“LE BAYREUTH DE L’AVENIR” : AGITATIONS AUTOUR DE LA COLLINE VERTE

L’été d’un nouveau Ring est toujours un moment où le Landerneau des wagnériens s’agite un peu autour de son Festival chéri, et les crises et les déclarations tonitruantes sinon définitives sur la chute du niveau de Bayreuth ne sont pas nouvelles : dès la fin du XIXe, on note une dangereuse baisse du niveau du Festival. De baisse en baisse, je n’ose m’interroger sur le niveau actuel, de peur de la crise cardiaque.
Observateur de la vie et de la production du Festival depuis plusieurs décennies, je voudrais revenir un peu sur les bruits qui courent, sur les vraies difficultés et les rumeurs, en commençant par l’étrange déclaration de Madame Claudia Roth, ministre de la Culture de la République Fédérale allemande.
Au vu de l’argent accumulé que j’ai laissé dans les caisses du Festival depuis 1977 et dans celle de la Société des amis de Bayreuth, il me semble que j’ai le droit de m’interroger sur la pertinence de cette déclaration.
Angela Merkel elle-même, qui fréquente le Festival très régulièrement et depuis longtemps, avait émis des remarques sur son manque d’ouverture vers l’extérieur et sur une billetterie qui privilégiait les associations Wagner et la Société des amis de Bayreuth plutôt que le grand public. Elle avait donc demandé à faire revoir les quotas pour ouvrir le Festival à un public plus large, ce qui avait été fait il y a une dizaine d’années. Elle n’avait pas tout à fait tort, du reste. Pendant longtemps, le système de traitement de la billetterie était suffisamment brumeux pour s’interroger sur ces queues supposées : après la première demande de billet, il fallait paraît-il attendre 7, 8, 9, 10 ans avant qu’une réponse positive n’arrive…
Celui qui écrit a eu une chance incroyable : première demande 1976, premiers billets 1977, peut-être grâce à la fuite des « cerveaux » consécutive au Ring de Chéreau, plus sûrement parce que Dieu-Richard savait reconnaître les siens.
Mais tout cela est un mauvais souvenir, puisqu’internet a permis de résoudre à peu près la question des billets, non sans humour d’ailleurs : le logiciel de vente illustre le temps d’attente par une queue virtuelle qui vous conduit jusqu’au palais des festivals, Graal mystérieux où le quidam découvre les places encore disponibles ; toute virtuelle qu’elle soit, la queue n’en dure pas moins plusieurs heures… Et les oiseaux de mauvais augure, qui ne sont jamais contents, observent désormais qu’il reste des places, avec la même inquiétude qu’ils observaient jadis le pont-levis de la forteresse désespérément levé.
Ceux qui ont fréquenté le Festival 2022, le premier d’après Covid, ont pu remarquer que la délicieuse chaleur des corps serrés les uns aux autres dans le Festspielhaus était revenue… avec bien peu de trous.

Avant d’émettre une série d’observations sur le Festival aujourd’hui, considérons d’abord la déclaration de Madame Roth en rappelant avant tout que le Festival est essentiellement co-financé par l’État Fédéral, l’État Libre de Bavière, la ville de Bayreuth et la Société des Amis de Bayreuth depuis la réforme de ses statuts au début des années 1970. Jusqu’alors, Bayreuth était une entreprise privée familiale. Il devenait clair que ce fonctionnement ne correspondait plus ni à l’époque, ni aux moyens de la famille.
Le nouveau statut qui fait du Festival de Bayreuth un établissement public précise grosso modo que la direction de celui-ci sera assurée par un membre de la famille Wagner aussi longtemps qu’il y en aura un capable de l’assumer. Tant que Wolfgang Wagner a été aux commandes, le silence a prévalu dans les rangs : le prestige de l’homme, son histoire, son parcours interdisaient évidemment toute remarque ou protestation. Par ailleurs, Wolfgang Wagner qui a introduit à Bayreuth Patrice Chéreau, Harry Kupfer, Heiner Müller, Christoph Schlingensief, Christoph Marthaler, Stefan Herheim, Claus Guth, avec des réactions quelquefois violentes, a su aussi équilibrer ses choix par d’autres personnalités, gages de tradition, lui y compris, telles que Jean-Pierre Ponnelle, Peter Hall, Werner Herzog, August Everding, Alfred Kirchner, Deborah Warner et d’autres…

Sous sa direction, on a pu entendre notamment dans la fosse de Bayreuth Pierre Boulez, Sir Georg Solti, Daniel Barenboim, James Levine, Christian Thielemann, Giuseppe Sinopoli, Daniele Gatti.
Il y a eu des remplacements, des accidents (mort de Sinopoli), des choix quelquefois erronés, mais dans l’ensemble, le bilan de Wolfgang Wagner est plutôt flatteur.

Sa succession en revanche a été chaotique : le conseil de surveillance du Festival avait désigné sa fille aînée Eva Wagner-Pasquier comme directrice au début des années 2000, tandis que Wolfgang Wagner désirait y voir son autre fille Katharina, bien plus jeune, qui lui servait alors de conseillère. En tant que « Directeur à vie », il a bloqué le processus, restant en place jusqu’à ce qu’une solution qui lui convienne soit trouvée.
La solution justement, on le sait, a été un Festival à deux têtes : les deux demi-sœurs, Eva et Katharina, ont pris le Festival en main après le dernier été (2008) de Wolfgang Wagner, en se répartissant grosso modo les tâches, Eva sur la musique et Katharina sur les aspects scéniques jusqu’en 2015. Le symbole de cette double direction a été le Ring 2013, où Kirill Petrenko procédait du choix de Eva Wagner-Pasquier, et Frank Castorf de Katharina Wagner.

Depuis le départ d’Eva Wagner-Pasquier en 2015, Katharina Wagner est désormais seule à la barre.
Nous n’avons pas à entrer dans les considérations qui ont présidé au départ d’Eva Wagner-Pasquier, car bien des bruits ont circulé et il est inutile d’y revenir.
Il est clair cependant que Katharina Wagner a dû se faire épauler par des conseillers musicaux et vocaux, ne pouvant assumer seule l’ensemble des tâches et c’est entre autres le sens de la présence à ses côtés comme « directeur musical » de Christian Thielemann, une charge dont il a été relevé discrètement au moment de la période Covid.

Or, Katharina Wagner cristallise des oppositions, pas toutes désintéressées, à la faveur du renouvellement (ou non) de son contrat en 2025 : des voix s’élèvent pour dire qu’il est désormais temps de confier les rênes du Festival à un non-Wagner. Une série de personnages sont sur les starting-blocks qui sont persuadés évidemment qu’ils feraient mieux. Être premier directeur/trice non-Wagner du Festival de Bayreuth devrait être sans doute un titre de gloire à accrocher sur une carrière.
Par ailleurs, Katharina Wagner n’a jamais eu une relation apaisée avec la puissante Société des amis de Bayreuth, notamment depuis que, dès son arrivée à la direction, elle a laissé naître (ou suscité ?) une société concurrente, la TAFF (Team Aktiver Festspielörderer).

