L’ÂGE DU CAPITAINE LISSNER…OU MINESTRONE ALLA MELONI

Quelques éléments pour comprendre les enjeux réels du départ forcé de Stéphane Lissner de Naples…

 

Les relations entre la France et l’Italie ne se sont pas améliorées grâce à Gerald Darmanin et ses « externations » (une francisation d’un mot italien esternazione utilisé il y a quelques décennies à propos de déclarations intempestives répétées de Francesco Cossiga, alors Président de la République Italienne) contre Giorgia Meloni, le Président du conseil italien (elle ne veut pas de féminisation de la charge, elle est un-homme-un-vrai), d’extrême droite. Elle serait incapable de gérer les questions d’immigration, une affirmation qui viserait en même temps l’éventuelle incapacité du Rassemblement national à résoudre la même question dans la France d’un éventuel futur. Un coup de billard à deux bandes en quelque sorte.
Quelques journalistes ou articles ont ensuite fait le lien avec le décret que le gouvernement Meloni a promulgué le 4 mai dernier stipulant que les « Sovrintendenti » étrangers d’opéras ne pouvaient dépasser 70 ans, visant en premier lieu Stéphane Lissner, 70 ans depuis janvier dernier, et Dominique Meyer, 70 ans en 2025. Ainsi, la tension entre les deux pays viserait aussi ces français à la tête de deux théâtres emblématiques ô combien de la péninsule, le plus célèbre théâtre du monde, la Scala, et le plus ancien grand théâtre italien, au passé glorieux et au présent plus difficile, le Teatro San Carlo de Naples. En plus, c’était facile d’accuser les néofascistes de préférences nationales, voire nationalistes : les pauvres petits français victimes des méchants nationalistes italiens.
En fait c’est beaucoup plus compliqué, d’abord parce que personne n’a relevé la présence parmi les sovrintendenti d’opéras de la Péninsule d’un troisième français, Mathieu Jouvin, à la tête du moins emblématique Teatro Regio di Torino, l’opéra de Turin, il est vrai bien plus jeune (44 ans) et non concerné par le décret « scélérat ».

Ni Lissner ni Meyer ne sont des perdreaux de l’année, ils ont eu chacun une carrière complète, enviable, glorieuse, et leurs postes italiens ne sont que des cerises sur un gâteau énorme qu’ils ont déjà mangé et digéré. Pour chacun, c’est le mandat en plus – pas forcément en trop d’ailleurs- rejoints dans leur situation par Alexander Pereira, qui a démissionné il y a quelques mois de l’Opéra de Florence pour d’autres raisons, suite à un lâchage politique local, sinon le dit décret l’aurait atteint lui-aussi (il a plus de 75 ans). On ne pleurera pas sur leur situation personnelle, même s’ils sont en l’occurrence victimes d’un décret dont la brutalité est aussi l’indice du style du gouvernement qui l’a promulgué.
Ensuite, c’est essentiellement de Lissner dont il s’agit puisque Dominique Meyer n’est concerné que dans la mesure où il atteindra 70 ans dans dix-huit mois, en 2025, l’année où son contrat actuel arrivera de toute manière à échéance, et c’est donc bien moins traumatique…

Pourquoi Lissner ?
La présence à la tête d’opéras italiens de Sovrintendenti étrangers est relativement récente, une petite vingtaine d’années, et c’est la nomination de Stéphane Lissner à la Scala qui en a inauguré la mode en 2004, suite à la démission de Carlo Fontana et du départ de Riccardo Muti de la direction musicale. Si la fonction est symbolique et que la Scala en Italie est une institution emblématique, tout comme le San Carlo, il reste que dans la marée de problèmes du pays, il peut paraître suspect qu’un décret règle toutes affaires cessantes un problème de sovrintendente d’opéra.
Essayons donc d’y voir clair car dans cette affaire il y a à la fois les faits avérés, les dessous, et d’évidentes motivations politiques, c’est un faisceau (aucune référence à des « fasci » bien connus du passé) de données qui sans doute aboutissent à la situation présente, où miroir et alouettes se sont singulièrement rapprochés.

En visant Lissner, le gouvernement pensait jouer sur du velours.
Il y a en effet à la fois une opportunité politique et de l’autre une vieille animosité contre Lissner, partagée par une partie du milieu musical italien, qui remonte à loin, et plonge ses racines dans la manière dont il a été nommé à la Scala. Pour le percevoir, il faut essayer de comprendre comment fonctionnait, et comment fonctionne la gestion du lyrique en Italie.

Comment sont gérés les opéras en Italie ?
La loi actuelle sur les Fondations Lyriques et symphoniques remonte à 1996, et elle fait suite à une loi de 1967 qui reconnaissait le “caractère d’intérêt général” de l’activité lyrique et symphonique “dans la mesure où elle est destinée à favoriser l’éducation musicale, culturelle et sociale de la communauté nationale”.
Ainsi, en 1967, l’État a attribué aux institutions lyriques et symphoniques l’autonomie, une personnalité juridique de droit public, s’engageant, par l’attribution de subventions publiques, à la protection, au développement et à la valorisation de ce secteur. Mais le système a manqué de souplesse et surtout les financements n’arrivaient pas en temps et heure, obligeant les institutions à des prêts bancaires pour continuer l’activité en attendant les subventions, avec les difficultés inhérentes (intérêts bancaires etc..) sans permettre aux privés d’entrer dans ces institutions pour compenser le défaut de l’État.

En outre, on mettait à la tête des institutions lyriques un triumvirat :

  • Sovrintendente, chargé de la gestion et responsable suprême de l’institution
  • Direttore artistico (directeur artistique, « aux compétences musicales reconnues ») chargé de l’organisation des saisons et de toute la partie artistiques (chanteurs, metteurs en scène etc…)
  • Direttore musicale (directeur musical) dont la charge principale était de diriger des concerts symphoniques avec l’orchestre du théâtre et quelques productions de la saison.

L’avantage politique de ce système à trois têtes était surtout dans un pays de régime parlementaire de permettre aux partis en place de se partager les postes (la fameuse lottizzazione), là où le sovrintendente était Démocratie chrétienne, le directeur artistique était d’opposition de gauche et vice-versa, le plus souvent avec des compétences reconnues pour chacun parce que chaque parti avait ses intellectuels, ses grands commis etc…

Le nouveau système de Fondations de 1996 a fait de ces institutions des personnalités juridiques de droit privé, mais gérées de manière hybride par le public et le privé, permettant une implication plus forte des acteurs publics locaux, villes, provinces, régions, mais aussi permettant l’entrée au pot financier d’acteurs privés. En réalité, les privés ont bien voulu participer au financement des institutions les plus prestigieuses, mais les autres Fondations, moins médiatiquement juteuses ont connu tour à tour des jours très difficiles que ce soit l’Arena di Verona, le Petruzzelli de Bari, l’opéra de Florence, le Carlo Felice de Gênes…
Ces sovrintendenti étrangers étaient censés aussi apporter dans la corbeille de la mariée des sponsors en nombre – Pereira en particulier, qui avait si bien réussi à Zurich – ce qui n’était pas indifférent dans un pays surendetté qui ainsi voyait ses charges allégées dans les théâtres qui coûtaient le plus cher.
Enfin, la loi sur les Fondations ne fait plus une obligation du triumvirat Sovrintendente/Directeur artistique/Directeur musical. Elle stipule que le Sovrintendente « peut » être assisté d’un directeur artistique et d’un directeur administratif, mais elle donne clairement au Sovrintendente la prééminence.
De plus, Lissner a inauguré une autre mode, appliquée aussi bien ensuite par son successeur Alexander Pereira que par Dominique Meyer, celle de cumuler les fonctions de Sovrintendente et de Direttore artistico, sur le modèle en cours dans toutes les autres maisons d’opéra non italiennes.
Le milieu musical italien a très mal supporté ce changement et garde encore la conviction qu’un directeur artistique est nécessaire, qui, selon la loi devait être de « compétence musicale éprouvée ». Signalons au passage que le troisième larron français, Mathieu Jouvin, à Turin, est flanqué d’un Directeur artistique, ce qui contribue ainsi à le « dédouaner ».
Quand Stéphane Lissner se montra à la TV incapable de reconnaître un certain nombre d’airs d’opéra, cela fit plus que jaser sur sa « compétence musicale éprouvée » (il s’en est largement expliqué depuis) même s’il reste qu’il n’a pas si mal réussi là où il est passé, Châtelet, Aix, Real Madrid, Wiener Festwochen, Scala, Paris et même Naples, où malgré les difficultés, il propose une programmation plutôt flatteuse qu’on n’avait pas vue à Naples depuis longtemps (voir sa prochaine saison dans ce Blog bientôt).
Mais il était le plus fragile, parce la situation napolitaine est difficile à plusieurs niveaux, que les forces artistiques locales sont la grande faiblesse de la maison, et que le théâtre lui-même a besoin de restaurations.
Les restaurations coûtent, mais remettre sur pied des forces artistiques et les projeter à un niveau international coûte de l’argent, demande du temps, et provoque en plus beaucoup de douleur. Il est évident qu’il a les mains relativement liées, que cela se sait et que sa position est donc a priori délicate, même si Lissner en a vu d’autres et qu’il a toujours été très habile.
D’où le coup d’arbalète qui l’a visé le 4 mai dernier avec le décret du gouvernement : il visait un maillon plus faible, supposant que le milieu musical italien et le milieu local napolitain ne broncheraient pas.
De fait, le Maire de Naples a simplement pris acte de la situation en déclarant le 16 mai : Le nouveau directeur du Théâtre San Carlo sera choisi par le biais d’un appel d’offre, après le départ à la retraite de Stéphane Lissner le 1er juin prochain en raison du décret (du 10 mai 2023 n° 51) qui envoie les directeurs étrangers des fondations symphoniques lyriques à la retraite après l’âge de 70 ans.
Telle serait la volonté du maire de Naples Gaetano Manfredi, et président de la Fondation, qui a illustré lors de la réunion du Conseil, les effets du décret et les scénarios qui s’ouvrent pour le théâtre napolitain à moins d’un mois de la présentation de la saison  23/24 (élaborée par Lissner). Sans autre forme de procès…
Au cours de cette réunion, le Conseil a approuvé les comptes 2022 du théâtre, avec le seul vote négatif de la Région, à cause de coûts supplémentaires (frais de logement) s’ajoutant au salaire du Sovrintendente, mais aussi de coûts d’embauches de 66 personnes (en réalité des transformations de CDD en CDI et d’autres éléments financiers considérés comme excessifs.
Tout cela nous montre que la position de Stéphane Lissner, pas contestée artistiquement, était très affaiblie sur la place de Naples, alors que son intronisation il n’y a pas si longtemps l’avait été avec tambours et trompettes… La Politica è mobile qual piuma al vento pour pasticher le Rigoletto de Verdi.

Il reste qu’une fois de plus le politique tue dans l’œuf un projet qui gardait sa fascination et son intérêt parce que Naples, qui fut et reste un phare de la culture, mérite un San Carlo digne d’elle. Impossible de travailler sur le long terme, une expression insultante dans un monde gouverné par le tout, tout de suite
Mais les politiques de ce côté-ci ou de ce côté-là des Alpes adorent la culture, surtout comme variable d’ajustement. Sans compter qu’en Italie l’opéra est aussi en crise, et plus encore le théâtre, mis à terre, malgré des noms comme Castellucci (désormais plus intéressé par l’opéra, plus lucratif), ou mieux Emma Dante et Pippo Delbono, qui continuent de porter fortement un vrai travail de création et où les scènes napolitaines ont une place particulière pour la créativité. Un paysage pour le reste complètement dévasté.

Le fameux décret
Le décret du 4 mai dernier dont voici le texte  ( DECRET 70ans  en italien) stipule qu’il s’agit de rétablir l’égalité de traitement pour certaines charges à l’intérieur des Fondations Lyrico-symphoniques, « L’intervention réglementaire découle d’une nécessité générale de réorganiser une matière marquée par des incohérences évidentes dans la détermination de l’âge de la retraite des surintendants des fondations lyriques-symphoniques. En effet, il existait des limites différentes en fonction de l’origine et de la nationalité du sujet. Une situation qui, de fait, discrimine les citoyens italiens. »
En fait, les Sovrintendenti italiens qui ont fait leur carrière dans l’administration publique italienne sont tenus à partir en retraite à l’âge maximum de 70 ans, alors que les étrangers, même retraités dans leur pays, peuvent signer un contrat de droit privé qui n’est pas soumis aux mêmes règles.
Le décret en conclut : « La loi approuvée aujourd’hui par le Conseil des ministres intervient dans plusieurs directions, en rétablissant le principe d’égalité au sein des fondations d’opéra. D’une part, elle permet d’accorder des nominations à tous, pensionnés ou non, jusqu’à l’âge de soixante-dix ans. D’autre part, il fixe la limite statutaire obligatoire de soixante-dix ans pour le poste de surintendant : lorsque cet âge est atteint, le contrat est automatiquement résilié. Enfin, un règlement transitoire est édicté pour ceux qui ont déjà atteint cette limite, afin de permettre une transition ordonnée et, en même temps, un renouvellement des générations. »
Voilà un décret gouvernemental qui ne traite que d’une seule fonction, celle de Sovrintendente (Surintendant) et qui ne vise donc dans l’immédiat qu’un seul manager, Stéphane Lissner. Cela ressemble à un décret ad hominem, avec une méthode peu orthodoxe, sous prétexte d’égalité de traitement italiens/étrangers. Quelle bouillie ! Un vrai minestrone…

La fin des « Enti lirici » et la naissance des Fondations n’a pas dans la mémoire collective supprimé la double fonction directeur artistique/Sovrintendente, une des questions douloureuses qui traverse l’organisation des opéras et les sovrintendenti visés,  mais elle a renforcé les pouvoirs locaux en matière de nominations, sans d’ailleurs supprimer les excès politiques : à Turin un excellent sovrintendente, Walter Vergnano, en charge depuis 19 ans, a été forcé à la démission par la nouvelle municipalité « Cinque stelle » en 2018, qui a profité d’un accident survenu dans le théâtre pour l’accuser de mauvaise gestion et a nommé un notoire incapable, source de catastrophes à répétitions pour l’institution.

En France, le localisme (un terme je crois chéri par le Rassemblement National) appliqué à la culture cache quelquefois des choix partisans (le terme est faible) ou féodaux, où la culture ne vaut que vassalisée, comme le montre Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes.

C’est différent en Italie, où l’État n’a pas eu le pouvoir régulateur en matière de culture qu’il a pu avoir en France (L’État Culturel, selon l’expression célèbre de Marc Fumaroli).
En effet, le président du « Consiglio d’indirizzo », le conseil d’administration des opéras est le Maire de la ville où est installé le théâtre, et la nomination du Sovrintendente dépend beaucoup du maire et des contextes locaux. C’est vrai dans le cas de Naples où Lissner avait été nommé avec le soutien conjoint du maire de Naples (Gaetano Manfredi, indépendant soutenu par une coalition de centre gauche) et du président de la région Campanie (dirigée par Vincenzo de Luca, du parti démocratique – le grand parti de gauche) et on a vu que c’est moins vrai en ce moment, c’est aussi le cas de Florence, où Pereira a été très appuyé par la mairie de Florence (Dario Nardella, du Partito Democratico ) jusqu’à ce qu’elle le lâche, et c’est enfin le cas à Milan où Dominique Meyer était et reste très soutenu par le Maire de Milan,  Giuseppe Sala (Centre gauche).
On le remarque, les trois sovrintendenti étrangers de Milan, Naples, et Florence ont été appelés et nommés par des municipalités de gauche ou centre gauche, dans l’opposition aujourd’hui. Ce n’est pas indifférent.

Mais le pouvoir italien actuel et notamment les néo-fascistes (et Forza Italia) ont des tendances centralisatrices, au contraire de la Lega de Matteo Salvini fortement fédéraliste. Et ils ont très vite envie de peser plus sur les nominations des plus hautes charges y compris culturelles (directeurs de musée ou directeurs d’opéra). Le sous-secrétaire d’Etat à la culture Vittorio Sgarbi, un critique d’art plus connu dans les médias que dans les musées pour ses polémiques à répétition a souvent pointé les étrangers à la tête d’institutions culturelles italiennes, et la manœuvre anti-Lissner cache une autre manœuvre que les presses française et italienne ont relevé, sans toujours d’ailleurs mesurer les arcanes du tir en cascade qui est mis en place.
L’idée est d’abord de donner à l’État un rôle plus actif dans le choix des personnes qui gouverneront les institutions culturelles (et autres) (le modèle est français… ) en orientant les appels d’offre et ainsi couper l’herbe sous les pieds des institutions locales.
C’est ce qui était prévu pour Naples. Lissner vidé, on installait presque directement quelqu’un d’autre…
L’enjeu, en fait, n’est pas le San Carlo dont le gouvernement se soucie aussi peu que de sa dernière chemise (noire), mais tout d’abord sa première cible – avant d’autres-, la RAI, « mamma RAI », à la tête de laquelle était Carlo Fuortes, ancien Sovrintendente de l’Opéra de Rome, aujourd’hui démissionnaire.

Qui est Carlo Fuortes ?
C’est un universitaire, spécialiste de l’économie de la culture, il a dirigé pendant de nombreuses années l’Auditorium Parco della Musica, l’ensemble construit par Renzo Piano au nord de Rome où se déroulent les grands concerts symphoniques, il a été en 2012-2013 commissaire extraordinaire pour sauver de la faillite le Teatro Petruzzelli de Bari, mais aussi l’Arena di Verona en 2016 qu’il a sauvée du désastre. Et de 2013 à 2020, il a été aussi le Sovrintendente du Teatro dell’Opera di Roma à qui il a redonné une armature, avec l’aide de Daniele Gatti comme directeur musical. En somme, un personnage non seulement important, mais surtout intelligent, inventif, ouvert, que tout le monde donnait logiquement comme futur Sovrintendente de la Scala de Milan : c’est l’un des deux meilleurs managers lyriques en Italie aujourd’hui (avec Francesco Giambrone, son successeur à Rome) et sa nomination de l’opéra de Rome à la RAI a suivi l’exemple de celle de son lointain prédécesseur Paolo Grassi, nommé de la Scala à la RAI en 1977. Un profil de gauche modérée, assez consensuel, idéal pour Mamma RAI, comme on dit en Italie.
Or, à un poste aussi sensible avec un gouvernement dont tout le monde sait qu’il ne partage pas les idées, il était sur un siège éjectable ou sur un tapis de peaux de bananes. Il a donc préféré démissionner, en insistant sur les intrusions intempestives du pouvoir sur la programmation, et empêchant ainsi ce qui bruissait dans toute la presse, à savoir son arrivée illico presto à Naples au San Carlo en remplacement de Stéphane Lissner.

La manœuvre Lissner/Fuortes
Voici les termes conclusifs de la démission de Carlo Fuortes :
« Je ne peux pas, pour faire approuver les nouveaux plans de production par le conseil d’administration, accepter le compromis de consentir à des changements – bien qu’évidemment légitimes – de ligne éditoriale et de programmation que je ne considère pas comme étant dans l’intérêt de la RAI. J’ai toujours considéré la liberté de choix et d’action d’un directeur comme un élément essentiel de l’éthique d’une entreprise publique. Mon avenir professionnel – dont on parle beaucoup dans les journaux ces jours-ci, pas toujours à dessein – n’a pas d’importance face à ces raisons et ne peut pas faire l’objet de négociations. Je prends donc acte que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre mon travail d’Administrateur délégué (NdR : titre du directeur de la RAI). Dans l’intérêt de l’entreprise, j’ai communiqué ma démission au ministre de l’économie et des finances”. »
En démissionnant, Fuortes coupe l’herbe sous le pied du gouvernement qui n’aurait de toute manière pas manqué de le renvoyer à ses chères études dans les prochaines semaines : il en dénonce officiellement les manœuvres et les pressions, regagne sa liberté de parole et surtout susurre que la nomination à Sovrintendente (de Naples ou d’ailleurs) ne peut être lubie gouvernementale décidée à l’avance, ce que les stratèges du gouvernement Meloni avaient semblé oublier. Il a d’ailleurs par ailleurs précisé : « compte tenu de cette situation, il n’y a pas, à mon avis, de conditions pour occuper le poste de directeur du théâtre San Carlo ».
Le gouvernement pensait jouer sur du velours oubliant un peu que l’Italie c’est le pays de Machiavel (versant noble) et de la combinazione (version sale), il a surtout voulu aller un peu vite en besogne, faisant de Lissner le premier pion d’une manœuvre bien plus large et d’un plan visant clairement à placer ses propres hommes là où c’est important, utilisant les opéras pour leur statut prestigieux et leur importance politique très relative pour recaser noblement les démissionnés.
L’enjeu, ce sont donc les procédures de nomination pour que l’Etat-Meloni s’installe partout, et en priorité à la RAI, déterminante pour avoir un paysage médiatique avec pour pôle public une RAI instrument du pouvoir, et pour pôle privé les trois grandes chaines encore aux mains d’un Berlusconi affaibli par la maladie et momifié par les liftings, mais toujours aux aguets et surtout partie de la majorité gouvernementale. Donc au total les six grandes chaines de télévision seraient aux mains du pouvoir. Pluralisme quand tu nous tiens.
Il reste que l’Italie étant ce qu’elle est, les majorités les plus solides le sont toujours jusqu’à ce qu’elles s’autodétruisent, au jeu très italien du je te tiens tu me tiens par la barbichette, et qu’il faut du temps pour qu’un parti s’installe dans tous les rouages d’un pays, même si la Meloni médite une réforme constitutionnelle qui affaiblirait le parlementarisme. L’illibéralisme, cela prend du temps, et dans un pays aussi clanique et morcelé que l’Italie, plus de temps encore : la bête ne se laisse pas dévorer sans mordre.

Et maintenant ?
Maintenant la RAI est libre et le pouvoir va pouvoir y placer un de ses vassaux.
Du côté des opéras c’est moins clair. Lissner a annoncé qu’il allait attaquer l’État italien, même si l’issue est incertaine et sa position évidemment très affaiblie. Mais ce n’est pas lui l’enjeu, il n’a été que le bouc émissaire d’un jeu qui le dépasse. Exit de toute manière.
Fuortes en démissionnant s’est remis sur le marché. Le voir à Naples, pour lui qui a été à la tête de l’opéra de Rome et qui visait après Rome la Scala serait une sorte de prestigieuse déchéance et accepter Naples après toute cette affaire serait passer sous les fourches caudines du pouvoir et donc une humiliation. De son côté le Maire de Milan, Giuseppe Sala, a exclu il y a quelques jours l’appel à Carlo Fuortes pour la Scala. Il est un soutien inconditionnel de Dominique Meyer, et ne semble pas porter Fuortes dans son cœur « en dépit de l’estime pour l’homme » (héhé). On dit que Meyer aurait été nommé à Milan pour lui barrer la route. C’est pourtant le seul capable à mon avis de succéder à Dominique Meyer, sans l’ombre d’un doute.

Mais voilà une preuve de plus des faits et méfaits des localismes, ce qui me fait sourire tristement puisque je viens aussi de dénoncer les manœuvres d’État pour avoir la main sur les nominations…
La réalité la plus triste en effet, c’est que ce n’est jamais le projet qui gouverne les décisions, mais les haines politiques cuites et recuites, et les manœuvres de haut ou bas étage qui font des nominations d’où qu’elles viennent des coups de billard à mille bandes dont la subtilité n’a d’égale que la médiocrité.

Il serait erroné de toute manière de se passer d’un grand manager culturel comme Fuortes, il a 64 ans, et la loi lui laisse apparemment encore six ans pour en diriger un. Il lui resterait pour l’instant Florence, sans sovrintendente mais avec un commissaire extraordinaire, où il pourrait reconstituer le « couple » qui a si bien réussi à Rome, avec Daniele Gatti.
Et de toute manière, outre Florence et Naples, désormais libres, il va falloir très vite choisir un successeur à Dominique Meyer à la Scala pour des questions de programmation évidentes, même si en Italie les délais sont bien moins anticipés qu’ailleurs et que ce type d’histoire est à tiroirs……

Je ne sais si vous avez tout suivi, mais c’est …

… À suivre !

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO ALLA SCALA

La saison de la Scala est parue et avec elle son cortège de discussions et de considérations diverses. Il y a ceux qui défendent les choix et il y a ceux qui s’en désolent, comme de juste. Mais en l’occurrence la Scala ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Au vu de cette saison et de quelques autres il est clair que le Teatro alla Scala peine à rester un leader artistique en Europe. Certes le théâtre reste un phare « mythique », mais sa programmation n’a plus la force d’entraînement qu’elle a pu avoir jadis, et elle n’est plus une référence musicale, sauf à de rares exceptions. La Scala est essentiellement un objet médiatique qui fonctionne encore…. Si la saison est attendue avec curiosité, c’est par un vague espoir que ses couleurs en seront ravivées. Ce n’est encore pas le cas pour 2022-2023.

Il y a déjà belle lurette que la Scala n’est plus la référence européenne  ou “le plus grand théâtre lyrique du monde”, même s’il en est encore sans aucun doute le plus célèbre : pas de productions phares, pas de voix nouvelles découvertes, peu de chefs d’envergure – nous avions à ce propos la saison dernière proposé une comparaison cruelle avec une saison du passé.
Mais, plus étonnant, la Scala est en train de perdre aussi ce statut en Italie où d’autres institutions proposent des productions qui attirent plus, des spectacles plus avancés, plus intelligemment distribués et plus ouverts. En bref qui font plus envie.
Cette maison vit sur sa gloire passée, sur son histoire et sa mythologie, et c’est un peu ce qui lui reste: une force d’inertie. Mais elle n’a plus de couleur artistique claire, comme si le pouvoir avait été pris par un algorithme qui prévoit un certain nombre de productions selon des recettes qui recommandent la voie moyenne, sinon quelquefois la poussière, à tous les niveaux. Une saison anonyme, qui n’apparaît être faite que par dosages sans envie, et pourtant malgré une vraie variété dans l’offre et des choix qui peuvent sans aucn doute séduire: paradoxal, je sais.

Les innovations, on les trouve dans un nouveau design pour l’image du matériel promotionnel de la Scala (à part les affiches et « locandine » historiques) ou une façade qui va retrouver les couleurs originales voulues par son architecte Piermarini et un nouveau bâtiment qui agrandit les espaces arrière. La Scala s’agrandit, la Scala ne cesse de se moderniser, c’est parfait, mais pour quelle politique?
Si innovation et couleur pouvaient aussi inonder autre chose que design et façade, on penserait moins à Potemkine…

Il y a longtemps que le spectateur que je suis a constaté cette très lente dégradation : elle ne date pas de cette année ni de la saison précédente, elle a commencé par l’ère Muti, qui au moins avait pour garantie un chef d’envergure dont on pouvait ne pas partager les options, mais qui était très présent . Il y a eu aussi la période Barenboim qui a redonné du brillant, même si Stéphane Lissner était critiqué : mais tout de même, Lohengrin de Claus Guth avec Kaufmann et Harteros, Tristan de Chéreau avec Meier, et le Ring de Cassiers, ou La Traviata de Tcherniakov avec Gatti en fosse, qu’on partage ou non les options des mises en scène, tout cela avait de la gueule.
On chercherait en vain un spectacle qui ait « de la gueule » aujourd’hui, malgré des forces locales toujours exceptionnelles quand elles sont motivées et emportées par l’envie: c’est un point à souligner, choeur, orchestre, et techniciens restent parmi les équipes les plus enviables au monde.
Quant à la saison, un peu de Kaufmann et un peu de Netrebko ne font pas une saison brillante, même si, reconnaissons-le, les temps que nous traversons sont difficiles pour tous les théâtres : mais comment expliquer que la Scala, le théâtre le mieux doté d’Italie, soit l’un des moins stimulants ?

Sur les 14 productions d’opéra certaines peuvent attirer et même valoir le voyage, d’autres choix sont inexplicables et d’autres enfin sans autre intérêt que remplir un agenda. C’est une somme sans ligne, parce que cela va dans tous les sens. Pas de ligne artistique, mais simplement un souci de gestion des attentes supposées du public. Il aime Bohème de Zeffirelli ? on lui donne La Bohème de Zeffirelli. Il rêve au nom de Strehler, si lié à cette maison, on lui sert des Nozze di Figaro qui ne sont que la resucée en moins bien du spectacle parisien. Qu’importe puisque tout le monde, depuis 1981 (date de la production) a oublié…
La politique des metteurs en scène évite soigneusement les grands noms qui circulent dans toute l’Europe et même aux USA aujourd’hui (même à New York qui est pourtant un temple du conservatisme), on cherche soit les morts, les poussiéreux qui l’étaient déjà il y a vingt ans et au mieux ceux qui frôlent de loin une apparence de modernité non dérangeante en se risquant à un ou deux noms à la mode qui apaiseront les regards critiques.

En fait, on n’aime pas le théâtre en ce moment à la Scala. C’est assez singulier dans cette maison, qui accueillit Visconti, Strehler, Ronconi, Lioubimov, Vitez, Ponnelle, Wilson et plus récemment Tcherniakov, Cassiers, Bondy et Chéreau. Mais le phénomène a commencé dès le mandat de Riccardo Muti comme directeur musical, où les spectacles ont perdu de leur intérêt. Le passage de Lissner, si décrié par certains milanais, à un peu rafraîchi l’offre, mais celui d’Alexander Pereira est resté bien trop prudent en la matière.
Mais qu’un Barrie Kosky qui n’est pas un révolutionnaire soit encore inconnu à Milan, ou pire, un italien comme Romeo Castellucci, salué dans le monde entier, c’est tout de même d’un ridicule achevé. On leur préfère Davide Livermore, herméneute de la superficialité insignifiante, qui a son rond de serviette depuis des années et dont on reverra le Macbeth insupportable cette année, avec, en plus une nouvelle production des Contes d’Hoffmann sans doute plumes, paillettes et vidéo.
Même étrangeté dans la politique des chefs d’orchestres, erratique, entre très grands noms particulièrement légitimes et chefs de répertoire à la viennoise (ce qui n’est pas forcément un compliment) dans le théâtre le plus symbolique du système stagione, où le choix du chef est essentiel pour chaque production, où comme disait il y a 50 ans Paolo Grassi, le résultat de la représentation du soir est déterminant et où la programmation devrait être, disent d’autres, le Festival permanent: quand on est la Scala, trouver une dizaine de chefs de bon profil ne doit pas être si difficile … Visiblement, comme on ne les trouve pas, cela signifie qu’ils sont ailleurs et que la Scala n’a plus de pouvoir d’attraction, ou bien, plus vraisemblable, qu’on n’a pas envie de les chercher.
Mais c’est aussi un débat qui remonte à très loin puisque déjà Carlo Fontana répondait que les « grands » chefs ne voulaient plus faire d’opéra hors de leur propre maison. Alors quand on regarde le passé,  les saisons de la Scala sont quelquefois contrastées mais dans l’ensemble elles se tiennent du point de vue des choix de chefs, comme le montrent les cinq exemples ci-dessous : il y a des noms très connus aujourd’hui, mais à l’époque, c’était des chefs plus jeunes, voire débutants, et leur carrière depuis montre que le théâtre avait eu du nez…
Cinq saisons au hasard ( 3 sous Carlo Fontana/Riccardo Muti, et 2 sous Stéphane Lissner/Daniel Barenboim) assez différentes et considérons seulement  les noms des chefs invités

  • 1988-1989 :
    (saison avec tournée du Bolchoï) Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Gianandrea Gavazzeni, Daniele Gatti (débuts), Alexandre Lazarev (Bolchoï), Andrei Christiakov (Bolchoï), Gary Bertini, Tiziano Severini, Lorin Maazel, Gennadi Rozhdestvenski, Zoltan Pesko
    Riccardo Muti, directeur musical (6 productions)
  • 1997-1998 :
    Zoltan Pesko, Massimo Zanetti, Gianluigi Gelmetti, Riccardo Muti, Donald Runnicles, Adam Fischer, Valery Gergiev, Bruno Campanella
    Riccardo Muti, directeur musical (3 productions)
  • 1998-1999 :
    Riccardo Muti, Bruno Bartoletti, Giuseppe Sinopoli, Mstislav Rostropovitch, David Robertson, Riccardo Chailly, Gary Bertini.
    Riccardo Muti, directeur musical (5 productions)
  • 2010-2011:
    Daniel Barenboim, Omer Meir Wellber, Daniel Harding, Edward Gardner, Roland Boër, Susanna Mälkki, Yannick Nézet-Séguin, Franz Welser-Möst, Nicola Luisotti, Antonello Allemandi, Rinaldo Alessandrini, Roberto Abbado, Philippe Jordan, Valery Gergiev
    Daniel Barenboim, (1 production) n’était pas encore directeur musical il le sera la saison suivante.
  • 2011-2012
    Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel, Daniele Rustioni, Enrique Mazzola, Fabio Luisi, Gianandrea Noseda, Robin Ticciati, Andrea Battistoni, Nicola Luisotti, Marc Albrecht, Marco Letonja, Omer Meir Wellber
    Daniel Barenboim, directeur musical (2 productions)
    Ces cinq exemples parlent d’eux mêmes.

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Cette saison Il y a quatorze productions d’opéra entre reprises et nouvelles productions.
On compte donc :

Nouvelles productions :

Boris Godounov
I Vespri Siciliani
Les contes d’Hoffmann
Li Zite n’galera
Lucia di Lammermoor
Rusalka
Peter Grimes
L’Amore dei tre re’

Reprises :
Salomé : même si la production n’a pas été vue par le public, elle a été, répétée et retransmise en streaming en 2021, c’est donc une reprise.
La Bohème
Andrea Chénier
Macbeth
Il Barbiere di Siviglia
Le nozze di Figaro

Au palmarès des compositeurs :

Répertoire italien
1 Vinci
1 Rossini
1 Donizetti
2 Verdi
1 Puccini
1 Giordano
1 Montemezzi

Répertoire non italien
1 Mozart
1 Offenbach
1 Moussorgsky
1 Dvořák
1 R.Strauss
1 Britten

Un peu de tout, couvrant scrupuleusement toutes les périodes de l’art lyrique, des compositeurs au profil classique, des metteurs en scène éprouvés sinon éprouvants, quelques bons à très bons chefs et deux chefs de grande envergure dont le directeur musical, d’autres chefs qui ailleurs font du répertoire pour une bonne moitié des productions, et des distributions correctes sans remuer les tripes.
J’ai lu avec amusement à propos de cette saison « pluie de stars » : il faudrait s’entendre sur la qualification de « star » Yoncheva ? Rebeka ? Allons donc… J’en trouve trois sur 14 productions, Kaufmann, Netrebko, Flórez… une bruine plutôt qu’une pluie. Et d’ailleurs, les stars viennent sur une ou deux productions, jamais plus, donc c’est un épiphénomène.

