L’article qui suit est la traduction rapide d’un article paru sur le fameux blog milanais : »Il Corriere della Grisi« , dédié à l’opéra et à l’art du chant, très sévère envers le théâtre milanais, détruisant méthodiquement ou presque toutes les distributions et souvent protagoniste des broncas milanaises. Bien des remarques peuvent être justes, mais il faut fuir et le systématique dénigrement et le rappel de temps révolus supposés dorés, auxquels les auteurs du blog n’ont même pas assisté mais auxquels ils se réfèrent. J’ai voulu traduire rapidement et sans doute avec quelques inexactitudes ce texte, très descriptif, sans véritable analyse de la production, préférant l’invective, et plus analytique sur le chant, même si discutable. Les spectateurs d’hier et de demain en salle jugeront, mais face à mon jugement plutôt positif, voici une destruction en règle du plus bel effet. Dieu, ou le cygne, reconnaîtra les siens et les italophones se reporteront à l’original.
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Le cygne est arrivé: le Lohengrin de la Scala, en direct.
On pourrait proposer un compte rendu qui parte de la fin vu que la soirée inaugurale a été close au lieu d’être ouverte par l’hymne national. Et nous devrions donc commencer par les hurlements déchainés par lesquels Evelyn Herlitzius a invoqué et évoqué les dieux du passé. Triomphateurs au moins à la fin dans l’esprit pervers de l’épouse de Radbod.
Devant le dispositif scénique proposé nous nous sommes identifiés avec les nostalgies d’Ortrud non par parce que nous voudrions à tout crin cygnes, casques emplumés dames et chevaliers et tout le luxe de la cour médiévale vu par l’œil de l’homme du XIXème siècle, mais parce que nous aurions désiré respect et cohérence envers Wagner et sa poétique. On a affiché l’idée qu’au mythe se substituait la psychanalyse. Psychanalyse, disons-le de suite, de supermarché : pourquoi faire d’ Elsa une psychopathe épileptique, Lohengrin, hypostase de l’incarnation de la Divinité ou quasi, un adolescent peu sûr de lui et troublé ? Ce n’est pas une idée alternative, c’est une superfétation du texte inutile et répétée jusqu’à l’ennui.
Nous pouvons ensuite nous amuser à trouver les incongruités et la laideur des cercueils modèle 1990 dans une production qui fait penser à l’Hamlet de Kenneth Branagh, les chevaliers brabançons transformés en valets de chambre et en marmitons de la taverne de Maître Luther, les gants de promenade des dames appliqués à l’habit de soirée (Zeffirelli et Visconti auraient eu une syncope) la chambre nuptiale transformée en champ de chanvre avec les protagonistes qui évoquent Gassmann et Silvana Mangano de Riz amer ou les harponneurs de Il Mulino del Po’, vu comme le protagoniste abat le rival, ou même les dépossédés Ortrud et Telramund, qui rappellent Maddalena et Sparafucile dans la taverne, en évitant de rappeler la pluie de plumes qui évoquent les plumages d’oies, de chapons et de dindons. Mais tout cela, et chacun des spectateurs dans la salle ou devant sa TV a trouvé et s’est étonné des incongruités, nous dit une seule chose : une mise en scène et une production sans idées, modèle de pseudo culture, qui peut être appréciée de qui, pour suivre la mode ou par ignorance, veut être à la page.
Mais si Lohengrin propose une vision XIXème du mythe et le texte littéraire, avant même le texte musical, ainsi que les indications maniaques des didascalies, les commentaires des choreutes envers les personnages, nous disent ceci : avec la réalisation milanaise d’hier soir nous avons été pris pour des c…Si ce n’est pas l’auteur, c’est certainement le cas du public, de son intelligence, de son portefeuille parce que payer aussi le Maître d’armes pour un duel de théâtre de marionnettes, ou le dramaturge (invention de mauvais théâtre allemand) signifie seulement profiter de l’argent public. Et les sifflets ont été seulement modérés pour Monsieur Guth, mais devraient être abondants et sonores pour celui qui, plongeant les mains dans la caisse a consenti une dépense indigne d’argent public.