Et puis il y a aussi ceux qui sont exaspérés de la politique artistique menée par Katharina Wagner notamment en matière de mise en scène. Comme je l’ai entendu par un éminent confrère cet été : « quand verra-t-on à Bayreuth une vraie mise en scène ? ».
Qu’est-ce qu’une vraie mise en scène ? Mystère, mais on subodore qu’il s’agit d’une mise en scène plus classique, plus plan-plan que ce à quoi Bayreuth nous a habitués ces dernières années, pour pouvoir « écouter la musique » tranquillement et n’être pas obligé comme ces américains ridicules au moment de Castorf de poser sur leurs yeux un pudique masque de sommeil pour ne pas voir et ne faire qu’écouter… Que ce soit au mépris de tout ce que Wagner a déclaré, et au mépris même du sens de la salle de Bayreuth, importe peu… On n’en est pas à une contradiction près.

J’avoue être las de ces cris d’orfraie sur les mises en scène, et de ces combats ridicules contre les « mises-en-scène-modernes-qui-cultivent-la-laideur »… Mais qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la laideur ? on sait depuis longtemps que ce sont des notions, au théâtre surtout, qui n’ont strictement aucun sens et qui sont relatives. Combattre le laid pour imposer le beau c’est grand, c’est noble, c’est surtout désespérément simpliste.

Évidemment les attaques se sont réveillées en ce Festival 2022 qui présentait un nouveau Ring, pas vraiment bien accueilli.

Enfin, d’autres ennemis doivent aussi en vouloir à Katharina Wagner d’avoir écarté de Bayreuth Christian Thielemann. Mais il n’est pas illégitime de relativiser le départ de ce dernier, après une vingtaine d’années de présence régulière à Bayreuth, comme ce fut le cas en son temps de Daniel Barenboim (à peu près vingt ans de présence régulière pour lui aussi).

La politique artistique de Katharina Wagner est claire, dans la droite ligne du concept de Werkstatt Bayreuth, ce laboratoire cher à son père : il s’agit d’explorer tous les possibles de mise en scène aujourd’hui dans différentes directions et sans exclusive. On parle pour le prochain Parsifal d’effets tridimensionnels par exemple, mais c’est encore un objet de conflits puisque le Président de la Société des amis de Bayreuth refuse le financement des lunettes 3D nécessaires au dispositif.

Dans tous ces débats, évidemment pilotés et visant à déstabiliser la direction actuelle, personne n’a évoqué l’éclatante réussite des opéras pour enfants, qui depuis une dizaine d’années propose l’ensemble des opéras de Wagner (ceux présentés au Festival) en version réécrite et adaptée pour les plus jeunes, une entreprise où Katharina Wagner s’est fortement engagée avec des moyens qui ne sont pas indifférents (véritables équipes de mise en scène, orchestre d’une trentaine de musiciens, chanteurs engagés au festival). Comme c’est une réussite, on n’en parle évidemment pas…
A tout cela, il faut ajouter que Katharina Wagner a été assez gravement malade pendant la période Covid, ce qui a évidemment relancé les plans sur la comète et remis en selle les espoirs et les paris sur un départ anticipé.
Tout cela est simplement délétère.

Là-dessus, en dépit d’un Festival qui a renoué avec des conditions normales et a affiché exceptionnellement huit productions, avec un Tristan conçu comme « secours » en cas de défections en masse dues au Covid – ce qui n’était pas si absurde quand on considère les problèmes de remplacement qu’ont eus certains théâtres européens –, la ministre allemande de la Culture Claudia Roth, intervient dans le marigot, appelant à un nécessaire redressement du Festival. Que le Ring ait fait discuter, rien d’étonnant : les hyènes font toujours comme si c’était la première fois. Une nouvelle production est toujours un risque. Moi qui pourtant n’ai pas aimé ce Ring, je ne réclame aucune tête…
Que la ministre qui finance (partiellement) le Festival fasse part de ces remarques, c’est légitime. Qu’elle le fasse brutalement en couronnant les polémiques qui ont couvé tout l’été, c’est déjà moins sympathique. Et qu’elle se propose d’intervenir dans la ligne artistique, c’est franchement insupportable.
J’espère seulement que les Verts allemands (le parti de Madame Roth) ont une vision culturelle moins désolante ou inexistante que leurs cousins français.

Que dit Madame Roth ?

Comme représentante de l’État fédéral, l’un des financeurs du Festival de Bayreuth, la ministre est évidemment légitime pour demander que soit revue l’organisation du Festival. Elle affirme en effet qu’il y a une nécessité de beaucoup réformer le Festival de Bayreuth (« Es gibt auf dem Grünen Hügel wirklich sehr viel Reformbedarf ») .
Elle a ensuite affirmé que le public du Festival ne reflète pas notre société « diverse et colorée » et qu’il faut donc attirer un public plus jeune et plus large.
Enfin, tout en déclarant que confier la direction à un Wagner n’était pas une « obligation rituelle », elle a demandé de faire en sorte que « l’excellence artistique soit atteinte », ce qui à la fin d’une saison où le Ring a été fortement critiqué ne manque pas d’interpeller.

La question de l’excellence artistique ne devrait pas se poser pour un festival aussi fameux que le Festival de Bayreuth et le rappeler a quelque chose d’un peu insultant.
Par ailleurs, l’élargissement du public, tout le monde le sait, ne se commande pas et les vœux d’un public plus diversifié, plus coloré et plus jeune ressemble à de la pure démagogie, de celle qui inonde la société d’aujourd’hui. En ce qui concerne le public jeune, nous avons rappelé les efforts du Festival pour le jeune public qui, une fois de plus, ne semblent pas pris en compte.
Enfin au-delà des goûts du public pour l’opéra en général et pour Wagner en particulier, ouvrir le Festival « aux jeunes » suppose aussi des investissements que l’État et les autres associés sont, en cette période faste pour les budgets, sans nul doute prêts à consentir…

Il faut tout de même rappeler que le Festival de Bayreuth a longtemps été l’un des moins chers des Festivals internationaux et que la révision de la politique tarifaire est intervenue à la fin des années Wolfgang Wagner, puisque dès l’arrivée des sœurs Wagner aux commandes, un mouvement des personnels du Festival a exigé une révision des politiques salariales. Visiblement, c’était le cadeau de début de mandat.
Par ailleurs, les prix des billets ont subi une forte augmentation, de l’ordre de 30% a minima, avec une différentiation entre les Premières, les nouvelles productions et les reprises. Il n’en demeure pas moins que les finances du Festival restent assez justes, même si l’on considère que Bayreuth paie moins bien ses forces artistiques que d’autres institutions, avec des exigences néanmoins en terme d’exclusivité et de présence, qui se sont cependant beaucoup assouplies ces dernières années. Les très grands noms passés par Bayreuth le font pour le CV, mais n’y restent pas, et ceux ou celles qui ont été lancés par le Festival restent quelques années et puis succombent à d’autres sirènes plus rémunératrices.