 

Décembre 2022
Modest Moussorgski
Boris Godounov

8 repr.(comprises l’Avant-première jeunes (4/12) et la « Prima » (7/12) et du 10 au 29 déc.) – Dir : Riccardo Chailly / MeS : Kasper Holten
Avec Ildar Abdrazakov, Ain Anger, Misha Didyk, Norbert Ernst…
43 ans après la production mythique de Iouri Lioubimov, dirigée par Claudio Abbado dans la version originale (version 1872) de Moussorgski (qui en fait lança cette musique dans tous les théâtres du monde jusque-là habitués à la version Rimsky), la Scala produit un nouveau Boris Godounov. Certes, depuis 1979, l’œuvre a été reprise en 1980-1981, puis le Bolchoï en 1988-1989 l’a présentée en tournée, et Gergiev a dirigé les forces de la Scala dans la production du Mariinski en 2001-2002, mais c’est la première production « maison » du chef d’œuvre de Moussorgski depuis 1979.
En outre, cette ouverture de saison sera marquée par la présentation de la version originale de 1969. Évidemment la direction de Riccardo Chailly sera particulièrement guettée car c’est là que se situe le plus grand intérêt. La distribution solide est quand même assez attendue, avec Ildar Abdrazanov en Boris, évidemment inévitable, avec un Ain Anger en Pimen qu’on eût pu peut-être éviter (ses dernières prestations sont médiocres), mais Misha Didyk est un autre des chanteurs « attendus », qui a l’avantage d’être ukrainien (important un soir de Prima) encore qu’il y ait des ténors russes aujourd’hui bien plus intéressants dans ce rôle. Norbert Ernst en Shuiski en revanche est une jolie idée.
La mise en scène est signée de Kasper Holten, qui avait fait un Ring remarqué à Copenhague en 2006, mais qui depuis n’a pas imprimé les mémoires par des productions notables.
Le débat a porté dans la critique italienne sur la présence d’un entracte, qui ne se justifie pas dans la version de 1869. Mais comment peut-on imaginer une Prima du 7 décembre sans entracte, autant enlever 95% de l’intérêt de la soirée… Enfin, Der fliegende Holländer, qui se joue sans entracte partout dans le monde, a des entractes à la Scala… Quand on vous dit que ce théâtre est unique…

Janvier 2023
Richard Strauss
Salomé

6 repr. du 1er au 31 janv. – Dir : Zubin Mehta/MeS : Damiano Michieletto
Avec Vida Miknevičiūtė, Michael Volle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Linda Watson…
Comme ailleurs, les productions sacrifiées sur l’autel du Covid reviennent devant le public. Celle-ci avait été doublement frappée : d’une part Zubin Mehta, prévu, avait déclaré forfait et c’est Riccardo Chailly qui avait dirigé à sa place (magnifique interprétation d’ailleurs), et d’autre part, le confinement avait contraint la Scala à une reprise en streaming. Cette année, Mehta revient, et c’est l’attraction.
La production de Michieletto (qui ne m’a pas enthousiasmé) va enfin avoir droit à son vrai public, et attraction supplémentaire, c’est Vida Miknevičiūtė aujourd’hui appelée partout, qui va faire sa première apparition à la Scala en Salomé. Vaut le voyage donc, d’autant que Iochanaan sera l’immense Michael Volle, sauf le 31 janvier où ce sera Tomasz Konieczny. Hérode de choix avec Wolfgang Ablinger Sperrhacke, le meilleur ténor de caractère de langue allemande mais grave chute de goût avec Linda Watson en Hérodias quand on a sur le marché désormais Waltraud Meier… Conclusion : vaut le voyage

 

Février 2023
Giuseppe Verdi
I Vespri Siciliani

7 repr. du 28 janv. au 21 fev. – Dir : Fabio Luisi/MeS : Hugo de Ana
Avec Marina Rebeka/Angela Meade, Piero Pretti, Luca Micheletti/Roman Burdenko, Dmitry Beloselskiy.
Cette production n’est pas en soi une mauvaise idée : depuis la production Pizzi dirigée par Riccardo Muti en 1987-1988 et 1989-1990, pas de Vespri Siciliani à la Scala. Il est vrai aussi que ce n’est pas un titre typiquement scaligère. La confier à Fabio Luisi, solide, élégant, très ductile, ce n’est pas non plus un mauvais choix d’autant qu’il est très aimé de l’orchestre.
Mais donner la mise en scène à Hugo de Ana, qui avait déjà au début des années 2000 massacré un Trovatore dirigé par Muti, c’est une très mauvaise idée. De Ana est peut-être(?) un bon décorateur, mais un mauvais metteur en scène, et il écume les scènes depuis des années sans rien faire de vraiment original. De la vieillerie.
Distribution correcte sans être exceptionnelle, Marina Rebeka fait de belles notes, mais c’est de la glace à aigus. Angela Meade est une vraie Elena (entendue jadis au MET, et avec quel éclat !): si vous y allez, mieux vaut choisir les 11 ou 21 février. Piero Pretti est un bon ténor, mais sans grande personnalité, Dmitry Beloselskiy une belle basse, mais quand on a en Italie un Roberto Tagliavini… Pour Monforte, du neuf, Luca Micheletti qu’on voit plusieurs fois dans la saison, et Roman Burdenko, plus habituel.
Enfin, quand tous les théâtres désormais proposent le plus souvent la version originale en français, la Scala se distingue en programmant la traduction italienne. C’est une faute pour un théâtre qui se dit un temple verdien.
L’Opéra de Rome inaugura sa saison en 2019 par la version française « Les Vêpres siciliennes » sous la direction d’un Daniele Gatti au sommet. Ainsi on évitera les comparaisons…
Un spectacle globalement inutile des choix discutables, qui part sous de mauvais auspices.

Mars 2023
Giacomo Puccini
La Bohème

8 repr. du 4 au 26 mars – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Marina Rebeka/Irina Lungu, Irina Lungu/Mariam Battistelli, Freddie De Tommaso, Yongmin Park, Luca Micheletti
Présenter la énième fois la Bohème de Zeffirelli a été raillé par certains commentateurs ; je ne suis pas de cet avis dans la mesure où cette production attire à chaque fois un public ravi et qu’elle est une signature du théâtre, un des symboles de cette maison. Et donc on peut comprendre.
On peut comprendre aussi l’appel à la jeune cheffe Eun Sun Kim, qui dirige beaucoup en Europe. Et c’est aussi une bonne idée de faire appel à Freddie De Tommaso comme Rodolfo, qui est l’une des voix nouvelles intéressantes du répertoire italien qu’on commence à s’arracher, et le faire débuter à la Scala en Rodolfo qui n’est pas un rôle trop difficile, pourquoi pas ?
Pour le reste, Marina Rebeka en Mimi, ça n’a aucun intérêt, tant les Mimi écument les salles, et Rebeka ne me semble pas avoir le cœur puccinien (en tous cas elle ne me fait pas pleurer) et donner à Irina Lungu Mimi et Musetta en alternance, est-ce une si bonne idée ? On s’ingénie habituellement à bien séparer les deux typologies vocales.
Pour une Bohème à la Scala, l’alternative est simple : ou bien on appelle des stars, et là on crée un événement, ou bien on compose une distribution de jeunes très prometteurs (chef compris), sur Bohème c’est sans grand risque et il y a en Italie des chefs et des cheffes jeunes capables de diriger.
Là on est dans un entre deux, un peu fade, qui ne donne pas vraiment envie.

Mars 2023
Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann

6 repr. du 15 au 31 mars – Dir : Frédéric Chaslin/MeS : Davide Livermore
Avec Vittorio Grigolo, Ildar Abdrazakov, Eleonora Buratto, Federica Guida, Francesca Di Sauro, Marina Viotti
Pendant la saison 1994-1995, Les Contes d’Hoffmann fut signé Alfredo Arias et dirigé par Riccardo Chailly. Ça ne manquait pas de gueule. La production fut reprise plusieurs saisons et remplacée en 2012 par celle bien connue de Robert Carsen.
Une nouvelle production, pourquoi pas ?
Comme une saison n’est pas concevable aujourd’hui à la Scala sans Davide Livermore, on lui donne l’opéra fantastique, avec ses jeux d’images vidéos dont il a le secret, quelle que soit l’œuvre, mais au moins celle-ci s’y prêtera. Direction musicale Frédéric Chaslin, très apprécié par Dominique Meyer (bien moins par d’autres) et une distribution que Marina Viotti, Ildar Abdrazakov, Vittorio Grigolo et Eleonora Buratto rendent très solide.
Dans une saison qui ne brille pas par l’originalité, et où on donne pas mal de platitudes de luxe, des Contes d’Hoffmann paillettes sur scène peuvent attirer. Ne vaut pas le voyage en tous cas pour mon goût.

Avril 2023
Leonardo Vinci
Li zite n’galera
5 repr. du 4 au 21 avril – Dir : Andrea Marcon/MeS: Leo Muscato
Avec Raffaele Pe, Marco Filippo Romano, Francesca Aspromonte, Cecilia Molinari etc…
Leo Muscato, vous vous souvenez ? Celui qui avait inversé la fin de Carmen au nom de l’honneur des femmes…
Metteur en scène sans grand intérêt (cependant meilleur dans le comique) mais qui a deux productions à la Scala cette année, comme quoi…
Andrea Marcon, au contraire est l’un des maîtres du répertoire baroque en Italie, une référence internationale. Et donc, c’est un choix judicieux pour cette œuvre inconnue, une commedia per musica, créée à Naples en 1722.
Dans la distribution, Raffaele Pe le contre-ténor et d’autres spécialistes bien connus de ce répertoire. Tout cela fait, si on ferme les yeux sur Muscato (à moins qu’il ne trouve l’inspiration, ce qui est toujours possible), une production qui devrait valoir le voyage, rien que par curiosité.

 

Avril-Mai 2023
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

8 repr. du 13 avril au 5 mai – Dir : Riccardo Chailly/MeS :  Yannis Kokkos
Avec Boris Pinkhasovich, Lisette Oropesa, Juan Diego Flórez, Ildebrando D’Arcangelo, Leonardo Cortellazzi
Avec Flórez, Oropesa et Chailly en fosse, c’est un tiercé gagnant, qui devait être de la Prima annulée pour Covid en 2020 et remplacée par ce spectacle ridicule télévisé réalisé par Davide Nevermore, oh pardon, Livermore.
Entourés, en plus par Boris Pinkhasovich : la Scala va découvrir l’un des meilleurs barytons actuels, et Ildebrando d’Arcangelo bien connu, c’est la garantie d’un succès.
Pour la mise en scène, la dernière, pas géniale mais passable, venait du MET (Mary Alice Zimmermann), et l’avant-dernière était signée Pier’Alli, mieux. Pourquoi faire une nouvelle production si les autres sont encore dans les cartons ? Lucia est l’un de ces titres qui n’a pas besoin de changer si souvent et la production Zimmermann tenait le coup. Alors on fait du neuf (?)… en appelant Yannis Kokkos.
Le décorateur de Vitez (mort en 1990) est un décorateur souvent inspiré mais jamais ne fut un metteur en scène, sauf peut-être pour Les Troyens, sa production qui a le plus marqué, un peu comme le bien plus médiocre Hugo De Ana (voir plus haut). En tous cas pas un metteur en scène d’avenir, mais plutôt des années 1990. Un choix peu explicable sinon par la peur de la nouveauté.
Mais devrait, pour la musique, valoir le voyage.


Mai 2023
Umberto Giordano
Andrea Chénier
7 repr. du 3 au 27 mai – Dir : Marco Armiliato/MeS : Mario Martone
Avec Sonya Yoncheva, Yusif Eyvazov/Jonas Kaufmann, Ambrogio Maestri / Amartuvshin Enkhbat , Elena Zilio
Reprise de la mise en scène de Mario Martone qui avait enchanté la Prima de 2017 (Eyvazov, Salsi, Netrebko). La star cette fois est Jonas Kaufmann, et la starlette Sonya Yoncheva qui n’a pas la moitié de la voix de Netrebko… Pour le reste du solide, avec la seule apparition émouvante, celle de Elena Zilio en Madelon. En fosse, Marco Armiliato, qui avec Fedora l’automne prochain arrivera enfin à diriger à la Scala après une carrière qui l’a mené dans tous les grands opéras de la planète pour diriger le répertoire italien. C’est un bon chef sans aucun doute, en particulier dans le vérisme, un chef de répertoire de série A, qui a beaucoup dirigé au MET et à Vienne.
À Vienne qui propose, si vous avez des envies, un André Chénier avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta sous la direction de Francesco Lanzillotta. Comparez, et décidez…

 

Juin 2023
Antonín Dvořák
Rusalka
6 repr. du 6 au 22 juin 2023 – Dir : Tomáš Hanus/MeS : Emma Dante
Avec Dmitry Korchak, Elena Guseva, Olga Bezsmertna, Okka von der Damerau, Yongmin Park
Emma Dante comme metteuse en scène, c’est au moins un nom italien de prestige dont le choix ne peut heurter. Tomáš Hanus en fosse, c’est un très bon chef d’opéra sur ce répertoire qui assurera un niveau musical très enviable. Okka von der Damerau en Jezibaba et Elena Guseva en princesse étrangère, c’est excellent. Mais Olga Bezsmertna en Rusalka, c’est médiocre, et Dmitry Korchak en prince, c’est une idée baroque. Distribution bizarre, faite d’excellentes idées d’un côté et de drôles d’idées de l’autre qui risquent de gâcher la fête.

 

Juin-Juillet 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth

8 repr. du 17 juin au 8 juillet – Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Davide Livermore
Avec Ekaterina Semenchuk/Anna Netrebko, Luca Salsi/ Amartuvshin Enkhbat
Fabio Sartori/Giorgio Berrugi, Jongmin Park
La mise en scène lamentable de Davide Livermore ne sera pas rééquilibrée par la direction de Chailly, remplacé par Giampaolo Bisanti, chef correct sans doute, mais pas pour ce type d’œuvre qui nécessite une toute autre personnalité.  Netrebko en juin-juillet, pour aimanter les premiers touristes qui feront l’aller et retour Vérone-Milan, la solide Semenchuk fera le reste.

Septembre 2023
Gioachino Rossini

Il barbiere di Siviglia
6 repr. du 4 au 18 septembre 2023 – Dir : Evelino Pidò/MeS Leo Muscato
Avec les artistes de l’Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala.
Toujours excellente idée d’une production de l’Accademia insérée dans le programme annuel. La production est celle de Leo Muscato, qui a remporté un certain succès en septembre 2021, avec Chailly en fosse et une jolie distribution. Ici Evelino Pidò est une garantie de précision pour des jeunes chanteurs et les jeunes musiciens de l’orchestre de l’académie.

Septembre-Octobre 2023
W.A.Mozart
Le nozze di Figaro
7 repr. du 30 sept. au 20 oct – Dir : Andres Oroczo-Estrada/MeS : Giorgio Strehler
Avec Ildebrando D’Arcangelo, Olga Bezsmertna, Luca Micheletti, Benedetta Torre, Svetlina Stoyanova
Andrès Oroczo-Estrada, vient de démissionner de son poste de directeur musical des Wiener Symphoniker après à peine un an d’exercice comme Directeur musical où il succédait à Philippe Jordan. Le chef colombien a une réputation assez solide dans le Mozart symphonique. À noter la comtesse d’Olga Bezsmertna qui m’a vraiment déçu dans ce rôle quand je l’ai entendue à Munich. Ildebrando D’Arcangelo est un chanteur particulièrement rôdé, dans Le nozze où il a chanté Bartolo, Figaro et il Conte Almaviva. Svetlina Stoyanova a chanté Cherubino à Vienne en 2018, Luca Micheletti est metteur en scène devenu chanteur, avec un certain succès et il apparaît plusieurs fois cette saison à la Scala, Benedetta Torre est une jeune chanteuse à laquelle on commence à s’intéresser. Une distribution qui mélange jeunes et moins jeunes. À découvrir seulement si vous êtes par hasard à Milan.


Octobre-Novembre 2023
Benjamin Britten
Peter Grimes

6 repr. du 18 oct. au 2 nov – Dir : Simone Young/ MeS : Robert Carsen
Avec Brandon Jovanovich, Nicole Car, Ólafur Sigurdarson, Natasha Petrinsky
Simone Young est un bon choix pour le chef d’œuvre de Britten, je l’ai entendue à Vienne en janvier dernier et sa direction était très solide. Robert Carsen est Robert Carsen : il n’a plus grand chose à inventer, mais il plaît en Italie où il représente une modernité sans grand risque, donc évidemment en odeur favorable à la Scala. Distribution sans grande saveur cependant, sinon Natasha Petrinsky et Nicole Car, une Ellen Orford sans doute intéressante, mais Brandon Jovanovich en Peter Grimes, ce n’est pas vraiment attirant… Donc une production nouvelle, sur laquelle le théâtre n’a pas l’air de parier, comme si on se disait, « inutile de chercher la distribution idéale, de toute manière le théâtre ne sera pas plein ».

 

Italo Montemezzi
L’amore dei tre re’

5 repr. du 28 oct. au 12 nov – Dir : Michele Mariotti /MeS :Alex Ollé, La Fura dels Baus
Avec Günther Groissböck, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi, Chiara Isotton, Giorgio Misseri
Pour information, deux reprises à la Scala l’une en 1948 (dir.Franco Capuana) et l’autre en 1953 (direction Victor De Sabata), chacune pour trois représentations. Avec les cinq prévues, cela fera 11 représentations en 75 ans… L’œuvre est donc un peu disparue des programmes, même si elle fut un des grands succès du MET où elle fut créée en 1914.
On ne peut pas donc reprocher au théâtre de la ré-exhumer et de parier sur L’amore dei tre re’ d’Italo Montemezzi sur un livret de Sem Benelli, créé à la Scala en 1913. Puisque le centenaire n’a pas été fêté, on fête donc en 2023 le 110e anniversaire de la création qui bénéficia de la direction de Tullio Serafin.
Pour ce retour à la Scala, à 71 ans de la mort de Montemezzi, c’est Alex Ollé, de la Fura dels Baus qui met en scène. Entre Carlus Pedrissa et Alex Ollé, c’est le moins intéressant et évidemment le plus consensuel des deux qui a été choisi dans l’équipe de la Fura dels Baus pour cette production. En revanche musicalement, entre Günther Groissböck qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi et Chiara Isotton, c’est une très belle distribution et en fosse, Michele Mariotti ranimera sans doute la flamme morte, du moins on l’espère. Une œuvre à connaître de toute manière, qui ne jouit pas d’une grande faveur cependant malgré son succès avant la deuxième guerre mondiale.
C’est donc un voyage possible, si vous êtes curieux.

Le Ballet :

Le Ballet de la Scala a une grande tradition classique et ceux qui s’y intéressent se rendront certainement à Milan pour constater les premiers résultats du travail de Manuel Legris et de voir sur scène le dernier arrivé, Jacopo Tissi, « guest », et danseur étoile du BolchoÏ, qui a quitté la Russie suite aux événements que vous savez. Les ballettomanes auront peut-être plus de chance que les lyricomanes. Une saison brillante.

Productions :

Casse-Noisette (Chor. Rudolf Noureev)
Soirée chorégraphes : Dawson, Duato, Kratz, Kylián
Le Corsaire (Chor.Manuel Legris)
Soirée William Forsythe (Chor.William Forsythe)
Romeo et Juliette (Chor. Kenneth Mac Millan)
Gala Fracci
Le Lac des Cygnes (Chor.Rudolf Noureev)
Aspects of Nijinsky (Chor.John Neumeier)

 

Les concerts :

C’est toujours une carte maîtresse du théâtre, et cette année, entre les chefs de premier plan et des petits nouveaux, les concerts sont bien diversifiés et, comme la saison dernière, la programmation musicale hors opéra a des attraits que la programmation lyrique n’a pas toujours.
Les concerts symphoniques mêlent orchestre du Teatro alla Scala pour les grands concerts avec chœur et de la Filarmonica pour les concerts strictement symphoniques
La saison de la Filarmonica peut être consultée sur le site https://www.filarmonica.it/

Novembre 2022
9, 10, 12 novembre
Orchestre du Teatro alla Scala
Chœur de femmes du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants de l’Accademia du Teatro alla Scala

Daniele Gatti, direction

Mahler, Symphonie n°3

Gatti grand mahlérien revient pour un des monuments de Gustav Mahler. À ne pas manquer

Janvier 2023
16, 18, 19 janvier
Filarmonica della Scala

Daniel Lozakovich, violon
Riccardo Chailly, direction

Tchaïkovski,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.35
Symphonie n°6 en si mineur op.74 « Pathétique »

Un programme de couleur russe quelques jours après le Boris Godounov d’ouverture

Février 2023
15, 16, 18 février
Filarmonica della Scala

Daniel Harding, direction

Mozart
Symphonie n° 39 en mi bemol majeur KV 543
Symphonie n° 40 en sol mineur KV 550
Symphonie n° 41 en ut majeur KV 551 « Jupiter »

Les trois dernières symphonies de Mozart, par Daniel Harding, assez familier de cette maison. Harding n’est jamais inintéressant,

Mars 2023
6, 8, 10 mars

Filarmonica della Scala

Marc Bouchkov, violon
Lorenzo Viotti, direction

Haydn
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Korngold
Concerto en ré majeur op. 35 pour violon et orchestre
Strauss
Tod und Verklärung op.24

L’un des jeunes chefs désormais chéris de cette maison, engagé dans un programme très diversifié et une rareté, le concerto de Korngold

Avril 2023
24, 27, 28 avril

Filarmonica della Scala

Timur Zangiev, direction

Tchaikovski, Symphonie n°5 en mi mineur op.64
Chostakovitch, Symphonie n°5 en ré mineur op.47

Le jeune chef russe qui a remplacé Gergiev non sans succès dans les Dame de Pique de ce printemps, dans un programme idiomatique.


Mai 2023
18,19,20 mai
Orchestra del Teatro alla Scala
Chœur du Teatro La Fenice di Venezia
Chœur d’enfants de l’Accademia del Teatro alla Scala
Solistes:
Marina, Rebeka, Krassimira Stoyanova, Regula Mühlemann, Okka von der Damerau, Klaus Florian Vogt, Andrè Schuen, Ain Anger

Mahler, Symphonie n°8 en mi bemol majeur “Des Mille”

Immanquable, évidemment

Octobre 2023
11, 12, 14 octobre

Yuja Wang, piano
Zubin Mehta, direction

Messiaen, Turangalila Symphonie pour piano, ondes Martenot, et orchestre

Tout autant immanquable


Concerts exceptionnels


Décembre 2022
22 décembre 2022
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Lauren Michelle, Annalisa Stroppa, Giovanni Sala, Luca Micheletti

Chef des chœurs : Alberto Malazzi

Zubin Mehta, direction

Haydn,
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Messe en ut majeur “Paukenmesse” Hob:XXII:9

Concert de noël désormais traditionnel, au programme alléchant

Mai 2023
11 mai
Concert pour l’anniversaire de la reconstruction de la Scala
Chœur du Teatro alla Scala

Alberto Malazzi, direction

Rossini, Petite messe solennelle pour solistes, chœur, harmonium et deux pianos

Évidemment passionnant

Juin 2023
14 juin
Armonia Atenea
Gaelle Arquez, Max Emanuel Cencic, Julia Lezhneva, Suzanne jerosme, Dennis ORellana, Stefan Sbonnic
George Petrou, direction

Nicola Porpora, Carlo il calvo

Même en version de concert, la distribution vaut le coup .

Orchestres invités

Novembre 2022
19 novembre
Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia

Lisa Batiashvili, violon
Antonio Pappano, direction

Beethoven,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.61
Schumann,
Symphonie n°2 en ut majeur op.61

Programme très (trop ?) classique.

 

Décembre 2022
3 décembre 2022

English Baroque Solists
Monteverdi Choir

John Eliot Gardiner, direction

Bach,
du « Weihnachtsoratorium » BWV 248
Parties I-II-III

Difficile de manquer Gardiner

Mai 2023
25 mai 2023
Gustav Mahler Jugendorchester

Daniele Gatti, direction

Mahler,
Adagio de la Symphonie n°10
Symphonie n°1 en ré majeur « Titan »

Encore un Mahler, décidément prisé cette année et avec un orchestre de jeunes désormais mythique, jadis créé par Abbado. L’Italie a la chance d’avoir en son sein deux des plus grands chefs mahlériens actuels, qui sont dans la saison de la Scala, il faut en profiter.

Juin 2023
20 juin 2023
Wiener Philharmoniker

Riccardo Chailly, direction

R. Strauss
Don Juan, op 20
Guntram op. 25 Prélude
Feuersnot op.50 Scène d’amour
Ein Heldenleben op.40 Poème symphonique

Un programme Strauss qui offre deux raretés, Guntram et Feuersnot. On ne va pas bouder son plaisir avec un tel orchestre et un tel chef.

 

Récitals

Soulignons encore une fois l’initiative louable de proposer une saison de récitals, profitant souvent de la présence dans les distributions de bien des impétrants. Mais il y a récitals et récitals et je doute de Vittorio Grigolo et Michael Volle rencontrent le même public. Mais c’est aussi habile de réunir des artistes au profil radicalement différent, pour d’authentiques soirées de Lieder (Volle, Werba), de grandes soirées de folie lyrique (Netrebko, Grigolo), de belles soirées vocales (Salsi, Bernheim) et un récital que personne ne doit manquer : Rachmaninov par Evgueni Kissin et Renée Fleming sans doute le must de l’année.
C’est varié, la salle ne sera sans doute pas toujours remplie, mais c’est un programme au dosage assez séduisant.


Décembre 2022
18 décembre
Michael Volle, baryton
Helmut Deutsch, piano

Mozart, Schubert, Liszt


Janvier 2023
8 janvier 2023
Markus Werba, baryton
Michele Gamba, piano

Schubert, Winterreise op.89 D. 911

28 janvier 2023
Renée Fleming soprano
Evgueny Kissin, piano

Rachmaninov

Février 2023
26 février 2023
Vittorio Grigolo, ténor
Vincenzo Scalera, piano

Programme non communiqué

Mars 2023
19 mars 2023
Anna Netrebko, soprano
Elena Bashkirova, piano

Tchaïkovski, Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Glinka

Juin 2023
10 juin 2023

Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi

Octobre 2023
5 octobre 2023
Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

Chausson, Berlioz, Duparc, Puccini, Verdi

 

Grands pianistes à la Scala

On oublie souvent quand on ne vit pas ou qu’on n’a pas vécu à Milan que la Scala est non seulement le théâtre lyrique que l’on sait, mais aussi le lieu des « grands » concerts et des « grands » récitals. Il y a certes des auditoriums liés à des orchestres locaux (deux) : le troisième c’est celui du Conservatoire Giuseppe Verdi, belle salle mais moins prestigieuse et à la capacité qui ne concurrence pas la Scala. Milan n’a pas en dehors de la Scala un autre grand lieu de rendez-vous musical de prestige.
Alors les grands récitals de piano ont toujours lieu à la Scala, j’y ai par exemple entendu Horowitz, sauf pour certains programmes : un de mes souvenirs les plus frappants fut la deuxième sonate de Boulez par Maurizio Pollini au Conservatoire. Un de ces souvenirs qui poursuivent une vie.
Les solistes invités font partie de la fleur des pianistes du moment, avec le traditionnel concert de Maurizio Pollini, et la conclusion en octobre avec l’immense Igor Levit. De quoi remplir de grandes soirées.

 

Décembre 2022
11 décembre
Khatia Buniatishvili

Mozart, Bach, Chopin, Liszt, Rachmaninov, Prokofiev

 

Février 2023
13 février 2023

Maurizio Pollini

Programme non communiqué


Mars 2023
20 mars 2023

Jan Lisieki

Chopin, Études et Nocturnes

Avril 2023
2 avril

Rudolf Buchbinder

Bach, Suite anglaise n°3 en sol mineur BWV 808
Beethoven, Sonate n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata »
Schubert, Sonate en si bémol majeur D 960

Octobre 2023
22 octobre 2023

Igor Levit

Liszt, Liebestraum n°3
Mahler, Adagio de la Symphonie n° 10 (arrangement Ronald Stevenson)
Wagner, Prélude de Tristan und Isolde (Arrangement Zoltán Koksis)
Liszt, Sonate en si mineur.

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Comme on le voit, comme on a pu le lire, il y a des grands moments à prévoir dans cette saison, mais pas forcément à l’opéra. Ballet, concerts symphoniques, récitals divers devraient offrir de quoi remplir les soirées.

On reste un peu hésitant face au programme lyrique, ce qui est presque un comble concernant la Scala. Des choix souvent ennuyeux, des productions qui ne font pas envie, marquées par la prudence et l’évitement de tout ce qui pourrait secouer les attentes d’un public qu’on doit estimer un peu rassis pour lui servir des choses aussi tièdes.
On connaît ce public de la Scala, très local, ou touristique et d’affaires (les foires) mais on sait aussi que les abonnements ont chuté, que l’on affiche désormais rarement tutto esaurito (complet). À ce type de public, c’est vrai qu’il ne faut servir que du digeste, et surtout pas d’effervescent. Comme d’autres théâtres, la Scala doit se relever des deux années de pandémie, mais la crise du public avait commencé bien avant. On voyait beaucoup de russes et beaucoup d’asiatiques : pour des raisons diverses, les uns et les autres ne voyagent plus. Est-ce la raison de cette prudence affichée pour ne pas heurter le public qui reste ?
Et pourtant, s’il y a des choix difficilement compréhensibles (I vespri siciliani), il y a des titres exigeants ou moins connus (Boris, Salomé, Peter Grimes, Rusalka Macbeth), des titres rares (Li zite n’galera, L’amore dei tre Re’) des titres populaires (Barbiere, Lucia, Chénier, Hoffmann ), des productions mythiques (Nozze, Bohème), c’est à dire une composition soucieuse d’équilibres qui devrait convaincre, et qui ne convainc pas.

Je persiste à croire qu’un peu plus d’ouverture sur les productions et les mises en scène ne devrait pas nuire, je persiste à croire que c’est cette image un peu passéiste des choix scéniques qui jette sur l’ensemble, peut-être injustement, une image poussiéreuse qui n’est pas compensée par des chefs incontestables et des distributions qui font naître l’envie… Mais on continue à l’aimer, ce satané théâtre qui nous énerve tant.

LA SAISON 2021-2022 DE LA WIENER STAATSOPER

UNE NORMALITÉ DE TRÈS HAUT NIVEAU

Après une première saison 2020-21 tronquée par la pandémie, mais dont nous avons pu voir quelques moments clefs en streaming ou même en salle, la saison 2021-22 s’annonce un peu moins explosive. Cinq nouvelles productions et quelques « Wiederaufnahmen » de productions de répertoire rafraichies, et pour le reste des productions de répertoire plus ou moins habituelles font une année presque normale, que nous allons détailler.
La Wiener Staatsoper est une maison de grande tradition, et pour sûr le modèle du système de répertoire, nous l’avons souvent souligné. Dominique Meyer en avait fait d’ailleurs le pilier de sa politique, garantissant un niveau moyen élevé de ses représentations « ordinaires », plus élevé en tous cas que celui de son prédécesseur Ioan Holender.
Le nouvel intendant Bogdan Roščić devait donc marquer une ligne de rupture, notamment au regard de la politique de mises en scène menée depuis des années, qui faisait de Vienne un temple très traditionnel, ce qui n’est pas problématique, mais aussi d’une certaine médiocrité scénique, ce qui l’est plus. Un seul exemple, la production musicalement fabuleuse de Die Frau ohne Schatten en juin 2019 dirigée par un Christian Thielemann des grands soirs avec un cast à faire pâlir, dans une mise en scène plan-plan et sans aucun intérêt de Vincent Huguet, dont nous avions rendu compte dans le site Wanderer.

Bogdan Roščić a donc suivi une double ligne : des nouvelles productions faisant appel à des metteurs en scène plus inventifs, comme le Parsifal signé Kirill Serebrennikov  dont Wanderer a rendu compte, et d’un autre côté là où c’était nécessaire rafraîchir le répertoire rapidement en achetant des productions  qui avaient marqué ailleurs, c’est le cas de l’Eugène Onéguine vu par Dmitry Tcherniakov, ou du Faust de Frank Castorf, dont Wanderer a aussi rendu compte, mais aussi de l’Incoronazione di Poppea (de Jan Lauwers) pris à Salzbourg et du Macbeth (dont Wanderer a rendu compte en juin dernier) signé Kosky qui vient de Zurich (Wanderer a aussi rendu compte de la production zurichoise) sans jamais renoncer à l’excellence musicale, voir à l’exceptionnel (cf. Parsifal) qui fait partie de l’ADN de la maison, au moins pour les Premières et les grandes reprises. Le public viennois est en effet l’un des plus sensibles qui soient aux équipes musicales et aux voix.

Tout cela doit demander à Bogdan Roščić, et à ses équipes, notamment à son responsable-casting Robert Körner (qui officiait naguère à Lyon) un jeu subtil d’équilibres qui devrait à terme permettre à ce public d’évoluer dans ses habitudes et attentes. Un retournement de la sorte se fait progressivement et lentement.
C’est pourquoi cette deuxième année apparaît comme un peu moins bouleversée, mais avec des nouvelles productions qui stimulent les envies du mélomane voyageur…

 

Nouvelles productions :
Les cinq nouvelles productions donnent une belle visibilité sur les intentions de la direction du théâtre, qui loin de négliger le répertoire, veulent au contraire l’asseoir et le « ravaler » avec des productions correspondant un peu plus à notre modernité : Rossini (Il Barbiere di Siviglia), Mozart (Don Giovanni) Berg (Wozzeck), Wagner (Tristan und Isolde), Monteverdi (L’Orfeo) sont des productions-emblèmes qu’il faut à la fois considérer en soi, de simples nouvelles productions d’une saison, mais surtout par ce qu’elles disent derrière, entre les lignes, des intentions artistiques.

Septembre 2021/Juin 2022
Rossini, Il barbiere di Siviglia
(6 repr. du 28 sept au 14 oct/4 repr. du 4 au 12 juin) (MeS : Herbert Fritsch)
Avec

  • Dir : Michele Mariotti
    Florez/Berzhanskaja/Bordogna/Abdrazakov/Luciano/Brauer-Kvam
  • Juin Dir : Stefano Montanari
    Florez/Molinari/Bank/Kellner/Olivieri

La production de Gunther Rennert a fait son temps, qui fut particulièrement long (depuis 1966), mais elle n’a pas été reprise depuis 1990, ce qui est surprenant pour un titre aussi populaire. La nouvelle production est confiée à Herbert Fritsch, qui a fait ses classes chez Castorf à la Volksbühne de Berlin jusqu’en 2007. Voilà qui promet.
Du côté de la distribution, en octobre, du beau monde, avec Florez et Vasilisa Berzhanskaya (remplaçant Crebassa), mais aussi Bordogna et Abdrazakov, avec le Figaro d’Etienne Dupuis à découvrir remplaçant Davide Luciano, le tout sous la direction experte de Michele Mariotti, né dans les langes de Rossini.
En juin  un autre chef, Stefano Montanari, aussi excellent que Mariotti, sinon encore plus inventif, et une distribution où les basses sont celles de la maison (Bankl, Kellner) et où Etienne Dupuis laisse la place à Mattia Olivieri, l’un des meilleurs jeunes barytons de la péninsule qui vient de triompher dans le rôle à la Scala. Pour le reste, Florez répondra aussi présents en juin. Florez a été Faust dans la production de Frank Castorf, il peut affronter Herbert Fritsch dans Almaviva. Quant à Crebassa elle sera remplacée par Cecilia Molinari. Le public viennois n’est pas au bout de ses (bonnes) surprises.

Décembre 2021
Mozart, Don Giovanni
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky)
Avec Ketelsen/Sly/de Barbeyrac/Anger/Kellner/ H.E.Müller/Lindsey/Nolz
Attention! Piège. La durée relative de la mise en scène fameuse de Franco Zeffirelli de 1972 à 1990 ne doit pas masquer les successives, Bondy (plutôt pas mal) dura deux saisons, puis De Simone pas beaucoup plus. La dernière, celle de Martinoty dura l’ère Dominique Meyer mais n’était pas de celles qu’on garde pour l’éternité.
L’échec récent de Castellucci à Salzbourg nous indique combien l’œuvre de Mozart est piégeuse.
Comme c’est la mode aujourd’hui, on confie la trilogie Da Ponte à un seul metteur en scène, Barrie Kosky, qui se lance dans l’aventure. S’il y réussit, tout le monde courra à Vienne pour voir.

Du côté musical, pas de risque en fosse où Philippe Jordan, mozartien devant l’Éternel, assure la direction musicale, mais sur scène, un plateau inhabituel avec Kyle Ketelsen en Don Giovanni, lui qui fut un extraordinaire Leporello, et en Leporello, Philippe Sly, qui ne fut pas un Don si convaincant. Un Ottavio de grand style, Stanislas de Barbeyrac, et deux dames qui devraient convaincre, -mais qui sait? – Hanna Elisabeth Müller en Anna et Kate Lindsey en Elvira. Sachant la difficulté à monter Mozart aujourd’hui, rien n’est assuré. Attendons.
(6 repr du 5 au 20 déc/5 repr. du 3 au 15 juin)

Mars 2022
Berg, Wozzeck
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Simon Stone)
Avec Gerhaher/Kampe/Panikkar/Schneider/Belosselsky
La mise en scène de Dresen a duré jusqu’à 2014, et c’était une très belle production dont il existe une vidéo avec Grundheber, Behrens et Abbado. Plusieurs dizaines de représentations plus tard, il peut s’avérer nécessaire de produire une nouvelle production, confiée à Simon Stone, dont l’Opéra de Vienne propose en début de saison la Traviata parisienne, avec Pretty Yende, Frédéric Antoun et Ludovic Tézier.
La distribution de ce Wozzeck est superbe, Gerhaher et Kampe ont déjà fait les beaux soirs de Munich dans ces rôles. Cela devrait valoir le voyage.
(5 repr. du 22 mars au 3 avril)

Avril 2022
Wagner, Tristan und Isolde (5 repr.  du 14 avril au 1er mai)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito)
(Avec Schager, Serafin, Pape, Gubanova, Paterson)

Trois productions depuis 1967, Everding, qui a duré jusqu’à 2003, puis Gunter Krämer (celui qui commit le Ring parisien) et enfin depuis 2013 David McVicar, dont on connaît les productions sans sel ni poivre.

Cette fois-ci ce sera Calixto Bieito, qui peut être va réveiller un peu l’histoire des productions de l’œuvre à Vienne. Au fond, le travail de Bogdan Roščić est aisé pour le choix des metteurs en scène, comme aucun des noms importants de la mise en scène n’ont travaillé à Vienne depuis des années, il lui suffit de distribuer des productions à la bande des quatre ou cinq habituels, Bieito, Stone, Kosky, Tcherniakov et quelques autres et le tour est joué. En un an on aura aussi vu Castorf, Serebrennikov … L’Opéra de Vienne se « normalise », il rentre dans la ronde des opéras d’Europe qui ont depuis longtemps des spectacles signés de ces artistes, mais il faudra aussi trouver des noms nouveaux…
Du côté musical, on connaît le Wagner de Philippe Jordan, garantie de solidité, et la distribution est sans reproche, là aussi habituelle : Schager, Pape, Paterson, Gubanova : que de bons chanteurs. Bien sûr, c’est hélas Martina Serafin qui chante Isolde, mais on ne peut pas tout avoir.