Naturellement, avec la totale indignité du public à la page et de la critique, nous avons aussi une partie musicale et chorale. Pour ne pas devoir faire des distinctions qui impliqueraient l’utilisation de facultés que tous ne partagent pas, tous se sont jetés dans la louange de la dernière arrivée, la « salvatrice de la patrie » Annette Dasch, arrivée dans la nuit à Malpensa, est déjà repartie à l’aube pour Berlin pour chanter la Finta Giardiniera, un opéra qui lui va mieux, en dépit de sa voix précocement usée. Le cast sera sans doute ce qui se fait de mieux en matière wagnérienne comme l’a dit le chef, mais cela ne signifie pas que ce soit un cast digne non du théâtre mais de l’œuvre…Les défauts techniques sont partagés équitablement dans les rôles masculins, où aucun ne sait comment se négocie un aigu ni comment on soutient le chant avec le souffle. Ainsi a-t-on des réponses différentes au même défaut de fond, soit les hurlements lancinants de Monsieur Tomasson, Telramund, dans un rôle où l’on ne doit pas hurler, mais sonner ; les sons rauques et mal assurés dans la première octave de René Pape, basse sur le papier (pour le Héraut de Zeljko Lucic vaut le proverbe français, « tel maître tel valet » !) et les notes en falsetto entre la gorge et les végétations du protagoniste tant célébré. Un chanteur comme Jonas Kaufmann sans aucun legato dans son air, qui n’est pas à même de chanter piano dans le duo de la chambre ou bien de dominer dans le final du deuxième acte (il s’agit pourtant de quelques mesures) et qui exhibe un volume qui est la moitié de ce qu’il exhibait deux ans avant dans Don José, avec un orchestre très léger en fosse, est le protagoniste juste et cohérent qui va bien avec cette production.
Et le fait qu’il assume des positions fétales, qu’il simule des convulsions, qu’il se vautre dans l’étang ou se baigne dans l’eau pourra susciter de la sympathie, mais ne permet pas à un auditeur de bonne foi et doté d’une expérience minimale de reconnaître là une exécution de bon niveau.
Non que les choses aillent mieux du côté féminin. Evelyn Herlitzius dans son rôle de chanteuse actrice (même si de très grandes chanteuses l’ont affronté, parmi celles qui en ont laissé trace au disque, à commencer par la Grob-Prandl), est dans la meilleure des hypothèses une actrice passable. A l’aigu, elle hurle, par exemple dans l’invocation aux dieux chtoniens du deuxième acte ou celle des dieux païens à la fin de l’opéra, au centre, dans le duo avec Elsa et dans les quelques mesures de défi avec Lohengrin au deuxième acte, elle est aphone, avec le poids spécifique d’un soprano lyrique normal, qui, correctement mis au point, pourrait être une Elsa normale. En effet, le rapport proportionnel entre les voix des deux femmes existe, parce que, abstraction faite de l’arrivée salvatrice de la Dasch, cette dernière a timbre, couleur et volume de soubrette. Aucune magie du timbre, aucune dynamique même dans les parties solistes. Disons, didascalie et musique en main, une non Elsa. Et par chance il y a eu une substantielle « remise de peine » dans l’ensemble qui suit le récit du Graal, dans lequel Elsa devrait aller plusieurs fois jusqu’au si naturel.
Il faut souligner que l’émission systématiquement basse et gonflée des interprètes principaux qui viennent tous de l’école néo-allemande de chant est quelque chose qui semble appliqué et enseigné avec obstination méthodique et rigoureuse par les enseignants de l’aire nordique. Ceci pour faire se rapprocher l’émission vocale et la phonétique allemande et rendre plus claire l’articulation des vers « sacrés » du Maître. En revanche, l’engorgement de la voix auquel s’ajoute une technique de respiration complètement erronée (qui souvent se confond avec sa totale absence) cause la disparition complète de quelque clarté que ce soit dans la mise en son, que ce soit dans les voyelles que les consonnes. Voir en particulier, mais ce n’est qu’un un des exemples possibles parmi tant d’autres le monologue final de Monsieur Kaufmann.