Cette ouverture à d’autres publics, qui signifie pour le Festival d’autres investissements dans un contexte économique mondial peu favorable, plaide donc aussi pour un financement consolidé de la part des associés… On voit bien que les demandes de Madame Roth, pieuses et généreuses, sont lancées comme un pavé dans la mare, pour éclabousser plus que pour construire.

Car enfin, faisons un rapide bilan artistique des années 2009-2022.
Il y a d’abord de très grandes réussites, musicales et scéniques :

  • Le Ring de Frank Castorf et Kirill Petrenko (n’en déplaise aux traditionalistes) sans oublier les deux années Marek Janowski, qui n’ont pas été musicalement médiocres – même si sa direction ne m’a pas personnellement enthousiasmé ;
  • Le Tannhäuser de Tobias Kratzer, éclatante réussite scénique et vocale, stabilisé dans la fosse par Axel Kober après le passage très discuté de Valery Gergiev ;
  • Le triomphe répété des Meistersinger von Nürnberg, signée Barrie Kosky et Philippe Jordan ;
  • Der fliegende Holländer, dans la production 2021 de Dmitry Tcherniakov avec Oksana Lyniv, première femme dans la fosse de Bayreuth, qui a été ces deux dernières années un très gros succès ;
  • Lohengrin dans la mise en scène de Hans Neuenfels et direction musicale de Andris Nelsons, connu comme le « Lohengrin des rats », qui a finalement laissé un bon souvenir, tout simplement parce que la mise en scène de Neuenfels était l’une des plus intelligentes de l’œuvre de Wagner et que musicalement et vocalement il tenait largement la route (y compris lorsqu’il a été dirigé par Alain Altinoglu).

Il y a bien entendu des demi-succès ou demi-échecs (selon l’adage du verre à moitié vide ou à moitié plein) :

  • Der fliegende Holländer, dans la production de Jan Philipp Gloger, qui sans être une production médiocre, reste discutable et vocalement de facture moyenne, mais musicalement brillante (Thielemann) ;
  • Le Tristan und Isolde de Katharina Wagner qui n’a pas réussi à convaincre à la hauteur de ses Meistersinger, sa production précédente à Bayreuth, mais qui n’était pas une production médiocre non plus, aux distributions irrégulières mais à la direction musicale incontestable de Christian Thielemann ;
  • Parsifal, mise en scène discutable de Uwe Eric Laufenberg, musicalement solide que ce soit avec Hartmut Haenchen ou Semyon Bychkov et vocalement incontestable. Il faut se souvenir que la mise en scène avait été confiée initialement au plasticien Jonathan Meese et que le projet avait été abandonné pour des raisons financières (ou peut-être idéologiques). A cela s’ajoute le départ du chef Andris Nelsons à la suite d’un conflit avec Christian Thielemann. Malgré tous ces avatars, la production a quand même tenu ;
  • Lohengrin dans la production de Yuval Sharon et les décors du célèbre plasticien Neo Rauch, n’a pas convaincu totalement du point de vue scénique, ni du point de vue vocal la première année mais a toujours été un fantastique succès de Christian Thielemann en fosse.

Reste un échec cuisant : le Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, avec une distribution très discutable, une valse des chefs selon les années. Un des pires souvenirs de Bayreuth : l’enfer pavé de bonnes intentions.

Enfin, en 2022, la production du Tristan « de secours », signé Andreas Schwab et dont nous avons parlé, n’a pas soulevé l’enthousiasme mais laissé le public indifférent. Une production passable et très digne en fosse (Markus Poschner, arrivé au dernier moment).

Quant au nouveau Ring, signé Valentin Schwarz, particulièrement problématique au niveau scénique, il mérite sans nul doute d’être revu dans le cadre du Werkstatt Bayreuth, mais reste très défendable vocalement, avec un résultat contrasté en fosse. Le chef Cornelius Meister, arrivé deux semaines avant la première (à cause du Covid qui a frappé le chef Pietari Inkinen), n’ayant pas réussi à homogénéiser l’ensemble. Mais l’an prochain, Pietari Inkinen reprendra la direction et donc avis suspendu.

Au total, le bilan n’est pas si noir que les hyènes ne le prétendent. Certes Katharina Wagner au niveau des productions a eu à cœur d’appeler des metteurs en scène très célèbres en Allemagne, qui n’y avait jamais travaillé (Castorf ; Neuenfels) et s’est ouverte à la génération des metteurs en scène les plus en vue dans l’aire germanophone aujourd’hui.

Il y a eu aussi des accidents et des remplacements de dernière minute qui ne sont pas toujours de son fait, mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les choix scéniques et musicaux, le bilan 2009-2022 n’est ni moins ni plus honorable que certains festivals comme Salzbourg ou Aix-en-Provence. On tire à vue sur les choix scéniques de Katharina Wagner, plus au nom de l’idéologie que des véritables résultats artistiques. La liste que nous avons rappelée nous montre qu’à part un seul véritable échec, il n’y a aucun scandale.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans le meilleur des mondes wagnériens possibles ? Évidemment pas.
On a notamment remarqué des évolutions dans les organisations qui ne sont pas toutes des réussites.

D’abord le public du Festival a pu constater qu’en une dizaine d’années, une séparation plus nette s’est faite entre les espaces publics et les espaces professionnels :  c’est peut-être un détail aux yeux de certains, mais dans l’histoire de ce lieu il a son importance. On pouvait faire le tour du théâtre, traverser le passage de l’arrière scène vers les dépôts de décors, jeter un œil par ci par là. Ce n’est plus possible, de hideuses cloisons provisoires bloquent tous les accès arrière. Cette fermeture a sans doute été décidée pour des raisons de sécurité et pour que les professionnels puissent travailler sans que le public ne gêne. Quand on pense que jusqu’au seuil des années 1970 la cantine était commune au public et aux artistes, on ne peut que constater que le sens de l’histoire va vers la clôture.

Précisons également que si les espaces professionnels ont été protégés, le public ne l’est toujours pas les jours de pluie, qui peuvent être fréquents à Bayreuth. C’est un problème lancinant depuis qu’ont été supprimés les galeries couvertes qui protégeaient l’arrivée des spectateurs.