Juin 2022
Monteverdi, L’Orfeo

(4 repr. du 11 au 18 juin 2022)
Dir : Pablo Heras Casado/MeS Tom Morris)
Avec Nigl, Lindsey, Zámečníková, Mastroni, Bock

Après L’Incoranazione di Poppea venue de Salzbourg (Lauwers) qui a très bien marché auprès du public, c’est au tour de L’Orfeo ; c’est Munich qui a à mon avis la meilleure production actuelle (David Bösch), et Bogdan Roščić table sur un autre style, celui de l’imagination anglo-saxonne, entre marionnettes et émerveillements scéniques de Tom Morris.
Wait and see, mais musicalement, même si je ne suis pas toujours convaincu par Heras Casado, c’est une distribution très séduisante, dominée par Georg Nigl, l’autre baryton (à côté de Gerhaher), qui devrait être très stimulant car l’autrichien Georg Nigl est l’un des plus intéressants de sa génération.

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Juin-Juillet 2022
Rossinimania
Du 28 juin au 8 juillet

Une nouveauté, une révolution même à l’Opéra de Vienne qui va rester ouvert après sa fermeture… pour accueillir une tournée de l’Opéra de Monte-Carlo et surtout Cecilia Bartoli, qui tenez-vous bien, n’a jamais chanté à l’Opéra de Vienne. Alors, c’est une semaine Bartolimania aussi bien que Rossinimania

 

28 juin
La Cenerentola
(Repr. semi-scénique)
Dir : Gianluca Capuano/ Real.sc. Claudia Blersch
Avec Bartoli, Rocha, Alaimo, Chausson, Coca Loza, Bove, Olvera
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Les Musiciens du Prince Monaco

Une réalisation qui a beaucoup tourné, toujours avec le même succès, avec les costumes de l’opéra de Zurich, et une distribution hyper-rodée. Ce devrait être le triomphe mérité habituel avec Capuano au pupitre des excellents Musiciens du Prince-Monaco.

Il Turco in Italia
(3 repr. les 3, 5 et 7 juillet 2022)
Dir : Gianluca Capuano/MeS : Jean-Louis Grinda
Avec Abdrazakov, Bartoli, Alaimo, Banks, Romeo ; Lo Monaco, Astorga
Les Musiciens du Prince-Monaco
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
La production qui sera créée en janvier à Monte-Carlo est présentée à Vienne pour trois soirs avec une distribution dominée par Cecilia Bartoli et Ildar Abdrazakov, et avec Barry Banks qui n’a pas convaincu à Pesaro.
Aucun souci du côté de l’orchestre, avec Capuano et Les Musiciens du Prince. On sait aussi déjà que la mise en scène de Jean-Louis Grinda ne sera pas révolutionnaire, cela reposera les viennois un peu secoués ces deux dernières années.

Rossini-Gala
8 juillet 2021

Dir : Gianluca Capuano
Les Musiciens du Prince-Monaco
Avec : Bartoli, Abrahamyan, Villazón, Levy-Sekgapane, Corbelli, Abdrazakov

Fin en feu d’artifice rossinien. Faisons confiance à Cecilia Bartoli pour animer la soirée et mettre la salle en délire avec cette brochette de chanteurs et remarquons la présence de Levy-Sekgapane, ténor aux aigus stratosphériques et au timbre lumineux. À suivre.

Voilà une saison aux Premières un peu plus normalisées que la saison dernière, avec des poids lourds du répertoire Barbier, Don Giovanni, Wozzeck, Tristan… Bogdan Roščić poursuit son travail de rafraichissement, voire de nettoyage et il faut reconnaître que cette maison en avait un peu besoin.
L’initiative rossinienne est aussi une excellente opération de communication envers le public viennois, l’impression produite par cette deuxième saison est celle d’une consolidation des principes affichés la saison dernière avec une sorte de rythme normal retrouvé.

Même si elles sont entrées au répertoire, certaines productions 2020, à cause du Covid, n’ont pas encore été vues en public, mais éventuellement en streaming, c’est le cas de Das verratene Meer, de Traviata et de Parsifal, nous les signalons en priorité, et puis il y a des Wiederaufnahmen, des reprises retravaillées (alors que les titres de répertoire ne le sont pas)..

Reprises post Covid de productions réalisées mais non représentées en public

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata
(Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Simon Stone)
Avec Pretty Yende, Ludovic Tézier, Frédéric Antoun…
En ce début de saison, des titres d’appel, dont Falstaff et Tosca, pour réamorcer la pompe et attirer le public et puis la nouvelle production du Barbier de Séville en fin de mois. Ce spectacle est la production parisienne vue à Garnier avec comme à Paris Pretty Yende et Ludovic Tézier, mais avec Frédéric Antoun, nouveau venu en Alfredo. Distribution qui garantit des soirées de haut niveau vocal.
(5 repr. du 5 au 18 Septembre)
Coproduction Opéra de Paris

Septembre 2021
Hans Werner Henze, Das verratene Meer
(Dir.: Simone Young/Ms : Jossi Wieler/Sergio Morabito)
Avec Vera-Lotte Boecker, Bo Skovhus, Josh Lovell…
“La mer trahie”, titre du drame musical de Henze créé à Berlin en 1990 n’est pas le plus connu des opéras de Henze, tiré du roman de Mishima « Le marin rejeté par la mer » de 1963. Désespoir, déchirement face aux valeurs, bouleversement des individus, violence, tous les ingrédients de Mishima sont là, mis en musique par Henze qui a vécu les mêmes déchirements en faisant des choix opposés.
3 repr. les 19, 23, 27 septembre

Décembre 2021
Richard Wagner, Parsifal
(Dir. : Philippe Jordan/Ms : Kirill Serebrennikov)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Wolfgang Koch, René Pape
Reprise de la mise en scène dont Wanderersite a rendu compte, mais sans Elina Garanča ni Jonas Kaufmann ni Georg Zeppenfeld, mais avec Jovanovich,  Kampe et Pape, ce qui n’est pas si mal non plus. A noter que Wolfgang Koch chante Amfortas ET Klingsor, ce qui va encore accentuer la mise en abyme du travail de Serebrennikov. À voir évidemment, d’autant que la production succède à celle si médiocre d’Alvis Hermanis.
(5 repr. du 12 au 26 déc.)
A noter : avec le Don Giovanni de Kosky qui commence le 5 décembre, les Wanderer du lyrique devront jouer des dates pour combiner une riche virée viennoise car décembre est sans doute le mois le plus adapté à un voyage dans la capitale autrichienne si on y va pour l’Opéra.

Les « Wiederaufnahmnen »
Dans le système de répertoire, il y a des reprises directes, avec très peu de répétitions et puis les « Wiederaufnahmen » qui sont les reprises retravaillées scéniquement et musicalement, en général de productions qu’on n’a pas l’intention de remplacer à court terme.
On va donc retrouver des productions de l’ère précédente et de l’ère Holender, avec de nouvelles distributions et de nouveaux chefs. Il y a neuf reprises retravaillées, et une reprise retravaillée seulement musicalement (Capriccio).

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, Falstaff (Dir : Nicola Luisotti/Gianpaolo Bisanti/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Wolfgang Koch/Gerald Finley, Josh Lovell/Frédéric Antoun, Boris Pinkhasovich, Eleonora Buratto…
Deux chefs italiens solides, dont le second (Bisanti) commence à être invité un peu partout en Europe, et une double distribution plutôt stimulante, notamment les deux Falstaff.
9 repr. (5 en sept 2021) /4 en juin 2022 (du 14 au 24 juin 2022)

 

Novembre 2021
Rihcard Wagner, Der fliegende Holländer (Dir. : Bertrand de Billy/Ms : Christine Mielitz)
Avec Anja Kampe, Bryn Terfel, Eric Cutler, Franz Josef Selig
Production de 2003 (de la période Holender), avec déjà 58 représentations au compteur. Distribution de très haut vol, à peu près ce qui se fait de mieux aujourd’hui.
5 repr. du 17 nov. au 2 déc. 2021

Décembre 2021
Giuseppe Verdi, Don Carlo (ital.) (Dir : Franz Welser Möst/Ms Daniele Abbado)
Avec Ain Anger, Boris Pinkasovitch, Fabio Sartori, Anita Rashvelichvili, Asmik Grigorian
Petite histoire : Franz Welser-Möst revient au pupitre d’une production qu’il a créée en 2012, avant de laisser la fonction de GMD en 2014. La distribution, correcte, vaut surtout par les deux dames, Gubanova et surtout Grigorian, Qui ne devrait pas manquer d’exciter toutes les curiosités des fans.
(4 repr. du 16 au 25 déc. 2021)
Notons qu’avec Parsifal et Don Giovanni, ce Don Carlo est une raison de plus d’un voyage à Vienne en décembre 2021, à vos agendas.

Janvier 2022
Tchaïkovski : La Dame de Pique (Dir. : Valery Gergiev/Ms : Vera Nemirova)
Avec Dmitry Golovnin, Boris Pinkasovitch, Elena Guseva, Olga Borodina
Reprise de la production de 2007, alors créée par Seiji Ozawa qu’on n’a pas vue à Vienne depuis 2015. C’est Valery Gergiev qui sera dans la fosse, voilà donc une reprise alla grande, d’autant que Gergiev est assez rare à Vienne car on ne l’a vu que pour Parsifal en 2019 et Lohengrin en 2020. Belle distribution avecla très intense Elena Guseva en Lisa.
(4 repr. du 21 au 30 janv. 2022)

Britten: Peter Grimes (Dir.: Simone Young/Ms: Christine Mielitz)
Avec Jonas Kaufmann, Sir Bryn Terfel, Lise Davidsen
Reprise de la première production viennoise de l’Opéra de Britten, entré au répertoire en 1996, par une étincelante distribution avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann. Cela devrait fortement stimuler le public à voir ou revoir cette œuvre, qui en sera le 26 janvier 2022 à sa 42e représentation à Vienne.
(5 repr. du 26 janvier au 8 février 2022)

Février 2022
Giacomo Puccini : Manon Lescaut (Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Robert Carsen)
Avec Asmik Grigorian, Brian Jagde, Boris Pinkasovich.
Se souvient-on que Carsen émergea à l’international par Manon Lescaut à l’Opéra-Bastille tout neuf, en 1991, dans une production venue de l’Opéra des Flandres, qui reste l’une de  ses meilleures. Le solide Nicola Luisotti en fosse, mais vaut évidemment par la Manon de Asmik Grigorian, plus connue pour ses rôles de répertoire germanique du XXe siècle. Grande curiosité …
(5 repr. du 1er au 13 février 2022)

Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (Dir. :Thomas Guggeis/Ms: Willy Decker)
Avec Klaus Florian Vogt, Vida Miknevičiūtė, Adrian Eröd, Monika Bohinec
Production de 2004, sous le mandat Holender, pas reprise depuis 2017, ici avec une belle distribution, Vogt, l’un des Paul de référence aujourd’hui, et dans le rôle de Marietta, la voix qui monte, qui vient de triompher à Salzbourg dans Chrysothemis Vida Miknevičiūté. En fosse, Thomas Guggeis, l’un des jeunes chefs remarqués à Berlin autour de Daniel Barenboim. Ce devrait être solide.
(4 repr. du 6 au 14 février 2022)

Gaetano Donizetti : Anna Bolena (Dir.:  Giacomo Sagripanti /Ms : Eric Genovèse)
Avec Erwin Schrott, Diana Damrau, Ekaterina Sementchuk, Pene Patti, Virginie Verrez
Une des productions réussies de l’ère Meyer, il est vrai qu’à la première en 2011, les deux dames étaient Anna Netrebko, déjà star  et Elina Garanča à l’aube de sa gloire. Au pupitre Giacomo Sagripanti, un chef italien qui conduit une belle carrière à l’international. Diana Damrau et Ekaterina Sementchuk ne devraient pas décevoir. À noter le ténor Pene Patti qu’on commence à voir un peu partout.
(3 repr. du 12 au 19 février 2022)

Mai 2022
Modest Mussorgski : Boris Godunov (Dir.: Sebastian Weigle/Ms: Yannis Kokkos)
Avec Ildar Abdrazakov, Vitalij Kowaljow, Dmitry Golovnin, Thomas Ebenstein, Tamuna Gochashvili
Production classique de l’ère Holender (2007). Kokkos avait déjà mis en scène Boris Godunov à Bologne. Distribution solide dominée évidemment par Ildar Abdrazakov.
(5 repr. du 11 au 27 mai 2022)


Reprise musicale
Juin 2022
Richard Strauss : Capriccio (Dir.: Philippe Jordan/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Maria Bengtsson, Adrian Eröd, Daniel Behle, André Schuen, Christof Fischesser, Michaela Schuster.
C’est une reprise musicale, ce qui signifie que la mise en scène n’est pas retravaillée, il est vrai que la production Marelli qui remonte à 2008 (avant-dernière année de l’ère Holender) est passe-partout et ne nécessite pas forcément d’être revue. À noter que ce fut la première apparition de Philippe Jordan au pupitre de la Wiener Staatsoper. 13 ans après il en est le directeur musical. Distribution équilibrée, et de qualité.
(4 repr.du 20 au 30 juin 2022)

On le constate, tout ce qui est proposé est solide, bien distribué et devrait garantir un haut niveau moyen de représentations. Mais le cœur, l’ADN de ce théâtre est le répertoire, c’est à dire l’alternance serrée de représentations avec peu de répétitions, quelques « guest-stars » et la troupe. On joue pratiquement tous les soirs à Vienne et il y a toujours un opéra à voir, chaque soir différent.
Cependant, la nouvelle direction a limité le nombre de titres à 40, ce qui n’est déjà pas mal et dépasse la plupart des maisons comparables. Voici la liste des titres présentés, en dehors de ceux que nous avons détaillés :

Octobre 2021 :
Otello
L’Incoronazione di Poppea
Eugène Onéguine
Adriana Lecouveeur (Octobre et novembre) (à noter Elina Garanča en princesse de Bouillon)

Novembre 2021 :
Faust (première le 31 octobre)
Nabucco (ce devait être la prise de rôle d’Anna Netrebko en Abigaille, il faudra attendre parce qu’elle a annulé à cause d’une opération d’urgence, il reste Placido Domingo en Nabucco pour la dernière, les autres étant assurées par Amartuvshin Enkhbat) et les Zaccaria du remarquable Roberto Tagliavini, la basse italienne de référence aujourd’hui)
Carmen
L’Elisir d’amore (Novembre, décembre, février, mars)


Décembre 2021 :

Don Pasquale (Décembre 2021, avril, mai 2022)
Tosca (Décembre, février, mars)
Die Fledermaus (Décembre, janvier)

Janvier 2022 :
La Bohème
La Cenerentola
Werther
Macbeth

Février 2022: Voir ci-dessus Wiederaufnahmen

Mars 2022:
Salomé
Die Entführung aus dem Serail
Rigoletto
Wozzeck (mars-avril)

Avril 2022
Der Rosenkavalier
Tristan und Isolde (avril-mai 2022)
Lucia di Lammermoor

Mai 2022
Le nozze di Figaro
Das Rheingold
Die Walküre
Siegfried
Götterdämmerung

Juin 2022
I Puritani
Il Barbiere di Siviglia
Die Zauberflöte

Dans cette liste abondante, on remarque la Tétralogie de Richard Wagner, qui sera donnée deux fois au mois de mai dans la production bien connue de Sven Eric Bechtolf (2007-2008)
Nous donnons les principaux éléments de la distribution
Direction musicale Axel Kober
Avec John Lundgren, Daniel Behle, Monika Bohinec, Jochen Schmeckenbecher, Stuart Skelton, Lise Davidsen, Nina Stemme, Michael Weinius etc…

Cela mérite peut-être un petit voyage.

Vienne qui avait un peu disparu des radars, non pour le niveau musical, toujours haut, mais par les choix de productions et de mises en scène, revient sur le devant de la scène.  Sans proposer des choix d’une originalité marquée, l’Opéra de Vienne propose un choix de nouvelles productions comparables aux théâtres européens de même importance avec des distributions de très haut niveau. En deux saisons même tronquées, on reparle de Vienne et on a vraiment envie d’y découvrir des spectacles.  Donc on ne peut qu’encourager à bien étudier les périodes qui permettront à l’amateur de faire le plein d’opéra et en particulier décembre 2021.

Pour plus de détails, regarder le site très clair de la Wiener Staatsoper (https://www.wiener-staatsoper.at) et notamment la page de tous les titres présentés dans la saison (https://www.wiener-staatsoper.at/spielplan-kartenkauf/werke/)en cliquant sur le titre, vous y découvrirez les distributions notamment pour le répertoire)

Et dans quelques jours sur Wanderersite.com une interview passionnante de Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne.

Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne ©WienerStaatsoper

 

 

 

 

 

 

LA SAISON 2021-2022 DU TEATRO ALLA SCALA: L’OCCASION D’UN REGARD HISTORIQUE

Le Teatro alla Scala mérite toujours un approfondissement particulier parce qu’on fait bien des erreurs sur son histoire et ses traditions. Aussi, exceptionnellement, avons-nous opté pour une vision globale de la saison (ballet excepté), mais aussi d’un regard sur d’autres saisons du passé, non seulement par comparaison, mais aussi pour raviver quelques souvenirs et surtout pour lutter contre certaines idées reçues du plus lointain passé. En route pour notre Wanderung scaligère…

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Nous avons brièvement évoqué dans un récent post la situation de la Scala, et la présentation de la saison prochaine permet d’en savoir plus sur l’avenir de ce théâtre aimé entre tous.
Dominique Meyer a pris les rênes dans une période troublée, aussi bien à l’intérieur du théâtre à cause du départ anticipé d’Alexander Pereira, qu’à cause du contexte de pandémie, qui a contraint les salles à fermer pendant plusieurs mois au minimum, sinon plus d’une année.
C’est une situation difficile à maîtriser en ces temps extraordinaires. Manque de rentrées, initiatives sporadiques, programmation dans la brume de l’incertitude. On pourrait souhaiter mieux pour les théâtres et leurs managers.
Les choses se lèvent et la plupart des institutions présentent leurs saisons à la presse, en sollicitant les Dieux et les Muses pour que les salles ne soient pas à nouveau contraintes de fermer.

Fin de saison 2020-2021

Dominique Meyer a donc aussi programmé la fin de la saison 2021 (septembre à fin novembre) pour essayer d’attirer le public par des titres appétissants. Contrairement à d’autres maisons, il n’a pas repris les titres qui avaient été prévus avant la crise du covid. Ainsi, l’Ariodante initialement prévu avec Cecilia Bartoli qui avait annulé « par solidarité » avec Alexander Pereira non reconduit, avait-il été conservé sans Bartoli, mais toujours avec Gianluca Capuano, ainsi aussi du Pelléas et Mélisande très attendu qui devait être dirigé par Daniele Gatti (dans une mise en scène – moins attendue- de Matthias Hartmann). Deux spectacles annulés pour cause de Covid que nous ne verrons pas. Mais comme Matthias Hartmann est programmé dans la saison 2021-2022 peut-être lui a-t-on échangé Pelléas contre autre chose.

En septembre 2021, la saison (esquissée fin juin avec la production de Strehler des Nozze di Figaro dirigée par Daniel Harding) trois Rossini bouffes ouvrent l’automne lyrique

Septembre/octobre 2021
Gioachino Rossini, L’Italiana in Algeri (MeS : Jean-Pierre Ponnelle/Dir : Ottavio Dantone)
Avec Gaelle Arquez, Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Mirco Palazzi, Giulio Mastrototaro etc…
Le retour de la production Ponnelle avec cette fois Gaelle Arquez dans le rôle d’Isabella, ce qui est une très bonne idée et les spécialistes Mironov et Siragusa dans Lindoro, avec Mirco Palazzi en Mustafa, le rôle immortalisé par Paolo Montarsolo. Bon début de saison automnale avec en fosse Ottavio Dantone, une sécurité.
(4 repr. du 10 au 18 septembre

Gioachino Rossini, Il barbiere di Siviglia (MeS : Leo Muscato /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Maxim Mironov / Antonino Siragusa, Cecilia Molinari, Mirco Palazzi, Mattia Olivieri.
La Scala avait gardé jusqu’ici la trilogie bouffe rossinienne Italiana, Barbiere, Cenerentola, signée Jean-Pierre Ponnelle, précieux trésor scénique qui n’a pas trop pris de rides quand on voit les Rossini bouffes d’une grande banalité qui essaiment les théâtres. Le Barbiere de Ponnelle arrivé de Salzbourg à la Scala en 1969, inaugurant cette série de Rossini bouffes qui vont être immortalisés par Claudio Abbado.
Cette année en remisant Ponnelle au placard, on appelle Leo Muscato, celui qui avait eu la géniale idée de changer la fin de Carmen pour être plus dans l’air #Metoo du temps… Il a commis comme perles à un collier d’autres productions sans intérêt.
De Ponnelle à Muscato… plus dure sera la chute.
En compensation, Riccardo Chailly reprend la baguette dans un répertoire qu’il a abandonné depuis des années, et ça c’est heureux, très heureux même, on a hâte. Mais quelle gueule ça aurait eu qu’après Abbado, Chailly reprenne la production Ponnelle ! Non, on préfère la médiocrité scénique…Solide distribution, on attend avec gourmandise le Figaro de Mattia Olivieri et la Rosina de la jeune et talentueuse Cecilia Molinari.
(6 repr. du 30 sept. au 15 oct)

Gioachino Rossini, Il turco in Italia (MeS : Roberto Andò/Dir : Diego Fasolis)
Avec Rosa Feola, Erwin Schrott, Antonino Siragusa, Alessio Arduini
Même si je ne suis pas convaincu par Fasolis dans Rossini, ce Turco in Italia s’annonce vocalement intéressant avec un Erwin Schrott qui sûrement en fera des tonnes et la très lyrique Rosa Feola. Production distanciée et cynique de Roberto Andò qui eut bien du succès à la création en février 2020, avec une carrière interrompue par le Covid. On la reprend donc et c’est justice.
(5 repr. du 13 au 25 octobre)

Octobre-novembre  2021
Francesco Cavalli, La Calisto
(MeS : David McVicar/Dir : Christophe Rousset)
Avec Chen Reiss, Luca Tittoto, Véronique Gens, Olga Bezsmertna, Christophe Dumaux
Très belle distribution avec la délicieuse et talentueuse Chen Reiss et Véronique Gens, mais aussi les excellents Luca Tittoto et Christophe Dumaux. MeS de David McVicar, c’est à la modernité sans effrayer le bourgeois et les âmes si sensibles du public de la Scala. Direction confiée à Christophe Rousset, qui l’a enregistré avec Les Talens Lyriques : ce sera sans nul doute solide, mais pour ce qui est de l’inventivité ou de l’imagination… N’y avait-il aucun chef italien disponible pour cette œuvre vénitienne ??
(5 repr. du 30 octobre au 13 novembre)

Novembre 2021
Gaetano Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : Grisha Asagaroff/Dir : Michele Gamba)
Avec Davide Luciano, Aida Gariffulina, René Barbera, Carlos Alvarez
Beau quatuor pour ce marronnier des scènes lyriques : Carlos Alvarez dans un rôle comique ce sera explosif, et David Luciano en Belcore sera sans doute là aussi très drôle. La production de Grisha Asagaroff est professionnelle et la direction de Michele Gamba, jeune chef appréciable, mais diversement apprécié dans sa prestation de 2019, dernière série de cette production régulièrement présentée depuis 2015, alors que la précédente (Laurent Pelly) ne l’a été qu’une saison.
(5 repr. du 09 au 23 novembre)

Cette saison d’automne constitue donc une bonne introduction à la saison 2021-2022. On peut même dire que saison d’automne 2020-2021 et saison 2021-2022 doivent presque être considérées globalement, puisqu’il n’y a en 2021-2022 ni Rossini ni baroque.

De plus, au total, on n’aura jamais autant vu Riccardo Chailly (on s’en réjouit) que pendant cette saison 2020-2021 tronquée : inauguration 2020 (le spectacle A riveder le stelle), Salomé, Die Sieben Todsünden/Mahagonny Songspiel, Il barbiere di Sivlglia, c’est deux fois plus que d’habitude… Vive les pandémies…

Riccardo Chailly et Dominique Meyer © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala

 Saison 2021-2022

Ainsi donc la saison 2021/22 est-elle la première effective de Dominique Meyer, avec un jeu de propositions où le maître mot est « équilibre » à tous prix.
Treize productions étalées de décembre 2021 à novembre 2022 soit à peu près une par mois, plus des soirées de ballet (Dominique Meyer est depuis longtemps un grand amoureux du ballet et il a amené dans ses valises Manuel Legris, artisan d’un splendide travail à Vienne), et de nombreux concerts de tous ordres que nous détaillerons.

Mais le projet de Dominique Meyer est plus global et plus articulé :

En effet, il affiche aussi une vraie saison musicale et instrumentale, très bien structurée, et alléchante que nous allons d’abord évoquer.
Dominique Meyer est un passionné de musique, et notamment de musique symphonique, sans doute plus mélomane que lyricomane : on le perçoit dans la manière dont il structure l’offre « hors-opéra » de la Scala : il y a très longtemps que l’offre n’avait pas été aussi complète, avec de nouvelles propositions très heureuses.

Concerts et récitals

 

Les concerts avec l’orchestre de la Scala annoncés, avec la présence d’Esa Pekka Salonen, de Riccardo Chailly, qui est sans doute un plus grand chef symphonique que lyrique, et de Tughan Sokhiev, directeur musical du Bolchoï et dernier de la lignée des grands chefs russes, ainsi que de deux jeunes, Speranza Scappucci présence qui sans doute annonce un futur opéra (ce serait une excellente idée) et Lorenzo Viotti, qui est là pour Thais et ainsi sera entendu dans un répertoire symphonique ce qui est intéressant pour mieux le connaître.

Il y a aussi de beaux récitals de chant, une tradition qu’il faut absolument faire revivre et Dominique Meyer a bien raison de reconstruire une saison de récitals, comme la Scala en faisait jadis chaque année : Ildar Abdrazakov (nov. 2021),  Waltraud Meier (janv), Ekaterina Sementchuk (janv.), Ferruccio Furlanetto (avr.), Juan Diego Florez (mai), Anna Netrebko (mai),  Asmik Grigorian (sept.2022) sont affichés, alternant mythes et voix nouvelles ou encore moins connues à Milan avec quelque sommets comme la venue de Waltraud Meier. Il faut espérer que ces soirées réenclencheront la passion des milanais pour les voix et contribueront à attirer un public curieux.
Quelques événements exceptionnels aussi avec un concert de l’Académie avec Placido Domingo (2 décembre), le concert de Noël avec le Te Deum de Berlioz dirigé par Alain Altinoglu (18 décembre), et une soirée Anne-Sophie Mutter-Lambert Orkis le 13 février 2022.
Belle idée aussi qu’un cycle de musique de chambre avec les musiciens de l’orchestre de la Scala dans le Foyer (un concert mensuel), c’est si rare dans ce théâtre qu’on se réjouit de ce type d’initiative qui fait mieux connaître la qualité des musiciens et les valorise et surtout affiche la musique de chambre comme un moment d’écoute privilégié, car c’est la musique de chambre qui fait comprendre à l’auditeur ce qu’est « faire de la musique ensemble » et affine son écoute.
Enfin des orchestres invités et pas des moindres :

Novembre 2021 : Staatskapelle Berlin, direction Daniel Barenboim (2 concerts)
Février 2022 : Orchestre de Paris, Esa Pekka Salonen (1 concert)
Avril 2022 : Mariinsky Teatr, Valery Gergiev (1 concert)
Mai 2022 : East-Western Diwan Orchestra, Daniel Barenboim (1 concert)
Sept. 2022 : Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (2 concerts)

Ainsi reverra-t-on Daniel Barenboim à la Scala pour trois concerts, il n’était pas revenu après avoir quitté son poste de directeur musical, et ainsi verra-t-on Christian Thielemann très rare en Italie, alors qu’il y a souvent dirigé dans sa jeunesse. Tout cela est de très bon augure. Des bruits courent d’ailleurs sur la venue de Thielemann pour la première fois dans la fosse de la Scala… On parle même d’un Ring… Wait and see…
Voilà une « saison symphonique » séduisante, bien articulée, intelligente, qu’il faut accueillir avec plaisir, et même gourmandise.

Les autres annonces
Pêle-mêle d’autres annonces ont été faites ou confirmées :

  • Début des travaux d’agrandissement des espaces de travail du théâtre qui vont offrir une scène plus vaste, des espaces nouveaux pour la partie administrative et surtout des espaces pour les répétitions d’orchestre et les enregistrements qui seront à l’avant-garde. Avec un regret éternel pour la disparition de la très utile Piccola Scala depuis plusieurs décennies…
  • Projet de construction d’une cité du théâtre et de la musique, une sorte de « Teatrocittà » comme existe « Cinecittà » à Rome dans le quartier périphérique sud de Rubattino, qui devrait regrouper des entrepôts, des ateliers et des possibilités de production artistique. Une cité intégrée pour les arts de la scène, c’est un projet à peu près unique au monde.
  • À l’intérieur du théâtre, Dominique Meyer importe de Vienne le même dispositif de traduction et sous titres par tablette qui substituera les petits écrans derrière les fauteuils actuels, qui avaient été eux aussi à l’époque copiés sur l’opéra de Vienne. Pour l’avoir expérimenté à Vienne, ce système de tablettes est très efficace et particulièrement convivial pour le spectateur (en huit langues). Par ailleurs un plan de numérisation des documents musicaux est lancé.
  • L’accessibilité au théâtre devrait être améliorée et élargie par une nouvelle carte des prix des billets, un nouveau plan de billetterie qui devrait créer de nouvelles catégories, notamment en Platea (Orchestre) et dans les loges. Le constat unanime était que les prix institués dans la période Pereira étaient bien trop élevés (en soi et eu égard à la qualité moyenne) ce qui contraignait stupidement à vendre les billets invendus le dernier jour à 50%. Il est aussi question d’une Scala plus « inclusive », mais là on est plutôt dans la vulgate de toute institution aujourd’hui…

En bref, Dominique Meyer est réputé pour être non seulement un bon organisateur, mais aussi un bon gestionnaire. Le voilà à l’épreuve d’un théâtre qui en la matière n’en finit pas de virer sa cuti.

Quant au cœur du métier Scala, la programmation lyrique, le paysage est hélas nettement plus contrasté

Opéra

En ce qui concerne le lyrique, l’offre se profile de manière assez traditionnelle à l’instar d’autres saisons scaligères avec un plateau de la balance lourd sur le répertoire italien, et plus léger sur le répertoire non italien : un opéra français (Thaïs), un opéra russe (La Dame de Pique), un opéra du répertoire allemand (Ariadne auf Naxos), un Mozart (Don Giovanni) et une création contemporaine à Milan d’un opéra de Thomas Adès, The Tempest, d’après Shakespeare, créé à Londres en 2004, voilà l’offre non italienne, un saupoudrage auquel le théâtre nous a habitués depuis des décennies.
Le reste des titres (huit) appartient au répertoire italien avec un poids assez marqué pour Verdi et le post verdien : un Cimarosa (Il Matrimonio Segreto), pour l’académie, un Bellini (I Capuleti e i Montecchi), trois Verdi (Macbeth, Un ballo in maschera, Rigoletto), et trois post-verdiens (La Gioconda, Fedora, Adriana Lecouvreur). Une manière de revendiquer l’italianità du théâtre avec des titres qui n’ont pas été repris depuis très longtemps pour certains, comme Capuleti e Montecchi ou Matrimonio segreto, mais aussi une accumulation de trois titres de la dernière partie du XIXe, Ponchielli, Giordano, sans un seul Puccini qui il est vrai a été bien servi les saisons précédentes, et sans baroque ni Rossini très bien servis de septembre à novembre 2021, ce qui justifie leur absence. Nous commenterons au cas par cas et essaierons d’en tirer des conclusions générales sur une saison qui ne suscite pas un enthousiasme débordant.

 

Nouvelles productions :

Décembre 2021
Verdi, Macbeth (MeS: Davide Livermore /Dir. : Riccardo Chailly)
Avec Luca Salsi, Anna Netrebko/Elena Guseva (29/12), Francesco Meli, Ildar Abdrazakov etc…
(8 repr. Du 4 (jeunes) au 29 décembre).
La première production est toujours la plus emblématique. Riccardo Chailly revient à Verdi, et à l’un de ses opéras les plus forts avec une distribution évidemment en écho : Anna Netrebko (la dernière sera chantée par la remarquable Elena Guseva) et Luca Salsi forment le couple maudit. Pour des rôles qui exigent beaucoup de subtilité, il n’est pas sûr qu’ils soient les chanteurs adéquats, et pour un rôle pour lequel Verdi ne voulait pas d’une belle voix, il n’est pas certain non plus qu’Anna Netrebko douée d’une des voix les plus belles au monde soit une Lady Macbeth… Meli et Abdrazakov en revanche sont parfaitement à leur place. Mais pour la Prima, il faut des noms et Netrebko a pris l’abonnement… Quant à la mise en scène, c’est l’inévitable Davide Livermore, un excellent « faiseur »; comme metteur en scène, c’est autre chose… Mais depuis quelques années il est adoré à la Scala friande de paillettes et où l’on aime de moins en moins qu’une œuvre soit un peu fouillée. Étrange tout de même l’histoire de ce titre dans les 45 dernières années. D’abord Giorgio Strehler au milieu des années 1970, la production mythique d’Abbado avec Cappuccilli et Verrett, puis, un gros cran en dessous, la production Graham Vick avec Riccardo Muti, puis encore un cran en dessous Giorgio Barberio Corsetti avec Gergiev en fosse : pas de problème du côté des chefs, mais du côté des productions, jamais le souvenir magique de Strehler ne s’est effacé. On relira par curiosité ce que ce Blog écrivait de la production Gergiev/Barberio Corsetti où l’on faisait déjà le point sur la question https://blogduwanderer.com/teatro-alla-scala-2012-2013-macbeth-de-giuseppe-verdi-le-9-avril-2013-dir-mus-valery-gergiev-ms-en-scene-giorgio-barberio-corsetti.
Voilà la quatrième production, et Davide Livermore face à Strehler, c’est McDonald’s face à Thierry Marx ou un trois étoiles Michelin… On sait que Riccardo Chailly n’aime pas les mises en scènes trop complexes : avec Livermore, pas de danger. Mais quel signe terrible de l’intérêt pour la mise en scène de ce théâtre.
Quo non descendas…

Janvier-Février 2022
Bellini : I Capuleti e I Montecchi
(MeS : Adrian Noble /Dir : Evelino Pidò)
Avec Marianne Crebassa, Lisette Oropesa, René Barbera, Michele Pertusi, Yongmin Park,
(5 repr. du 18/01 au 2/02)
Une œuvre merveilleuse, l’une des plus belles du répertorie belcantiste revient après plus de deux décennies, c’est évidemment heureux. Entre Crebassa et Oropesa, Pertusi et Barbera, on tient là une distribution excellente qui ne mérite que l’éloge.
Mais aller chercher le médiocre Adrian Noble pour succéder à la merveilleuse production Pizzi est pire qu’une erreur, une faute.
Au pupitre Evelino Pidò, comme  il y a 14 ans à Paris dans la même œuvre (avec à l’époque Netrebko et DiDonato), et comme dans tant de reprises de répertoire à Vienne les dernières années. Je n’ai rien contre ce chef excellent technicien qui est pour les orchestres une garantie de sûreté surtout dans une perspective de système de répertoire ou de reprise rapide, mais il y avait peut-être d’autres noms à tenter pour une nouvelle production… D’autant que le monde lyrique est plein de chefs italiens très talentueux à essayer.

