L’ÂGE DU CAPITAINE LISSNER…OU MINESTRONE ALLA MELONI

Quelques éléments pour comprendre les enjeux réels du départ forcé de Stéphane Lissner de Naples…

 

Les relations entre la France et l’Italie ne se sont pas améliorées grâce à Gerald Darmanin et ses « externations » (une francisation d’un mot italien esternazione utilisé il y a quelques décennies à propos de déclarations intempestives répétées de Francesco Cossiga, alors Président de la République Italienne) contre Giorgia Meloni, le Président du conseil italien (elle ne veut pas de féminisation de la charge, elle est un-homme-un-vrai), d’extrême droite. Elle serait incapable de gérer les questions d’immigration, une affirmation qui viserait en même temps l’éventuelle incapacité du Rassemblement national à résoudre la même question dans la France d’un éventuel futur. Un coup de billard à deux bandes en quelque sorte.
Quelques journalistes ou articles ont ensuite fait le lien avec le décret que le gouvernement Meloni a promulgué le 4 mai dernier stipulant que les « Sovrintendenti » étrangers d’opéras ne pouvaient dépasser 70 ans, visant en premier lieu Stéphane Lissner, 70 ans depuis janvier dernier, et Dominique Meyer, 70 ans en 2025. Ainsi, la tension entre les deux pays viserait aussi ces français à la tête de deux théâtres emblématiques ô combien de la péninsule, le plus célèbre théâtre du monde, la Scala, et le plus ancien grand théâtre italien, au passé glorieux et au présent plus difficile, le Teatro San Carlo de Naples. En plus, c’était facile d’accuser les néofascistes de préférences nationales, voire nationalistes : les pauvres petits français victimes des méchants nationalistes italiens.
En fait c’est beaucoup plus compliqué, d’abord parce que personne n’a relevé la présence parmi les sovrintendenti d’opéras de la Péninsule d’un troisième français, Mathieu Jouvin, à la tête du moins emblématique Teatro Regio di Torino, l’opéra de Turin, il est vrai bien plus jeune (44 ans) et non concerné par le décret « scélérat ».

Ni Lissner ni Meyer ne sont des perdreaux de l’année, ils ont eu chacun une carrière complète, enviable, glorieuse, et leurs postes italiens ne sont que des cerises sur un gâteau énorme qu’ils ont déjà mangé et digéré. Pour chacun, c’est le mandat en plus – pas forcément en trop d’ailleurs- rejoints dans leur situation par Alexander Pereira, qui a démissionné il y a quelques mois de l’Opéra de Florence pour d’autres raisons, suite à un lâchage politique local, sinon le dit décret l’aurait atteint lui-aussi (il a plus de 75 ans). On ne pleurera pas sur leur situation personnelle, même s’ils sont en l’occurrence victimes d’un décret dont la brutalité est aussi l’indice du style du gouvernement qui l’a promulgué.
Ensuite, c’est essentiellement de Lissner dont il s’agit puisque Dominique Meyer n’est concerné que dans la mesure où il atteindra 70 ans dans dix-huit mois, en 2025, l’année où son contrat actuel arrivera de toute manière à échéance, et c’est donc bien moins traumatique…

Pourquoi Lissner ?
La présence à la tête d’opéras italiens de Sovrintendenti étrangers est relativement récente, une petite vingtaine d’années, et c’est la nomination de Stéphane Lissner à la Scala qui en a inauguré la mode en 2004, suite à la démission de Carlo Fontana et du départ de Riccardo Muti de la direction musicale. Si la fonction est symbolique et que la Scala en Italie est une institution emblématique, tout comme le San Carlo, il reste que dans la marée de problèmes du pays, il peut paraître suspect qu’un décret règle toutes affaires cessantes un problème de sovrintendente d’opéra.
Essayons donc d’y voir clair car dans cette affaire il y a à la fois les faits avérés, les dessous, et d’évidentes motivations politiques, c’est un faisceau (aucune référence à des « fasci » bien connus du passé) de données qui sans doute aboutissent à la situation présente, où miroir et alouettes se sont singulièrement rapprochés.

En visant Lissner, le gouvernement pensait jouer sur du velours.
Il y a en effet à la fois une opportunité politique et de l’autre une vieille animosité contre Lissner, partagée par une partie du milieu musical italien, qui remonte à loin, et plonge ses racines dans la manière dont il a été nommé à la Scala. Pour le percevoir, il faut essayer de comprendre comment fonctionnait, et comment fonctionne la gestion du lyrique en Italie.

Comment sont gérés les opéras en Italie ?
La loi actuelle sur les Fondations Lyriques et symphoniques remonte à 1996, et elle fait suite à une loi de 1967 qui reconnaissait le “caractère d’intérêt général” de l’activité lyrique et symphonique “dans la mesure où elle est destinée à favoriser l’éducation musicale, culturelle et sociale de la communauté nationale”.
Ainsi, en 1967, l’État a attribué aux institutions lyriques et symphoniques l’autonomie, une personnalité juridique de droit public, s’engageant, par l’attribution de subventions publiques, à la protection, au développement et à la valorisation de ce secteur. Mais le système a manqué de souplesse et surtout les financements n’arrivaient pas en temps et heure, obligeant les institutions à des prêts bancaires pour continuer l’activité en attendant les subventions, avec les difficultés inhérentes (intérêts bancaires etc..) sans permettre aux privés d’entrer dans ces institutions pour compenser le défaut de l’État.

En outre, on mettait à la tête des institutions lyriques un triumvirat :

  • Sovrintendente, chargé de la gestion et responsable suprême de l’institution
  • Direttore artistico (directeur artistique, « aux compétences musicales reconnues ») chargé de l’organisation des saisons et de toute la partie artistiques (chanteurs, metteurs en scène etc…)
  • Direttore musicale (directeur musical) dont la charge principale était de diriger des concerts symphoniques avec l’orchestre du théâtre et quelques productions de la saison.