Si l’on n’a pas veillé à la pluie, on a en revanche veillé à la nourriture… Toute la politique de catering, importante à Bayreuth dans la mesure où les spectacles durent jusqu’à six heures avec des entractes d’une heure, a été réorganisée. Jusqu’au seuil des années 2020, il y avait essentiellement un self, le fameux stand des saucisses, un bar-self et un restaurant un peu plus chic : le public pouvait circuler dans les différents espaces. Aujourd’hui, les comptoirs qui vendent glaces, bières, eaux minérales et autres délices se sont multipliés tout autour du théâtre, ridiculement baptisé « Walk of fame » et prenant la forme de « barnums » (ceux-là même qui auraient pu être utilisés il y a encore peu de temps pour tester le Covid renforçant le côté un peu piteux de la chose). D’autres accès se sont fermés, comme le bâtiment du restaurant, réservé aux VIP et autres privilégiés. La salle du self a été réaménagée dans le genre faux chic, les prix également. Et les espaces publics (rappelons qu’à Bayreuth il n’y a pas de foyer) se sont remplis de kiosques à catering (appelés « Wahnfood ») qui ont troqué la simplicité d’antan contre un style chic et choc plus douteux. A l’évidence, le Festival en tire aussi quelques rentrées, mais Bayreuth a perdu en naturel et en simplicité ce qu’il n’a pas gagné en efficacité : la queue est toujours aussi longue devant le kiosque à saucisses !
Par delà l’anecdote, rappelons qu’un festival, c’est un caractère, une ambiance, des rituels et de ce point de vue les évolutions ne vont pas forcément dans une direction sympathique.

Les autres changements ont affecté les agendas. Et l’organisation des représentations, essentiellement pour des questions dues au Covid. L’ajout de la production de Tristan a contraint à trouver des espaces pour les répétitions et laissé le théâtre fermé une semaine après l’ouverture officielle du 25 juillet. Deuxième conséquence : la concentration des représentations (normalement, le Ring est étalé sur six jours avec deux journées de repos, mais cette année les journées de repos étaient occupées par d’autres représentations singulières). La communication du Festival n’a pas été claire à ce propos, mais dès 2023, les choses reviendront à la norme.

En revanche, la communication sur les prochaines productions, les chefs invités et le calendrier du Festival 2023 est très claire, ce qui n’a pas toujours été le cas sur la colline verte.
Autre évolution, la diffusion TV des productions est devenue plus ouverte. On a pu voir dès cette année le Götterdämmerung du nouveau Ring par exemple. Il y a encore quelques années, seuls les spectacles éprouvés étaient enregistrés pour la télévision ou la production de DVD.

Du point de vue des distributions, il est clair que tout mélomane est un membre actif du café du commerce. Chaque période a eu ses habitués, ses fidèles, chaque période a également eu ses conflits et ses exclusions. Vogt, Zeppenfeld sont des habitués de Bayreuth. Groissböck l’était mais ne l’est plus. Lise Davidsen quitte le Festival l’an prochain, mais Catherine Foster y revient et si certains choix peuvent étonner, Bayreuth nous a toujours habitués à des surprises ou à des choix bizarres. Disons que globalement, les distributions de Bayreuth ne sont jamais scandaleuses. Du point de vue des chefs, à côté de noms bien connus et expérimentés, la politique semble être d’inviter également ceux ou celles de la génération montante, charge à ces derniers ou dernières de conquérir leur place. Katharina Wagner désormais veille à équilibrer les invitations entre chefs et cheffes. Mais l’histoire nous montre qu’il y a eu des chefs régulièrement attachés à Bayreuth et d’autres – et pas des moindres – qui n’y ont jamais dirigé, pas forcément parce qu’ils n’étaient pas invités d’ailleurs. Les choix de chefs actuels, entre jeune génération et chefs d’expérience, sont globalement équilibrés.

Alors quelles réformes ?

Il y a d’abord ceux qui déclarent que la famille Wagner ça suffit ou encore que « Richard Wagner exclusif à Bayreuth, ça suffit ».
Avec le festival baroque de fin d’été de Max Emanuel Cencic, la ville de Bayreuth s’enrichit pourtant d’un autre horizon dans l’autre théâtre exceptionnel de la ville, l’Opéra des Margraves.
Ensuite j’ai toujours soutenu et continue de soutenir que le Festival de Bayreuth doit rester exclusivement consacré à l’œuvre de Wagner. Il existe un festival éclectique pluridisciplinaire de grand niveau en Europe et c’est Salzbourg. Il n’y a aucun intérêt à faire de Bayreuth un second Salzbourg.  Personne n’en comprendrait la raison.
Bayreuth est un théâtre qui a été construit par Wagner pour représenter les œuvres de Wagner et il doit le rester.
Toutefois, si le Festival d’été doit rester avec les œuvres « canoniques » et reconnues, rien n’empêcherait de créer un festival à Pentecôte ou à Pâques, peut-être plus « ouvert » où seraient représentées les autres œuvres de Wagner, jusqu’à Rienzi. En 2013, elles ont été représentées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Wagner, en amont du Festival et dans un lieu impossible (une grande salle de sport) dans des conditions indignes. Le théâtre n’était pas disponible, du fait des répétitions du Ring de Castorf. Sans doute également n’a-t-on pas osé utiliser le Festspielhaus pour des œuvres que Wagner n’y voulait pas voir. Ce fut un échec cuisant.
Je pensais à l’époque et je continue de penser qu’un festival plus concentré, placé à une autre époque de l’année pour attirer du public avec les autres œuvres de Wagner pourrait fonctionner. Pentecôte et Pâques fonctionnent à Salzbourg, Pâques et novembre fonctionnent à Lucerne. Cela vaudrait le coup de tenter. Il est regrettable que Rienzi, ou Das Liebesverbot, qui ne sont pas des œuvres médiocres, aient si peu d’espace dans les théâtres.

Et pour s’ouvrir aux jeunes, des solutions peu onéreuses expérimentées ailleurs comme les pré générales ou générales ouvertes pourraient fonctionner même si la tradition actuelle du Festival est à la fermeture pendant les répétitions.

En somme, il y a un espace pour du neuf à Bayreuth mais il faudrait surtout penser à faire fonctionner un peu plus la salle, qui est LE monument que les touristes et les visiteurs veulent voir, même si les coûts d’une ouverture (personnel de salle, contrôles, techniciens, etc.) sont importants.

Alors rêvons un peu et supposons que tous les problèmes soient aplanis.