Février-mars 2022
Massenet, Thais
(MeS: Olivier Py/Dir. : Lorenzo Viotti )
Avec Marina Rebeka, Ludovic Tézier, Francesco Demuro, Cassandre Berthon.
Une œuvre représentée une seule fois à la Scala, en 1942. Puisqu’elle revient à la mode, c’est une bonne idée que de la proposer avec Lorenzo Viotti en fosse, qui avait bien séduit à la Scala dans Roméo et Juliette de Gounod.
Olivier Py est un grand nom de l’écriture et de la mise en scène, mais il y a quelque temps qu’il n’a plus rien à dire, sinon faire du Py et se répéter: gageons que ce « rien » sera déjà quelque chose. Quant à la distribution, c’est le calque de celle de Monte Carlo en mars dernier, et on est surtout très heureux de voir Ludovic Tézier revenir à la Scala après bien des années.(6 repr. du 10/02 au 2/03)

Tchaïkovski, La Dame de Pique (MeS : Mathias Hartmann /Dir. : Valery Gergiev)
Avec Najmiddin Mavlyanov, Roman Burdenko, Asmik Grigorian/Elena Guseva, Olga Borodina, Alexey Markov etc…
(5 repr. du 23/02 au 15/03)
Mathias Hartmann, un metteur en scène très « fausse modernité », qui fait peut-être Dame de Pique parce que le Pelléas prévu a été annulé mais on s’en moque puisque Gergiev, Borodina, Grigorian etc… Et donc une distribution de très haut vol dont il faudra bien profiter. En plus, Gergiev est l’une des rares grandes baguettes présentes cette saison, il faut saisir cette chance, même si l’on connaît son côté un peu fantasque, boulimique du kilomètre et peu des répétitions…

Mars 2022
Cilea, Adriana Lecouvreur
(MeS : David Mc Vicar /Dir : Giampaolo Bisanti)
Avec Freddie De Tommaso (4 au 10/03)/Yusif Eyvazov (9 au 19/03) Maria Agresta (4 au 10/03)/Anna Netrebko (9 au 19/03), Anita Rashvelishvili(4, 6, 16, 19/03) /Elena Zhidkova (9,10,12/03), Alessandro Corbelli (4 au 10/03)/Ambrogio Maestri (9 au 19/03)
(7 repr. du 4 au 19/03)
Co-Prod Liceu, San Francisco Opera, Paris, Vienne, Royal Opera House
Une large co-production pour ce retour à Milan d’Adriana Lecouvreur après une quinzaine d’années d’absence et surtout après une production Lamberto Pugelli qui a duré deux décennies. De David McVicar il faut s’attendre à un travail bien fait (encore un qui fait de l’habillage moderne d’idées éculées) qui n’effarouchera pas le public peu curieux de la Scala, mais on se demande bien quelle différence de qualité avec la production précédente, sinon l’habillage d’une nouveauté factice.
Mais une distribution étincelante où l’on découvrira (courez-y) le nouveau ténor coqueluche de toute  l’Europe lyrique, le britannique Freddie De Tommaso en alternance avec « Monsieur » Netrebko. Une production idéale pour période de foire et selfies en goguette.
Et puis, last but not least, un chef qu’on commence à entendre à l’extérieur de l’Italie, Giampaolo Bisanti, directeur musical du Petruzzelli de Bari. Applaudissons à ce choix

Avril-mai 2022
Strauss (R) Ariadne auf Naxos
(MeS : Sven Erich Bechtolf /Dir : Michael Boder)
Avec Krassimira Stoyanova, Erin Morley, Stephen Gould, Sophie Koch, Markus Werba etc…
(5 repr. du 15/04 au 03/05)
Co-Prod Wiener Staatsoper Salzburger Festspiele)
Venue d’une production viennoise et salzbourgeoise, élégante et creuse qui mérite les poussières ou les oubliettes de l’histoire : Bechtolf  en effet n’a jamais frappé les foules par son génie, ni par ses trouvailles. Distribution en revanche de très haut niveau (comme la plupart des distributions cette saison) Stoyanova, Gould, Koch sont des garanties pour l’amateur de lyrique. Chef solide de répertoire, familier de Vienne. Mais pour une nouvelle production d’un Strauss aussi important, on pouvait peut-être afficher une autre ambition notamment au niveau du chef.

Mai 2022
Verdi, Un Ballo in maschera (MeS : Marco-Arturo Marelli /Dir : Riccardo Chailly)
Avec Francesco Meli, Sondra Radvanovsky, Luca Salsi, Iulia Matochkina (4, 7, 10, 12/05), Raehann Bryce-Davis (14, 19, 22/05) Federica Guida
(7 repr. du 04 au 22/05).
Magnifique distribution, avec l’Amelia la meilleure qui soit sur le marché aujourd’hui (on peut même dire la verdienne du moment), qui était déjà l’Amelia de la production précédente (Michieletto/Rustioni) et direction musicale du maître des lieux qui dirige un deuxième Verdi, comme il sied à tout directeur musical scaligère, mais il ne nous avait pas habitué à un tel festin.
Avec Marco-Arturo Marelli comme metteur en scène, c’est plutôt l’inquiétude en revanche, tant ont fait pschitt les espoirs qu’on mettait en lui dans les années 1980 (sous Martinoty il avait signé à Paris un Don Carlos programmé par Bogianckino bien peu convaincant) et tant ses nouvelles productions viennoises malgré leur nombre n’ont pas remué le Landerneau lyrique (Capriccio, Cardillac, Die Schweigsame Frau Der Jakobsleiter sous Holänder et Zauberflöte, Falstaff, Gianni Schicchi, La Fanciulla del West, Medea, La Sonnambula, Orest, Pelléas et Mélisande, Turandot pendant le mandat de Dominique Meyer). Le voilà à la Scala, vous conclurez vous-mêmes…

Juin 2022
Ponchielli, La Gioconda
(MeS : Davide Livermore /Dir : Frédéric Chaslin)
Avec Sonya Yoncheva, Daniela Barcellona, Erwin Schrott, Fabio Sartori, Judith Kutasi, Roberto Frontali
(6 repr. du 7 au 25/06)
Sonya Yoncheva veut marcher dans les pas de Callas et s’empare de ses rôles les uns après les autres (Tosca, Médée, et maintenant La Gioconda), la voix est belle, mais le reste n’est pas à l’avenant. N’est pas Callas qui veut, même quand on est soi-disant un nom. Le reste de la distribution est en revanche vraiment très convaincant.
Le metteur en scène est encore une fois Davide Livermore qui fait du (quelquefois bon, reconnaissons-le) spectacle (les américains appellent cela entertainment) et surtout pas plus loin : vous grattez les paillettes, et c’est du vide qui sort.
Il est singulier, voire stupéfiant que Livermore soit tant sollicité à la Scala depuis quelques années et ça en dit long sur les ambitions artistiques de l’institution en matière de mise en scène… Bon, pour Gioconda, ça peut mieux passer que pour Macbeth. Moins gênant en tous casDirection musicale confiée à Frédéric Chaslin, très aimé de Dominique Meyer qui lui a confié à Vienne de nombreux titres de répertoire (à peu près 25) de tous ordres.

Juin-Juillet 2022
Verdi, Rigoletto
(MeS : Mario Martone /Dir. : Michele Gamba)
Avec Piero Pretti, Enkhbat Amartüvshin, Nadine Sierra, Marina Viotti, Gianluca Buratto …
(8 repr. du 20 juin au 11 juillet)
Production de juillet, quand les touristes viennent, le Verdi des familles, signé Mario Martone (sa présence deux fois dans la saison compensera en mieux l’autre présence double, celle de Livermore…) qui est un metteur en scène « classique » mais intelligent et fin, après des dizaines années de règne incontesté de la production Gilbert Deflo : il était effectivement temps de changer.
Distribution solide avec le Rigoletto confié à Enkhbat Amartüvshin, une voix d’airain, mais un interprète peut-être à affiner encore, et accompagné de la délicieuse Nadine Sierra et du pâle mais vocalement très correct Piero Pretti. En fosse, un des jeunes chefs italiens digne d’intérêt, Michele Gamba que le public aura entendu déjà dans L’Elisir d’amore en novembre 2021 (voir plus haut).

Septembre 2022
Cimarosa, Il Matrimonio segreto
(MeS : Irina Brook /Dir : Ottavio Dantone)
Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala
(6 repr. du 7 au 22/09)
La production traditionnelle et annuelle de l’académie, aux mains d’une équipe équilibrée et très respectable. C’est de bon augure pour une œuvre qu’on n’a pas vue à la Scala… depuis 1980 !

Octobre/Novembre 2022
Giordano, Fedora
(MeS : Mario Martone /Dir : Marco Armiliato)
Avec Sonya Yoncheva, Mariangela Sicilia, Roberto Alagna (15 au 21/10), Fabio Sartori (24/10 au 3/11), George Petean.
(7 repr. du 15/10 au 3/11).
Là aussi, Lamberto Puggelli a signé une mise en scène restée au répertoire longtemps dont la dernière reprise remonte à 2004 qui était bien faite et c’est Mario Martone qui signera la nouvelle mise en scène. Dans le naufrage des mises en scènes de la saison, c’est la garantie d’un travail digne.
Distribution en revanche somptueuse qui marque le retour à la Scala de Roberto Alagna après des années d’absence, dans un rôle (Loris) très peu familier du public français, raison de plus pour y aller. Fedora, un rôle que les sopranos abordent sur le tard, est ici Sonya Yoncheva, actuellement loin d’être en fin de carrière mais j’ai beau aller souvent l’écouter, je trouve la voix très belle mais peu d’intérêt au-delà.
Et le chef, Marco Armiliato, efficace, solide, écume les scènes du monde.
Mon unique Fedora à la Scala (et ailleurs) était dirigée par Gianandrea Gavazzeni, avec Freni et Domingo.
Gavazzeni réussissait à faire respecter cette musique, voire la faire aimer… Il en fallait du génie pour faire de ce plomb de l’or.

Novembre 2022
The Tempest
(MeS : Robert Lepage /Dir : Thomas Ades)
Avec Leigh Melrose, Audrey Luna, Isabel Leonard, Frederic Antoun, Toby Spence
 (MET, Opéra National du Québec, Wiener Staatsoper)
(5 repr. du 5 au 18 nov.)
Une des rares créations (2004) qui ait fait carrière, signée Thomas Adès (compositeur et chef) avec la mise en scène « magique » de Robert Lepage, maître en images et en technologie scénique. Pour la plus baroque des pièces shakespeariennes, il fallait au moins ça, avec une distribution de très grande qualité (Antoun, Spence) dominée par le magnifique Leigh Melrose. Une bonne conclusion de la saison, une respiration “ailleurs” avec un niveau musical et scénique garanti.

Reprise :
Mars-avril 2022
Mozart, Don Giovanni
(MeS : Robert Carsen/Dir : Pablo Heras-Casado)
Avec Günther Groissböck/Jongmin Park (5, 10 apr.), Christopher Maltman, Alex Esposito, Hanna Elisabeth Müller, Emily d’Angelo, Andrea Caroll
Reprise de la médiocre mise en scène de Robert Carsen, théâtre dans le théâtre (comme d’habitude…) qui n’a pas marqué les esprits, mais il est vrai que trouver une production de Don Giovanni satisfaisante est un vrai problème. La production précédente de Peter Mussbach n’a pas marqué, et celle de Giorgio Strehler n’a pas non plus été à la hauteur de ses Nozze di Figaro légendaires. Donc, on accepte ce Carsen sans saveur pour jouir de l’excellente distribution et d’un chef qu’on dit très bon, mais qui ne m’a jamais vraiment convaincu.
(7 repr. du 27/03 au 12/04)

 

Conclusions :
Quelques lignes se dégagent :

  • Des distributions solides, voire exceptionnelles, il n’y a là-dessus pas l’ombre d’un doute, nous sommes bien à la Scala et l’excellence est dans chaque production
  • Des choix de chefs éprouvés, souvent familiers du répertoire à l’opéra de Vienne, et capables de bien gérer une représentation parce que ce sont souvent des chefs solides, mais en aucun cas ils n’ont offert de grandes visions artistiques ou de lecture d’une particulière épaisseur par le passé. Sans doute la saison préparée rapidement nécessitait de parer au plus pressé mais sans doute préside aussi l’idée que les chanteurs affichés suffiront à faire le bonheur du public. Des chefs pour la plupart au mieux efficaces, et donc à mon avis inadaptés à la Scala-plus-grand-théâtre-lyrique-du-monde comme « ils » disent…
  • Des choix de metteurs en scène sans aucun intérêt, à une ou deux exceptions près, voire souvent médiocres. Des choix de tout venant qui affichent l’opéra comme un divertissement pour lequel la complexité n’est pas conseillée: des metteurs en scène pour consommation courante, pas pour une vraie démarche artistique.
    Où est la Scala des Strehler, des Ronconi, des Visconti ? (Et même des Guth, Kupfer, ou Chéreau plus récemment) ?

 

Mon trépied de l’opéra chant-direction-mise en scène est bien bancal à la Scala cette année. Jamais la seule brochette de grands chanteurs dans une production n’a suffi à faire une grande soirée.

Il faudra sans doute attendre la saison 2022-2023 pour clarifier les choses puisqu’on espère qu’il n’y aura pas d’accident covidien en cours de route et voir si c’est ce chemin qu’on va emprunter.

Alors, pour essayer d’éclairer le lecteur, j’ai voulu remonter dans le temps, du récent (2012) au plus ancien (1924) pour voir à quoi dans le temps ressemblait vraiment la Scala, car en matière de Scala, le mythe construit dans les années 1950 est tel qu’on croit des choses qui n’ont existé que très récemment. En présentant deux saisons d’avant-guerre (avant deuxième guerre mondiale), à lire évidemment avec des clefs différentes nous avons eu de singulières surprises. Toujours mettre en perspective, c’est la loi du genre, sans jamais de jugements qui ne soient pas nés de l’expérience…

Arturo Toscanini

Plongeons dans l’histoire de la Scala

 

En conclusion de ce post mi-figue mi-raisin, j’ai donc voulu pour la première fois faire profiter le lecteur d’un de mes hobbies préférés, le plongeon dans les archives du théâtre pour mettre tout ce qu’on a pu écrire face au réel de l’histoire, et non face au rêve. Comme on pourra le constater, il y a à la fois des souvenirs, encore vifs, mais aussi des surprises de taille.
En plongeant dans cette histoire, se confronter avec d’autres saisons fait revenir à la raison ou relativiser (ou confirmer) nos déceptions. J’ai donc fixé comme critère des saisons où Macbeth était dans les productions prévues.

 

  • Une saison d’avant la deuxième guerre mondiale et une saison « Toscanini »

On devrait plus souvent se pencher sur les saisons de la Scala au temps de Toscanini et autour, on verrait l’extrême diversité de l’offre lyrique, et notamment aux temps de Toscanini, la présence quasi permanente du chef légendaire au pupitre. On verrait aussi que Verdi était bien moins représenté que de nos jours, avec quelques œuvres mais en aucun cas la large palette que les théâtres de tous ordres offrent dans Verdi. <

Ainsi Macbeth n’est pas représenté entre 1873 et 1939, année où l’œuvre de Verdi ouvre la saison (à l’époque le 26 décembre) dirigée par l’excellent Gino Marinuzzi.

Pour donner une indication encore plus surprenante : il y a 23 titres de tous ordres dont nous allons simplement donner la liste, et deux Verdi (Macbeth pour 4 repr. et La Traviata pour 11), tous deux dirigés par Gino Marinuzzi. Voici la liste des œuvres données en 1939, quelquefois inconnues de nos jours, et les œuvres étrangères données toutes en italien :

  • Verdi, Macbeth
  • Massenet, Werther
  • Mulé, Dafni
  • Bellini, La Sonnambula
  • Puccini, La Bohème
  • Rabaud, Marouf, savetier du Caire
  • Puccini, Turandot
  • Wolf-Ferrari, La Dama Boba
  • Wagner, Tristan und Isolde
  • Verdi, La Traviata
  • Leoncavallo, Pagliacci
  • Cilea, Adriana Lecouvreur
  • Humperdinck, Haensel und Gretel
  • Pizzetti, Fedra
  • Catalani, Loreley
  • Mascagni, Il Piccolo Marat
  • Beethoven, Fidelio
  • Wagner, Siegfried
  • Ghedini, Maria d’Alessandria
  • Boito, Nerone
  • Donizetti, La Favorita
  • Giordano, Fedora
  • Paisiello, Il Barbiere di Siviglia ovvero la precauzione inutile

Ainsi, on voit la grande diversité de l’offre, avec beaucoup d’œuvres « contemporaines » ou récentes à l’époque, pas un seul Rossini (la Rossini Renaissance sera pour plus tard).
On peut être surpris sur le nombre de titres affichés, mais c’était l’époque où la mise en scène n’était pas essentielle ou tout simplement n’existait pas au profit d’une mise en espace devant des toiles peintes, faciles à changer d’un jour à l’autre, sans décors construits. Une alternance plus rapide était plus facile à mettre en place.
Nettoyons nos idées reçues sur la Scala : à peine le nez dans son histoire qu’on découvre que tout ce qu’on raconte sur la Scala et Verdi, demande au moins une révision des rêves d’aujourd’hui sur un hier mythique.
Toscanini a beaucoup dirigé Verdi à la Scala, mais pas tous les titres, et il a autant dirigé Wagner et d’autres compositeurs. Prenons la saison 1924, celle du fameux Tristan und Isolde pour lequel Toscanini, arguant qu’il était ouvert à tout ce qui était novateur (les temps ont changé), avait appelé Adolphe Appia pour la mise en scène.
En 1924, voici les 24 titres, avec seulement trois chefs, Arturo Toscanini, Arturo Lucon, Vittorio Gui (un magnifique chef, si vous trouvez des enregistrements, n’hésitez pas, c’est un des plus grands chefs italiens, mort à 90 ans en 1975).

  • Strauss, Salomé (Vittorio Gui) (Ouverture de saison)
  • Riccitelli, I Compagnacci (Vittorio Gui)
  • Mozart, Zauberflöte (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Aida (Arturo Toscanini)
  • Verdi, La Traviata (Arturo Toscanini)
  • Donizetti, Lucia di Lammermoor (Arturo Lucon)
  • Puccini, Manon Lescaut (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Tristan und Isolde (Arturo Toscanini)
  • Mascagni, Iris (Arturo Toscanini)
  • Rossini, Il Barbiere di Siviglia (Arturo Lucon)
  • Bellini, La Sonnambula (Vittorio Gui)
  • Puccini, Gianni Schicchi (Vittorio Gui)
  • Gluck, Orfeo ed Euridice (Arturo Toscanini)
  • Alfano, La leggenda di Sakuntala (Vittorio Gui)
  • Verdi, Falstaff (Arturo Toscanini)
  • Verdi, Rigoletto (Arturo Toscanini)
  • Bizet, Carmen (Vittorio Gui)
  • Pizzetti, Debora e Jaele (Arturo Toscanini)
  • Charpentier, Louise (Arturo Toscanini)
  • Wagner, Lohengrin (Vittorio Gui)
  • Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg (Arturo Toscanini)
  • Moussorgski, Boris Godunov (Arturo Toscanini)
  • Boito, Nerone (Arturo Toscanini)
  • Giordano, Andrea Chénier (Vittorio Gui).

Sur 14 titres dirigés, Arturo Toscanini dirige Verdi (4), Mozart (1), Gluck (1) Puccini (1), Mascagni (1), Moussorgski (1) Boito (1) Charpentier (1) Pizzetti (1) Wagner (2).

Plus près de nous, les saisons d’Abbado ressemblent par leur organisation aux saisons d’aujourd’hui. Vous pourrez constater que c’est à juste titre qu’on peut « mythifier » la période :

  • Une saison du temps de Claudio Abbado et Paolo Grassi
  • 1975-1976
  • Macbeth (Abbado/Strehler)
  • Io Bertold Brecht (Tino Carraro/Milva/Strehler) ) à la Piccola Scala
  • La Cenerentola (Abbado/Ponnelle)
  • L’Heure Espagnole/L’Enfant et les sortilèges/Daphnis et Chloé (Prêtre/Lavelli)
  • Cosi fan tutte (Böhm/Patroni-Griffi)
  • Simon Boccanegra (Abbado/Strehler)
  • Aida (Schippers/Zeffirelli)
  • Werther (Prêtre/Chazalettes)
  • Benvenuto Cellini (Davis/Copley) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Peter Grimes (Davis/Moshinsky) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • La Clemenza di Tito (Pritchard/Besch) Tournée du ROH London (et la Scala est à Londres)
  • Der Rosenkavalier (Kleiber/Schenk)
  • Luisa Miller (Gavazzeni/Crivelli)
  • Turandot (Mehta/Wallmann)

Tournée aux USA pour le bicentenaire de l’indépendance américaine
– La Bohème (Prêtre-Zeffirelli)
– La Cenerentola (Abbado-Ponnelle)
– Simon Boccanegra (Abbado-Strehler)
– Macbeth (Abbado-Strehler)

Considérons le niveau des chefs invités à la Scala en dehors d’Abbado, Böhm, Prêtre, Kleiber, Mehta, Gavazzeni, Colin Davis : c’est le « festival permanent »… on comprend pourquoi le public était difficile…

Au temps de Muti, la saison 1997 a aussi ouvert par Macbeth, c’est moins festivalier que la saison 1975, mais cela reste assez solide avec trois titres dirigés par Muti sur dix.

  • Une saison du temps de Riccardo Muti et Carlo Fontana
    1997-1998
  • Macbeth (Muti/Vick)
  • Il Cappello di paglia di Firenze (Campanella/Pizzi)
  • Die Zauberflöte (Muti/De Simone)
  • Khovantschina (Gergiev/Barstov)
  • Linda di Chamounix (A.Fischer/Everding) (Prod.Wiener Staatsoper)
  • Der Freischütz (Runnicles/Pier’Alli)
  • Manon Lescaut (Muti/Cavani)
  • Lucrezia Borgia (Gelmetti/De Ana)
  • L’Elisir d’amore (Zanetti/Chiti)
  • Carillon (Pesko/Marini) au Piccolo Teatro Strehler

Même impression pour cette saison Lissner/Barenboim : Lissner a été décrié par le public local, pourtant, à lire la saison 2012 (il n’y a que 9 ans), on est tout de même séduit par la diversité de l’offre et la qualité moyenne… afficher dans une saison un Ring, un Lohengrin, un Don Carlo, une Aida etc… Ça laisse un peu rêveur…

  • Une saison du temps de Daniel Barenboim et Stéphane Lissner
    2012-2013
  • Lohengrin (Barenboim/Guth)
  • Falstaff (Harding/Carsen)
  • Nabucco (Luisotti/D.Abbado)
  • Der fliegende Holländer (Haenchen/Homoki)
  • Cuore di Cane (Brabbins/McBurney)
  • Macbeth (Gergiev/Barberio-Corsetti)
  • Oberto, conte di San Bonifacio (Frizza/Martone)
  • Götterdämmerung (Steffens-Barenboim/Cassiers)
  • Der Ring des Nibelungen (Barenboim/Cassiers)
  • Un ballo in maschera (Rustioni/Michieletto)

Tournée au Japon : Falstaff/Rigoletto/Aida

  • La Scala di Seta (Rousset/Michieletto)(Accademia)
  • Don Carlo (Luisi/Braunschweig)
  • Aida (Noseda/Zeffirelli)

De cette manière le lecteur tient des éléments de comparaison. L’intérêt de se plonger dans les archives, c’est de faire des découvertes, de rétablir des vérités contre les idées préconçues et surtout les mythes d’aujourd’hui :

  • quand on voit ce que dirige Riccardo Chailly, directeur musical (2 productions) et ce qu’ont dirigé encore près de nous Barenboim, Muti, un peu plus loin Abbado, et encore plus loin Toscanini, on se dit que le titre est usurpé parce qu’il est évident que Riccardo Chailly ne donne pas grand-chose à ce théâtre. À ce niveau, c’est plutôt la Scala qui sert la soupe à un grand absent.
  • quand on voit la saison 1975-1976 à la Scala on comprend pourquoi ces années-là semblent un rêve éveillé. Inutile même de comparer, c’est trop douloureux, mais à regarder la saison Muti et la saison Barenboim, la comparaison est aussi éloquente.
  • Personnellement, je revendique l’intérêt de mises en scène contemporaines, qui parlent aux sociétés d’aujourd’hui et pas de mises en scènes qui ne sont qu’un cadre divertissant à la musique : c’est une erreur profonde de penser que l’opéra c’est musique et chant + guirlandes. Qu’importe d’ailleurs que la mise en scène soit traditionnelle ou novatrice, si elle a du sens.

La saison lyrique 2021-2022 à la Scala, est grise et ne soulève pas l’enthousiasme. Il y a peut-être des raisons objectives à ces choix qui laissent un peu perplexes, mais sans penser qu’on doit faire de la saison un festival permanent (c’est pourtant le sens du système stagione : faire de chaque production un moment d’exception), il y a peut-être à trouver une voie un peu plus stimulante. Je peux comprendre des difficultés dues au contexte, mais ce programme ne donne aucun signe d’avenir, et c’est là la question. On compensera sa déception par une saison symphonique et musicale intelligente et bien construite qui est-elle tout à fait digne de cette maison.

On souhaite alors ardemment que la saison symphonique par son organisation et son offre, trace un sillon que suivra la saison lyrique les années prochaines pour un théâtre qui sait, quand il faut, être le plus beau du monde.
Mais, dans la déception comme dans le triomphe, on continue de l’aimer éperdument… Et lucidement, car on le sait, la passion va de pair avec la lucidité, comme chez Racine.

BIENVENUE À PARIS, GUSTAVO !

Gustavo Dudamel © Julien Mignot

Un directeur musical à Paris

La nomination attendue de Gustavo Dudamel comme directeur musical à l’Opéra de Paris a provoqué le concert de louanges et déchainé les trompettes de la renommée. C’est effectivement une nouvelle positive car on parle futur, ce qui est toujours agréable.
Dans ce blog, on parle aussi beaucoup du passé, qui souvent éclaire le présent et détermine le futur. J’ai été interpellé par l’expression d’un article élogieux d’un de nos deux grands quotidiens nationaux de référence « premier chef sud-américain » nommé à Paris, comme s’il arrivait après une longue liste de noms les plus divers. Or un regard sur l’histoire récente montre qu’il n’en est rien. Pas de noms au XIXe, pas de noms au XXe jusqu’en 1973 où Georg Solti est « conseiller musical » – il le reste deux ans (Rolf Liebermann avait besoin d’un nom…), Georg Solti est donc le « premier chef magyaro-britannique » à « conseiller/diriger » musicalement l’Opéra de Paris. Puis après Solti arrive plus de dix ans après et pour deux ans, Lothar Zagrosek, nommé par Jean-Louis Martinoty, directeur musical en titre (le premier depuis le XVIIe) qui est donc le «premier chef allemand» à exercer cette fonction. En 1989, ce devait être Barenboim, éliminé par oukase, et c’est en 1990, nommé par oukase, Myung-Whun Chung, directeur musical et « premier chef coréen » à l’opéra de Paris. Chung est remercié par Hugues Gall, qui nomme en 1995 James Conlon « premier nord-américain » appelé à être directeur musical, jusqu’en 2004. Enfin, en 2009, Nicolas Joel appelle Philippe Jordan, « premier chef suisse » à exercer la fonction de directeur musical. Tout cela fait sourire.
Deux observations:
– la période contient deux blancs : 1975-1987 (Liebermann et Bogianckino) et 2004-2009 (Gérard Mortier). C’est dire simplement que la fonction n’est pas naturelle à Paris comme on semble le penser, et certains directeurs ou administrateurs généraux (et pas des moindres) ont préféré s’en passer. Gérard Mortier en avait un « in pectore », Sylvain Cambreling, mais il n’avait pas le titre. Rappelons aussi que Dominique Meyer à Vienne après la démission fracassante de Franz Welser-Möst en 2014 a préféré se passer de directeur musical…
– on attend donc dans un futur qu’on espère lointain pour Dudamel, la nomination du «premier directeur musical français»…

La fonction est obligatoire en Allemagne et en Italie, il y en a à Zurich, Bruxelles, Barcelone, Madrid et à Londres, mais pas vraiment en France sauf à Lyon où depuis une quarantaine d’années, elle est instituée (John Eliot Gardiner, Kent Nagano, Ivan Fischer, Louis Langrée, Kazushi Ono, Daniele Rustioni), à Toulouse (Michel Plasson, Tugan Sokhiev) et à Bordeaux (Paul Daniel actuellement) mais dans ces deux villes l’orchestre de l’opéra est en même temps l’orchestre régional, alors qu’à Lyon, l’orchestre de l’Opéra est spécifique et ne cumule pas les deux fonctions.

Les directeurs d’opéra n’ont en effet pas toujours envie de voir leur pouvoir limité par un directeur musical, quelquefois envahissant et on connaît quelques incompatibilités d’humeur (Riccardo Muti-Cesare Mazzonis à la Scala, mais aussi Claudio Abbado face à la paire Eberhard Wächter/Ioan Holänder à Vienne)

Il est clair que l’Opéra de Paris dans la situation actuelle a besoin de la figure du directeur musical, pour faire repartir la machine perturbée par la crise du Covid, le départ à épisodes de Stéphane Lissner, et la présence plus rare de Philippe Jordan, qui a conclu son mandat par un Ring en retransmission radio fin 2020, qui reste directeur musical en titre jusqu’à fin août mais sans diriger puisqu’il est officiellement à Vienne depuis septembre 2020. Il est vrai aussi que le Covid a rebattu les cartes.

La stratégie d’Alexander Neef est très claire. Il a besoin de relancer la machine, d’attirer de nouveau le public, et surtout de faire parler de l’Opéra autrement qu’en termes de crises, de contestations, de grèves et j’en passe…
Il lui fallait donc un nom, et un chef plutôt « communiquant » pour prendre la lumière et séduire les médias : en Gustavo Dudamel, il a tout. C’est un beau coup. 

Gustavo Dudamel

J’ai connu personnellement Gustavo Dudamel en 2004, à Bamberg, lors d’un concert d’automne des Bamberger Symphoniker consécutif à son succès au concours de direction d’orchestre «Mahler-Wettbewerb » de Bamberg, un concert au programme français, L’horloge de Flore de Jean Françaix avec Albrecht Mayer au hautbois (Albrecht Mayer était hautbois solo aux Bamberger Symphoniker avant d’intégrer les Berliner) et la Symphonie n°3 pour orgue de Saint Saëns. Je l’avais interviewé à cette occasion pour le mensuel italien Amadeus. Mais je l’avais vu précédemment diriger à l’Expo 2000 l’orchestre Simon Bolivar (Orquestra Sinfónica Simón Bolívar de Venezuela) à Hanovre (il avait alors 19 ans) où j’étais conseiller musical. Cela pour préciser qu’il fait partie des chefs que j’ai suivis depuis très longtemps. Lors de cette interview, sa disponibilité, sa gentillesse et sa modestie m’avaient vraiment frappé, ainsi que la manière dont il parlait de ses maîtres, José Antonio Abreu le fondateur du Sistema vénézuélien, Sir Simon Rattle qui l’avait remarqué et Claudio Abbado passionné par les orchestres de jeunes et donc forcément par le projet d’Abreu. Il dirigea d’ailleurs régulièrement l’Orchestre Simon Bolivar entre 2005 et 2010, car il passait alors ses hivers au Venezuela et à Cuba. Il laissa même la baguette à Dudamel pour la 5ème de Mahler lors d’une tournée de l’Orchestre Bolivar à Rome et Palerme en septembre 2006 alors que lui dirigeait en première partie le triple concerto de Beethoven.
Gustavo Dudamel est fils du Sistema vénézuélien, c’est une évidence, mais il n’est pas issu d’une famille venue des bidonvilles où le Sistema recrutait, il provient d’une famille de musiciens et a commencé à diriger très tôt, et à 19 ans, il dirigeait déjà la Simon Bolivar, qui est le sommet de la pyramide d’orchestres qui composent El Sistema : intégrer immédiatement les jeunes dans un orchestre local et peu à peu permettre à ceux qui sont doués et qui veulent en faire leur métier d’accéder par étapes à des orchestres plus importants du pays est le principe de la construction fondée par José-Antonio Abreu dès les années 1970.
Ceux qui ont assisté à des concerts de l’Orchestre Simon Bolivar ont pu constater l’enthousiasme et la virtuosité de ces jeunes aussi fascinants dans Tchaïkovski, Mahler ou Prokofiev que dans West Side Story ou dans la musique populaire sud-américaine : ce sont les meilleurs musiciens d’orchestre de toute l’Amérique du Sud..
Le monde de la musique classique est désormais irrigué de ces jeunes musiciens vénézuéliens qui ont intégré les orchestres du monde entier. Par ailleurs, El Sistema a produit après Gustavo Dudamel un certain nombre de bons chefs qui font actuellement carrière, Domingo Hindoyan (à l’orchestre Symphonique de la Radio polonaise), Rafael Payare (à l’Orchestre symphonique de Montréal), Diego Matheuz (qui a été directeur musical de La Fenice de Venise), Christian Vasquez ( directeur musical du Teresa Carreño Youth Orchestra à Caracas et ex-directeur musical du Stavanger Symphony Orchestra). Notons enfin que la vénézuélienne Gladysmarli Del Valle Vadel Marcano a obtenu le prix de l’orchestre lors du premier concours La Maestra en septembre 2020 (remporté par Rebecca Tong).
Il faut insister sur cet aspect du parcours de Gustavo Dudamel pour mieux saisir le chef d’aujourd’hui : et d’abord il faut noter l’importance qu’il donne à la jeunesse (il m’avait dit que les salles de concerts vénézuéliennes étaient remplies de jeunes, et qu’en arrivant en Europe, il avait été surpris du public plutôt mûr). Ensuite il est très soucieux de diffusion musicale par des efforts marqués pour « populariser » la musique grâce au mélange de répertoires, et à l’ouverture à tous les publics, mais aussi par l’importance donnée à la communication.
Du point de vue musical, il s’est formé très jeune à la direction, et notamment avec de jeunes exécutants ; cela signifie des gestes précis, clairs, compréhensibles par le groupe, cela suppose aussi un rapport très naturel et très cordial, qualités dont évidemment il fait encore preuve à la tête des différents orchestres où il provoque une véritable empathie.
Comme d’autres collègues vénézuéliens (Matheuz ou Payare par exemple), il a été marqué par Claudio Abbado, qui dirigeait au moins deux fois par an à Caracas (janvier et février) et faisait avec l’orchestre de longues répétitions.
Son répertoire de base et sa formation sont donc essentiellement symphoniques (à commencer par les grands classiques comme Beethoven ou Mahler), et moins opératiques: il dirige son premier opéra, Don Giovanni, à la Scala en 2006 où Stéphane Lissner avait offert des productions à une série de jeunes chefs. Je l’avais entendu dans cette production et je me souviens de l’impression forte qu’il m’avait procurée dans la scène de la mort de Don Giovanni, au rythme et à la pulsion qui m’avaient évoqué quelque chose de Furtwängler, mais d’un autre côté, il avait tendance dans la fosse à se concentrer sur l’orchestre et à moins tenir compte des chanteurs. Je l’ai entendu dans Don Giovanni (Scala), Rigoletto (Scala), La Bohème (Berlin), West Side Story (Salzbourg-Pentecôte) et la semaine dernière dans Otello (Liceu), où j’ai été cette fois plus frappé par la manière dont il suivait très attentivement le plateau, par sa précision et le son qu’il arrivait à tirer de cet orchestre moyen, mais moins par l’originalité de l’approche.
Son répertoire lyrique va évidemment s’étoffer à l’Opéra de Paris. Philippe Jordan est arrivé à Paris à l’âge de 34 ans avec une réputation de chef lyrique plutôt que symphonique et donc avec un répertoire plus large : il dirigeait régulièrement à Berlin, à Zurich, et avait été directeur musical à Graz. Ce n’est que depuis qu’il prit en main les Wiener Symphoniker (en 2014) qu’il a construit son image de chef symphonique.
Dudamel c’est un peu l’inverse : il arrive à 40 ans, avec une expérience lyrique plus réduite et sans avoir exercé de fonctions dans un théâtre d’opéra, mais avec une très grosse réputation de chef symphonique au point qu’il compte aujourd’hui dans le top-ten des chefs d’aujourd’hui. Tout en gardant la Simon Bolivar, il a dirigé successivement l’Orchestre Symphonique de Göteborg puis il est passé au très prestigieux Los Angeles Philharmonic Orchestra, où exerçait alors Esa-Pekka Salonen qui était au jury du concours Mahler dont il sortit vainqueur en 2004.

C’est donc sans aucun doute en ce moment the right man on the right place pour Neef qui a besoin de redorer le blason parisien un peu piétiné depuis trois ans, et pour Dudamel qui a besoin quant à lui de compléter sa connaissance du répertoire lyrique, d’où un contrat de six ans (relativement long) qui sera sans doute renouvelé si chacun y trouve son compte. Un chef de grande réputation internationale comme lui doit s’affirmer aussi à l’opéra.
Il est bouillant, énergique, sympathique, tout en étant rigoureux, il plaît aux orchestres parce qu’il est techniquement très sûr et il est sans conteste un grand musicien. Mais il n’est pas encore un inventeur, et n’a pas trouvé encore à mon avis son style mais à quelques exceptions près, on sait bien que souvent, à part le jeunisme ambiant et ses instabilités, on devient « chef de référence » après quarante-cinq ans, « vénérable et respecté » après soixante-dix et « mythe vivant » après quatre-vingts. Wait and see. Bienvenue à Paris, Gustavo !

 

 

 

QUEL SYSTÈME PRODUCTIF POUR LE LYRIQUE? (2)

Les choix et leurs conséquences

Une troupe à Paris ?