L’avantage politique de ce système à trois têtes était surtout dans un pays de régime parlementaire de permettre aux partis en place de se partager les postes (la fameuse lottizzazione), là où le sovrintendente était Démocratie chrétienne, le directeur artistique était d’opposition de gauche et vice-versa, le plus souvent avec des compétences reconnues pour chacun parce que chaque parti avait ses intellectuels, ses grands commis etc…

Le nouveau système de Fondations de 1996 a fait de ces institutions des personnalités juridiques de droit privé, mais gérées de manière hybride par le public et le privé, permettant une implication plus forte des acteurs publics locaux, villes, provinces, régions, mais aussi permettant l’entrée au pot financier d’acteurs privés. En réalité, les privés ont bien voulu participer au financement des institutions les plus prestigieuses, mais les autres Fondations, moins médiatiquement juteuses ont connu tour à tour des jours très difficiles que ce soit l’Arena di Verona, le Petruzzelli de Bari, l’opéra de Florence, le Carlo Felice de Gênes…
Ces sovrintendenti étrangers étaient censés aussi apporter dans la corbeille de la mariée des sponsors en nombre – Pereira en particulier, qui avait si bien réussi à Zurich – ce qui n’était pas indifférent dans un pays surendetté qui ainsi voyait ses charges allégées dans les théâtres qui coûtaient le plus cher.
Enfin, la loi sur les Fondations ne fait plus une obligation du triumvirat Sovrintendente/Directeur artistique/Directeur musical. Elle stipule que le Sovrintendente « peut » être assisté d’un directeur artistique et d’un directeur administratif, mais elle donne clairement au Sovrintendente la prééminence.
De plus, Lissner a inauguré une autre mode, appliquée aussi bien ensuite par son successeur Alexander Pereira que par Dominique Meyer, celle de cumuler les fonctions de Sovrintendente et de Direttore artistico, sur le modèle en cours dans toutes les autres maisons d’opéra non italiennes.
Le milieu musical italien a très mal supporté ce changement et garde encore la conviction qu’un directeur artistique est nécessaire, qui, selon la loi devait être de « compétence musicale éprouvée ». Signalons au passage que le troisième larron français, Mathieu Jouvin, à Turin, est flanqué d’un Directeur artistique, ce qui contribue ainsi à le « dédouaner ».
Quand Stéphane Lissner se montra à la TV incapable de reconnaître un certain nombre d’airs d’opéra, cela fit plus que jaser sur sa « compétence musicale éprouvée » (il s’en est largement expliqué depuis) même s’il reste qu’il n’a pas si mal réussi là où il est passé, Châtelet, Aix, Real Madrid, Wiener Festwochen, Scala, Paris et même Naples, où malgré les difficultés, il propose une programmation plutôt flatteuse qu’on n’avait pas vue à Naples depuis longtemps (voir sa prochaine saison dans ce Blog bientôt).
Mais il était le plus fragile, parce la situation napolitaine est difficile à plusieurs niveaux, que les forces artistiques locales sont la grande faiblesse de la maison, et que le théâtre lui-même a besoin de restaurations.
Les restaurations coûtent, mais remettre sur pied des forces artistiques et les projeter à un niveau international coûte de l’argent, demande du temps, et provoque en plus beaucoup de douleur. Il est évident qu’il a les mains relativement liées, que cela se sait et que sa position est donc a priori délicate, même si Lissner en a vu d’autres et qu’il a toujours été très habile.
D’où le coup d’arbalète qui l’a visé le 4 mai dernier avec le décret du gouvernement : il visait un maillon plus faible, supposant que le milieu musical italien et le milieu local napolitain ne broncheraient pas.
De fait, le Maire de Naples a simplement pris acte de la situation en déclarant le 16 mai : Le nouveau directeur du Théâtre San Carlo sera choisi par le biais d’un appel d’offre, après le départ à la retraite de Stéphane Lissner le 1er juin prochain en raison du décret (du 10 mai 2023 n° 51) qui envoie les directeurs étrangers des fondations symphoniques lyriques à la retraite après l’âge de 70 ans.
Telle serait la volonté du maire de Naples Gaetano Manfredi, et président de la Fondation, qui a illustré lors de la réunion du Conseil, les effets du décret et les scénarios qui s’ouvrent pour le théâtre napolitain à moins d’un mois de la présentation de la saison  23/24 (élaborée par Lissner). Sans autre forme de procès…
Au cours de cette réunion, le Conseil a approuvé les comptes 2022 du théâtre, avec le seul vote négatif de la Région, à cause de coûts supplémentaires (frais de logement) s’ajoutant au salaire du Sovrintendente, mais aussi de coûts d’embauches de 66 personnes (en réalité des transformations de CDD en CDI et d’autres éléments financiers considérés comme excessifs.
Tout cela nous montre que la position de Stéphane Lissner, pas contestée artistiquement, était très affaiblie sur la place de Naples, alors que son intronisation il n’y a pas si longtemps l’avait été avec tambours et trompettes… La Politica è mobile qual piuma al vento pour pasticher le Rigoletto de Verdi.

Il reste qu’une fois de plus le politique tue dans l’œuf un projet qui gardait sa fascination et son intérêt parce que Naples, qui fut et reste un phare de la culture, mérite un San Carlo digne d’elle. Impossible de travailler sur le long terme, une expression insultante dans un monde gouverné par le tout, tout de suite
Mais les politiques de ce côté-ci ou de ce côté-là des Alpes adorent la culture, surtout comme variable d’ajustement. Sans compter qu’en Italie l’opéra est aussi en crise, et plus encore le théâtre, mis à terre, malgré des noms comme Castellucci (désormais plus intéressé par l’opéra, plus lucratif), ou mieux Emma Dante et Pippo Delbono, qui continuent de porter fortement un vrai travail de création et où les scènes napolitaines ont une place particulière pour la créativité. Un paysage pour le reste complètement dévasté.

Le fameux décret
Le décret du 4 mai dernier dont voici le texte  ( DECRET 70ans  en italien) stipule qu’il s’agit de rétablir l’égalité de traitement pour certaines charges à l’intérieur des Fondations Lyrico-symphoniques, « L’intervention réglementaire découle d’une nécessité générale de réorganiser une matière marquée par des incohérences évidentes dans la détermination de l’âge de la retraite des surintendants des fondations lyriques-symphoniques. En effet, il existait des limites différentes en fonction de l’origine et de la nationalité du sujet. Une situation qui, de fait, discrimine les citoyens italiens. »
En fait, les Sovrintendenti italiens qui ont fait leur carrière dans l’administration publique italienne sont tenus à partir en retraite à l’âge maximum de 70 ans, alors que les étrangers, même retraités dans leur pays, peuvent signer un contrat de droit privé qui n’est pas soumis aux mêmes règles.
Le décret en conclut : « La loi approuvée aujourd’hui par le Conseil des ministres intervient dans plusieurs directions, en rétablissant le principe d’égalité au sein des fondations d’opéra. D’une part, elle permet d’accorder des nominations à tous, pensionnés ou non, jusqu’à l’âge de soixante-dix ans. D’autre part, il fixe la limite statutaire obligatoire de soixante-dix ans pour le poste de surintendant : lorsque cet âge est atteint, le contrat est automatiquement résilié. Enfin, un règlement transitoire est édicté pour ceux qui ont déjà atteint cette limite, afin de permettre une transition ordonnée et, en même temps, un renouvellement des générations. »
Voilà un décret gouvernemental qui ne traite que d’une seule fonction, celle de Sovrintendente (Surintendant) et qui ne vise donc dans l’immédiat qu’un seul manager, Stéphane Lissner. Cela ressemble à un décret ad hominem, avec une méthode peu orthodoxe, sous prétexte d’égalité de traitement italiens/étrangers. Quelle bouillie ! Un vrai minestrone…

La fin des « Enti lirici » et la naissance des Fondations n’a pas dans la mémoire collective supprimé la double fonction directeur artistique/Sovrintendente, une des questions douloureuses qui traverse l’organisation des opéras et les sovrintendenti visés,  mais elle a renforcé les pouvoirs locaux en matière de nominations, sans d’ailleurs supprimer les excès politiques : à Turin un excellent sovrintendente, Walter Vergnano, en charge depuis 19 ans, a été forcé à la démission par la nouvelle municipalité « Cinque stelle » en 2018, qui a profité d’un accident survenu dans le théâtre pour l’accuser de mauvaise gestion et a nommé un notoire incapable, source de catastrophes à répétitions pour l’institution.