Ne pourrait-on pas par exemple impliquer, pour quelques concerts Wagner par an (ou des représentations en version concertante), les Bamberger Symphoniker, qui sont à 65km, en les faisant jouer dans la fosse avec les chanteurs sur la scène, à des tarifs plus bas, pour permettre à un autre public de pouvoir apprécier cette acoustique exceptionnelle ? Il y a là des pistes sans doute à explorer, mais cela suppose des financements supplémentaires que Madame Roth est sûrement prête à  assurer.

LA SAISON 2021-2022 DE LA WIENER STAATSOPER

UNE NORMALITÉ DE TRÈS HAUT NIVEAU

Après une première saison 2020-21 tronquée par la pandémie, mais dont nous avons pu voir quelques moments clefs en streaming ou même en salle, la saison 2021-22 s’annonce un peu moins explosive. Cinq nouvelles productions et quelques « Wiederaufnahmen » de productions de répertoire rafraichies, et pour le reste des productions de répertoire plus ou moins habituelles font une année presque normale, que nous allons détailler.
La Wiener Staatsoper est une maison de grande tradition, et pour sûr le modèle du système de répertoire, nous l’avons souvent souligné. Dominique Meyer en avait fait d’ailleurs le pilier de sa politique, garantissant un niveau moyen élevé de ses représentations « ordinaires », plus élevé en tous cas que celui de son prédécesseur Ioan Holender.
Le nouvel intendant Bogdan Roščić devait donc marquer une ligne de rupture, notamment au regard de la politique de mises en scène menée depuis des années, qui faisait de Vienne un temple très traditionnel, ce qui n’est pas problématique, mais aussi d’une certaine médiocrité scénique, ce qui l’est plus. Un seul exemple, la production musicalement fabuleuse de Die Frau ohne Schatten en juin 2019 dirigée par un Christian Thielemann des grands soirs avec un cast à faire pâlir, dans une mise en scène plan-plan et sans aucun intérêt de Vincent Huguet, dont nous avions rendu compte dans le site Wanderer.

Bogdan Roščić a donc suivi une double ligne : des nouvelles productions faisant appel à des metteurs en scène plus inventifs, comme le Parsifal signé Kirill Serebrennikov  dont Wanderer a rendu compte, et d’un autre côté là où c’était nécessaire rafraîchir le répertoire rapidement en achetant des productions  qui avaient marqué ailleurs, c’est le cas de l’Eugène Onéguine vu par Dmitry Tcherniakov, ou du Faust de Frank Castorf, dont Wanderer a aussi rendu compte, mais aussi de l’Incoronazione di Poppea (de Jan Lauwers) pris à Salzbourg et du Macbeth (dont Wanderer a rendu compte en juin dernier) signé Kosky qui vient de Zurich (Wanderer a aussi rendu compte de la production zurichoise) sans jamais renoncer à l’excellence musicale, voir à l’exceptionnel (cf. Parsifal) qui fait partie de l’ADN de la maison, au moins pour les Premières et les grandes reprises. Le public viennois est en effet l’un des plus sensibles qui soient aux équipes musicales et aux voix.

Tout cela doit demander à Bogdan Roščić, et à ses équipes, notamment à son responsable-casting Robert Körner (qui officiait naguère à Lyon) un jeu subtil d’équilibres qui devrait à terme permettre à ce public d’évoluer dans ses habitudes et attentes. Un retournement de la sorte se fait progressivement et lentement.
C’est pourquoi cette deuxième année apparaît comme un peu moins bouleversée, mais avec des nouvelles productions qui stimulent les envies du mélomane voyageur…

 

Nouvelles productions :
Les cinq nouvelles productions donnent une belle visibilité sur les intentions de la direction du théâtre, qui loin de négliger le répertoire, veulent au contraire l’asseoir et le « ravaler » avec des productions correspondant un peu plus à notre modernité : Rossini (Il Barbiere di Siviglia), Mozart (Don Giovanni) Berg (Wozzeck), Wagner (Tristan und Isolde), Monteverdi (L’Orfeo) sont des productions-emblèmes qu’il faut à la fois considérer en soi, de simples nouvelles productions d’une saison, mais surtout par ce qu’elles disent derrière, entre les lignes, des intentions artistiques.

Septembre 2021/Juin 2022
Rossini, Il barbiere di Siviglia
(6 repr. du 28 sept au 14 oct/4 repr. du 4 au 12 juin) (MeS : Herbert Fritsch)
Avec

  • Dir : Michele Mariotti
    Florez/Berzhanskaja/Bordogna/Abdrazakov/Luciano/Brauer-Kvam
  • Juin Dir : Stefano Montanari
    Florez/Molinari/Bank/Kellner/Olivieri

La production de Gunther Rennert a fait son temps, qui fut particulièrement long (depuis 1966), mais elle n’a pas été reprise depuis 1990, ce qui est surprenant pour un titre aussi populaire. La nouvelle production est confiée à Herbert Fritsch, qui a fait ses classes chez Castorf à la Volksbühne de Berlin jusqu’en 2007. Voilà qui promet.
Du côté de la distribution, en octobre, du beau monde, avec Florez et Vasilisa Berzhanskaya (remplaçant Crebassa), mais aussi Bordogna et Abdrazakov, avec le Figaro d’Etienne Dupuis à découvrir remplaçant Davide Luciano, le tout sous la direction experte de Michele Mariotti, né dans les langes de Rossini.
En juin  un autre chef, Stefano Montanari, aussi excellent que Mariotti, sinon encore plus inventif, et une distribution où les basses sont celles de la maison (Bankl, Kellner) et où Etienne Dupuis laisse la place à Mattia Olivieri, l’un des meilleurs jeunes barytons de la péninsule qui vient de triompher dans le rôle à la Scala. Pour le reste, Florez répondra aussi présents en juin. Florez a été Faust dans la production de Frank Castorf, il peut affronter Herbert Fritsch dans Almaviva. Quant à Crebassa elle sera remplacée par Cecilia Molinari. Le public viennois n’est pas au bout de ses (bonnes) surprises.

Décembre 2021
Mozart, Don Giovanni
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky)
Avec Ketelsen/Sly/de Barbeyrac/Anger/Kellner/ H.E.Müller/Lindsey/Nolz
Attention! Piège. La durée relative de la mise en scène fameuse de Franco Zeffirelli de 1972 à 1990 ne doit pas masquer les successives, Bondy (plutôt pas mal) dura deux saisons, puis De Simone pas beaucoup plus. La dernière, celle de Martinoty dura l’ère Dominique Meyer mais n’était pas de celles qu’on garde pour l’éternité.
L’échec récent de Castellucci à Salzbourg nous indique combien l’œuvre de Mozart est piégeuse.
Comme c’est la mode aujourd’hui, on confie la trilogie Da Ponte à un seul metteur en scène, Barrie Kosky, qui se lance dans l’aventure. S’il y réussit, tout le monde courra à Vienne pour voir.