Point n’est besoin d’instituer le système de répertoire pour posséder une troupe et fidéliser des chanteurs. Le répertoire impose la troupe, mais pas l’inverse: la troupe peut s’avérer une solution dans le cas d’un système stagione très serré comme à Paris.
On peut en effet y constituer une équipe de chanteurs, un ensemble plus régulier, sans que les habitudes de la maison en soient bouleversées.
En effet, et c’est souvent déjà le cas sans même qu’il y ait de troupe constituée, un certain nombre d’artistes sont déjà engagés sur plusieurs productions d’une saison, et c’est sans doute sur cette base que pourrait se constituer une troupe.
Dans ce cas, le mode de recrutement (ou les contrats) pourrait être diversifié, sans remettre en cause des organisations techniques et logistiques. Il suffirait de définir les besoins: un théâtre allemand moyen a une troupe d’une douzaine de chanteurs, les grands théâtres une vingtaine, comme l’Opéra de Munich ou la Staatsoper de Berlin, mais les deux maisons engagent à la production un certain nombre d’artistes Free-lance. Il y a ainsi le terreau stable et les fleurs.
À Paris, il faudrait sans doute un plus grand nombre de chanteurs, pas forcément engagés à l’année, mais sur une période déterminée, quelque mois au minimum, avec assurance de réengagement sur plusieurs saisons etc. Là-dessus, l’imagination est au pouvoir, et la situation du chant français est suffisamment bonne actuellement pour que la future troupe n’ait pas trop de difficultés de recrutement en France, même si l’Opéra de Paris n’évitera pas de se tourner aussi vers des artistes européens ou extra-européens. L’Opéra est un art international, dans ses produits et dans ses artistes depuis sa naissance (cf. les Italiens à Paris, depuis le XVIIe) et il y a un marché international des chanteurs.
Cet essai de fidélisation d’artistes sans doute à géométrie variable selon l’artiste recruté sur un temps plus long, pourra être appelé troupe, ensemble, artistes associés, que sais-je, et l’alternance déjà tout de même relativement serrée des spectacles (une vingtaine de productions à l’année) à l’Opéra de Paris ne provoquera pas de révolution des organisations, mais sans doute un lissage des cachets qui pourraient aussi pour certains devenir salaires dans le cadre de sortes de CDD new-look.
Dans le système de troupe, les artistes reçoivent un fixe, comme le ballet, le chœur ou l’orchestre : dans un métier plutôt difficile, c’est une sécurité pour nombre de jeunes chanteurs.
D’autres en revanche préfèrent le système stagione et sa rémunération au cachet, car les sommes apparaissent plus importantes et la liberté plus grande, c’est à cela que répond le système de l’intermittence en France. Car les artistes – et pas seulement les chanteurs- attendent les engagements et en attendant reçoivent les indemnités versées par le système d’intermittence entre deux engagements.  À l’évidence les négociations porteront avec les agents artistiques sur le statut de la rémunération, et sa hauteur. C’est de toute manière praticable : l’Opéra est une grosse maison qui a des atouts.
Mais en France où le statut de l’artiste est sacralisé, voire mythifié, la notion de « cachet » reste préférée à celle de « salaire » … Cela préserve la liberté individuelle et la sacrosainte liberté de création. En Allemagne, les chanteurs ou les acteurs sont des employés municipaux… loin du mythe de l’artiste créateur.
Comme tous les systèmes régis par la loi de l’offre et la demande, les cachets des grandes stars sont élevés, voire très élevés, mais dans l’ensemble, les cachets pratiqués restent pour les autres artistes assez raisonnables. L’Opéra n’est pas le foot, ni même la variété, d’autant qu’il y a des accords entre les théâtres pour éviter l’inflation, même si les cachets du lyrique ont plus hauts qu’au théâtre par exemple (pour tous, metteurs en scène compris), ils restent largement praticables.

Il reste à aborder une question plus symbolique, et plus abstraite : à quoi répond en termes de politique culturelle, mais aussi philosophiquement le choix d’un système de répertoire ou stagione. Et pourquoi la France a-t-elle fini par adopter partout la stagione ? C’est une question importante rarement posée qui tient à la politique culturelle.

Le système stagione : caractère et conséquences

En France, on a développé dans les théâtres publics notamment hors Paris, le multigenre, par exemple des spectacles qui allient danse et théâtre, cirque, mais aussi pour les salles une diversité d’offre : opéra, théâtre, stand up, danse, cirque…il en faut pour tous les goûts dans les institutions de spectacle public dispersées dans tout le territoire. Il faut que tous les genres soient à un moment accessibles au public potentiel. Conséquence : le public est très ouvert, mais globalement moins spécialisé.
L’autre caractère du monde français est aussi l’existence de compagnies, plus petites, accueillies dans les structures publiques ou pas, et un monde « privé » ou « indépendant » important. C’est par exemple, à Avignon le In (public) et le Off (privé).
Avec sa structuration élastique, le spectacle en France apparaît comme un système plus « libéral » au sens où il laisse une forte initiative individuelle.Le résultat en est le foisonnement d’une offre assez désordonnée (ce qui ne veut pas dire médiocre), dont le Off d’Avignon constitue le supermarché : tous les genres vivent plus ou moins de ce système, sauf l’opéra qui coûte plus cher, et qui nécessite des structures plus installées sauf rares structures indépendantes (on peut penser par exemple à l’Opéra des Landes ou à la Fabrique-Opéra, voire à la programmation si intelligente du Théâtre de l’Athénée à Paris). Le résultat d’un système aussi polymorphe sur le public, c’est qu’il n’y a plus vraiment de public de genre en France, et c’est une singularité. A priori, le public français est plus globalisé, plus éclectique, plus picoreur : la fonction du spectacle vise à la représentation, à la satisfaction immédiate, et dépend très étroitement du mode de management artistique. C’est l’initiative artistique qui est privilégiée, avec un système de tournées qui sont souvent des renvois d’ascenseur, sans toujours une ligne claire. La dilution du public et les goûts éclatés ont évidemment des conséquences sur le public d’opéra, ce qui fait dire qu’il n’y pas de public d’opéra en France et notamment à Paris : le public très averti est plutôt réduit ; sinon c’est un public volatile. Qual piuma al vento.

L’Opéra nécessite chœur et orchestre, quelquefois un corps de ballet et  hors des salles d’opéra, c’est difficile à monter sinon à l’occasion de rares tournées « tout compris » de maisons d’opéra moyennes essentiellement de l’Est Européen, qui vendent des Nabucco et des Traviata à bas prix, mais ça se fait de moins en moins, ou pour des formes plus petites, ou des opérations très ponctuelles . Et une compagnie privée d’opéra quand elle existe ne peut guère monter plus d’un spectacle par an.
La plupart des lieux de spectacle par ailleurs ne sont guère équipés pour des éventuelles tournées des opéras régionaux : deux exemples en France, l’Opéra du Rhin entre Strasbourg et Mulhouse et Angers – Nantes Opéra. Dans une grande région comme Auvergne-Rhône-Alpes, il y a trois vraies salles pour l’Opéra, Vichy, Saint-Etienne, Lyon, et pour le reste, difficile d’installer un orchestre en fosse, dans un CDN. même aussi important que  Grenoble. Beaucoup de salles n’ont pas de fosse d’orchestre ou elles en ont, d’une capacité très réduite. Il reste à s’installer dans les Zénith et assimilés, avec les problèmes acoustiques afférents. A Signaler cependant l’initiative de la co[opéra]tive, à initiative de plusieurs CDN auxquels se sont associés des opéras, qui s’unissent pour produire et faire tourner des opéras en version allégée (orchestre en format réduit, peu de choristes), c’est de le cas de l’opération autour de La Dame Blanche de Boieldieu qui devrait tourner en 2021 en France (Covid permettant). Excellente initiative qu’il faudra suivre avec attention parce que c’est à partir d’idées de ce type qu’on irriguera de nouveau des parties du territoire moins gâtées par le lyrique.

Comme   les structures même importantes ne peuvent la plupart du temps jouer les productions sur un temps long, elles n’ont pas non plus d’orchestre fixe – l’essentiel des orchestres régionaux ont une activité double d’orchestre de fosse et d’orchestre symphonique (Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg), tout simplement parce que l’offre et le public ne permettent pas l’élargissement. D’autres invitent des formations (Lille, Opéra-Comique, TCE). Situation là aussi éclectique qui masque un peu la misère, malgré les espoirs qu’avait pu engendrer le plan Landowski des années 1970.

L’impression est qu’on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a sans vrai plan, sans autre pilotage que celui des moyens. Le théâtre parlé maille plus fermement le territoire, mais avec un système tout aussi éclectique, l’opéra maille peu, avec quelques institutions solides, et d’autres moins.
Ce système a surtout un immense avantage, c’est sa souplesse et son élasticité : s’il y a moins d’argent, il y a moins de spectacles, une production en moins, un concert au lieu d’un opéra et la messe est dite. L’autre avantage aussi est qu’il ne coûte pas si cher, encore que la culture soit toujours trop chère pour certains politiques et pour la technocrature.
Le système stagione en région est en effet souvent un cache-misère, parce que dans ce système, le financement de la production est chaque année remis sur le métier, dans les grands établissements, environ 20 à 25% du budget total, une production qui nécessite une longue préparation et des coûts qui devraient être amortis par la billetterie, ce qui n’est pas toujours vrai. Mais les frais de production sont aussi de grosses charges pour les structures moins grandes d’où des co-productions où les frais sont partagés. Mais au-delà de la saison en cours, les spectacles n’ont pas ou très peu d’avenir. Ils ne constituent pas un fonds, ils ne stratifient rien.

Car ce système est à double face :

  • En région souvent il cache manque de moyens, manque d’effectifs, manque de lieux, manque de public aussi bien pour l’opéra qui souffre toujours des idées préconçues traditionnelles que pour l’opérette, où le public s’est amenuisé: le genre a pratiquement disparu en France parce qu’on le considère la plupart du temps un sous-genre pour public vieillissant des matinées dominicales, alors que c’est un genre qui revivifié, est d’une grande modernité et d’une forte valence culturelle, qui peut ouvrir un chemin au spectateur pour passer ensuite à l’opéra .
  • L’autre face, c’est le système stagione pour les grands établissements sur le modèle, inventé en France sous Liebermann du « Festival permanent ». Chaque production apporte son lot de stars du chant ou de la baguette, avec grandes mises en scène. Le public afflue et c’est l’âge d’or. Le système propose même quelquefois une plus grande diversité des compositeurs. Un théâtre de répertoire aussi prestigieux que Munich n’a pas un “répertoire” aussi large qu’on pourrait penser; Zurich est plus riche dans son offre de compositeurs. Pour l’offre artistique en effet, le système stagione convient plutôt aux très grandes maisons.
    Pourtant,  exemples des dangers de ce système dans les grandes maisons :
  • À Paris, au public large et diversifié, international aussi en temps ordinaires, une alternance d’une vingtaine de productions est déjà une palette d’offre large : c’est satisfaisant à première vue parce que l’offre peut aller sur tous les genres et toutes les époques, du baroque au contemporain, d’autant que l’existence de deux salles permet d’adapter chaque production à une salle déterminée. Mais s’il n’y pas de stars ou de têtes de gondole pour vingt productions, le remplissage peut s’en ressentir. Il faut donc compenser un titre rare ou risqué par un autre plus racoleur, et aussi inventer des systèmes d’abonnements qui garantissent un fonds minimum de public et de trésorerie. Le système garantit des succès de mode, dans l’air du temps y compris d’ailleurs sur des spectacles médiocres, mais qui ne dureront pas. Combien de productions récentes un peu “pointues”une saison ont-elles été reprises les saisons suivantes ? Même pas Moses und Aron, dans la production Castellucci, qui fut pourtant si médiatisée
  • L’exemple de la Scala est plus dramatique. J’ai connu Milan à la fin des années 1970 où l’offre se limitait à une dizaine de titres, un par mois environ, avec un concept de « Festival permanent », et alternance de répertoire italien pour 50% et 50% de titres d’autres répertoires. Mais le public de la Scala était alors un public essentiellement local, fortement scandé par les abonnements. Ce qui me fait toujours dire que c’est le plus grand théâtre lyrique de province du monde.
    Avec la transformation de Milan en métropole touristique, essentiellement dédiée au tourisme d’affaires, de luxe et de mode, on a voulu augmenter les productions, et élargir le répertoire, ce fut la politique de Lissner et de Pereira. Pereira, en plus, se croyant à Zurich, a augmenté les prix dans des proportions déraisonnables pour des productions qui ne le méritaient pas et dans un contexte économique défavorable. Le public de Milan n’a pas répondu et aujourd’hui, pour une quinzaine de productions proposées sur toute l’année, outre la chute dramatique des abonnements, on observe y compris sur des productions phares des rangs et des loges vides en nombre surprenant, voire unique dans ce type d’institution. Un exemple : en 1990, Die Meistersinger von Nürnberg affichait complet (belle distribution avec Bernd Weikl, et Wolfgang Sawallisch en fosse), en 2017, la même œuvre dans une production tout aussi respectable, un aussi grand chef (Daniele Gatti) et une distribution peut-être encore supérieure était loin d’afficher complet. Même La Bohème, un standard mythique à Milan dans la production célébrissime de Zeffirelli qui a presque 60 ans, n’a pas rempli la salle au moment d’Expo 2015.

Le système stagione ne s’accommode pas d’une offre trop élargie qui par force fait baisser le niveau moyen, pas plus qu’il ne s’accommode d’un affichage permanent de standards vus et revus, même superbement distribués : au MET qui affichait des saisons riches de stars et riches d’une offre plus large qu’à Paris encore mais plus conformiste aussi, on avait peine les dernières années à remplir les 3800 places de la nef du Lincoln Center. Par ailleurs la plupart des opéras américains – système stagione- ont une saison bien plus réduite que les théâtres équivalents en Europe. Tout cela reste très fragile, tributaire d’équilibres délicats et de coûts exponentiels, même si  ce système – théoriquement- garantit un plus haut niveau artistique que le système de répertoire.

  • Crise de l’offre, crise de système, crise de public : on peut alors poser la question de « l’avenir de l’opéra », les équilibres restent très fragiles où le nombre de productions annuel n’est pas indifférent : là où comme à Paris, le public est dispersé et volatile, et où la capacité est énorme (4700 Personnes sur deux salles), la question peut effectivement quelquefois se poser, mais on reste dans la bonne moyenne, heureusement pour le modèle économique imposé par Lissner : sponsors certes, mais remplissage à 90% ou plus et 60% d’autofinancement.
    À Milan, le public local et fidèle s’effrite dangereusement parce que l’offre ne correspond plus aux attentes, ni aux habitudes. En outre la Scala est un théâtre particulier, où le directeur musical joue plus qu’ailleurs un rôle moteur: l’histoire de la Scala est scandée de noms de chefs prestigieux, Toscanini, De Sabata, Abbado, Muti qui en furent les directeurs musicaux, mais aussi les invités, Furtwängler, Mitropoulos, Karajan, Sawallisch, Kleiber. On se souvient à la Scala, Paolo Grassi excepté, bien plus des chefs que des “Sovrintendenti” . Les chefs prestigieux d’aujourd’hui apparaissent moins en fosse hors de leurs quartiers. Et le directeur musical Riccardo Chailly, qui en terme de prestige est indiscutable, n’a pas le rôle dynamique qui porterait le théâtre. La question se pose d’une manière qu’on peut dire dramatique car l’institution s’est insensiblement éloignée de son public et de ses habitudes, sans qu’elle ait pris le temps de s’inventer des horizons nouveaux, fascinée par ce qu’elle fut plus que préoccupée par ce qu’elle est aujourd’hui.

Et le système de répertoire ?

Géographiquement, ce système couvre essentiellement le Centre et l’Est européen, très vivace en Russie et en Allemagne et plus généralement dans l’ère germanophone.

Le système de répertoire se veut exhaustif, proposant au spectateur une offre large couvrant théoriquement (ce n’est pas forcément le cas) l’ensemble du genre et au quotidien. . Dans un tel système, l’important est l’œuvre plus que la production, mais surtout une présence permanente de l’opéra et du genre lyrique dans la cité (on peut dire la même chose du théâtre parlé).
Financièrement, les théâtres de répertoire ont des frais fixes plus forts que dans les théâtres stagione parce que les frais de production se limitent aux frais matériels et comprennent peu de cachets supplémentaires, sauf dans les très grandes institutions.  Les théâtres de villes moyennes où les personnels artistiques sont dans leur très grande partie fixes, amortissement leurs nouvelles productions sur plusieurs années, et donc, pour amortir les “investissements” (la production), ils jouent par force beaucoup plus souvent.
C’est un outil aussi bien culturel qu’éducatif et il vise à faire en sorte que la population qui le désire puisse avoir accès à l’essentiel des grandes œuvres du répertoire classique. Mais il suppose un public fidèle, des abonnés en nombre, amoureux du genre. Il suppose un vrai public d’opéra.
Les soutiens du système stagione lui reprochent une qualité moyenne médiocre, et une offre au total très conformiste, même si la médiocrité existe aussi dans bien des théâtres en stagione, que ce soit en France ou ailleurs.
Mais il y aussi aussi dans le répertoire des spectacles très défendables et quelquefois superbes. Un opéra comme celui de Francfort a depuis des années une politique très ouverte en terme de titres peu connus. Hors Covid et fermeture, il aurait proposé cette saison un total de 25 titres, et des premières d’œuvres rares, comme Fedora de Giordano, Le Vin herbé de Frank Martin (qui remplaçait Der Traumgörge)  ou The Prodigal son et The burning Fiery Furnace, pour une soirée Britten assez inhabituelle.

L’écrasante supériorité du système de répertoire et de troupe ne réside pas forcément dans l’offre “artistique”, mais dans son maillage territorial serré, avec une écrasante supériorité du théâtre public sur les institutions privées, du moins pour les « grands » genres, théâtre parlé, danse, opéra et opérette (le reste, variété, revues, music-hall, cirque est laissé au privé, en Allemagne notamment), et à des financements publics installés et réguliers, dont les variations peuvent remettre en cause telle ou telle production, mais jamais l’existence même de l’institution, contrairement aux systèmes de stagione (En Italie, bien des opéras ont été au bord du collapse il y a quelques années). Après la très grave crise qu’ont connus certains théâtres italiens, même dans de grandes villes (Florence par exemple), ils affichent moins de productions annuelles : on est passé souvent de sept ou huit à deux ou quatre), et c’est encore pire dans les villes moyennes : un théâtre comme celui de Treviso, près de Venise, qui était il y a une vingtaine d’années un pôle de qualité est devenu un pôle de médiocrité, grâce ou à cause de la gouvernance municipale erratique, d’un manque de projet, d’une direction artistique incompétente pour l’opéra. Le résultat est un système productif exsangue, deux productions d’opéra au mieux dans l’année, d’un niveau d’une rare indigence.
Le système de répertoire fait que même si des nouvelles productions sont supprimées pour raisons budgétaires (cela arrive) il reste toujours la possibilité de reprendre une production ancienne, avec la troupe qui de toute manière est là pour « assurer » les représentations. Pour le spectateur, cela change peu la situation. En revanche, pour un spectateur français ou Italien, une production en moins cela veut dire aller moins à l’opéra. C’est là toute la différence…
En fait économiquement, le théâtre de répertoire fait peu de coproductions (sauf les grands théâtres, et pour quelques titres spécifiques moins fréquents, mais ça reste tout de même rare) et les frais fixes importants incluent les salaires de la troupe, voire des metteurs en scènes s’il y a des metteurs en scène résidents.
Pour compenser les frais engagés, il faut donc jouer le plus possible. Les jours de relâche étant des perte sèches. Plus on joue et plus le théâtre rentre dans ses frais, alors que pour le système stagione, au bout d’un certain nombre de représentations, on perd de l’argent, les frais de plateau augmentant.
Le système de répertoire demande obligatoirement une réponse régulière du public et donc un nombre d’abonnements important qui garantisse la santé financière de l’institution de sorte que dès le début de la saison, on sait à peu près que les frais seront couverts: une salle remplie à 60% remplit quand même les caisses, contribue à l’équilibre, sans constituer une perte, mais un moindre gain. En stagione, le budget d’une production est calculé en fonction des rentrées de cette production et du remplissage: si vous jouez à 60% là où vous escomptiez au budget un remplissage de 80%, vous perdez de l’argent.

Artistiquement, les nouvelles productions sont préparées avec le même soin que dans un théâtre stagione, avec un soin d’autant plus vigilant qu’elles sont appelées à être reprises plusieurs années ensuite pour être amorties, c’est une nécessité, comme il était dit plus haut, une nouvelle production est un “investissement”. La préparation d’une nouvelle production comprend donc un travail dramaturgique important des personnels locaux pour garantir des reprises correctes (car le metteur en scène s’il n’est pas en résidence ne revient pas pour les reprises, assurées par les assistants avec un nombre de répétitions plus que limité, des mises au point, quelques raccords) – impensable dans un système stagione où une reprise est quelquefois assurée par un assistant du metteur en scène, mais avec un minimum de vraies répétitions en cas notamment de variations de distribution ou de chef.
Cette absence de répétition dans un théâtre de répertoire pour les représentations au quotidien est un des points que les artistes critiquent souvent et le système a tendance à privilégier aussi des œuvres plutôt connues, surtout dans un théâtre moyen, pour que les chanteurs n’aient pas à apprendre trop de rôles, avec des chefs suffisamment rompus aux œuvres pour diriger avec très peu de temps de préparation ou avec des chefs-résidents (les Kapellmeister qui assurent le tout venant). La finalité du théâtre de répertoire n’est pas la représentation singulière, la production dont on va parler, c’est de jouer tous les jours pour un public le plus large possible et d’avoir les œuvres de base en magasin: c’est moins risqué, plus conformiste, sans doute moins inventif, mais cela crée un terreau de public et vu les prix pratiqués, beaucoup plus populaire. Dans un théâtre comme Karlsruhe, plutôt connu et solide, les prix maximum tournent autour de 60 à 70 €. À la Komische Oper de Berlin, l’une des salles-phares de Berlin, un professeur avec sa classe payait  il y a encore un ou deux ans 5€ par élève. – il est difficile de repérer les tarifs actuels quand actuellement tout est fermé.

Deux philosophies, l’une extensive qui garantit la pérennité d’une offre « culturelle » large au niveau territorial et l’autre intensive, donnant la prépondérance à l’offre « artistique » avec des conséquences très différentes, y compris sur les prix et les équilibres.
Pour les grands théâtres, le répertoire et la troupe sont des traditions historiques, mais les grands théâtres de répertoire pourraient passer à la stagione sans problème : d’ailleurs une institution comme la Staatsoper de Berlin a un système assez hybride et les grands théâtres ont tendance à diminuer le nombre de titres: Vienne offre 40 productions cette année, et proposait jusqu’à 55 ou 60 titres il n’y a pas si longtemps. Si les prix des grands théâtres qu’ils soient de répertoire ou non restent dans une fourchette haute, ce n’est pas le cas des théâtres des villes moyennes qui maillent le territoire.
Pour les théâtres des villes moyennes ou petites, le système de répertoire assure:

  • La présence d’une offre presque quotidienne, qui serait impossible à mettre en place dans une ville française aujourd’hui.
  • La formation des chanteurs ou des jeunes chefs, qui enrichissent leur répertoire de base, et qui ont une expérience de la scène incomparable., même si dans certaines petites structures, les contraintes de troupe imposent à certaines voix de chanter des rôles qui ne leur conviennent pas – au risque de les abîmer. La carrière de l’artiste progresse alors comme suit : on passe d’un petit théâtre à un moyen, puis dans un théâtre de métropole; les chefs se font d’ailleurs souvent remarquer plus vite : Cornelius Meister s’est fait remarquer dès son passage comme GMD à Heidelberg, et aujourd’hui on fait grand cas d’Alexander Soddy, GMD à Mannheim. Et quand la carrière est lancée, les artistes peuvent devenir free-lance, et vont sur le marché libre.
  • Le maintien du public par une fidélisation des abonnés et une relation étroite à son théâtre, à sa troupe : ce lien entre un théâtre et son territoire pour maintenir la régularité de la fréquentation est vital pour les théâtres.
  • Une éducation aux œuvres auxquelles le public a accès et qu’il peut entendre en direct et jamais très loin de son domicile, tant le maillage théâtral est serré. Si j’ai envie d’un Parsifal, il est rare qu’il n’y en ait pas dans un rayon de 50 km autour de moi à un moment de l’année.
    Mais cela suppose un public de genre, c’est à dire un vrai public fidèle, voire traditionnel pour l’opéra, un public qui vient pour la musique et non pas forcément pour « y être », comme le public « haute contribution » actuellement touristique et très disneylandien de la Scala, armé de son smartphone et amateur de selfies, la plaie actuelle.
    Il est évident pour le maintien du genre opéra et son avenir, que le système de répertoire est une garantie plus solide que la stagione, les théâtres sont pleins en Russie (avec des réserves artistiques impressionnantes) et restent bien remplis en Allemagne ou à Vienne (Sous Dominique Meyer, qui a beaucoup soigné le répertoire à Vienne, la fréquentation avoisinait les 100%). En Italie la fréquentation a en revanche baissé. C’est clair et La Palice l’aurait sans doute dit : moins on joue, et moins on va au théâtre.

Conclusions

Il n’y a aucun doute pour moi, le système de répertoire est le seul à garantir la survie du genre par une offre large et un marché important. Mais il convient là où il y a un public, qu’il contribue d’ailleurs à maintenir et surtout là où les collectivités publiques s’engagent fermement. Il n’est pas à l’abri d’une baisse de la fréquentation, mais plus lentement et moins dramatiquement qu’ailleurs sauf en ex-Allemagne de l’Est après la chute du mur où certains théâtres ont dû fermer et où les salles sont restées vides pendant quelque temps. Ce système convient à des territoires où le lieu théâtral est un “foyer” pour la ville. La ville de Mannheim en Allemagne s’est pratiquement construite autour de son théâtre – d’ailleurs appelé Nationaltheater, le seul en Allemagne avec Weimar au poids historique et culturel déterminant. Le système de répertoire convient aussi là où le théâtre est élément structurel de la vie sociale, vécu comme nécessité et non comme « supplément d’âme » et ce n’est pas vraiment le cas en France.

Le système de stagione convient mieux aux grandes institutions dont les productions de qualité, médiatisées, sont la carte de visite. C’est un système de luxe, plus qu’un système du quotidien, pour un public plus contributif, plus éclectique et moins fidélisable ou fiable, mais plus confortable pour les artistes grâce aux conditions de travail qu’il leur offre ou devrait offrir.
La situation actuelle montre que du point de vue de l’irrigation du territoire et de l’éducation du public, voire de son élargissement, c’est un système inadapté. Une rapide étude des programmes en France et en Italie, montre qu’en dehors de quelques institutions importantes, les programmations se réduisent sensiblement : quatre opéras par an ici, trois  là. Lyon, Strasbourg Toulouse ne proposent que 7 ou 8 productions annuelles – certes de grande qualité- ce sont des institutions de référence aujourd’hui en France. Le paysage italien, où est né le système « stagione » comme son nom l’indique n’est d’ailleurs pas plus joyeux. C’est peu pour maintenir l’envie du genre et encore moins pour construire un public averti.
Nous nous focalisons souvent en France sur l’Opéra de Paris et ses aventures, il est vrai qu’il y a matière à faire couler l’encre, mais plus que Paris, où bon an mal an l’offre restera par nécessité importante, c’est la situation des régions qui est nettement plus inquiétante parce que les moyens, évidemment, manquent pour maintenir un niveau de l’offre garantissant un renouvellement du public et une qualité constante… Avec la lente érosion de l’offre – malgré les coups médiatiques et les moments de grâce- c’est l’érosion du public qui en est l’inévitable conséquence avec ses effets sur la culture du genre, sur la culture du public, et sur la préservation patrimoniale. Une chose est à mon avis certaine : si dans les pays où le répertoire règne, on passe insensiblement à la stagione hors des métropoles, alors le genre sera en danger partout, car le système de répertoire est encore aujourd’hui une assurance pour la culture et le maintien de ces savoirs, pour le public, et pour les nombreux artistes lyriques qui l’alimentent.
Peut-être le numérique résoudra-t-il certains nœuds, mais c’est un autre problème…

 

 

QUEL SYSTÈME PRODUCTIF POUR LE LYRIQUE? (1)

Deux parties pour ce long exposé qui essaie d’expliquer les caractères des deux systèmes productifs qui organisent l’offre lyrique dans les opéras du monde, avec les conséquences afférentes.

Définitions et données de départ

On s’interroge ici et là sur l’avenir de l’opéra, on déplore le manque de créations, un public vieillissant, trop traditionnel, mais on ne s’interroge pas souvent, du moins dans les médias, sur le système productif qui sous-tend la diffusion du genre lyrique. Or deux systèmes règnent dans le monde de l’opéra, celui dit de répertoire et celui dit stagione.

J’ai toujours défendu le système de répertoire à l’allemande, qui est pour moi la garantie de maintien d’une offre lyrique abondante, diversifiée et bien distribuée sur un territoire, garantie aussi d’éducation du public qui a accès à un grand nombre d’œuvres à entendre en direct, dans des conditions globalement acceptables. Il est plus contraignant en revanche pour les artistes.

Que signifie le mot « répertoire » ?

On lit dans le dictionnaire « Liste des pièces qui forment le fonds d’un théâtre. » Le mot lui-même vient du verbe latin reperire, qui signifie trouver, retrouver après recherche, et le mot repertorium signifie “inventaire”.
On emploie le mot fonds comme pour le fonds d’une bibliothèque, à savoir le nombre de livres et documents qu’elle abrite. En ce sens, le théâtre de répertoire est donc un « Lieu de savoir » comme l’entend Christian Jacob dans son impressionnante production.[1]
Le théâtre de répertoire met à disposition du public annuellement une partie de son « répertoire », au quotidien : il puise dans son fonds de productions existantes et en sélectionne une vingtaine, une trentaine, voire une cinquantaine d’œuvres et propose cinq à six nouvelles productions qui rejoindront ce fonds, destinées à être reprises pendant des années. Le répertoire, c’est l’esprit de collection.
Le mot italien « stagione » signifie « saison ». Rien à voir avec le savoir ou le fonds d’une bibliothèque, mais il réfère aux œuvres présentées dans les saisons des opéras au XVIIIe et XIXe, où la notion de reprise et donc de construction d’un répertoire était inconnue, au moins jusqu’aux années 1830; au XVIIIe c’est la nouveauté qui fait marcher la machine . Le mot “stagione” fait partie du vocabulaire théâtral où la « saison » désigne l’ensemble du programme annuel présenté dans un théâtre, qui change chaque année. Comme on le voit c’est très différent de l’idée de « répertoire ». On commence à jouer ou rejouer des opéras créés auparavant essentiellement à partir du succès planétaire de Rossini. c’est à dire après 1830, quand Rossini s’arrête de créer. Comme si le “répertoire” naissait du ralentissement (tout relatif) de la création.
Pour revenir à la bibliothèque, imaginons que certaines bibliothèques permettraient l’accès permanent à tout leur fonds et que d’autres sélectionneraient un nombre réduit de livres à disposition des lecteurs, qui changeraient annuellement, à l’exclusion de tous les autres. Vous aurez une idée de la différence, qui en termes de culture, de savoir, de liberté, ne correspond pas du tout à la même philosophie.
Prenons le cinéma : une cinémathèque est un lieu de savoir avec un fonds de films, et les salles de cinéma ou les multiplex sont gérés par un système stagione en quelque sorte, qui choisissent(?) quoi proposer au public
Ainsi dans ce système à l’opéra la plupart du temps aujourd’hui, les productions présentées l’année A ne sont pas toujours reprises l’année B, mais éventuellement plusieurs années après avec une nouvelle distribution ou un nouveau chef, ou ne sont simplement jamais reprises. Il faudrait réfléchir plus profondément à la question du théâtre comme lieu de savoir. Le théâtre en ce sens n’a pas le même rôle dans l’esprit de la société qu’un musée, alors qu’il s’en rapproche. Et dans ce cadre, la stagione, c’est l’esprit de sélection, forcément plus élitiste.

Le système de stagione, celui qu’on connaît notamment en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grande Bretagne, aux USA et en France garantit au moins dans les grands théâtres un niveau de représentation optimal, mais en revanche pèche par l’absence d’une offre très large et convient dans le cas d’un public potentiel limité. Un petit tour et puis s’en va…
Dans ce système, à part les grands standards tiroir-caisse, il faut donc attendre des années avant de voir ou revoir un titre.
Prenons quelques exemples wagnériens.
Parsifal, un titre connu et aimé du public, a été présenté à l’Opéra de Lyon en 2012, alors que sa dernière production remontait à 1977, soit 35 ans auparavant ; le Vaisseau fantôme, une œuvre de Wagner plus « facile », a été produit en 2014 soit 26 ans après sa dernière production, en 1988. L’amateur de Wagner, ou simplement d’opéra, s’il habite à Lyon ou ne voyage pas, peut crever la gueule ouverte en attendant… Ou se précipiter sur les enregistrements, mais comme on sait l’oreille s’éduque en écoutant les œuvres au théâtre et se pervertit souvent en les écoutant au disque.
Voyager ? S’il va à Paris, il aura peut-être vu Parsifal en 2018, dans la production inutile de Richard Jones, ou bien… 10 ans auparavant dans celle de Warlikowski, avec dans l’histoire récente, un trou de 22 ans entre 1975 et la nouvelle production de Graham Vick en 1997. Pour Le Vaisseau Fantôme, on ne l’a pas vu à Paris depuis 10 ans (dernière reprise en 2010). Et Paris est le théâtre d’opéra le plus productif en France avec une petite vingtaine de productions annuelles.

Les directeurs d’opéra n’ont pas là-dedans pas de responsabilité particulière, c’est le système qui veut cette situation. Une nouvelle production en système stagione devrait pourtant être reprise pendant plusieurs saisons, c’est bien le moindre pour l’amortir mais souvent elle ne l’est plus jamais, pour toutes sortes de raisons… c’est le cas du Parsifal de Warlikowski, chef-d’œuvre détruit par Nicolas Joel, c’est aussi le olus souvent le cas des « créations » : de la scène au tiroir.

De la stagione au répertoire.

Or, on reparle beaucoup aujourd’hui de retour au répertoire et au système de troupe, sans doute pour alimenter le « nouveau modèle économique » prêché par la ministre de la culture, qui a confié à deux haut-fonctionnaires connus (?) pour être de grands spécialistes (?) de l’opéra la mission « d’épauler » le nouvel arrivant à Paris – Alexander Neef – dans sa réflexion sur l’avenir de l’Opéra. Les résultats de cette mission devraient être connus très bientôt, et nous y reviendrons en temps utile.
D’abord, rappelons cette vérité : la plupart des théâtres d’opéra qui affichent un système stagione ont tout de même souvent une troupe, le corps de ballet, plus de 150 danseurs pour le cas de Paris. Il reste à savoir si cette « troupe » est utilisée au mieux de son potentiel. Et c’est une autre question.
Par ailleurs, un autre théâtre français est régi par un système de troupe, la Comédie Française, depuis 1680 avec comme corrélat le système dit de l’alternance, c’est-à-dire alterner plusieurs spectacles différents dans la semaine ou le mois et donc régie par un système de répertoire plus ou moins stagionisé. Il reste que « l’entrée au répertoire de la Comédie Française » d’un texte de théâtre fait souvent événement – c’est d’ailleurs l’expression dont use le dictionnaire pour expliciter le mot répertoire. Pas vraiment à l’Opéra.

Rappelons enfin que le système de troupe, que d’aucuns appellent de leurs vœux, a été la cause de la réforme de l’Opéra de Paris en 1970, quand Jacques Duhamel, autre grand ministre de la Culture s’est attaqué à la réforme de l’institution malade – l’Opéra de Paris aurait donc visiblement une maladie chronique ? Exit la troupe en 1970.
50 ans après, y reviendrait-on ?

Le débat sur le répertoire est entré dans l’arène, à la faveur de la crise financière de l’institution et de l’agitation sur laquelle on ne reviendra pas mais aussi de l’arrivée d’Alexander Neef, qui a toujours répondu de manière évasive à la question, même si pourtant, lui, le répertoire, il connaît parce qu’il est né en Allemagne, où les dizaines et dizaines sinon centaines de théâtres qui irriguent le pays fonctionnent selon ce système.
Alexander Neef est né en Baden Württemberg et a étudié à Tübingen, l’une des plus prestigieuses universités allemandes, au sud de Stuttgart : une région où l’on compte parmi des théâtres de référence, Mannheim (un Nationaltheater), Karlsruhe (Badisches Staatstheater), Stuttgart (Staatstheater), des théâtres de valence importante, mais aussi des salles plus petites, mais productives, comme Freiburg, Heidelberg, ou Pforzheim qui ont une production lyrique, théâtrale et même pour certains chorégraphique, et dans une moindre mesure, Heilbronn. Il y a à Tübingen un Landestheater (Théâtre régional) exclusivement consacré à la prose, mais avec une troupe, sans compter les Festivals, celui, baroque, de Schwetzingen près de Heidelberg et le Festival Rossini de Wildbad, en Forêt Noire.
Tous les théâtres ont un système de troupe, et de répertoire plus ou moins large : Alexander Neef connaît parfaitement le système allemand, et s’il s’intéressait au spectacle quand il était étudiant, il a dû en profiter dans la mesure où ces théâtres sont au plus distants de 150 km les uns des autres. Stuttgart est à 75 km de Karlsruhe, 40 km de Pforzheim, 120 km de Mannheim, elle-même distante de 13 km de Heidelberg. La géographie des théâtres qui font du lyrique en Allemagne fait rêver…

Qu’est-ce que le système de répertoire ?