En France, le localisme (un terme je crois chéri par le Rassemblement National) appliqué à la culture cache quelquefois des choix partisans (le terme est faible) ou féodaux, où la culture ne vaut que vassalisée, comme le montre Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes.

C’est différent en Italie, où l’État n’a pas eu le pouvoir régulateur en matière de culture qu’il a pu avoir en France (L’État Culturel, selon l’expression célèbre de Marc Fumaroli).
En effet, le président du « Consiglio d’indirizzo », le conseil d’administration des opéras est le Maire de la ville où est installé le théâtre, et la nomination du Sovrintendente dépend beaucoup du maire et des contextes locaux. C’est vrai dans le cas de Naples où Lissner avait été nommé avec le soutien conjoint du maire de Naples (Gaetano Manfredi, indépendant soutenu par une coalition de centre gauche) et du président de la région Campanie (dirigée par Vincenzo de Luca, du parti démocratique – le grand parti de gauche) et on a vu que c’est moins vrai en ce moment, c’est aussi le cas de Florence, où Pereira a été très appuyé par la mairie de Florence (Dario Nardella, du Partito Democratico ) jusqu’à ce qu’elle le lâche, et c’est enfin le cas à Milan où Dominique Meyer était et reste très soutenu par le Maire de Milan,  Giuseppe Sala (Centre gauche).
On le remarque, les trois sovrintendenti étrangers de Milan, Naples, et Florence ont été appelés et nommés par des municipalités de gauche ou centre gauche, dans l’opposition aujourd’hui. Ce n’est pas indifférent.

Mais le pouvoir italien actuel et notamment les néo-fascistes (et Forza Italia) ont des tendances centralisatrices, au contraire de la Lega de Matteo Salvini fortement fédéraliste. Et ils ont très vite envie de peser plus sur les nominations des plus hautes charges y compris culturelles (directeurs de musée ou directeurs d’opéra). Le sous-secrétaire d’Etat à la culture Vittorio Sgarbi, un critique d’art plus connu dans les médias que dans les musées pour ses polémiques à répétition a souvent pointé les étrangers à la tête d’institutions culturelles italiennes, et la manœuvre anti-Lissner cache une autre manœuvre que les presses française et italienne ont relevé, sans toujours d’ailleurs mesurer les arcanes du tir en cascade qui est mis en place.
L’idée est d’abord de donner à l’État un rôle plus actif dans le choix des personnes qui gouverneront les institutions culturelles (et autres) (le modèle est français… ) en orientant les appels d’offre et ainsi couper l’herbe sous les pieds des institutions locales.
C’est ce qui était prévu pour Naples. Lissner vidé, on installait presque directement quelqu’un d’autre…
L’enjeu, en fait, n’est pas le San Carlo dont le gouvernement se soucie aussi peu que de sa dernière chemise (noire), mais tout d’abord sa première cible – avant d’autres-, la RAI, « mamma RAI », à la tête de laquelle était Carlo Fuortes, ancien Sovrintendente de l’Opéra de Rome, aujourd’hui démissionnaire.

Qui est Carlo Fuortes ?
C’est un universitaire, spécialiste de l’économie de la culture, il a dirigé pendant de nombreuses années l’Auditorium Parco della Musica, l’ensemble construit par Renzo Piano au nord de Rome où se déroulent les grands concerts symphoniques, il a été en 2012-2013 commissaire extraordinaire pour sauver de la faillite le Teatro Petruzzelli de Bari, mais aussi l’Arena di Verona en 2016 qu’il a sauvée du désastre. Et de 2013 à 2020, il a été aussi le Sovrintendente du Teatro dell’Opera di Roma à qui il a redonné une armature, avec l’aide de Daniele Gatti comme directeur musical. En somme, un personnage non seulement important, mais surtout intelligent, inventif, ouvert, que tout le monde donnait logiquement comme futur Sovrintendente de la Scala de Milan : c’est l’un des deux meilleurs managers lyriques en Italie aujourd’hui (avec Francesco Giambrone, son successeur à Rome) et sa nomination de l’opéra de Rome à la RAI a suivi l’exemple de celle de son lointain prédécesseur Paolo Grassi, nommé de la Scala à la RAI en 1977. Un profil de gauche modérée, assez consensuel, idéal pour Mamma RAI, comme on dit en Italie.
Or, à un poste aussi sensible avec un gouvernement dont tout le monde sait qu’il ne partage pas les idées, il était sur un siège éjectable ou sur un tapis de peaux de bananes. Il a donc préféré démissionner, en insistant sur les intrusions intempestives du pouvoir sur la programmation, et empêchant ainsi ce qui bruissait dans toute la presse, à savoir son arrivée illico presto à Naples au San Carlo en remplacement de Stéphane Lissner.