Du côté musical, pas de risque en fosse où Philippe Jordan, mozartien devant l’Éternel, assure la direction musicale, mais sur scène, un plateau inhabituel avec Kyle Ketelsen en Don Giovanni, lui qui fut un extraordinaire Leporello, et en Leporello, Philippe Sly, qui ne fut pas un Don si convaincant. Un Ottavio de grand style, Stanislas de Barbeyrac, et deux dames qui devraient convaincre, -mais qui sait? – Hanna Elisabeth Müller en Anna et Kate Lindsey en Elvira. Sachant la difficulté à monter Mozart aujourd’hui, rien n’est assuré. Attendons.
(6 repr du 5 au 20 déc/5 repr. du 3 au 15 juin)

Mars 2022
Berg, Wozzeck
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Simon Stone)
Avec Gerhaher/Kampe/Panikkar/Schneider/Belosselsky
La mise en scène de Dresen a duré jusqu’à 2014, et c’était une très belle production dont il existe une vidéo avec Grundheber, Behrens et Abbado. Plusieurs dizaines de représentations plus tard, il peut s’avérer nécessaire de produire une nouvelle production, confiée à Simon Stone, dont l’Opéra de Vienne propose en début de saison la Traviata parisienne, avec Pretty Yende, Frédéric Antoun et Ludovic Tézier.
La distribution de ce Wozzeck est superbe, Gerhaher et Kampe ont déjà fait les beaux soirs de Munich dans ces rôles. Cela devrait valoir le voyage.
(5 repr. du 22 mars au 3 avril)

Avril 2022
Wagner, Tristan und Isolde (5 repr.  du 14 avril au 1er mai)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito)
(Avec Schager, Serafin, Pape, Gubanova, Paterson)

Trois productions depuis 1967, Everding, qui a duré jusqu’à 2003, puis Gunter Krämer (celui qui commit le Ring parisien) et enfin depuis 2013 David McVicar, dont on connaît les productions sans sel ni poivre.

Cette fois-ci ce sera Calixto Bieito, qui peut être va réveiller un peu l’histoire des productions de l’œuvre à Vienne. Au fond, le travail de Bogdan Roščić est aisé pour le choix des metteurs en scène, comme aucun des noms importants de la mise en scène n’ont travaillé à Vienne depuis des années, il lui suffit de distribuer des productions à la bande des quatre ou cinq habituels, Bieito, Stone, Kosky, Tcherniakov et quelques autres et le tour est joué. En un an on aura aussi vu Castorf, Serebrennikov … L’Opéra de Vienne se « normalise », il rentre dans la ronde des opéras d’Europe qui ont depuis longtemps des spectacles signés de ces artistes, mais il faudra aussi trouver des noms nouveaux…
Du côté musical, on connaît le Wagner de Philippe Jordan, garantie de solidité, et la distribution est sans reproche, là aussi habituelle : Schager, Pape, Paterson, Gubanova : que de bons chanteurs. Bien sûr, c’est hélas Martina Serafin qui chante Isolde, mais on ne peut pas tout avoir.

Juin 2022
Monteverdi, L’Orfeo

(4 repr. du 11 au 18 juin 2022)
Dir : Pablo Heras Casado/MeS Tom Morris)
Avec Nigl, Lindsey, Zámečníková, Mastroni, Bock

Après L’Incoranazione di Poppea venue de Salzbourg (Lauwers) qui a très bien marché auprès du public, c’est au tour de L’Orfeo ; c’est Munich qui a à mon avis la meilleure production actuelle (David Bösch), et Bogdan Roščić table sur un autre style, celui de l’imagination anglo-saxonne, entre marionnettes et émerveillements scéniques de Tom Morris.
Wait and see, mais musicalement, même si je ne suis pas toujours convaincu par Heras Casado, c’est une distribution très séduisante, dominée par Georg Nigl, l’autre baryton (à côté de Gerhaher), qui devrait être très stimulant car l’autrichien Georg Nigl est l’un des plus intéressants de sa génération.

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Juin-Juillet 2022
Rossinimania
Du 28 juin au 8 juillet

Une nouveauté, une révolution même à l’Opéra de Vienne qui va rester ouvert après sa fermeture… pour accueillir une tournée de l’Opéra de Monte-Carlo et surtout Cecilia Bartoli, qui tenez-vous bien, n’a jamais chanté à l’Opéra de Vienne. Alors, c’est une semaine Bartolimania aussi bien que Rossinimania

 

28 juin
La Cenerentola
(Repr. semi-scénique)
Dir : Gianluca Capuano/ Real.sc. Claudia Blersch
Avec Bartoli, Rocha, Alaimo, Chausson, Coca Loza, Bove, Olvera
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Les Musiciens du Prince Monaco

Une réalisation qui a beaucoup tourné, toujours avec le même succès, avec les costumes de l’opéra de Zurich, et une distribution hyper-rodée. Ce devrait être le triomphe mérité habituel avec Capuano au pupitre des excellents Musiciens du Prince-Monaco.

Il Turco in Italia
(3 repr. les 3, 5 et 7 juillet 2022)
Dir : Gianluca Capuano/MeS : Jean-Louis Grinda
Avec Abdrazakov, Bartoli, Alaimo, Banks, Romeo ; Lo Monaco, Astorga
Les Musiciens du Prince-Monaco
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
La production qui sera créée en janvier à Monte-Carlo est présentée à Vienne pour trois soirs avec une distribution dominée par Cecilia Bartoli et Ildar Abdrazakov, et avec Barry Banks qui n’a pas convaincu à Pesaro.
Aucun souci du côté de l’orchestre, avec Capuano et Les Musiciens du Prince. On sait aussi déjà que la mise en scène de Jean-Louis Grinda ne sera pas révolutionnaire, cela reposera les viennois un peu secoués ces deux dernières années.

Rossini-Gala
8 juillet 2021

Dir : Gianluca Capuano
Les Musiciens du Prince-Monaco
Avec : Bartoli, Abrahamyan, Villazón, Levy-Sekgapane, Corbelli, Abdrazakov

Fin en feu d’artifice rossinien. Faisons confiance à Cecilia Bartoli pour animer la soirée et mettre la salle en délire avec cette brochette de chanteurs et remarquons la présence de Levy-Sekgapane, ténor aux aigus stratosphériques et au timbre lumineux. À suivre.

Voilà une saison aux Premières un peu plus normalisées que la saison dernière, avec des poids lourds du répertoire Barbier, Don Giovanni, Wozzeck, Tristan… Bogdan Roščić poursuit son travail de rafraichissement, voire de nettoyage et il faut reconnaître que cette maison en avait un peu besoin.
L’initiative rossinienne est aussi une excellente opération de communication envers le public viennois, l’impression produite par cette deuxième saison est celle d’une consolidation des principes affichés la saison dernière avec une sorte de rythme normal retrouvé.