Il convient de clarifier le fonctionnement du système de répertoire

  • Une alternance au quotidien de diverses productions. Par exemple, à Vienne, temple du répertoire, entre le 10 et le 17 octobre 2020, alternance de Salomé, Don Carlos (Version française), Die Entführung aus dem Serail, Don Pasquale (avec deux jours en relâche pour répétitions). Dans ces pages nous avons repéré pour 2020-2021, 10 nouvelles productions, 3 productions retravaillées, 1 production revue au niveau musical, et 26 productions dites de répertoire, soit un total de 40 productions différentes, sans compter le ballet.
  • Pour faire fonctionner une alternance serrée, il faut avoir à disposition des artistes au quotidien, préparés et sous contrat long. Une troupe attachée au théâtre, c’est-à-dire des chanteurs qui assurent l’essentiel des rôles. Dans les grands théâtres d’opéra, les rôles principaux sont souvent assurés par des « stars » ou des chanteurs « free-lance » qui sans être des stars, ont un nom dans l’univers lyrique. Mais quelquefois, on donne à des chanteurs de la troupe qu’on estime avoir un avenir dans la carrière des rôles importants. Natalie Dessay fut membre de la troupe de Vienne, et chanta Sophie dans les fameux Rosenkavalier dirigés par Carlos Kleiber. On peut citer dans les chanteurs français actuels, pas les moindres, ceux qui ont adhéré à ce système : Julie Fuchs (ex-Zurich), Elsa Benoit (Munich encore actuellement), ou Elsa Dreisig (à la Staatsoper de Berlin).
    Les chanteurs de la troupe signent un contrat avec un certain nombre de représentations, et doivent se tenir disponibles au cas où (remplacements au pied levé etc…). Ils peuvent chanter ailleurs en dehors de leurs obligations et/ou après autorisation de la direction du théâtre. Beaucoup de très grands chanteurs d’aujourd’hui ou d’hier ont chanté en troupe comme Caballé à Brême ou Kaufmann à Zurich. Tout l’art du « directeur de casting » qui recrute est de flairer la voix d’avenir dont il va s’assurer la présence pendant quelques années et qui attirera le public.
    Il y a encore une cinquantaine d’années, d’immenses chanteurs étaient attachés à des théâtres, comme Vienne ou Munich (c’était à Munich qu’on pouvait entendre Fischer-Dieskau à l’opéra) ou à Vienne qu’on entendait principalement Agnès Baltsa, ou auparavant, Rysanek, Berry, Schwarzkopf. C’était un moment où chaque opéra avait sa couleur et ses stars parce que les stars voyageaient moins.
  • Pareil système demande des organisations techniques particulières, et pour les productions un cahier des charges qui permette l’alternance serrée sur le plateau et donc des changements rapides. C’était facile quand la plupart des productions étaient faites de toiles peintes : faciles à ranger, aisées à monter. C’est devenu plus difficile quand les productions ont été construites « en dur » avec montage et démontage complexe, depuis la fin des années 1960. Aujourd’hui, avec l’usage plus fréquent des projections et de la vidéo, cela pourrait redevenir plus aisé. Il reste que la logistique du système dans de grandes maisons demande une occupation du plateau à peu près 24/24 avec équipes alternées : on peut imaginer en 24h:
    – le démontage du spectacle A de la soirée
    – le montage du décor d’un futur spectacle B pour une répétition du matin
    – son démontage
    – le montage du décor de la soirée d’un spectacle C
    Et ceci pratiquement au quotidien, sans compter les représentations en matinée.
    Au Bolchoï ou au Mariinsky, il y a le week-end des représentations à midi et des représentations le soir, sur plusieurs scènes.
    Cela suppose donc des équipes nombreuses, des roulements, et des plateaux techniquement préparés à une alternance serrée. Cela suppose peu de soirées de relâche et une continuité des spectacles. Cela supposerait en France une remise à plat des conventions collectives avec les syndicats… bonjour la joie…
    C’est pourquoi ce n’est pas tout à fait le moment d’y penser.
  • Cela suppose enfin une tarification encore plus diversifiée, car il y aura des soirées de répertoire ordinaires, d’autres avec stars, des nouvelles productions, du ballet etc. La tarification est la plupart du temps déjà diversifiée, mais le système dit de répertoire qui joue 30 ou 40 productions par an doit garantir en même temps un remplissage optimal de la salle, tout en préservant un pourcentage de places à bas prix (d’où les places debout de l’opéra de Vienne ou de celui de Munich par exemple) qui permettent au public amateur de lyrique de venir écouter une production plusieurs fois sans devoir débourser une somme folle.
    Il est obligatoire pour un grand théâtre public de préserver un nombre suffisant de places à bas prix aisément accessibles, c’est le cas à Vienne, à Munich, ailleurs en Allemagne, mais aussi à la Scala : mais c’est un système qui en France n’a jamais vraiment existé (sauf sous Mortier), même si existent des places à des tarifs très bas, mais en nombre ridicule. On lira avec intérêt cet article (http://jriou.org/blog/00752.html) qui dénonça en 2012  la fin des places debout, œuvre de Christophe Tardieu, comme par hasard l’un des deux personnalités désignées pour revoir le « modèle économique ».
    Il y a aussi des soirées alimentaires pour lesquelles selon la distribution les prix varieront : la Tosca viennoise a 62 ans, elle est amortie depuis longtemps avec ses 600 représentations, même si les décors en ont été rafraichis. Les prix ne seront pas les mêmes si pour deux soirs Kaufmann et Harteros chantent.
  • Dans un tel système, les modes d’organisation que ce soit la technique ou la billetterie sont forcément fortement impactés. On ne gère pas le temps et la logistique du théâtre avec deux ou trois productions par mois, et une dizaine :  il faudrait recruter une armée de dramaturges et d’assistants fixes pour le maintien des productions et la gestion des répétitions, forcément moins nombreuses si on joue plus de titres. Paris n’est pas habitué à ce système, même s’il en possède le plateau technique nécessaire.
  • Et puis il y a la question essentielle de la réponse du public : un public a ses habitudes, ses rituels, ses attentes. Celui de l’opéra, plus âgé, encore plus.
    Ce système qui couvre pratiquement tous les théâtres publics (essentiellement municipaux) allemands serait difficile à Paris, mais carrément impossible en France en région : un rapide regard sur la quantité de productions et de représentations dans les opéras hors Paris ne pourrait pas être mis en place, il demanderait une campagne de recrutement impressionnante de personnels en risquant de ne plus trouver son public, selon une loi qui veut que moins on joue, et moins le public vient ou revient. Mais il ne pourrait pas non plus être financé. En dehors des théâtres « nationaux », les opéras municipaux font ce qu’ils peuvent pour assurer une programmation la plupart du temps minimale, qui par manque de moyens n’est pas toujours recommandable.

Enfin, last but not least, les théâtres de répertoire portent le répertoire national,  c’est-à-dire qu’ils affichent les titres de référence de la tradition locale, répertoire germanique en Allemagne, russe en Russie – on peut voir à Saint-Pétersbourg ou à Moscou des titres qu’on ne voit jamais ou si rarement au-delà des frontières russes, tout comme à Budapest on entend du Erkel, ou à Prague du Smetana. Si le répertoire national est porté en Italie dans un système stagione, ce n’est pas vraiment le cas avec le répertoire français à Paris, par exemple.

L’Opéra de Paris serait-il préparé à un tel système ?

Garnier n’est plus conçu comme un théâtre de répertoire, même s’il l’était avant 1970.  Mais son équipement technique n’a rien à voir avec Bastille qui a été conçu et construit au contraire pour faire du répertoire, même s’il n’en a jamais fait en trente ans de carrière.  Sinon à quoi servirait sa scène énorme (un terrain de foot) et ses dessous aux mêmes dimensions, son système de chariots permettant rapidement de monter des productions et de les laisser construites pendant la série de représentations, sa scène de répétition latérale, à jardin, à ma connaissance jamais utilisée, avec une fosse et trois rangs de spectateurs – je ne sais même pas si elle existe encore- et la possibilité offerte de jouer aussi bien dans la ex/future salle modulable, et dans la salle principale à partir de la même scène. Tout a été conçu pour permettre une alternance serrée et des changements rapides d’un nombre important de productions en même temps.
Comme ce système n’a jamais été adopté, sans doute d’autres habitudes ont été prises d’utiliser les espaces d’une autre manière, sans faire exploser le plateau, avec les espaces de l’ex-salle modulable comme dépôt de décors et avec une autre gestion du temps. Bastille était programmé et pensé comme opéra de répertoire (Michael Dittmann qui a conçu le projet technique était allemand et familier du système) mais on a fait de la stagione. D’où forcément d’autres habitudes, d‘autres utilisations, d’autres rythmes, sans compter qu’inévitablement ce qui était techniquement modernissime en 1990 ne l’est plus tout à fait en 2020.
Toutefois, Bastille reste un instrument étonnant voire unique par les surfaces de travail offertes, du producteur au consommateur. Mais le système de stagione y est l’ADN des habitudes des uns et des autres. Il n’y a pas là à reprocher à qui que ce soit des choix erronés parce qu’il y a eu un consensus sur le système de production. En France aujourd’hui et depuis 50 ans on ne pense l’opéra qu’en stagione, tout comme d’ailleurs le théâtre, car en dehors de la Comédie Française, c’est le système stagione qui règne aussi et qui – fait essentiel – a façonné le public.

De plus l’Opéra de Paris, avec ses deux salles, affiche déjà 550 représentations par an, ce qui est énorme. Le système de répertoire ne modifierait sans doute pas fondamentalement le nombre de représentations mais aurait en revanche un effet très important sur les organisations, avec les inévitables conflits sociaux, sans assurance sur une amélioration nette de l’offre, des coûts, et surtout de la fréquentation.

Donc, ne s’imposent ni la nécessité ni l’opportunité réelle de passer à un système de répertoire à l’allemande, d’autant qu’un tel modèle, détail important demande (presque) impérativement qu’on nomme un directeur musical présent, qui ait un répertoire lyrique très large (profil Franz Welser Möst, ou Fabio Luisi), et le successeur de Philippe Jordan qui se profile à ce qu’il semble ne répond pas du tout à cette définition… Donc je ne vois pas comment l’Opéra pourrait basculer sur ce modèle. La situation parisienne est déjà en soi complexe pour ne pas rajouter des réponses erronées à des questions qui au fond, ne se posent pas.
Alexander Neef a pour l’instant bien d’autres chats à fouetter, et son premier mandat devrait être largement consacré à faire repartir la machine, atténuer l’ambiance tendue qui y règne depuis des mois, recommencer à produire et installer sa nouvelle équipe et son nouveau projet.

(Suite le 7 décembre 2020)

[1] Christian Jacob est directeur de recherche au CNRS, professeur à EHESS, il a dirigé l’ouvrage Les lieux de savoir, 1-Espaces et communautés (2007), 2- Les mains de l’intellect (2011) (Albin Michel) , mais aussi entre autres l’auteur de Des mondes lettrés aux lieux de savoir (Les Belles Lettres, 2018), c’est un des grands spécialistes de l’histoire de la diffusion du savoir.

OPÉRA DE PARIS: LA VALSE DES BRANQUIGNOLS

Stéphane Lissner © Elisa Haberer

Le microcosme du lyrique français vient de s’embraser suite à des affirmations de Stéphane Lissner déclarant l’Opéra de Paris « à genoux » et annonçant son départ anticipé. La nature ayant horreur du vide, on s’est tourné vers Alexander Neef le successeur désigné pour qu’il anticipe à son tour son départ de Toronto et arrive à Paris au plus vite.
Alexander Neef a freiné les ardeurs, déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’arriver en catastrophe et qu’il avait besoin d’un peu de temps.
Réponse raisonnable : un nouveau directeur général « préfigurateur » pour prendre ses fonctions en septembre 2021 n’a pas forcément envie d’arriver au cœur  d’une crise dont on lui ferait inévitablement porter le chapeau en cas de non résolution. L’État en premier lieu, qui déteste être pris en défaut, et puis la presse, les réseaux sociaux, etc. L’Opéra de Paris étant une institution qui attire le commentaire (exemple, votre serviteur…) ou les déclarations définitives de ceux qui auraient évidemment fait mieux, accoudés au comptoir du café du commerce si c’était autorisé.
Alexander Neef, qui connaît bien la maison, qui connaît bien le contexte parisien et qui a navigué aux côtés de Gerard Mortier, sait parfaitement les jeux troubles et délétères qui entourent la vénérable institution et n’a pas envie de commencer par ramasser les pots cassés par d’autres.

En réalité c’est un jeu de dupes, une comédie à l’italienne qui tient plus de la farce que d’autres choses, sauf que l’Opéra est effectivement mal en point. Comme toutes les salles du monde, il a souffert du confinement, a dû arrêter sa saison et, par la force des choses, annuler, en plus de tout le reste, rien moins qu’une nouvelle production du Ring de Wagner, qui est un ouvrage phare de tout opéra. De cela, Lissner n’est pas responsable.
Il n’a plus de directeur musical, parti à Vienne et qui devait seulement diriger le Ring. Plus de Ring, plus de Directeur musical.
Mais Paris a été en outre fermé en décembre et janvier, c’est- à-dire pendant une période particulièrement rentable (décembre) en termes de public et sans vraie reprise en janvier, qui a aussi été lourdement affecté par les grèves du personnel de l’Opéra. De cela, Lissner n’est pas responsable non plus, ce n’est pas lui qui a édicté une « réforme » (c’est ainsi qu’en langage technocratique on appelle les coups bas sociaux) des retraites.
Quant à Stéphane Lissner, à qui les visiteurs du soir ont savonné la planche en haut lieu et qu’on a empêché d’être au moins prolongé, il en a tiré les conséquences et a offert ailleurs ses services : « Ed io vado all’osteria
a trovar padron miglior » (Leporello, Don Giovanni scène finale).
On voit aujourd’hui le résultat de cette décision. L’Opéra se retrouve sans tête dès la fin 2020, à un moment difficile de sa vie et devant faire face à de multiples problèmes, dont une crise de recettes (dette de 45 millions d’Euros) sans précédent.
Et par-dessus le marché (et le panier est déjà bien lourd), on apprend par un communiqué le 11 juin que le ministre de la culture a confié à Alexander Neef la mission de « revisiter le modèle économique, social et organisationnel » de l’Opéra de Paris afin « d’assurer les conditions d’une exploitation équilibrée ».

Depuis des années, l’Opéra a vu ses subventions (qui représentent aujourd’hui environ 40% de son budget, avec des recettes propres à 60%) baisser de 110 à 95 m€ et le rêve de l’État est évidemment – et notamment en une période économique qui s’annonce très difficile – que l’Opéra, une danseuse de 350 ans, coûte le moins possible.
Le seul problème est d’abord que ce monstre qu’est l’Opéra de Paris (deux salles qui équivalent à deux « vraies » salles d’opéra, d’environ 4700 places à remplir), c’est l’État (en l’occurrence l’État Mitterrand) qui l’a engendré. MET mis à part (et on connaît les difficultés actuelles de remplissage de l’immense vaisseau), les grands opéras du monde ont grosso modo la capacité de Garnier. On avait plus besoin d’un auditorium à Paris que d’un Opéra, mais c’est moins chic. Après 1981, il a fallu attendre encore 34 ans pour avoir un auditorium digne de ce nom…
Si Bastille est un échec architectural, l’Opéra de Paris a néanmoins réussi à attirer le public suffisant sur les deux salles (L’Opéra-Bastille est né il y a trente ans). Mais depuis que je suis spectateur de cette vénérable maison, l’antienne est toujours la même, cela coûte trop cher, il faut réduire les coûts, c’est un gouffre etc. Combien de restructurations, de réformes du management depuis que Liebermann a repris les rênes en 1973, mais avec une constante, le rôle du Prince.

L’Opéra et le Prince, une spécificité de « l’Esprit Français »

Prince Pompidou et Prince Giscard
La fin de l’Opéra de Paris version ancien monde remonte à 1970, au moment où le Prince d’alors, Georges Pompidou, qui s’intéresse à la culture, demande à son Ministre de la Culture Jacques Duhamel de résoudre le problème Opéra de Paris. Et il appelle Rolf Liebermann, alors un des grands directeurs d’Opéra (Hambourg) pour relancer l’Opéra de Paris sur le marché international.
Ce fut socialement douloureux et Liebermann eut immédiatement des ennemis, ceux de l’ancien monde qui l’accusèrent de dilapider l’argent public, d’avoir fait exploser les coûts etc.
Il y eut aussi des grèves (quelquefois amusantes : dès la deuxième du Faust de Lavelli en 1975, on joua sur le plateau vide avec un calicot de la CGT en toile de fond) mais non sans conséquences : le nouveau Prince, Valery Giscard d’Estaing aimait l’opéra, et on l’y voyait souvent (ce fut d’ailleurs le seul qui fréquenta régulièrement la maison) : il offrit une soirée d’opéra aux Français méritants. Et il y eut grève… Exit Liebermann qui ne plaisait plus au Prince. Les vautours qui le haïssaient le chargèrent d’accusations infâmantes et de campagnes de dénigrement à l’odeur nauséabonde (Liebermann était juif)…
Successeur désigné, Bernard Lefort prit les rênes de la maison en 1980 avec un changement politique fort en 1981, qui rebattit les cartes, nouveau Prince (cette fois-ci un vrai disciple de Machiavel et amoureux de Florence), François Mitterrand décida avec le ministre Lang de grands travaux dont la construction d’un nouvel Opéra.

Prince Mitterrand
Ce fut une période délétère pour la maison qui dura 15 ans : ni Mitterrand ni Lang n’aimaient l’opéra, Mitterrand tenait à son Opéra comme signe extérieur de sa puissance, avec un concept qui fit long feu, celui d’« Opéra National Populaire » sur le modèle du TNP de Vilar. Ce fut le cahier des charges pour Bastille et évidemment un rêve qui ne se réalisa pas. Pendant ce temps, l’Opéra continuait à Garnier et le résultat tangible fut pour la maison rien moins que quatre administrateurs généraux (Lefort, Bogianckino, Martinoty, Blanchard, quelques météores (Jean Albert Cartier, Georges François Hirsch, et un autocrate ami du Prince, Pierre Bergé qui secoua la maison comme un prunier à un moment où l’on passait de Garnier à Bastille avec un projet encore flou, et chargé d’une mission régalienne essentielle: assurer l’inauguration de Bastille le 14 juillet 1989 pour une trentaine de chefs d’État avec au centre François Mitterrand comme Prince des Princes. Le Camp du Drap d’Or à côté, c’était de la petite bière.
Tout le reste était jeux d’arrière cuisine, un détail d’intendance : il fallait réinventer une maison avec une configuration nouvelle et une deuxième salle qui se construisait sur les terrains de l’ancienne gare de la Bastille : une grande salle de 2700 places, une salle modulable de 1000 places, une maison de l’opéra juste en face de la billetterie actuelle, un studio, un amphithéâtre. De maison de l’Opéra, on n’a plus entendu parler, les espaces de la salle modulable ont servi de dépôt et l’un des projets de Lissner était de la rouvrir en 2022, soit plus d’une trentaine d’années après la construction. L’État s’est aperçu que tout ça allait coûter cher… reprise de l’antienne…
On est peut-être lassé de ces rappels, mais dans un moment où l’histoire semble peu compter au profit de l’actualité et des réactions à chaud, il faut rappeler ces événements qui marquent l’inconséquence de l’État, tous pouvoirs confondus, qui traîne l’Opéra de Paris comme un boulet nécessaire et qui aboutit à la nième demande de trouver un « modèle économique » selon le langage délicieux de l’administration énarchique.
L’Opéra-Bastille était donc né comme « Opéra National Populaire » inspiré du projet de Jean Vilar pour le théâtre : la gauche étant au pouvoir, c’est le moins qu’elle pouvait faire. Le dispositif technique du théâtre prévoyait un grand nombre de représentations et donc une alternance serrée avec (très probablement) une troupe sur le modèle allemand, seul moyen dans un projet de ce type de contenir les coûts. Mais voilà, l’Opéra de Paris avait connu un système de troupe jusqu’en 1970, et le souvenir en était cuisant. Donc on n’en parlait pas… d’où le « modèle économique » nouveau inventé sous Liebermann qui perdura.
Le concept d’opéra populaire tient bon : la preuve, on appelle à la tête de Bastille René Gonzalès, l’un des hommes de théâtre les plus compétents et les plus respectés du moment. Mais connaissant peu le monde de l’opéra, il quitte dès 1990 Bastille pour diriger avec le succès que l’on sait le Théâtre Vidy-Lausanne. Par ailleurs, bien des futurs acteurs de l’opéra d’aujourd’hui sont déjà là : Lissner est au Châtelet, nommé là par Jacques Chirac Maire de Paris qui tout en se moquant de l’opéra comme d’une guigne veut damer le pion au camp d’en face empêtré dans la nasse.
De l’autre côté, le directeur général de l’Opéra de Paris en préfiguration est Dominique Meyer qui suit les travaux.

La nomination de Daniel Barenboim comme directeur musical qui livre des projets alléchants notamment avec Patrice Chéreau (la trilogie Mozart-Da Ponte) fait rêver le petit monde lyrique. Mais arrive comme président du Conseil d’Administration de l’Opéra Pierre Bergé, amateur de lyrique, créateur des Lundis de l’Athénée, entrepreneur à succès, et surtout ami du Prince du moment à peine réélu en 1988, François Mitterrand.
Bergé arrive et se comporte comme patron de facto de l’Opéra de Paris ce qu’il n’est pas statutairement (mais les faveurs du Prince…) profitant de l’absence de gouvernance claire : il casse le contrat de Barenboim qu’il chasse, lui rendant une liberté bénie qui le fera arriver à la Staatsoper de Berlin réunifiée dès 1992. Il y est encore… il n’aurait jamais duré autant à Paris.
La faute de Barenboim? Une programmation « élitiste » (on dirait ancien monde aujourd’hui) selon un système stagione qui ne saurait convenir à l’opéra du futur qu’est Bastille ;un système qui sera évidemment adopté dès l’ouverture de la maison en 1990 (j’espère que vous suivez…)

On connaît la suite. Au Châtelet, Stéphane Lissner, qui savait humer les bonnes affaires, aura tôt fait de récupérer partie des projets de Barenboim, et donc est en train de naître une amitié solide entre les deux hommes qui ne s’est jamais démentie (Barenboim, qui ira à Naples dès la saison prochaine, est même annoncé au programme de ce qui devait être la dernière saison parisienne de Lissner…). Du même coup, en termes de com, le Châtelet au « modèle économique » tout autre et avec un personnel permanent de quelques dizaines de personnes apparaît (faussement) dans les polémiques comme un rival de l’Opéra de Paris, sans projet artistique et à l’avenir trouble plus qu’aujourd’hui… Mais comme aujourd’hui, largement par la faute de sa tutelle.
Comme on peut le constater, les acteurs sont en place, depuis l’aube de l’histoire, dans cette agitation perpétuelle, essentiellement à cause d’un État incapable de gérer cette maison sans heurts, sans drames, sans polémiques sans palinodies.
Le tout puissant Pierre Bergé s’aperçoit vite qu’il ne peut assumer la charge et qu’il faut revenir à une configuration traditionnelle conforme au statut de la maison, nomination d’un administrateur général,d’un directeur musical et d’un directeur de la danse.
Il y nomme deux personnalités jeunes (et donc théoriquement maniables), dont une qu’il débauche au Châtelet, Jean-Marie Blanchard le conseiller artistique de Lissner. En 1992 naît donc le ressentiment que Lissner nourrit contre Blanchard, qui ne se démentira jamais. Eine pariser Tragödie.
Et comme directeur musical, Bergé impose à la place de Daniel Barenboim Myung-Whun Chung, qu’on sait aujourd’hui être un des grands chefs d’opéra, mais qui à l’époque apparaissait un chef de qualité, mais sans expérience.
C’est enfin Brigitte Lefèvre qui devient directrice de la Danse, un poste essentiel à un moment où dans le projet général, Garnier devient un théâtre exclusivement dédié au ballet. Elle traversera toutes les majorités et restera en poste sous cinq administrateurs/directeurs généraux, Blanchard, Gall, Mortier, Joel, Lissner (pour deux mois), un miracle dans une maison aussi consommatrice de ses cadres dirigeants.
Et la maison repart, avec un directeur général ( à l’époque c’est le directeur général qui gère l’administratif dans la maison) du nom de Jean-Paul Cluzel, très intelligent, assez malin, et surveillant général des dérives financières éventuelles, sorte de Hudson Lowe auprès de Napoléon (il aura une très belle carrière et deviendra Président de Radio France)

Mais entre-temps la majorité politique change. Les socialistes sont vaincus aux élections de 1993, et c’est Édouard Balladur qui devient premier ministre avec Jacques Toubon comme Ministre de la Culture. Voilà qui fragilise l’équipe en place, qui ne démérite pas (certaines de ses productions ont duré jusqu’en 2016…), mais qui n’a plus le soutien politique nécessaire.
Jacques Toubon procède méthodiquement par la commande à Hugues Gall d’un rapport sur la situation de l’Opéra, qui va aboutir

  • À une redéfinition du cadre des organisations
  • À la fin du mandat de Jean-Marie Blanchard, remplacé pour un court intérim par Jean-Paul Cluzel, directeur général « méritant » qui avait savamment observé et un peu gêné Blanchard…
  • À la fin du mandat de Myung-Whun Chung
  • À la nomination d’Hugues Gall au poste de Directeur général

On ne s’ennuie jamais à l’Opéra, mais la maison peut écrire désormais « Ici commence le court bonheur de ma vie », un court bonheur qui va durer quand même 14 ans le temps des mandats de Hugues Gall de 1995 à 2004, et de Gerard Mortier, de 2004 à 2009.

Prince Chirac
Le Prince Chirac ne s’intéresse pas à l’Opéra et laissera toujours faire, il sait que l’Opéra est désormais solidement encadré.
Aussi bien Gall que Mortier sont les héritiers (très différents) de Rolf Liebermann avec qui ils ont appris le métier : l’un a un profil d’organisateur et de grand gestionnaire, l’autre un profil plus nettement artistique et plus inventif. Mais l’ordre dans lequel ils sont nommés a son importance.
Jacques Toubon est un ministre avisé, très au fait de la chose culturelle et il est méthodique. Comme quoi un Ministre de la Culture qui a du poids et de l’intelligence, ça compte. Aussi Chirac et Juppé en font-ils leur Garde des Sceaux, et à la Culture ils placent Philippe Douste-Blazy. Aucune conséquence pour l’opéra, puisque Toubon avait bien fait le boulot.
Le travail de Gall, dans un théâtre conçu pour une alternance serrée – et un système de répertoire et de troupe ! -, était de construire un répertoire pour Bastille, une tâche dont il s’acquitta avec efficacité.
Construire un répertoire, c’est d’abord choisir des productions durables qu’on pouvait reprendre facilement, et donc pas forcément des grands gestes artistiques, des mise en scène qui secouent, mais assurer des arrières que le théâtre n’avait pas, puisque les scènes de Garnier et de Bastille n’avaient pas les caractéristiques qui permettaient de reprendre à Bastille des spectacles de Garnier (encore une incohérence dans la préfiguration) : seule exception le Faust de Lavelli (vu de 1975 à 2003), mais qui était encombrant à remiser, la fameuse verrière ayant été rendue indémontable pour des questions de poids et de sécurité.
L’autre exception serait Le Nozze di Figaro de Strehler, mais en réalité Le Nozze de Strehler qu’on voit à Bastille ne sont pas celles de Garnier (1973), mais la production de 1981 de la Scala.
Quand Gall quitte la direction en 2004, il peut dire « mission accomplie », période à peu près calme, et répertoire consolidé. Il a donné au théâtre ses fondations. On discutera à l’infini de ses choix esthétiques, mais ce n’était pas la priorité de la mission, son travail a été une garantie pour l’avenir et en tant que tel, il faut le saluer.
Ainsi, Gerard Mortier, nommé par la gauche encore au pouvoir, peut arriver pour promouvoir une autre politique : il sait qu’il a un théâtre en état de marche, c’est un habile négociateur avec les personnels. Sa programmation en dépit des critiques et des polémiques (qu’il allume quelquefois lui-même) reste plus de dix ans après son départ, une référence en matière d’inventivité et de grands souvenirs.

Prince Sarkozy
Le Prince Sarkozy n’en a rien à faire de l’opéra, la majorité en place subit Gerard Mortier dont le prestige international fait qu’on ne peut le chasser et attend patiemment son heure. Mortier sent la fin de mandat proche et donc prend les devant en se faisant nommer au New York City Opera (un poste qu’il n’occupera pas puisque le NYC Opera fermera).
La suite est connue : Nicolas Joel, arrive à la tête de la maison poussé par une jolie campagne du type enfin les chanteurs reviennent, enfin le répertoire français revient, on va voir ce qu’on va voir. Et c’est le flop qu’on connaît, à tous niveaux. La maison distille l’ennui, le conformisme, le plan-plan avec des choix souvent pitoyables. Une des périodes artistiquement les pires de ces dernières décennies, parce que même quand la crise de gouvernance était à son comble, la programmation de l’Opéra a continué à garder une certaine tenue.
Dans ces conditions, la période Mortier par comparaison apparaît phénoménale (elle ne le fut pas, même si elle fut solide et qu’elle laissa de très grands spectacles), et Stéphane Lissner, en poste à la Scala où il commençait à avoir des ennemis, semble le successeur presque naturel (même si, déjà, Serge Dorny auréolé de sa réussite lyonnaise était candidat à la succession de Nicolas Joel).

Prince Hollande
Pas plus que les autres, le Prince Hollande ne s’intéresse à l’opéra. Il ne veut pas d’ennuis ni de problèmes, c’est tout..

Après les cinq ans ternes de Nicolas Joel, il n’était pas difficile de faire mieux. Et Lissner est donc appelé pour remonter artistiquement la maison, parce que le théâtre pour le reste est en état de marche. La période Joel ayant été une période de gestion prudente et pépère.
Brigitte Lefèvre arrivant à la limite d’âge, elle quitte la direction de la danse et Lissner, fort habilement, nomme pour lui succéder Benjamin Millepied, qui, sans mauvais jeu de mots, met le pied dans un nœud de vipères bien orchestré.
La politique de Lissner quel que soit le poste, est toujours à peu près la même, il a dirigé le Châtelet, le Teatro Real, le Festival d’Aix-en-Provence, les Wiener Festwochen,  la Scala de Milan où il arrive presque in extremis dans une situation de crise énorme. Bref, il a l’expérience, les réseaux, les recettes, il sait humer les parfums du temps. Même si ce n’est pas un homme d’opéra, c’est un grand manager, très malin, très charmeur, qui a beaucoup d’amis, et donc aussi une flopée d’ennemis. Mais je continue à penser qu’après Joel, Lissner était une chance pour l’Opéra de Paris. Il a d’ailleurs comme on dit fait le job à Paris, le seul échec patent – mais de taille – est le départ rapide de Millepied du ballet, qui l’a contraint sans doute sous la pression et sans doute pas volontiers à nommer Aurélie Dupont comme directrice de la danse. Il s’est d’ailleurs depuis désintéressé de la question. Nous avons ailleurs traité de la situation désastreuse du ballet de l’Opéra, mécontent de l’ambiance instillée par Madame Dupont, ce qui est très problématique, parce que le ballet est une troupe, et en tant que telle, salariée de l’institution… un autre mur qui se lézarde en somme, et qui a semblé perdre son envie de danser (en décembre et janvier derniers notamment). Du point de vue du lyrique avec des hauts et des bas, les choses ne se sont pas si mal passées.

La situation à l’arrivée du Prince Macron (2017)
Il paraît que le Prince Macron aime l’opéra, et Rossini en particulier.  Après 3 ans d’exercice du pouvoir, on tarde à en voir les effets et notamment ces derniers mois… La culture c’est la grande muette dans ce gouvernement.

Nous constatons donc, que depuis les années Liebermann, l’Opéra notamment quand il est en crise, et souvent par la faute de l’État« coûte trop cher », au nom du vieux principe de qui veut noyer son chien l’accuse de la rage (un principe qui ces jours-ci a refait surface au Ministère de la Culture, et l’Opéra constitue dans les grandes institutions l’une des moins faciles à piloter, notamment à cause de l’absence de politique claire et de véritable dessein), mais au moins l’Opéra vit depuis 1995 avec le statut Toubon, et n’a pas l’air d’en souffrir.

La question des successions

Depuis quelques années cependant, les successions se sont passées de manière chaotique dans quelques théâtres :
Déjà en 2014 à la Scala, Lissner est parti par anticipation, pour prendre les fonctions laissées à Paris par Nicolas Joël, profitant de ce que son successeur à Milan Alexander Pereira, n’était plus en odeur de sainteté à Salzbourg : jeu de chaises musicales. Pereira parti, Salzbourg a eu un intérim, il arrive à Milan un an avant la date normale, ce qui permet à Lissner de laisser Milan pour anticiper son arrivée à Paris.
Voilà sans doute ce qui a permis de penser au Ministère de la Culture, souvent en retard d’un train, que ce qui avait été possible pour Lissner en 2014 le serait pour Neef en 2020 ou 2021. Seulement Lissner arrivait à Paris dans un théâtre en état de marche (on peut faire des reproches artistiques à Joel, mais pas celle d’avoir mal géré la machine). Neef arriverait dans un théâtre qui aura été fermé plus ou moins six mois (dec-janv 2019-2020 et mars-juillet 2020) et qui plus est en travaux jusqu’à novembre ou décembre 2020 (au total presque un an sans activité). On pourrait rêver mieux pour arriver dans un nouveau poste… Le Théâtre est sous coma artificiel et l’État ne rêve que de se défausser sur le directeur, avant même qu’il puisse faire lever le premier rideau.

Plus près de nous, Alexander Pereira a quitté la Scala pour son nouveau poste (Florence) fin décembre dernier, mais Dominique Meyer ne pouvait rejoindre Milan qu’en fin de saison 2019-2020, et la Scala s’est retrouvée sans Sovrintendente dès janvier 2020. Le confinement a arrêté ensuite comme partout la machine, Dominique Meyer était confiné à Vienne, Milan ayant été l’un des villes les plus atteintes par le Covid-19, tout y était arrêté et bloqué en mars et avril, il était inutile de bouger. Il vient de reprendre les rênes à Milan.

