LA SAISON 2023-2024 DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Le Grand Théâtre de Genève

Un grave problème de remplissage
Le Grand Théâtre de Genève vit à la fois une période compliquée et tout à fait passionnante, compliquée parce que le débat actuel porte sur l’inquiétante chute de la fréquentation qui l’atteint, notamment depuis la pandémie, mais pas seulement, et donc sur la nature de la programmation d’Aviel Cahn que d’aucuns accusent de l’avoir provoquée.
C’est une discussion passionnante parce qu’elle pose directement et sur pièces, les données de la crise actuelle de l’opéra, que j’ai par ailleurs évoquée dans plusieurs articles, et semble apparemment donner raison à ceux qui attaquent les mise en scène dites « modernes » que porte la politique d’Aviel Cahn , et par laquelle non seulement il a porté au sommet l’Opera-Ballet Vlaanderen au cours de son mandat précédent mais aussi pour laquelle, il ne faut pas l’oublier, il a été appelé à diriger le Grand Théâtre de Genève. On considérait (à juste titre je crois) que la politique de son prédécesseur Tobias Richter avait un côté plan-plan, aimablement médiocre, et qu’il fallait donc donner un coup de pied dans la fourmilière.
Le coup de pied a été donné, et la fourmilière s’est vidée… plus de fourmis Place de Neuve…

Au-delà de cette pirouette, on constate des mouvements divers pour attaquer les mises en scène contemporaines – ce n’est pas nouveau, mais cela prend plus d’ampleur- de la part d’un public conservateur qui exige un « respect des intentions de l’auteur » que la plupart du temps il ne connaît pas, un « respect de l’œuvre » , qu’il serait bien incapable de détailler, et surtout demande une mise en scène sans implicites ni dérives idéologiques (« fantasmes de metteurs en scène », « clique de metteurs en scène qui ont pris le pouvoir » «apologie du laid») pour rendre à l’opéra sa fonction de divertissement noble dans la grande tradition du théâtre bourgeois du XIXe, celle que Wagner dénonçait déjà fortement et contre laquelle il s’est élevé toute sa vie, et que l’essentiel de l’opéra du XXe siècle dément, un opéra qui éviterait le trash, la laideur etc… Mais qui pourrait définir le Beau ? toujours bizarre selon Baudelaire… Et Wozzeck, Il Tabarro, Suor Angelica, Die Soldaten, Lady Macbeth de Mtsensk, Lulu, mais aussi dans ce XIXe bourgeois  La Traviata ou Tosca et j’en passe sont évidemment des histoires « divertissantes », pour ne pas dire fleur-bleue, parfaitement digestibles avec du champagne et les discussions badines entre amis aux entractes (quand il y en a) qui ne posent aucun problème et laissent tout leur temps de cerveau disponible au vestiaire… C’est un signe supplémentaire de la montée des conservatismes esthétiques et culturels qui affecte aussi des institutions comme Bayreuth, un comble quand on connaît les premières conditions de fondation du Festival et la détestation qu’avait Wagner de la première mise en scène de son Ring.

Cela donne l’idée de la complexité du problème, de l’inculture qui le sous-tend, et du slalom auquel doivent se livrer les managers d’aujourd’hui pour garder leur public (pas seulement à Genève d’ailleurs).

Il reste que je serais bien incapable de donner une raison unique à cette subite désaffection qu’on peut expliquer pour une création mondiale ou un opéra très contemporain (même si le MET a délibérément choisi d’afficher six compositeurs contemporains dans sa prochaine saison pour attirer un public plus jeune moins intéressé par le grand répertoire) moins pour le grand répertoire et des productions d’un niveau particulièrement haut.  Par exemple, d’aucuns ont accusé Lady Macbeth de Mtsensk d’être une œuvre trop moderne ou inconnue pour Genève. L’œuvre étant proposée pour la troisième fois depuis 2001, il faudrait comparer les fréquentations des trois programmations pour voir si décidément le public n’est jamais venu en nombre ou si la tendance est nouvelle et surtout si la mémoire de ce public plutôt mûr s’est émoussée.
On ne peut non plus accuser la programmation de titres inconnus ou impopulaires en prenant pour exemple La Juive de Halévy, un des titres les plus glorieux de l’histoire de l’opéra au XIXe, qui a été reproposé plusieurs fois (à Lyon, à Paris et à Vienne notamment) depuis ces dernières années. Le public de Genève serait-il si ignare ? Il a pourtant applaudi il y a quelques années la Médée de Cherubini, ou Mignon de Thomas qui ne sont pas des opéras qu’on voit partout aujourd’hui.

Un regard sur quelques saisons du passé montre d’ailleurs qu’elles sont toutes à peu près construites de la même manière avec sa dose de répertoire traditionnel français, allemand ou italien, sa création, son œuvre du XXe et son petit pas de côté (répertoire tchèque, ou russe ou autre…).
Je pense qu’il y a une conjonction de planètes en ce moment pas si favorables, comme souvent, dont on peut avancer quelques éléments.

Quelques remarques cependant qui peuvent cotnribuer à expliquer le phénomène

  • Une politique tarifaire assez sélective qui propose une amplitude qui avoisine ou dépasse les tarifs des plus grandes salles européennes (prix maximum 239 CHF et avec option OR (avec champagne et petits fours) 309 CHF.
    Du côté des minimums, 17 CHF pour quelques places très latérales et sinon 62 CHF en amphithéâtre haut (dont le premier rang coûte tout de même 98 CHF, le prix d’une place d’orchestre à Lyon ou Strasbourg).
    Certes la Suisse est chère, le Franc Suisse est au plus haut, et Genève est riche, mais ce sont des prix de salles qui proposent le plus souvent quelques stars (ou au moins des noms connus du public) dans chaque production , avec en général en fosse un orchestre de très grande qualité etc…

Si les spectateurs peuvent payer, tant mieux pour eux et le théâtre, mais pour ma part en tant qu’amateur d’opéra, aimant être bien placé, je me refuserais à payer ce genre de prix pour entendre un Parsifal seulement honorable avec une distribution de bonne facture, mais sans aucun chanteur de tout premier plan ou une Maria Stuarda médiocre et mal distribuée, une protagoniste d’Elektra problématique ou une Turandot distribuée à la va comme je te pousse.
Un des problèmes de ce théâtre, c’est que du point de vue des distributions et des chefs, il est comparable à Lyon, ou Strasbourg, avec des tarifs qui sont plus du double des prix pratiqués dans ces deux théâtres (et le budget qui va avec) et très comparable à La Monnaie de Bruxelles, opéra capitale où les tarifs pour les productions les plus demandées ne dépassent pas 165 Euros (Tarif Gold) et la catégorie A est à 138 Euros (10 Euros de plus pour le Ring l’an prochain)
Il y a incontestablement un problème de rapport qualité-prix.

  • Un rapport qualité prix problématique

Les distributions sont toujours de bon niveau, pratiquement jamais de très grand niveau. Aviel Cahn garde sa politique des Flandres, parfaite pour Anvers ou Gand… où le prix maximum est de 133 Euros… une minuscule différence. C’était la politique inaugurée par Mortier à La Monnaie dans les années 1980, à une époque où l’Opéra explosait et où l’on venait de populariser la mise en scène à l’opéra (ce que certains appellent l’ère des metteurs en scène)

Les prix pratiqués à Genève me paraissent prohibitifs par rapport à la nature de l’offre, même dans la cité des banques et des Institutions internationales. Si l’on veut continuer de pratiquer ces tarifs, il me semble qu’un effort pour étoffer les distributions avec quelques noms qui pourraient attirer le chaland serait à même de stimuler le public. C’était la politique de Hugues Gall, qui a laissé un tellement grand souvenir à Genève et qui était en revanche bien plus sage en matière scénique…
Raisonnons autrement : je suis un bon client j’ai de l’argent, 239 CHF ou 321 CHF ne sont pas pour moi un problème. Mais j’aime bien l’opéra, alors à tout prendre je vais à Londres, Vienne ou Berlin et pour le même prix (voire moins cher) j’ai une qualité supérieure et une petite virée européenne…

En dehors de Hugues Gall, il y a eu des moments où les distributions genevoises étaient solides sans être galactiques, par exemple au temps de Jean-Marie Blanchard ; qui s’intéressait aux chanteurs, allait les écouter, et revenait avec les perles du futur. Quand Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Klaus Florian Vogt ont chanté à Genève, ils n’étaient pas débutants, mais juste à l’instant fugace où ils allaient basculer dans la starisation. Blanchard savait les saisir au bon moment. Oubliera-t-on que Nina Stemme était Elisabeth (et Stephen Gould Tannhäuser) dans la production d’Olivier Py (avec son fameux phallus en vrai) ou Primadonna dans Ariane à Naxos, alors qu’elle avait déjà explosé en Isolde à Bayreuth.
Donc deuxième raison possible, un manque d’éléments de séduction ou d’imagination dans pas mal de distributions.

Il est clair qu’à l’opéra, la présence de quelques noms connus dans la distribution du public fait passer la pilule de mises en scène dites modernes, c’est la cerise merveilleuse sur un gâteau amer qui aide à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Si par exemple un Jonas Kaufmann décidait de venir chanter un rôle dans une mise en scène résolument contemporaine, il attirerait les foules. Il faut aussi donner au spectateur pour son désir ou son fantsame…et son argent..

  • Un choc anaphylactique violent
    Troisième type de raison de la désaffection, le choc qu’ont constitué les premières saisons d’Aviel Cahn tronquées par la pandémie. D’une part, le public hésitait à revenir par peur de contagions etc… d’autre part, il a perdu l’habitude de venir (et cette habitude se perd très vite, hélas), notamment parce que l’offre qu’il y trouvait constituait un obstacle et amenait à une renonciation d’autant plus facile qu’il avait pris l’habitude de ne plus sortir.
    Jamais le Grand Théâtre de Genève n’a été un lieu de mises en scène très « sacrilèges » pour le public local. Sous Richter c’était évident (sauf de rares productions qui ne manquaient pas de séduction), sous Blanchard également qui restait toujours à la limite de l’acceptable pour ce public, on a fait appel à Olivier Py, Patrice Caurier et Moshe Leiser, Pierre Strosser, des figures plutôt connues, de qualité, et toujours accessibles au public. Une modernité réelle, mais sage.
    Avec Aviel Cahn d’emblée, il y a eu de vraies prises de risque, ce qui est louable, qui ont pu passer (Einstein on the Beach, peut-être), mais qui ont plus souvent cassé, comme la version Luk Perceval/Asli Erdogan de Die Entführung aus dem Serail. Et dans ce cas, il suffit de deux ou trois productions pour que le processus s’enclenche et amorce la désaffection (le bouche à oreille aidant). Et les saisons n’ont pas offert de dosage acceptable/insupportable au public qui sans doute s’est senti brutalisé dans ses habitudes, sans avoir d’autres os à ronger comme des chanteurs/chanteuses connu(e)s compensatoires…
  • Cette question affecte exclusivement plateaux et mises en scène, mais elle n’affecte pas les chefs, ni les orchestres en fosse. La politique de chefs à Genève a toujours été assez régulière et que ce soit sous Hugues Gall, sous Renée Auphan et sous Blanchard, elle est à peu près semblable, avec un fléchissement sous Richter vers des chefs de théâtre de répertoire allemand, sans véritable politique affûtée (même malgré Metzmacher dans Macbeth).
  • Seul, le ballet actuellement surnage, avec une fréquentation qui dépasse les 100%, et une offre pourtant très contemporaine grâce à Sidi Larbi Cherkaoui, un très grand nom de la chorégraphie aujourd’hui, et grâce à des tarifs moins sélectifs… Mais entre les deux publics, il ne semble pas y avoir de vases communicants.

En résumé

  • Un rapport qualité-prix déséquilibré qui n’offre pas, à qualité égale pour les chefs et l’orchestre, de plateaux suffisamment excitants et privilégie la production par rapport au plateau : c’est trop cher pour ce que ça promet et ce que ça offre malgré des productions souvent passionnantes, mais la seule production peut difficilement attirer le public, et les plateaux ne sont pas stimulants pour ce public-là
  • Une trop grande brutalité dans le changement de ligne intervenu à l’arrivée d’Aviel Cahn, accentuée par la Pandémie, qui a cassé toute dynamique et qui a eu pour résultat de vider la salle et son public habituel sans le substituer par un nouveau public.
  • Conséquence, des difficultés endémiques à remplir la salle quelle que soit la production désormais, y compris quand elles sont légendaires comme Lady Macbeth de Mtsensk, y compris pour Parsifal dans un théâtre de grande tradition wagnérienne Et c’est désolant.

 

La saison 2023-2024

Avec une production en moins, on tire les conséquences de la situation, bien que la saison offre des titres importants, attirants, qui partout ailleurs seraient susceptibles de faire le plein et dont on espère qu’ils le feront, dans un réveil bienvenu du public genevois et alentour.
On déplorera bien sûr Ariodante en version de concert et pour une seule représentation, mais on applaudit à Don Carlos, il était temps, après une soixantaine d’années d’absence de la version originale, on applaudit aussi à Idomeneo, sans doute la meilleure offre de la saison (on verra pourquoi) et à Saint François d’Assise, survivance de la période Covid, qu’on va enfin voir : c’est un événement authentique.

Quant à Rosenkavalier mis en scène (assez sagement) par Christoph Waltz, acteur fétiche de Quentin Tarantino, c’est une importation de l’opéra des Flandres (2013) sous le règne d’Aviel Cahn, dont on verra s’il a supporté aussi bien le voyage et les traces du temps que Lady Macbeth de Mtsensk à peu de choses près contemporain.
La création d’Hèctor Parra Justice, mise en scène par Milo Rau, s’annonce évidemment passionnante à cause des protagonistes (Hèctor Parra, Milo Rau, et l’excellent Titus Engel en fosse).

Enfin, Maria de Buenos Aires est une excellente idée pour faire entrer un vent de tango dans le Grand Théâtre, et offrir une diversion, divertissement, un ailleurs surprenant et donc bienvenu.
La saison se terminera par le troisième opéra de la trilogie des Reines de Donizetti, dont on connaît désormais le principe, si l’on applaudit au retour du chef Stefano Montanari, le reste n’a pas convaincu, mais l’intéressant sera de revoir les trois opéras d’affilée, une expérience unique en Europe.

Du beau, du bon, du moins bon, c’est une saison quand même plus ouverte et moins « difficile » que la précédente. Le public retournera-t-il place de Neuve ? C’est un vrai test et on l’espère parce que malgré tout, la politique qui y est menée le mérite..

Septembre 2023
Giuseppe Verdi, Don Carlos
6 repr. Du 15 au 26 septembre 2023 (Dir : Marc Minkowski/MeS : Lydia Steier)
Avec Dmitry Ulyanov, Eve-Maud Hubeaux, Stéphane Degout, Charles Castronovo/Leonardo Capalbo (28/09), Rachel Willis-Sørensen, Liang Li etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Nouvelle production

Soyons clairs et définitifs : un Don Carlos ne se manque jamais, la version originale est trop rare pour la rater, avec des raffinements inouïs parce qu’elle est à tous niveaux plus réussie que sa traduction italienne, dans toutes les versions. La distribution est largement défendable, avec les phares que constituent Stéphane Degout dans Rodrigue et Eve-Maud Hubeaux dans Eboli et le reste de la distribution de très bon niveau.
Pour le reste, hélas, cascade de regrets et d’erreurs.
D’abord si on choisit la version originale c’est pour faire entendre les musiques inconnues et non pas faire de la dentelle de type ça oui, ça non…La version originale, même à Paris a été très peu représentée et son péché capital est d’avoir toujours été considérée comme trop longue. Alors, jusqu’à la version en 4 actes de 1884, ce ne sont que ça oui, ça non dans chaque théâtre où elle est créée, avec des versions adaptées aux nécessités du lieu et des coupures, toujours des coupures et encore des coupures. Mais notons qu’aussi bien la version en quatre actes de Milan (1884) que celle de Modène en cinq actes (1886) sont non des versions italiennes, mais des traductions en italien de la version française, dont le livret est l’un des plus beaux de toute la production verdienne.
Aussi bien la version originale créée en 1867 à Paris est-elle aussi un produit de coupures diverses de répétitions à cause des exigences du directeur Léon Escudier, des capacités des chanteurs (d’autant que Verdi n’était pas satisfait de son plateau) et des coupures de dernière minute à cause de la longueur de l’œuvre . Même Verdi a joué, par nécessité plus que par désir à ça oui, ça non.

Le seul théâtre qui ait eu le courage de donner toutes les musiques en français est le Regio de Turin en 1991, sous la direction du chef Gustav Kuhn.
Abbado de son côté en 1977 à la Scala a donné toutes les musiques (y compris celles coupées à la première de 1867) sauf le ballet, et en italien (à l’époque aucun chanteur ne voulait apprendre la version originale en Français). C’est musicalement sublime, cherchez en les vidéos (avec le cast B, soit Margaret Price et Placido Domingo) qui existent…
Aussi bien à Bâle (Bieito 2007) qu’à Barcelone et Vienne (Peter Konwitschny), on s’en est tiré pour le ballet par des solutions habiles et séduisantes.
Alors, au lieu d’avoir le courage et l’intelligence de proposer une version complète de l’opéra, la Genève francophone joue au ça oui, ça non, comme au temps de Verdi, alors que le Grand Théâtre avait une occasion d’afficher un Don Carlos unique et jamais joué depuis trente ans, jamais joué ailleurs qu’à Turin, et même pas à Paris aussi bien à l’Opéra en 2017 qu’au Châtelet en 1996 et pour ainsi dire jamais joué depuis la création.
Ainsi le fameux Lacrimosa (le duo et chœur qui suit la mort de Posa), peut être le moment le plus émouvant et le plus beau de la partition qu’Abbado proposa dans sa version de 1977 et qui fut un considérable événement ne soit pas présenté à Genève au motif (vaseux) que « Verdi ne l’a jamais réinséré après l’avoir coupé »  est ridicule. Il paraît qu’en outre le public ne viendrait pas pour un opéra trop long (il n’est pas venu pour Parsifal cette année). Si Verdi ne l’a jamais réinséré, c’est que tous les théâtres voulaient couper ça oui, ça non et que Paris ne l’a jamais repris. Mais Verdi en a gardé la musique, sublime, pour la réutiliser dans rien moins que son Requiem en 1874, excusez du peu. Quant au public qui ne viendrait pas pour Don Carlos, parce que c’est trop long, on l’a vu aussi ne pas venir pour bien plus court, alors, puisque le pire n’est pas toujours sûr, il fallait oser.
En réalité, quel théâtre, une fois, aura le courage, l’intelligence de proposer au moins la version des répétitions sans coupures, voire sans ballet (il n’y a plus de Jockey club et le Carré d’or de Genève n’entretient pas de danseuses) que Verdi a été forcé d’écrire à cause de la loi de l’Opéra de Paris d’alors : pas d’opéra sans ballet…
Ce ne sera pas Genève…
Dernière remarque, avec Marc Minkowski en fosse, on aura peut-être un spécialiste du Grand Opéra à la française (La Juive), mais sûrement pas le chef raffiné et subtil dont Verdi a besoin dans cette œuvre, quant à Lydia Steier, elle écume en ce moment les théâtres, parce qu’elle est à la mode, avec sa capacité à rendre l’or en plomb, l’eau cristalline en eau trouble, et faire rentrer à toutes forces ses idées (à la mode bien sûr)  dans un livret qui n’en demande pas tant et sa mise en scène devrait comme d’habitude nous faire souffrir… Donc une équipe de production pour mon goût à côté de la plaque. Mais les miracles étant toujours possibles il faut leur laisser une chance de nous surprendre …
Mais on ira, parce que même tronqué et taillé à la serpe de plomb, et mis en scène à coups de massue, Don Carlos dans sa version originale reste une splendeur.

 

Octobre 2023
Haendel, Ariodante
5 octobre 2023 — 19h (Dir : William Christie/MeES : Nicolas Briançon)
Lea Desandre, Ana María Labin, Ana Vieira Leite, Hugh Cutting, Krešimir Špicer, Moritz Kallenberg, Renato Dolcini
Orchestre des Arts Florissants
Coproduction avec la Philharmonie de Paris et l’Opéra de Dijon.
Le répertoire baroque est proposé de manière contrastée à Genève :
Atys, Il ritorno d’Ulisse in patria, Les Indes galantes ont fait l’objet de productions, d’autres de productions semi-scéniques ou très allégées, comme L’Orfeo et L’Incoronazione di Poppea par le Budapest Festival Orchestra et Ivan Fischer. On aurait aimé qu’Ariodante, l’une des œuvres en vogue ces dernières années fasse l’objet d’une production, mais sans doute les temps sont-ils durs, et le public n’aura droit qu’à une soirée avec une belle distribution dominée par Lea Desandre et surtout en fosse Les Arts Florissants, la formation historique qui a tant compté pour la diffusion du baroque en France et son chef William Christie. À quand un Haendel scénique, alors que de belles productions (Claus Guth) fleurissent ?

 

Octobre-novembre 2023
Ástor Piazzolla,
Maria de Buenos Aires
7 repr. du 27 oct au 6 nov. (Dir : Facundo Agudin/MeS : Daniele Finzi Pasca)
Raquel Camarinha, Inés Cuello, Melissa Vettore & Beatrix Sayard
Acrobates et acteurs de la Compagnia Finzi Pasca
Cercle Bach de Genève et Chœur de la Haute école de musique de Genève
Orchestre de la Haute école de musique de Genève complété par des solistes du tango

Un vrai pas de côté, inhabituel et assez malin. L’opéra tango d’Ástor Piazzolla, créé en 1968, a fini par connaître une diffusion internationale à partir des années 1990 et surtout depuis les années 2000 où il a été représenté un peu partout dans le monde. Voilà l’œuvre à Genève confiée pour la scène à la compagnie Finzi Pasca (de Lugano) à qui l’on doit le très bon Einstein on the Beach qui avait ouvert l’ère Aviel Cahn et  pour la musique à un orchestre de jeunes et au chef Facundo Agundin, argentin établi en Suisse et fondateur de l’orchestre Symphonique du Jura. Voilà un projet helvéto-argentin, séduisant dans son propos,  qui serait susceptible d’attirer un public différent au Grand Théâtre, en espérant que la palette de tarifs soit adéquate…

 

Décembre 2023
Richard Strauss, Der Rosenkavalier

7 repr. du 13 au 26 décembre (Dir : Jonathan Nott/MeS : Christoph Waltz)
Avec Maria Bengtsson, Michèle Losier, Matthew Rose, Bo Skovhus, Melissa Petit, Thomas Blondelle, Ezgi Kotlu etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Nouvelle production, d’après la production créée à l’Opera Ballet Vlaanderen en 2013

Pour la période des fêtes, un opéra festif et assez populaire, qui revient à l’affiche genevoise après une dizaine d’années, dans une production qui avait été considérée comme un « coup » en 2013, tant l’appel à l’acteur autrichien Christoph Waltz, icône « tarantinesque » prix d’interprétation à Cannes et doublement oscarisé avait frappé.
Sans doute Christoph Waltz va-t-il venir régler de nouveau sa mise en scène, mais à l’époque, c’était la sobriété de son travail qui avait frappé et même déçu certains. On retrouvera la maréchale d’origine, Maria Bengstsson, une mozartienne bon teint, et Michèle Losier en Chevalier, une chanteuse de qualité. La jeune Melissa Petit se lance dans Sophie, elle avait séduit à Salzbourg dans Bellezza aux côtés de Bartoli dans Il Trionfo del tempo e del Disinganno de Haendel. Ochs sera Matthew Rose, une basse solide, étrangement homonyme du Ochs qui a marqué les vingt dernières années, Peter Rose, et en Faninal, Bo Skovhus, grand interprète lyrique qu’on n’attendait pas dans ce rôle. En fosse, Jonathan Nott dont on attend plus de couleur straussienne que dans son Elektra.