La manœuvre Lissner/Fuortes
Voici les termes conclusifs de la démission de Carlo Fuortes :
« Je ne peux pas, pour faire approuver les nouveaux plans de production par le conseil d’administration, accepter le compromis de consentir à des changements – bien qu’évidemment légitimes – de ligne éditoriale et de programmation que je ne considère pas comme étant dans l’intérêt de la RAI. J’ai toujours considéré la liberté de choix et d’action d’un directeur comme un élément essentiel de l’éthique d’une entreprise publique. Mon avenir professionnel – dont on parle beaucoup dans les journaux ces jours-ci, pas toujours à dessein – n’a pas d’importance face à ces raisons et ne peut pas faire l’objet de négociations. Je prends donc acte que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre mon travail d’Administrateur délégué (NdR : titre du directeur de la RAI). Dans l’intérêt de l’entreprise, j’ai communiqué ma démission au ministre de l’économie et des finances”. »
En démissionnant, Fuortes coupe l’herbe sous le pied du gouvernement qui n’aurait de toute manière pas manqué de le renvoyer à ses chères études dans les prochaines semaines : il en dénonce officiellement les manœuvres et les pressions, regagne sa liberté de parole et surtout susurre que la nomination à Sovrintendente (de Naples ou d’ailleurs) ne peut être lubie gouvernementale décidée à l’avance, ce que les stratèges du gouvernement Meloni avaient semblé oublier. Il a d’ailleurs par ailleurs précisé : « compte tenu de cette situation, il n’y a pas, à mon avis, de conditions pour occuper le poste de directeur du théâtre San Carlo ».
Le gouvernement pensait jouer sur du velours oubliant un peu que l’Italie c’est le pays de Machiavel (versant noble) et de la combinazione (version sale), il a surtout voulu aller un peu vite en besogne, faisant de Lissner le premier pion d’une manœuvre bien plus large et d’un plan visant clairement à placer ses propres hommes là où c’est important, utilisant les opéras pour leur statut prestigieux et leur importance politique très relative pour recaser noblement les démissionnés.
L’enjeu, ce sont donc les procédures de nomination pour que l’Etat-Meloni s’installe partout, et en priorité à la RAI, déterminante pour avoir un paysage médiatique avec pour pôle public une RAI instrument du pouvoir, et pour pôle privé les trois grandes chaines encore aux mains d’un Berlusconi affaibli par la maladie et momifié par les liftings, mais toujours aux aguets et surtout partie de la majorité gouvernementale. Donc au total les six grandes chaines de télévision seraient aux mains du pouvoir. Pluralisme quand tu nous tiens.
Il reste que l’Italie étant ce qu’elle est, les majorités les plus solides le sont toujours jusqu’à ce qu’elles s’autodétruisent, au jeu très italien du je te tiens tu me tiens par la barbichette, et qu’il faut du temps pour qu’un parti s’installe dans tous les rouages d’un pays, même si la Meloni médite une réforme constitutionnelle qui affaiblirait le parlementarisme. L’illibéralisme, cela prend du temps, et dans un pays aussi clanique et morcelé que l’Italie, plus de temps encore : la bête ne se laisse pas dévorer sans mordre.

Et maintenant ?
Maintenant la RAI est libre et le pouvoir va pouvoir y placer un de ses vassaux.
Du côté des opéras c’est moins clair. Lissner a annoncé qu’il allait attaquer l’État italien, même si l’issue est incertaine et sa position évidemment très affaiblie. Mais ce n’est pas lui l’enjeu, il n’a été que le bouc émissaire d’un jeu qui le dépasse. Exit de toute manière.
Fuortes en démissionnant s’est remis sur le marché. Le voir à Naples, pour lui qui a été à la tête de l’opéra de Rome et qui visait après Rome la Scala serait une sorte de prestigieuse déchéance et accepter Naples après toute cette affaire serait passer sous les fourches caudines du pouvoir et donc une humiliation. De son côté le Maire de Milan, Giuseppe Sala, a exclu il y a quelques jours l’appel à Carlo Fuortes pour la Scala. Il est un soutien inconditionnel de Dominique Meyer, et ne semble pas porter Fuortes dans son cœur « en dépit de l’estime pour l’homme » (héhé). On dit que Meyer aurait été nommé à Milan pour lui barrer la route. C’est pourtant le seul capable à mon avis de succéder à Dominique Meyer, sans l’ombre d’un doute.

Mais voilà une preuve de plus des faits et méfaits des localismes, ce qui me fait sourire tristement puisque je viens aussi de dénoncer les manœuvres d’État pour avoir la main sur les nominations…
La réalité la plus triste en effet, c’est que ce n’est jamais le projet qui gouverne les décisions, mais les haines politiques cuites et recuites, et les manœuvres de haut ou bas étage qui font des nominations d’où qu’elles viennent des coups de billard à mille bandes dont la subtilité n’a d’égale que la médiocrité.

Il serait erroné de toute manière de se passer d’un grand manager culturel comme Fuortes, il a 64 ans, et la loi lui laisse apparemment encore six ans pour en diriger un. Il lui resterait pour l’instant Florence, sans sovrintendente mais avec un commissaire extraordinaire, où il pourrait reconstituer le « couple » qui a si bien réussi à Rome, avec Daniele Gatti.
Et de toute manière, outre Florence et Naples, désormais libres, il va falloir très vite choisir un successeur à Dominique Meyer à la Scala pour des questions de programmation évidentes, même si en Italie les délais sont bien moins anticipés qu’ailleurs et que ce type d’histoire est à tiroirs……

Je ne sais si vous avez tout suivi, mais c’est …

… À suivre !

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO DELL’OPERA DI ROMA

Une saison prudente qui navigue sur les eaux calmes du classicisme tout en essayant d’introduire quelques éléments de modernité

 

Les choses ont changé depuis un an à l’Opéra de Rome. Le Sovrintendente Carlo Fuortes a rejoint la RAI, Daniele Gatti a rejoint Florence. En lieu et place, Francesco Giambrone venu du Massimo de Palerme est devenu Sovrintendente, et Michele Mariotti directeur musical.

Francesco Giambrone a accompli à Palerme un travail d’ouverture digne d’être remarqué, et son arrivée à Rome est plutôt de bon augure. Michele Mariotti quant à lui, fort d’une carrière internationale de plus en plus assise (on l’a vu triompher au dernier Festival d’Aix dans Moïse et Pharaon), doit continuer à la tête d’une institution aussi importante que Rome à élargir un répertoire lyrique encore dominé par Rossini et Verdi. Du moins est-il vu ainsi dans la plupart des institutions non italiennes. Et du point de vue de son répertoire symphonique il reste difficile d’en définir des lignes. Tous les grands chefs lyriques italiens depuis une cinquantaine d’années se sont aussi affirmés dans le symphonique, que ce soit Abbado, Muti, Chailly, Sinopoli (qui était aussi compositeur). Quant à son prédecesseur  Daniele Gatti, sa récente nomination à la Staatskapelle Dresden en est l’éclatante démonstration. C’est le défi qu’il reste à relever pour Michele Mariotti, peut-être trop prudent.
Nous l’avons souvent écrit, l’histoire de l’Opéra de Rome est faite de moments brillants et de périodes noires, mais elle reste la grande institution lyrique de la capitale, dont l’histoire est relativement courte (moins de 150 ans), par rapport à la Scala de Milan (1778) et au San Carlo de Naples (1737). Non qu’à Rome avant la fin du XIXe on ne fît pas d’opéra (Haendel y crée Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, il est vrai un oratorio et Rossini y a créé rien moins que Il Barbiere di Siviglia), mais la capitale de la Papauté devait afficher une certaine modération en la matière. Alors, L’Opéra di Roma, créé comme Teatro Costanzi à cause de celui qui en finança la construction, est un peu le grand théâtre lyrique du nouvel état italien, quand tous les autres sont des théâtres des états locaux qui essaimaient dans l’Italie pré-risorgimentale.
Il Teatro dell’’Opera di Roma bénéficie aussi d’un ballet, sans doute pas aussi prestigieux que celui de la Scala, dont la directrice Eleonora Abbagnato, étoile de l’Opéra (…de Paris !), a su rafraichir les programmes, appeler des chorégraphes et des étoiles venues de l’extérieur, pour composer des saisons équilibrées entre classicisme et modernité, de sorte que de nombreux ballettomanes font le voyage de Rome.

