai acteur en scène, et un véritable acteur dans la voix. Ce que veut le metteur en scène, il le transmet dans l’expression. Pour ce Lohengrin qui est tout sauf triomphant, la tristesse est portée par cette voix jamais tonitruante, presque hésitante, qui finit pas bouleverser. Quant à ceux qui disent que la voix est engorgée, et coincée, mieux vaut les renvoyer à leurs chères études: pardonnez leur mon Dieu, car ils ne savent pas ce qu’ils disent.
Bouleversant aussi le personnage voulu par Guth, un personnage qui n’existe que par ce que projettent en lui les autres, et qui ne peut échapper à ce destin qui est de ne pas s’appartenir. La mise en scène de Guth est elle-aussi d’une grande intelligence qui enferme Lohengrin, comme au début du deuxième acte, dont le prélude est habituellement dédié au couple Ortrud/Telramund, et qui montre cette fois sur fond de cette musique funèbre et inquiétante, un Lohengrin enfermé, qui ne réussit pas à sortir, qui voit toutes les portes fermées, qui essaie de s’échapper, mais qui est condamné à rester. De même dans un étonnant respect du livret , se construit devant nos yeux ce mariage qui n’en finit pas, sans cesse interrompu, où Elsa, puis Lohengrin, s’écroulent, refusent, regardent le public avec des yeux hallucinés et incrédules, où l’accomplissement final sous les yeux rapprochés du couple Ortrud/Telramund, porte en soi l’échec et l’adieu.
Je ne reviens pas sur un troisième acte d’abord élégiaque avec cette magnifique trouvaille du bassin où l’on joue, où l’on est soi-même, avec les merveilleux jeux de reflets des personnages dans l’eau. Moment magique où les cœurs semblent se donner, où les âmes semblent se rapprocher, qui se transforme vite en cauchemar, où Elsa de frêle jeune femme devient presque une dominatrice, les mains sur les hanches, telle Ortrud (c’est saisissant) devant un Lohengrin écrasé et dominé.
Autre miracle que Anja Harteros, soprano lirico spinto qui peut tout chanter avec un égal bonheur: c’est une grande Traviata, une Elisabetta phénoménale, ce sera sans doute aussi une Aida extraordinaire, mais aussi une Maréchale unique, une Eva qui enfin existe en scène, et une Elsa qui réussit à transmettre à la fois la fragilité et une certaine dureté; avec une voix d’une qualité exceptionnelle, des aigus triomphants, une tenue de souffle modèle, elle domine tous les moments de la partition, mais son deuxième et troisième acte sont incroyables de fraicheur, de tension, de mélancolie. Le duo avec Ortrud, et tout le troisième acte sont proprement anthologiques.
Ce soir, Tomas Tomasson a réussi à exister fortement, ce qu’il n’avait pas réussi au moins le 18: la voix portait et l’artiste, doué de grandes qualités d’acteur et d’une présence exceptionnelle, grâce aussi à une diction peu commune, a tellement donné, a tellement forcé une voix trop légère pour le rôle (redoutable de tension de bout en bout), qu’il a raté lourdement plusieurs notes au deuxième acte (les italiens disent “calato”), et que la respiration allait contre le son, qui sortait mal dominé pour donner au total à la fin de l’acte de bien vilains moments: dommage, mais je reste indulgent, je trouve cet artiste intelligent et très “juste”.
De même Evelyn Herlitzius, elle aussi douée d’une exceptionnelle intelligence, a cette capacité à masquer par des cris d’une vigueur et d’une puissance incroyables, les insuffisances d’une voix fatiguée, et notamment au dernier acte, coincée dans la gorge et presque rabougrie. C’était à la fois dur à entendre et en même temps ces sons rauques étaient tellement dans le personnage qu’elle a obtenu au final un triomphe, mérité et oui et non.
René Pape comme toujours impérial, même si un peu fatigué par moments, car il sait à merveille dire un texte avec la moindre des inflexions, ce qui est chez Wagner essentiel. Des défauts vocaux impardonnables dans Verdi peuvent passer chez Wagner s’ils sont masqués par une diction impeccable. Quant à Zelko Lucic, il n’est pas à sa place dans la distribution, il n’existe pas comme héraut, mais reste passable.
Mais grâce à Kaufmann et Harteros, tout passe, d’autant que Barenboim a fait des miracles que même les amis les moins indulgents ont reconnus. Un prélude abbadien à force de légèreté, avec ces miroitements si particuliers de sons filés, à peine perceptibles. Une énergie juvénile, imposant des contrastes, des rythmes, des ruptures. Des sons de l’orchestre notamment dans les cuivres, inattendus par leur sûreté et leur justesse, un prélude du troisième acte qui fut un ouragan: en bref, il fut miraculeux lui aussi et a entraîné l’ensemble du plateau jusqu’à l’explosion (avec un chœur des très grands jours de la Scala) par la tension qu’il a imprimée.
Alors voilà, les gens debout hurlant leur enthousiasme, une Scala des très grands jours emportée par la passion, un bonheur sans mélange, une joie très largement partagée, même si certains à côté de moi faisaient la moue (comment peut-on?). Enfin une direction d’orchestre, enfin des chanteurs à la hauteur de cette scène pour un Wagner qui restera dans les mémoires. La Saison du Bicentenaire Wagner est ouverte “alla grande”, reste à ouvrir celle du Bicentenaire Verdi, et là ce sera plus grinçant. Verdi dans sa maison est moins à l’aise que Wagner son invité. Mais ce soir, oublions! La Scala était en ce 27 décembre à la place légendaire qui est la sienne, elle était à la hauteur de ce qu’elle est dans mon cœur ; souhaitons-lui, souhaitons-nous une grande saison.
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Mois : décembre 2012
TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: LOHENGRIN de Richard WAGNER le 18 décembre 2012 (Dir.mus: Daniel BARENBOIM, Ms en scène: Claus GUTH, avec Jonas KAUFMANN et Anja HARTEROS)
Je l’ai écrit précédemment, Lohengrin est l’opéra de Wagner le plus populaire en Italie, peut-être parce que c’est le premier à y avoir été représenté, et en tous cas le plus lié à l’histoire de la Scala. Ne faisons pas non plus l’erreur de croire que cet orchestre, à part Verdi, Rossini et Puccini, ne peut rien jouer. Il y a une vrai tradition wagnérienne, et de vrais grands chefs wagnériens en Italie, aujourd’hui par exemple Daniele Gatti et Claudio Abbado qui à chaque fois qu’il a abordé Wagner (Lohengrin, Tristan und Isolde, Parsifal) a laissé des traces profondes. Mais se souvient-on du Parsifal légendaire de Toscanini à Bayreuth, le plus long de tous les Parsifal de Bayreuth, dont on a perdu toute trace sonore? Et Victor De Sabata, qui n’a pas fait seulement une Tosca resté la référence avec Callas, mais a dirigé aussi à Bayreuth Tristan und Isolde, et Antonino Votto, plus connu pour sa Gioconda, qui a dirigé Lohengrin à la Scala.
Inversement, de très grands chefs wagnériens ont dirigé Wagner à la Scala, à commencer par Willhelm Furtwängler, en 1951, pour un Ring resté tellement dans les mémoires (il y a un enregistrement) que les vieux milanais l’évoquent encore avec émotion, et il est aussi venu diriger Meistersinger. Plus récemment, Wolfgang Sawallisch (qui a dirigé pratiquement tout Wagner à Milan), Carlos Kleiber (Tristan und Isolde), mais aussi en remontant le temps Hermann Scherchen (Rienzi), Lorin Maazel (Tristan) André Cluytens (Der Ring des Nibelungen), Karl Böhm (Meistersinger), Herbert von Karajan (Tristan, Die Walküre, Lohengrin), Hans Knappertsbusch (Der Fliegende Holländer, Tristan) …Quel théâtre peut aligner dans Wagner au long de son histoire tant de chefs de référence?
Au-delà des polémiques de magazines (le président de la République n’aurait pas assisté au Lohengrin inaugural pour manifester sa mauvaise humeur devant le choix de Wagner pour l’ouverture de saison qui est aussi celle du bicentenaire de Verdi), on avait eu aussi des polémiques lorsque Riccardo Muti avait ouvert par Parsifal, un supplice pour les VIP de la “Prima”.
Devant le spectacle auquel nous avons assisté, verba volent. Ce spectacle comptera sans doute parmi les pierres miliaires de la production scaligère: une production intelligente et riche, une compagnie pour l’essentiel extraordinaire, un chef inspiré: le résultat, un triomphe, des hurlements prolongés, et même les abonnés du Turno C restant en salle pour applaudir: autant dire un exploit. Et pour couronner le tout, la présence de Anja Harteros dans Elsa, de retour d’un long refroidissement qui a motivé son remplacement pendant 4 représentations.
Claus Guth a concentré son regard sur les deux femmes, Elsa et Ortrud, pour marquer leurs destins et leurs choix opposés, d’où le noir de l’une et le blanc de l’autre pour les costumes, d’où des robes identiques au second acte (comme chez Neuenfels à Bayreuth) l’une noire, l’autre blanche, d’où quelquefois le pantalon d’Ortrud face à l’éternelle robe blanche d’Elsa. Ortrud la conquérante et la dominatrice qui choisit le pouvoir terrestre face à Elsa la rêveuse, la victime, réfugiée dans le fantasme. D’où un décor contrasté, une structure fixe: des coursives de bois et métal, comme la cour intérieure d’un immeuble cossu, et sur l’espace central une part réaliste (tapis, table, fauteuils) où sont Telramund et le Roi et une part fantasmée (végétation, roseaux, un tronc d’arbre, un piano comme une sorte d’irruption du monde du conte) dans le monde d’Elsa, qui sera aussi celui de Lohengrin.
Dans cet univers très marqué, plus de cygne, mais des signes de cygne, des traces, quelques plumes. Des épées juste quand c’est nécessaire (le combat) et un Lohengrin comme surgi des rêves d’Elsa, qui ressemble étrangement au frère disparu dont Elsa ne se console pas. Une Elsa faible, qui ne cesse de s’écrouler, de s’évanouir, même au moment du mariage, soutenue par Lohengrin et par la Roi, comme si tout cela lui faisait peur, comme si elle refusait l’avenir qui s’ouvre, comme si elle restait en-deçà des exigences que Lohengrin fait porter sur elle.
Un Lohengrin tout aussi perdu qu’Elsa, son arrivée est comme fortuite, au milieu de la foule, qui apparaît au départ en position foetale, né au monde perclus de secousses, peureux, une sorte de “paumé”, pieds nus, un homme parmi les hommes forcé à accomplir le destin (le combat), mais qui est mal taillé pour le rôle du héros. En bref, deux héros qui ne sont pas bien là où ils sont.
Face à eux, le couple Telramund, mené par Ortrud, sorte d’image bourgeoise:
Ortrud corrigeant l’enfant Elsa qui s’exerce au piano, comme la vilaine gouvernante, ou la belle-mère, une sorte de Madame Fichini des Malheurs de Sophie. Telramund ne porte pas d’uniforme, comme le Roi ou Gottfried: il est habillé en “civil”.
Peu à peu se construit le récit, un peu terne au premier acte, où Elsa est souvent perchée dans son arbre, à part, comme extérieure à l’action, qui devient plus intense évidemment au deuxième, où la musique et le chant se tendent, et bouleversante au troisième acte: tandis qu’Ortrud les observe du haut d’une coursive, Elsa et Lohengrin évoluent dans une sorte de locus amoenus, dans les roseaux et dans l’eau: on pense à Horace, on pense aussi à Pelléas et Mélisande, on pense au grands amants dans cet univers végétal et fantasmatique, qui va devenir univers de cauchemar quand Elsa est prise par son délire questionneur, avec une violence inaccoutumée, notamment quand elle s’installe comme dominatrice face à un Lohengrin recroquevillé et suppliant, ou quand surgit Telramund. L’eau qui scandait l’amour et les jeux amoureux devient lieu de combat.
La fin est aussi bouleversante: c’est la fin du rêve, Ortrud se suicide sur le corps de son mari, Lohengrin “meurt” à l’apparition de Gottfried, comme si Elsa faisait disparaître le fantasme, elle-même disparaît et s’efface devant Gottfried alors que le chœur, qui a toujours été spectateur très passif de l’action, sur les coursives ou autour des protagonistes, regarde le désastre, interdit: comme les parole du Roi sonnent faux, paroles du politique ignorant des enjeux réels: dans cette mise en scène où tout est concentré sur les deux couples, les autres (le Roi et le héraut) apparaissent comme des comparses presque inutiles) et le choeur commente, tout en restant absent. A la différence de Neuenfels qui faisait du chœur un élément actif et central à Bayreuth, Guth l’écarte de l’enjeu réel. Il n’y pas de lecture “sociale”, comme chez Neuenfels, mais une lecture psychologique, concentrée sur les individus.