 

Janvier 2024
Hèctor Parra, Justice
4 repr. du 22 au 29 janvier 2024 (Dir : Titus Engel/MeS :Milo Rau)
Avec Katarina Bradić, Willard White, Peter Tantsits, Simon Shibambu Idunnu Münch etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
avec la participation de Kojack Kossakamvwe
Création mondiale

Une création mondiale, et quatre représentations : la voilure est réduite (quand on connaît ses saints, on les adore…) pour un projet qui devrait pourtant être passionnant. D’abord Hèctor Parra (1978) est l’un des compositeurs les plus intéressants de la génération actuelle dont l’Opéra Les Bienveillantes d’après le roman de Jonathan Littell avait profondément marqué lors de la création en 2019 à Anvers (gestion Aviel Cahn) dans la mise en scène de Calixto Bieito. Il arrive à Genève avec un autre projet, scénarisé et mise en scène par Milo Rau, l’un des phares de la mise en scène contemporaine, avec un livret écrit par l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila. Il évoque un accident en République Démocratique du Congo entre un Bus et un camion plein d’acide appartenant à une multinationale suisse, causant plus de vingt morts avec ses conséquences sur la vie locale et les conflits d’intérêt nés de l’exploitation de ce continent par les multinationales. En fosse, Titus Engel, le talentueux chef qui avait dirigé Einstein on the Beach à Genève, mais aussi Le Château de Barbe Bleue à Lyon ou Giuditta de Léhar à Munich et sur scène un beau plateau avec notamment le ténor Peter Tantits, la basse légendaire Willard White. À ne pas manquer.

Wolfgang Amadeus Mozart
Idomeneo, re di Creta
6 repr. du 21 février au 2 mars (Dir : Leonardo Garcia Alercón/MeS Sidi Larbi Cherkaoui)
Avec Stanislas de Barbeyrac, Lea Desandre, Federica Lombardi, Giulia Semenzato etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre composé de l’ensemble Cappella Mediterranea et de L’Orchestre de Chambre de Genève
Avec des danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre et d’Eastman

Très belle distribution dominée par Stanislas de Barbeyrac et une belle lignée de chanteuses de talent, et en fosse Leonardo Garcia Alarcón à la tête des forces conjointes de la Cappella Mediterranea et de l’Orchestre de Chambre de Genève dans un répertoire (Mozart) où on l’entend moins souvent. Autant d’arguments passionnants auxquels s’ajoute la mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui, qui mêlera chorégraphie et opéra. Pour avoir vu de lui de merveilleuses Indes Galantes à Munich, et aussi ses chorégraphies de Rheingold dans le Ring de Guy Cassiers à la Scala et Berlin, on ne peut que saluer un projet qui est sans doute le plus complet et probablement le plus abouti de la saison.

Nouvelle production en coproduction avec le Dutch National Opera Amsterdam et les Théâtres de la ville de Luxembourg

 

Avril 2024
Olivier Messiaen

Saint François d’Assise
4 repr. du 11 au 18 avril 2024 (Dir : Jonathan Nott/MeS: Adel Abdessemed)
Avec Robin Adams, Claire de Sévigné, Aleš Briscein, Kartal Karagedik, Jason Bridges
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Le Motet de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Création au Grand Théâtre de Genève
Nouvelle production

Voilà un autre projet passionnant, qui a été retardé par le Covid. La production était prévue en 2020, lors de la première saison d’Aviel Cahn à Genève (2019-2020) et a été annulée pour cause de pandémie.
On attendait donc avec impatience la reprogrammation en soulignant quel effort représente pour un théâtre la production de cette œuvre géante, à l’orchestre énorme, qui est l’un des phares de la musique du XXe  (créée en 1983 à l’Opéra de Paris) et qui a bénéficié quelquefois de grandes mises en scènes, comme celle de Peter Sellars à Salzbourg et Paris.
Cette fois-ci, la production est confiée au plasticien Adel Abdemessed, aux installations très fortes, qui interrogent notre monde. Le message franciscain  est aujourd’hui plus que jamais vivant, vivace dans un monde où il ne fait pas bon être pauvre et où la violence et l’individualisme dominent. Nous écrivions en 2019 en présentant la saison à propos de cette production : « La confier à Adel Abdemessed, originaire d’Algérie, musulman, prend aussi un sens dans une œuvre qui retrace la vie du plus subversif des saints, dans une société d’aujourd’hui traversée par la violence religieuse, par l’égoïsme, par le triomphe de l’argent et dans une ville dont on connaît la relation au grand capital. Aviel Cahn fait ainsi le lit de ce qui pourrait être un grand choc esthétique et intellectuel. C’est sain, c’est intelligent, c’est inattendu. »
En fosse, Jonathan Nott, déjà prévu en 2020, et sur le plateau, à la place de Kyle Ketelsen prévu à l’origine, c’est Robin Adams, beau baryton lyrique qui reprend le rôle créé jadis par José van Dam, fort bien entouré par Claire de Sévigné, Aleš Briscein, Kartal Karagedik (qu’on vient de voir à Genève dans Le voyage vers l’Espoir), Jason Bridges…
Qu’une pareille œuvre soit montée à Genève est un grand événement : il ne faut pas manquer ce rendez-vous là.

 


Mai-Juin 2024
Gaetano Donizetti
, Roberto Devereux
6 repr. du 31 mai au 30 juin 2024 (Dir : Stefano Montanari./MeS : Mariame Clément)
Avec Stéphanie d’Oustrac/Aya Wakizono, Elsa Dreisig/Ekaterina Bakanova, Edgardo Rocha/ Mert Süngü, Nicola Alaimo, Luca Bernard etc…
Première fois au Grand Théâtre de Genève
Nouvelle production
3e épisode de la « Trilogie Tudor » de Donizetti
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

Des trois opéras « Tudor » de Donizetti, Roberto Devereux n’est pas le plus représenté, et il est étroitement lié dans les dernières décennies à la légendaire Edita Gruberova, la dernière à l’avoir défendu après Leyla Gencer, l’autre légende . C’est dire le défi…
On a écrit plusieurs fois nos doutes sur cette distribution dans les autres œuvres, nos doutes sur la mise en scène aussi. Néanmoins la présence de Nicola Alaimo est rassurante, c’est l’un des plus grands barytons-basses italiens et il ne faut jamais le manquer, et il y a une distribution alternative, qui peut exciter notre curiosité, Ekaterina Bakanova/Aya Wakizono/ Mert Süngü  (les 2 et 6 juin) qui pourraient réserver d’agréables surprises. Il reste enfin que la présence en fosse de Stefano Montanari est une garantie et que l’œuvre est si peu connue et suffisamment rare pour qu’on prenne le chemin du Grand Théâtre.

En version « trilogie » :
C’est une trilogie thématique, mais avec trois librettistes différents, elle n’est trilogie que pour les programmateurs affûtés…
On réentendra avec grand plaisir Alex Esposito dans Anna Bolena, un vrai styliste.. pour le reste…

Cycle 1
Dir : Stefano Montanari/MeS : Mariame Clément
Chœur du Grand Théâtre de Genève

Orchestre de la Suisse Romande

18 juin 2024
Anna Bolena
Avec : Alex Esposito, Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Lena Belkina

 

20 juin 2024
Maria Stuarda
Avec : Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Nicola Ulivieri, Simone del Savio, Ena Pongrac
Coproduction avec l’Opéra Royal du Danemark, Copenhague

23 juin 2024
Roberto Devereux
Avec : Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Nicola Alaimo, Luca Bernard , Ena Pongrac, William Meinert

Cycle 2
Dir : Stefano Montanari MeS : Mariame Clément
Chœur du Grand Théâtre de Genève

Orchestre de la Suisse Romande

26 juin 2024
Anna Bolena
Avec : Alex Esposito, Ekaterina Bakanova, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Lena Belkina
28 juin 2024
Maria Stuarda
Avec : Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Nicola Ulivieri, Simone del Savio, Ena Pongrac
Coproduction avec l’Opéra Royal du Danemark, Copenhague

30 juin 2024
Roberto Devereux
Avec : Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Nicola Alaimo, Luca Bernard , Ena Pongrac, William Meinert

 

Récitals

C’est toujours un vrai défi que d’afficher des récitals dans un Opéra aujourd’hui, une pratique de plus en plus abandonnée, faute de public, faute de formation des chanteurs sur ce type de répertoire, on ne va donc pas se plaindre que Genève affiche une saison de récitals, où l’on trouve des noms qui pourraient par ailleurs donner de la couleur à certaines distributions locales. Les invités sont une image de la diversité de l’art lyrique, du Lied allemand au ténor populaire. Et si le public de Genève avait un sou de curiosité, il pourrait y trouver un joli parcours

Septembre 2023
Mercredi 20 septembre
Laurence Brownlee – Levy Segkapane / Giulio Zappa, Piano
Opération « ténors rossiniens » avec deux des voix qui comptent aujourd’hui, Laurence Brownlee qu’on ne présente plus, une des voix les plus sûres et les plus stylées pour Rossini et la nouvelle génération avec le jeune sud-africain Levy Segkapane, ténor aux aigus stratosphériques, au phrasé impeccable qui semble bien prendre le chemin de la gloire s’il est prudent. En tous cas, on ne peut guère faire mieux dans le genre. Ceux qui aiment les (bons) ténors et le bel canto romantique doivent cocher sans faute le mercredi 20 septembre.

Octobre 2023
Dimanche 15 Octobre
Matthias Goerne / Alexander Schmalcz piano
Une soirée sans doute traditionnelle dédiée au Lied Allemand, par l’un des plus grands spécialistes du genre, sans doute même plus singulier que dans ses apparitions à l’opéra. Il est avec Christian Gerhaher l’un des derniers à pouvoir défendre cet univers ; c’est pourquoi il ne faut pas le manquer, d’autant qu’est programmé « La belle Meunière/Die Schöne Müllerin » de Schubert, un sommet de la musique.

Décembre 2023
Dimanche 31 Décembre
Concert du Nouvel an
Simon Keenlyside
Orchestre Camerata Genève, dir. David Greishammer
On n’imagine pas a priori dans le répertoire de Broadway Simon Keenlyside, l’un des grands barytons de ce temps qui fut à Genève un merveilleux, inoubliable Pelléas, mais c’est le caractère très ductile des chanteurs anglo-saxons qu’on retrouve ici, pour un concert avec orchestre où les grands tubes de Gershwin, Cole Porter, Oscar Hammerstein etc…  vont nous rappeler que le Musical fut l’un de grands genres lyriques du XXe, à ne jamais dédaigner.

Mars 2024
Vendredi 1er Mars
Sandrine Piau / David Kadouch, piano
Une des voix les plus intéressantes de l’école de chant française, qui excelle dans plusieurs répertoires, le baroque certes, mais aussi Mozart, mais aussi la mélodie française. Son récital avec David Kadouch s’intitule « Voyage intime », et part d’Allemagne (Schumann, Schubert, Liszt) pour traverser le Rhin (Duparc et Debussy). Sandrine Piau est une chanteuse « à tête »,  dont le chant est toujours pensé et intelligent. On ne rate pas une telle soirée.

Mai 2024
Samedi 25 Mai
Roberto Alagna/Alexandra Kurzak
Pour la première fois Roberto Alagna vient au Grand Théâtre, accompagné de son épouse pour une soirée qu’on imagine opératiquissime et généreuse, autour de grands airs et duos des répertoires italiens et français.
Imagine-t-on le couple chanter autour d’un piano ? Pourquoi pas ? Mais une première à Genève mériterait un orchestre. On ne sait ce qui bout dans la marmite parce que le programme n’en dit rien.

Nous ne traiterons pas du ballet, dont nous savons à l’avance le succès probable, et nous fermons ici cette porte ouverte sur la saison prochaine de Genève, qui s’annonce prometteuse, avec des œuvres lourdes mais toutes séduisantes et dont la couleur est moins grise ou sombre que 2022-2023.
Il y a de la variété, et de quoi exciter les curiosités, sans bouder son plaisir; et même si je ne réussis pas à digérer les choix sur Don Carlos la saison ne manque ni de séduction, ni d’ouverture, ni d’idées ; espérons que le public reprendra nombreux  le chemin de la Place de Neuve.

 

 

 

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Le Grand Théâtre de Genève

Introduction
Un peu comme celle de Bogdan Roščić à Vienne, l’arrivée d’Aviel Cahn à Genève a été bousculée par le Covid et c’est seulement pendant la saison 2021-2022 qui se termine qu’on a pu observer l’articulation de son projet pour Genève, et la saison prochaine confirment ces intuitions.
La construction d’une saison est une alchimie, et on doit donc se garder de conclure hâtivement car si c’est sa quatrième saison effective, ce sera sa deuxième complète.
On doit se garder de conclure, encore plus dans un théâtre de système Stagione au nombre de productions limitées où chaque choix pèse plus lourd. Enfin, même si Aviel Cahn a été appelé un peu pour « casser la baraque », il ne pouvait simplement transposer sur les rives du Léman ce qu’il avait réalisé en Flandres.
Les conséquences de la pandémie sont lourdes pour toutes les salles : tous constatent dans la plupart des opéras la difficulté à retrouver les publics d’avant-pandémie ; d’autres habitudes ont été prises, d’autres peurs sont nées, la reprise est fragile, à Genève comme ailleurs et la couleur des saisons, pour la plupart prudentes, s’en ressent.

 

Le Grand Théâtre dans le paysage lyrique européen

La place de Genève est un peu singulière, son théâtre a été voulu par ses habitants sur le modèle du Palais Garnier, avec une capacité un peu surdimensionnée aujourd’hui (1500 places) mais  avec la garantie aujourd’hui d’un public notamment alimenté par les institutions internationales nombreuses sises sur les bords du Léman et un bassin d’habitants à cheval sur la Suisse et sur la France (la Haute Savoie), même si le public français, certes présent, est moins nombreux qu’on ne le pense.

En tant que théâtre d’une ville internationale, il est comparable à La Monnaie de Bruxelles, avec une jauge en spectateurs supérieure (Bruxelles a une jauge de 1150 spectateurs), mais un bassin d’habitants inférieur. Le nombre de productions lyriques est comparable, même si le nombre de représentations par production est supérieur à Bruxelles (salle plus petite, plus de spectateurs potentiels). Du point de vue de la couleur des productions, Bruxelles cherche à rester depuis le temps de Gerard Mortier (années 1980 quand même…) un fer de lance de l’innovation scénique, ce que n’est pas Genève à l’histoire différente.
En termes de comparaison, il peut être aussi mis sur le même plan qu’un Théâtre comme le Teatro Real de Madrid à la jauge légèrement supérieure,  mais au nombre de productions comparables, avec comme Bruxelles, un nombre de représentations supérieur (la population madrilène est nettement plus importante que Genève). En termes productifs, Madrid cherche à rester à l’équilibre entre tradition et innovation, le public espagnol reste assez conservateur et très attaché au répertoire traditionnel notamment italien. Il reste qu’au Teatro Real est passé aussi Gerard Mortier, et que son passage a laissé quelques traces.
Genève est donc un Théâtre en équilibre fragile, qui n‘a pas vraiment de «couleur productive », quelque part entre tradition et modernité depuis
des années, bien avant la pandémie. C’était déjà vrai vers 2008 du temps de Jean-Marie Blanchard qui mena une politique de grande qualité, et assez équilibrée. Le remplissage du Grand Théâtre (1500 places) ne posait guère problème, pas plus que lors des premières années de Tobias Richter qui quant à lui mena une politique peu lisible, plus proche de la tradition des théâtres de répertoire à l’allemande (un comble dans le temple suisse de la stagione !). Pas forcément passionnante. Mais quand la salle est pleine ou à peu près, c’est forcément que ça va bien, et on ne se pose pas de questions…
Les travaux de rénovation qui durèrent quelques années motivèrent un repli dans le théâtre des Nations « éphémère », dont la capacité était de 1000 places.  Pas de problème de remplissage non plus, mais perte d’un tiers de spectateurs potentiels…
Lorsque le Grand Théâtre a rouvert, il a rouvert ses 1500 places et déjà le remplissage s’est fragilisé. Les dernières années nous ont appris que le public captif ça n’existe pas. De plus, pendant les périodes d’ouverture en temps de pandémie avec ses contrôles de pass, de masque etc… bien des spectateurs ont été découragés ou simplement craintifs. Et comme le public genevois n’est pas de toute première jeunesse, il est évidemment sensible aux questions sanitaires : toutes ces raisons cumulées expliquent largement des difficultés actuelles de reconquérir un public qui met du temps à revenir Place de Neuve.

1500 places, c’est aussi la jauge la plus importante de tous les théâtres de Suisse : Zurich en a moins de 1200, Bâle autour de 1000, mais aussi plus que de la plupart des théâtres européens. Les théâtres de très grandes capitales ont autour de 2000 places, les théâtres qui servent un bassin comparable à Genève ont autour de 1000 places. Lyon, qui sert un bassin de population plus important, a par exemple 1100 places.
Enfin, la crise du genre lyrique fait son œuvre, et si l’on pouvait remplir 1500 places à Genève, il y a quelques années, ce n’est plus aussi facile aujourd’hui. Même une salle comme Vienne, traditionnellement remplie à 99% a des difficultés. Et ne parlons pas du MET de New York…
À Genève en plus, il y a la question des tarifs, de l’écart entre les places les moins chères et les plus chères, dans une zone frontalière très mixte où tout le public n’est pas payé en Francs suisses, un Franc suisse dont le taux égale ou dépasse l’Euro .

Comme on le voit, ce sont des questions qui ne tiennent pas à la présence de tel titre, de tels chanteurs, de telles ou telles mise en scène, mais qui tiennent au contexte géographique, sociologique, historique et aussi politique : la question du théâtre est toujours plus politique qu’artistique, c’est d’abord le théâtre de la Cité.
On le voit chez la voisine lyonnaise dont l’Opéra a été une référence culturelle internationale avec un public largement plus diversifié que Genève (et à la billetterie plus de 50% moins chère) mais que la municipalité actuelle (écologiste) ne semble pas vraiment porter dans son cœur tandis que la Région de bord politique opposé, retire aussi de l’argent de manière importante pour des questions de petits jeux internes aux politiques locales. L’Opéra est bien loin.

Dans toute cette complexité, la programmation d’Aviel Cahn – au-delà de l’appréciation sur tel ou tel spectacle, fait honneur au mandat qui lui a été confié : il y a des productions qui n’ont pas bien fonctionné, mais la qualité offerte reste très largement défendable. Elle reste toutefois exploratoire pour l’instant. On commence à peine à voir des lignes de force se dessiner.
Cette programmation est plus disruptive que celle de son prédécesseur, et a sans doute suscité la circonspection, au-delà de la qualité des productions qui n’est pas en cause, d’autant que le contexte du territoire genevois n’est pas celui des Flandres, où Cahn a dirigé l’Opera-Ballet Vlaanderen.

La Flandre, depuis des années, a produit des metteurs en scène et des chorégraphes qui ont illuminé la scène flamande et européenne, et donné un prestige international inédit. À cela, il faut le répéter, le passage de Gerard Mortier à Bruxelles dans les années 1980 n’est pas étranger, bien évidemment, qui a su réveiller la créativité locale. Et la Flandre reste encore aujourd’hui pratiquement quatre décennies plus tard, un territoire de création. Une programmation telle que celle d’Aviel Cahn à Gand-Anvers atteignait un public plutôt accoutumé (ou quelquefois résigné) à ce type de productions.
Le contexte genevois n’est pas comparable, avec un public vieillissant d’un côté, où la présence d’institutions internationales donne aussi à un certain public une couleur un peu mondaine que j’appellerai « internationale-locale » rien à voir avec Gand ou Anvers.
D’ailleurs, aussi bien sous Hugues Gall que Renée Auphan, la politique visait à garantir un niveau musical globalement international et des productions disons consensuelles. Jean-Marie Blanchard a essayé de mener une politique plus avancée sur les productions, en équilibrant l’offre, tout en continuant à défendre un niveau musical qui a longtemps été la marque continue de ce théâtre. Tobias Richter n’a pas réussi à marquer fortement la mémoire artistique, malgré ses dix ans de mandat.

Enfin, Le territoire genevois n’est pas un territoire de création théâtrale, chorégraphique ou lyrique comme l’ont été les Flandres depuis les années 1990.
L’atout de Genève, c’est non pas une histoire théâtrale, mais un passé musical fort, un Grand Théâtre construit à l’imitation de Paris (on voit les ambitions), et une vie musicale riche et variée, avec plusieurs orchestres et un conservatoire de grand prestige international. Cette ville a de telles institutions musicales qu’on se demande comment un projet comme « La Cité de la musique » qui reflète une certaine identité culturelle a pu capoter.
Aviel Cahn a été appelé pour casser un train-train, pour insuffler quelque chose de neuf, et il a trouvé le Covid. La saison qui vient recase du même coup des productions prévues, qui ont quelquefois été répétées sans voir le jour. Ce qui bouscule aussi les profils de saison prévus plusieurs années à l’avance.

Il faut aussi réaffirmer qu’une saison n’est jamais une succession de triomphes où l’on affiche complet, chaque saison a des échecs quelquefois cuisants.  Mais surtout changer les habitudes du public, c’est long, cela dure plusieurs années, quelquefois plusieurs mandats. Genève doit à la fois modifier la couleur de son public, faire évoluer l’offre et garantir encore et toujours le niveau musical du théâtre qui est son ADN. Au total ça fait beaucoup dans la corbeille, cela veut dire tester, risquer, réussir (comme la récente Jenůfa) ou moins réussir, mais cela signifie aussi ne jamais faire de concessions à la qualité. Ce n’est pas une Tosca nouvelle qui fera venir le public régulièrement et remplir le théâtre, ce sera au mieux, une illusion sur un titre : c’est une qualité régulière, et un équilibre continu entre tous les critères qui doit être l’exigence.
C’est la qualité qui paie, et fait venir durablement le public, pas la multiplication des Puccini et Verdi. Et à Genève, la qualité est au rendez-vous.

La saison 2022-2023

Introduction
La saison dernière la thématique choisie était « Faites l’amour », cette année c’est « Mondes en migrations », on semble passer du rose au gris. Mais l’idée de la migration doit être reprise au sens large, migration des peuples, migration intérieure, migration symbolique etc… mais aussi voyages, errances et tous les récits qui les glorifient : Ulysse, le peuple juif, Parsifal, les migrations récentes en sont des exemples.
La thématique est élargie au ballet, où l’événement de l’année est la venue de Sidi Larbi Cherkaoui comme directeur du ballet de Genève, lui aussi un transplanté, belge d’origine marocaine, installé en Flandres qui arrive à Genève.

Le ballet
N’étant pas spécialiste du ballet, je m’abstiendrai de commenter la programmation du nouveau directeur du ballet Sidi Larbi Cherkaoui, avec qui Aviel Cahn a travaillé en Flandres. Mais je noterai plusieurs éléments :

  • En s’installant à Genève, Sidi Larbi Cherkaoui qui est l’un des grands chorégraphes belges et une référence internationale, proche d’Aviel Cahn va contribuer à donner une couleur et une cohérence à l’ensemble de la programmation de la maison
  • De plus, Sidi Larbi Cherkaoui est aussi un metteur en scène d’opéra (on lui doit par exemple une production de grand relief des Indes Galantes à Munich, bien supérieure à celle de Clément Cogitore à Paris et de Lydia Steier à Genève. Il devrait faire aussi de l’opéra à Genève, ce qui est aussi un gage d’originalité du Grand Théâtre que d’avoir dans ses murs un chorégraphe qui soit aussi metteur en scène lyrique.
  • Enfin il a visiblement voulu la saison prochaine signer une saison de ballet qui ait des liens avec la thématique du voyage, mais résolument contemporaine et personnelle, en travaillant notamment avec son complice le chorégraphe Damien Jalet, pour affirmer d’emblée un style . Il sera toujours temps de modifier et d’infléchir les choses les saisons suivantes

Cette manière de tisser le lyrique et le ballet et de ne pas en faire des mondes simplement parallèles et autonomes, c’est aussi un élément d’enrichissement de la programmation. C’est pour moi un signe fort non seulement de la saison, non seulement pour le ballet, mais pour l’ensemble de cette maison que d’accueillir un des grands chorégraphes européens, qui puisse travailler en pleine « intercompréhension » avec Aviel Cahn. Ainsi Genève ne s’affiche pas seulement une machine à produire, mais d’abord comme une machine à créer.