Et puis il y a la baguette. Laquelle est décrite et louée comme authentiquement wagnérienne (dans les quotidiens d’abord, avec quelques exceptions dont celle de Paolo Isotta dans le Corriere della Sera d’aujourd’hui). A ce chœur de louanges ou presque ne correspond pas une direction d’orchestre et surtout une « concertazione » qui soient à la hauteur encore une fois non du théâtre et de son blason supposé mais des exigences de l’œuvre qui conjugue le grandiose des scènes d’ensemble (débitrices ô combien du grand-opéra) et la dimension plus recueillie (mais pas pour cela inférieure en grandiloquence) des moments où dominent les solistes. Du prélude et jusqu’à la scène finale nous avons entendu, pardonnez la franchise, voire la brutalité, toujours la même soupe, maigre pour être exact, non seulement parce que le volume de la musique qui provenait de l’abîme mystique faisait penser à un Donizetti comique ou à l’Auber de Fra Diavolo (rappelons en passant que les grands Lohengrin jusqu’à 1925, avant que ne triomphassent les exigences douteuses du « spécialisme » wagnérien, affrontaient régulièrement ces rôles), mais parce qu’il n’y avait pas de différence entre les interventions des troupes glorieuses du Brabant, la désespérance et la furie du couple Telramund dépossédé, l’exultation de la fête nuptiale, et la mélancolie de la conclusion.
En outre nous avons entendu des cordes d’une tenue fatiguée et sans rigueur du prélude au premier acte, des cuivres aux sons durs et sans grâce, soit dans les fanfares réelles, soit dans l’introduction du troisième acte dans lequel dominait le principe très napolitain du « facite ammuina » (faites confusion), le chœur (surtout le chœur féminin en référence à l’entrée des pages du cortège nuptial du deuxième acte) en décalage systématique avec l’orchestre mais avec les présupposés d’une intonation correcte.
Le moment le plus réussi de la direction a été peut-être l’interlude du deuxième acte, même si gâché par des entrées des choristes systématiquement en retard. Nous comprenons très bien comme il est difficile de concilier les exigences d’une oeuvre comme Lohengrin et les ressources limitées (vocales, mais pas seulement) à disposition, mais on aurait pu faire un peu mieux au moins sur la tenue d’ensemble du spectacle, par exemple avec des tempi plus rapides ou plus serrés, pour aider une distribution dans laquelle on ne retrouvait pas pour sûr ni une Rethberg, ni un Melchior ou ni une Branzell, mais même pas la puissance vocale, et surtout l’honnête et solide métier d’un Windgassen d’une Marton ou d’une Zajick.
Cet article est d’une telle mauvaise foi, triomphante et sûre d’elle même, qu’il en devient comique !
La critique est tellement outrée qu’elle en devient ridicule. Pourquoi ne pas simplement écouter la musique et en profiter seulement au lieu de s’efforcer de se prétendre savant en critiquant systématiquement tout.
on se demande si ce critique a bien vu ce Lohengrin ou si tout simplement il critique par principe et habitude en tout cas c’est désolant ce manque de discernement
Je suis parfaitementd’accord sur la mise en scène qui est un désastre.
Elsa est une débile mentale avec les yeux sortis de l’orbite, qui se gratte en permanence.
Lohengrin n’est jamais sûr de lui ; il se recroqueville sur lui même physiquement et spirituellement. Et à l’air d’un « va nu pieds » tombé par hasard dans un endroit étrange et étranger pour lui.
La dimension transcendantale de l’œuvre a été enlevé « de force » par un metteur en scène qui a probablement de gros problèmes personnels avec la vie.
Le reste c’est l’envie d’écouter un très bon CD et d’oublier le plus vite cette mascarade de très mauvais goût
Je viens de faire un commentaire particulièrement déplaisantpour la mise en scène qui était selon moi un désastre et je ne comprends pas pourquoi il n’est pas publié
En ce qui me concerne,c’était un moment magique ,Annette et Jonas m’ont bouleversée par leur interprétation.incroyable que l’on puisse avoir le coeur autant fermé et dur au point de ne plus avoir de récéptivitè et de se permettre de critiquer à ce point!