J’ai trouvé le premier acte néanmoinsun peu répétitif et ennuyeux, et je n’étais pas convaincu, même vocalement et malgré un René Pape impérial. Dès le deuxième acte, dès que le piège commence à se refermer, tout change et le spectateur est complètement pris dans l’action, pour aboutir au troisième acte à un émerveillement.
Évidemment au service de ce projet (que j’estime tout de même moins convaincant que celui de Neuenfels à Bayreuth, mais tout aussi pessimiste) une compagnie qui aura marqué cette production, même si c’est à des degrés divers.
Tómas Tómasson ne démérite pas dans Telramund, mais il est à l’évidence en retrait: de belles qualités de diction, d’expression, de jeu. Mais il faut dans Telramund une présence vocale qu’il n’a pas, et on ne l’entend pas notamment dans les graves. Certes, dans le contexte de la mise en scène, un Telramund vocalement plus effacé peut se justifier, surtout face à une Ortrud vocalement et scéniquement brûleuse de planches (Evelyn Herlitzius), mais il reste qu’on préfère des Telramund vocalement plus présents. En face, Ortrud le dévore littéralement, avec sa présence, sa voix énorme pas toujours contrôlée, aux sons quelquefois rauques qui peuvent indisposer mais qui dans le contexte sont incroyablement vrais: l’invocation aux dieux païens est totalement inoubliable! Très grande Ortrud, dans la lignée de celles qui en ont fait des incarnations légendaires.
Entre les deux couples, le Roi de René Pape est à la fois tellement présent vocalement et tellement spectateur et même effacé, ou effaré par les enjeux des deux couples. Il reste extérieur, mais son premier acte restera gravé dans les mémoires car aussi bien dans la diction, dans la projection, dans la présence vocale, il est irremplaçable. Dans le contexte de la mise en scène, le héraut est très effacé, relégué dans les coursives et la voix de Zeljko Lucic ne convainc pas: mauvaise diction, pas de grande élégance, voix un peu opaque, il n’est visiblement pas dans son répertoire.
Anja Harteros faisait sa première apparition, personnage grêle à l’opposé d’Annette Dasch, moins petite fille et plus jeune femme psychotique, avec son physique déjà tragique et ses longs cheveux noirs qui rappellent Callas dans la Traviata de Visconti. La voix est au début hésitante, elle ne s’impose pas. Mais dès le deuxième acte, on ne sait plus quoi admirer de la tenue de souffle, du volume, de la technique, des aigus, de la présence vocale si différente de Herlitzius et si complémentaire: son duo du troisième acte est littéralement bouleversant. Et évidemment, au rideau final, le triomphe, total, sans contestation possible, qui fait crouler toute la salle. Elle est pour moi aujourd’hui la plus grande, sans conteste.
Enfin Jonas Kaufmann. On peut discuter à l’infini des mérites comparés de Klaus-Florian Vogt et de Jonas Kaufmann. Vogt a une voix sans doute d’une très jolie qualité, sans doute plus adaptée au rôle, voix étrangement nasale qui lui donne vocalement une personnalité autre, de héros qui vient d’ailleurs, une voix qui tranche, qu’on peut aimer ou qu’on peut détester. Kaufmann a une voix plutôt sombre, qui correspond à cette tristesse intrinsèque que Wagner voulait pour son personnage. Mais surtout Jonas Kaufmann a une technique qui laisse totalement assommé. Un contrôle vocal qui rend son “In fernem Land” entièrement pianissimo non seulement inoubliable, mais carrément unique. La voix quand c’est nécessaire est très présente, mais c’est dans les parties “piano” qu’il est incomparable, et qu’il diffuse une émotion qui va jusqu’au frisson. Et là aussi dans le contexte d’une mise en scène où le héros est tout sauf triomphant, ce parti pris d’une cohérence rare, renforce évidemment l’effet produit. Je vous économise les superlatifs, mais prenez les tous et vous serez dans le vrai.
Le chœur de la Scala, très bien préparé par Bruno Casoni, était particulièrement en forme ce soir, mais l’orchestre était lui carrément époustouflant. Daniel Barenboim l’emporte dans une sarabande extraordinaire où les contrastes sont très accentués, très vigoureux voire triomphants (prélude du troisième acte), mais réussit aussi à retenir le son (prélude de l’opéra, et notamment merveilleux prélude du deuxième acte: on se croirait dans le deuxième acte du Crépuscule des Dieux, avec ses couleurs obscures et sa lenteur. Une grande merveille. Barenboim est à l’opposé du lyrisme et de la dynamique d’Abbado, mais il est d’une telle présence, d’une telle puissance dramatique, d’une telle clarté qu’il fait de ce Lohengrin à lui seul, un morceau d’anthologie, au sens propre: de tous les Lohengrin vus ces dernières années, y compris celui qu’ il a dirigé à Berlin il y a quelques années (Mise en scène Stephan Herheim) celui-ci est à mettre en archive, en exemple de ce qu’est Wagner en 2012 et de l’enthousiasme qu’il peut déchaîner dans un théâtre. Et puis, à chaque fois que dans ce lieu surgit l’anthologie, surgit en même temps une intense émotion qui crée cette magie unique du théâtre milanais. Hier soir, vers minuit, on était tous frappés, et on nageait tous dans le bonheur. C’est cela aussi quelquefois la Scala.
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THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES 2012-2013 : MÉDÉE de Luigi CHERUBINI le 16 décembre 2012 (Dir.Mus : Christophe ROUSSET, Ms en scène : Krzysztof WARLIKOWSKI)
Depuis 1986, au Palais Garnier, les spectateurs portent dans leurs souvenirs la Médée de Cherubini incarnée jusqu’à l’incandescence par Shirley Verrett dans la mise en scène de Liliana Cavani. Depuis, nos directeurs généraux de l’Opéra n’ont pas considéré que l’œuvre valait reprise ou nouvelle production. Une erreur de plus à l’actif de ceux qui disent défendre le répertoire français. Car peut-on discuter l’appartenance de Cherubini au monde français, lui qui fut deux décennies durant directeur du Conservatoire, lui qui eut avec Lodoïska le plus grand succès de la révolution française, lui le représentant d’un néo-classicisme musical dont la très fameuse coupole, décor de Médée de Ezio Frigerio à l’opéra (c’était une production du Comunale de Florence je crois), inspirée des coupoles en trompe d’oeil à la Andrea Pozzo se voulait une illustration, illustration d’un monde à la fois rigide et renversé, dont les lignes verticales semblaient vaciller, illustration du monde à la fois figé et renversé où évoluait Médée, l’étrangère, la colchidienne échouée dans un monde grec qui l’a bafouée et répudiée.
Combien de tragédies évoquant Médée au XVIIème, à commencer par celle de Corneille, inspirées plus ou moins de la pièce homonyme d’Euripide, chef d’œuvre parmi les chefs d’œuvres, que je vis à Epidaure avec l’immense tragédienne grecque Alika Katseli, souvenir d’adolescence resté gravé dans ma mémoire pour la vie entière: je la vois encore partir sur son char, dans la douce brise du soir, devant 14000 spectateurs médusés.
Et “ce poison que Médée apporta dans Athènes” que Phèdre cite dans son dernier monologue chez Racine fait de Médée sa sœur en passion et en destin. C’est dire que Médée ne peut échapper à une bête de scène, que ce soit Callas qui la ressuscita avec Bernstein en fosse à la Scala, ou Verrett qui s’en empara, ou plus tard la Antonacci avec Kokkos au Châtelet. C’est la première condition: au monstre qu’ est Médée, il faut l’incarnation d’un monstre des planches, et un monstre vocal pour les redoutables pièges de la partition. Bref, on peut imaginer qu’aujourd’hui elles sont bien peu nombreuses celles qui peuvent conjuguer pareilles monstrueuses qualités.
Cherubini, qui a vécu en France de 1788 jusqu’à sa mort en 1842, et qui dirigea le Conservatoire de Paris pendant vingt ans, est aujourd’hui un peu laissé de côté par les directeurs d’opéras, alors que Weber, Beethoven, Wagner, mais aussi Brahms lui vouaient une admiration sans bornes et lui ont emprunté beaucoup. A peine plus jeune que Mozart de quatre ans, il a digéré la révolution gluckiste, les évolutions mozartiennes (dont il cite des passages des Nozze di Figaro dans Lodoïska, chef d’œuvre à peine connu en France et jamais représenté scéniquement), Haydn, et par le symphonisme qu’il développe dans ses opéras ou opéras comiques (incendie dans Lodoïska, tempête dans Médée), il est un homme du XIXème, et ce n’est pas un hasard si Weber contribue largement à sa fortune en Allemagne et si Beethoven lui emprunte bien des motifs. Mais Brahms lui vouait un culte, au point d’être enterré avec la partition de Lodoïska sous sa tête. Trésor méconnu, auquel un chef comme Riccardo Muti s’est largement consacré, il est surtout connu aujourd’hui par Médée, opéra inspiré de la tragédie de Pierre Corneille, sur un livret de François Benoît Hoffmann.
Il paraît que ce très beau spectacle signé Krzysztof Warlikowski a été interrompu à la Première plusieurs fois par les sifflets d’un public imbécile et ignorant, que Paris sait secréter. Je trouve insupportable que ce public, supposé savoir qui est Warlikowski, vienne souffrir bruyamment et empêcher les autres de suivre normalement un spectacle. On peut évidemment siffler, mais au baisser de rideau, et non à la manière des malotrus pendant le spectacle. C’est pitoyable. Bien heureusement, la dernière fut triomphale, avec de longs applaudissements et des hurlements de joie à l’apparition du metteur en scène polonais.
Abondance de matière dans ce spectacle à qui veut en rendre compte, un moment fort, esthétiquement beau, très travaillé, tout en tension. D’abord, l’actualité récente aux Etats-Unis, avec ces enfants massacrés dans une école, non seulement montre que les monstres sont parmi nous, mais rend une glaçante actualité à la vidéo projetée sur le rideau doré du décor, elle qui montre une école, des institutrices, et un monde d’enfants qui est l’un des motifs centraux du travail du metteur en scène. Les deux enfants qui vont être massacrés jouent au proscenium pendant que le public s’installe. Ils sont en permanence sur scène, dessinant sur les murs, ballotés entre Créon, Jason, et Médée, refusant de suivre Dircé la fiancée de Jason, ils circulent parmi le chœur, et apparaissent comme des otages du drame. Un drame qui se déroule dans un décor unique, fait de verre, de miroirs sans tain, de reflets, d’échafaudages et de lumières d’une crudité à la limite du supportable. Un drame dont l’espace central est un espace tragique, assimilable à l’orchestra du théâtre grec, où évoluent chœur et protagonistes. Un espace délimité par une cloison miroir, un peu comme dans son Iphigénie en Tauride à Garnier, qui reflète chef et salle, et prolonge les jeux de perspective, notamment celle de la langue de sable qui court le centre de l’espace, sorte de no-mans land où les personnages abdiquent leur visage social pour être eux-mêmes. L’idée est assez simple, et suit exactement les mouvements de la musique : Jason en épousant Dircé choisit un destin banal, sert une ambition minable, lui qui avait vaincu des monstres en conquérant la Toison d’or. Le monde de Corinthe est un monde à l’image de cette ambition, rabougri, minable, petit bourgeois, à l’opposé de l’exigence tragique (voir les costumes des dames de la cour, dans un piteux défilé années 50, un peu à la manière de Marthaler dont Warlikowski visiblement s’inspire). La passion de Médée est une passion en débat avec les Dieux, une exigence du tout, qui suffoque devant le choix de Jason. Ainsi Jason est-il d’emblée à la fois rejeté, mais en même temps reste désirable, et intensément désiré, comme dans les dilemmes habituels du monde tragique. Comme Phèdre qui se déteste parce qu’elle aime Hippolyte, et parce qu’elle sait en même temps qu’Hippolyte n’est pas le héros dont elle a rêvé. Elle sait qu’elle aime quelqu’un qui n’en vaut pas la peine et elle continue de l’aimer, donc elle se méprise tout en allant jusqu’au bout. Médée envers Jason n’est pas loin de cette posture. Si Jason est devenu affreusement banal, il ne vaut plus la peine d’être aimé, et pourtant elle l’aime et le désire et donc ne peut qu’aller jusqu’à la destruction suprême, celle dictée par les Dieux, pour rester conforme au mythe qu’elle se construit d’elle-même. En ce sens, en quelque sorte, tuer ses enfants est la preuve d’amour suprême, ce qu’elle peut offrir à la fois de meilleur et de pire pour correspondre à son image et à son passé. Jason est un personnage de vaudeville, Médée est une héroïne tragique.