 

Les productions lyriques :

Aviel Cahn propose des séries, des lignes de force, ce qui est aussi un moyen de conquérir d’autres publics, et d’enrichir la compétence des spectateurs. Dans des saisons de stagione, où ce qui est produit l’année X ne sera plus repris, ou ne se reverra pas avant au minimum plusieurs années, il faut créer d’autres habitudes. Les lignes de force, les compositeurs, les artistes qu’on retrouve, les équipes réinvitées, c’est un moyen de poser des pierres miliaires, comme des bornes d’orientation, c’est le cas par exemple de la présence répétée au programme de Janáček. De même faire appel pour certaines productions aux mêmes équipes, c’est aussi créer des repères au public, « le rassurer » en quelque sorte, et contribuer aux équilibres de la saison, à condition que les équipes soient évidemment indiscutables…

2021-2022 a affiché Prokofiev, Monteverdi, Donizetti, Bizet, R.Strauss, Eötvös, Janáček, Puccini.
2022-2023 affiche Halévy, Janáček, Monteverdi, Wagner, Donizetti, Jost, Chostakovitch, Verdi.
Il est certain qu’en huit ou neuf productions on ne peut couvrir l’intégralité du répertoire, y compris sur plusieurs saisons : dans les « musts » on passe de Strauss-Puccini la saison dernière à Verdi-Wagner cette saison et cette bande des quatre ne peut mobiliser chaque année la moitié des productions. Donizetti est aussi un pilier du répertoire, mais il y a des manières différentes d’affirmer une couleur : une année séparent La Juive (1835) de Maria Stuarda (1834), et donc le répertoire romantique occupe environ un quart des choix, et si on ajoute Parsifal et Nabucco le XIXe occupe la moitié des titres, le reste se divisant entre baroque (2), XXe siècle (2) et contemporain (1). La ligne de programmation reste donc une ligne de répertoire traditionnel.
On notera enfin une palette de choix assez subtile entre titres inconnus, titres attendus, créations dans une saison assez classique, convenant a priori au public genevois, et une grande prudence en ce qui concerne le nombre de représentations (environ 6 représentations par production) : le bassin genevois n’est pas extensible.
La saison 2022-2023 apparaît donc diversifiée, avec des distributions solides des artistes qui sont très connus mais très peu de stars (cette année Herlitzius, la saison prochaine Aušriné Stundyte), il serait peut-être pertinent d’afficher un peu plus de grandes références vocales, même s’il faut les retenir bien à l’avance et pas seulement dans des récitals. L’opéra, c’est aussi ce plaisir-là, et pas seulement une plongée dans le sérieux du monde…
N’oublions pas les effets de souvenir : on se rappelle les stars passées à Genève, notamment sous Gall, comme si elles passaient chaque soir alors que sous Gall il fallait aussi jouer sur des équilibres.  Quant aux chefs, ils sont globalement de bon niveau – que je les apprécie ou non- et la nouvelle génération de chefs est suffisamment riche pour permettre à Genève d’être une sorte de rampe de lancement pour des figures nouvelles, à condition qu’on les repère. Cette fonction exploratoire dont je parlais plus haut s’applique aussi au choix des chefs, ce qui est peut-être le plus délicat.

Septembre 2022
Jacques Fromental Halévy
La Juive
(6 repr. du 15 au 28 sept )(Dir :Marc Minkowski /MeS : David Alden)
Avec Ruzan Mantashyan, John Osborn, Ioan Hotea, Elena Tsallagova, Dmitry Ulyanov
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande
Retour de La Juive, pas représentée au Grand Théâtre depuis 1927. Un des musts du XIXe et du début du XXe siècle dans tous les opéras francophones, indirectement célébrée par Proust (Rachel quand du Seigneur). Un retour que Paris a accueilli une fois en 2007, que Lyon a accueilli en 2016. Un Grand-Opéra légendaire, une histoire de tolérance et d’humanité, un énorme succès jusqu’aux années 1920 et une disparition à partir des années 1930, au moment de la montée du nazisme. Hasard ?
John Osborn qui fut un Leopold exceptionnel, chante cette fois Eleazar, et c’est un événement que cette prise de rôle. Ruzan Mantashyan entendue à Genève l’an dernier dans Guerre et Paix sera Rachel et Leopold est confié à Ioan Hotea, un jeune ténor roumain très prometteur, vainqueur du concours Operalia, à l’impeccable phrasé et aux aigus assurés (et nécessaires dans ce rôle). La vibrante Elena Tsallagova sera La princesse Eudoxie, tandis que Dmitry Ulyanov, grande basse devant l’éternel, sera le Cardinal de Brogni. Très belle distribution.
Mise en scène sans doute efficace sinon inventive de David Alden, spécialisé dans ce type de répertoire et surtout pas de risque d’écheveler ni de heurter le public en ce début de saison.
Marc Minkowski dirige ce Grand-Opéra, qui s’en est aussi fait une spécialité (rappelons ses Huguenots), j’aimerais un chef plus raffiné pour une musique qui est plus élégante qu’on ne le croit souvent. Mais on ne peut pas tout avoir. Et Minkowski est un nom qui peut attirer du public.
Ce devrait être de toute manière un beau début de saison et l’occasion de découvrir une œuvre injustement négligée depuis presque un siècle, qui grâce au livret de Scribe, dit des choses fortes sur notre humanité.

L’éclair
(18 septembre 2022 ) Dir : Guillaume Tourniaire.
Avec Éléonore Pancrazi, Claire de Sévigné, Edgardo Rocha, Julien Dran
Orchestre de Chambre de Genève

En prolongement de La Juive, Le GTG propose cet opéra-comique de Halévy, créé la même année (1835) en version de concert. L’idée est séduisante pour faire mieux connaître le compositeur, qui reste pour beaucoup un inconnu, à travers une œuvre qui eut son succès au XIXe.
L’histoire est celle d’un anglais et d’un américain amoureux de deux sœurs, mais l’un des deux hommes devient momentanément aveugle suite à la foudre (« l’éclair »), ce qui complique les choses.
L’Orchestre de Chambre de Genève entame une collaboration avec le Grand Théâtre qu’on espère voir se développer et Guillaume Tourniaire est un chef de très bonne facture.

 

Octobre-novembre 2022
Leoš Janáček
Katia Kabanova
(6 repr. du 21 oct. au 1er nov. 2022)(Dir : Tomáš Netopil /MeS : Tatjana Gürbaca)
Avec Corinne Winters, Aleš Briscein, Elena Zhidkova, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Après la Jenůfa triomphale, et à peine six mois plus tard (toujours en 2022), Aviel Cahn repasse le plat Janáček avec de nouveau une mise en scène de Tatjana Gürbaca et Corinne Winters en héroïne. Quand on aime on ne compte pas. Mais on remarque d’autres noms excellents dans la distribution à commencer par la remarquable Elena Zhidkova qui sera Kabanicha, la belle-mère, et une brochette de remarquables chanteurs, Aleš Briscein, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness. Direction de Tomáš Netopil à prévoir correcte parce que c’est un bon chef, mais sans doute pas aussi imaginatif que Tomáš Hanus qui est l’un des artisans essentiels du triomphe de Jenůfa. Espérons que le succès de Jenůfa attire la curiosité du public pour ce troisième Janáček de l’ère Aviel Cahn  et que le spectacle ait le même accueil.

Novembre 2022
Claudio Monteverdi et contemporains
Combattimento – Les amours impossibles
( 2 repr. les 6 et 7 nov. 2022.)(Dir : Christina Pluhar/Chorégraphie : Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustinjen)
Avec Rolando Villazon, Céline Scheen, Giuseppina Bridelli, Valer Sabadus, Krystian Adam…

Aviel Cahn propose à l’instar des années précédentes avec les tournées du Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer (Orfeo et Incoronazione di Poppea) au succès modéré. Cette fois, il appelle Rolando Villazon, le ténor bien connu qui s’est reconverti dans la répertoire baroque, et qui travaille avec la cheffe Christina Pluhar. Un « spectacle musical » et chorégraphique complété par des vidéos avec des chanteurs de très bon niveau, au-delà de Villazon… Mais soyons clairs, c’est un moyen d’afficher un titre supplémentaire à peu de frais, avec en plus une ex-star du firmament lyrique qui excitera la curiosité… Coup de dés sans grand risque.

Gaetano Donizetti
Maria Stuarda
(6 repr. du 17 au 29 déc. 2022 )(Dir : Stefano Montanari/MeS : Mariame Clément)
Avec Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Gianluca Buratto, Simone del Savio
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Aviel Cahn a installé à Genève, nous l’avons dit, des sortes de séries, des rendez-vous avec des artistes qui reviennent, manière éventuelle de fidéliser le public. Après Anna Bolena, Maria Stuarda avec la même équipe. Je n’ai pas aimé le travail de Mariame Clément dans Anna Bolena, j’ai eu quelques doutes sur le cast, et j’ai applaudi à la direction de Stefano Montanari, une véritable chance pour le GTG dans ce répertoire qui vient d’éblouir Munich dans une reprise d’Agrippina de Haendel, et nul doute qu’il animera l’entreprise (c’est à dire en sera l’âme). On retrouve Elsa Dreisig (qui reviendra, auréolée de ses triomphes berlinois dans Fiordiligi et de sa Salomé très attendue d’Aix) qui sera non Maria Stuarda mais Elisabetta (c’est la surprise du chef) tandis que Stéphanie d’Oustrac sera la reine d’Êcosse. Wait and see. Les rôles masculins seront tenus par de solides chanteurs.
C’est à la fois excitant, et en même temps je crains la déception… c’est la glorieuse incertitude de l’opéra.

Janvier-février 2023
Richard Wagner
Parsifal

(6 repr. du 25 janv. au 5 févr. )(Dir : Jonathan Nott/MeS :  Michael Thalheimer)
Avec Daniel Johansson, Christopher Maltman, Tareq Nazmi, Tanja Ariane Baumgartner, Martin Gantner
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

On se souvient que ce Parsifal a été victime du Covid, récupéré partiellement en forme de concert. Le voilà de nouveau programmé, pour le plus grand bonheur des nombreux wagnériens de Genève. L’histoire du Grand Théâtre est jalonnée de succès wagnériens notables. Certes, toutes les saisons ne peuvent afficher Wagner, mais c’est la première production wagnérienne d’Aviel Cahn et à ce titre, elle mérite une grande attention.
Si la direction est assurée par Jonathan Nott, le directeur musical de l’OSR, la mise en scène est confiée à un artiste très connu en Allemagne, mais pratiquement inconnu en aire francophone : Michael Thalheimer.  Il ne faut pas attendre une lecture qui bousculera le public genevois, mais Thalheimer est un metteur en scène de théâtre solide, où il est plus connu qu’à l’opéra (j’avais vu de lui Les Troyens , une production très épurée à Hambourg). C’est une sorte d’ascète de la scène : Parsifal devrait lui convenir.
Je ne suis pas convaincu par le choix de confier Parsifal à Daniel Johansson, chanteur très honnête, mais qui n’a jamais transfiguré les rôles où je l’ai entendu. Bien plus excitant la prise de rôle en Amfortas de Christopher Maltman, un des barytons les plus intéressants du jour, et un acteur exceptionnel dans les rôles de personnages torturés. Kundry sera Tanja Ariane Baumgartner, qu’on a vue en Clytemnestre cette saison, et qui est une véritable actrice (on va attendre avec avidité son deuxième acte). Intéressant aussi le choix de confier Gurnemanz à Tareq Nazmi, une des basses les plus intéressantes du jour, qu’on a bien connu quand il était en troupe à Munich et qui commence à être invité dans des rôles de plus en plus importants. Enfin, Martin Gantner sera Klingsor, ce très bon baryton (il est un Beckmesser remarquable) devrait trouver une voix intéressante d’interprétation du personnage. Au total, c’est un Parsifal très solide par des choix de distribution originaux, sans être capable sur le papier de faire courir les foules wagnériennes d’Europe. Mais ce n’est sans doute pas le but…

Février-mars 2023
Claudio Monteverdi
Il ritorno di Ulisse in patria

( 6 repr. du 27 févr. au 7 mars )(Dir : Fabio Biondi/MeS : FC Bergman)
Avec Marc Padmore, Sara Mingardo, Jorge Navarro Colorado, Elena Zilio etc…
L’Europa Galante

On s’intéresse beaucoup en ce moment et dans pas mal de maisons à Monteverdi et notamment à Ulisse, le troisième opéra après L’Orfeo et l’Incoronazione di Poppea. Dans la vaste salle du Grand Théâtre, c’est peut-être une gageure, mais on y a vu de grandes réussites baroques.
Pour ma part, j’estime que c’est un des projets les plus convaincants, sinon le plus convaincant de la saison, aussi bien musicalement que scéniquement.  Appeler FC Bergman, le groupe flamand anarchiste et poétique, c’est à la fois audacieux et stimulant pour une œuvre difficile, dramaturgiquement moins stimulante que Poppea par exemple. Douce folie poétique sur scène, et en fosse l’un des meilleurs orchestres baroques de la baroquie européenne, et l’un des premiers ensembles italiens à s’imposer à sa fondation au moment même où c’est le Nord de l’Europe et la France qui tenaient le haut du pavé. Le sicilien Fabio Biondi, le fondateur, sera en fosse : c’est un vrai cadeau pour les genevois que cet orchestre et cette équipe de mise en scène. La distribution ne sera pas en reste : avec de grandes vedettes du chant baroque comme Mark Padmore (irremplaçable interprète des Passions de Bach) et Sara Mingardo, qui reste l’une des références de ce répertoire. Et remarquons dans la distribution Elena Zilio (Ericlea, la nourrice de Pénélope) gloire du chant italien des années 1980, qui ne fut jamais dans les grands rôles, mais irremplaçable là où elle était distribuée. Voilà une production où l’on reconnaît une vraie patte, et voilà ce qu’on aimerait voir plus souvent à Genève.

Mars-avril 2023
Christian Jost
Le voyage vers l’espoir

( 5 repr. du 28 mars au 4 avril)(Dir: Gabriel Feltz/MeS : Kornél Mundruczó)
Avec Kartal Karagedik, Rihab Chaieb, Ivan Thirion, Denzil Dehaene
Orchestre de la Suisse Romande

Encore une victime du Covid, cette production était prévue dès la première saison d’Aviel Cahn, et elle a été passée par profits et pertes à cause de la fermeture des théâtres. Bien heureusement, comme Parsifal, cette production réapparaît deux ans après. Elle traite d’un problème hélas d’une tragique actualité, la migration, à travers une famille kurde qui quitte son pays pour gagner la Suisse, un supposé paradis. L’œuvre est fondée sur le film de Xavier Koller, prix au festival de Locarno 1990, et Oscar du meilleur film étranger en 1991.
Le compositeur Christian Jost, compositeur de 9 opéras, dont un Hamlet pour la Komische Oper Berlin et un Egmont pour le Theater an der Wien. Le dixième est donc cet opéra, fondé sur l’histoire du film de Koller.
La mise en scène est confiée à Kornél Mundruczó, lui-même cinéaste, pour sa troisième mise en scène à Genève après ses deux belles productions que sont L’Affaire Makropoulos en 2020 et Sleepless en 2022. Mundruczò commence à essaimer les scènes européennes, comme Hambourg, Munich, Berlin.
C’est l’excellent chef Gabriel Feltz, GMD de Dortmund, qui dirigera, et c’est un nouveau profil pour Genève, un de ces chefs qui dirigent partout en Allemagne, mais peu à l’étranger plutôt attiré à l’opéra par le XXe siècle et le contemporain. Dans la distribution, notons Kartal Karagedic, que j’avais beaucoup apprécié en Chorèbe dans Les Troyens à Hambourg, où il est membre de la troupe.
Ce sont des ingrédients qui devraient garantir une production intéressante.

Mai 2023
Dmitry Chostakovitch
Lady Macbeth de Mzensk

(5 repr. du 30 avril au 9 mai )(Dir : Alejo Pérez/MeS : Calixto Bieito)
Avec Aušriné Stundyte, Dmitry Ulyanov, John Daszak, Ladislav Elgr, Kai Rüütel etc…
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une fois de plus Aviel Cahn propose des rendez-vous répétés avec des séries, comme nous l’avons déjà souligné, puisque la série russe est marquée par le couple Alejo Pérez, excellent chef qui a convaincu dans Guerre et Paix, et la production déjà ancienne (2014) de Calixto Bieito, venue du OperaBallet Vlaanderen qui avait saisi le public par son univers apocalyptique fait de violence et de sexe. Accueil triomphal à l’époque.
Dans le rôle-titre, la Katerina du moment, qui l’interprète sur toutes les scènes, Aušriné Stundyte, fabuleuse dans les mains de Calixto Bieito. Aucune hésitation, c’est une production phénoménale qui fit date. La revoir à Genève est une chance.

Juin 2023
Giuseppe Verdi
Nabucco

( 8 repr. du 11 au 29 juin )(Dir: Antonino Fogliani/MeS: Christiane Jatahy)
Avec Simone Alaimo, Saioa Hernandez, Riccardo Zanellato, Davide Giusti, Ena Pangrac
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une prise de rôle est un événement et quand il s’agit de Nicola Alaimo, l’un des plus grands barytons italiens, spécialiste de Rossini et de Bel Canto, qui aborde Nabucco, il faut se précipiter. Saioa Hernandez sera sans nul doute une Abigaille solide. Zanellato n’était pas en grande forme ces derniers mois, espérons qu’il se sera repris car c’est une grande basse. Et Antonino Fogliani est l’un des chefs italiens à suivre en ce moment.
Reste la mise en scène.
Elle est confiée – et c’est une excellente idée – à la brésilienne vivant en France Christiane Jatahy, l’une des artistes les plus intéressantes du théâtre aujourd’hui, qui use avec intelligence et finesse de la vidéo, et qui après un Fidelio à Rio de Janeiro, aborde de nouveau un opéra monumental s’il en est, l’un des musts de Verdi. Si la production est réussie, sa carrière sera sans doute lancée à l’opéra.
Alaimo et Jatahy, deux motifs puissants pour faire de ce Nabucco la deuxième nouvelle production totalement stimulante de la saison.

Au total, aucun des titres, aucune des productions n’est dénuée d’intérêt, soit par la rareté, soit par les choix artistiques, chacune se justifie.
Mais pour ma part, trois me rendent impatient : Il ritorno di Ulisse in patria, Lady Macbeth de Mzensk et Nabucco.

Concert du Nouvel An
Marina Viotti, Stanislas de Barbeyrac
Marc Leroy
Orchestre de chambre de Genève

Deuxième concert avec l’Orchestre de chambre de Genève dirigé par Marc Leroy pour le Nouvel An avec deux des voix les plus intéressante du panorama aujourd’hui, Marina Viotti, mezzo de plus en plus réclamée et particulièrement musicale, figlia d’arte puisque fille du chef suisse Marcello Viotti et sœur de Lorenzo Viotti. Mais si elle a un nom effectivement connu, elle s’est fait un très solide prénom.
Et puis le ténor français mozartien (et bientôt beethovénien) Stanislas de Barbeyrac, une des voix françaises les plus en vue, et les plus intéressantes.
Joli cadeau pour le Nouvel An

Récitals

Diana Damrau (24 septembre)
Bryn Terfel
(26 novembre)
Nina Stemme
(4 février)
Simon Keenlyside
(4 mars)
Anne Sofie von Otter
(16 juin) 

C’est courageux dans la période actuelle de programmer une série de récitals, un art qui peine à survivre hors du monde germanophone, même si tous les chanteurs invités sont des stars. L’art du récital est très spécifique : on a vu certains s’écrouler en récital alors qu’ils dominaient les scènes. Bien sûr, il faudra aller écouter Bryn Terfel, l’un des phares de l’opéra des vingt dernières années, les stars Damrau et Stemme, et d’authentiques spécialistes de la mélodie, Anne Sofie von Otter et Simon Keenlyside (qui se souvient de son Pelléas magique à Genève ?) savent installer un univers et une chaleur dans une salle quand ils abordent la mélodie.
Un choix équilibré, qui justifie qu’on aille à chaque concert, mais on aimerait aussi voir l’une de ces stars dans une production d’opéra… Genève le vaut bien.

STAATSOPER BERLIN 2020-2021: PRÉSENTATION DE LA SAISON LYRIQUE

 

La Staatsoper Unter den Linden

Le paysage berlinois a trois salles d’opéra ce qui est un résultat de l’histoire, bien que la ville au XXe ait toujours eu plusieurs salles d’opéra

  • La Deutsche Oper Berlin est l’ex-opéra de Berlin-Ouest, lui-même héritier du Deutsches Opernhaus, ouvert en 1912
  • La Komische Oper de Berlin, héritière du Metropol Theater créé à la même adresse en 1898, puis installé dans d’autres lieux de Berlin-Mitte, un théâtre d’opérettes et de revues.
  • La Staatsoper de Berlin, située au centre historique institutionnel de Berlin, à deux pas de la Cathédrale ou du Palais impérial. C’est l’opéra historique de Berlin, inauguré en 1742, avec dans la fosse l’orchestre symbolique de la ville, la Staatskapelle Berlin fondée quant à elle au XVIe siècle.

Ces deux derniers théâtres sont situés dans ce qui était Berlin-Est avant la chute du mur , où se trouvaient aussi les principaux théâtres et l’essentiel des Musées. Ainsi, Berlin Ouest a dû ouvrir des lieux de spectacles nouveaux, dans des quartiers qui n’étaient pas a priori des quartiers de vie nocturne.
À la chute du mur, Berlin s’est retrouvé avec trois salles d’opéra dont deux à peu près similaires, la Deutsche Oper et la Staatsoper, toutes situées sur l’axe central de la ville à plusieurs kilomètres les unes des autres, et deux principales salles de concert, la Philharmonie à l’Ouest, construite à deux pas du Mur et le Konzerthaus à l’Est, qui est la salle de concerts historique…
La Komische Oper, héritière de la très riche tradition d’opérette de la ville et d’oeuvres musicales légères, a un rôle très différent, c’est des trois le théâtre qui a la couleur la plus claire (opéra populaire, genres très diversifiés).

Bebelplatz

La fonction « historique » de la Staatsoper est aussi soulignée par sa situation, donnant sur la prestigieuse Unter den Linden et sur la Bebelplatz, l’ex Forum Fridericianum, délimité par la Staatsoper, l’Université Humboldt et la cathédrale catholique Sainte Edwige, la plus ancienne église catholique de Berlin. C’est donc une des esplanades les plus emblématiques du passé de la ville.
Cette position prestigieuse est renforcée depuis 1992, par la présence comme directeur musical de Daniel Barenboim, qui, licencié de manière brutale et humiliante par Pierre Bergé, alors tout puissant président du Conseil d’administration de l’Opéra de Paris, se trouvait être disponible. À quelque chose malheur est bon : il aurait peut-être raté Berlin alors qu’il n’aurait de toute façon pas fait très long feu à Paris, à cause des errances de la politique culturelle (si politique il y a d’ailleurs) à cause de la valse des excellences à la tête de l’Opéra et aussi à cause de sa propre personnalité, qui s’accommode mal d’une tutelle même légère.