En somme, des atouts indéniables, même si les forces du théâtre, orchestre comme chœur, valeureuses, n’atteignent pas le niveau d’institutions comme la Scala ou Florence. L’orchestre notamment, qui malgré une belle discographie lyrique dans les années 1950 ou 1960, manque d’un directeur musical qui ait la longévité suffisante pour le hisser au plus haut niveau italien aujourd’hui. Ces dernières années, Muti passa comme un éclair, et Gatti est resté quatre ans, ce qui est suffisant pour produire de beaux spectacles, mais pas suffisant pour faire de l’orchestre une phalange de référence dans le paysage lyrique italien.

La saison 2022-2023

Saison Lyrique

Comme souvent en Italie, la saison commence non en septembre comme dans la plupart des opéras du monde, mais vers la fin de l’année (novembre ou décembre) ou au début de l’année civile suivante, souvenir des époques où les saisons commençaient toutes autour de Noël (Scala le 26 décembre par exemple). Les deux premières productions (octobre et novembre) appartiennent donc de facto à la saison précédente, mais nous en traiterons pour mémoire. La saison 22-23 comprend huit productions faites de grand répertoire traditionnel (Elisir d’amore, Aida, Pagliacci, Butterfly, Trittico ricomposto – recomposé, on verra pourquoi) et des titres plus rares, Dialogues des Carmélites, De la maison des morts, Giulio Cesare in Egitto et quelques concerts lyriques que le théâtre essaie de relancer après des années d’interruption.

Cela reste très prudent : comme la plupart des salles européennes, l’opéra de Rome doit reconquérir son public, historiquement assez traditionnel, mais qui sait aussi reconnaître la qualité et qui a toujours soutenu son théâtre précédemment, malgré les hoquets.

 

Saison 2021-2022 (Octobre-novembre)

Octobre 2022
Christoph Willibald Gluck
Alceste
6 repr.  du 2 au 13  octobre 2022  – Dir. Mus Gianluca Capuano, MeS : Sidi Larbi Cherkaoui
Avec Marina Viotti, Juan Francisco Gatell, Luca Tittoto, Patrik Reiter
Sidi Larbi Cherkaoui est un chorégraphe-metteur en scène de grande qualité et souvent original, Gianluca Capuano l’un des chefs les plus passionnants pour  ce répertoire, Marina Viotti une chanteuse qui est en train de devenir l’une des plus intéressantes aujourd’hui dans ce type de rôle. Cela suffit pour voir dans cette production un motif de grand intérêt.

Novembre 2022
Giacomo Puccini
Tosca
4 repr. du 2 au 5 novembre 2022 – Dir. Mus : Paolo Arrivabeni/MeS : Alessandro Talevi
Avec Anna Pirozzi/Carmen Giannatasio, Gregory Kunde/Luciano Ganci, Claudio Sgura/Marco Caria
L’Opéra de Rome a une « bandiera », une bannière qui revient fréquemment au programme pour remplir la salle, c’est cette Tosca dans les décors et les costumes de la création (à Rome, bien entendu) signés Adolf Hohenstein et recréés par Carlo Savi (décors) et Laura Biagiotti (costumes). En fosse un vieux routier du répertoire italien, Paolo Arrivabeni, et sur scène en alternance des chanteurs éprouvés (Kunde, Sgura) et excellents et des jeunes très prometteurs (Ganci ; Curia), quant aux deux Tosca, l’une est plutôt bonne (Pirozzi) et l’autre moins (Giannatasio).
Si vous avez prévu des vacances de Toussaint romaines…

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Saison 2022-2023

Novembre-décembre 2022
Francis Poulenc
Dialogues des Carmélites
6 repr. du 25 nov. au 6 déc. Dir. Mus : Michele Mariotti, MeS : Emma Dante.
Avec Jean-François Lapointe, Bogdan Volkov, Corinne Winters,  Emöke Barath, Anna-Caterina Antonacci, Ewa Vesin, Ekaterina Gubanova…

Un titre un peu surprenant pour une inauguration de saison, mais Les Dialogues des Carmélites a été créé à Rome peu de temps (1958) après la Scala (1957) et l’équipe artistique réunie ne manque pas d’intérêt. Michele Mariotti inaugure son « règne » en dehors de son répertoire habituel, pour nous faire mentir et aussi s’affirmer d’emblée comme directeur musical éclectique, la sicilienne Emma Dante met en scène un opéra de femmes (peut-être le sicilien Giambrone n’est-il pas étranger à ce choix, c’est en tous cas un Sovrintendente très intéressé par l’artistique) et la distribution est passionnante : en dehors de Jean-François Lapointe, bien connu, on note Bogdan Volkov en chevalier de La Force, le ténor ukrainien est en train de devenir l’une des voix les plus en vue du moment (c’est un fabuleux mozartien) et dans les voix féminines, Corinne Winters, sera Blanche après son triomphe salzbourgeois dans Katia Kabanova : elle a l’énergie, le format et la présence nécessaires. La vieille prieure est Anna-Caterina Antonacci, ce seul nom est une promesse qui devrait suffire, et Mère Marie de l’Incarnation Ekaterina Gubanova, Sans compter les excellentes Ewa Vesin et Emöke Barath. Même sans beaucoup de francophones, c’est une distribution tellement somptueuse qu’elle devrait attirer les mélomanes à Rome. A vos billets d’avion ou Trenitalia !

Janvier 2023
Gaetano Donizetti
L’Elisir d’amore
5 repr. du 11 au 15 janv. 2023 Dir. Mus : Francesco Lanzillotta, MeS : Ruggero Capuccio

Avec Alexandra Kurzak/Federica Guida, John Osborn/Juan-Francisco Gatell, Alessio Arduini/Vittorio Prato, Simone del Savio/Davide Giangregorio.
Toujours ce subtil jeu d’équilibre entre une œuvre plus rare à laquelle succède un must tiroir-caisse du répertoire, pour quelques représentations avec une solide distribution d’où émergent évidemment John Osborn en Nemorino et Alexandra Kurzak  en Adina, en alternance avec Juan-Francisco Gatell et Federica Guida. Les autres rôles sont solidement tenus, soit en distribution A (Belcore Arduini,  Dulcamara Del Savio), soit en B (Prato et Giangregorio). En fosse le très fiable Francesco Lanzillotta que je tiens comme l’une des baguettes intéressantes de la nouvelle génération italienne.
Du pur répertoire, mais non dénué d’intérêt  musical.