Médée est autre. Et Warlikowski, en la faisant surgir tout de noir vêtue, au milieu de cette pâle blancheur d’un mariage convenu, fait surgir Amy Winehouse dans la Noce chez les petits bourgeois, avec ce qu’elle traîne derrière elle de soufre, de déglingue, de marginalité, mais de sublime génie en même temps : il faut voir s’asseoir Nadja Michael pour comprendre cette irruption, de côté, sans entrée théâtrale et centrale mais latérale et presque clandestine, et qui fait néanmoins qu’on a désormais plus d’yeux que pour elle, tout sauf une desperate housewife. Elle est autre, et tous veulent l’exclure tout en subissant sa fascination. Elle ne quittera plus la scène, avec ses jambes effilées,avec son corps tatoué omniprésent qui attire les hommes et leur fait peur, c’est l’étrangère au sens fort, avec qui on va jouer à « je t’aime je te tue », qui attire comme l’inconnu et qui effraie.
Il y a toujours un espace de l’intimité chez Warlikowski sur le vaste plateau qui fixe le déroulé du drame, cet espace, c’est cette fois une commode à gauche de la scène, sur laquelle on pose tous les symboles, dont la Toison d’or, et dans les tiroirs desquels on sort et on range les accessoires intimes et les linges. C’est de là que Médée sort la robe empoisonnée de Dircé. La fin est une trouvaille extraordinaire : Médée revient non plus en noir mais dans un pantalon d’un bleu criard et avec un teeshirt sous lequel elle dissimule quelque chose, qui la fait apparaître comme enceinte : elle vient de tuer ses enfants et redevient mère. Sous le teeshirt, les pyjamas ensanglantés des petits, qu’elle va ranger calmement dans la commode non sans les avoir soigneusement pliés, comme une maman, et son devoir de mère accompli, elle fume une cigarette, et rentre sur le plateau sur lequel est tombé le lourd rideau de fer doré. On entend une explosion. Fin. Grandiose.
A cette production très attentive, aux éclairages magnifiques (la vidéo qui court sur les artistes du chœur à la fin semblant les habiller est un moment étonnant) aux exigences très pointilleuses en matière de jeu correspond une réalisation musicale moins convaincante, mais néanmoins honorable.
D’abord, le choix de proposer cette œuvre exécutée par un orchestre sur instruments anciens, au son mat, sans vraie réverbération, même remarquable comme ce soir (il paraît que ce ne fut pas toujours le cas cette semaine) fait à mon avis perdre tout le côté « musique de l’avenir » de la musique de Cherubini. Cette musique dont le symphonisme a un caractère évident, me paraît mieux sonner « symphonique » avec un orchestre ordinaire. Je ne vois pas ce qu’apporte de plus ce choix, même si le rythme, le dramatisme, le halètement tragique sont présents. Christophe Rousset mène tout son monde avec un tempo très rapide (l’ouverture !) et de forts contrastes aussi bien dans les rythmes que dans le volume sonore.
Les chœurs de Radio France sous la direction de Stéphane Petitjean sont nobles à souhait même si on préfèrerait peut-être plus de volume.
La distribution dans l’ensemble m’est apparue plutôt pâle, notamment dans les rôles de complément: les servantes de Ekaterina Isachenko ou Anne-Fleur Inizan par exemple, ou même la Dircé de Elodie Kimmel, problématique en ce dimanche (certains amis ayant vu d’autres représentations soutenaient qu’elle a été meilleure), avec ses aigus criés, son manque d’homogénéité dans la ligne de chant, son grave inexistant.
Vincent Le Texier promène toujours son timbre chaud, et sa présence naturelle et donne à Créon une vraie humanité, en positif comme en négatif. Le Jason de John Tessier est totalement inexistant, mais c’est aussi le rôle qui le veut mais la voix, dont le timbre est assez joli, ne sort pas vraiment: aucune présence dans les ensembles ni dans les duos.
Reste la jeune Varduhi Abrahamyan, Néris vraiment émouvante, au timbre de velours, chantant avec vrai engagement et véritable intensité : elle existe, elle, et pleinement…rappelons qu’aux côtés de Callas on avait trouvé une Néris qui débutait et qui fit une carrière assez intéressante, elle avait nom Teresa Berganza.
Et puis il y a Nadja Michael, bête de scène, à la présence naturelle grâce à un corps magnifique, que Warlikowski fait bouger vraiment beaucoup ( trop sans doute) et qui par son timbre sombre, la manière de colorer la voix, le volume, l’homogénéité, fait vraiment la différence, malgré des faiblesses de justesse et une absence de rigueur stylistique que la composition du personnage masque Si le personnage voulu par Warlikowski est autre, la voix l’est également : un volume très large, des aigus quelquefois un tantinet criés mais dans l’ensemble dominés , qui fait incontestablement la différence entre tout le reste de la distribution et elle. Tout le premier acte est assez gluckiste dans la couleur, aimable, sans grande originalité : dès qu’elle entre en scène, c’est un tout autre enjeu, une tout autre partition et la voix est d’un tout autre niveau. Certes, on pourrait souhaiter une diction quelquefois plus claire, et de l’expression plus marquée, mais toute la distribution s’efforce de chanter le français et de le dire, sans vraiment y réussir dans ces dialogues modernisés remplaçant les dialogues originaux évidemment démodés, où Krzysztof Warlikowski et Christian Longchamp font dire aux personnages un texte neuf qui correspond à l’analyse psychologique qu’ils ont voulu faire passer, mais qui ne correspond pas forcément toujours à l’effectivité de la situation, d’où un sentiment quelquefois de décalage entre le texte et le chant accentué par l’amplification du dialogue, marque de “l’actualisation”, mais que je trouve singulièrement dérangeant et inutile, sauf à faire de l’effet sur certains mots: sexe, sperme; là on est un peu dans la mode. Autre décalage, voulu lui aussi, celui du début du second acte, où l’on entend « Oh, Carol ! » de Neil Sedaka (1958), certaines oreilles sensibles n’ont paraît-il pas supporté cette intrusion sacrilège d’une musique profane dans le bel ordonnancement sacré de l’opéra. Dans le contexte cela fonctionnait assez bien, inutile donc de pousser des cris d’orfraie.
Tout ce bruit autour du scandale supposé d’une production déjà ancienne (Amy Winehouse était en vie lors de la première de Bruxelles) est encore une illustration du « Much ado adout nothing ». C’est une belle production, mais pas forcément la meilleure de Warlikowski, dont on a en tête le très beau Parsifal ou le Roi Roger. Ce travail cependant fait honneur au théâtre et confirme la place éminente de Warlikowski dans le paysage théâtral d’aujourd’hui. Il nous reste à attendre une production sur instruments modernes, avec une distribution plus équilibrée à l’Opéra peut-être. Il reste que l’après-midi a été fructueux, que cette musique est vraiment stimulante, et belle, et profonde, et qu’elle mérite mieux qu’une notice dans une encyclopédie et une poignée de spectateurs braillards.
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OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (5) : SPECTACLES A RETENIR – SUISSE – ZÜRICH – GENÈVE
Il y a en Suisse de très bons théâtres, à commencer par Bâle (Theater Basel), qui est sans doute l’un des meilleurs théâtres du monde germanique, où Christoph Marthaler produit régulièrement des spectacles magistraux, un théâtre voué à la modernité qui ose explorer systématiquement le répertoire avec des clefs contemporaines. En ce moment (décembre) un joli Ballo in Maschera mis en scène par Vera Nemirova. Le théâtre de St Gallen, Theater St Gallen, un peu plus traditionnel, mais qui accorde de l’importance aux voix. Celui qui je préfère reste le minuscule théâtre de Bienne/Biel ,où la dimension réduite donne à la représentation la qualité d’une représentation de salon, allez-y! cela vaut vraiment la peine de vivre cette expérience très intime.
Mais la vie lyrique suisse est dominée par ses deux plus grandes institutions, très différentes, et par les moyens, et par l’esprit que sont
– l’Opernhaus Zürich, dans sa salle XIXème aux dimensions moyennes, au bord du lac de Zürich, qui sort d’une longue période où Alexander Pereira (l’actuel intendant du Festival de Salzbourg) en a fait une des références du monde lyrique européen, et qui vient d’être confié depuis 2012 à Andreas Homoki, lui même venu de la Komische Oper de Berlin. C’est un théâtre de répertoire à l’allemande
– le Grand Théâtre de Genève, au plateau immense, à la vaste salle, construite en référence au Palais Garnier au XIXème siècle et qui est un théâtre de stagione à la française, est dirigé par Tobias Richter, qui a longtemps présidé aux destinées de la Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf. Il succède à des générations de managers français, Jean-Claude Riber, Hugues Gall, Renée Auphan, Jean-Marie Blanchard et dispose de moyens inférieurs à ses prédécesseurs et en tous cas largement inférieurs à Zürich.
Zürich est désormais à portée de TGV en quatre heures de Paris, et cela peut valoir le déplacement de voir un certain nombre de spectacles. Jusqu’à ce jour, Zürich a offert des productions qui toutes, se tiennent, et défendent de manière très honorable tous les répertoires. Dans les premières qui peuvent vraiment intéresser, notons en ce mois de décembre Der Fliegende Holländer, de Wagner, première production de Andreas Homoki à Zürich, dirigé par Alain Altinoglu avec une distribution intéressante, Anja Kampe en Senta, Bryn Terfel en Holländer (sauf fin décembre), Matti Salminen en Daland avec des représentations en décembre, janvier, juillet. A noter qu’on pourra voir cette production à la Scala dirigée par Hartmut Haenchen avec Bryn Terfel et Anja Kampe mais avec Ain Anger au lieu de Matti Salminen fin février début mars. Les amoureux de Wagner et des productions zurichoises reviendront pour Tannhäuser (mise en scène Harry Kupfer)en janvier et début février, sans Metzmacher, mais avec Marc Albrecht au pupitre, toujours avec Vesselina Kassarova en Venus, Peter Seiffert en Tannhäuser, mais Thomas Hampson en Wolfram et surtout Anja Harteros en Elisabeth, et pour Parsifal (mise en scène excellente de Claus Guth) fin mars début avril (on ne va pas savoir où donner de la tête entre celui de Munich, de Vienne, de Salzbourg, tous plus somptueux les uns que les autres), dirigé par Mikko Franck avec Angela Denoke en Kundry, Evguenyi Nikitin en Amfortas et Stuart Skelton en Parsifal, mais hélas Jan-Hendrik Rootering en Gurnemanz, rôle pour lequel à mon avis il a passé l’âge.
Ceux qui voudront voir Waltraud Meier en Santuzza de Cavalleria Rusticana peuvent faire le voyage en janvier pour la reprise de l’opéra qui commence le 1er janvier (dir.mus: Alexander Vedernikov, ms en scène Grischa Asagaroff) avec Zoran Todorovitch et Lucio Gallo entre autres.
En février, bicentenaire Verdi oblige, une nouvelle production de Rigoletto, mise en scène par la jeune Tatjana Gürbaca qui avait raté sa mise en espace de Fidelio avec Abbado à Lucerne, dirigée par Fabio Luisi, nouveau directeur musical de Zürich, qui succède à Daniele Gatti. La distribution, honnête, comprend Saimir Pirgu en Duc, Quinn Kelsey en Rigoletto, Alexandra Kurzak en Gilda et Christof Fischesser en Sparafucile. Fabio Luisi en profitera pour diriger une reprise de La Bohème (Mise en scène Philippe Sireuil) avec Inva Mula et Stefano Secco.