À la Staatsoper de Berlin, les intendants passent (Georg Quander, Peter Mussbach, Ronald Adler (commissaire), Jürgen Flimm, Matthias Schultz), Barenboim reste. La ville tient plus à son directeur musical qu’à ses intendants, c’est un peu comme le Roi et ses gouvernements. L’illustration parfaite de l’adage « L’intendance suivra… ».
De fait, Daniel Barenboim, par sa puissance de feu, ses réseaux, sa capacité à mobiliser des fonds, mais aussi ses positions politiques (notamment sur la question de la Palestine et d’Israel, qui lui fait honneur) et bien sûr son génie musical est devenu le vrai successeur de Karajan à Berlin en termes de pouvoir (et Karajan ne régnait que sur Berlin-ouest…).

À ce titre aussi, au début du mois de janvier 2020, le récent concert de Kirill Petrenko avec Daniel Barenboim comme soliste était une sorte d’entrevue du Camp du Drap d’Or, au pied musical…Les deux phares musicaux berlinois, l’ancien et le nouveau, se rencontraient. C’était obligatoire.
Les longs travaux de consolidation et restauration de la Staatsoper (sept ans) ont installé à portée de corridor l’opéra, la Fondation Barenboim-Saïd et la Pierre-Boulez Saal, siège du West-Eastern Diwan orchestra.  Administration, salles de répétitions, Fondation Saïd-Barenboim sont donc géographiquement solidaires : au cœur de Berlin – le mélomane ne s’en plaindra pas, c’est Barenboim-Quarter dont la Pierre-Boulez Saal, un outil architectoniquemement extraordinaire (un « cadeau » de Frank Gehry à Barenboim), est en quelque sorte la salle de musique privée du Maître, qui y dirige, qui y joue et qui a la main sur tous les programmes en patron de la Fondation.
Barenboim, maître de maison de tout ce dispositif, dirige à l’opéra essentiellement Wagner, mais aussi un certain nombre de premières de toutes sortes : ces dernières années il a abordé un répertoire qui lui était tout à fait étranger, comme le répertoire italien, voire français (jamais on aurait imaginé l’entendre dans Les Pêcheurs de Perles de Bizet ou Medea de Cherubini) ou russe (il va revenir à Bastille dirigeant La Dame de Pique) qu’il abandonne ensuite aux Kapellmeister de la maison ou à des jeunes chefs qu’il choisit et dont il lance la carrière..

Ce système a donné des productions de référence qui ont fait de la Staatsoper de Berlin le théâtre vers lequel tous les regards se portent, avec la présence de metteurs en scène parmi les plus emblématiques du dernier XXe siècle, Chéreau (avec qui Barenboim avait prévu plusieurs productions pour Bastille quand il devait en être le directeur musical), Kupfer (long compagnonnage depuis le Ring de Bayreuth) et maintenant Dmitry Tcherniakov, qui a signé à Berlin de très nombreuses productions, de Rimsky-Korsakov à Prokofiev en passant par Wagner : on lui doit notamment un Tristan et un Parsifal qui vont entrer de plain-pied dans la légende.
Plus que d’autres, Barenboim travaille par affinités électives, c’est un homme de fidélités à des metteurs en scène, à des chanteurs : à ce titre sa production des Meistersinger von Nürnberg est un hommage à tous les chanteurs avec qui il a fidèlement travaillé dans sa carrière.
La programmation n’en est pas pour autant un concerto pour Barenboim et orchestre.  Il est bien trop prodigieusement intelligent pour éviter qu’on lui fasse de l’ombre, notamment dans une ville où il a peu de rivaux…Daniel Barenboim a toujours veillé par exemple pour les raisons expliquées plus haut à entretenir des relations excellentes avec le Philharmonique de Berlin, du temps d’Abbado bien sûr, à cause de la longue amitié qui les liait, où il y eut un Falstaff, et du temps de Simon Rattle, avec plusieurs productions notables, dont De la Maison des morts de Leoš Janáček (celle de Chéreau venue d’Aix); il devait diriger cette saison Idomeneo (annulé pour cause de virus) et ce sera la saison prochaine une Jenufa qui fera évidemment courir.
Mais on y voit aussi fréquemment Zubin Mehta, amicalement lié à Barenboim comme il l’était à Abbado.
À l’autre bout, Barenboim n’hésite pas à inviter à diriger de jeunes chefs et ainsi les lancer, ce fut naguère le cas de Omer Meir Wellber, c’est aujourd’hui  celui de Thomas Guggeis, arrivé in extremis pour remplacer Christoph von Dohnanyi dont il était l’assistant dans la production de Salomé (Hans Neuenfels) et qui dirige cinq productions cette année.
Mais on a beaucoup accusé Barenboim (78 ans cette année) de s’accrocher à son post : aux tout nouveaux Oper ! Awards 2019, il a eu le prix de la GRÖSSTES ÄRGERNIS (La plus grosse colère) pour la prolongation de son contrat jusqu’à 2027 – il aura alors 85 ans.

Son activité continue d’être débordante entre concerts, récitals de piano, opéras, mais on remarque qu’il va un peu ralentir son rythme la saison prochaine, où il va diriger deux nouvelles productions (Quartett de Francesconi et Le nozze di Figaro. Il devait cette année diriger Cosi fan Tutte, mais le coronavirus en a décidé autrement et Cosi fan Tutte, inscrit dans la saison au titre de répertoire, sera de fait une nouvelle production reportée. Proposant une nouvelle trilogie Mozart/Da Ponte mise en scène par Vincent Huguet, il était important d’afficher un titre par an – il y en aura donc deux la saison prochaine. Et on verra sans doute Don Giovanni en 21/22.
Dans les reprises, il sera au pupitre de ce Così fan tutte (une reprise, qui sera donc une première) et de Parsifal, comme presque chaque année (il ne dirige aucun des trois autres Wagner). Au total  Daniel Barenboim dirige 17 représentations ce qui est peu.
Les apparitions raréfiées cette prochaine saison annoncent-elles un début de retrait ? Quand on connaît l’énergie du personnage, cela ne laisse pas d’étonner. La saison 2019-2020, interrompue l’a vu diriger deux nouvelles productions Die Lustigen Weiber von Windsor et Samson et Dalila et il aurait dû diriger Così fan tutte à Pâques, et les reprises du Ring de Wagner en septembre 2019, et Carmen en mars. Il est nettement moins impliqué dans la saison qui vient.

Alors inévitablement se pose la question de l’après-Barenboim, qui est une question fort lourde pour une institution qu’il a dirigée depuis 1992, soit pour l’instant 28 ans en lui redonnant un lustre international qu’elle n’avait plus (même si c’était quand même un grand théâtre de tradition).
Par ailleurs, cette saison, parmi les chefs invités, on note des noms rares à Berlin (et ailleurs) à l’opéra, comme Matthias Pintscher ( Nouvelle production Lohengrin et Wozzeck de répertoire) ou rares à Berlin mais pas ailleurs comme Antonio Pappano (Nouvelle production La Fanciulla del West), tandis qu’on remarque que Marc Minkowski (Nouvelle production Mitridate Re di Ponto de Mozart et reprise d’Orfeo ed Euridice de Gluck) Simon Rattle (Nouvelle production Jenufa) et Simone Young dans trois productions (reprises) (Khovantschina, Die Frau ohne Schatten, Der Rosenkavalier) seront au pupitre berlinois cette année.
Panorama étrange et contrasté avec des choix incontestables, et d’autres plus étonnants.
Par ailleurs, se pose aussi notamment cette année une autre question : le niveau artistique est un peu en dents de scie, il y a certes des grands chefs et de belles distributions, mais bien des reprises restent d’un niveau modeste, même si on essaie de faire appel à de nouveaux chefs  ou de nouvelles voix  (Vida Miknevičiūtė dans Salomé) et donc c’est l’hétérogénéité de l’offre qui frappe, notamment quand on compare cette saison à celle de Munich, plus imaginative ou surtout à celle de Zurich, plus homogène et aux reprises plus stimulantes. C’est une année un peu en creux, mais sans doute aussi les circonstances l’ont-elles imposée.

 

Nouvelles productions :

 

 

8 Nouvelles productions (sans compter les fausses reprises de productions de 2019-2020 non créées que nous évoquerons dans la partie “Répertoire” ) dont 2 en version chambriste (un opéra pour enfant et un opéra de chambre contemporain)

Oct. 2020
Luca Francesconi, Quartett, (5 repr.), MeS : Barbara Wysoka Dir : Daniel Barenboim avec Mojka Erdmann et Thomas Oliemans
Tandis que la Bayerische Staatsoper crée Timon of Athens (voir notre présentation de la saison bavaroise), Berlin propose l’un des grands succès de Francesconi, Quartett, créé à la Scala en 2011, d’après la pièce d’Heiner Müller, tirée elle-même des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Barenboim dirige, ce qui est un signe important, deux chanteurs, l’excellent baryton Thomas Oliemans et Mojca Erdmann, qui sera aussi à l’affiche plus tard dans la saison dans un autre opéra contemporain de Jörg Widmann, Babylon (l ’opéra contemporain aime les voix suraiguës). La mise en scène est assurée par Barbara Wysocka, qui il y a quelques années avait mis en scène Lucia di Lammermoor à Munich dirigée par Kirill petrenko, qu’on vient de revoir en streaming.

Nov. 2020
W.A.Mozart, Mitridate, re di Ponto
, (5 repr.), MeS : Satoshi Myagi Dir : Marc Minkowski avec Pene Pati, Julie Fuchs, Elsa Dreisig, Jakub Józef Orliński, Anna Prohaska etc…
C’est la production phare des Barocktage 2020, dirigée par Marc Minkowski et surtout mise en scène dans l’esprit du Kabuki par l’un des plus grands metteurs en scène japonais, Satoshi Myagi, ce qui devrait être vraiment intéressant vu ses relectures des grands classiques occidentaux. Dans la distribution, rien que des chanteurs actuellement très demandés, Julie Fuchs, Elsa Dreisig, Jakub Józef Orliński, Anna Prohaska et un nouveau venu, le ténor néozélandais Pene Pati qui a fait des débuts remarqués à San Francisco (mais aussi à Bordeaux dans le rôle de Percy d’Anna Bolena en 2018 et qui devait chanter Romeo en ce dernier mois de mars), voix claire, idéale pour le bel canto.

Déc.2020/Janv. 2021
Richard Wagner, Lohengrin
, (6 repr.), MeS : Calixto Bieito Dir : Matthias Pintscher avec Roberto Alagna, Sonya Yoncheva, Martin Gantner, Ekaterina Gubanova, Adam Kutny
On se précipitera pour le couple vedette Alagna/Yoncheva. Cette production, qui succède à celle un peu irrégulière de Stefan Herheim en 2009, est confiée à Calixto Bieito qui va proposer sa vision aussitôt après avoir proposé son Ring à Paris ( plongeon dans Wagner et jonglage d’agenda en vue ). Roberto Alagna cette fois-ci devrait s’y coller, et Sonya Yoncheva  qui s’essaie à tout s’essaie aussi à Wagner. Plus classiques Martin Gantner et Ekaterina Gubanova dans les rôles des méchants. Et puis au pupitre on expérimentera Matthias Pintscher un nouveau venu à l’opéra autre que contemporain (il a dirigé à la Staatsoper Violetter Schnee de Beat Furrer et à Vienne la première mondiale d’Orlando d’Olga Neuwirth, d’après Virginia Woolf) à qui sera aussi confié Wozzeck dans la saison. Sans doute désire-t-il comme beaucoup de chefs catalogués dans un répertoire, à élargir ses interventions. Au total un Lohengrin plein de nouveautés et de risques, qui va sans nul doute exciter la curiosité.

Février 2021
Leoš Janáček, Jenufa, (6 repr.), MeS : Damiano Michieletto Dir : Simon Rattle avec Hanna Schwarz, Stuart Skelton, Ladislav Elgr, Evelyn Herlitzius, Camilla Nylund etc…
Rattle-Michieletto-Nylund-Herlitzius sont des noms qui sur une affiche ne laissent aucun fan d’opéra indifférent. Damiano Michieletto enfant terrible plus habituel dans le répertoire italien s’attaque à Janáček, Sir Simon Rattle est en général remarquable dans ce répertoire, et Nylund et Herlitzius devraient y faire merveille sans oublier la vénérable Hanna Schwarz, la Fricka du Ring de Chéreau. Voilà qui suffit pour justifier un voyage.

Mars 2021 (Feststage)
W.A.Mozart, Le nozze di Figaro,
(3 repr.), MeS : Vincent Huguet Dir : Daniel Barenboim avec Gyula Orendt, Nadine Sierra, Marianne Crebassa, Siegfried Jerusalem, Waltraud Meier, Elsa Dreisig, Riccardo Fassi, Stephan Rügamer etc…
Il faudra évidemment aller voir Cosi fan tutte et ces Nozze di Figaro, d’abord parce qu’elles marquent le goût ancien pour l’opéra mozartien du maître des lieux : rappelons qu’il enregistra très tôt (dans les années 70) Don Giovanni et Le Nozze di Figaro, un peu plus tard Così fan tutte, et que jamais il n’a marqué une distance par rapport à ce répertoire. C’est donc toujours un événement quand il retourne au pupitre pour diriger un opéra de Mozart. C’est par ailleurs aujourd’hui la mode que de proposer au même metteur en scène la trilogie Mozart/Da Ponte, une mode qui ne me convainc pas ( La trilogie Da Ponte/Mozart n’est pas le Ring) même si cela affiche un projet cohérent de confier à un univers unique les trois opéras de Mozart. Strehler de dix ans en dix ans (grosso modo) l’avait entrepris, mais si Le nozze di Figaro à Paris (1973) étaient un coup de génie, ni Don Giovanni (1987) à la Scala ni Così fan tutte (1998) au Piccolo Teatro de Milan n’avaient atteint ce degré de réussite.
C’est donc Vincent Huguet qui s’y attaque. Les précédents spectacles de Vincent Huguet ne m’ont pas vraiment convaincu. Espérons que ces Mozart casseront cette impression. La distribution faite d’une nouvelle génération d’excellents chanteurs (Gyula Orendt, Marianne Crebassa, Nadina Sierra, Elsa Dreisig etc…devrait exciter la curiosité, et encore plus la présence d’une Marcellina aussi luxueuse qu’inattendue, Waltraud Meier tout comme le Don Curzio de Siegfried Jerusalem: jamais un Don Curzio ne suscitera autant de curiosité. On fait à Berlin comme à Vienne où les gloires du passé furent souvent employées dans les tout petits rôles (je vis à Vienne Erich Kunz dans Benoit de La Bohème par ex). 

Juin 2021
Giacomo Puccini, La Fanciulla del West (7 repr.)
MeS: Lydia Steier, Dir: Antonio Pappano avec Anja Kampe, Yusif Eyvazov, Michael Volle, Graham Clark etc…
Antonio Pappano dirige très peu l’opéra en dehors de Londres, c’est d’autant plus intéressant de le voir à Berlin. Comme c’est un chef au très large répertoire, italien comme allemand, rien d’étonnant à le voir diriger Puccini, et un Puccini pas si fréquent. La production est confiée à Lydia Steier, qui là où elle passe, provoque la polémique dans le public ou la critique, et quelquefois même à la direction du théâtre (Genève). Et dans la distribution Anja Kampe, qui a déjà interprété le rôle de Minnie à Munich (voir le compte rendu dans Wanderersite.com), Michael Volle dans Jack Rance qui devrait être évidemment très attendu et Yusif Eyvazov dans Dick Johnson qui me laisse plus perplexe vu ses capacités d’acteur, et là aussi, dans les « petits rôles » une vieille connaissance, Graham Clark, qui participa y compris à Bayreuth à de nombreuses productions dirigées par Barenboim

Opéras pour enfants et opéras de chambre (dans l’ancienne salle de répétition d’orchestre)

Janv.2021
Lucia Ronchetti, Pinocchios Abenteuer, Instrumentale Komödie (Comédie instrumentale)
(à partir de 6 ans), (15 repr.) pour soprano et cinq musiciens, MeS : Swaantje Lena Kleff,  Dir : Adrian Heger avec en alternance Sophia Aristidou et Hanna Herfurtner.
Adaptation des aventures de Pinocchio pour prouver son courage, notamment en combattant des bêtes, des personnages louches, une baleine.

Avril 2021
Georg Friedrich Haas, Thomas, Kammeroper (2013)
, (8 repr.), MeS: Barbora Horáková Joly Dir: Max Renne avec les membres de l’Opéra Studio et des membres de la Staatskapelle Berlin ainsi que des artistes invités.
Un opéra de chambre sur la réaction devant la mort d’un ami : Matthias meurt à l’hôpital et Thomas, entouré de l’agitation des soignants, est laissé seul, avec ses souvenirs et son deuil. D’une effrayante actualité.

 

 

Répertoire:

 

26 reprises (dont deux ou trois « fausses » reprises de nouvelles productions qui n’ont pas eu lieu en 2019-2020)

Sept.2020
Giuseppe Verdi, Il trovatore,
(6 repr.), MeS: Philipp Stölzl, Dir: Massimo Zanetti avec Liudmyla Monastyrska, Vladislav Sulimsky, Marcelo Alvarez, Violeta Urmana, Adrian Sâmpetrean
Reprise alimentaire : septembre est musicalement très riche à Berlin et il faut proposer des titres qui attirent. Massimo Zanetti est un bon professionnel, la distribution est digne d’intérêt surtout pour Urmana en Azucena et Sulimsky, le baryton qui monte, en Luna. Alvarez est de plus en plus routinier, et Monastyrska qui est une bonne soprano dramatique d’agilité (Abigaille, Odabella), manque de ce lyrisme et de cette apparente fragilité qui font les grandes Leonora.

Otto Nicolaï, Die lustigen Weiber von Windsor, (4 repr.), MeS: David Bösch, Dir: Daniel Barenboim/Thomas Guggeis avec Michael Volle, René Pape, Pavol Breslik, Wilhelm Schwinghammer, Linard Vrielink, Mandy Fredrich, Michaela Schuster, Anna Prohaska, David Oštrek
Deux représentations dirigées par Barenboim et deux par Guggeis. La mise en scène de David Bösch assez réussie et bénéficie surtout d’une distribution splendide de chanteurs acteurs, dominée par les voix masculines, Michael Volle, René Pape, Pavol Breslik et Linard Vrielink, tous remarquables, et les voix féminines ne déméritent pas et sont très homogènes ; à voir sans aucun doute, d’autant que l’œuvre est rare, voire inexistante en France ou en Suisse.

Richard Wagner, Der fliegende Holländer, (4 repr.), MeS: Philipp Stölzl, Dir: Thomas Guggeis avec Matthias Goerne, Peter Rose, Ricarda Merbeth et Stephan Rügamer.
Thomas Guggeis est encore au pupitre, pour cette reprise de la production de Philipp Stölzl, proche par son esprit de la légendaire production d’Harry Kupfer à Bayreuth. La distribution est de bon niveau, Matthias Goerne, Peter Rose, Ricarda Merbeth et l’excellent Rügamer font partie de la crème du chant allemand.

Sept. 2020/Juin 2021
Walk the Walk
, (9 repr.)
Performance du compositeur et installateur danois Simon Steen-Andersen.

Oct. 2020
Modest Mussorgsky, Khovantchina
, (5 repr), MeS: Claus Guth, Dir: Simone Young avec Mika Kares, Sergey Skorokhodov, john Daszak, Vladislav Sulimsky, Alexey Tikhomirov, Marina Prudenskaya etc…
Voilà une reprise qui pourrait bien être une nouvelle production car on peut douter que la première ait lieu en juin 2020, au rythme où vont les choses.Une reprise (?) de 5 représentations qui devraient être prises d’assaut. Un metteur en scène qui fait toujours discuter, mais qui travaille toujours intelligemment, on aurait aimé que Vladimir Jurowski puisse diriger cette reprise, c’est quand même un des grands chefs de ce temps, et ce sera Simone Young, évidemment moins stimulante, même si bonne cheffe. Mais il y a une distribution de très haut niveau, réunissant quelques-uns des meilleurs chanteurs de la nouvelle génération, dont l’excellent Mika Kares, mais aussi Vladislav Sulimsky ou Alexey Tikhomirov. À voir évidemment !

Georges Bizet, Les pêcheurs de perles (3 repr.) MeS: Wim Wenders, Dir: Victorien Vanoosten avec Olga Peretyatko, Pavol Breslik, Alfredo Daza.
Reprise de la production de Wim Wenders du chef d’œuvre de Bizet, avec notamment Olga Peretyatko et Pavol Breslik, et le baryton maison Alfredo Daza. Notons l’appel à Victorien Vanoosten, un des chefs français de nouvelle génération, qui a étudié à Paris, mais aussi à Helsinki notamment avec Esa Pekka Salonen (école finlandaise, aujourd’hui la plus considérée), et d’autres. Il a été l’assistant de Daniel Barenboim pour Les Pêcheurs de Perles et reprend la production qu’il a déjà dirigée en 2018.

Oct-nov 2020/Avril 2021
Richard Wagner, Tannhäuser
(6 Repr.), MeS : Sasha Waltz, Dir : Thomas Guggeis avec Klaus Florian Vogt, Rachel Willis-Sørensen, Wilhelm Schwinghammer, Lauri Vasar, Marina Prudenskaya.
La production chorégraphiée et si originale de Sasha Waltz, dirigée par le très sollicité Thomas Guggeis, dans une distribution nouvelle, dominée par Klaus Florian Vogt avec l’Elisabeth de Rachel Willis-Sørensen et la Venus de Marina Prudenskaya. Si vous êtes à Berlin…

Oct-nov 2020
Benjamin Britten, The Turn of the screw
(4 Repr.), MeS : Claus Guth Dir :  Finnegan Downie Dear avec Stephan Rügamer, Maria Bengtsson, Angela Denoke etc…
La production de Claus Guth (à qui les questions de psychisme conviennent toujours) et la direction de Finnegan Downie Dear, directeur musical du Shadwell Opera, une des compagnies anglaises les plus inventives, peuvent stimuler la curiosité, mais aussi la distribution où l’on note Stefan Rügamer, magnifique chanteur acteur, de la troupe locale, mais aussi le retour de la grande Angela Denoke, dans le rôle de la gouvernante Mrs. Grose.

Nov.2020
Orpheus-festival (dans le cadre des Barocktage 2020)

 Les Barocktage 2020, outre Mitridate re di Ponto proposent un focus sur le mythe d’Orphée, avec trois Orphée différents, celui, berlinois, de Carl Heinrich Graun (1704-1759), celui, italien, de Monteverdi et celui viennois de Gluck

Carl Heinrich Graun, Orfeo (1 repr. concertante) Dir: Howard Arman avec Lucile Richardot, Sophie Karthäuser, Andrew Watts etc…
Akademie für Alte Musik
Jolie distribution pour cette unique représentation concertante dirigée par Howard Arman plus connu comme chef de chœur ( il dirige actuellement le Chor des Bayerischen Rundfunks, l’un des meilleurs sinon le meilleur au monde) que chef d’orchestre. Carl Friedrich Graun, compositeur à la cour de Frédéric II, est lié à Berlin et la distribution est dominée par les remarquables Lucile Richardot et Sophie Karthäuser.

Claudio Monteverdi, L’Orfeo (3 repr.) MeS: Sasha Waltz Dir: Jonathan Cohen avec Georg Nigl, Ana Lucia Richter, Katharina Kammerloher
Le spectacle qui lie opéra et danse a fait le tour de l’Europe (Amsterdam, Lille, Luxembourg, Bergen etc…) avec les mêmes protagonistes Georg Nigl et Ana Lucia Richter, le Vocalconsort Berlin et les Freiburger Barockconsort et donc, si vous l’avez raté, c’est l’occasion de le voir. Vaut le détour.