Je ne me considère pas comme un spécialiste de l’art lyrique, ni comme un critique faisant autorité (comme l’est l’auteur de ce blog…). Je suis juste un passionné de musique, un passionné d’opéra, qui assiste à des concerts quand je le peux, qui écoute en streaming la plupart du temps…
Ce Lohengrin de la Scala m’a bouleversé et captivé… J’ai d’abord écouté le streaming audio le vendredi soir, avant de regarder la vidéo sur Arte + 7 le lendemain…
J’aime les mises en scène qui provoquent, donnent à penser, offrent une nouvelle perspective sur l’oeuvre…
Je ressens aussi fortement, presque physiquement, l’implication des chanteurs, du chef d’orchestre, de l’orchestre et du choeur…
J’ai été immensément ému par la performance d’Annette Dasch et de Jonas Kaufmann… J’ai pleinement mesuré le courage de la première, qui a accepté de prendre le rôle d’Elsa au pied levé… Et j’ai trouvé sa performance extraordinaire et bouleversante… Je me situe au niveau de l’émotion partagée, de l’expressivité, de l’engagement de tout un être au service d’un rôle, ici et maintenant… Quant à Jonas Kaufmann, il m’a lui aussi profondément ému… je ne porte pas un jugement critique sur sa performance, je partage simplement une émotion: il m’a fait entrer dans l’univers de Lohengrin, tel que le metteur en scène, Claus Guth l’a conçu et déployé…
Au fond, qu’est-ce qui est le plus important ? Le purisme de critiques névrosés qui expriment leur mal-être dans des critiques assassines de tout et n’importe quoi ? Ou l’émotion vive d’un auditeur sans préjugés, qui a pris un immense plaisir à écouter ce Lohengrin une première fois en flux audio, une second fois en video avec Arte +7 ?
Je reviens vers Annette Dasch pour dire mon immense admiration pour avoir accepté le défi de chanter à l’impromptu le rôle d’Elsa…
Est-ce que l’auteur du blog : »Il Corriere della Grisi » a jamais chanté en dehors de sa salle de bain ? Est-ce qu’il s’est jamais mis en jeu sur une scène internationale, un soir de première ? Est-ce qu’il a dirigé ou mis en scène des opéras ?
La critique est facile, et même ridicule lorsqu’elle est outrancière…
En tant que passionné d’opéra et de musique, je ne peux que dire le plaisir et l’émotion ressentis pour ce Lohengrin de la Scala, en ce début décembre 2012..
Charlebois chantait: je m’fous pas mal des critiques…ce sont des ratés sympathiques.
Je suis de votre avis: une grande soirée, de magnifiques interprètes, une mis en scène interpellante et enfin humaine, et pour ce qui est de la justesse de la force des voix et de l’orchestre, je suis loin d’être une spécialiste….mais j’ai passé un merveilleux moment!
On peut détester la mise en scène de Guth, elle n’en reste pas moins extrêmement professionnelle, habile et intelligente. Mais quelle idée de parler de “psychanalyse de supermarché” quand le commentaire laisse entendre que la mise en scène n’a absolument pas été comprise! Guth ne fait pas de Lohengrin l’“hypostase de l’incarnation de la Divinité”, c’est un contresens total! Il a imaginé Elsa accouchant de son rêve et faisant de Lohengrin la réincarnation de son frère qui s’est noyé étant enfant, qu’elle imagine adulte, venu la sauver. Pour ma part j’ai surtout regretté que le spectacle ait été aussi mal filmé. La fin de l’acte I ou le frère-enfant vient s’assoir à la même table qu’Elsa et Lohengrin est d’une force inouie!
Idem on peut ne pas aimer Kaufmann, mais lui reprocher une absence de legato, c’est ne pas avoir entendu la même chose que moi! Y’a t’il tant de Lohengrin de nos jours, pour qu’on prenne de si haut un si bon chanteur? Je le trouve tellement plus à sa place qu’une petit voix comme Klaus Florian Vogt! Mais je ne critique pas ce dernier, juste je ne me déplacerai pas pour l’entendre dans un répertoire dans lequel il n’a rien a faire.
Quant à Dasch, elle n’a pas du tout la voix d’Elsa mais elle a le mérite d’avoir sauvé la soirée. Quel dommage de cracher ainsi dans une soupe qui a visiblement, et malgré ses défauts, été particulièrement soignée.