En mars, création de l’opéra de Peter Eötvös, Drei Schwester (Les trois soeurs), mis en scène de Herbert Fritsch et dirigé par Michael Boder, qui est un très bon chef. Mais le 7 avril, première de Lady Macbeth de Mzensk, de Chostakovitch (avril, début mai, juin) dirigé par Theodor Currentzis en avril et Vassily Sinaisky en mai et juin, avec Kurt Rydl et Gun-Brit Barkmin en Katerina Ismailova et dans une mise en scène de Andreas Homoki. Avril est un mois dédié au baroque puisque sont affichée une reprise de Rinaldo de Haendel (mise en scène Jens Daniel Herzog dans des décors de Claus Guth) et une première de l’Opernstudio de Zürich, Der geduldige Socrates (La patience de Socrate) de Telemann créé en 1721. Passonbs sur un Falstaff de grande série en avril mai, arrêtons-nous quelque peu en mai sur une Traviata dont l’intérêt réside dans la Violetta de Diana Damrau (Mise en scène Jürgen Flimm, dir.mus Keri-Lynn Wilson), mais signalons la première d’une nouvelle production de Don Giovanni, dirigée par le jeune Robin Ticciati et mise en scène par Sebastian Baumgarten, dont les amoureux de Wagner connaissent le Tannhäuser de Bayreuth(!) avec Peter Mattei, désormais Don Giovanni mondial, et Pavol Breslik en Ottavio, Marina Rebeca en Anna et Julia Kleiter en Elvira (Mai et tout le mois de juin). En juin également, une reprise de Rusalka dirigé par Eivind Gullberg Jensen dont je me méfie après une mauvaise Bohème à Oslo et un Fidelio très moyen à Madrid et la saison se termine par une grande reprise en juillet (Der Rosenkavalier) et deux premières, celle d’une fantaisie spéciale autour de Wagner, Richard Wagner: wie ich Welt wurde (comment je devins monde) mise en scène par Hans Neuenfels, ce qui promet vu l’imagination du sieur Neuenfels, et tout à la fois théâtre et musique (avec Catherine Naglestad) et celle de La Straniera, opéra de Vincenzo Bellini, mis en scène par Christof Loy (cela ne promet rien de bon…) dirigé par Fabio Luisi et dont l’attraction est la grande Edita Gruberova (juin/juillet), toujours bon pied bonne voix.
Quant au Rosenkavalier (reprise de la mise en scène de Sven-Erik Bechtolf qui clôt la saison, il réunira “alla grande”, Fabio Luisi au pupitre, Nina Stemme, Vesselina Kassarova,Rachel Harnisch et Alfred Muff: de quoi faire le voyage.
Comme on le voit, de grandes reprises, et des premières contrastées, qui marquent une nouvelle couleur donnée par Andreas Homoki aux productions, et peut-être des choix de chanteurs et de chefs qui peuvent être discutés après l’ère du Prince A.Pereira. Mais la saison mérite qu’on ne s’arrête pas seulement à l’UBS quand on va Zürich!
Fonctionnement tout différent à Genève, selon le système stagione, avec environ une production par mois et quelques concerts lyriques de stars internationales.
Après un Barbier de Séville, une création autour de Rousseau de Philippe Fénelon (JJR, citoyen de Genève)et un Samson et Dalila moyen dont j’ai rendu compte, en décembre 2012, Tobias Richter a programmé une opérette de Arthur Honegger, Les aventures du roi Pausole. Il programme chaque année au moins une rareté du répertoire français et c’est une initiative très bienvenue. La mise en scène est de Robert Sandoz, la direction musicale de Claude Schnitzler, et le rôle du roi Pausole est assuré par Jean-Philippe Lafont. Fin janvier et en février, c’est au tour de La Traviata, de Verdi, dans une mise en scène de David Mc Vicar, en coproduction avec le Welsh National Opera et le Gran Teatro del Liceu, jouée à peu près chaque jour du 28 janvier au 12 février avec trois distributions en alternance, trois Violetta, Maia Alexandres, Agneta Eichenholtz, et Patricia Ciofi, deux Alfredo, Leonardo Capalbo et Daniel Johansson et deux Giorgio Germont, Tassis Christoyannis et Simone del Savio, le tout dirigé par Baldo Podic.
En mars, le très attendu Rheingold, prologue du Ring des Nibelungen de Richard Wagner dont le chef sera Ingo Metzmacher. La mise en scène est du très vieux routier Dieter Dorn, et la distribution est dominée par le Wotan de Thomas Johannes Mayer, le Fasolt d’Alfred Reiter et la Fricka d’Elisabeth Kulman.
Fin avril, Madama Butterfly, de Puccini, dirigée par Alexander Joel, un habitué de Düsseldorf, avec la Cio Cio San d’Alexia Voulgaridou, jolie Mimi, mais sera-t-elle une Butterfly? L’artiste est émouvante en tous cas. Pinkerton sera Arnold Rutkowsky, et Suzuki Isabelle Henriquez. La mise en scène est confiée à Michael Grandage.
En juin, la saison se clôt sur une nouvelle production de Rusalka de Dvorak, venant du Festival de Salzbourg mise en scène de Sergio Morabito et Jossi Wieler et dirigée par Dmitri Jurowski. Loin d’être à la hauteur de la merveilleuse Rusalka de Stephan Herheim (Bruxelles, Graz, Barcelone), cette production se laisse quand même voir, et m’a laissé un assez bon souvenir. Les trois principaux rôles féminins sont de très bon niveau: Jezibaba, c’est Brigitte Remmert, la princesse étrangère Nadia Krasteva et Rusalka Camilla Nylund qui chantait déjà le rôle à Salzbourg, considérée comme la Rusalka du moment.
Suivant le Grand théâtre depuis des années, j’ai l’impression que Tobias Richter n’a cependant pas encore réussi depuis qu’il est en poste à trouver une vraie couleur à ce théâtre. Des distributions plutôt ordinaires, des mises en scènes très germaniques, et pas toujours réussies (abus de Christof Loy!) des chefs souvent moyens, le feu d’artifice imaginatif qu’avait su proposer Jean-Marie Blanchard n’est pas au rendez-vous. On a plutôt l’impression d’une programmation de théâtre de répertoire à l’allemande, du genre Düsseldorf ou Francfort, qu’une vraie programmation dans le style qu’avaient imposé un Hugues Gall ou un Blanchard. On s’ennuie un peu à Genève en ce moment, et je ne vois jamais le théâtre plein. Gageons que le Rheingold, ou même l’actuel Roi Pausole vont faire mentir cette impression. Il faut bien reconnaître que les productions de Traviata (malgré Mc Vicar) ou de Butterfly n’ont pas musicalement de quoi exciter vraiment et dans l’ensemble les choix de distribution sont souvent discutables ou pâlichons, en tous cas insuffisamment recherchés à mon avis: Genève qui peut se payer une ou deux fois par an des chanteurs très reconnus, voire des stars, comme Diana Damrau, devrait plutôt renifler les futures stars (comme jadis Jonas Kaufmann dans La Damnation de Faust en 2003 ou Anja Harteros dans Meistersinger) et explorer le marché des grands espoirs, or, la direction artistique se limite souvent à la série B .
Lyon, à 150km, a une offre désormais bien supérieure, et en qualité, et en imagination, et en créativité.[wpsr_facebook]
INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON
Il se passe toujours quelque chose sous le péristyle de l’Opéra de Lyon: danseurs de hip-hop en performance, ou pendant l’été un café-concert avec orchestres de jazz : jeunesse et vivacité sont les caractères de cette maison qui affiche dans ses statistiques hors public scolaire une moyenne d’âge du public de 47 ans (moyenne française: 50 ans) et 25% de public de moins de 26 ans, la plus haute proportion de jeunes à l’Opéra en Europe. C’est ce qui frappe pour n’importe quelle représentation dans ce théâtre que ce soit Sancta Susanna de Hindemith ou La Traviata de Verdi : la salle de Jean Nouvel est remplie de jeunesse.
96,1% de taux de fréquentation des opéras pour une programmation sans concessions : tel est l’Opéra national de Lyon. 10 ans après son arrivée à la tête de cette maison, la plus importante en France après Paris, Serge Dorny, son directeur formé à l’école belge qui a commencé sa carrière à l’ombre de Gérard Mortier, nous parle de son parcours, de ses idées, et des principes de sa programmation.
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Vous êtes d’origine belge, et il semble y avoir une tradition managériale en Flandres qu’on retrouve à Amsterdam, au festival des Flandres, et à la Monnaie depuis Mortier. Qu’en dites-vous ?
J’ai une reconnaissance profonde pour Gerard Mortier. J’ai fait mes premiers pas avec lui, comme dramaturge à La Monnaie et c’était une époque extraordinaire. La Monnaie s’ouvrait sur l’avenir, avec une page blanche à écrire, une dynamique de jeune couple, une équipe neuve investie autour du projet de Mortier qui nous mobilisait et nous conduisait. Ce que m’a appris Mortier, même si nous avons des parcours différents, c’est l’énergie, c’est l’engagement, c’est la persévérance infatigable et la capacité à communiquer : voilà ce qui m’a guidé et qui m’a inspiré dans mon parcours.
Comment votre carrière vous a amené à Lyon ?
J’ai un autre parcours que Gérard Mortier, moins linéaire : je n’ai pas fait toute ma carrière dans le domaine du théâtre lyrique. Après avoir été dramaturge à La Monnaie, j’ai été – comme Mortier d’ailleurs – directeur artistique du Festival des Flandres, où j’ai pu développer la notion de programmation construite sur une dramaturgie, en inventant des passerelles artistiques. Puis j’ai été directeur général et artistique du London Philharmonic Orchestra où j’ai pu gérer des ensembles artistiques (comme à l’Opéra) qui sont le noyau d’une maison car chœur et orchestre et ballet sont des forces permanentes à qui il faut apporter énergie et envie pour que, chaque soir, ils puissent se dépasser. Ainsi mes deux expériences antérieures m’ont permis de construire des bases solides pour la direction d’un Opéra.
Que diriez-vous du public de l’Opéra de Lyon quand vous êtes arrivé, et de celui d’aujourd’hui, quelle évolution constatez-vous ?
En 2002, le public de Lyon était surtout constitué de fidèles, d’abonnés, d’un noyau très présent, mais aussi très exclusif, qui s’était un peu approprié l’Opéra. La ville a évolué grâce au pôle universitaire qui attire des populations très différentes, grâce à l’implantation de multinationales importantes, Euronews, Interpol. Tout cela a contribué à l’élargissement et à l’accueil de publics qui pensaient souvent que l’Opéra ne leur était pas accessible parce qu’il appartenait aux abonnés. L’abonnement peut en effet exclure un certain public pour qui « l’opéra c’est complet ». Aujourd’hui, la part des abonnements est de 23%, et la mixité sociale de la cité se retrouve dans la salle : 25% de notre public a moins de 26 ans, 52% de notre public a moins de 45 ans. Cela me permet d’avoir foi en l’avenir de l’Opéra et de ne pas avoir l’impression de diriger un mausolée.
Et puis, dans la mesure où ce théâtre est financé par 80% d’argent public, il est nécessaire d’avoir une maison ouverte et accessible à toutes les populations.
Enfin, si on veut que le théâtre lyrique soit vivant et ouvert, il faut constamment élargir et enrichir le répertoire, pour rendre l’opéra riche d’avenir. Le brassage des publics le permet car ces spectateurs sont très ouverts à la diversité des répertoires, très curieux d’oeuvres rares et de découvertes, d’oeuvres connues et moins connues. Voilà ce que j’essaie de développer à l’Opéra de Lyon.
A l’Opéra de Lyon, j’ai voulu donner toute sa places au public jeune ; avec des dispositifs tarifaires : chaque année 3000 lycéens de la région ont accès aux spectacle avec une formation pour les enseignants et des rencontres avec les artistes ; nous avons également initié une démarche et des actions destinées à de jeunes habitants de quartiers en grande fragilité sociale : l’Opéra de Lyon est un acteur culturel, mais aussi un acteur citoyen. Il s’agit pour nous de prendre part à la vie de la société, de nous y enraciner, bref de nous situer au centre de la cité et non plus à sa périphérie. On s’approprie l’Opéra de manière différente que dans le passé. La société désormais considère légitimes l’Opéra et son financement public. Cela tisse peu à peu une relation de confiance qui nous permet de programmer avec succès un répertoire spécifique : le festival 2011-2012 a été rempli à 95% avec des oeuvres aussi rares que Sancta Susanna, Von Heute auf Morgen ou Une Tragédie Florentine
Comment caractérisez-vous le répertoire de l’Opéra de Lyon
C’est un répertoire très varié : en 2011-2012, on y trouve le répertoire traditionnel, Parsifal, Carmen, en 2012-2013, Fidelio ou Macbeth, mais aussi des créations, comme Claude de Thierry Escaich (sur un livret de Robert Badinter[1]). La saison dernière, on y a vu des œuvres rares comme Sancta Susanna de Hindemith, Le Nez de Chostakovitch et cette année on verra par exemple Il Prigioniero de Dallapiccola. Même Capriccio de Richard Strauss n’est pas une œuvre si fréquemment jouée. Ainsi même quand on représente du répertoire, on le représente autrement, sous un prisme complètement différent.