Christoph Willibald Gluck, Orfeo ed Euridice (3 repr.) MeS: Jurgen Flimm Dir: Marc Minkowski avec Bejun Mehta, Valentina Nafornița, Victoria Random
La version italienne de 1762 de Ranieri de’ Calzabigi, dirigée par Marc Minkowski (qui a souvent dirigé l’œuvre, notamment en français) avec comme particuarité Bejun Mehta en Orfeo contreténor, dans la mise en scène noire de Jürgen Flimm et les décors du grand architecte américain Frank Gehry. Vaut vraiment le détour aussi !

Never look back, ein Orpheus-Festival (5 repr.) dans l’ancienne salle de répétitions d’orchestre, une série de propositions sur le thème d’Orphée des écoles d’art berlinoises.

Nov-déc 2020/Janv.2021
Engelbert Humperdinck, Hänsel und Gretel,
(7 repr.) MeS: Achim Freyer Dir: Thomas Guggeis avec Gyula Orendt, Anna Samuil, Katrin Wundsam, Adriane Queiroz etc..
Reprise tout à fait traditionnelle en période de Noël de Hänsel et Gretel, si populaire en Allemagne…dans la production d’Achim Freyer (2017). Le Freyer plasticien donne à cette production le caractère très particulier de son univers. Encore une fois Thomas Guggeis au pupitre. 

Déc. 2020
Giuseppe Verdi, Rigoletto (5 repr.), MeS: Bartlett Sher Dir: Karel Mark Chichon avec Luca Salsi, Irina Lungu, Piotr Buszewski etc…
Reprise de la nouvelle production de juin 2019 de Bartlett Sher, transposée dans les années 20, dans une ambiance mélangeant l’expressionnisme d’Otto Dix et le maniérisme de Giulio Romano à Mantoue (Palazzo Te), on dirait donc manieristo-expressionniste…Toute nouvelle distribution à commencer le chef  Karel Mark Chichon familier de ce répertoire et assez apprécié en général, Luca Salsi dans Rigoletto, Irina Lungu  dans Gilda tandis que la plus grande curiosité viendra du  Duca du tout jeune ténor polonais Piotr Buszewski, voix claire de ténor lyrique, qui commence à peine à chanter en Europe (Leipzig, Berlin, après quelques apparitions aux USA).

Déc. 2020/Janv-fév-avril2021
W.A.Mozart, Die Zauberflöte
(12 repr.) MeS August Everding, Dir: Oksana Lyniv avec Mauro Peter, Jan Martiník, Evelin Novak, Serena Sáenz, Gloria Rehm, Roman Trekel etc…
Distribution passe partout (avec Mauro Peter, bien installé comme ténor mozartien, qui s’appuie sur la troupe (Jan Martinik comme Sarastro), mais la programmation joue sur les deux productions de Zauberflöte du répertoire de Berlin, la plus récente production Yuval Sharon, présentée en décembre 2019, et celle d’August Everding, légendaire, qui appartient au répertoire de Berlin comme de Munich. En 2019/2020, les deux productions devaient être proposées dans la même saison (décembre et avril) avec des distributions et des chefs différents. C’est en 2020/2021 la production d’August Everding qui est proposée sur 12 représentations (puisque les représentations d’avril ont été annulées). Au pupitre, Oksana Lyniv qui désormais est une inévitable des théâtres.

Janvier 2021
Richard Strauss, Die Frau ohne Schatten,
(4.repr) MeS: Claus Guth Dir: Simone Young avec Eric Cutler, Vida Miknevičiūtė, Michaela Schuster, Georg Nigl, Wolfgang Koch etc…
Une des grandes productions de la maison (Claus Guth), dans une distribution modifiée (Eric Cutler en Empereur, Vida Miknevičiūtė en impératrice) et au pupitre la solide Simone Young.

Janvier 2021
W.A.Mozart, Idomeneo (4 repr.) MeS, David Mc Vicar Dir: Louis Langrée avec Andrew Staples, Lea Desandre, Victoria Randem, Olga Peretyatko etc…
La nouvelle production d’avril 2020 (Festtage 2020, direction Simon Rattle) a été annulée pour cause de virus, elle est proposée en reprise (mais en réalité ce sera donc une nouvelle production) en janvier 2021 avec au pupitre Louis Langrée et une distribution différente, toujours Andrew Staples en Idomeneo, toujours Olga Peretyatko en Elettra, mais Léa Desandre (excellent choix) au lieu de Magdalena Kožená en Idamante et Victoria Randem au lieu d’Anna Prohaska en Ilia.

Janv-fév 2021
L.v.Beethoven, Fidelio (6 repr.), MeS: Harry Kupfer, Dir: Lahav Shani avec Simone Schneider, Greer Grimsley, René Pape, Andreas Schager/David Butt Philip, Evelin Novak, Florian Hoffmann, Arttu Kataja.
Une reprise de la production Kupfer, discutée lors des premières représentations, cette fois dirigée par le très doué Lahav Shani, chef israélien vainqueur du concours Mahler de direction d’orchestre de Bamberg, et aujourd’hui successeur de Nézet-Séguin à Rotterdam. La distribution affiche Andreas Schager sur 4 soirées, David Butt Philip sur les deux dernières, et René Pape en Rocco, Simone Schneider en Fidelio/Léonore, Greer Grimsley en Pizarro. Pour le chef d’abord.

Fév. – mars 2021
W.A.Mozart, Così fan tutte
(3 repr.) MeS : Vincent Huguet, Dir: Daniel Barenboim avec Barbara Frittoli, Elsa Dreisig, Marianne Crebassa, Paolo Fanale, Gyula Orendt, Ferruccio Furlanetto
Ce devait être une reprise, ce sera une première, pour trois représentations du Cosi fan Tutte prévu cette année qui a dû être annulé. Même distribution composée de la nouvelle génération: Elsa Dreisig en Fiordiligi et Marianne Crebassa en Dorabella, ce devrait être excellent, Paolo Fanale en Ferrando et Gyula Orendt en Guglielmo tout autant, Orendt est un magnifique chanteur et Fanale un ténor très sensible. Les surprises viennent de Barbara Frittoli en Despina (dans un rôle où je ne la sens pas trop) et un Alfonso aussi luxueux qu’inattendu, Ferruccio Furlanetto.

Fév-mars 2021
Giacomo Puccini, Tosca,
(6 repr.), MeS: Alvis Hermanis, Dir: Massimo Zanetti/Julien Salemkour avec Angel Blue, Brian Jagde/Marcelo Puente, Lucio Gallo, Jan Martiník.
Pure reprise alimentaire avec la jeune Angel Blue, la Tosca d’Aix, et deux ténors dont on parle Brian Jagde (2 premières rep.) et Marcelo Puente (4 dernières), ainsi qu’en Scarpia Lucio Gallo, qu’on n’a pas vu depuis très longtemps. Direction Massimo Zanetti et pour les deux dernières, Julien Salemkour, ex-assistant de Barenboim. Une reprise sans véritable intérêt

Mars 2021
Richard Strauss, Der Rosenkavalier
, (4.repr) MeS: André Heller / Wolfgang Schilly, Dir: Simone Young avec Camilla Nylund, Günther Groissbock, Adrian Angelico, Nadine Sierra, Jonathan Winell etc…
Simone Young dirige cette reprise avec une belle distribution: Nylund, Groissböck, le meilleur Ochs aujourd’hui et la jeune et fraîche Nadine Sierra en Sophie, ainsi que dans Octavian, Adrian Angelico, le mezzo-trans norvégien qui a tant fait parler et qui a déjà chanté Octavian à Oslo et Stockholm. Un ensemble solide dans une production très « wienerisch »

Mars-avril 2021
Richard Wagner, Parsifal
(3 repr.) MeS: Dmitry Tcherniakov, Dir: Daniel Barenboim, avec René Pape, Marina Prudenskaya, Andreas Schager, Falk Struckmann, John Tomlinson etc…
Reprise de ce Parsifal qui va devenir légendaire, pour trois représentations seulement, avec toujours Andreas Schager (Parsifal) et René Pape (Gurnemanz) les piliers de la production, mais Falk Stuckmann en Klingsor et Marina Prudenskaia en Kundry. Cette dernière fera difficilement oublier Anja Kampe et Waltraud Maier, qui fit ses adieux au rôle dans cette production. Mais si vous n’avez pas vu ce Parsifal, il faut évidemment y aller ventre à terre.

Avril-Mai 2021
Giacomo Puccini, La Bohème,
(5 repr.) MeS : Lindy Hume, Dir : Rafael Payare avec Aida Garifullina, Elsa Dreisig, Dmitry Korchak, Alfredo Daza etc…
Une reprise alimentaire, avec le couple Garifullina/Korchak en Mimi et Rodolfo, Dreisig/Daza en Musetta/Marcello (Adriane Queiroz pour la dernière). Le chef vénézuélien Rafael Payare, issu du Sistema de José Antonio Abreu, qui fut assistant de Claudio Abbado et de Daniel Barenboim est au pupitre.

Mai 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata,
(6 repr.) MeS: Dieter Dorn, Dir: Eun Sun kim  avec Elsa Dreisig, Freddie De Tommaso/Rame Lahaj, George Petean etc…
Autre reprise alimentaire avec Elsa Dreisig très présente dans les distributions parce qu’elle appartient à la troupe de la Staatsoper. Et deux ténors à l’orée de la carrière, Freddie De Tommaso et Rame Lahaj, ainsi que l’excellent George Petean comme Germont. Quant à Eun Sun Kim, on la voit de plus en plus diriger en Allemagne.

Alban Berg, Wozzeck, (4 repr.), MeS: Andrea Breth, Dir: Matthias Pintscher avec Matthias Goerne, Eva-Maria Westbroek, Florian Hoffmann, Graham Clark, John Daszak, Katharina Kammerloher, Heinz Zednik etc…
Comme souvent désormais, les gloires du passé dans les productions actuelles et dans de petits rôles c’est le cas de Heinz Zednik ici dans Der Narr (le fou), et des moins petits (Graham Clark dans Der Hauptmann – Le Capitaine). Le couple Wozzeck/Marie c’est Matthias Goerne et Eva Marie Westbroek, John Daszak est le tambour major, distribution très solide, presque référentielle. Le chef est Matthias Pintscher qui aborde le grand répertoire d’opéra.

Richard Strauss, Salomé (4 repr.), MeS : Hans Neuenfels, Dir : Thomas Guggeis avec Vida Miknevičiūtė, John Daszak, Waltraud Meier, Johan Reuter, Siyabonga Maqungo etc…Certes, c’est Waltraud Meier qui chante Herodias, et John Daszak Herodes mais plus d’Ausrine Stundyté en Salomé, on va découvrir Vida Miknevičiūtė qui aura aussi été Die Kaiserin dans Die Frau ohne Schatten cette saison. À découvrir donc, sous la direction de Thomas Guggeis, qui a créé la production encore récente de Hans Neuenfels.

Mai-juin 2021
Carl-Maria von Weber, Der Freischütz
, (5 repr.) MeS: Michael Thalheimer Dir: Alexander Soddy avec Victoria Randem, Evelin Novak, Stephan Rügamer/Andreas Schager, Falk Struckmann etc…
Un Freischütz c’est toujours à prendre, parce que l’œuvre est rare et difficile. C’est une reprise de la production de 2015 de Michel Thalheimer diversement accueillie. Au pupitre Alexander Soddy, GMD du Nationaltheater Mannheim et ex assistant de Petrenko dans le Ring de Bayreuth. Distribution solide comprenant le Max de Stefan Rügamer, ténor excellent de la troupe de la Staatsoper, qui va étrangement alterner avec le puissant Andreas Schager, deux voix très différentes, presque opposées par le timbre et le volume.  Agathe est Evelin Novak dans une distribution largement puisée dans la troupe. Survivant de la création, Falk Struckmann en Kaspar…

Juin-Juil. 2021
Jörg Widmann, Babylon
, (4 repr.) MeS : Andreas Kriegenburg, Dir : Christopher Ward avec Mojca Erdmann, Susanne Elmark, Charles Workman, Willard White, Marina Prudenskaya
La saison s’achève sur 4 représentations de Babylon, l’opéra de Jörg Widmann, livret du philosophe Peter Sloterdijk créé à Munich en 2012 sous la direction de Kent Nagano.
À Berlin, la production d’Andreas Kriegenburg qui remonte à la saison 2018-2019 (mars 2019) a été dirigée à la création par Daniel Barenboim, et sera reprise la saison prochaine par Christopher Ward, GMD d’Aix la Chapelle, et ex-assistant de Simon Rattle pour le Ring d’Aix et de Kent Nagano lorsqu’il dirigeait Munich. La distribution est sensiblement identique à celle de la première. Seule exception Willard White succède à John Tomlinson comme Roi-Prêtre. Saluons le fait qu’un opéra contemporain soit repris et entre au répertoire.

Conclusions :

À vrai dire, l’impression laissée par cette saison est mitigée. Elle semble moins brillante et moins inventive que la précédente. D’abord nous l’avons souligné, l’impression d’un Daniel Barenboim en retrait, ensuite, certains choix de distribution étranges (l’alternance Rügamer/Schager dans Freischütz non par rapport à la qualité intrinsèque des deux artistes, mais à leur voix complètement différentes sur le même rôle).
D’un autre côté, Berlin fait résolument appel notamment dans les reprises de répertoire, à des jeunes chanteurs, quelquefois tout à fait débutants, y compris dans des rôles importants (Vida Miknevičiūtė à la fois Kaiserin dans Die Frau ohne Schatten et Salomé, les ténors Freddie De Tommaso, Rame Lahaj dans Traviata, Piotr Buszewski dans Rigoletto, ou David Butt Philip alternant dans Florestan avec Andreas Schager) et surtout à des jeunes chefs, nous avons signalé plus haut Thomas Guggeis, mais nous pourrions évoquer aussi Victorien Vanoosten, Finnegan Downie Dear, Lahav Shani, sans oublier Matthias Pintscher, pas si jeune mais rare à l’opéra qui aborde des œuvres étrangères à son répertoire habituel. Tout cela peut être défendu, d’autant que dans l’ensemble il est plutôt fait appel dans les productions de référence à la jeune génération des chanteurs (voir les Mozart par exemple : qui connaît Gyula Orendt, qui va chanter et Guglielmo et il conte ? C’est pourtant un chanteur qui fut un Zurga remarquable dans Les Pêcheurs de Perles de Wenders lors des premières dirigées par Barenboim, ou un Galveston de grand niveau dans Lessons in love and violence de George Benjamin (à Lyon la saison dernière).
Du positif et du discutable donc.

Mais la situation elle-même à cause du coronavirus est lourde de conséquences sur la saison prochaine : trois productions prévues Cosi fan tutte, Idomeneo, Khovantchina n’ont pas eu lieu ou n’auront pas lieu cette saison : il est fort douteux que les théâtres rouvrent avant l’été, et à supposer que ce soit possible, dans quelles conditions ? Avec quelle distanciation sociale ? Avec quel public pour un opéra international ou un Festival quand le public international ne sera pas dans les mêmes situations sanitaires selon les pays ?
Pour Berlin, c’est déjà le cas pour Cosi fan tutte et Idomeneo, et Khovantchina prévu en juin reste lourdement menacé. D’où l’affichage de ces titres la saison prochaine qui s’ajoutent de facto aux nouvelles productions prévues et que l’on propose sur de très courtes périodes (3 repr. pour Così fan Tutte, exactement comme prévu la saison actuelle (report sine die dans les mêmes conditions ?), 4 représentations pour Idomeneo au lieu de 5 cette saison, mais avec changement de chef et d’Idamante (Rattle pas libre et donc du même coup Magdalena Kožená), avec l’avantage que ces productions étaient prêtes en mars et n’auront pas besoin de longues semaines de répétitions. Pour Khovantchina prévu pour cinq représentations, au lieu des six affichées en juin, c’est un peu différent. Si la production comme c’est à craindre est annulée en juin, elle sera affichée en octobre (mais avec Simone Young et sans Vladimir Jurowski) , à un moment où tout reprendra progressivement, ce qui laisse le temps pour des répétitions en septembre, voire en juin (si c’est possible). Cela permettra-t-il de valider au moins partiellement des billets déjà achetés, de ne pas dénoncer les contrats, autant de questions qui me paraissent légitime de poser, et pas seulement pour Berlin.

C’est à la fois la conséquence de la situation que nous vivons, et aussi du système de répertoire qui permet un appel fort à la troupe, et d’afficher en peu de temps certaines reprises, notamment quand la troupe est bonne, comme c’est le cas à la Staatsoper de Berlin. Ainsi les grands standards sont-ils forcément affichés chaque saison (ce que j’appelle les productions « alimentaires ») et en 2020-2021, il y en aura au moins cinq Tosca, Traviata, La Bohème, Rigoletto, Die Zauberflöte, susceptibles d’attirer du public.

Ne nous berçons pas d’illusions : le monde du spectacle va se relever lentement de la situation inédite et dramatique qu’il connaît actuellement, et les saisons déjà présentées sur ce blog trahissent en creux pour la plupart, les problèmes que les théâtres affrontent actuellement. Il n’est pas sûr qu’au final elles se déroulent comme elles sont annoncées sur le papier. Mais il faut y croire.

Staatsoper, la salle

LES SAISONS 2016-2017 (8): WIENER STAATSOPER

Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper
Un ballo in maschera Prod De Bosio ©WienerStaatsoper

Comment dans une succession de textes sur la présentation des saisons lyriques échapper à la salle la plus symbolique du monde, celle aux levers de rideau les plus nombreux, celle sans doute dont l’histoire (depuis 150 ans au moins) est la plus riche, où ont défilé Mahler, Karajan, Abbado (non sans difficultés d’ailleurs pour les uns comme pour les autres), celle dont les murs suent la mémoire la plus glorieuse de l’art lyrique. Il y a sans doute dans les salles européennes des fleurs qui font traditionnellement plus rêver (La Scala par exemple), mais sous les fleurs, il y a un terreau, et le terreau, c’est sans conteste Vienne, resté en permanence un lieu de référence.
Car dans le paysage des salles d’opéra, Vienne reste un mystère, car alors que les publics évoluent partout, que des théâtres comparables (le MET par exemple) affichent une crise de fréquentation sans précédent, Vienne affiche des taux de remplissage à faire pâlir d’envie Peter Gelb (Manager du MET) et ses collègues, et ce, sans GMD depuis la démission brutale, voire violente de Franz Welser-Möst, sans productions scandaleuses qui attirent par l’odeur du souffre, et au fond, sans faire parler de soi, sinon par des aventures loufoques comme le retard d’entrée en scène d’Angela Gheorghiu que les mauvaises langues attribuent au succès trop délirant de Jonas Kaufmann, dans une Tosca dont tout le monde a parlé, au moins le petit monde du lyrique, une production âgée de 59 ans, créée par Karajan, signée Margherita Walmann, qui continue à faire les beaux soirs du répertoire viennois et qui doit en être pas loin de sa 600ème
Car le secret de Vienne – si secret il y a- ce ne sont pas ses « nouvelles productions », dont finalement on parle peu, ce sont ses 300 soirées, du 1er septembre au 30 juin, de ballet et d’opéra, ses 50 ou 60 titres annuels, et son orchestre, qui selon les occasions s’appelle Orchestre de la Wiener Staatsoper ou Wiener Philharmoniker. Cet orchestre envié, un groupe à géométrie variable, doit être dans la fosse pendant que les Wiener Philharmoniker, les mêmes, sont en tournée à Shanghaï ou ailleurs, ce qui suppose un planning serré, et plusieurs configurations. Ce qui fait dire aussi aux amateurs qu’il y a un orchestre A, B, ou C et ce qui fait circuler les plus plaisantes histoires sur les remplacements des musiciens par le fils du concierge. Plaisanterie que tout cela, dirait Dominique Meyer, le premier directeur « étranger » à la tête d’une institution au budget confortable, et tellement nationale que le directeur de l’Opéra est aussi célèbre qu’un ministre (sinon plus) et qu’il vit sous le regard d’une presse qui a toujours près d’elle (c’est sa réputation) son sac de peaux de bananes sur lesquelles ont trébuché bien des chefs ou des directeurs.
Ce qui fait Vienne, c’est son système de répertoire – il est ici exploité au maximum – de réserves de productions, montées et démontées en permanence (il suffit de passer derrière la Staatsoper pour voir les camions livrer), peu de répétitions des œuvres au quotidien, à l’exception des nouvelles productions ou des Wiederaufnahmen, les reprises retravaillées, où même quelquefois on fait revenir le metteur en scène (quand il est encore vivant) et où on rafraîchit les décors. C’est ce système qui, mis en cause par certains au nom du niveau artistique, leur a coûté leur place ou au moins de sérieuses sueurs froides, c’est ce système dont Abbado et Drese au départ voulaient la peau, et qui finalement a eu la leur, au sens où les successeurs Holaender et Wächter ont affiché leur attachement très viennois à la tradition immuable de la maison. Avec l’évolution technologique nécessaire, Vienne fonctionne à peu près comme il y a 50 ans, comme il y a 100 ans, comme il y a 150 ans.
Et c’est ce qu’a bien compris Dominique Meyer, dont le soin le plus important consiste à maintenir un niveau artistique moyen des représentations de répertoire défendable, à proposer ça et là des soirées ou ses séries avec des stars qui vont occasionner les queues légendaires pour les Stehplätze, les places debout : celui qui écrit a passé quelques nuits de sa pauvre vie en SDF du lyrique, emmitouflé dans un sac de couchage en plein hiver glacial, ou quelquefois en automne un peu plus doux : Ainsi, à mon époque – je parle des années 80 du siècle dernier – Vienne affichait José Carreras, qui était adulé, la queue pouvait atteindre un ou deux tours du bâtiment. Vienne c’est aussi le petit groupe de fans qui attend systématiquement les chanteurs pour les autographes à la sortie des artistes, une tout petite porte côté Kärtnerstrasse, où j’ai attendu Jones, Bernstein, Nilsson, Caballé, Domingo, Baltsa et d’autres.

Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper
Salomé (Prod.Barlog) ©WienerStaatsoper

Quand on parle de Vienne, il faut rappeler ces rituels, ce public à la fois connaisseur et fidèle, très traditionnel et hyper musical. Le public de Vienne n’est pas accroc aux productions (sinon, il n’y aurait plus depuis belle lurette la Tosca de Wallmann ou la Salomé de Boleslaw Barlog (autre monument à la poussière, de 1972, plus récent de 15 ans cependant), mais il est très difficile sur les chanteurs et soucieux des chefs, tout en ayant, comme celui de la Scala d’alors, ses têtes, mais pas les mêmes. Quand Kleiber est venu pour ses derniers Rosenkavalier en 1994, c’était un événement incroyable à voir et à vivre.
Enfin c’est un théâtre qui a gardé ses places debout, qui les préserve même car elles sont un symbole local fort, et pas seulement les place de Stehparterre, à l’endroit le meilleur de la salle, au fond du parterre, à l’acoustique enviable, mais aussi ses places debout de galerie, sur les côtés, sans visibilité ou presque. Il y en a au total plus de 500. Munich a le même culte des places debout – elles sont même à Munich numérotées, pas à Vienne (peut-être le sont elles aujourd’hui ?) En tous cas, à mon époque, c’était la course à la meilleure place : si était dans les 100 premiers de la queue, on achetait son billet, on courait, on se précipitait au Stehparterre, on allait se placer du mieux possible, on faisait un nœud à son écharpe ou son mouchoir attaché à la rambarde pour montrer que la place était occupée, et on allait enfin s’asseoir et boire un café en attendant la représentation. Une vraie culture, que Paris aurait pu faire naître pour un public populaire de jeunes, mais à laquelle il a renoncé, grâce à Nicolas Joel qui a entériné leur suppression (il est vrai que c’était Mortier qui les avait créées, ce qui suffisait sans doute à les condamner). Les places debout, cela veut dire que si vous avez envie d’entendre pour une somme dérisoire l’opéra du soir quel qu’il soit, vous pouvez entrer. J’ai ainsi vu Turandot (Eva Marton- Maazel), Samson et Dalila (Domingo Baltsa Prêtre), Tosca – moi aussi j’y ai eu droit- mais avec Rysanek, Milnes, Carreras, Barbier de Séville, avec Baltsa, et un concert hallucinant, pas d’autre mot, pour l’équivalent de 15 francs de l’époque qui célébrait l’ouverture de la cité des Nations Unies, avec – je peux montrer encore le programme à ceux qui douteraient, Ruza Baldani, Leonie Rysanek, Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Siegfried Jerusalem, René Kollo, José Carreras, Placido Domingo, Piero Cappuccilli, Agnès Baltsa, Sonia Ghazarian, Sherill Milnes, Edita Gruberova, Ruggero Raimondi, Gianfranco Cecchele, Kurt Rydl…
Vienne, c’est ce passé là, c’est une maison qui ne peut être confondue avec le reste des maisons d’opéra, et son programme se regarde avec les nouvelles productions, mais aussi les reprises et le répertoire car on risquerait de perdre la soirée d’opéra de l’année, qui se cache derrière la 588ème Tosca ou la 421ème Bohème (Zeffirelli, 1963, la copie de la production de la Scala).
Sans la question du répertoire, on ne peut lire le travail artistique de Dominique Meyer. Certes, il n’est pas très favorable au Regietheater ni à la mise en scène dramaturgique ou aux « lectures » à la Castorf. Mais une nouvelle production pour Vienne signifie rester à l’affiche une dizaine d’années au minimum et l’expérience montre que certains travaux très contemporains vieillissent très vite. Le répertoire est plutôt l’ennemi des modes, car il faut que les productions à la fois tiennent le coup esthétiquement mais aussi dramatiquement, car le petit nombre de répétitions lors des reprises est l’ennemi de mises en scène trop complexes pour le cas de changements de distribution.
La saison 2016-2017, c’est donc 55 titres différents, dont 5 nouvelles productions seulement (moins qu’en 2015-2016) , mais dont trois titres « lourds »  Parsifal, Il Trovatore, Falstaff,et deux beaucoup plus rares pour Vienne, Armide de Gluck (pour la première fois à Vienne dans la version française et la dernière reprise de la version italienne remonte à 1892) et Pelléas et Mélisande (plus représenté depuis 1991, après 14 représentations distribuées entre 1988 et 991 de la fameuse et sublime mise en scène d’Antoine Vitez).
Même si Munich se rapproche du nombre de titres proposés en un an (Munich est sans doute le théâtre qui se rapproche le plus du modèle viennois), il reste que 55 opéras différents est un record qui demande en terme de logistique, d’organisation technique, de planning et de gestion des distributions des personnels rompus à l’exercice, et surtout une troupe solide d’où émergent de ci de là de futures vedettes, être en troupe à Vienne est un atout pour tout jeune chanteur : notre Natalie Dessay y fut par exemple dans les années 90.

On comprend que dans ces conditions, la « politique artistique » de l’opéra de Vienne soit particulière et d’abord musicale : il s’agit d’assurer un cast solide à chacune des soirées d’opéra), et quelquefois des stars, de garantir la venue de chefs prestigieux quelquefois dans l’année, mais il y a aussi des soirées où la question du chef n’est pas essentielle. Les nouvelles productions devant, comme je l’ai souligné plus, être durables.

Nous allons donc procéder de manière légèrement différente : il ne saurait être question de faire défiler et commenter les 55 titres, nous nous limiterons donc à la liste des titres par auteur : le lecteur y a droit, ne serait-ce que pour mesurer ce qui éloigne Vienne de toutes les autres salle, à la liste des nouvelles productions et des reprises avec disctribution et chefs qui vaudraient le voyage.
De plus le voyageur mélomane trouvera toujours un concert intéressant au Konzerthaus (une très belle salle, moins connue que le fameux Musikverein) ou justement au Musikverein, à trois minutes à pied de l’opéra, mais pourra aller aussi au Theater an der Wien, l’autre salle, en tous points opposée à la Staatsoper, de système stagione, pour des opéras plus (ou moins) rares dans des mises en scènes plus « ouvertes », dans une salle historique (Die Zauberflöte y fut créé) aux dimensions plus réduites. Chaque institution a sa fonction : dans l’une la tradition et l’offre délirante, dans l’autre la « modernité » et une offre restreinte. Sans compter sur la Volksoper, l’opéra populaire en allemand, avec son culte de l’opérette et les quelques autres théâtres musicaux.
Mais le touriste germanophone pourra aussi errer dans les nombreux théâtres de la ville, dont le premier d’entre eux, le Burgtheater, trône comme l’opéra sur le Ring, le boulevard circulaire qui enserre la vieille ville, à quelques centaines de mètres de la Staatsoper (la Haus am Ring, « maison » sur le Ring), en face de l’hôtel de Ville néo-gothique. Autrement dit, tout voyage à Vienne se prépare avec tous les programmes des théâtres et des salles de concert, pour être optimisé.

Les titres proposés (en gras et marqués NP, les nouvelles productions):

BEETHOVEN, Ludwig v. :
(1) Fidelio (Mai/juin 2017)

BELLINI, Vincenzo :
(2) La Sonnambula (Janvier 2017)

 BIZET, Georges :
(3) Carmen (Septembre 2016)

BRITTEN, Benjamin :
(4) Peter Grimes (Décembre 2016)

CHOSTAKOVITCH, Dimitri:
(5) Lady Macbeth de Mzensk (Avril/mai 2017)1

 DEBUSSY Claude :
(6) Pelléas et Mélisande (NP) (Juin 2017)

DONIZETTI, Gaetano :
(7) L’Elisir d’amore (Déc.2016-février 2017-juin 2017)
(8) La Fille du régiment (Septembre 2016)
(9) Don Pasquale (Oct.2016-juin 2017)

GLUCK, Christoph Willibald :
(10) Armide (NP) (Oct.2016)

GOUNOD, Charles :
(11) Faust (Mars 2017)
(12) Roméo et Juliette (Janv./Fév.2017)

 HAENDEL, Georg Friedrich :
(13) Alcina (Octobre 2016)

HUMPERDINCK, Engelbert :
(14) Haensel und Gretel (Déc. 2016/Janv.2017)

JANÁČEK, Leos :
(15) Katjá Kabanová (Avril 2017)

KORNGOLD, Erich Wolfgang :
(16) Die tote Stadt (Janvier 2017)

MASSENET, Jules :
(17) Manon (Novembre 2016)
(18) Werther (Mars/avril 2017)

 MOZART, Wolfgang Amadé :
(19) Die Zauberflöte (Décembre 2016)
(20) Die Zauberflöte für Kinder (Février 2017) (pour les enfants)
(21) Le Nozze di Figaro (Oct.2016/avril-mai 2017)
(22) Don Giovanni (Janvier 2017-mars 2017)

PUCCINI, Giacomo :
(23) Madama Butterfly (Septembre 2016)
(24) La Bohème (Novembre 2016)
(25) La Fanciulla del West (Nov./Déc.2016 – Janvier 2017)
(26) Tosca (Oct.2016 – Janvier/fév.2017 – Mai 2017)
(27) Turandot (Sept.2016- Fév./mars 2017)

REIMANN, Aribert :
(28) Medea (Avril 2017)

ROSSINI, Gioacchino :
(29) Il barbiere di Siviglia (Nov./Déc. 2016)
(30) La Cenerentola (Novembre 2016)
(31) L’italiana in Algeri (Mars/avril 2017)

STRAUß, Johann :
(32)Die Fledermaus (Décembre 2016/janvier 2017)

STRAUSS, Richard :
(33) Arabella (Mars 2017)
(34) Der Rosenkavalier (Mai/juin 2017)
(35) Elektra (Juin 2017)
(36) Salomé (Sept.2016 -Janvier/Févr.2017)

TCHAÏKOVSKI, Piotr Ilitch :
(37) Eugène Onéguine (Mai 2017)

VERDI Giuseppe :
(38) Aida (Sept/Oct 2016)
(39) Simon Boccanegra (Sept/oct.2016)
(40) La Traviata (Nov/déc.2016)
(41) Macbeth (Décembre 2016)
(42) Falstaff (NP) (Décembre 2016)
(43) Nabucco (Février 2017)
(44) Il Trovatore (NP) (Février 2017)
(45) Otello (Février 2017)
(46) Un ballo in maschera (Avril 2017)
(47) Don Carlo (Juin 2017)
(48) Rigoletto (Juin 2017)

WAGNER Richard :
(49) Lohengrin (Sept.2016)
(50) Tristan und Isolde (Mars 2017)
Der Ring des Nibelungen :
(51) Das Rheingold (Avril/mai 2017)
(52) Die Walküre(Mai 2017)
(53) Siegfried (Mai 2017)
(54) Die Götterdämmerung (Mai/juin 2017)
(55) Parsifal (NP) (Mars/avril 2017)

 

Quelques remarques sur cette liste impressionnante :

  • D’une part, et c’est l’effet Meyer, c’est une liste de titres assez diversifiés. Certes on trouve beaucoup de Verdi et de Wagner (dont le Ring) en nombre, qui restent un fond de commerce essentiel dans le système de répertoire, ainsi que l’essentiel de Puccini, mais aussi bien Mozart que Strauss, sur lesquels cette maison a aussi construit sa gloire sont présents sans être en nombre important. En revanche, on trouve des auteurs assez divers (Korngold, Massenet, Chostakovitch, Tchaïkovski, Britten, Janáček, Reimann) et donc une palette de titres assez large, même si les œuvres plus contemporaines (Reimann excepté) restent absentes.
  • Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
    Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

    On retrouve des productions anciennes, qui ont marqué cette maison, et notamment Madama Butterfly (1957 !) de Josef Gielen, Carmen (1978) et La Bohème (1963) de Zeffirelli, la fameuse Tosca de Wallman (1958), Der Rosenkavalier (1968), Fidelio (1970) et Die Fledermaus (1979) d’Otto Schenk, Salomé (1972) de Boleslaw Barlog, L’Italiana in Algeri (1987) de Jean-Pierre Ponnelle (reprise de la Scala) ou Il Barbiere di Siviglia (1966, retravaillée en 1986 et 2006) de Günther Rennert. Même si le lecteur connaît mon goût pour le Regietheater et un théâtre très contemporain, je défends le maintien au répertoire de certaines mises en scène qui témoignent d’une époque, pour des titres où souvent les nouvelles productions n’inventent rien de plus (combien de La Bohème inutiles et répétitives : quand on a Zeffirelli au répertoire, et cette réussite là, autant la conserver !) et c’est la même chose pour les productions d’Otto Schenk, ou la Tosca. Il y a de grandes mises en scène qui n’ont pas d’âge car elles marquent une sorte de permanence, une sorte de manière de faire presque immémoriale qui a marqué les mémoires. Très honnêtement, entre la production de Tosca de Luc Bondy (2009) qu’on a vu sur toutes les scènes et celle de Wallmann (1958) créée par Karajan et Tebaldi, il n’y a pas d’abyssales différences. En revanche, il serait peut-être temps de mettre au musée après 60 ans de bons et loyaux services la Butterfly de Josef Gielen (créée sous la baguette de Dimitri Mitropoulos…en 1957)

  • Peu de productions « révolutionnaires » ou marquantes, mais essentiellement de la grande série, modernisante ou non, comme Marco Arturo Marelli, Christine Mielitz, Gianfranco De Bosio, Nicolas Joel, Sven Eric Bechtolf, Daniele Abbado, Matthias Hartmann, avec certains metteurs en scène pour mon goût plus discutables comme Günter Krämer ou Uwe Erik Laufenberg, les plus ouvertes des productions sont signées Andreas Homoki, Jürgen Flimm, Andrei Serban, Irina Brook, Adrian Noble, Peter Stein, Falk Richter, Jean-François Sivadier, Willy Decker ou Caurier/Leiser, André Engel et Jean-Louis Martinoty, avec d’ailleurs des fortunes diverses.
  • A ces titres il faut rajouter les soirées de ballet (incluses dans les 300 soirées): Dominique Meyer en arrivant à Vienne avait emmené Manuel Legris dans ses bagages, pour redonner du lustre à cette école historique de la danse classique.

Ainsi, les nouvelles productions 2016-2017 sont :

ARMIDE de C.W.Gluck : 5 représentations du 5 au 29 octobre 2016
La première des Premières de la saison 2016-2017, qui est une vraie Première puisque l’œuvre n’a jamais été représentée en français à Vienne, confiée à la baguette de Marc Minkowski (qui dirigera aussi Alcina de Haendel pendant la même période) avec une distribution où la remarquable Gaëlle Arquez sera Armide, tandis que Stanislas de Barbeyrac sera Renaud. Ils seront entourés de Paolo Rumetz, Gabriel Bermúdez, baryton et le ténor Jinxu Xiahou, qui sont membres de la troupe.
Je ne suis pas un grand fan de Marc Minkowski, mais c’est un spécialiste reconnu de ce répertoire ; j’ai encore plus de réserves sur le choix d’Ivan Alexandre à la mise en scène : c’est un très bon journaliste musical, mais ce que j’ai vu de lui (Hippolyte et Aricie, Orphée et Eurydice) est certes élégant voire esthétisant, mais est loin de m’avoir convaincu au niveau dramaturgique, il sera entouré du décorateur Pierre André Weitz, et de Bertrand Killy aux lumières tous deux compagnons de route d’Olivier Py.

FALSTAFF, de G.Verdi : 5 représentations du 4 au 15 décembre 2016
Curieusement le chef d’œuvre de Verdi fait son apparition à Vienne grâce à Karajan en 1957, c’est ensuite Bernstein qui dirige la production suivante (Luchino Visconti). En 1980, c’est Georg Solti qui dirige la production de Filippo Sanjust, restée au répertoire jusqu’en 1993 (et dirigée alors par Ozawa). Une dernière production (Marelli) née en 2003 dont la dernière représentation remonte à 2011 et depuis, aucune représentation de Falstaff, ce qui du moins  confirme que l’opéra de Verdi n’est pas vraiment un opéra de répertoire, nécessaire chaque année mais exige un chef et des protagonistes de toute première importance.
C’est le choix fait pour cette nouvelle production qui s’imposait. Zubin Mehta, un des derniers grands verdiens, un des chefs d’envergure de ce temps pour l’opéra, montera au pupitre, tandis que David McVicar signera la production, dont on peut attendre une modernité sans risque, mais un travail solide. Pas de risque non plus dans la distribution où Ambrogio Maestri qui promène son Falstaff dans le monde entier sera donc de nouveau Falstaff, face au Ford de Ludovic Tézier et au Fenton de l’excellent Paolo Fanale, distribution masculine exceptionnelle, tandis que du côté féminin Alice Ford sera Carmen Giannatasio, avec la Ms Quickly désopilante (et de référence) de Marie-Nicole Lemieux. Une nouvelle production au vrai relief.

IL TROVATORE, de G.Verdi : 5 représentations du 5 au 18 février 2017
De 1963 à 1991, c’est la production Karajan (décors de Teo Otto) qui reste au répertoire, et la suivante (dont la première est dirigée par Zubin Mehta) est confiée au hongrois Istvan Szábó, dont la dernière remonte à 2001. On est quelquefois surpris de voir que des titres qui semblent être des piliers du répertoire ne sont pas si fréquents à Vienne.
Une nouvelle production s’impose donc, et c’est à Daniele Abbado qu’elle est confiée, qui a aussi signé la production actuelle de Don Carlo (vers.it). Daniele Abbado, bon connaisseur de Verdi (il a de qui tenir), est un artiste de qualité, qui jusqu’ici n’a rien produit de mémorable, mais qui conçoit  des spectacles bien faits qui ne dérangent pas le public. Exactement le type de spectacle qui peut durer. La direction musicale est assurée par Marco Armiliato, un bon chef de répertoire, et la distribution comprend Ludovic Tézier dans Luna, Roberto Alagna dans Manrico, Anna Netrebko dans Leonora, et Luciana d’Intino dans Azucena. Avec pareil quatuor, le public viendra, et c’est l’essentiel. Il reste qu’artistiquement cette production n’est pas vraiment excitante pour mon goût. Quand retrouvera-t-on dans les générations plus jeunes des chefs incontestables pour Verdi et, plus difficile encore, des metteurs en scène marquants ?

PARSIFAL, de R.Wagner, 6 représentations du 30 mars au 16 avril 2017
La production de 2004 de Christine Mielitz a fait semble-t-il son temps après un peu moins de 50 représentations, la précédente née en 1979 (d’August Everding) en avait eu 74. Sans doute Dominique Meyer tient-il pendant son mandat a proposer une nouvelle production, qu’il a confiée à Alvis Hermanis, bien connu désormais, d’un modernisme modéré, mais qui a su déchaîner les passions à Paris pour sa Damnation de Faust martienne. Gageons que son Parsifal passera la rampe sans notables réactions (sinon sans doute les hueurs traditionnels lors des Premières), comme ses Soldaten ou son Gawain à Salzbourg. Son théâtre ne m’intéresse pas vraiment, mais c’est musicalement que la production m’apparaît sans doute plus intéressante, puisque Semyon Bychkov dirigera l’orchestre – un très bon chef – et que la distribution comprend Nina Stemme (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Hans Peter König (Gurnemanz) et Gerald Finley (Amfortas), une distribution qui attirera évidemment la gent wagnéro-stemmolâtre, puisque la cantatrice suédoise se confrontera à ce rôle symbolique entre tous. Nul doute que les réseaux sociaux en feront non un opéra de Wagner, mais un concerto pour Stemme et tutti.

PELLÉAS ET MÉLISANDE, de Cl.Debussy, 5 représentations du 18 au 30 juin 2017
Depuis longtemps, sans doute depuis la production Martinoty-Haitink du théâtre des Champs Elysées, Dominique Meyer méditait un Pelléas et Mélisande à Vienne,  puisque la dernière représentation remontait à 1991 à Vienne. Peu de productions du chef d’œuvre de Debussy à Vienne, mais quels chefs : Bruno Walter pour l’entrée au répertoire en 1911 (en allemand), Karajan pour la première grande reprise et production (de Karajan lui-même) en 1962 (entre deux, une tournée de l’opéra de Cologne pour 1 représentation en 1928 et 3 représentations en 1946 à la sortie de la guerre, sans doute financée par la France, avec Roger Désormières au pupitre et Irène Joachim en Mélisande), et de 1988 à 1991 Claudio Abbado et Antoine Vitez, production des adieux à la Scala (1986) qu’Abbado avait fait venir à Vienne (14 représentations) et qui ira ensuite à Londres en 1993 (après la mort de Vitez).
La direction musicale est confiée à Alain Altinoglu (qui dirige l’œuvre dans les prochains jours -8 mai 2016- à Zürich), avec une distribution non francophone, qui ne doit pas étonner : pourquoi toujours confier à des français un tel chef d’œuvre, il faut au contraire que les chanteurs non francophones puissent s’en emparer : ainsi Benjamin Bruns, qu’on sait excellent, sera Pelléas, et la jeune Olga Bezsmertna, membre de la troupe, sera Mélisande, tandis que Golaud sera Simon Keenlyside après avoir été un inoubliable Pelléas (que j’avais vu à Genève) Arkel sera le grand Franz-Josef Selig et Geneviève, Bernarda Fink.
C’est la question de la mise en scène qui me paraît plus que décevante. Voilà une œuvre qui a Vienne a été défendue par des grands, voire des légendes. Aller chercher Marco Arturo Marelli, certes un habitué de Vienne (11 productions depuis les années 90), mais un metteur en scène sans génie ni sans grand intérêt me paraît problématique : une œuvre aussi importante si peu représentée à Vienne avait besoin d’un grand metteur en scène d’aujourd’hui. Ou alors, puisque c’est la mode (à Lyon, à Salzbourg Pâques) de remonter des productions disparues, pourquoi ne pas avoir repris la production Vitez, qui avait seulement 14 représentations à Vienne, qui est sans doute la plus belle production de cet opéra depuis une quarantaine d’années. Des décors peints sur toile, peu d’éléments construits ou lourds, et surtout Yannis Kokkos le décorateur est encore bien vivant ainsi que Lorenzo Mariani, qui l’avait reprise à Londres après la mort de Vitez et qui n’est pas l’un des pires metteurs en scène italiens. Quel manager de théâtre osera remettre cette production dans le circuit d’aujourd’hui, qui est non seulement une magnifique production, et qui surtout, j’en suis sûr pour l’avoir vue quatre fois, n’est pas de ces productions qui vieillissent, parce qu’elle est d’abord évocatoire et poétique. Enfin, cela permettrait de rappeler qui était Vitez, un peu oublié aujourd’hui du public et de la critique alors qu’il a été essentiel dans la vie du théâtre en France. Dans un théâtre qui fait survivre des productions de 60 ans d’âge, on peut imaginer que celle là, qui en a la moitié, n’a été représentée que 14 fois à Vienne, aurait mérité qu’on s’en souvienne.

Avant de clore cette très longue présentation, mais Vienne le mérite, quelques représentations ou distributions à voir dans les reprises de répertoire en 2016-2017 : chaque représentation (ou presque) comprend un motif d’intérêt, mais certaines sont plus stimulantes que d’autres :

 

DER RING DES NIBELUNGEN de R.Wagner
Deux cycles complets du Ring entre le 30 avril et le 3 juin, dans la mise en scène sans génie ni excès de Sven Erik Bechtolf, dirigé par Peter Schneider, dont la réputation chez les wagnériens est souvent injuste, tant il a sauvé de spectacles à Bayreuth et ailleurs, dont le Tristan de Marthaler et dont le Ring de Solti à partir de 1984: c’est un chef remarquable, un Kapellmeister solide de toute confiance.
La distribution évidemment attire:
Bryn Terfel (Wotan) Okka von der Damerau (Erda) Mihoko Fujimura (Fricka) Ain Anger/Yongmin Park(Hunding), Robert Dean Smith (Siegmund), Camilla Nylund (Sieglinde). Stefan Vinke (Siegfried) Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime) Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Falk Struckman (Hagen), Waltraud Meier (Waltraute) et Brünnhilde sera Petra Lang, qui sait être remarquable les bons soirs…
Ceux qui n’ont pas entendu Bryn Terfel doivent faire le voyage, tant son Wotan est extraordinaire, et puis Waltraud Meier, même pour vingt minutes, est toujours un cadeau.

LOHENGRIN, de R.Wagner, 4 représentations du 5 au 18 septembre 2016
La mise en scène « bavaroise » de Andreas Homoki que se partagent Vienne et Zürich, sous la direction de Yannick Nézet Séguin (pour les trois premières représentations, la quatrième étant dirigée par Graeme jenkins) est incontestablement digne d’intérêt, d’autant qu’elle est portée par Klaus Florian Vogt, irremplaçable dans Lohengrin, et Ricarda Merbeth (Elsa), Petra Lang (Ortrud), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Tomasz Koniezcny (Telramund); même s’il est à craindre plus un concours de décibels que d’ineffables raffinements du côté des dames, les messieurs constituent un trio de choix…Mais ici, c’est vraiment le chef canadien qui excite la curiosité.

Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Der Rosenkavalier (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

DER ROSENKAVALIER, de R.Strauss, 5 représentations du 23 mai au 3 juin 2017
L’occasion de voir la version viennoise de la mise en scène d’Otto Schenk (celle de Munich est différente) et de découvrir le jeune chef autrichien Sascha Goetzel que Dominique Meyer distribue relativement fréquemment. En l’absence de Franz Welser Möst, il y a peu de chefs autrichiens et il est intéressant de connaître la nouvelle génération. Une distribution carrée et solide, Angela Denoke (Marschallin), Sophie Koch (Octavian), Daniela Fally (Sophie) Peter Rose (Ochs).