Même si elles sont entrées au répertoire, certaines productions 2020, à cause du Covid, n’ont pas encore été vues en public, mais éventuellement en streaming, c’est le cas de Das verratene Meer, de Traviata et de Parsifal, nous les signalons en priorité, et puis il y a des Wiederaufnahmen, des reprises retravaillées (alors que les titres de répertoire ne le sont pas)..

Reprises post Covid de productions réalisées mais non représentées en public

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata
(Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Simon Stone)
Avec Pretty Yende, Ludovic Tézier, Frédéric Antoun…
En ce début de saison, des titres d’appel, dont Falstaff et Tosca, pour réamorcer la pompe et attirer le public et puis la nouvelle production du Barbier de Séville en fin de mois. Ce spectacle est la production parisienne vue à Garnier avec comme à Paris Pretty Yende et Ludovic Tézier, mais avec Frédéric Antoun, nouveau venu en Alfredo. Distribution qui garantit des soirées de haut niveau vocal.
(5 repr. du 5 au 18 Septembre)
Coproduction Opéra de Paris

Septembre 2021
Hans Werner Henze, Das verratene Meer
(Dir.: Simone Young/Ms : Jossi Wieler/Sergio Morabito)
Avec Vera-Lotte Boecker, Bo Skovhus, Josh Lovell…
“La mer trahie”, titre du drame musical de Henze créé à Berlin en 1990 n’est pas le plus connu des opéras de Henze, tiré du roman de Mishima « Le marin rejeté par la mer » de 1963. Désespoir, déchirement face aux valeurs, bouleversement des individus, violence, tous les ingrédients de Mishima sont là, mis en musique par Henze qui a vécu les mêmes déchirements en faisant des choix opposés.
3 repr. les 19, 23, 27 septembre

Décembre 2021
Richard Wagner, Parsifal
(Dir. : Philippe Jordan/Ms : Kirill Serebrennikov)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Wolfgang Koch, René Pape
Reprise de la mise en scène dont Wanderersite a rendu compte, mais sans Elina Garanča ni Jonas Kaufmann ni Georg Zeppenfeld, mais avec Jovanovich,  Kampe et Pape, ce qui n’est pas si mal non plus. A noter que Wolfgang Koch chante Amfortas ET Klingsor, ce qui va encore accentuer la mise en abyme du travail de Serebrennikov. À voir évidemment, d’autant que la production succède à celle si médiocre d’Alvis Hermanis.
(5 repr. du 12 au 26 déc.)
A noter : avec le Don Giovanni de Kosky qui commence le 5 décembre, les Wanderer du lyrique devront jouer des dates pour combiner une riche virée viennoise car décembre est sans doute le mois le plus adapté à un voyage dans la capitale autrichienne si on y va pour l’Opéra.

Les « Wiederaufnahmnen »
Dans le système de répertoire, il y a des reprises directes, avec très peu de répétitions et puis les « Wiederaufnahmen » qui sont les reprises retravaillées scéniquement et musicalement, en général de productions qu’on n’a pas l’intention de remplacer à court terme.
On va donc retrouver des productions de l’ère précédente et de l’ère Holender, avec de nouvelles distributions et de nouveaux chefs. Il y a neuf reprises retravaillées, et une reprise retravaillée seulement musicalement (Capriccio).

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, Falstaff (Dir : Nicola Luisotti/Gianpaolo Bisanti/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Wolfgang Koch/Gerald Finley, Josh Lovell/Frédéric Antoun, Boris Pinkhasovich, Eleonora Buratto…
Deux chefs italiens solides, dont le second (Bisanti) commence à être invité un peu partout en Europe, et une double distribution plutôt stimulante, notamment les deux Falstaff.
9 repr. (5 en sept 2021) /4 en juin 2022 (du 14 au 24 juin 2022)

 

Novembre 2021
Rihcard Wagner, Der fliegende Holländer (Dir. : Bertrand de Billy/Ms : Christine Mielitz)
Avec Anja Kampe, Bryn Terfel, Eric Cutler, Franz Josef Selig
Production de 2003 (de la période Holender), avec déjà 58 représentations au compteur. Distribution de très haut vol, à peu près ce qui se fait de mieux aujourd’hui.
5 repr. du 17 nov. au 2 déc. 2021

Décembre 2021
Giuseppe Verdi, Don Carlo (ital.) (Dir : Franz Welser Möst/Ms Daniele Abbado)
Avec Ain Anger, Boris Pinkasovitch, Fabio Sartori, Anita Rashvelichvili, Asmik Grigorian
Petite histoire : Franz Welser-Möst revient au pupitre d’une production qu’il a créée en 2012, avant de laisser la fonction de GMD en 2014. La distribution, correcte, vaut surtout par les deux dames, Gubanova et surtout Grigorian, Qui ne devrait pas manquer d’exciter toutes les curiosités des fans.
(4 repr. du 16 au 25 déc. 2021)
Notons qu’avec Parsifal et Don Giovanni, ce Don Carlo est une raison de plus d’un voyage à Vienne en décembre 2021, à vos agendas.

Janvier 2022
Tchaïkovski : La Dame de Pique (Dir. : Valery Gergiev/Ms : Vera Nemirova)
Avec Dmitry Golovnin, Boris Pinkasovitch, Elena Guseva, Olga Borodina
Reprise de la production de 2007, alors créée par Seiji Ozawa qu’on n’a pas vue à Vienne depuis 2015. C’est Valery Gergiev qui sera dans la fosse, voilà donc une reprise alla grande, d’autant que Gergiev est assez rare à Vienne car on ne l’a vu que pour Parsifal en 2019 et Lohengrin en 2020. Belle distribution avecla très intense Elena Guseva en Lisa.
(4 repr. du 21 au 30 janv. 2022)

Britten: Peter Grimes (Dir.: Simone Young/Ms: Christine Mielitz)
Avec Jonas Kaufmann, Sir Bryn Terfel, Lise Davidsen
Reprise de la première production viennoise de l’Opéra de Britten, entré au répertoire en 1996, par une étincelante distribution avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann. Cela devrait fortement stimuler le public à voir ou revoir cette œuvre, qui en sera le 26 janvier 2022 à sa 42e représentation à Vienne.
(5 repr. du 26 janvier au 8 février 2022)