Comment vous situez-vous par rapport à votre rayonnement territorial ?
En région Rhône-Alpes, l’Opéra est présent avec des représentations chorégraphiques, des concerts. Mais notre présence dans la région est conditionnée par les coûts et les équipements : seules les scènes bénéficiant d’équipements techniques adaptés peuvent nous accueillir. Pour surmonter l’obstacle technique, nous avons inventé des solutions : nous développons de petites formes – cette saison Der Kaiser von Atlantis, de Viktor Ullmann – dont les premières représentations sont données à la Comédie de Valence ; nous organisons également des vidéotransmissions qui permettent d’aller vers le public, de rencontrer un autre public qui ne vient pas nécessairement à l’Opéra. En été, la vidéotransmission est gratuite, en plein air avec une œuvre populaire – La Traviata, Porgy and Bess, Carmen… : on est présent dans l’ensemble de la région, dans des grandes comme des petites villes. L’Opéra a la capacité de fédérer les personnes autour d’une œuvre lyrique et d’un événement festif. Cela répond aussi à notre mission de rayonnement régional. Cela crée une première rencontre avec l’art lyrique, c’est une force d’ouverture qualitative.
La salle est là, elle l’était avant moi, elle le sera après. Je la prends et je l’accepte. Je ne peux faire autrement. Mais j’aime cette architecture, ce théâtre, cette salle. C’est un geste architectural que j’aime parce qu’il interroge le genre opéra. Nouvel a mêlé le nouveau à l’ancien, les a fait se rencontrer : c’est un regard sur l’avenir qui traverse et transcende le passé. Le bâtiment est une installation d’art plastique et d’art visuel, marqué par la sensualité du noir, la dramaturgie du noir ; par le mat et le brillant. Dans la salle il y a une concentration visuelle extraordinaire qui est dirigée vers le plateau. Certes, le bâtiment a des défauts mais quel bâtiment n’en a pas ?
Justement les questions techniques. Comment pouvoir coproduire avec le MET qui a des dimensions très différentes. Comment faire des coproductions avec les théâtres plus vastes comme la Scala, le Met, Vienne?
Nous avons déjà fait de nombreuses coproductions, avec le Theater an der Wien (Lulu), avec le festival d’Aix-en-Provence (Le Nez, Le Rossignol), avec la Scala (Lulu et bientôt Le Comte Ory). Une coproduction part d’une rencontre d’hommes et d’esprits autour d’une œuvre et d’un metteur en scène.
C’est ainsi que nous avons eu l’idée, avec Peter Gelb, de faire appel à François Girard pour Parsifal. François Girard a fait 70% de ses mises en scène lyriques à l’Opéra de Lyon, c’est une longue histoire et une longue complicité entre François Girard et moi. Peter Gelb avait travaillé avec François Girard sur un film. Girard a travaillé aussi beaucoup avec la Canadian Opera Company de Toronto. Ce sont ces rencontres appréciées avec François Girard qui ont réuni trois directeurs d’opéra qui s’apprécient. Enfin, c’est une entreprise énorme que de monter un Parsifal : il faut réunir des moyens financiers et humains
Les dimensions sont très différentes, la scène du Met est très grande et celle Toronto est similaire à celle de Lyon. Ce qui a été fait à Lyon, c’est la base commune du projet qui sera élargie au Met (on y ajoute des éléments latéraux et en hauteur). Lorsqu’il y a coproduction entre des scènes très différentes, il est essentiel que la première ait lieu dans le lieu qui pose le plus de contraintes techniques.
Vous avez fait des Wagner en nombre, Tristan, Lohengrin, Parsifal… Pourquoi avoir fait Tristan et Parsifal?
Parce qu’ils vont ensemble comme un couple d’opposés. Dans le premier projet de Tristan imaginé par Wagner, Parsifal apparaissait au chevet de Tristan au troisième acte. Et parce que les deux œuvres posent des questions voisines, elles posent toutes deux la question de la relation homme/femme, l’une résolue par l’abstinence – Parsifal –, l’autre par la consommation, Tristan.
Et Meistersinger ?
C’est pour moi une œuvre absolue, sans doute le sommet. Mais elle pose encore plus de problèmes que Parsifal en termes d’organisation, de masses artistiques et de distribution, mais j’ai très envie de donner les Meistersinger à Lyon.
L’Opéra de Lyon a un système différent : un mélange de répertoire et de stagione. La stagione permet de donner du temps et de la maturation aux nouvelles productions et le répertoire permet de les exploiter : la vérité est au centre ! Le système de demain sera sans doute un mélange, même pour les théâtres lyriques allemands avec des périodes d’alternance du répertoire, et des périodes consacrées aux nouvelles productions qui ont besoin de temps pour être préparées.. A Lyon, avec nos moyens spécifiques, j’ai imaginé le festival annuel : une concentration de répertoire donné sur une période limitée, avec une troupe de chanteurs en résidence pour un mois, participant à deux ou trois œuvres. Ce système permet qualité et diffusion et, pour le public, le festival constitue une série de rendez-vous au quotidien.
Comment vous est venue l’idée du Festival ?
Je voulais que l’Opéra de Lyon existe différemment dans la cité, et donc je voulais par des idées et des projets multiples lui donner une autre manière d’exister dans la ville : l’activité estivale du péristyle en fait partie par exemple. L’Opéra, par le Festival, se trouve au cœur de la cité au quotidien parce qu’il y a représentation tous les jours, et tous les jours l’Opéra est lieu de partage et d’échange. Le Festival c’est souvent une même population qui revient et qui parle de ce qu’elle a vu le soir précédent, de ce qu’elle va voir le lendemain, qui partage les émotions vécues et les désaccords. Du même coup, dans la ville, l’Opéra existe, comme un débat au quotidien. Le Festival c’est aussi une façon de mélanger les répertoires, comme en 2012 où l’on a mélangé Le Triptyque de Puccini et des œuvres d’autres compositeurs écrites à cette période de créativité intense dans les arts visuels, le cinéma, le théâtre, la musique et l’opéra.
Cette année vous proposez en ouverture de saison Macbeth, de Verdi dans une mise en scène de Ivo van Hove. Il y a une école flamande très active dans la mise en scène, Van Hove, Perceval, Cassiers…
Les premiers travaux de Ivo Van Hove que j’ai vu au théâtre, c’était Shakespeare : Macbeth. Cette expérience m’a énormément marqué. C’est un théâtre très engagé qui donnait à Shakespeare une énorme actualité, comme si le texte avait été écrit aujourd’hui. Il lui donnait une grande lisibilité. Shakespeare est une littérature universelle qui appartient à toutes les cultures. Van Hove a cette capacité de rendre cela pertinent (il vient de faire L’Avare de Molière en ce sens). Je voulais revisiter Macbeth de Verdi par le biais de Shakespeare à travers Ivo van Hove. Il n’a jamais mis en scène cet opéra de Verdi et pourtant ce sujet l’accompagne depuis le début de sa carrière. Le sujet de Macbeth c’est comment le pouvoir arrive à éliminer tous ceux qui gênent : les sorcières lui disent ce qu’il veut entendre, cela se réalise parce qu’il le veut. Regardez ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. C’est Macbeth. Autour d’Assad, il y a des aiguillons qu’il croit et qui le poussent. Regardez les oppositions silencieuses, regardez les indignés devant Wall Street ou devant le parlement anglais : ils ne veulent rien de précis, mais ils veulent que cela change. Tout cela est dans Shakespeare.
L’école flamande – en théâtre et en danse – est effectivement en plein essor, avec une grande effervescence dans le nord du pays ; c’est un pays qui se ferme politiquement et qui s’ouvre artistiquement ; c’est la force de ces artistes que de vivre sur des frontières, qui sont des enrichissements pour créer de l’identité. On a besoin d’affirmer une identité, pour créer une telle écriture de création, un tel vocabulaire qui permet d’être reconnu, de dépasser les frontières et de devenir universel.
Qu’est ce qui reste à faire à Lyon, avez-vous un rêve?
Chaque saison est le résultat d’un rêve. Le répertoire lyrique est tellement vaste, il y a tellement d’œuvres que je souhaite présenter. Comment les présenter ? Comment les juxtaposer ? Depuis que je suis là, on a représenté 70 à 80 titres : il reste une marge énorme, il faut continuer à développer et surprendre constamment, le public, le regard et l’écoute. Il faut continuer à enrichir le répertoire avec des commandes. Chaque année il y a une création : cette saison Claude Gueux de Thierry Escaich sur un livret de Robert Badinter ; plus tard un opéra de Michel Tabachnik sur Walter Benjamin, avec un livret de Régis Debray ; il y aura aussi un projet de Michel van der Aa, Sunken Garden. Et puis il y a ce projet citoyen avec ce bâtiment implanté dans la périphérie lyonnaise qui s’appelle la Fabrique Opéra, centre de ressources pour les habitants : espace de conception, de fabrication, de répétition, d’insertion autour de l’opéra : un projet ambitieux. Voilà les rêves!
[1] Robert Badinter, rappelons-le, a fait voter l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Il écrit là son premier livret d’opéra, à partir d’une œuvre de Victor Hugo qui plaide contre la peine de mort.
OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (4) : SPECTACLES A RETENIR – VIENNE
Vienne vaut évidemment à elle seule un article sur les saisons de ses opéras. Il y a à Vienne de la musique partout, concerts au Konzerthaus, au Musikverein, Wiener Philharmoniker, Wiener Symphoniker, opéra à la Staatsoper, mais depuis quelques années une saison spécifique au Theater an der Wien, mais aussi à la Volksoper, pour voir des opérettes traditionnelles ou de l’opéra comique en allemand, et puis s’il reste du temps, des pièces de théâtre au Burgtheater (suivies ou précédées d’une halte aux cafés Central ou Landmann) ou à l’Akademie Theater (Halte au café Schwartzenberg avant ou après, un de mes favoris). En bref, vos soirées seront toutes occupées. Je vais m’intéresser à la Staatsoper, la “Haus am Ring”, qui trône au centre de la ville, accessible par tous les métros et quasiment tous les trams, à quelques centaines de mètres de la Stephansdom ou à un pas de l’hôtel Sacher et de ses “Sachertorte” à emporter ou consommer sur place. Et puis, un café à recommander derrière l’opéra, le Café Mozart. mon café préféré à Vienne est un peu plus loin, c’est le Café Diglas, Wollzeile 10, une rue qui est parallèle à la Stephansdom et perpendiculaire à la Rotenturmstrasse qui va vers la Schwedenplatz, au bord du canal du Danube.
LA STAATSOPER WIEN:
On joue pratiquement tous les soirs à l’Opéra de Vienne, environ 300 soirs par an. C’est un opéra de répertoire. On joue par exemple entre le 13 et le 18 décembre, Otello, La Bohème, Il barbiere di Siviglia, La Sonnambula, Il barbiere di Siviglia et Otello encore , puis le 19 c’est la Première de la nouvelle production d’Ariadne auf Naxos (celle de Salzbourg cet été). J’ai passé des nuits de queue sous les arcades de l’opéra pour écouter les productions d’Abbado, ou pour les ouvertures de saison le 1er septembre ou pour cet incroyable concert (1er septembre 1979) donné en l’honneur de l’inauguration de la Cité des Nations Unies, réunissant, excusez du peu Montserrat Caballé, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Birgit Nilsson, Leonie Rysanek, Sonia Ghazarian, Siegfried Jerusalem, René Kollo, Nicolai Ghiaurov, ma chère Agnès Baltsa, Edita Gruberova, Sherill Milnes, Ruza Baldani…suivi la même semaine d’une IXème de Beethoven avec les Wiener Philharmoniker et dirigée par Leonard Bernstein, avec Gwyneth Jones, René Kollo, Hanna Schwarz, Kurt Moll, dont il a été fait un disque. Le tout en places debout, placées au fond du Parkett (fauteuils d’orchestre) , plus ou moins là où on les avait placées à Paris avant le stupide et ridicule changement qui les a mises quelque part dans les hauteurs.