La succession parisienne

La situation parisienne, qui a l’air de tant agiter le petit milieu et la presse, n’a donc rien d’exceptionnel. Et c’est même un jeu de dupes.
Puisque Rosanna Purchia a quitté son poste à Naples le 30 mars 2020, Lissner a été installé Sovrintendente en titre au 1er avril 2020, selon ce qui était prévu:  il suffit de consulter l’organigramme sur le site du San Carlo.
Lisons aussi ce journal italien en ligne (il denaro.it):
Dal primo aprile Stéphane Lissner si insedia ufficialmente come sovrintendente del Teatro di San Carlo, a Napoli. L’ormai ex direttore dell’Opéra national de Paris prende il posto di Rosanna Purchia.
Traduction: Au premier avril, Stéphane Lissner prend ses fonctions comme sovrintendente del Teatro di San Carlo à Naples. Le désormais ex-directeur de l’Opéra National de Paris succède à Rosanna Purchia.
Notons comme le signalent Le Monde et La Croix du 8 octobre 2019 qu’il était initialement prévu que Rosanna Purchia soit prolongée d’un an pour permettre à Lissner de terminer son mandat parisien.
Visiblement, les choses se sont accélérées et ne se sont pas passées ainsi… Lissner ulcéré par l’attitude de l’État à son endroit n’a cessé les dernières semaines de dire sans ambages quelle était la situation et d’accuser le Ministère de l’avoir laissé choir. De plus la manière dont il n’a pas été prolongé (une erreur à mon avis) l’incite à ne pas faire de cadeaux. Il sait aussi comment Millepied a été traité lorsqu’il est parti (la liste est d’ailleurs longue de cas semblables, Barenboim par exemple…).
Il est donc aujourd’hui officiellement à la fois Sovrintendente de Naples et Directeur général à Paris. Ayant fermé la Grande Boutique pour travaux cet automne, et celle-ci ayant ses rideaux baissés depuis mars, il n’avait aucune raison de ne pas se tourner vers la préparation des saisons de Naples. C’est pourquoi j’avoue ne pas comprendre cette agitation médiatique et ministérielle qui semble découvrir ce que tout le monde peut lire et savoir en regardant un site internet ou les journaux, y compris français et ce que tout le monde, connaissant Lissner, pouvait deviner. Y compris Alexander Neef qui en digne successeur de Mortier ne se fait sans doute aucune illusion sur les pratiques du milieu.
Ou bien les hauts fonctionnaires du ministère de la Culture sont des ignorants et ne préparent pas leurs dossiers, ou bien ils jouent à la « pâle effarouchée », histoire de se dédouaner et de faire comme si…
On sentait bien que Lissner ne ferait pas de cadeau, et qu’il n’irait pas au bout de son mandat quand on a su que Rosanna Purchia laisserait officiellement la charge le 30 mars 2020, sans prolongation. Il y a fort à parier qu’il a eu arrangement pour arriver à cette situation.
Mais en plus, il est clair que Lissner même en restant à Paris ne pouvait gérer une situation dont il ne maîtriserait pas le futur, en cas d’échec il aurait porté le chapeau, et en cas de réussite, elle aurait profité à un autre… Pas folle la guêpe…

Or on sait qu’à l’opéra les délais sont d’au moins trois ans pour construire une programmation où artistes et chefs intéressants sont réservés trois à quatre ans à l’avance. Il faut donc nommer au moins trois ans à l’avance (Serge Dorny a été nommé à Munich en mars 2018 pour septembre 2021)
Les choses se passent de manière plus délicate quand les délais sont plus serrés, ce qui a été le cas pour Lissner à Naples, pour Meyer à Milan, pour Pereira à Florence. Bien heureusement tout cela se passe en Italie où les saisons sont souvent (au moins pour le tout-venant) préparées très tardivement.
À Paris, on se souvient la longue procédure de nomination du successeur, les hésitations du Ministère de la Culture quant à la prolongation du mandat de Lissner qui faisait venir des crises d’urticaire à ses ennemis (y compris à l’Élysée) et pour achever le tout, de l’intervention finale du Prince qui a fini par décider tout seul. À l’Opéra, le Prince n’est jamais loin, sans doute un souvenir des descentes baroques du Dieu sur son nuage, ce Deus ex machina qui vient tout résoudre à la fin. C’est pathétique mais c’est comme ça.

L’arrivée d’Alexander Neef

C’est finalement en juillet 2019 qu’Alexander Neef est officiellement nommé « Directeur préfigurateur de l’Opéra de Paris », voici son cahier des charges :
Alexander Neef devra faire rayonner l’Opéra national de Paris à l’international en s’appuyant sur toutes les forces et les potentiels de l’établissement. Il développera un projet lyrique ambitieux, qui accordera une place importante au répertoire français, et conjuguera le maintien d’un haut niveau artistique avec les enjeux de la démocratisation, de la recherche de nouveaux publics et du développement de l’éducation artistique. Il développera une offre culturelle et artistique novatrice pour la Salle Modulable de l’Opéra Bastille. Avant de prendre les rênes de l’établissement à l’automne 2021, Alexander Neef aura deux ans, en sa qualité de directeur préfigurateur, pour préparer ses premières programmations. Il participera en outre aux chantiers d’organisation conduit par Stéphane Lissner qui quittera ses fonctions à l’été 2021.
Juillet 2019 pour prendre des fonctions en septembre 2021, c’est très juste pour conduire une pareille maison, la plus grosse du monde, et établir une programmation y compris pour la salle modulable…
Alexander Neef s’est donc bien gardé d’intervenir dans la récente agitation, sinon pour rappeler simplement les termes de son contrat et faire dire qu’il ne fallait rien précipiter.
Et voilà que jeudi dernier 11 juin, le Ministre de la culture fort inopportunément fait rajouter une apostille à son cahier des charges, déjà bien fourni… Nous en rappelons les termes, déjà évoqués au début de ce texte. Neef aura pour mission de « revisiter le modèle économique, social et organisationnel » de l’Opéra de Paris afin « d’assurer les conditions d’une exploitation équilibrée ».
Les choses sont dites dans les termes galants de l’énarchie qui nous gouverne et méritent d’être décodés, car on y dit beaucoup en peu de mots.
« Revisiter le modèle économique» signifie en clair faire en sorte que l’État baisse encore ses subventions et donc que l’opéra trouve encore plus que 60% de recettes propres (ou opère une refonte du niveau de ses charges…). Cela pourrait vouloir dire transformer le statut public d’EPIC (Etablissement Public à caractère industriel et commercial) en Fondation de droit privé, et donc du même coup changer les statuts des personnels (avec les conséquences sociales et syndicales qui s’ensuivraient dans une maison familière des mouvements dits sociaux) grosso modo privatiser comme on l’a fait pour la Poste ou France Télécom.

C’est le système qui a été appliqué pour les Opéras en Italie, il marche pour les grands théâtres (Scala, Rome), c’est une catastrophe pour les plus petits, financés en réalité par des organismes semi-publics parce qu’ils trouvent peu de sponsors.
Le rêve de l’État énarchique, c’est de « faire mieux avec moins » et c’est bien ce qui est en filigrane dans cette apostille perfide.
On comprend ce qui pourrait se trouver derrière le modèle « social », il pourrait s’agir de faire diminuer la masse salariale, et sans doute inventer des souplesses en augmentant le nombre d’intermittents… Pour ces réformes de structure on fera porter le chapeau au Directeur général. On gardera au moins les mains propres.
Je ne pense pas exagérer quand je lis ces phrases, la dernière étant la plus infecte. L’impéritie élevée au rang d’art.
La dernière phrase « d’assurer les conditions d’une exploitation équilibrée » est un souhait évidemment partagé. Mais si les théâtres d’opéra sont la plupart du temps équilibrés, ils le sont aussi quelquefois au prix de la réduction des frais variables, c’est à dire les frais artistiques, parce qu’il y a des frais fixes impossibles à diminuer, entretien des bâtiments (Bastille a été terminée à l’économie, rappelons aussi comment Nouvel a été éloigné de la construction de la Philharmonie …), paiement des salaires etc.

La part variable, c’est les productions, on peut en enlever une ou deux par an pour permettre d’équilibrer… On voit la perversité du système: faire moins avec moins…
De toute l’histoire du spectacle vivant, le genre opéra est le plus coûteux, et la littérature sur l’économie (ou l’utilité) de l’opéra est abondante, et parce qu’il est coûteux, il est aussi fragile, parce qu’il dépend depuis le XVIIe du Prince et de ses caprices (on l’a vu plus haut) parce que l’on a souvent l’impression que les dépenses sont inutilement somptuaires. Il est vrai que dans un système de stagione serrée comme Bastille, il n’y a pas que de bons exemples, un certain nombre de spectacles coûteux ont été représentés une saison et n’ont jamais été repris, et certains même détruits après.
Mais indiquer au futur directeur général qu’il aura à « revisiter le modèle économique, social et organisationnel » afin « d’assurer les conditions d’une exploitation équilibrée » c’est instiller l’idée que tout n’a pas été fait (et donc un petit coup de griffe à Lissner) qu’il y a trop de grèves (c’est vrai, mais qui, depuis 1973 a su les arrêter et obtenu la paix sociale totale ?).
Tout cela n’est pas neuf, mais sent ici sa menace, l’année même où l’Opéra a souffert dans sa chair d’une des pires crises jamais traversées, mais où le Directeur Général n’était pour rien : la réforme des retraites, c’est l’État et la fermeture due au confinement, c’est la Pandémie.
Que l’attitude de certains personnels pendant la grève ait été exagérée, critiquable, au-delà du raisonnable, notamment en persistant quand tout le monde ou presque avait repris, c’est évident, mais pour quelques individus identifiables, le Ministère ajoute ces éléments au pire moment pour montrer les dents (cariées) et faire de l’autoritarisme à défaut d’avoir de l’autorité, c’est vraiment pour le moins malhabile, et c’est bien ne rien comprendre au monde de l’Opéra que de procéder de la sorte.

Alexander Neef ne s’y trompe pas : dans l’interview accordée à France Musique le 15 juin, interrogé sur cette apostille, il s’en sort par une généralité : à tout projet artistique correspond un « projet économique, social et organisationnel » spécifique.  Il évoque même la possibilité de créer une troupe, manière de revoir effectivement le « projet économique, social et organisationnel » qui d’ailleurs correspondrait au modèle initial prévu pour Bastille comme nous l’avons précisé plus haut, et au modèle commun pratiqué en Allemagne, dont Alexander Neef est originaire. Le Blog du Wanderer défend depuis longtemps la question des troupes à l’opéra, garantes de continuité et d’alternance serrée. Attendons.
Il confirme par ailleurs qu’il a bien l’intention de venir à Paris : à ce niveau, relever le défi que constitue la prise en main de la maison est pour lui un titre qui n’est pas négligeable pour un néo-directeur d’une grosse institution aussi blessée. Mais lui poser la question, c’est aussi souligner la manière peu opportune dont le Ministère de la Culture a édicté ses dernières exigences, et Neef non sans ironie, glisse dessus prudemment.
Enfin sur la question de sa venue, il laisse la porte entrebâillée, demande du temps pour régler la situation à Toronto, et notamment la nomination de son successeur, non encore nommé. Cela signifie évidemment pour lui aussi quelque acrobatie, mais au détour d’une phrase, on sent qu’il veille déjà à l’exécution de la saison 2020-2021, celle que Lissner devait assumer… et qu’il est de loin, déjà là.
Tout cela est un jeu de masques, assez amusant, où l’État ne fait pas bonne figure, nommant trop tard, agissant ensuite à contretemps, sans qu’il joue un vrai rôle de tutelle, qui est aussi un rôle de protection.
Victime de la configuration qu’il a lui-même créée à l’Opéra de Paris, l’État traîne l’Opéra comme le sparadrap du capitaine Haddock, parce qu’il y a en haut lieu peu de défenseurs de ce genre, qui coûte sans jamais rapporter (le foot au moins…) et qui reste un genre socialement marqué, sans que jamais l’État ne se soit coltiné vraiment le problème… On l’a bien vu en décembre et janvier derniers, qui a pleuré sur cette maison ?

Il est évident que l’organisation de l’Opéra de Paris et ses coûts ont besoin d’être regardés et contenus. Mais il n’est pas certain que ce soit la question des coûts où le bât blesse. Certes, l’Opéra de Paris a le plus gros budget d’Europe (autour de 200 m/€ en 2015) mais le MET avec une seule salle le dépasse (266m/€), et l’Opéra de Paris a deux salles à gérer qui sont comme deux opéras ordinaires puisque le Palais Garnier seul est une salle comparable à Londres, Vienne, Munich ou la Scala
Avec 200 m/€ de budget, l’Opéra de Paris offre en théorie chaque soir 4700 places, tandis que Londres offre 2000 places avec un budget de 160m/€ environ. Comparaison n’est pas raison, mais tout de même.
Au niveau du taux d’autofinancement, l’Opéra de Paris (60%) se trouve dans le peloton de tête (après Londres, Madrid et Barcelone, la Scala) bien plus que les grands opéras allemands qui atteignent à peine 20% d’autofinancement (Munich, le plus autofinancé atteint un taux d’environ 36%).
De ce point de vue, la situation parisienne n’a cessé de voir son autofinancement consolidé. Donc là aussi, la situation est loin d’être critique et en tout cas plutôt raisonnable.
Alors bien sûr, on peut toujours chercher à augmenter le taux d’autofinancement, et donc chercher les sponsors, avec les conséquences sur les compensations (places à mettre à disposition, events etc…) et les conséquences éventuelles sur les choix de programmation : on est loin de l’opéra populaire mais pas toujours de l’opéra populiste quelquefois…
Personnellement, je suis sans doute ancien monde et naïf, mais le financement public reste pour moi la garantie d’une politique artistique libre et audacieuse.
Là où les choses sont à revoir, c’est sans doute du point de vue des organisations internes et des charges en personnel, comme l’importance excessive de l’encadrement administratif à tous niveaux par exemple, qui en fait une machine un peu bureaucratique, mais aussi certains aspects artistiques : Alexander Neef évoquait la possibilité d’une troupe. Paris en a une, c’est le ballet, composé de 154 membres qui au total dansent peu, parce que la politique de la maison délaisse les productions des grandes formes qui occupent du monde au profit des petites, qui en occupent moins. Mathématiquement : les danseurs dansent peu, avec les conséquences prévisibles sur la préparation, le maintien en forme et globalement la qualité technique et artistique de l’ensemble.
A titre de comparaison, le Royal Ballet de Londres a 100 membres et une troupe d’excellence bien plus prestigieuse que Paris et la plupart des autres compagnies ont de 70 à 80 danseurs. Les compagnies russes (Bolchoï et Mariinsky) sont plus nombreuses, mais développent une activité autrement plus dynamique et peuvent danser dans plusieurs endroits à la fois et plusieurs fois dans la journée (il est fréquent qu’il y ait deux représentations sur la même journée)
Enfin occuper le ballet plus qu’il ne l’est, c’est aussi du point de vue économique remplir des soirées qui rapportent beaucoup et qui coûtent peu: Une manière de « revisiter le modèle économique »…

Je ne suis donc pas sûr que l’Opéra de Paris coûte si cher au total quand on observe ses charges de fonctionnement qui d’ailleurs ne manqueront pas d’augmenter avec l’ouverture éventuelle de la salle modulable. C’est le plus cher en Europe, mais c’est le plus gros, et ce n’est ni le plus cher au monde, ni le plus cher en absolu, même si c’est sans conteste la plus grosse maison du monde. Revenir sans cesse sur les coûts, c’est simplement mentir.
C’est pourquoi les polémiques incessantes, provoquées par les maladresses ou le manque de vision de l’État, par un Ministère de la culture incapable d’exister (on le constate en ces temps de confinement où le monde culturel est sacrifié) et qui se tourne vers le Prince quand il faut décider, des Princes qui pour la plupart n’en ont rien à faire, tout cela aboutit à des situations délétères, à une démobilisation des personnels, à la lassitude de tous, et quelquefois, à la désertion du public, qui est un fait patent dans bien des salles qu’il faudra bien un jour affronter..

Alexander Neef © Gaetz Photography

 

WIENER STAATSOPER 2020-2021, NOUVELLE SAISON et NOUVELLE DIRECTION

Haus am Ring

Bogdan Roscic, (venu de Sony Classical) nouveau directeur de l’Opéra de Vienne où il succède à Dominique Meyer, commence son mandat avec une année à surprises motivées par l’épidémie de Covid-19. On ne sait en effet que sera le 6 septembre, jour de l’Ouverture, la situation en termes de circulation du virus, de distanciation sociale, de thérapies, même si les conditions en Autriche ont été moins dramatiques qu’ailleurs en Europe. Chargé de faire souffler un vent nouveau sur l’institution et la programmation, Bogdan Roscic propose effectivement beaucoup de changements, dans beaucoup de continuité aussi.
D’une certaine manière, l’évolution de la Staatsoper de Vienne est comparable – toutes proportions gardées- à celle du Grand Théâtre de Genève, avec les mêmes ingrédients, et une même volonté de changer de logiciel, même si sur le papier cela semble être une révolution. Méfions-nous quand même de la communication triomphaliste…
Des nouvelles productions qui renversent la vapeur, mais dont un certain nombre sont connues parce qu’elles viennent d’ailleurs. C’était attendu et c’était le motto de la nouvelle direction qui faisait fuiter habilement certains noms annonciateurs de crises cardiaques à Vienne, comme Frank Castorf.
Des « Wiederaufnahme » (reprises retravaillées) ou des « Musikalische einstudierungen » (retravail musical) avec des productions sorties du répertoire et qui y entrent de nouveau (Elektra de Kupfer par exemple), c’est en revanche un peu inattendu…
Et le répertoire, parce que dans cette maison on ne peut le changer du jour au lendemain, affiche des masse de granit historiques (Tosca…), et des productions nombreuses de Sven-Eric Bechtolf, c’est à dire une modernité qui-ne-fait-pas-peur  et souvent désolante.
Quelque chose change, c’est sûr, et une institution aussi installée dans l’histoire et la tradition doit le faire sans tout à fait heurter les habitudes…parce qu’à Vienne, les directeurs d’opéra ont souvent valsé, et pas au bal de l’Opéra.

Historiquement, il faut être clair. Vienne est une capitale musicale de premier plan, et la Staatsoper est le navire amiral de la musique à Vienne, c’est une institution énorme, où c’est la musique qui prime sur la scène, et cela a toujours été le cas. Les très grandes productions d’opéra, celles dont on se souvient, celles qu’on aimerait voir et revoir, ne viennent pas de Vienne. Il y a eu des productions qui ont marqué la « Haus am Ring », mais le temps d’une saison et d’un règne, pas sur toute une vie. Même le fameux Rosenkavalier de Otto Schenk, une référence, est plutôt meilleur dans sa version munichoise un peu postérieure. Mais on se souvient de la présence de Karajan, de Bernstein, de Kleiber, d’Abbado, de Muti, de Prêtre, d’Ozawa au pupitre, et plus récemment de Thielemann ou de Rattle. C’est là la force de cette maison, et de cet orchestre qui est le terreau du Philharmonique de Vienne, c’est ce qui fait et qui fera la gloire de Vienne, pas les productions (pas même celles des metteurs en scène que j’aime si dans la fosse il y a un quidam…).
Si l’on veut voir à Vienne des curiosités, ce sont des productions historiques, encore au répertoire, Il Barbiere di Siviglia (Gunther Rennert, depuis 1966, première dirigée par Karl Böhm avec Fritz Wunderlich), Tosca (Margarethe Wallmann depuis 1958, première dirigée par Herbert von Karajan avec Renata Tebaldi en Tosca !), La Bohème de Franco Zeffirelli depuis 1963, copie exacte de celle de la Scala, première dirigée par Herbert von Karajan avec Gianni Raimondi et Mirella Freni (tout comme à la Scala), ou la Salomé de Boleslaw Barlog de 1972, première dirigée par Karl Böhm) et cela ne dérange pas. Pour Bohème et Tosca, on se demande bien ce qu’une nouvelle production pourrait apporter, tant les nouvelles productions de Bohème et Tosca çà et là sont sans intérêt.
Plus important que les productions fétiches citées, ce qui est important à Vienne, c’est le répertoire, c’est la présence de nombreuses reprises qui font que le touriste de passage ou le viennois qui a envie d’entendre un opéra, le puisse pratiquement chaque soir, la plupart du temps (mais pas toujours) dans des conditions plutôt honnêtes et quelquefois pour des soirées musicalement exceptionnelles. Les tentatives de revenir sur le système de répertoire se sont toujours heurtées à l’hostilité du public et de la presse et ont conduit à l’interruption de plusieurs mandats par le passé.

Que cette maison soit celle qui, plus que toute autre en Europe, illustre une certaine histoire de l’opéra, son archive en ligne le montre, qui depuis 1869 retrace beaucoup de soirées avec leur distribution, et depuis 1955 toutes les soirées sans exception, une promenade dans les rêves, les mythes, qui enchante l’amateur d’opéra. Tapez Lilly Lehmann et vous aurez toutes les représentations où elle chanta à Vienne…
Voilà qui fascine ici.

Pour une maison à l’activité aussi énorme, il faut lister les titres pour se faire une idée globale, voici donc les nouvelles productions que nous reverrons point par point pour l’essentiel.

Nouvelles productions (10 et 2 opéras pour enfants):

  • 2020
  • Madama Butterfly (Septembre)
  • Die Entführung aus dem Serail (Octobre)
  • Eugène Onéguine (Octobre)
  • Die Entführung in Zauberreich (Octobre, opéra pour enfants)
  • Das verratene Meer (Décembre)
  • 2021
  • Der Barbier für Kinder (Janvier) adaptation pour enfants de Il barbiere di Siviglia de Rossini
  • Carmen (Février)
  • La Traviata (Mars)
  • Parsifal (Avril)
  • Faust (Avril)
  • L’incoronazione di Poppea (Mai)
  • Macbeth (Juin)

En italique, les productions créées ailleurs.
Hors opéras pour enfants, sur 10 nouvelles productions, seules deux (Parsifal, et Das verratene Meer) sont d’authentiques nouvelles productions…l’imagination ne semble pas vraiment au pouvoir…

Wiederaufnahmen (3 reprises retravaillées) :

  • Elektra
  • Don Carlos (Fr.)
  • Le nozze di Figaro

Musikalische Wiedereinstudierung (1 production retravaillée musicalement)

  • Der Rosenkavalier

Répertoire (26 titres):

  • Simon Boccanegra
  • L’elisir d’amore
  • La Fille du régiment
  • Salomé
  • Don Pasquale
  • Cavalleria/Pagliacci
  • A Midsummer night’s dream
  • Roméo et Juliette
  • Ariadne auf Naxos
  • Arabella
  • Werther
  • La Bohème
  • Tosca
  • Hänsel und Gretel
  • Die Fledermaus
  • Rusalka
  • Nabucco
  • La Cenerentola
  • Don Pasquale
  • Manon
  • Rigoletto
  • Turandot
  • Die Walküre
  • Die Zauberflöte
  • Les contes d’Hoffmann
  • Lohengrin

 

Vienne a eu jusque-là un plus grand nombre de productions de répertoire, à partir de la saison 2020/2021, la Staatsoper sera à peu près dans la bonne moyenne haute des autres théâtres de l’ère germanophone.

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Nouvelles productions

 

Septembre 2020/Janvier 2021/Mars/Avril
Puccini, Madama Butterfly (12 repr.), MeS : Anthony Minghella Dir : Philippe Jordan (sept-janv)/Ramón Tebar (16 janv)/Joana Mallwitz (Mars-Avril) avec :
-sept. : Asmik Grigorian, Freddie De Tommaso, Boris Pinkhasovich
-janvier : Asmik Grigorian, Marcelo Puente, Boris Pinkhasovich
-mars-avril : Hui he, Roberto Alagna, Boris Pinkhasovich
Quelle drôle d’idée ! Non pas d’ouvrir avec Butterfly, mais avec cette production-là. On concède que la production Josef Gielen (Près de 400 représentations depuis la création en 1957 sous la direction de Dimitri Mitropoulos avec Sena Jurinak…) avait vécu depuis longtemps, sans avoir la qualité de la Tosca de Wallmann. Il était temps de la remiser.
Mais au lieu d’ouvrir sur une production maison, ce à quoi on pouvait s’attendre avec une nouvelle équipe de direction, on présente une production née en 2005, dont le metteur en scène est mort il y a douze ans (Anthony Minghella), passée successivement par l’ENO (où elle a été créée), puis le MET, avant d’atterrir à Vienne. Drôle de manière d’annoncer des nouveautés.
Les nouveautés elles sont dans la distribution, avec Asmik Grigorian dans Butterfly, et les deux ténors en alternance qui sont parmi les voix nouvelles intéressantes, Freddie De Tommaso et Marcelo Puente. Dans les reprises de l’année, on retrouvera du plus traditionnel (mais pas moins bon) avec Hui hé et Roberto Alagna, mais sans Jordan puisque c’est la jeune et talentueuse Joana Mallwitz (34 ans) qui dirigera en mars et avril… Un début en mode mineur et c’est dommage. 

Octobre 2020/Juin 2021
W.A.Mozart, Die Entführung aus dem Serail (8 repr.), MeS : Hans Neuenfels, Dir : Antonello Manacorda avec:
– oct: Lisette Oropesa, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
– juin : Brenda Rae, Regula Mühlemann, Daniel Behle, Michael Laurenz, Goran Juric
Jolie distribution dominée par Lisette Oropesa, une magnifique Konstanze. Je pense cependant que pour une œuvre aussi inscrite dans le répertoire et dans les gênes de la ville de Vienne où elle a été créée (au Burgtheater), le choix du chef Antonello Manacorda, assez irrégulier, peut surprendre, mais qui sait…
Quant à Neuenfels, qui signe la production, c’est sa deuxième apparition après une production du Prophète pendant la saison 1997-1998. On aurait pu tout aussi bien la reprendre d’ailleurs, puisque Manacorda a dirigé Meyerbeer à Francfort…Au lieu de cela on va chercher une production de Mayence de 1999, qui a même eu les honneurs d’une retransmission télévisée.
Il est vrai en revanche qu’une nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail s’imposait vu la désastreuse production précédente (signée  Karin Beier et dirigée par Philippe Jordan, avec Diana Damrau) qui n’a duré que 10 représentations en 2006 (pour un ouvrage du répertoire aussi important, c’est un vrai trou noir).
Il est enfin dommage que la production des Herrmann (1989) créée par Harnoncourt n’ait probablement pas été conservée, parce qu’elle aurait été une reprise intéressante.
Là encore, risquer une nouvelle production maison pour un ouvrage aussi essentiel dans le répertoire de Vienne, n’aurait pas été un contresens.

Octobre-Novembre 2020
P.I.Tchaïkovsky, Eugène Onéguine
(5 repr.), MeS : Dmitry Tcherniakov, Dir : Tomáš Hanus avec Tamuna Gochashvili, Anna Goryachova, Andrè Schuen, Bogdan Volkov, Dmitry Ivashchenko
Dans ce Musée de la production moderne, il fallait évidemment une salle Tcherniakov. Le choix est tombé sur une de ses productions premières montrées en Europe occidentale (Barenboim l’avait déjà invité à Berlin pour Boris et Nagano à Munich pour Khovantchina, Eugène Onéguine, créée au Bolchoï et montrée ensuite à Paris (en 2008…) avec les forces du Bolchoï, dont il existe un DVD. Les viennois verront donc du jeune Tcherniakov, en souhaitant qu’il retravaille sa production. Solide distribution : on est heureux de voir l’excellent Bogdan Volkov dans Lenski.
Surprise du chef : Tomáš Hanus qu’on connaît sur un autre répertoire sera au pupitre. C’est plutôt un bon chef, on attendra donc avec confiance.

Décembre 2020
Hans Werner Henze, Das verratene Meer (4 repr.) MeS: Jossi Wieler & Sergio Morabito, Dir: Simone Young avec Vera Lotte Böcker, Bo Skovhus, Josh Lovell
Création à Vienne de cet opéra rarement proposé, créé à la Deutsche Oper de Berlin en 1990, sur un livret de Hans Ulrich Treichel d’après Le marin rejeté par la mer, de Mishima (1963).
C’est la première production maison de la saison, confiée à Jossi Wieler & Sergio Morabito, une garantie dans le monde de la mise en scène d‘aujourd’hui avec Bo Skovhus toujours impressionnant en scène et la jeune Vera Lotte Böcker qu’on a récemment découverte à la Komische Oper de Berlin dans Frühlingsstürme où elle était vraiment excellente. Dans la fosse, la très solide Simone Young.

Février-mars/mai-juin 2021
Georges Bizet, Carmen (11 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Andrés Orozco-Estrada (Février-mars-mai-juin)Alexander Soddy (9 juin) avec
– Février-mars : Anita Rashvelishvili, Charles Castronovo, Erwin Schrott, Olga Kulchynska
– Mai-juin : Michèle Losier, Dmytro Popov, Sergei Kaydalov, Vera-Lotte Böcker
Ne rions pas, après avoir fait le tour du monde de l’opéra depuis plus de 20 ans, la Carmen de Calixto Bieito, qui est même passée par Paris, arrive à Vienne pour remplacer la vieille production de Franco Zeffirelli ; j’y avais vu en son temps Baltsa, Carreras et Ramey, dirigés par Claudio Abbado (en 1990) (Soupir…), ce sera cette année Castronovo et Rashvelishvili, ce qui est bien, et Erwin Schrott, ce qui est moins bien, mais le rôle d’Escamillo-Matamore lui va bien…Au pupitre Andrés Orozco-Estrada, l’actuel directeur musical du Symphonique de Vienne, autrichien d‘origine colombienne, ce qui ne devrait pas être mal.
Enfin gageons que Bieito ne fera même plus peur au public de Vienne, c’est dire…

Mars 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata,
(5 repr.) MeS : Simon Stone, Dir : Giacomo Sagripanti avec Pretty Yende, Frédéric Antoun, Igor Golovatenko
Tiens, une mise en scène récent mais bien entendue née ailleurs, la Traviata parisienne signée Simon Stone arrive à Vienne avec ici aussi Pretty Yende dans le rôle-titre et l’excellent Frédéric Antoun en Alfredo. Igor Golovatenko est Germont. Giacomo Sagripanti est pour la première fois dans la fosse viennoise, un chef correct, mais pour une  nouvelle Traviata à Vienne, d’autres chefs ne convenaient-ils pas mieux ?
La production de Simon Stone succède à celle de Jean-François Sivadier, vue aussi à Aix, qui n’était pas si médiocre et qui en valait bien d’autres, d’autant que la production de Simon Stone ne vaut pas cet excès d’honneur, ce n’est pas l’une de ses meilleures créations. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Oui sans doute si on veut montrer à tous prix que la dernière actualité de la scène moderne arrive à Vienne. Inutile.
Voir: http://wanderersite.com/2019/09/le-bucher-des-vanites/

Avril 2021
Richard Wagner, Parsifal (4 repr.) MeS Kirill Serebrennikov, Dir: Philippe Jordan avec Jonas Kaufmann, Elina Garanča, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld, Ludovic Tézier
Deuxième authentique production maison qui remplace la très récente production d’Alvis Hermanis (12 représentations depuis 2017) d’une œuvre qui il faut bien le dire, était l’objet chaque année de distributions très solides et souvent de chefs remarquables. Quelle raison peut justifier le retrait au bout de si peu de temps? Peut-être sa qualité discutable, peut-être les déclarations d’Hermanis, politiquement très peu correctes, qui ont singulièrement freiné sa carrière ces dernières années. mais ce sont des conjectures. (Et un grand merci au lecteur qui m’a rappelé que la production Mielitz, médiocre, avait été retirée en 2017).
Parsifal est donc un symbole, et c’est Philippe Jordan qui en assurera la direction. Il ne pouvait en être autrement à partir du moment où il y a un directeur musical dans la maison.
C’est Kirill Serebrennikov qui en assurera la mise en scène, mais sa situation en Russie impose la présence d’un dramaturge qui est Sergio Morabito. D’autres théâtres ont fait ainsi travailler Serebrennikov par personne interposée, et le message pacifique de Parsifal convient à la situation difficile à laquelle il doit faire face.
Une distribution hors normes, pour quatre représentations seulement où ce sera la ruée, avec deux prises de rôle, Ludovic Tézier, en Amfortas, deviendra-t-il le lointain successeur d’Ernest Blanc ? Et Elina Garanča aborde Kundry face au Parsifal de Jonas Kaufmann, au Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, et au Klingsor de Wolfgang Koch, remarquables tous, voire exceptionnels mais moins nouveaux dans ces rôles.
Une distribution de feu. C’est la production à ne rater sous aucun, mais aucun prétexte.

Mai 2021
Charles Gounod, Faust
(4 repr.) MeS: Frank Castorf Dir: Bertrand de Billy avec Juan Diego Flórez, Adam Palka, Nicole Car, Boris Prygl
Castorf à l’opéra de Vienne !! je présume que des défibrillateurs supplémentaires seront installés dans la salle pour soigner les crises cardiaques.
Pour faire au mieux, on devrait souhaiter que le Burgtheater accueille le Faust de Goethe du même Castorf, pour établir un discours cohérent entre ces deux Häuser am Ring…
La production est connue, elle vient de Stuttgart et Wanderersite en a rendu compte, c’est évidemment une production d’une prodigieuse intelligence, qui travaille sur le mythe de Faust dans un contexte français et parisien (stupéfiant décor de Alexander Denić) .
C’est Bertrand de Billy qui dirige, on espère qu’il connaît la production et c’est Juan Diego Flórez et Nicole Car qui chantent Faust et Marguerite, ce qui nous garantit un chant impeccable. Bien heureusement, c’est le seul survivant de Stuttgart, Adam Palka, qui reprend Mephisto, où il avait été totalement bluffant. Wanderer y sera, peut-il en être autrement ?
Voir: http://wanderersite.com/2016/11/f-comme-faust-f-comme-france/

Mai-juin 2021
Claudio
Monteverdi, L’incoronazione di Poppea (5 repr.) MeS : Jan Lauwers, Dir: Pablo Heras Casado avec Kate Lindsey, Slávka Zámečniková, Xavier Sabata, Christina Bock, Willard White, Vera-Lotte Böcker.
Autre production importée, cette fois de Salzbourg où elle a été présentée en 2018 avec William Christie en fosse. On y retrouve Kate Lindsey entourée du remarquable Xavier Sabata, de Willard White  notamment. La production fortement marquée par le corps, qui souligne où illustre les sentiments et attitudes des personnages avait été assez bien accueillie à Salzbourg, même si certains l’avaient vertement critiquée. Dans la fosse, Pablo Heras Casado  aborde un répertoire où on l’entend très peu, mais la direction de Willima Chrisite avait été critiquée à Salzbourg. Raison de plus pour faire le voyage.

Juin 2021
Giuseppe Verdi, Macbeth,
(6 repr.), MeS Barrie Kosky, Dir: Philippe Jordan avec Luca Salsi, Roberto Tagliavini, Martina Serafin, Freddie De Tommaso
Si la distribution est loin de me convaincre pour les deux protagonistes, car Macbeth exige bien plus que deux grandes voix, et Luca Salsi n’a pas vraiment la subtilité exigée pour un rôle où se sont illustrés un Bruson ou un Cappuccilli. Un Tézier aurait été bienvenu. Quant à Serafin, dans le répertoire italien…(soupir…). Reste Tagliavini, excellent, et Freddie De Tommaso, la voix de ténor émergente qu’on va voir partout. La manière de distribuer le répertoire italien lourd (comme le Macbeth de Verdi) me laisse quand même quelquefois rêveur hors d’Italie, notamment pour ce genre d’œuvre.
Jordan dans la fosse, cela montre aussi l’importance accordée à cette dernière production de la saison…
Car et c’est là le point fort, ce Macbeth venu de Zurich est simplement la plus belle mise en scène de Macbeth de Verdi qu’on ait vu depuis Strehler. Barrie Kosky fait un Macbeth noir, avec un espace de jeu de quatre m2, éclairé, un drame à deux où les deux protagonistes se meuvent et s’étouffent. Un des plus beaux spectacles de ces dernières années, à voir absolument si on l’a raté à Zurich, où le rapport scène salle était idéal.
Voir: http://wanderersite.com/2018/10/les-corbeaux-volent-la-ou-est-la-charogne/

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

 

Septembre 2020/Juin 2021
Richard Strauss, Elektra (7 repr.), MeS: Harry Kupfer, Dir: Franz Welser-Möst /Alexander Soddy (19 & 22 sept) avec
Septembre: Ricarda Merbeth, Doris Soffel, Camilla Nylund, Derek Welton
Juin: Ausrine Stundyte, Michaela Schuster, Camilla Nylund, Derek Welton

On est évidemment curieux d’entendre Ausrine Stundyte (on connaît l’Elektra de Merbeth)qui devrait mieux lui convenir que Salomé – du moins pour mon goût. Belle distribution, avec Nylund et Doris Soffel, et l’Orest de Derek Welton ne devrait pas décevoir non plus.
Franz Welser-Möst pour son grand retour à Vienne dans une de ses œuvres fétiches, mais surtout le retour (après l’intermède raté Uwe-Eric Laufenberg) de la très belle production de Harry Kupfer, violente et glaciale, créée par Claudio Abbado en 1989, une des rares productions de Kupfer au répertoire de Vienne. Comme le grand metteur en scène vient de disparaître, ce sera aussi un hommage. Par chance, la production n’a pas été détruite. Une excellente initiative.

 

Septembre-Octobre 2020
Giuseppe Verdi, Don Carlos (version originale)
(5 repr), MeS: Peter Konwitschny Dir: Bertrand de Billy avec Jonas Kaufmann, Ildar Abdrazakov, Igor Golovatenko, Eve-Maud Hubeaux, Malin Byström, Roberto Scandiuzzi
Autre belle initiative, la reprise de ce Don Carlos spectaculaire, qui se déroule sur scène, en salle, dans les corridors, avec son ballet délirant et si juste « le rêve petit bourgeois d’Eboli » . D’une part, la production Peter Konwitschny est cohérente et sans concessions, d’autre part elle rend justice au grand opéra spectaculaire. En fosse, Bertrand de Billy et une distribution rompue à cette œuvre (à part Golovatenko…on rêverait là aussi Tézier) où il y a certes  Kaufmann (magnifique dans Carlos) et Byström, mais on remarque en Eboli celle qui à Lyon nous avait tant plu, Eve-Maud Hubeaux, qui entre à Vienne « alla grande », avec le Grand Inquisiteur de Lyon, Roberto Scandiuzzi et le Philippe II de Ildar Abdrazakov, qui le chantait à Paris.