DIE TOTE STADT, de E.W.Korngold, 4 représentations en janvier du 9 au 20 janvier 2017.
Sans considération pour le chef ou la distribution, il faudrait aller à toutes les représentations proposées par les théâtres de ce répertoire ou de ces auteurs que la période nazie a détruits, et Die tote Stadt est l’une de ces œuvres clefs de la période, au succès phénoménal d’ailleurs dès sa création en 1920.
Pour la reprise viennoise, la curiosité devrait être stimulée par le chef, Mikko Franck, qu’on connaît bien désormais, et par une distribution magnifique : Camilla Nylund (Marietta..), Klaus Florian Vogt (Paul), Adrian Eröd (Frank/Fritz..) . La production est signée Willy Decker, garantie d’intelligence.

Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper
Don Carlo (Prod D.Abbado) ©WienerStaatsoper

DON CARLO, de G.Verdi, 4 représentations du 2 au 21 juin 2017
La production passe partout de Daniele Abbado (la production locale de Don Carlos en version française de Peter Konwitschny est plus forte) est reprise sous la direction de Myung-Whun Chung, assez rare à l’opéra et donc intéressant, dans une distribution très solide, indispensable pour l’ouvrage de Verdi : Ferruccio Furlanetto sera Filippo II. La basse italienne est toujours passionnante dans ce rôle, et mérite le détour, Ramón Vargas Don Carlo, Placido Domingo sera Rodrigo, la suavité de son timbre devrait faire merveille dans ce rôle d’une humanité déchirante. Krassimira Stoyanova sera Elisabetta et Elena Zhidkova Eboli, deux voix somptueuses. Gageons qu’il ne sera pas facile d’avoir des places, à cause de Placido.

DON GIOVANNI, de W.A.Mozart, les 23, 26, 29 janvier et les 2, 5, 9 mars 2017
Deux distributions très différentes de janvier à mars; plus jeune (s’appuyant sur la troupe) en mars,  le tout dirigé par l’excellent Adam Fischer, un des chefs les plus réguliers et les plus solides des grands chefs d’opéra, dans la production de Jean-Louis Martinoty, à qui Dominique Meyer avait confié deux grands Mozart dès son entrée en fonction.
– En janvier, Simon Keenlyside (Don Giovanni), Irina Lungu (Donna Anna), Benjamin Bruns (Don Ottavio), Dorothea Röschmann (Donna Elvira) et Erwin Schrott (Leporello)
– En mars, Adam Plachetka (Don Giovanni), pur produit de la maison, découvert à partir d’un remplacement et fait une jolie  carrière depuis, Albina Shagimuratova (Donna Anna), Saimir Pirgu (Don Ottavio), Olga Bezsmertna (Donna Elvira) et Jongmin Park (Leporello).
Un Mozart à Vienne s’impose évidemment.

ELEKTRA, de R.Strauss, 3 représentations les 19, 23, 26 juin 2017
L’excellent chef Michael Boder, trop peu connu du public (il fut pourtant directeur musical du Liceo de Barcelone) reprend la mise en scène assez critiquée de Uwe Eric Laufenberg. Stemmolâtres et Meierolâtres au rendez-vous avec une Chrysothemis issue de la troupe, nouvelle venue sur le marché (étroit) des Chrysothémis, Regine Hangler et l’Orest du vétéran Alan Held.

Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper
Fidelio (Prod.Schenk) ©WienerStaatsoper

FIDELIO de L.v.Beethoven, 4 représentations du 24 mai au 2 juin 2017
La mise en scène vénérable d’Otto Schenk avec au pupitre le talentueux Cornelius Meister, et sur la scène Albert Dohmen (Pizzaro), Peter Seiffert (Florestan), Camille Nylund (Leonore), Günther Groissböck (Rocco). Ce devrait être intéressant si vous passez par Vienne à ce moment.

KÁTJA KABANOVÁ, de L.Janáček 4 représentations du 18 au 27 avril
La belle mise en scène d’André Engel, la direction musicale idiomatique de Tomáš Netopil avec une distribution enviable dominée par Angela Denoke et avec toujours, la magnifique Jane Henschel dans Kabanicha, et Misha Didyk dans Boris. Une reprise stimulante.

La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper
La Fanciulla del West (Prod.Marelli) ©WienerStaatsoper

LA FANCIULLA DEL WEST, de G.Puccini, 4 représentations du 27 novembre au 6 décembre 2016, et 4 représentations du 11 au 21 janvier 2017
La mise en scène de Marco Arturo Marelli, et, en 2016, la direction de Mikko Franck avec Eva Maria Westbroek, Tomasz Koniezcny et José Cura tandis qu’en janvier 2017 ce sera une autre équipe, Marco Armiliato au pupitre, Emily Magee, Andezej Dobber et Aleksandr Antonenko.

LADY MACBETH DE MZENSK, de D.Chostakovitch, du 22 avril au 3 mai 2017
C’est moins la mise en scène de Matthias Hartmann qui est ici digne d’intérêt que la direction d‘Ingo Metzmacher qui se fera la main à Vienne avant de commencer les répétitions munichoises, avec Eva-Maria Westbroek, Wolfgang Bankl et Brandon Jovanovich.

MEDEA, d’A.Reimann, 4 représentations du 7 au 19 avril 2017
Michael Boder dirige, Marco Arturo Marelli met en scène et Marlis Petersen et Adrian Eröd sont Medea et Jason pour cette reprise de l’opéra créé à Vienne avec succès en 2010. Le seul opéra contemporain de la saison.

PETER GRIMES de B.Britten, 4 représentations du 13 au 21 décembre 2016.
La mise en scène de Christine Mielitz (Moui), la direction musicale de Graeme Jenkins et la passionnante distribution dominée par le Peter Grimes de Stephen Gould, l’Ellen Orford d’Elza van der Heever, et le Balstrode de Brian Mullighan

ROMÉO ET JULIETTE, de Ch.Gounod, 4 représentations du 22 janvier au 1er févrierL’increvable Placido Domingo dans la fosse comme chef de ce Roméo et Juliette (mise en scène intéressante de Jürgen Flimm) avec la jeune et prometteuse Aida Garifullina en Juliette aux côtés du Roméo de Juan Diego Flórez en train de basculer du bel canto au post romantisme. Il suffit de prononcer Domingo/Florez pour que la queue des places debout se forme déjà…

Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper
Tosca (Prod.Wallman) ©WienerStaatsoper

TOSCA, de G.Puccini, du 7 au 13 oct 2016, du 31 janv.au 3 février, du 5 au 11 mai 2017
De l’art de remplir la salle à coup sûr toute l’année, un jour pour Tosca, un autre pour le chef, un troisième pour Mario…
Octobre : Mikko Franck (dir.mus), Anja Harteros, Jorge de Leon, Marco Vratogna
Janv/févr : Placido Domingo (dir.mus), Adrianne Pieczonka, Aleksandr Antonenko, Thomas Hampson
Mai : Eivind Gullberg Jensen (dir.mus), Jonas Kaufmann, Angela Gheorghiu, Marco Vratogna

Sans commentaires…

TRISTAN UND ISOLDE, de R.Wagner, 3 représentations du 12 au 19 mars 2017
La production de David McVicar, sans histoires ni problèmes, et même esthétique, la direction de Mikko Franck, que Dominique Meyer apprécie, et une distribution solide à la Bayreuth (encore mieux peut-être ?), avec Petra Lang en Isolde (elle sera entrée dans la ronde depuis son apparition estivale à Bayreuth), Sophie Koch en Brangäne, Stephen Gould en Tristan, Matthias Goerne en Kurwenal et Kwangchul Youn en Marke.

WERTHER de J.Massenet du 26 mars au 3 avril 2017 (4 représentations)
La mise en scène un peu vieillie d’Andrei Serban, Frédéric Chaslin au pupitre qu’on voit plus à Vienne qu’en France, et une rareté, la version pour baryton qui voit Ludovic Tézier en Werther, Sophie Koch en Charlotte et Adrian Eröd en Albert. Belle distribution. Vraie curiosité pour le public viennois qui a vu depuis 1986 tous les grands ténors défiler dans le rôle, mais pas un seul baryton.
Et aussi…
Un Elisir d’amore avec Rolando Villazon et Bryn Terfel dirigé par Guillermo Garcia Calvo, un Eugène Onéguine avec Pavol Breslik et Christopher Maltman, dans la belle mise en scène de Falk Richter et sous la direction du très bon Patrick Lange, une Cenerentola avec Pertusi, mais aussi les excellents Alessio Arduini et Maxim Mironov, une Fille du régiment avec notre Julie Fuchs (et Pido’ dans la fosse), une Sonnambula avec Daniela Fally, Luca Pisaroni et Juan Diego Flórez, le tout dirigé par Guillermo Garcia Calvo., une Traviata avec Marina Rebeca, Charles Castronovo et Dmitri Hvorostovski dans la mise en scène de Jean-François Sivadier, ou Marianne Crebassa Cherubino des Nozze di Figaro dirigé par Cornelius Meister aux côtés du Figaro d’Alessio Arduini, Simon Keenlyside dans Macbeth de Verdi aux côtés de Martina Serafin, Kristine Opolais en Butterfly, Marlis Petersen et Jean-François Borras dans la Manon de Massenet (dir.Frédéric Chaslin), Véronique Gens sera Desdemona dans Otello dirigé par Marco Armiliato (Seiffert et Carlos Alvarez), Matthias Goerne en Jochannan de Salomé (Dir.Altinoglu), Dmitri Hvorostovski en Boccanegra, Piotr Beczala en Gustave III du Bal masqué.
Et aussi…quelques soirées ou productions sans grand intérêt.

Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper
Faust (Prod. Joel) ©WienerStaatsoper

Comme on le voit, au grand supermarché du lyrique, on est tantôt chez Fauchon, tantôt chez Monoprix, mais jamais chez Lidl ou Leader Price. L’amateur de voix auquel ce type de programmation s’adresse, devrait y trouver son bonheur, l’amateur de chefs quelquefois, l’amateur de mises en scène et de théâtre assez rarement. Mais j’ai tenu à être détaillé sur la programmation d’une maison qui a un côté immuable assez séduisant finalement. On ne verrait pas Vienne, vieille Dame d’une ville de mémoire de souvenirs et de nostalgie, changer de couleur. Vienne n’est ni Munich ni Berlin ni Amsterdam.
Alors vous ferez bien un tour à Vienne, n’est-ce pas, il y a toujours quelque chose à voir…et si vous ne pouvez pas y aller, il reste le streaming, très bien fait sur le site de la Wiener Staatsoper, un des sites les plus clairs qu’on puisse trouver. [wpsr_facebook]

Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper
Die tote Stadt (Prod.Decker )©WienerStaatsoper

FESTIVAL D’AIX-EN PROVENCE 2014: IL TURCO IN ITALIA de Gioacchino ROSSINI le 19 JUILLET 2014 (Dir.mus: Marc MINKOWSKI; Ms en scène: Christopher ALDEN)

Début de l'acte II, une ambiance à la Marthaler © Patrick Berger/ArtcomArt
Début de l’acte II, une ambiance à la Marthaler © Patrick Berger/ArtcomArt

Dans ma lointaine jeunesse, les opéras de Rossini se limitaient à la trilogie Il Barbiere di Siviglia (1816), La Cenerentola (1817), l’Italiana in Algeri (1813). Et encore, les deux derniers étaient à peine revenus sur les scènes, on ne jouait ni le Rossini serio, ni les autres opéras bouffe, ceux qui sont antérieurs à Barbiere.
On a commencé vraiment à s’intéresser aux œuvres de Rossini à la fin des années 60, lorsque la nouvelle édition critique de Barbiere di Siviglia par Alberto Zedda chez Ricordi en 1969 a été popularisée, notamment par Claudio Abbado accompagnée de la production de Jean-Pierre Ponnelle, fondamentale dans l’histoire de la Rossini Renaissance.
La Fondation Rossini de Pesaro et la naissance du Festival de Pesaro (ROF, Rossini Opera Festival) à la fin des années 70 ont définitivement installé Rossini dans le paysage. Le Festival de Pesaro, ville de bord de mer, avec à l’époque ses deux lieux, Auditorium Pedrotti et Teatro Rossini, a pris corps et a commencé à exhumer peu à peu des œuvres peu connues, il était très agréable d’aller passer quelques jours d’été dans une des régions les plus merveilleusement douces de l’Italie en écoutant Rossini. C’est d’ailleurs toujours une suggestion à faire au mélomane (hédoniste et gastronome) en panne d’idées.
Il faut aussi noter que le Festival d’Aix aux temps de Bernard Lefort a bien contribué à cette renaissance, citons pour mémoire la production de Pizzi de Semiramide (1980) , reprise par l’Opéra de Paris  au Théâtre des Champs Elysées (Caballé, Horne, et Samuel Ramey) et celle d’Elisabetta Regina d’inghilterra (Caballé, Carreras) en 1975 qui peuvent être considérées comme des pierres miliaires dans le retour en grâce du Rossini serio: il serait d’ailleurs intéressant que le site du Festival d’Aix s’enrichisse d’archives en ligne, c’est très intrigant de constater qu’en France, la relation à l’histoire des institutions culturelles (voir le site incomplet Memopera parisien) est laissée en friche, comme si seul comptait le hic et nunc. Quand on veut être une institution culturelle de référence, riche de mémoire, et assise dans le paysage, il faut s’en donner les moyens.
Enfin, Massimo Bogianckino à l’Opéra de Paris, en présentant Moïse (Georges Prêtre, Luca Ronconi, Shirley Verrett, Cecilia Gasdia…) en ouverture de mandat (un triomphe) puis Le siège de Corinthe, moins réussi,  a largement contribué également à la redécouverte de ce répertoire.
Il Turco in Italia (1814) est resté assez peu représenté, malgré des enregistrements de très haut niveau, dont certains bien antérieurs à la Rossini Renaissance : je pense à celui de Callas en 1954, suite à des représentations scaligères, dans une distribution exceptionnelle (Nicola Rossi-Lemeni, Mariano Stabile, Nicolai Gedda). Riccardo Chailly, on l’oublie trop souvent a enregistré plusieurs opéras de Rossini, et deux fois Il Turco in Italia, une fois en 1982 (il n’avait pas encore trente ans) avec Montserrat Caballé, Samuel Ramey,  Jane Berbié et Leo Nucci et l’autre en 1998 avec Cecilia Bartoli, Michele Pertusi, Laura Polverelli, Ramon Vargas et déjà Alessandro Corbelli dans Don Geronio. C’est cette dernière version que je privilégie.
On comprend ce qui peut décider un théâtre à produire Il Turco in Italia s’il a les chanteurs à disposition, c’est le livret, qui permet à un metteur en scène imaginatif de construire un rêve de régie, les Hermann (Karl Heinz et Ursel) en ont proposé une qui a marqué à La Monnaie, avec Fabbriccini d’une intelligence et d’une intuition folles, mais à la voix finissante (1995 je crois, avec une reprise deux ou trois ans après).
Le metteur en scène américain, Christopher Alden a des références scéniques qui vont de Ponnelle et Chéreau à Peter Stein et surtout Ruth Berghaus, oubliée aujourd’hui mais qui mit à feu et à sang certaines scènes allemandes (Francfort) lorsqu’elle se dédia à l’Opéra. c’est elle qui mit en scène à Vienne le Fierrabras de Schubert  dirigé par Claudio Abbado à l’origine de la renaissance de cette œuvre.
Pour Alden, le livret de Il Turco in Italia de Felice Romani (le futur librettiste favori de Bellini avait alors 25-26 ans) est intéressant par le regard sur l’intrigue, médiatisé par la figure centrale du poète Prosdocimo qui permet aussi de jouer sur la distance et la distanciation: l’intrigue en train de se construire et en train d’être commentée, les personnages qui naissent dans l’imagination du poète tout en étant toujours à la frontière du réel et du rêvé, dedans et dehors, et qui prennent distance et autonomie, dans une vision fortement marquée par Pirandello.

Il y a donc plusieurs niveaux de lectures qui peuvent d’ailleurs troubler la compréhension, Alden jouant à plaisir sur clarté et confusion, sur réalité et rêve, sur imagination créatrice et  médiocrité de la réalité : à ce titre, le retour au final de l’image initiale montre bien qu’on s’est promené (ou qu’on a été promené) pour revenir à la case départ, dans cette vaste salle (décors de Andrew Liebermann) aux carreaux de céramique qu’on croirait appartenir à un restaurant à Kebab, avec du café à disposition dans un coin de table, voire une salle d’attente, où s’installent des Bohémiens plus vagabonds que bohémiens, avec qui Alden joue dans un second moment en déguisant les femmes en gitanes, pour rester conforme aux images d’Épinal. Qu’il y ait en arrière plan des histoires d’immigration (look de Selim) bien de notre temps, c’est possible, mais peu exploité car le propos est ailleurs, il est vraiment théâtral et pas politique. Encore qu’à la fin la bohémienne revient avec le turc et les européens restent entre eux…
Évidemment pareil parti pris libère le plateau et les personnages, jouant à la fois à être les choses du poète, ici metteur en scène d’opéra (arborant d’ailleurs le carré rouge de défense des intermittents), mais aspirant, comme de vrais personnages de Pirandello, à être eux-mêmes, à s’affranchir, à se libérer (choeur compris) jusqu’à la folie de la fête du second acte où l’excellent Ensemble vocal Aedes (dirigées par Mathieu Romano) se déshabille en scène pour se vêtir de voiles et de plumes ambigus : hommes ? femmes ? une fois de plus la théorie du genre a frappé.
Il y a d’ailleurs dans ce travail une nette différence entre la première et la seconde partie.

Adrian Sâmpetrean, Olga Peretyatko, Lawrence Brownlee, Alessandro Corbelli
Adrian Sâmpetrean, Olga Peretyatko, Lawrence Brownlee, Alessandro Corbelli

Dans la première, le metteur en scène (Pietro Spagnoli plus vrai que nature) conçoit une histoire qui se déroule devant lui en parallèle, il pense et regarde en même temps, intervient peu, sinon pour donner des ordres au rythme d’une machine à écrire qui semble aussi créer la musique car il tape souvent au tempo musical voulu. Mais l’histoire qui se déroule est bien celle du Turco in Italia : la proue géante qui envahit l’espace est bien métonymique de ce navire d’où débarque Selim puis sert de décor dormant ou remisé, qu’on sort pour permettre aux personnages de se distribuer sur l’espace, en long en large en travers et en hauteur.  Les personnages restent soumis aux diktats du poète, hésitent, ne savent que faire, se laissent convaincre. Mais le metteur en scène n’est pas satisfait, il le dit d’ailleurs, il faut inventer plus, un acte ne suffit pas.
Dans la seconde partie, l’invention va partir en tous sens, les personnages ont pris leur envol et leur existence et ils échappent à leur créateur qui devient une sorte de Gepetto ayant sculpté plusieurs Pinocchio qui découvrent à leur tour le monde. On s’amusait au premier acte, sans prétention et au deuxième acte, personnage et metteur en scène après avoir découvert la mécanique du théâtre vont découvrir la mécanique du sentiment, vont se construire eux mêmes les situations les plus ambiguës, vont se créer les conditions de la découverte de soi. Don Geronio va chasser Fiorilla, elle va se retrouver sola perduta abbandonata, devant retourner à Sorrento et noyer son chagrin auprès de ses parents (sans doute dans le Limoncello). Et elle commence à mesurer les avantages d’un mariage socialement confortable, même si bien peu excitant. Selim va lui-même saisir le danger qu’il y a à épouser une Fiorilla essentiellement désireuse de changement et appartenant à un autre monde. Il lui préfèrera, avec regrets sans doute, Zaïde, la bohémienne, elle aussi symbole d’un ailleurs structurel et permanent, mais fidèle, comme le montre sa relation sage avec Albazar son compagnon d’infortune.
Légèreté, sans nul doute, mais aussi un peu de mélancolie  dans un opéra intitulé dramma buffo (rappel du dramma giocoso mozartien) qui laisse donc espace à autre chose que la simple farce:  le dernier air de Fiorilla Squallida veste e bruna, les interventions d’un Narciso loin du sémillant jeune premier, mais plutôt vieil acteur américain tout tordu, ce qui oblige d’ailleurs l’excellent Lawrence Brownlee à des contorsions peu idoines pour chanter les aigus redoutables concoctés par un jeune Cygne de Pesaro d’à peine 22 ans. Sans doute Alden, faisant de cet avorton l’amant de Fiorilla veut-il souligner qu’à la jeune et pétulante Fiorilla, tout fait ventre, plutôt que de rester auprès de son vieillard de mari.
Quelques moments très bien trouvés parsèment ce travail, j’ai adoré celui où évoquant Apollon et donc l’inspiration, le Poète metteur en scène brandit la machine à écrire avec ses deux bras au dessus de sa tête, imitant ainsi la lyre apollinienne, instrument symbole du poète. J’ai beaucoup aimé aussi Narciso complètement déglingué et fragile qui se promène avec un couteau assassin (sur la figure du metteur en scène) ou suicidaire (contre lui-même), Lawrence Brownlee est d’ailleurs ici complètement engagé dans son personnage, là où il nous apparaissait souvent en scène un peu emprunté.
Ce voyage des comédiens, imaginaire et mental, explose évidemment en folie rossinienne dans les ensembles, grâce à six chanteurs déjantés, même le jeune Juan Sancho dans Albazar explose son personnage : lorsque le metteur en scène est dépassé par les événements et submergé par les initiatives des uns et des autres, ne voilà pas qu’il s’impose malgré le poète, qui refuserait toute intrusion parce que l’air n’est pas de Rossini,  en un Fred Astaire meneur de revue, faisant basculer le tout dans une parodie de Broadway à la fois incongrue, mais cohérente avec le tout est possible voulu par la déglingue rossinienne et la révolte des personnages qui se rêvent (je m’voyais déjà..).
Voilà donc un travail intelligent, plus profond qu’il n’y paraît, laissant aux personnages le soin de se construire et de n’être pas qu’une mécanique vocale au service du crescendo rossinien, une mécanique cependant qu’il ne faut jamais oublier : Rossini est à l’opéra ce que Feydeau est au théâtre, du mécanique dans de l’humain.
Et justement, cette mécanique ne m’est pas apparue dans toute sa précision dans l’accompagnement musical des Musiciens du Louvre sous la direction de Marc Minkowski. J’ai trouvé le continuo de Francesco Corti totalement convaincant, plein d’humour, plein de distance, en phase totale avec le Rossini que nous aimons. La direction de Marc Minkowski est rapide, comme d’habitude, énergique et rythmée, mais pas toujours en phase parfaite avec le plateau, il y a toujours de menus décalages et le calibrage des volumes ne correspond pas toujours pour mon goût à ce que j’attends ou à ce qui me ravit dans Rossini, c’est sensible dans les crescendos qui naissent à volume déjà trop assis, c’est sensible aussi au volume des cordes pour moi insuffisant. Enfin, le son de l’Orchestre, toujours un peu raide (mais moins que l’Ensemble Matheus dans Cenerentola à Salzbourg) n’est pas aussi clair qu’on ne le voudrait au Théâtre de l’Archevêché, à l’acoustique certes difficile et mate. Mais j’ai beaucoup aimé les bois, la trompette, et même les effets des percussions, inattendus, qui marquent une vision différente de cette musique. Malgré ma grande distance avec ce chef et cette manière de diriger, je dois reconnaître qu’il y a de la verve, du rythme et du sourire dans ce travail, et que, même si je préfère d’autres chefs et d’autres sons dans ce répertoire (Chailly !), je n’ai certes pas été séduit, mais je n’ai pas non plus de quoi être horriblement déçu. Cependant, quitte à avoir des instruments anciens, puisque c’est la mode dans Rossini, peut-être eussé-je été plus emporté si dans la fosse j’avais entendu les Freiburger Barockorchester. Il reste que je m’interroge toujours sur la réelle plus value des orchestres baroques dans ce répertoire.