Souvenirs souvenirs…le public de Vienne est un vrai public amoureux des voix et de l’opéra, avec des embrasements délirants pour certaines stars de la baguette ou de la voix comme José Carreras dans les années 80, ou aujourd’hui Anna Netrebko, Elina Garanca ou Christian Thielemann. Dirigé pendant une vingtaine d’année par l’impresario Joan Holender qui a eu plutôt une politique de stabilité sans invention ni événements marquants (sauf quelques Rosenkavalier dirigés par Carlos Kleiber), la Staatsoper Wien est dirigée depuis 2010 par Dominique Meyer, ancien directeur du TCE, un vrai passionné de musique et d’opéra, amoureux des Wiener Philharmoniker, qui a redonné à la maison une direction, avec le directeur musical Franz Welser Möst, un chef plutôt ouvert, qui a un répertoire lyrique très large après un long passage à Zürich, ce qui est nécessaire dans une telle maison, où l’opéra est une véritable industrie.
Dans un théâtre où les productions doivent durer (certaines remontent aux années 50), pour être complètement amorties, où certaines anciennes productions sont conservées parce qu’elles sont devenues “cultes” (comme le Rosenkavalier d’Otto Schenk ou sa Fledermaus), où les anciennes gloires du chant viennent chanter les petits rôles de Bohème (j’ai vu ainsi Erich Kunz dans Benoît!), le mot tradition a un sens, et la presse veille au grain. L’Opéra de Vienne est une institution publique qui vaut ici autant que l’armée autrichienne…
Alors, dans cette saison 2012-2013 déjà bien entamée, que va-t-on voir de stimulant? D’abord, toute l’année, chaque soir, il y a des reprises qui peuvent intéresser, vieilles productions, mais quelquefois jeunes chefs ou distributions stimulantes: si vous voyez par exemple affichée Anita Hartig dans Pamina ou Mimi, allez-y séance tenante, c’est une jeune chanteuse magnifique, promise à une très grande carrière qui est sur le point d’exploser.
En décembre, une nouvelle production d’Ariadne auf Naxos, mise en scène de Sven-Eric Bechtolf, qu’on a vu à Salzbourg cet été. La distribution en est différente: c’est Franz Welser Möst, GMD de Vienne, qui dirige, et Strauss est l’un de ses compositeurs de prédilection, et la distribution, très différente de Salzbourg, est alléchante: Christine Schäfer en Komponist, Stephen Gould en Bacchus et Krassimira Stoyanova en Primadonna, avec une Zerbinetta peu connue, Daniela Fally. Dans les reprises un Barbiere di Siviglia qui sera bien mieux distribué en mars, une Sonnambula sans grand intérêt et un Otello avec le trio Johan Botha, Falk Struckmann, Soile Isokoski, ce qui n’est pas mal, et la direction de Bertrand de Billy, le chef français qui ne dirige jamais en France et qu’on a bien tort de négliger. Donc, un week-end incluant Otello et Ariadne pourrait être programmé.
Un nouvel an à Vienne, avec le fameux concert du Nouvel An dirigé cette année par Franz Welser Möst et une Fledermaus au Staatsoper , moyennement distribuée, mais avec le grand acteur Peter Simonischeck dans Frosch et puis une Zauberflöte dirigée par le jeune Cornelius Meister dont on dit grand bien outre Rhin, et avec Anita Hartig dans Pamina (Mise en scène: Marco Arturo Marelli – celui qui a fait Arabella à Bastille) pourrait être un programme stimulant, mais Noël ne vaut pas Pâques, on va le voir.
En janvier, à part la continuation d’Ariadne et Zauberflöte, notons une Italiana in Algeri dirigée par l’excellent Jesus Lopez-Cobos dans la vieille mise en scène mythique de Jean-Pierre Ponnelle, avec, encore et toujours, Agnès Baltsa dans Isabella (elle chante le rôle depuis plus de 30 ans, elle l’a enregistré avec Abbado et elle n’y était pas convaincante: mais résistera-t-on à la voir encore une fois brûler les planches, même avec les réserves probables sur la performance vocale). Notons aussi un Rosenkavalier dirigé par Jeffrey Tate dans la mise en scène mythique de Otto Schenk avec Angela Denoke dans la Marschallin et Peter Rose dans Ochs. On pourrait si on du temps à perdre voir le Nabucco de Giuseppe Verdi dirigé par Jesus Lopez-Cobos, mais dans une distribution sans éclat et une mise en scène de Günter Krämer qui devrait être un repoussoir. Enfin, on ne manquera pas un must: une reprise de La Dame de Pique, dirigée par Marko Letonja, dans la mise en scène de Vera Nemirova, avec l’Hermann de l’inusable Neil Shicoff, toujours bouleversant même avec une voix désormais instable, la notable Lisa de Marina Poplavskaia, mais on courra surtout pour la Comtesse de Grace Bumbry, légende vivante qu’il faut absolument aller voir une fois dans sa vie . Je vais peut-être faire le voyage pour elle.
La fin du mois de janvier aura sa première d’une nouvelle production de La Cenerentola de Rossini, avec au pupitre Jesus-Lopez Cobos, dont la présence à Vienne est largement exploitée: Dominique Meyer se sera souvenu qu’à l’Opéra de Paris déjà, Rolf Liebermann avait fait appel à lui pour cette œuvre (mise en scène Jacques Rosner) avec deux distributions où alternaient Teresa Berganza et Frederica von Stade. La distribution est intéressante dans la mesure où l’on y trouve tous les jeunes rossiniens d’aujourd’hui, Dmitry Korchak ténor vu à Paris dans La Muette de Portici, plus apprécié pour ses Rossini que son Auber, Vito Priante, excellent baryton de la jeune génération italienne (vu à Lyon dans Figaro des Nozze di Figaro) et tous les excellents plus anciens: Alessandro Corbelli, toujours remarquable et Ildebrando d’Arcangelo qui chantera Alidoro. Angelina sera Tara Erraught, jeune mezzo irlandaise dont on fait grand cas.
La fin du mois de janvier aura aussi sa reprise verdienne, avec Ballo in maschera, l’impossible à réussir, dirigé par Philippe Auguin, mise en scène de Gianfranco de Bosio (une mise en scène déjà vieille à sa création, imaginons aujourd’hui!) avec Roberto Alagna qui n’a peut-être plus la voix pour le rôle, Sondra Radvanovsky, la seule Amelia possible aujourd’hui, mais elle a été très fatiguée et Gabriele Viviani dans Ankarström. Mmmm…disons que j’ai mes doutes.
L’événement de février étant le traditionnel Bal de l’Opéra (Opernball), pas de production notables, sinon des reprises de productions archéologiques: Tosca, à peu près 60 ans d’âge (Margherita Wallmann: en 1979, année où je la découvris, on en était déjà à la 275ème représentation), Salomé une bonne quarantaine d’années (production de Boreslaw Barlog) dirigée tout de même par Peter Schneider, avec une distribution très honnête: Michaela Schuster (Herodias), Thomas Moser (Herodes), James Rutherford (Jochanaan) et Camilla Nylund dans le rôle de Salomé. A noter en 1990 quand je vis cette production, c’était avec Behrens et Rysanek…
Le mois de mars ouvre notamment sur une reprise du Don Giovanni de Jean-Louis Martinoty, relativement critiqué à sa création, dirigé par Louis Langrée, avec Ildar Abdrazakov dans le rôle titre, Erwin Schrott comme Leporello, le Don Ottavio de Toby Spence, la Anna de Marina Rebeka, et l’Elvira de Véronique Gens, une distribution très défendable, et un Elixir d’Amore de remplissage. On reverra ensuite une reprise de La Traviata de Jean-François Sivadier (celle d’Aix en Provence), dirigée par Paolo Carignani avec Marlis Petersen et Rolando Villazon(!), et des Nozze di Figaro (avec Anita Hartig en Susanna), dirigé par Louis Langrée et mise en scène de Jean-Louis Martinoty. Une reprise retravaillée (Wiederaufnahme) de l’Aida de Nicolas Joel dirgée par Pinchas Steinberg avec Olga Borodina (Amneris) , Kristin Lewis (Aida), Aleksandrs Antonenko (Radamès) et Markus Marquardt (Amonasro) et une nouvelle série de Il barbiere di Siviglia, cette fois avec un cast très intéressant, dirigé par le jeune Guillermo Garcia Calvo, dans la vieille mise en scène de Günther Rennert et son fameux décor de maison poupée avec Javier Camarena, Vesselina Kasarova, et Adrian Eröd en Figaro, ainsi que le vétéran Alfred Sramek en Bartholo.
Mais c’est la fin du mois de mars qui retient l’attention avec deux reprises d’importance, Wozzeck dans la mise en scène d’Adolf Dresen créée par Claudio Abbado avec Simon Keenlyside, Gary Lehman et Anne Schwanewilms, le tout dirigé par Franz Welser-Möst, qui reprend ensuite pour Pâques la production de Christine Mielitz de Parsifal, avec..Jonas Kaufmann et Evelyn Herlitzius, Kwanchoul Youn et Tomasz Konieczny. Autant dire que si vous n’avez pas de projets pour Pâques, c’est à Vienne qu’il faut voler.
Il faut le dire, le début avril n’est pas mal non plus, avec la reprise du vieux Fidelio d’Otto Schenk, dirigé par l’excellent Adam Fischer (Lance Ryan, Anja Kampe, Falk Struckmann), du vieux Rigoletto de Sandro Sequi sans aucun intérêt scénique, mais sûrement un grand intérêt musical avec au pupitre Jesus Lopez-Cobos (encore!), le vétéran Kurt Rydl en Sparafucile et Matthew Polenzani en Duc, Olga Peretyatko en Gilda, et Simon Keenlyside en Rigoletto s’il vous plaît, une reprise de la production de PeterKontwitschny du Don Carlosen français (Kwanchoul Youn, Iano Tamar, George Petean, Yonghoon Lee et Nadia Krasteva en Eboli) et enfin il faudra courir pour l’Eugen Oneghin dans la mise en scène magnifique de Falk Richter, dirigé par Andris Nelsons, avec Anna Netrebko, Dmitri Hvorostovsky, Dmitry Korchak et Konstantin Gorny. On restera ensuite à Vienne pour une Bohème de répertoire (mise en scène Franco Zeffirelli, la même qu’à la Scala) dirigée par Andris Nelsons, avec Kristina Opolais (Madame Nelsons à la ville) et Piotr Beczala, pour un Werther (mise en scène Andrei Serban) avec Roberto Alagna et Elina Garanca, dirigé par Bertrand de Billy, et pour une Fille du régiment dans la production désormais universelle de Laurent Pelly dirigée par l’excellent Bruno Campanella, avec la jeune Aleksandra Kurzak dans Marie, John Tessier en Tonio, Carlos Alvarez en Sulpice et surtout surtout surtout Dame Kiri Te Kanawa en Duchesse de Crakentorp (à la création à Vienne c’était Montserrat Caballé, quelle émotion! Entre Bumbry pour Dame de Pique et Kiri Te Kanawa pour Fille du régiment, à Vienne la nostalgie (des anciens combattants) est ce qu’elle était ! Il y a quelque chose de proustien dans ce temps retrouvé là.
En mai quelques reprises de spectacles de l’année avec de nouvelles distributions, correctes, mais surtout un mai wagnérien avec une reprise de Fliegende Holländer dirigé par Daniel Harding, mise en scène par Christine Mielitz, avec Anja Kampe, Stephen Gould et Juha Uusitalo et une édition du Ring maison de Sven-Eric Bechtolf, dirigé cette fois par Franz Welser Möst, avec Tomasz Konieczny en Wotan, un nouveau venu dans les Wotan qui devrait être très intéressant, vu la qualité intrinsèque de la voix, Nina Stemme en Brünnhilde, Camilla Nylund en Sieglinde et Simon O’Neill en Siegmund. Stephen Gould en Siegfried. On pourra aussi voir à la même période une Carmen (Bertrand de Billy, Franco Zeffirelli) avec Elina Garanca et Roberto Alagna, Ludovic Tézier et Anita Hartig.