 

Janvier-Février 2023
Giuseppe Verdi
Aida
9 repr. du 29 janv. au 12 févr.- Dir.mus : Michele Mariotti / MeS : Davide Livermore
Avec Krassimira Stoyanova/Vittoria Yeo, Ekaterina Semenchuk/Irene Savignano, Fabio Sartori/Luciano Ganci, Vladimir Stoyanov, Riccardo Zanellato
Deuxième nouvelle production de la saison dont le nombre de représentations montre que le théâtre en attend beaucoup. Il a appelé pour la mise en scène l’inévitable Davide Livermore (que j’appelle Nevermore), du toc en stock et de l’esbrouffe en guise de (fausse) modernité. En fosse Michele Mariotti sera sans doute moins dérouté que par les marionnettes de Lotte de Beer à Paris, mais au moins cela garantit de l’élégance, de la couleur et de la justesse. Le plateau composé de deux distributions est très solide (Stoyanova Sartori Semenchuk en A, Yeo, Savignano et Ganci en B même si je nourris toujours quelques doutes sur le volume de Vittoria Yeo en Aida, qui a quand même été formée par Muti. Pour le reste avec Stoyanov et Zanellato, c’est plutôt de bon augure.

On comprend les nécessités de remplir la salle et d’en mettre plein les yeux, mais si musicalement cela se défend largement, scéniquement  cela ne donne pas vraiment envie.

 

Mars 2024
Ruggero Leoncavallo
Pagliacci
8 repr. du 11 au 19 mars – Sir. Mus : Daniel Oren / MeS : Franco ZeffirelliAvec Nino Machaidze/Valeria Sepe, Brian Jagde/Stefano La Colla, Amartuvshin Enkhbat/Roman Burdenko…
Pour célébrer le centenaire de la naissance de Franco Zeffirelli, l’Opera di Roma ressort des cartons Pagliacci (sans Cavalleria Rusticana) en une série de représentations qui ressemblent bien à des bouche-trous… En fosse Daniel Oren est une sécurité pour l’orchestre, et sur la scène un plateau assez ordinaire, même si Machaidze et Enkhbat sont de bons chanteurs. Pas de quoi fouetter un chat, une série pour remplir la salle localement avec un titre toujours populaire, mais Brian Jagde est-il le Canio idéal ?

Avril 2023
Giacomo Puccini/Béla Bartók
Trittico ricomposto : Il Tabarro/Le château de Barbe-Bleue
5 repr. du 6 au 18 Avril – Dir. mus : Michele Mariotti, MeS : Johannes Erath
Avec
(Tabarro) ; Luca Salsi/Sebastian Catana ; Gregory Kunde, Maria Agresta…
(Barbe-Bleue) :  Ekaterina Semenchuk, Mikhail Petrenko

Produire un Trittico en une soirée, cela coûte cher, trois œuvres, des voix très différentes, nombreuse distribution, chœur etc… et de plus en plus les théâtres ont décidé  de travailler en dyptique, soit en en produisant deux sur les trois, soit en choisissant, c’est le cas à Rome comme ce le fut par exemple à Lyon il y a quelques années, d’apparier chaque opéra de Puccini à une œuvre de la période, riche en opéras en un acte.
Cela permet en sus de proposer des titres plus rares liés à un titre plus populaire et donc de faire une opération qui sent son raffinement « par nécessité »… Acceptons-en l’augure et ce Trittico ricomposto se prolongera donc pendant trois saisons.
Il Trittico a été créé en décembre 1918 et Le Château de Barbe-Bleue en mai de la même année… Les mettre en regard peut avoir du sens.
La mise en scène de la soirée a été confiée à Johannes Erath, à charge pour lui de susciter les liens entre les deux œuvres. Johannes Erath est un choix original, il est rare de trouver en Italie des noms de metteurs en scène allemands. On lui doit notamment un Ballo in maschera à Munich assez réussi. Michele Mariotti va naviguer de Puccini en Bartõk et ce sera sans nul doute intéressant de l’écouter dans ce répertoire. Pour l’ensemble des deux opéras une distribution très solide qui devrait promettre de belles soirées. On peut méditer un petit voyage romain….

 

Mai 2023
Leoš Janáček
De la maison des morts
6 repr. du 21 au 30 mai 2023 Dir. mus :Dmitry Matvienko/MeS  Krzysztof Warlikowski
Avec : Mark S.Doss, Pascal Charbonneau, Štefan Margita Leigh Melrose, Erin Caves,  Lukáš Zeman, Julian Hubbard, Clive Bayley.

Enfin ! Après plus de vingt ans d’une carrière internationale où il est reconnu comme un très grand de la mise en scène, Krzysztof Warlikowski est invité par un opéra en Italie, et pas un des moindres. Primé à la Biennale de Venise, à peine reçu Docteur Honoris Causa de l’Université de Cracovie, Warlikowski ne sent le soufre que pour les pauvres imbéciles qui n’osent le programmer. Il arrive avec un spectacle éprouvé, vu à Londres, à Bruxelles et à Lyon. À n’en point douter il faut voir la patte de Francesco Giambrone qui dès son arrivée à la tête du théâtre concrétise une envie qu’il avait déjà méditée pour Palerme.
En fosse Dmitry Matvienko, l’un des plus prometteurs chefs de la nouvelle génération russe, proche de Vladimir Jurowski (il va être son assistant cette saison à Munich pour Guerre et Paix a après l’avoir été pour Le Nez) et vainqueur de plusieurs concours internationaux de direction. Ce sera l’occasion de le découvrir, car tous en disent le plus grand bien. Distribution plutôt intéressante où je note la présence de Leigh Melrose, l’un des barytons les plus talentueux aujourd’hui et des excellents Pascal Charbonneau et Štefan Margita. À ne pas manquer.

 

Juin 202
Giacomo Puccini
Madama Butterfly

9 repr. du 15 au 25 juin – Dir. Mus: Roberto Abbado/MeS: Alex Ollé
Avec Eleonora Buratto/ Maria Teresa Leva, Dmytro Popov, Anna Maria Chiuri, Roberto Frontali…

Loi des équilibres : après un Janáček, un Puccini du grand répertoire pour compenser l’éventuelle perte de public occasionnée par la production de l’opéra «  De la maison des morts »  peu connu à Rome. Mais après tout Puccini était bien connu et aimé de Janáček… Chaque incursion dans un répertoire moins connu est suivie d’une pièce censée ramener du public (9 représentations prévues). Alex Ollé est le plus sage de l’équipe de la Fura dels Baus et ne dérange jamais, Roberto Abbado est un chef très raffiné, et la distribution est de bon niveau. Rien de sensationnel, juste une proposition tiroir-caisse et un certain manque de confiance envers son public.