Février 2022
Giacomo Puccini : Manon Lescaut (Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Robert Carsen)
Avec Asmik Grigorian, Brian Jagde, Boris Pinkasovich.
Se souvient-on que Carsen émergea à l’international par Manon Lescaut à l’Opéra-Bastille tout neuf, en 1991, dans une production venue de l’Opéra des Flandres, qui reste l’une de  ses meilleures. Le solide Nicola Luisotti en fosse, mais vaut évidemment par la Manon de Asmik Grigorian, plus connue pour ses rôles de répertoire germanique du XXe siècle. Grande curiosité …
(5 repr. du 1er au 13 février 2022)

Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (Dir. :Thomas Guggeis/Ms: Willy Decker)
Avec Klaus Florian Vogt, Vida Miknevičiūtė, Adrian Eröd, Monika Bohinec
Production de 2004, sous le mandat Holender, pas reprise depuis 2017, ici avec une belle distribution, Vogt, l’un des Paul de référence aujourd’hui, et dans le rôle de Marietta, la voix qui monte, qui vient de triompher à Salzbourg dans Chrysothemis Vida Miknevičiūté. En fosse, Thomas Guggeis, l’un des jeunes chefs remarqués à Berlin autour de Daniel Barenboim. Ce devrait être solide.
(4 repr. du 6 au 14 février 2022)

Gaetano Donizetti : Anna Bolena (Dir.:  Giacomo Sagripanti /Ms : Eric Genovèse)
Avec Erwin Schrott, Diana Damrau, Ekaterina Sementchuk, Pene Patti, Virginie Verrez
Une des productions réussies de l’ère Meyer, il est vrai qu’à la première en 2011, les deux dames étaient Anna Netrebko, déjà star  et Elina Garanča à l’aube de sa gloire. Au pupitre Giacomo Sagripanti, un chef italien qui conduit une belle carrière à l’international. Diana Damrau et Ekaterina Sementchuk ne devraient pas décevoir. À noter le ténor Pene Patti qu’on commence à voir un peu partout.
(3 repr. du 12 au 19 février 2022)

Mai 2022
Modest Mussorgski : Boris Godunov (Dir.: Sebastian Weigle/Ms: Yannis Kokkos)
Avec Ildar Abdrazakov, Vitalij Kowaljow, Dmitry Golovnin, Thomas Ebenstein, Tamuna Gochashvili
Production classique de l’ère Holender (2007). Kokkos avait déjà mis en scène Boris Godunov à Bologne. Distribution solide dominée évidemment par Ildar Abdrazakov.
(5 repr. du 11 au 27 mai 2022)


Reprise musicale
Juin 2022
Richard Strauss : Capriccio (Dir.: Philippe Jordan/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Maria Bengtsson, Adrian Eröd, Daniel Behle, André Schuen, Christof Fischesser, Michaela Schuster.
C’est une reprise musicale, ce qui signifie que la mise en scène n’est pas retravaillée, il est vrai que la production Marelli qui remonte à 2008 (avant-dernière année de l’ère Holender) est passe-partout et ne nécessite pas forcément d’être revue. À noter que ce fut la première apparition de Philippe Jordan au pupitre de la Wiener Staatsoper. 13 ans après il en est le directeur musical. Distribution équilibrée, et de qualité.
(4 repr.du 20 au 30 juin 2022)

On le constate, tout ce qui est proposé est solide, bien distribué et devrait garantir un haut niveau moyen de représentations. Mais le cœur, l’ADN de ce théâtre est le répertoire, c’est à dire l’alternance serrée de représentations avec peu de répétitions, quelques « guest-stars » et la troupe. On joue pratiquement tous les soirs à Vienne et il y a toujours un opéra à voir, chaque soir différent.
Cependant, la nouvelle direction a limité le nombre de titres à 40, ce qui n’est déjà pas mal et dépasse la plupart des maisons comparables. Voici la liste des titres présentés, en dehors de ceux que nous avons détaillés :

Octobre 2021 :
Otello
L’Incoronazione di Poppea
Eugène Onéguine
Adriana Lecouveeur (Octobre et novembre) (à noter Elina Garanča en princesse de Bouillon)

Novembre 2021 :
Faust (première le 31 octobre)
Nabucco (ce devait être la prise de rôle d’Anna Netrebko en Abigaille, il faudra attendre parce qu’elle a annulé à cause d’une opération d’urgence, il reste Placido Domingo en Nabucco pour la dernière, les autres étant assurées par Amartuvshin Enkhbat) et les Zaccaria du remarquable Roberto Tagliavini, la basse italienne de référence aujourd’hui)
Carmen
L’Elisir d’amore (Novembre, décembre, février, mars)


Décembre 2021 :

Don Pasquale (Décembre 2021, avril, mai 2022)
Tosca (Décembre, février, mars)
Die Fledermaus (Décembre, janvier)

Janvier 2022 :
La Bohème
La Cenerentola
Werther
Macbeth

Février 2022: Voir ci-dessus Wiederaufnahmen

Mars 2022:
Salomé
Die Entführung aus dem Serail
Rigoletto
Wozzeck (mars-avril)

Avril 2022
Der Rosenkavalier
Tristan und Isolde (avril-mai 2022)
Lucia di Lammermoor

Mai 2022
Le nozze di Figaro
Das Rheingold
Die Walküre
Siegfried
Götterdämmerung

Juin 2022
I Puritani
Il Barbiere di Siviglia
Die Zauberflöte

Dans cette liste abondante, on remarque la Tétralogie de Richard Wagner, qui sera donnée deux fois au mois de mai dans la production bien connue de Sven Eric Bechtolf (2007-2008)
Nous donnons les principaux éléments de la distribution
Direction musicale Axel Kober
Avec John Lundgren, Daniel Behle, Monika Bohinec, Jochen Schmeckenbecher, Stuart Skelton, Lise Davidsen, Nina Stemme, Michael Weinius etc…

Cela mérite peut-être un petit voyage.

Vienne qui avait un peu disparu des radars, non pour le niveau musical, toujours haut, mais par les choix de productions et de mises en scène, revient sur le devant de la scène.  Sans proposer des choix d’une originalité marquée, l’Opéra de Vienne propose un choix de nouvelles productions comparables aux théâtres européens de même importance avec des distributions de très haut niveau. En deux saisons même tronquées, on reparle de Vienne et on a vraiment envie d’y découvrir des spectacles.  Donc on ne peut qu’encourager à bien étudier les périodes qui permettront à l’amateur de faire le plein d’opéra et en particulier décembre 2021.

Pour plus de détails, regarder le site très clair de la Wiener Staatsoper (https://www.wiener-staatsoper.at) et notamment la page de tous les titres présentés dans la saison (https://www.wiener-staatsoper.at/spielplan-kartenkauf/werke/)en cliquant sur le titre, vous y découvrirez les distributions notamment pour le répertoire)

Et dans quelques jours sur Wanderersite.com une interview passionnante de Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne.

Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne ©WienerStaatsoper