Le mois de juin comme de coutume reprend des productions de l’année avec de nouvelles distributions, c’est le cas de Tosca, avec Roberto Alagna, Martina Serafin et Albert Dohmen en Scarpia et Dan Ettinger au pupitre, qu’on voit désormais en Allemagne, à Vienne, à New York, et qui est en train de succéder à Fabio Luisi, désormais star, comme chef de répertoire de luxe. mais trois productions de fin de saison attirent l’oeil, une reprise de Walküre (Mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf) avec Peter Schneider au pupitre et une tout autre distribution: Katarina Dalayman en Brünnhilde, Martina Serafin en Sieglinde, Johan Botha en Siegmund, Juha Uusitalo en Wotan, Ain Anger en Hunding, et Mihoko Fujimura en Fricka, une reprise de Capriccio (mise en scène Marco Arturo Marelli, une très jolie production) dirigée par Christoph Eschenbach, et une très belle distribution: Renée Fleming, Bo Skovhus, Michael Schade, Markus Eiche, Kurt Rydl et Angelika Kirschlager. Et enfin une nouvelle production de Tristan und Isolde, mise en scène David Mc Vicar, dirigée par Franz Welser Möst avec Peter Seiffert et Nina Stemme, la dernière représentation étant assurée par Katarina Dalayman.
Ouf! pourrait-on dire. Quel autre opéra au monde pourrait assurer 300 représentations à ce niveau là? Et je ne parle ni du ballet, ni des représentations pour enfants de l’opéra de Wagner “Die Feen” qui courent toute la moitié de la saison.
Mais il y a une alternative à la Staatsoper de Vienne, c’est l’historique Theater an der Wien, où a été créée Die Zauberflöte, qui a remplacé la Staatsoper pendant la reconstruction après 1945 et jusqu’en 1955 (un Fidelio légendaire de Furtwängler y a été enregistré “dal vivo”), c’est là aussi qu’Abbado a créé deux productions mozartiennes, un beau Don Giovanni en 1990 (Luc Bondy) et Le Nozze di Figaro en 1991 (Jonathan Miller) . Aujourd’hui le Theater an der Wien a une saison selon le système “stagione” de quelques productions, très “dans l’air du temps”.
En décembre on pourra y voir Mathis der Maler de Paul Hindemith dirigé par Bertrand de Billy (avec les Wiener Symphoniker), dans une mise en scène de Keith Warner avec Kurt Streit, Manuela Uhl, Wolfgang Koch (le futur Wotan de Bayreuth).
En janvier, Radamisto de Haendel avec les freiburger Barockorchester dirigés par René Jacobs dans une mise en scène de Vincent Boussard et des costumes de Christian Lacroix avec David Daniels, Florian Boesch et Sophie Karthäuser et Patricia Bardon.
En février, le Comte Ory de Rossini, dirigé par Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus avec Cecilia Bartoli et Lawrence Brownlee, dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser en coproduction avec l’opéra de Zürich.
En mars une production inhabituellement baroqueuse de Fidelio de Beethoven, avec Nikolaus Harnoncourt dirigeant son Concentus Musicus, et deux chanteurs au format inhabituel pour les rôles: Juliane Banse en Leonore et Michael Schade en Florestan.
En avril, Béatrice et Bénédict de Berlioz dans une mise en scène de Kasper Holten (directeur du ROH Covent Garden), et l’ORF Radio-Symphoniorchester dirigé par Leo Hussain, avec Malena Ernman et Bernard Richter.
Enfin en juillet, Attila de Verdi dirigé par Ricardo Frizza (avec l’ORF Radio-Symphoniorchester) dans une mise en scène de Peter Konwitschny, avec une nouvelle génération de chanteurs verdiens (certains assez discutés en Italie): Dmitry Belosselsky, Lucrecia Garcia, Nikolai Schukoff (le Don José de la Carmen parisienne).
On le voit, des voies différentes de la programmation de l’Opéra de Vienne, plus à la mode, avec tout de même des choix exigeants et des participations de haut niveau (le Choeur Arnold Schoenberg de Erwin Ortner pour tous les spectacles) . Deux philosophies différentes d’un côté une présence de tous les instants assurée avec une garantie minimale de niveau et quelques grandes distributions, de l’autre un raffinement et une recherche plus élaborée de répertoire à la mode, un peu ce que serait le théâtre des Champs Elysées à Paris. Dans tous les cas, la qualité. Allez, un petit tour à Vienne, cela ne se refuse pas!
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TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: Une autre critique, très acerbe, du LOHENGRIN de Richard WAGNER du 7 décembre 2012
L’article qui suit est la traduction rapide d’un article paru sur le fameux blog milanais :”Il Corriere della Grisi“, dédié à l’opéra et à l’art du chant, très sévère envers le théâtre milanais, détruisant méthodiquement ou presque toutes les distributions et souvent protagoniste des broncas milanaises. Bien des remarques peuvent être justes, mais il faut fuir et le systématique dénigrement et le rappel de temps révolus supposés dorés, auxquels les auteurs du blog n’ont même pas assisté mais auxquels ils se réfèrent. J’ai voulu traduire rapidement et sans doute avec quelques inexactitudes ce texte, très descriptif, sans véritable analyse de la production, préférant l’invective, et plus analytique sur le chant, même si discutable. Les spectateurs d’hier et de demain en salle jugeront, mais face à mon jugement plutôt positif, voici une destruction en règle du plus bel effet. Dieu, ou le cygne, reconnaîtra les siens et les italophones se reporteront à l’original.
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Le cygne est arrivé: le Lohengrin de la Scala, en direct.
On pourrait proposer un compte rendu qui parte de la fin vu que la soirée inaugurale a été close au lieu d’être ouverte par l’hymne national. Et nous devrions donc commencer par les hurlements déchainés par lesquels Evelyn Herlitzius a invoqué et évoqué les dieux du passé. Triomphateurs au moins à la fin dans l’esprit pervers de l’épouse de Radbod.
Devant le dispositif scénique proposé nous nous sommes identifiés avec les nostalgies d’Ortrud non par parce que nous voudrions à tout crin cygnes, casques emplumés dames et chevaliers et tout le luxe de la cour médiévale vu par l’œil de l’homme du XIXème siècle, mais parce que nous aurions désiré respect et cohérence envers Wagner et sa poétique. On a affiché l’idée qu’au mythe se substituait la psychanalyse. Psychanalyse, disons-le de suite, de supermarché : pourquoi faire d’ Elsa une psychopathe épileptique, Lohengrin, hypostase de l’incarnation de la Divinité ou quasi, un adolescent peu sûr de lui et troublé ? Ce n’est pas une idée alternative, c’est une superfétation du texte inutile et répétée jusqu’à l’ennui.
Nous pouvons ensuite nous amuser à trouver les incongruités et la laideur des cercueils modèle 1990 dans une production qui fait penser à l’Hamlet de Kenneth Branagh, les chevaliers brabançons transformés en valets de chambre et en marmitons de la taverne de Maître Luther, les gants de promenade des dames appliqués à l’habit de soirée (Zeffirelli et Visconti auraient eu une syncope) la chambre nuptiale transformée en champ de chanvre avec les protagonistes qui évoquent Gassmann et Silvana Mangano de Riz amer ou les harponneurs de Il Mulino del Po’, vu comme le protagoniste abat le rival, ou même les dépossédés Ortrud et Telramund, qui rappellent Maddalena et Sparafucile dans la taverne, en évitant de rappeler la pluie de plumes qui évoquent les plumages d’oies, de chapons et de dindons. Mais tout cela, et chacun des spectateurs dans la salle ou devant sa TV a trouvé et s’est étonné des incongruités, nous dit une seule chose : une mise en scène et une production sans idées, modèle de pseudo culture, qui peut être appréciée de qui, pour suivre la mode ou par ignorance, veut être à la page.
Mais si Lohengrin propose une vision XIXème du mythe et le texte littéraire, avant même le texte musical, ainsi que les indications maniaques des didascalies, les commentaires des choreutes envers les personnages, nous disent ceci : avec la réalisation milanaise d’hier soir nous avons été pris pour des c…Si ce n’est pas l’auteur, c’est certainement le cas du public, de son intelligence, de son portefeuille parce que payer aussi le Maître d’armes pour un duel de théâtre de marionnettes, ou le dramaturge (invention de mauvais théâtre allemand) signifie seulement profiter de l’argent public. Et les sifflets ont été seulement modérés pour Monsieur Guth, mais devraient être abondants et sonores pour celui qui, plongeant les mains dans la caisse a consenti une dépense indigne d’argent public.
Naturellement, avec la totale indignité du public à la page et de la critique, nous avons aussi une partie musicale et chorale. Pour ne pas devoir faire des distinctions qui impliqueraient l’utilisation de facultés que tous ne partagent pas, tous se sont jetés dans la louange de la dernière arrivée, la « salvatrice de la patrie » Annette Dasch, arrivée dans la nuit à Malpensa, est déjà repartie à l’aube pour Berlin pour chanter la Finta Giardiniera, un opéra qui lui va mieux, en dépit de sa voix précocement usée. Le cast sera sans doute ce qui se fait de mieux en matière wagnérienne comme l’a dit le chef, mais cela ne signifie pas que ce soit un cast digne non du théâtre mais de l’œuvre…Les défauts techniques sont partagés équitablement dans les rôles masculins, où aucun ne sait comment se négocie un aigu ni comment on soutient le chant avec le souffle. Ainsi a-t-on des réponses différentes au même défaut de fond, soit les hurlements lancinants de Monsieur Tomasson, Telramund, dans un rôle où l’on ne doit pas hurler, mais sonner ; les sons rauques et mal assurés dans la première octave de René Pape, basse sur le papier (pour le Héraut de Zeljko Lucic vaut le proverbe français, « tel maître tel valet » !) et les notes en falsetto entre la gorge et les végétations du protagoniste tant célébré. Un chanteur comme Jonas Kaufmann sans aucun legato dans son air, qui n’est pas à même de chanter piano dans le duo de la chambre ou bien de dominer dans le final du deuxième acte (il s’agit pourtant de quelques mesures) et qui exhibe un volume qui est la moitié de ce qu’il exhibait deux ans avant dans Don José, avec un orchestre très léger en fosse, est le protagoniste juste et cohérent qui va bien avec cette production.
Et le fait qu’il assume des positions fétales, qu’il simule des convulsions, qu’il se vautre dans l’étang ou se baigne dans l’eau pourra susciter de la sympathie, mais ne permet pas à un auditeur de bonne foi et doté d’une expérience minimale de reconnaître là une exécution de bon niveau.
Non que les choses aillent mieux du côté féminin. Evelyn Herlitzius dans son rôle de chanteuse actrice (même si de très grandes chanteuses l’ont affronté, parmi celles qui en ont laissé trace au disque, à commencer par la Grob-Prandl), est dans la meilleure des hypothèses une actrice passable. A l’aigu, elle hurle, par exemple dans l’invocation aux dieux chtoniens du deuxième acte ou celle des dieux païens à la fin de l’opéra, au centre, dans le duo avec Elsa et dans les quelques mesures de défi avec Lohengrin au deuxième acte, elle est aphone, avec le poids spécifique d’un soprano lyrique normal, qui, correctement mis au point, pourrait être une Elsa normale. En effet, le rapport proportionnel entre les voix des deux femmes existe, parce que, abstraction faite de l’arrivée salvatrice de la Dasch, cette dernière a timbre, couleur et volume de soubrette. Aucune magie du timbre, aucune dynamique même dans les parties solistes. Disons, didascalie et musique en main, une non Elsa. Et par chance il y a eu une substantielle « remise de peine » dans l’ensemble qui suit le récit du Graal, dans lequel Elsa devrait aller plusieurs fois jusqu’au si naturel.
Il faut souligner que l’émission systématiquement basse et gonflée des interprètes principaux qui viennent tous de l’école néo-allemande de chant est quelque chose qui semble appliqué et enseigné avec obstination méthodique et rigoureuse par les enseignants de l’aire nordique. Ceci pour faire se rapprocher l’émission vocale et la phonétique allemande et rendre plus claire l’articulation des vers « sacrés » du Maître. En revanche, l’engorgement de la voix auquel s’ajoute une technique de respiration complètement erronée (qui souvent se confond avec sa totale absence) cause la disparition complète de quelque clarté que ce soit dans la mise en son, que ce soit dans les voyelles que les consonnes. Voir en particulier, mais ce n’est qu’un un des exemples possibles parmi tant d’autres le monologue final de Monsieur Kaufmann.