 

Octobre 2023
Georg Friedrich Haendel
Giulio Cesare in Egitto

6 repr. du 11 au 21 oct. 2023 – Dir. Mus: Gianluca Capuano/MeS: Damiano Michieletto.
Avec Raffaele Pe, Danielle De Niese, Aryeh Nussbaum Cohen,  Carlo Vistoli, Sara Mingardo,…
Après Alceste de Gluck cette saison que nous présentons au début de ces lignes, l’Opera di Roma propose la saison prochaine à la même période (le baroque d’automne ?) ce must Haendelien qu’est Giulio Cesare in Egitto, avec  une distribution très alléchante (Raffaele Pe, Carlo Vistoli, Sara Mingardo, Danielle de Niese), la production est signée Damiano Michieletto, ce qui garantit un vrai travail scénique, même s’il est quelquefois irrégulier. En fosse comme pour Alceste, Gianluca Capuano, spécialiste incontesté de Haendel, fera sans doute de ces représentations une des productions les plus intéressantes de la saison.

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Comme on le voit l’ensemble de la saison lyrique est très digne, avec de vrais sommets (Dialogues des Carmélites, De la Maison des morts, Giulio Cesare in Egitto), dans l’ensemble les productions sont bien distribuées et on note un souci d’équilibre entre le grand répertoire italien et des œuvres plus rares. Si c’est à ce prix que le répertoire peut s’élargir, pourquoi pas ?

Mais est-il si sûr que des Tosca ou des Butterfly, sans parler de L‘Elisir d’amore, soient aujourd’hui des valeurs si sûres aptes à garder au chaud le public, peut-être lassé de voir défiler sans cesse des grands standards.  Attention à ne pas confondre opéra populaire et opéra populiste. Il reste vrai que l’Opera di Roma fait preuve de volonté d’ouverture et de renouvellement qu’il faut saluer.  Ce n’est pas forcément le cas de tous les grands théâtres italiens comparables.

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Le Ballet (contribution amicale de Jean-Marc Navarro)

 Voilà sept ans qu’Eleonora Abbagnato a été nommée à la tête du Ballet de l’Opéra de Rome, voilà sept ans qu’elle s’attache à reconstruire un ensemble qui n’était pas au mieux de sa forme, voilà sept ans que le remède principal administré par Mlle Abbagnato avec constance et volontarisme est finalement assez simple : placer au cœur de sa programmation des œuvres exigeantes qui assurent à chacun l’occasion de danser et progresser dans sa technique et son art (évidemment, des ballets académiques) en proposant par ailleurs une diversité de styles et d’ouverture de techniques. Placer l’émulation au cœur du travail collectif est également une constante de son approche : les invités de prestige défilent sur les programmes classiques, donnant l’opportunité aux danseurs de la Compagnie de côtoyer et travailler avec des artistes d’horizons différents.

La saison 2021/2022 est en voie de s’achever en apothéose avec une série de Giselle où est invitée Natalia  Osipova, sans doute la plus grande interprète actuelle du rôle ; avaient précédé un digest de CoppéliaCasse-Noisette et la reprise de la production du Corsaire montée par Jose Martinez qu’avaient créée Olesya Novikova et Leonid Sarafanov juste avant les périodes de confinement. 7 programmes, 4 ballets académiques, auxquels s’adjoignaient Notre-Dame de Paris de Roland Petit, qui fut un point fixe dans la carrière de Mlle Abbagnato, et deux soirées à coloration plus moderne.

Les six programmes de la saison 2022/2023 se structurent encore autour de piliers du répertoire académique. Don Quichotte (production de Laurent Hilaire) sera repris en décembre avant l’un des événements de la saison de ballet européenne : la création d’une nouvelle production de La Bayadère par Benjamin Pech, qui s’était déjà vu confier la nouvelle production du Lac des cygnes romain, magnifique d’intelligence. Il avait placé la barre haut avec ce Lac et les attentes sont fortes pour La Bayadère, d’autant que la série verra défiler, en plus des Étoiles locales, un aréopage admirable d’invités : Semyon Chudin du Bolchoï avait ouvert Le Lac des cygnes, c’est à son ex-partenaire de prédilection, Olga Smirnova, ancienne Étoile du Bolchoï qui a intégré au printemps le Ballet National des Pays-Bas, qu’il reviendra d’ouvrir la série de Bayadère, aux côtés de Jacopo Tissi, autre transfuge moscovite. Le public romain aura également l’occasion d’admirer deux autres invités bataves d’adoption : la mirifique Maia Makhateli et le prometteur Victor Caixeta. Alléchant ! La Fille mal gardée clôturera ce triptyque académique.

Autour de l’héritage classique, trois programmes seront confiés à des chorégraphes contemporains à la grammaire d’ordinaire plus consensuelle que disruptive. Deux Italiens offriront des créations : un programme pour le Ballet, autour de la musique de Rossini par Mauro Bigonzetti, et, un programme offert par l’Ecole de danse – dont Abbagnato vient de prendre la direction – autour de la figure de Pinocchio par Giorgio Mancini. Une soirée mixte “contemporaine” réunira les valeurs sures que sont Christopher Wheeldon, Goyo Montero et Krzysztof Pastor.

Le travail de fond mené par Eleonora Abbagnato et ses danseurs paie de saison en saison. Rappelons-nous que Rome n’est qu’à deux heures de vol de Paris !

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Michele Marriotti, directeur musical du teatro dell’Opera di Roma

Concerts

À côté du lyrique et du ballet, l’Opera di Roma a programmé un certain nombre de concerts par leur côté exceptionnels sans doute aptes à drainer un nouveau public ou parcourir des chemins différents.

Il est vrai que ce théâtre ne possède pas de saison symphonique depuis des années, peut-être à cause de la présence dans la capitale italienne du prestigieux Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia.  Or, un orchestre de fosse progresse aussi (et surtout) par les concerts symphoniques : il suffit de penser aux saisons symphoniques de la Scala sous Claudio Abbado par exemple (intégrales Mahler, Bach etc…). Or, l’orchestre du Teatro dell’Opera di Roma est pratiquement toujours en fosse, ce qui lui interdit une respiration vers d’autres horizons, et ce besoin est aussi prégnant pour le nouveau directeur musical Michele Mariotti, qui a un grand besoin de s’affirmer aussi comme chef symphonique. Ce sera aussi un des grands enjeux de son mandat. Aussi faudra-t-il regarder avec attention ces programmes complémentaires.