Janvier-Février 2021
W.A. Mozart: Le nozze di Figaro
(5 repr.) MeS: Jean-Pierre Ponnelle (reprise par Grischa Asagaroff) Dir: Philippe Jordan avec Andrè Schuen, Federica Lombardi, Louise Alder, Philippe Sly, Virginie Verrez
On devrait conserver les productions Ponnelle qui circulent encore précieusement, tant elles ne vieillissent pas, avec leurs images magnifiques et leur élégance intrinsèque. Certes, aujourd’hui, la mode est à la trilogie Da Ponte confiée à un seul metteur en scène mais je ne suis pas si sûr que ce soit une idée géniale de notre théâtre contemporain. Il fait donc accueillir ce retour de Ponnelle à Vienne avec une joie sans mélange. Philippe Jordan dans la fosse retrouvera Mozart dans la ville où le compositeur vécut, et où il créa Le nozze di Figaro. Distribution qui ne me convainc pas où l’on entendra cependant avec plaisir l’Almaviva Andrè Schuen, originaire du Sud Tyrol (italien) mais d’origine ni germanophone ni italophone, mais ladine (la langue des Grisons, troisième langue du Sud-Tyrol) que les spectateurs d’Angers ont déjà entendu.

 

 

Musikalische Neueinstudierung (reprise musicale)

 

Décembre 2020/juin 2021
Richard Strauss, Der Rosenkavalier
( 7 repr.) MeS: Otto Schenk. Dir: Philippe Jordan avec

  • Décembre : Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker, Erin Morley, Piotr Beczala
  • Juin : Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso.

Voilà une œuvre fétiche de l’opéra de Vienne, voilà une mise en scène historique de la maison (Otto Schenk, 1968, antérieure à sa production munichoise et un peu moins de 400 représentations) créée en fosse par Leonard Bernstein, voilà aussi la dernière production d’opéra dirigée par Carlos Kleiber… un monument en somme.
Le directeur musical ne peut faire autrement que la diriger, d’autant que Philippe Jordan est un bon straussien et qu’il n’e l’a dirigée que deux fois à Paris, une fois sous Mortier, et une fois sous Lissner.
Il est légitime qu’il retravaille la lecture avec l’orchestre et qu’il « créée des habitudes » dans une œuvre rebattue pour l’orchestre de la Staatsoper et reprise presque chaque année au répertoire.
En décembre, il dirigera un cast excellent  (Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Daniela Sindram, Jochen Schmechenbecker) avec le chanteur italien de Piotr Beczala, un peu moins excitant en juin (Martina Serafin, Albert Pesendörfer, Adrian Eröd, Jennifer Holloway, Louise Alder, Freddie De Tommaso).
Il n’importe, Rosenkavalier à Vienne c’est un « Hausoper », un opéra qui est chez lui. Il s’agit donc d’un enjeu fort pour le directeur musical.

 

 

Chefs engagés :

Philippe Jordan, Directeur musical : Parsifal, Der Rosenkavalier, Madame Butterfly, Le nozze di Figaro, Macbeth

Bertrand de Billy : Don Carlos, Faust, Tosca, Werther, Ariadne auf Naxos
Giacomo Sagripanti : La Traviata, L’Elisir d’amore, La Fille du régiment
Pablo Heras Casado: L’incoronazione di Poppea
Antonello Manacorda : Die Entführung auf dem Serail
Franz Welser-Möst : Elektra
Alexander Soddy : Elektra, Carmen, Salomé
Ramón Tebar: Madama Butterfly
Joana Mallwitz: Madame Butterfly
Simone Young: Das verratene Meer, A Midsummer Night’s Dream
Sebastian Weigle: Arabella
Christian Thielemann: Ariadne auf Naxos
Andrés Orozco-Estrada: Carmen
Marco Armiliato: Cavalleria Rusticana – I Pagliacci, Don Pasquale
Cornelius Meister: Die Fledermaus, Hänsel und Gretel, Lohengrin
Adam Fischer: Die Walküre, Die Zauberflöte
Tomáš Hanus: Eugène Onéguine, Rusalka
Stefano Montanari: Il barbiere di Siviglia
Eun Sun Kim: La Bohème
Gianluca Capuano: La Cenerentola
Axel Kober, Les contes d’Hoffmann
Evelino Pidò: Manon, Roméo et Juliette, Simon Boccanegra
Paolo Carignani: Nabucco, Rigoletto
Pier Giorgio Morandi: Tosca
Giampaolo Bisanti: Turandot

On le voit, parmi les chefs engagés, on remarque quelques chefs de premier plan, comme Christian Thielemann et le retour de deux chefs qui avaient rompu de manière spectaculaire avec Dominique Meyer, Franz Welser-Möst l’ex-GMD de l’Opéra de Vienne et Bertrand de Billy, ce dernier très sollicité, dirigeant trois opéras français, Ariadne auf Naxos une longue série de Tosca, l’une des reprises importantes de l’année, comme on va le voir.

Pour le reste, on remarque quelques noms intéressants comme Gianluca Capuano (La Cenerentola), Cornelius Meister (qui dirige trois productions dont un Lohengrin de fin de saison, Andrés Orozco-Estrada, qui succède à Philippe Jordan à la tête du Wiener Symphoniker (c’est une courtoisie normale que d’inviter le voisin) Sebastian Weigle à qui est confié Arabella. Stefano Montanari, nouveau venu à Vienne pour il Barbiere di Siviglia, nouveau également Giacomo Sagripanti, invité tout septembre pour diriger L’Elisir d’amore et La Fille du régiment .
Dans le regard sur le répertoire, nous avons relevé une sélection de titres qui pourraient être intéressants.

Novembre 2020/Mars 2021
Richard Strauss, Ariadne auf Naxos
(7 repr.) MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Christian Thielemann (Novembre), Bertrand de Billy (Mars) avec
– Novembre : Camilla Nylund, Jennifer Holloway, Stephen Gould, Erin Morley
– Mars : Lise Davidsen, Angela Brower, Brandon Jovanovich, Erin Morley
Christian Thielemann, adoré à Vienne, revient pour Strauss, un de ses compositeurs de prédilection pour une petite série d’Ariadne auf Naxos en novembre. En mars, ce sera Bertrand de Billy, décidément très sollicité dans cette saison.
Les deux distributions, très différentes, sont vraiment d’un (très bon) niveau comparable, avec dans l’une la très belle primadonna de Camilla Nylund, et en mars la présence de Lise Davidsen, entendue dans ce rôle à Aix. Mise en scène de Sven Eric Bechtolf, rien à dire.

Décembre 2020/Janv-Fév 2021/Mai 2021
Giacomo Puccini, Tosca
(12 repr.) MeS: Margarethe Wallmann, Dir: Bertrand de Billy (déc.)Pier Giorgio Morandi (Janv-fév-mai)
Qu’il soit entendu que Tosca à Vienne doit être vu une fois par tout visiteur, c’est une production muséale (1958) et Dominique Meyer avait pris soin de faire restaurer les productions les plus anciennes. Qu’il soit aussi entendu qu’avec 12 représentations, c’est une production alimentaire, avec un prix d’appel, la présence d’Anna Netrebko pour les trois premières (au-delà ce serait hasardeux) avec Monsieur…Dès la quatrième, c’est au tour de l’excellente Saioa Hernandez, qui ne chantera cette saison qu’une représentation.
Décembre : Anna Netrebko/Saioa Hernandez, Yusif Eyvazof, Wolfgang Koch
Janv-Février : Sonya Yoncheva, Roberto Alagna, Alexey Markov
Mai : Anja Harteros, Massimo Giordano, Luca Salsi
On a là une palette de possibilités selon les goûts, avec quatre Tosca qui sont des grands noms (Netrebko, Harteros), des petits noms (Yoncheva) un véritable espoir (Hernandez), palette de ténors aussi desquels on retiendra Alagna évidemment, et Giordano en l’espérant plus en forme qu’à Lyon, et trois Scarpia de choix, Koch pour l’intelligence, Markov pour l’élégance, Salsi pour la grosse voix, mais pour rien d’autre tant il n’a pas le profil pour le personnage. Bref, en douze représentations, une sorte de voyage dans les possibles pour Tosca.

Décembre 2020
Jules Massenet, Werther
, (4 repr.) MeS : Andrei Serban, Dir : Bertrand de Billy avec Piotr Beczala, Gaelle Arquez, Daniela Fally, Clemens Unterreiner.
Andrei Serban fut dans les années 1990 un exemple de metteur en scène ébouriffé. Il s’est coiffé depuis et représente une sage modernité aux yeux du très conservateur Opéra de Vienne. D’où plusieurs productions de répertoire, jouées assez souvent, comme ce Werther qui remonte à 2005 et repris plusieurs dizaines de fois depuis. Intérêt de cette reprise, la présence de Bertrand de Billy en fosse, mais surtout de Piotr Beczala, un Werther exemplaire et Gaelle Arquez en Charlotte.

Janvier 2021
Antonín Dvořák, Rusalka
(4 repr.) MeS : Sven-Eric Bechtolf Dir : Tomáš Hanus avec Piotr Beczala, Elena Zhidkova, Kristine Opolais etc…Bechtolf, la fausse modernité et le vrai conformisme, directeur du théâtre au Festival de Salzbourg jusqu’à 2016. Ce n’est pas de la mise en scène que vient l’intérêt mais du chef, pleinement dans son répertoire, voire une référence, et une belle distribution, avec Opolais, Zhidkova, deux bêtes de scène, et Beczala, moins bête de scène, mais lui aussi référence dans ce type de rôle.

Avril 2021
Wagner, Die Walküre
(4 repr.), MeS Sven-Eric Bechtolf, Dir : Adam Fischer avec Andreas Schager, Mika Kares, Günther Groissböck, Camilla Nylund, Martina Serafin.
Là où Walküre passe…le wagnérien fait halte. Avril sera un mois wagnérien à Vienne avec ce Parsifal exceptionnel dont on a parlé et cette Walküre. En arrangeant son emploi du temps, on peut voir la dernière de Parsifal (11 avril) et la première de Die Walküre (14 avril). Adam Fischer est un chef solide, qui fréquente le Ring depuis des décennies, la mise en scène de Bechtolf est attendue, c’est à dire sans intérêt, et la distribution entre Schager, Kares, Groissböck et Nylund est plutôt très flatteuse. Il reste que je me demande ce qu’on continue de trouver à Martina Serafin.

Juin 2021
Richard Wagner, Lohengrin
(4 repr) MeS : Andreas Homoki, Dir : Cornelius Meister avec Kwangchul Youn, Klaus Florian Vogt, Sara Jakubiak, Tanja Ariane Baumgartner, Adrian Eröd.
Continuons la promenade wagnerienne. La production de Homoki, qu’on voit aussi à Zürich est faite pour les amateurs de Dirndl et culottes de peau, la direction de Cornelius Meister ne devrait pas être négligeable, la distribution solide mais pas exceptionnelle, même avec Vogt, le Lohengrin de ce début de XXIe siècle. Vous pouvez combiner avec l’autre production de Zurich, le Macbeth miraculeux de Kosky, qui est présenté dans la même période. Cela vous fera du Zurich sur Danube.

Mai 2021
Jacques Offenbach, Les contes d’Hoffmann
(5 repr.), MeS : Andrei Serban, Dir : Axel Kober avec Juan Diego Flórez, Sabine Devieilhe, Miche!le Losier, Erwin Schrott etc…
Andrei Serban, production de 1993, qui a sans doute épuisé ce qu’elle avait à dire. Axel Kober, bon chef, mais surprenant dans ce répertoire qui n’est pas le sien. Enfin dans la distribution, à part Erwin Schrott qui dans ce rôle (Lindorf etc..) c’est à dire le méchant, en fera des tonnes. On note Michèle Losier dans la Muse, Sabine Devieilhe en Olympia et Juan Diego Flórez dans Hoffmann, celui qui fut le plus grand chanteur pour Rossini et le répertoire romantique à la faveur de l’âge se lance dans le répertoire fin XIXe, Werther, Faust et Hoffmann…soit. L’intelligence, le phrasé, la technique restent… et on l’aime.

 

Conclusion :
Au-delà du souhait que la saison se réalise complètement et dès septembre, c’est une saison un peu bizarre, qui semble une manière de dire : « c’est le changement », en s’appuyant sur une dizaine de productions de metteurs en scène d’aujourd’hui, comme un défilé muséal de mises en scènes contemporaines (enfin pas toutes, parce que certaines sont de vieux souvenirs), de metteurs en scène qui souvent jamais n’ont travaillé dans la maison. Donc c’est la carte de visite d’un futur qu’on espère plus original, plus inventif et moins « conforme » (dans l’autre sens…). Avec Vienne, dernier bastion d’un théâtre plutôt traditionnel, qui rentre dans l’ordre moderne, le « mortierisme » se sera installé dans tous les grands théâtres d’opéra d’Europe occidentale ou peu s’en faut. Mais c’est un faux mortierisme, parce que Gérard Mortier était un intellectuel et un vrai créateur dans son ordre. Ici, on a de la gestion de productions achetées ou louées ailleurs. Le panier de la ménagère, c’est possible une saison mais pas deux. Vienne devra ou bien aller plus loin et se montrer créatif et simplement plus intelligent, ou bien le spectateur verra le même style partout et la routine s’installera.
Du point de vue musical, on est à Vienne et des chefs invités stimulants sont attendus. Vienne est pour moi d’abord un Opéra pour grands chanteurs et grands chefs : grands chanteurs cette année ? Un peu mais pas trop, et quand même pas mal de jeunes artistes qui commencent la carrière et qui vont se faire entendre, ce qui est positif. Grands chefs d’aujourd’hui ? Un peu mais vraiment pas trop. L’impression est celle d’un « plan plan » un peu plus coloré que précédemment, mais pas fondamentalement différent avec d’autres noms d’une qualité comparable. Sans doute la nouvelle direction procède-t-elle prudemment, à l’instar d’un Aviel Cahn à Genève, mais Aviel Cahn a un projet lisible et affirmé, ici il ne l’est pas encore, sinon par l’effet d’annonce : mais à vouloir s’afficher moderne, on arrive à faire sourire : reprendre après 20 ans et une douzaine de théâtres la fameuse Carmen de Bieito, c’est touchant dans la volonté de se montrer risque-tout (on pouvait en dire de même quand cette Carmen a été montrée à Paris). Il valait mieux garder la vieille production Zeffirelli…
Évidemment, d’un point de vue économique avec deux seules vraies nouvelles productions d’opéra sur une dizaine, c’est plutôt de bonne gestion.
En fait, à part la production de Parsifal, vraiment exceptionnelle, les bonnes idées on les trouve dans les reprises de vieilles (et excellentes) productions de la maison, L’Elektra de Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989 et reprise jusqu’à 2012, Le nozze di Figaro de Ponnelle (243 représentations de 1977 à 2010) une production que personne n’a oubliée, d’une suprême élégance, et l’intelligent et spectaculaire Don Carlos de Peter Konwitschny (2004), dont la dernière reprise remonte à 2013. Il reste qu’on aura par ailleurs plaisir à (re)voir le Kosky, le Tcherniakov, le Lauwers etc…Car ces considérations n’empêchent pas les productions présentées d’être intéressantes, mais comme elles sont connues et appréciées, c’est autant de risque que l’équipe de Vienne ne prend pas, Attendons la saison suivante pour nous faire une idée plus précise du nouveau cours que prend cette vénérable maison.

“PARIGI O CARA ! ” : LA COURSE À L’ÉCHALOTE DE LA NOMINATION…

En mai dernier, je publiais une réflexion sur « l’après Stéphane Lissner » à l’Opéra de Paris. Depuis, la situation évolue à peine : les bruits nous ont appris que Stéphane Lissner ne se succèderait pas à lui-même, sans doute à cause d’inimitiés solides en haut lieu. Et, lancés par qui y trouve intérêt, des noms circulent dans la presse de futurs directeurs qui ont à peine pris leurs marques dans leur théâtre actuel, que ce soit Ghristi à Toulouse (depuis 2017), Mantei depuis 2015 à l’Opéra Comique, mais qui a rouvert en 2017 et en est à sa deuxième saison, quant à Sophie de Lint, dont je viens de lire le nom cité, elle ouvre à peine sa première saison à Amsterdam. Leur bilan est pour le moins réduit.
On a dit aussi qu’il fallait des femmes (d’où sans doute Sophie de Lint…) mais ont circulé les noms de Barbara Hannigan pour la direction musicale (on croit rêver), voire de Susanna Mälkki (là c’est quand même plus sérieux). Ce qui transparaît dans la presse, ce ne sont rien d’autre que des noms, mais pas une analyse un peu fine de la situation. L
a réalité, c’est qu’il n’y a pas grand monde dans le monde lyrique aujourd’hui qui puisse sérieusement prétendre à cette maison, l’une des plus grosses, sinon la plus grosse du monde, même si elle n’est pas la plus emblématique.

Les questions posées

La question n’est pas le nom qui va venir,  la question n’est même pas non plus la politique artistique.
C’est paradoxal, mais c’est ainsi, une politique artistique est plus essentielle dans un théâtre moins important parce que c’est par elle qu’il va se faire remarquer (on peut citer Bâle, Karlsruhe, l’Opéra-Comique de Berlin, Lyon, Nuremberg ou d’autres) que dans un théâtre de capitale. En effet, Paris, Londres ou New York ont par nécessité des politiques voisines. Seule  la Scala qui perd son public à vue d’œil, court après son identité, et sa politique, erratique depuis l’arrivée de Pereira, balançant entre œuvres emblématiques italiennes et grands titres de répertoire étranger vide la salle.

Un grand théâtre-capitale se doit d’être éclectique à tous niveaux :

  • Il se doit de servir le grand répertoire international, globalement les grands Mozart, Verdi Puccini, Wagner et Strauss.
  • Si possible, il se doit de servir le répertoire maison, pour l’Opéra de Paris, son répertoire historique (ce qui n’est pas encore tout à fait le cas).
  • Il doit afficher une troupe de ballet en état de marche (c’est le cas de Londres, de la Scala aussi), mais le ballet de l’Opéra est en crise, de notoriété publique, crise de fonctionnement, de répertoire, de management (depuis le départ de Brigitte Lefèvre).
  • Il ne doit pas afficher de ligne artistique trop marquée : il en faut pour tous les goûts entre les mises en scène dites « modernes » et celles qui sont plus « traditionnelles », entre les titres populaires et standards et les titres moins racoleurs, mais il ne peut sans risque faire systématiquement appel à des metteurs en scène décoiffants, ni sans risques non plus proposer des mises en scène vieillies dès leur création (cf bonne part des productions de l’ère Nicolas Joel).
  • Enfin le public de fans, qui écume twitter, n’est pas celui qui remplit la salle. C’est attirer régulièrement le public occasionnel et maintenir un public d’abonnés qui est l’enjeu.

À ces considérations générales s’ajoutent des considérations purement parisiennes :
Depuis Rolf Liebermann, c’est à dire depuis que je vais à l’Opéra, j’entends dire que l’Opéra est un gouffre financier : les fautifs, tantôt l’administrateur général (Rolf Liebermann en fut accusé maintes fois par ses adversaires), tantôt les syndicats, dont les exigences sont toujours plus grandes : à lire certains articles, on pourrait penser que travailler à l’Opéra de Paris est une sinécure à nulle autre pareille, le paradis du travailleur, sur le dos des contribuables bien sûr qui paient ces largesses et dont bien peu au total n’accèdent à l’Opéra. En bref, l’Opéra serait la « danseuse » inévitable de l’État, sinon le jardin privé du Prince.
Car l’Opéra de Paris, fondé en 1669 par Louis XIV comme Académie Royale de Musique est depuis sa création liée au Prince : Louis XIV bien sûr, et Napoléon 1er adoraient le genre.
Plus près de nous depuis 1974, de tous les présidents qui se sont succédé, seul Giscard y allait assez régulièrement, hors devoirs de la charge. Mais cela ne veut pas dire que les autres ne s’y soient pas intéressé: Mitterrand qui n’allait pas à l’Opéra a fait construire Bastille, l’un de ses « grands travaux », puis y a placé un proche, Pierre Bergé, qui a vidé Barenboim, et placé René Gonzalès, puis Jean-Marie Blanchard, éphémères administrateurs généraux. Gonzalès, grand homme de théâtre, dont l’Opéra n’était pas la spécialité, a ouvert la maison dans des conditions difficiles, et Blanchard, bref administrateur général, a à son actif quelques productions bien durables (Tosca de Schroeter, Carmen de José Luis Gomez), ou des triomphes mémorables comme Adriana Lecouvreur avec Freni pour sa dernière apparition à Paris ; puis sous Mitterrand et en cohabitation (Balladur aux manettes et Toubon à la Culture) , c’est Hugues Gall, un des deux « enfants » nés de l’ère Liebermann qui a passé dans cette maison une petite dizaine d’années, le temps d’en construire le répertoire, c’est à dire des productions qui puissent faire l’objet de reprises et durer, ce qui n’était pas une mince affaire ni la tradition de la maison. À la fin de l’ère Gall, d’une grande stabilité, la gauche a nommé Gérard Mortier, l’autre « enfant » de Liebermann, mais Mortier homme de gauche a régné sous la droite de Chirac, laquelle a appelé ensuite Nicolas Joel aux manettes, avec le succès (!)  que l’on sait, puis arriva Lissner, plutôt opportuniste en politique : il fut l’instrument de la Mairie de Paris (Chirac) quand il était au Châtelet, il revint à Paris nommé par la gauche, en 2012, et aux manettes en 2014 après une dizaine d’années discutées (injustement à mon avis) à la Scala.
De tous ces présidents, aucun n’allait à l’Opéra, mais tous y ont touché de près ou de loin. On ne doit donc pas s’étonner d’entendre dans cette affaire citer l’Élysée, d’autant que le directeur actuel de la communication, Sylvain Fort, est un vrai spécialiste de l’opéra et fondateur du site Forumopéra. Pourquoi se priver de ses compétences?
Mais quand ça bloque, ça bloque: on ne trouve visiblement personne qui ait le profil pour succéder à Lissner, d’où la vanité de cette course à l’échalote et de ces noms (dont certains assez baroques) qui circulent d’autant mieux que la vraie case est vide.
Essayons alors de considérer cette future nomination sous le prisme des enjeux.

Les enjeux

Dans mon précédent article, je pensais possible de renommer Lissner pour un dernier mandat, ou de faire appel à défaut à Dominique Meyer, à cause des immenses avantages de sa candidature (expérience, connaissance de la maison, liens avec le corps de ballet), même si, né en 1955, il ne pourrait tout au plus que faire un mandat. Je maintiens cet avis.
J’ai bien un autre candidat possible en tête, qui a lui aussi les qualités artistiques et la connaissance de la maison voulue…mais je le garde in pectore, car je ne sais même pas s’il serait candidat.
Le nom de toute manière importe peu. Comme disent les italiens Onore/Onere (qui a l’honneur a aussi la charge) et donc au-delà de l’honneur, il faut regarder un peu plus profondément  les charges et les tâches prioritaires.

Quitte à surprendre, je ne pense pas qu’à ce niveau l’enjeu soit l’artistique : d’abord parce que l’artistique n’entre que pour 20% des frais de la maison, qui est énorme, sans doute la plus grosse maison du monde et que l’essentiel est ailleurs, vers les frais fixes, qui ne diminueront pas. D’ailleurs, sous le rapport artistique, Lissner a plutôt réussi, en dehors des inévitables échecs ou choix erronés qui ont cristallisé les oppositions.
Sur l’artistique, au moins du point de vue du lyrique, la plupart des candidats savent faire, ils ont l’expérience : c’est une question de dosage et de goût. La question n’est pas la programmation :  quel que soit le candidat, il faudra remplir les 2700 places de Bastille et les 2000 places de Garnier, et les recettes de remplissage ne sont pas nombreuses : des titres alléchants qui puissent compenser quelques titres moins populaires obligatoires et les inévitables créations, quelques stars, quelques scandales (toujours utiles pour le buzz), et des chefs corrects à très corrects ainsi qu’un directeur musical respecté. C’est le job de tout directeur d’opéra, à Paris, Rome, Stuttgart ou ailleurs.

Mais Paris a des particularités :
L’enjeu est d’abord de tenir la maison, d’avoir un poids suffisant face aux défis qu’elle pose assez clairs à identifier :

  • Sous n’importe quel manager, cette maison coûtera cher, même avec des conventions collectives révisées. L’idée de faire des économies à l’Opéra est un leurre, il faudrait une fois pour toutes arrêter cette polémique idiote. L’antienne du coût exorbitant est l’argument répété de toutes les campagnes contre les managers de l’Opéra de Paris, comme si on pouvait y faire des économies; la répétition de l’argument depuis des dizaines d’années marque sa vanité. La vraie question , c’est que la dépense puisse se justifier aux yeux de la collectivité nationale, c’est à dire qu’elle puisse bénéficier à l’ensemble des contribuables en termes d’accessibilité, de diffusion, d’éducation. Quand l’Opéra était le jardin du Prince, il bénéficiait tout au plus à sa cour et à ceux qui détenaient le pouvoir économique, d’où d’ailleurs les formes alternatives qu’on a inventé pour le public plus populaire comme la foire ou l’Opéra-Comique. L’Opéra est aujourd’hui un jardin national, à défaut d’être un jardin ouvrier…
    Mais l’opéra est aussi un art complexe, qui nécessite une foule de métiers, et donc cher. Il faut peut-être contenir les dépenses, mais cela ne suffit pas, et augmenter les sources de recette ne suffit pas, même en les diversifiant entre billetterie, sponsors, produits dérivés ainsi que produits TV et cinéma en streaming encore timides à Paris, alors que les maisons européennes rivalisent en retransmissions en streaming – voir Munich et Berlin-, directs radio ou TV….
  • Il reste aussi à avoir une politique tarifaire lisible, ce qui n’est plus le cas depuis des années, qui puisse diversifier l’accessibilité. Du côté de la billetterie, l’augmentation des prix, en une période ou la question du pouvoir d’achat est si sensible a fait long feu et aussi bien Paris que d’autres théâtres (la Scala notamment) en font les frais. Je pense qu’il faut revoir profondément le système de billetterie.
  • En plus de ces questions de gestion, il semble aussi qu’il faille donner au manager de cette maison géante aux personnels très qualifiés et très spécialisés, un regard plus sensible à la question des ressources humaines qui ne semble pas être très centrale, du moins à ce qui peut en filtrer. Car les personnels eux-mêmes, à l’ « esprit maison » très développé, restent discrets à ce propos.
  • Il faut revoir la question de « l’Académie », dont le concept qui a si bien réussi à Aix n’a pas eu les résultats escomptés à Paris, alors que le « Studio » avait précédemment assez bien marché…et du même coup aussi poser la question d’une troupe éventuelle, pas seulement d’ailleurs composée de jeunes..
  • Enfin il faut régler la question du ballet, une institution de très haut niveau et de tradition séculaire qui semble artistiquement piétiner, très (trop) endogène et très marquée par les hiérarchies très enracinées du corps du ballet. Millepied s’y est heurté et a été vaincu : pourtant l’appeler n’était pas une mauvaise idée. Aurélie Dupont ne semble pas vraiment y réussir pour d’autres raisons, et la question du répertoire et surtout de la défense du répertoire classique se pose dans une maison dont il est l’armature  sur laquelle s’est construite sa réputation et sa maîtrise technique: combien de grands ballets classiques dans la programmation actuelle ? trois ? quatre ? Même pas: le seul Lac des Cygnes marque le répertoire de grande tradition cette saison C’est à pleurer…

Les origines du projet Bastille

Pour comprendre les questions qui se posent, il faudrait revenir sur l’excellent rapport Gall de 1994, qui pose les défis au plan technique et au plan du nombre de représentations (plus de 550 entre Garnier et Bastille) et il faut aussi revenir aux origines du projet : un théâtre « populaire » pour l’Opéra-Bastille, fondé sur le répertoire.C’est Michael Dittmann, venu du système allemand, collaborateur de Rolf Liebermann à Paris et attaché ensuite à la mission de préfiguration de Bastille (direction Jean-Pierre Angrémy) qui a pensé le système par référence au système de répertoire à l’allemande fondé sur l’existence d’une troupe de base avec quelques artistes invités. Toute l’architecture technique du théâtre est fondée sur la nécessité d’une alternance serrée. C’est pour le système de répertoire que l’Opéra-Bastille a été construit, et pas pour le système stagione:  il y a deux scènes prévues à l’origine à Bastille (grande salle et salle modulable) et une scène de répétitions avec fosse d’orchestre (côté jardin de la scène de Bastille) jamais utilisée je crois. Il faut donc utiliser à fond l’outil de production.
Avec une école de chant française assez fournie et de qualité aujourd’hui, il ne serait pas absurde d’y penser une troupe : certains jeunes chanteurs français pour se faire les dents ont été (Julie Fuchs à Zurich) ou sont en troupe (Elsa Benoit à Munich), alors pourquoi pas à Paris ?

Garnier dévolu au ballet était l’idée d’origine, et Garnier est aussi devenu par sa moindre capacité (2000 places quand même, soit la Scala, Covent Garden,  la Deutsche Oper de Berlin,  Vienne, ou Munich),  le théâtre lyrique pour les œuvres baroques ou de plus petit format à cause de l’absence de la « salle modulable » qui était a priori dédiée à ce répertoire et au contemporain, espace laissé en friche à l’intérieur de Bastille dont Lissner a annoncé la reprise des travaux pour une ouverture au début des années 2020).

En fait Garnier (c’est déjà le cas d’ailleurs) pourrait être dédié à la danse et à ces opéras peu ou moins représentés ne nécessitant pas de reprises fréquentes : un système stagione « spécial Garnier » en quelque sorte. Il serait d’ailleurs stupide de fermer Garnier au lyrique pour toutes sortes de raisons, historiques, artistiques, touristiques…
En l’occurrence, et on s’en rend bien compte, l’Opéra de Paris est un outil monstrueux: à l’horizon 2022, trois scènes à entretenir, trois salles, 2700 (Bastille), 2000 (Garnier) et 1000 (Salle modulable, si elle est vraiment construite), cela veut dire à mon avis la nécessité d’une troupe pour Bastille, la nécessité d’un ballet à la programmation séduisante et diversifiée, distribuée sur Bastille pour les « grands standards », et sur Garnier pour le reste, et la salle modulable pour les formes plus petites et l’expérimental, le théâtre musical etc…Mais avec deux conditions sine qua non : que le public vienne, à des prix raisonnables et que se mette en place une recherche fine de diversification des publics.
Le succès de la Philharmonie en est la preuve : le public vient si une politique tarifaire intelligente est appliquée et si la programmation montre son ouverture la plus large.
Les candidats à notre première scène nationale auront sans doute à cœur de résoudre tous ces problèmes, qui ne manqueront pas de provoquer négociations et discussions ponctuées des inévitables grèves.
Enfin, last but not least, la question du directeur musical.
Philippe Jordan a été la très bonne idée de Nicolas Joel : il a choisi un chef qui est arrivé  avec un nom déjà internationalement connu avec un profil de répertoire allemand, devenu un chef très aimé à Paris au répertoire suffisamment large pour devenir maintenant le directeur musical de Vienne à partir de 2020. Y-a-t-il aujourd’hui un chef de ce type, quadra si possible, pour lui succéder ? Ou bien faut-il un nom encore plus assis, comme par exemple Antonio Pappano, même si l’on vient d’apprendre qu’il est prolongé jusqu’en 2023 à Londres. (Il pourrait enchaîner avec Paris ensuite car on sait qu’il cherchait à partir du ROH) , lui dont le répertoire est très large, pour frapper encore un plus grand coup ? Ou bien faut-il vraiment un directeur musical ? Autant de questions qui n’ont cessé de se poser depuis des dizaines d’années, sans jamais de réponse définitive et qui dépendent des réseaux du directeur général choisi..

Une politique artistique plus cohérente

Même si face aux défis d’organisation que pose le futur, la politique artistique est moins prioritaire dans une maison qui a dans son répertoire un grand nombre d’œuvres depuis son ouverture en 1990 et qui peut vivre sur son acquis, en limitant les nouvelles productions au strict nécessaire, il reste naturel de l’évoquer.

Lissner a laissé Jordan en place, car en intuitif qu’il est, il a compris qu’il n’aurait pas mieux que ce « right man on the right place ». Il a ramené des stars sur la scène parisienne, et c’est évidemment nécessaire, il a aussi proposé des productions toujours alléchantes sur le papier, pas toujours cependant au vu du résultat, enfin poussé par la tendance du jour, il a continué d’opérer le retour d’un répertoire maison initié par son prédécesseur, voire par Mortier (Werther, Louise) mais de ces titres revenus (de Mireille au Roi Arthus, de Faust aux Huguenots, des Troyens à Benvenuto Cellini) combien de productions convaincantes, et surtout combien de reprises?
Il y a eu aussi de mauvaises idées : une Bohème par Claus Guth qui , indépendamment de la qualité intrinsèque de la production, n’est pas tenable pour un tel standard dont la plupart des productions durent au bas mot une vingtaine d’années, un Don Carlos scéniquement problématique, des Huguenots fades, mais moins ratés que Don Carlos, une Damnation de Faust justement damnée et d’autres.

Et malgré tout, il continue cependant de manquer à cette maison des pans notables de répertoire : le répertoire français maison (les autres Meyerbeer, d’autres Gounod, d’autres Massenet par exemple qui seraient idéaux à Garnier), le répertoire vériste, très grand absent, le grand répertoire romantique (bel canto), peu de Bellini, peu de Donizetti, et peu de Rossini (non seulement les opéras écrits pour Paris, mais aussi les « opéras serias »), sans parler de grands classiques du XXème comme Die Soldaten, voire des Zemlinsky (seul Der Zwerg est au répertoire) ou des Schreker. Rendons grâce à Nicolas Joel d’avoir proposé Die tote Stadt de Korngold et Mathis der Maler de Hindemith et à Mortier d’avoir monté son Cardillac. Mais combien de reprises depuis ? Et que dire de Dialogues des Carmélites, ou Saint François d’Assise, absents de la scène de l’Opéra depuis 2004… ?
Pris entre le système stagione (répétitions et séries de représentations longues) et le système de répertoire (répétitions brèves limitées à une mise en place) et sans troupe, l’Opéra ne peut afficher certains titres pour trois représentations, comme le fait Munich, s’assurant ainsi d’un remplissage satisfaisant. Et donc il s’abstient de reprendre des titres dont il connaît à l’avance le taux de remplissage critique sur six ou sept représentations.
Il y a là toute une ligne de programmation à revoir, car en l’état, il y a de quoi proposer de nombreux titres, mais repenser les nouvelles productions non en fonction des envies ou du buzz, mais en fonction du sens. Prenons l’exemple des Troyens : certes c’est excitant de proposer Tcherniakov comme metteur en scène, et ça fera parler, mais une reprise des Troyens de Wernicke (en 2006, sous l’ère Mortier, reprise de Salzbourg) qui sans être une production définitive, avait une vraie légitimité, pouvait être envisagée. Et on pouvait par ailleurs appeler Tcherniakov pour Die Gezeichneten par exemple, qui attendent une création parisienne…
Mais la question du répertoire n’a de sens que si les productions sont reprises: la garantie de leur reprise, je le répète, consiste, pour Bastille au moins, en un système de troupe. L’art de Liebermann, à l’intérieur d’un système stagione d’ailleurs, consistait en des reprises régulières des productions avec des distributions renouvelées, alléchantes, quelquefois supérieures à la Première. Bastille qui a un fond de productions infiniment supérieur ne s’y essaie pas vraiment.

Je soutiens donc que dans la situation actuelle, qui n’est quand même pas si tragique (même si les questions du ballet et de RH se posent sérieusement), il vaudrait mieux quelqu’un qui n’ait plus rien à perdre à la tête de cette maison, pour travailler sur ce qui fait un peu mal et ne se voit pas, quitte à laisser un peu de côté ce qui se voit, tout en garantissant une production artistique de bon niveau, ce qui n’est pas si difficile au vu des productions existantes de la maison et du marché du chant lyrique actuel.
La tendance d’aujourd’hui est de penser que le présent est éternel, et que le buzz d’une production remplace une politique: on évite de penser long terme, on évite de penser traces. Or la direction d’un opéra consiste à la fois à créer à l’intérieur de la maison un « esprit » derrière une programmation (voir Kosky à la Komische Oper de Berlin), à mettre en place des organisations satisfaisantes pour tous, mais aussi  à considérer la maison dans sa perspective historique, dans son patrimoine matériel et immatériel.
Qu’importe le nom du futur directeur général : il suffit qu’il ait la mémoire longue et sache valoriser tous les patrimoines de cette maison, y compris le patrimoine immense et la mémoire que constituent tous ses personnels, une richesse qui compense très largement les coûts supposés de leur travail . Jamais on ne pensera juste en pensant « économie » à l’opéra (les deux termes sont antagonistes), à condition néanmoins que la dépense conduise quelquefois au sublime.