Et puis il y a la baguette. Laquelle est décrite et louée comme authentiquement wagnérienne (dans les quotidiens d’abord, avec quelques exceptions dont celle de Paolo Isotta dans le Corriere della Sera d’aujourd’hui). A ce chœur de louanges ou presque ne correspond pas une direction d’orchestre et surtout une « concertazione » qui soient à la hauteur encore une fois non du théâtre et de son blason supposé mais des exigences de l’œuvre qui conjugue le grandiose des scènes d’ensemble (débitrices ô combien du grand-opéra) et la dimension plus recueillie (mais pas pour cela inférieure en grandiloquence) des moments où dominent les solistes. Du prélude et jusqu’à la scène finale nous avons entendu, pardonnez la franchise, voire la brutalité, toujours la même soupe, maigre pour être exact, non seulement parce que le volume de la musique qui provenait de l’abîme mystique faisait penser à un Donizetti comique ou à l’Auber de Fra Diavolo (rappelons en passant que les grands Lohengrin jusqu’à 1925, avant que ne triomphassent les exigences douteuses du « spécialisme » wagnérien, affrontaient régulièrement ces rôles), mais parce qu’il n’y avait pas de différence entre les interventions des troupes glorieuses du Brabant, la désespérance et la furie du couple Telramund dépossédé, l’exultation de la fête nuptiale, et la mélancolie de la conclusion.
En outre nous avons entendu des cordes d’une tenue fatiguée et sans rigueur du prélude au premier acte, des cuivres aux sons durs et sans grâce, soit dans les fanfares réelles, soit dans l’introduction du troisième acte dans lequel dominait le principe très napolitain du « facite ammuina » (faites confusion), le chœur (surtout le chœur féminin en référence à l’entrée des pages du cortège nuptial du deuxième acte) en décalage systématique avec l’orchestre mais avec les présupposés d’une intonation correcte.
Le moment le plus réussi de la direction a été peut-être l’interlude du deuxième acte, même si gâché par des entrées des choristes systématiquement en retard. Nous comprenons très bien comme il est difficile de concilier les exigences d’une oeuvre comme Lohengrin et les ressources limitées (vocales, mais pas seulement) à disposition, mais on aurait pu faire un peu mieux au moins sur la tenue d’ensemble du spectacle, par exemple avec des tempi plus rapides ou plus serrés, pour aider une distribution dans laquelle on ne retrouvait pas pour sûr ni une Rethberg, ni un Melchior ou ni une Branzell, mais même pas la puissance vocale, et surtout l’honnête et solide métier d’un Windgassen d’une Marton ou d’une Zajick.
TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: LOHENGRIN (vu à la TV) de Richard WAGNER le 7 décembre 2012 (Dir.mus: Daniel BARENBOIM, Ms en scène: Claus GUTH, avec Jonas KAUFMANN et Annette DASCH)
Lohengrin est l’œuvre de Wagner la plus populaire en Italie. Créée en Italie à Bologne en 1871, on raconte que Verdi est venu assister du fond d’une loge à la représentation. Elle est jouée dans la version italienne (de “Riccardo” Wagner) depuis la première représentation à la Scala le 20 mars 1873 jusqu’à la saison 1952-1953, où Herbert von Karajan avec Wolfgang Windgassen, Elisabeth Schwartzkopf, Martha Mödl la dirige pour la première fois dans sa version originale en langue allemande. Parmi les grands interprètes italiens de Lohengrin, le plus important est sans aucun doute Aureliano Pertile, qui a lié son nom au rôle de 1922-23 à 1932-33. Notons la présence dans les interprètes du rôle de Mario del Monaco pendant la saison 1957-58, et au pupitre se sont succédés les grands chefs marquants de la Scala, Arturo Toscanini, Tullio Serafin, Antonio Guarnieri, Vittorio Gui, Gino Marinuzzi et Sergio Failoni et surtout Ettore Panizza dont le nom est lié aux grandes représentations avec Aureliano Pertile.
Lohengrin fut l’œuvre choisie par Claudio Abbado pour ouvrir la saison 1981-1982 le 7 décembre 1981 et l’œuvre par laquelle il aborda Wagner à l’opéra (avec René Kollo puis Peter Hoffmann, et AnnaTomowa Sintow) dans une production splendide de Giorgio Strehler, qui avait joué le jeu du roman médiéval de type “Excalibur”, armures rutilantes, miroirs géants, apparition du cygne magique, j’eus la chance de la voir trois fois et l’interprétation d’Abbado, dont j’ai encore une trace audio, reste l’un des très grands moments de l’histoire musicale de ce chef, supérieure à son enregistrement avec Siegfried Jerusalem. Il la reprit à Vienne (avec Placido Domingo et Cheryl Studer) dans la vieille production viennoise décrépite de Wolfgang Weber en janvier 1990. Depuis, la Scala a repris Lohengrin dans une mise en scène de Nikolaus Lehnhoff (proposée auparavant à Lyon) et une belle direction de Daniele Gatti en 2007, avec Anne Schwanewilms et Robert Dean Smith, ainsi que Waltraud Meier et Tom Fox. La production de Claus Guth est donc la troisième production en une trentaine d’années.
Cette fois-ci, le plateau réuni est sans doute l’un des plus brillants possibles, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros, mais aussi René Pape, Tómas Tómasson, Evelyn Herlitzius et Zeljko Lucic, plus habitué aux rôles italiens qu’allemands, le tout avec une direction musicale de Daniel Barenboim et une mise en scène de Claus Guth, l’un des grands du Regietheater d’aujourd’hui, et qui a signé la saison dernière dans ce même théâtre une Frau ohne Schatten qui eut un très grand succès.
La représentation de Milan hier, sans Anja Harteros grippée, a bénéficié de la présence de Annette Dasch, qui tient le rôle d’Elsa dans la production de Hans Neuenfels à Bayreuth depuis 2010, puisque la doublure prévue Ann Petersen (l’Isolde de Lyon en 2011) était elle aussi grippée. Annette Dasch, nous l’avons dit souvent, a une voix plus petite que les habituelles Elsa, et beaucoup de mélomanes ont ainsi émis de sérieux doutes sur son interprétation. Et pourtant, à Bayreuth, elle est rentrée si parfaitement dans le personnage voulu par Neuenfels qu’avec une jolie technique de chant, bien dominée, une voix bien conduite, elle a réussi sa prestation à Bayreuth, salle notoirement connue pour être indulgente aux voix. A la Scala, c’est autre chose, et pourtant, elle apparaît avoir passé là aussi la rampe, et tenir fermement le rôle, d’autant qu’en très peu de temps elle semble s’être approprié le rôle dans une mise en scène qui en fait une sorte de femme enfant, enfermée dans son monde de contes de fées, dans un monde qui rappelle la Senta du Vaisseau fantôme, dans la mise en scène du même Claus Guth, au Festival de Bayreuth à partir de 2003. Une petite fille qui se fait son film et qui rêve de son beau chevalier blanc: elle évolue dans un coin du décor (de Christian Schmidt) très proche de dessins animés de Walt Dysney (escalier végétal, piano, roseaux). Habillée en petite fille dans une robe blanche de contes de fées, Elsa va tomber dans le monde des adultes représenté par Ortrud et Telramund, pris non plus individuellement mais comme couple et par le roi Henri L’Oiseleur. Alors le Moyen âge disparaît au profit d’un monde contemporain du Second Empire, avec un Lohengrin plus humain que héros, qui est découvert au milieu de la foule, et dont l’humanité va au fond ruiner la confiance qu’Elsa voue en lui. Du monde des certitudes des contes, Elsa tombe dans le monde des doutes qui est le monde humain. Doutes qu’Ortrud va faire naître et vivre chez Elsa. Il s’agit donc bien d’un spectacle qui montre le conflit humain, sur un espace libre au centre délimité par un tapis rouge, avec autour et dans les coursives métalliques imaginées autour par le décorateur (qui s’inspire de cette architecture de métal chère à cette période du XIXème), le choeur invisible devenu chœur antique spectateur et commentateur de la tragédie.
Allant voir le spectacle le 18 décembre prochain, j’aurai la chance de pouvoir ensuite en rendre compte de manière plus précise, mais d’emblée, on reconnaît la patte de Claus Guth, qui décille les yeux, qui enlève tout le côté légendaire de cette histoire et qui en fait l’expression des heurts entre les fantasmes individuels et la crudité de la réalité (opposition entre la blancheur d’Elsa et l’obscurité des autres, le costume de Lohengrin (un costume avec chemise au col ouvert) refusant tout net toute allusion à la légende sauf quelques plumes qui volètent de ci-de là ou qui sont portées par Gottfried que seule Elsa semble voir.
Ortrud, tout en noir, sorte de gouvernante cruelle de contes de fées (elle frappe les doigts d’Elsa enfant qui s’essaie au piano), sorte de marâtre (n’a-t-elle pas pris la place d’Elsa auprès de Telramund qui en était le tuteur?) est la méchante des contes, et pourtant, son attachement à Telramund, reste aussi très humain et relativise la méchanceté: c’ est Evelyn Herlitzius, simplement impériale, qui sait user des défauts de sa voix, quelques approximations de justesse, mais une présence vocale et une intelligence scénique hors du commun.
Jonas Kaufmann, très aimé à Milan comme partout, qui porte la production par sa présence, est comme d’habitude exceptionnel, et son timbre sombre campe bien le personnage voulu par Claus Guth, une sorte d’alien un peu perdu dans un monde d’humains qu’il ne connaît pas et dont il a à affronter les attentes ou l’hostilité: son arrivée, discrète, presque forcée, où apparaissent la crainte et la surprise et dont la fragilité est marquée par ses pieds nus, est fortement emblématique et d’une justesse extraordinaire. Sombre car toujours lui aussi plein de doute et de douceur, mais aussi de crainte, avec la faculté de Kaufmann à moduler, à adoucir, à retenir la voix et jouer sur les fils et les extrêmes possibilités de l’émission sonore: tout à fait extraordinaire, mais qui n’efface pas Klaus Florian Vogt, avec sa voix nasale, sonore, comme venue d’ailleurs, qui marque au contraire sans cesse une douce certitude, la certitude de l’ailleurs dont il provient, et auquel il ne renonce jamais : deux visions différentes, deux voix opposées, et deux prestations irremplaçables aujourd’hui.
La voix étonnante et d’une rare sûreté de René Pape suffit à dessiner le personnage qu’il n’a pas besoin de surjouer, voire de jouer: il est ce qu’il veut sur scène, avec cette voix profonde et surtout profondément humaine (ce qui en fait un Roi Marke ou un Philippe II magnifiques), ténébreuse et profonde humanité qui est la marque de cette mise en scène fort injustement huée paraît-il hier à la première de la Scala.
Tómas Tómasson est apparu un Telramund assez noble, à la diction impeccable, même si certains amis m’ont assuré que la voix passait mal dans la salle. C’est un chanteur intelligent, plus diseur que chanteur peut-être, en tous cas fait à mon avis pour les rôles wagnériens par l’intelligence du texte dont il fait preuve. Tómas Tómasson dans ce rôle à Bayreuth en 2011 m’a impressionné par sa présence, plus peut-être que par la voix dont le volume ne correspond pas toujours à ce qu’on attend. Il m’a procuré la même impression à la TV, qui ne rend pas vraiment compte du volume réel.
Quant au héraut inattendu de Zeljko Lucic, il assume le rôle avec bravoure, et avec une voix forte, bien timbrée, sans l’extraordinaire élégance d’un Samuel Youn à Bayreuth ou le timbre de velours d’un Michael Nagy. Il reste que c’est une prestation très honorable.
Le chœur de la Scala, particulièrement bien préparé, a chanté “en bis” l’hymne italien “Fratelli d’Italia” que Kaufmann a bravement entonné (c’est cela la préparation!). Lohengrin, on l’a vu plus haut, est une pièce de choix du répertoire de ce chœur et il était au rendez-vous, sous la direction de Bruno Casoni, le chef de chœur en place depuis 2002.
Quant à Daniel Barenboim, il est apparu en grande forme, un peu amaigri, dirigeant l’œuvre avec une grande énergie et même un tempo rapide (prélude de l’acte III) et montrant le travail accompli par l’orchestre dans ce répertoire qu’il a pris à bras le corps depuis son arrivée à Milan: ce fut une grande prestation, de très haut niveau, comme souvent dans Wagner à la Scala. Wagner, qui était ce soir chez lui à Milan, comme pour Siegfried il y a quelques semaines. Il reste à voir le spectacle en salle, j’ai hâte d’être à Milan le 18 décembre prochain! Mérite le voyage.
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