Ainsi cette année, sans véritable saison symphonique, quatre concerts sont prévus, pas vraiment symphoniques, mais essentiellement concerts vocaux et plutôt spectaculaires susceptibles d’attirer le public car ces quatre manifestations proposent des pistes particulièrement stimulantes

15 février 2023
Giuseppe Verdi
Messa di Requiem
Elena Stikhina, Yulia Matochkina, Stefan Pop, Giorgi Manoshvili.
Orchestre et chœur du Teatro dell’Opera di Roma
Direction: Michele Mariotti

Le Requiem de Verdi est un must de tout grand théâtre en Italie, a fortiori quand le directeur musical prend ses fonctions, car c’est une des signatures de toute première saison.  En liaison avec la production d’Aida programmée à la même période, qui sera la seule dédiée à Verdi dans la saison. Surpenant quatuor vocal sans un seul chanteur italien, mais des voix qui sont reconnues, Matochkina, Pop) à défaut d’être indiscutables (Stikhina)

20 avril 2023
Robert Schumann
Manfred
Orchestre et chœur du Teatro dell’Opera di Roma
Voix récitante : Glauco Mauri
Direction : Michele Mariotti

Absent depuis 56 ans du Teatro Costanzi, le poème de Byron mis en musique par Robert Schumann doit être porté par un acteur-lecteur incontesté. Ce fut par exemple Bruno Ganz avec Claudio Abbado à Berlin.
C’est Glauco Mauri, une grande et vieille gloire du théâtre italien, qui sera la voix récitante et Michele Mariotti dirigera l’orchestre du Teatro dell’Opera di Roma dans un répertoire où on va le découvrir, ce qui est très important pour lui, comme nous l’avons écrit plus haut.

6 Octobre 2023
Richard Wagner
Die Walküre Acte I
Orchestre du Teatro dell’Opera di Roma
Direction : Omer Meir Wellber
Avec Stanislas de Barbeyrac, Angela Meade, Brindley Sherratt
L’ex intendant du Teatro Massimo di Palermo désormais à Rome invite pour ce concert exceptionnel l’actuel directeur musical du théâtre sicilien, qu’il avait lui-même nommé.
C’est effectivement un concert vraiment exceptionnel pour une distribution complètement inattendue, avec trois chanteurs très connus dont deux  viennent d’un tout autre répertoire, les deux protagonistes Siegmund et Sieglinde.. En effet Stanislas de Barbeyrac qu’on connaît plus pour ses interprétations mozartiennes se lance dans Siegmund. Quant à Angela Meade, belcantiste et verdienne de tout premier plan, elle aborde Sieglinde.
Le britannique Brindley Sherratt est désormais une basse bien connue au large répertoire, il complète le cast en Hunding.
Voilà un concert qui mériterait le voyage pour étancher notre soif de débuts particulièrement iinattendus.

 

30 octobre 2023
I tre controtenori
Musiques de Georg Friedrich Händel, Antonio Vivaldi, Nicola Porpora, Christoph Willibald Gluck
Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma
Direction : Gianluca Capuano
Avec Carlo Vistoli, Raffaele Pe, Aryeh Nussbaum Cohen

Le mois d’octobre est baroque à l’opéra de Rome, nous l’écrivions à propos de la production du Giulio Cesare in Egitto. Au-delà du titre racoleur et d’ailleurs déjà utilisé par ailleurs, l’incitative est intéressante pour stimuler la curiosité du public et attirer des spectateurs curieux de ces voix de contreténors qui fleurissent aujourd’hui. L’Italie s’est engagée plus tardivement que la France dans les chemins du baroque, mais elle a bien rattrapé son retard pour valoriser un répertoire qui fut très largement sien au XVIIIe siècle. Les ensembles baroques et leurs chefs désormais sont invités partout, et Gianluca Capuano en fait partie. Le concert proposé invite les trois contreténors de la production de Haendel au programme à l’opéra et permettra d’écouter le moins connu mais excellent Aryeh Nussbaum Cohen, jeune chanteur américain de moins de trente ans et les deux meilleurs contreténors de la péninsule, désormais de toutes les grandes distributions, Carlo Vistoli et Raffaele Pe. Un concert qui ne manquera pas d’attrait, dans un mois d’octobre 2023 décidément très séduisant à l’Opéra de Rome.


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Conclusions :
Depuis quelques années, il Teatro dell’Opera di Roma, au-delà de considérations de gestion ou de considérations politiques toujours fortes à Rome il faudra observer avec attention les premiers pas du nouveau pouvoir à peine installé à ce titre), est revenu assez régulièrement en tête des grands théâtres italiens. La présence de Daniele Gatti pour le lyrique, celle d’Eleonora Abbagnato pour le ballet ont donné à ses productions un écho notable à une institution souvent secouée par les tempêtes et offert une vraie stabilité et une programmation d’un bon à très bon niveau global. Les initiatives en période de Covid (Films-opéras ou Circo Massimo) ont montré aussi une vraie réactivité que d’autres opéras italiens n’ont pas eue du tout. Même si le directeur artistique, le très prudent Alessio Vlad est toujours en place, la nouvelle équipe dont c’est la première saison effective devrait contribuer à aller encore plus loin dans le renouvellement.
Le Sovrintendente Francesco Giambrone est un vieux briscard : il sait flairer les tendances et c’est un intuitif plus ouvert à la modernité que d’autres managers italiens ou à la tête d’institutions italiennes. Il jouit également d’une réputation de grande habileté, indispensable dans les méandres de la vie politique romaine, en particulier dans les prochains mois. L’arrivée de Michele Mariotti à qui il manquait la direction d’une grande salle de la Péninsule et dont l’intérêt est d’élargir au plus vite son répertoire pour faire rebondir sa carrière et lui donner un nouveau souffle , devrait aussi servir ce renouvellement de l’institution.
La saison 2022-2023 faite de pas en avant et de pauses prudentes n’est pas encore sans doute « typique » de la nouvelle équipe, mais montre que la machine se met en place et doit être soutenue. Si tous les chemins mènent à Rome mais pas encore toujours à l’Opéra de Rome , ce dernier peut et doit être l’une des escales possibles de tout mélo(balletto-)mane voyageur.

Francesco Giambrone, Sovrintendente du Teatro dell’Opera di Roma

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Giulio Cesare in Egitto

Ballet

Soirée Preljocaj
Giselle

Don Quichotte
La Bayadère
La fille mal gardée
Soirée chorégraphes contemporains
Rossini Cards

 

Autres
Requiem Verdi

Adam’s Passion
Manfred
Die Walküre Acte I
Les trois contreténors