Il y a peu de choses à (re)dire du plateau vocal réuni, comprenant les rossiniens les plus aguerris, presque tous frappés du sigle de Pesaro.
À commencer par l’époustouflant Alessandro Corbelli : à 62 ans la voix n’est évidemment plus celle d’antan, mais le rythme, mais la diction (toujours parfaite chez lui en italien comme en français d’ailleurs, où il a pris ses leçons chez Claude Thiolas), mais le style sont incomparables : vous voulez du style rossinien, en voilà : voilà une science accomplie de la projection, de l’émission, voilà une vélocité incroyable, une ductilité modèle, et un vrai personnage, à la fois bouffe et touchant, un modèle quoi. Le duo avec Selim D’un bell’uso di Turchia dans un décor où les personnages silencieux et méditatifs sont disposés autour de tables  dans une vision à la Marthaler est un des grands moments de la soirée. Qui osera d’ailleurs confier un Rossini à Marthaler ?
Pietro Spagnoli, 50 ans cette année, affiche sa voix de baryton sonore, large, sa diction claire, impeccable, sa musicalité, et surtout une aisance insolente en scène, qu’il ne quitte pas de tout l’opéra. Voilà un chanteur qui honore lui aussi l’italianità, et qui est pleinement dans le style et dans le rythme rossiniens. C’est aussi le cas d’Adrian Sâmpetrean, basse roumaine de 31 ans, autre génération formée en Roumanie dont la tradition lyrique n’est plus à prouver, mais qui travaille essentiellement en Allemagne. Son Selim a la largeur requise, la diction est impeccable et l’agilité sans problèmes, c’est un très bon Selim, très engagé en scène, et qui sait aussi être émouvant. Il complète particulièrement bien cette brochette de basses et de barytons.

Lawrence Browlee dans Narciso
Lawrence Browlee dans Narciso

Deux ténors viennent s’y rajouter, Lawrence Brownlee en Narciso, que j’avais découvert au MET dans Almaviva . Il se soumet parfaitement aux exigences du metteur en scène qui le fait chanter dans les positions les plus invraisemblables. Son légendaire vibrato est moins envahissant, ses aigus et suraigus toujours aussi sûrs et triomphants, notamment dans son air Tu seconda il mio disegno de l’acte II où il remporte un franc succès, très mérité, tant la mise en scène le force à en faire. C’est musicalement très maîtrisé, et même si le timbre n’est pas forcément des plus agréables, cela reste une grande démonstration de mécanique de précision.

J'm voyais déjà...à Broadway, Juan Sancho dans Albazar © Patrick Berger/ArtcomArt
J’m voyais déjà…à Broadway, Juan Sancho dans Albazar © Patrick Berger/ArtcomArt

Plus jeune, et moins policé, l’Albazar de Juan Sancho ; la voix n’a pas (encore) les séductions des grands ténors hispaniques, il se sort de son unique air (non écrit par Rossini) Ah, sarebbe troppo dolce par une jolie imitation de Fred Astaire, mais l’aigu reste rêche, et difficile, et le timbre n’a pas de séductions particulières. C’est encore très jeune, et pas tout à fait au point, même s’il s’impose scéniquement avec une grande aisance tout au long des deux actes.

Cecelia Hall et Olga Peretyatko © Patrick Berger/ArtcomArt
Cecelia Hall et Olga Peretyatko © Patrick Berger/ArtcomArt

 

Du côté des dames, passons sur la Zaïda de Cecelia Hall, sans grande projection, sans grande personnalité, qui rentre peu dans le personnage. Je pense qu’on aurait pu trouver des Zaïda tout aussi séduisantes sinon plus, vers des rivages plus proches.

Olga Peretyatko  © Patrick Berger/ArtcomArt
Olga Peretyatko © Patrick Berger/ArtcomArt

Reste Olga Peretyatko. Épouse installée en Italie du chef d’orchestre Michele Mariotti, et donc bru de Gianfranco Mariotti, le sovrintendente du Festival de Pesaro depuis sa création, elle même ex-membre de l’Accademia rossiniana, on ne peut dire qu’elle n’ait pas le style rossinien, ni la diction requise, elle n’est certes pas née dans la marmite (elle est de Saint Petersbourg) mais elle y a plongé et elle y nage avec délices.
De fait sa Fiorilla est d’abord d’une confondante aisance scénique, avec ses perruques blondes ou brunes et ses lunettes noires de Star d’Hollywood années cinquante, ses costumes mettant en valeur des formes avantageuses, sa manière délurée de se déplacer, ondulant de la croupe. Tout cela est parfaitement dominé. Du point de vue vocal, la voix s’est élargie, parfaitement maîtrisée du grave au medium, pour un rôle chanté souvent par des voix au registre étendu (Callas, Caballé) ou même un mezzo comme Bartoli. Peretyatko affiche une santé insolente avec un soin apporté aux vocalises, au contrôle vocal qui permet des piani et pianissimi de rêve. Une seule réserve, le passage au suraigu presque systématiquement se traduit par des problèmes de justesse assez nets et un son moins assuré. Il reste que son air final Squallida veste e bruna est un feu d’artifice de variations pyrotechniques inattendues totalement bluffantes, que sont deux ou trois suraigus mal attaqués face à une telle maîtrise ?

Voilà une troisième production qui confirme que les opéras 2014 d’Aix en Provence sont globalement une réussite, il y a certes des réserves, qui pour les voix, qui pour les orchestres, qui pour les mises en scène, mais les discussions sont admirablement bien distribuées et ne remettent que rarement en cause l’ensemble d’un spectacle . Ariodante fait débat, Il Turco in Italia moins. Et la Flûte enchantée  pas du tout. Je doute cependant que la production de Christopher Alden ait été vraiment approfondie, elle n’a pas été prise au sérieux alors qu’elle pose des questions sur la création, sur la relation du créateur à ses personnages, sur ses doutes, et qu’elle alimente l’imaginaire rossinien d’images proches du nous, quelquefois gênantes, sans le souligner et avec une certaine finesse malgré les apparences. Mais que voulez-vous, ce Rossini n’est ni sérieux, ni consistant : le seul Rossini consistant, c’est le Tournedos.[wpsr_facebook]

Acte II © AFP/Boris-Horvat
Acte II © AFP/Boris-Horvat

 

MC2 GRENOBLE 2013-2014: ORFEO ED EURIDICE de C.W.GLUCK le 20 MARS 2014 (Dir.mus: Marc MINKOWSKI Ms en scène: Ivan ALEXANDRE)

Acte I © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Acte I © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

La MC2 de Grenoble est une vaste usine à spectacles: une grande salle, un auditorium, une petite salle, une vaste salle de création et des studios de danse. Si toutes les salles sont occupées, c’est environ 3000 spectateurs qui sont présents.

Ce soir-là, le 20 mars, la grande salle était aménagée pour l’opéra : elle a une fosse, rarement utilisée.
Si on était en Allemagne, avec une troupe de chanteurs, un orchestre, un ballet et une troupe d’acteurs, on aurait sûrement une saison d’opéra, une saison de danse, une saison de théâtre et une saison symphonique, le tout sous la direction d’un intendant unique et d’un Betriebsbüro. Vu la qualité de l’outil, ce serait probablement un magnifique instrument de culture et d’irrigation profonde du territoire.
On est en France, au pays de l’intermittence et non des troupes, et donc la MC2 est un grand garage où logent une compagnie de danse (le CCNG de Jean-Claude Gallotta), de théâtre (le CDNA dirigé par Jacques Osinski, qui va fermer sans que personne ne proteste ou pire, ne s’en aperçoive), et Les musiciens du Louvre-Grenoble de Marc Minkowski. Pour couronner le tout, la MC2 dirigée par Jean-Paul Angot a une saison en propre de chorégraphie, de théâtre et de musique, et l’agenda se tricote en naviguant entre les offres et les dates des uns et des autres.
Une organisation simple et de bon goût (pourquoi faire simple quand on a l’immense chance de pouvoir faire compliqué ?) qui a pour résultat de proposer une programmation certes de haut niveau, mais sans cohérences, – sinon quatre cohérences, sans vraie ligne, sinon quatre lignes, sans autre prétention que celle d’être un garage de grand luxe car c’est la maison la plus subventionnée de France. La fermeture du CDNA même si elle simplifie le paysage n’est pas une bonne décision, car il n’est jamais de bon augure de fermer un Centre Dramatique.

Acte II © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Acte II © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

 

Donc, cette année, Les musiciens du Louvre Grenoble et la MC2 produisent un spectacle d’opéra : Orfeo ed Euridice de Gluck, livret de Ranieri de’ Calzabigi, qui remonte à 1762 (version originale de Vienne).
Peu importe si de son côté l’Orchestre des pays de Savoie a déjà proposé l’œuvre de Gluck deux fois en quelques années (la dernière fois l’été 2013 dans la version Berlioz pendant le Festival du même nom). Comme il y a peu d’opéra à Grenoble,  il y a un public qui afflue : le public de Grenoble a été historiquement formé par la longue tradition culturelle de la décentralisation. Merci Lavaudant : cela s’appelait une politique.
On chercherait en vain une politique au Ministère de la Culture aujourd’hui.
Il y a peu d’opéras dans le Dauphiné, mais visiblement Gluck, ou du moins Orphée a fait florès. Reconnaissons néanmoins que ces dernières années, un certain nombre d’opéras en version de concert ont été présentés (l’an dernier La Vaisseau Fantôme de Dietsch et Der Fliegende Holländer de Wagner) mais cela faisait longtemps qu’une production importante n’avait pas été programmée scéniquement.
J’ironise un peu mais évidemment, je connais les obstacles et les limites de la programmation d’opéra de qualité. À Paris l’opéra coûte au plus entre 150 et 200€ et il trouve son public, à Lyon au plus 96€ et il trouve son public, à Grenoble, la musique classique et ici l’opéra ont des prix plus élevés pour les habitudes du public local (autour de 50€) et il faut en tenir compte.
Avec la distribution réunie (Bejun Mehta, Ana Quintans, Camilla Tilling), et vu la présence du Chœur de chambre du Palau de la Música Catalana dirigé par Josep Vila y Casanas venu de Barcelone, le tarif reste honnête. Et cet Orfeo ed Euridice va tourner un peu (avec une autre distribution je crois).
Le spectacle est coproduit par la Mozartwoche de Salzbourg, où il a été proposé en janvier, puisque Marc Minkowski en est le directeur artistique.
Les déplorations précédentes sur la complexité des organisations culturelles, écho de la complexité des financements (Etat, Région, Ville) n’empêchent évidemment pas d’applaudir à la programmation à Grenoble d’un opéra de haute qualité, et c’est avec plaisir qu’on a pris le chemin du grand navire de béton d’André Wogenscky.
La présentation d’un opéra dans des lieux moins habitués, sinon moins habituels, impose évidemment une réflexion sur le type de production à présenter. Le public de théâtre de la MC2 a vu défiler Bondy, Warlikowski, Françon, Marthaler, Macaigne, Ostermeier etc…est-ce néanmoins le même public que celui de l’opéra ? Cela reste à prouver.
Je me rends bien compte que les publics sont assez cloisonnés, surtout celui de la musique classique et du théâtre (c’est moins vrai pour la danse), et  on peut donc comprendre la grande sagesse de cette production d’Orfeo ed Euridice d’Ivan Alexandre (à qui l’on doit Hippolyte et Aricie de Rameau à Toulouse et à l’Opéra Garnier il y a quelques années) dans des décors monumentaux, assez lourds et envahissants de Pierre-André Weitz, le décorateur attitré d’Olivier Py. Il a construit une scène de théâtre en abîme, et des niches figurant des loges sur les côtés, permettant ainsi de jouer sur les deux espaces, la scène de théâtre et le proscenium, un peu comme ce qu’il avait conçu pour la Carmen mise en scène par Olivier Py à Lyon.

Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Le chœur qui commente l’action est disposé soit sur le proscenium soit dans les niches. Orfeo sur la scène, Euridice cadavre sur le proscenium, protégée par un danseur qui danse une chorégraphie de la mort (Uli Kirsch) , et qui dispute amoureusement Euridice à Orfeo, un danseur qui fait penser au Septième Sceau de Bergman…sans Bergman. C’est l’idée centrale.

Bejun Mehta (Orfeo), Uli Kirsch (La Mort) Camilla Tilling (Euridice) © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Bejun Mehta (Orfeo), Uli Kirsch (La Mort) Camilla Tilling (Euridice) © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

La deuxième idée, c’est d’enfermer au lever de rideau Orfeo et Euridice dans une sorte de construction baroque, une immense robe à paniers où les deux se serrent, déjà divinisés comme une sorte de statue d’autel, Euridice de dos, Orfeo de face, et de faire qu’au moment où Euridice s’écroule, une blessure sanguinolente qui se ravive de temps à autre…atteigne le flanc d’Orfeo. Orfeo inconsolable, marqué à vie par le sang de la blessure de cette mort (Amfortas ? On comprendrait alors qu’Orfeo soit un castrat – ici un contreténor).
La troisième idée, c’est un délicieux Amour du genre mauvais garçon gentil, un peu Bohème, très androgyne (décidément) interprété avec une jolie fraîcheur par Ana Quintans.

Euridice est arrachée aux Enfers © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Euridice est arrachée aux Enfers © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Enfin la dernière, non la moindre, c’est représenter l’enlèvement d’Euridice projeté en ombres sur un vélin. C’est une très belle image, sans doute l’une des plus belles du spectacle qui tranche par sa simplicité et donc est pleinement convaincante.
Pour le reste, une vision traditionnelle, des mouvements convenus, des gestes rebattus : un grand rien très élégant, magnifié par de très bons chanteurs.

Le décor lourd et envahissant ne se justifie pas vraiment: il souligne le théâtre dans le théâtre…et dans le théâtre, pour laisser apparaître à la fin l’histoire d’Orphée/Orfeo dans un univers cosmique, avec comme image finale la mort qui porte la terre comme Atlas. La mort pèse sur nous comme nous pesons sur la mort. Le rideau final tombe sur la harpe, centrale, solitaire, orphique, prima la musica…

Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Orfeo ed Euridice © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

Un travail sans épaisseur, qui  ne dérange pas, mais très élégant, avec de jolis éclairages de Bertrand Killy, pour être vu sans y penser, et qui n’a pas d’ailleurs la prétention de faire penser, mais seulement de faire semblant : on est baroque ou on n’est pas.

Musicalement, trois chanteurs remarquables, avec en premier lieu Bejun Mehta, qui montre une telle sûreté, une telle pureté dans l’approche musicale, un tel sens dramatique, qu’il impressionne vraiment. Un visage hiératique, presque taillé dans le marbre, une voix étrange, avec de sublimes sons quelquefois. Il m’avait frappé dans Tamerlano à Salzbourg et surtout dans Written on Skin à Aix, où il était exceptionnel. Il est ici magnifique de tension et d’émotion ; son che faro’ senza Euridice est anthologique, surprenant de simplicité, sans affèterie, et profondément émouvant.
Camilla Tilling est une chanteuse elle aussi très sûre qui partage avec Bejun Mehta le refus de l’effet gratuit, et qui est immédiatement émouvante : c’est une artiste qui communique, avec la voix et avec le corps dessiné comme celui d’une danseuse. Elle reste en scène pratiquement la totalité du spectacle, cadavre répondant aux douceurs érotiques de la Mort, ou femme éplorée et dépitée devant l’apparente indifférence d’Orfeo. Une vraie intensité, un beau moment dramatique.

Orfeo, Euridice, L'Amour, La Mort © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
La Mort, Euridice, L’Amour, Orfeo © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

L’amour d’Ana Quintans a une fraicheur communicative, une sympathie immédiate, la salle sourit, partage, s’émeut. Et la voix est bien posée, avec une jolie diction, très compréhensible. Un vrai rayon se soleil.
Le Chœur de chambre du Palau de la Música Catalana est aussi très au point et sonne bien dans l’acoustique un peu sèche de la salle de Grenoble, et il est doué un joli volume et d’une belle présence.
La direction de Marc Minkowski ne surprend pas : énergie et dynamisme (ouverture), mais absence globale de subtilité, même si Gluck fait partie de son répertoire familier. Ce n’est pas dans les nuances qu’il faut attendre Minkowski, ni même dans la couleur, mais dans cette palpitation permanente, un peu gratuite, qui fait que même dans les moments les plus recueillis, les plus lyriques, l’orchestre semble rester insensible. Contrairement à Alceste à Garnier, on ne note aucun décalage et l’ensemble est assez précis, mais n’est pas passionnant pour mon goût parce qu’un peu superficiel. J’aime un Gluck plus charnu, plus différencié, plus coloré et pour tout dire avec une grandeur tragique que je ne trouve pas ici.
Ce fut malgré tout une soirée agréable, mais à la distribution de très haut niveau ne correspond ni une mise en scène intéressante (qui néanmoins se laisse voir), ni une direction musicale exceptionnelle (qui néanmoins se laisse entendre). Sans la poésie, sans le lyrisme, un Orfeo ed Euridice reste frustrant : frustration certes légère, car la soirée est tout de même de qualité, mais frustration réelle.
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Le dispositif général © SN/APA/APA/BARBARA GINDL
Le dispositif général © SN/APA/APA/BARBARA GINDL

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2013-2014: ALCESTE de C.W.GLUCK le 19 SEPTEMBRE 2013 (Dir.Mus.: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Olivier PY)

Palais Garnier, Palais d’Apollon © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

Alceste n’est pas un des opéras les plus populaires de Gluck, comparable à un succès de répertoire comme son Orphée et Eurydice, qui lui aussi est une descente aux Enfers. C’est un long lamento, une succession de plaintes, celles d’Alceste qui va perdre son mari Admète, puis celles d’Admète qui va perdre sa femme, puis celles des deux, enfin celles du peuple qui va perdre ses modèles politiques et ses références morales. Long lamento ponctué d’un air célébrissime, Divinités du Styx, redoutable fête de sons graves pour la protagoniste. Pour que l’œuvre passe auprès du public, il faut en général une forte personnalité scénique qui ait suffisamment de charisme pour imposer le personnage : on a vu par exemple Germaine Lubin, Maria Callas et plus près de nous Shirley Verrett s‘y  confronter. Shirley Verrett, statue impériale au milieu d’une magnifique colonnade conçue par Pierluigi Pizzi dans ce même Palais Garnier (production de Florence), c’est un souvenir que les spectateurs parisiens (un peu) plus âgés ont gardé dans un coin de leur mémoire mélomaniaque. J’ai pour ma part aussi entendu  à la Scala la version italienne (1767) de Ranieri de’ Calzabigi à Milan sous la direction experte de Riccardo Muti, qui a un sens inné de la grandeur gluckienne (laissons l’adjectif gluckiste aux débatteurs du XVIIIème), avec Rosalind Plowright, la précédente édition scaligère en 1972, avait eu Leyla Gencer comme protagoniste.
La version française qui remonte à 1776 est de Le Bland du Roullet. L’Opéra de Paris a d’ailleurs repris Alceste assez fréquemment : c’est la deuxième production depuis l’ouverture de Bastille,  et la troisième depuis 1980. En confiant à Olivier Py la mise en scène, et la musique aux complexes des Musiciens du Louvre-Grenoble dirigés par Marc Minkowski, Nicolas Joel montrait quelle importance il accordait à cette production qui devait à l’origine marquer en plus le retour de Roberto Alagna sur notre scène nationale. Mais ce dernier a déclaré forfait et c’est Yann Beuron qui a repris le rôle d’Admète.
On connaît l’histoire : Admète se meurt, et Alceste son épouse demande à Apollon de sauver son mari : le Dieu consent à le sauver si un mortel meurt à sa place. Devant la fuite générale, Alceste s’offre à la place de son époux. Celui-ci, sauvé, découvre bientôt qui s’est offert en sacrifice et en refuse la perspective, mais il est (presque) trop tard. Au seuil des Enfers,  Hercule, qui a fini ses 12 travaux, intervient (Deus ex machina) fait reculer les Dieux infernaux, sauve Alceste, tandis qu’Apollon invite la ville à fêter le retour de ses souverains.
La source principale est évidemment la tragédie d’Euripide qui fait presque d’Alceste l’héroïne unique (Admète est bien ambigu et fait bien peu pour sauver sa femme) dans une pièce qui ne manque pas de contrastes, avec par exemple un Hercule trivial, qui tranche avec le ton somptueux de l’ensemble.
J’ai lu çà et là que Py avait conçu une cérémonie funèbre, sur une scène marquée par le noir (décor, costumes) sauf par la tache blanche de la robe d’Alceste (quand elle s’offre en sacrifice, c’est la couleur dont on revêt les victimes) ou du lit d’Admète, devenu ensuite lit d’Alceste, sorte de lit d’hôpital auprès duquel rôde un médecin (en fait l’oracle chanté par l’excellent François Lis). Mais cette cérémonie est sans cesse détournée par des détails dérangeants ou cocasses, à commencer par quatre ou cinq figurants qui dessinent à la craie des « ambiances », plus que des décors, sensées remplacer les toiles peintes, qui la plupart du temps représentaient des natures sauvages ou domptées et des longues perspectives de colonnades ou  des architectures antiques rêvées. Ces dessins, qui rappellent les architectures de Monsu Desiderio, qu’on dessine avec grande habileté et technicité et qu’on efface aussitôt pour montrer la fragilité des choses humaines, ont fasciné le public qui ne parlait que de cela à l’entracte. Ils représentaient entre autres le Palais Garnier, des perspectives à la Claude Le Lorrain, des arbres, des flots déchainés avec un navire à la Cutty Sark (inspiré par les étiquettes du fameux whisky: clin d’oeil quand tu nous tiens), une tête de mort, la lyre resplendissante d’Apollon, le rideau de scène de Garnier.
La craie n’est pas là par hasard évidemment, tout eût pu être travaillé à la vidéo, avec de l’informatique (comme l’électrocardiogramme d’Admète), projeté ou filmé, y compris en noir et blanc pour être dans le style…Mais la craie renvoie tout à la fois à un monde de l’enfance perdue, à un monde lointain qu’on efface facilement, mais aussi à un monde dominé par la manualité, la main humaine et non le machinisme (les décors sont poussés ostensiblement par des machinistes). À la craie aussi quelques aphorismes dont Py est friand (à la craie dans cette production , dans d’autres au néon), sans réponses, désespoir politique, le soleil ni la mort ne se peuvent rencontrer, ANANKÈ (la nécessité, ce qui doit arriver), seule la musique sauve, Les nuits d’été. Ce côté “artisanal” de l’opération, parfaitement voulu et central dans l’ambiance créée par Py, renvoie bien sûr à l’essentialité du théâtre, avec aussi sa distance ironique (la scène de l’électrocardiogramme à la craie provoque évidemment quelques rires) et son regard sur les illusions, sur les illusions de la caverne platonicienne, qui apparaissent, disparaissent, et qui jouent même avec le mélange des signes de l’effacement et de la lumière, traces des balais et de l’eau laissées sur les surfaces éclairées par les projecteurs, d’autres formes naissent ainsi, d’ombres et de lumière, plus abstraites, plus “contemporaines” (voir les photos jointes).

Apollon au sommet du Palais Garnier

Le propos d’Olivier Py pourrait bien partir de “Seule la musique sauve“: le palais d’Admète et d’Alceste est un dessin qui représente le palais Garnier, dominé, on le sait par Apollon entouré de la musique et la poésie (un groupe du sculpteur Aimé Millet). C’est donc cet Apollon protecteur du Palais Garnier, qui est aussi celui auquel s’adresse Alceste pour sauver son mari, comme si l’opéra de Gluck devenait une métaphore du genre-opéra et du lieu-Opéra. D’ailleurs, l’image finale est la lyre qu’il porte, qu’on voit plusieurs fois dans le déroulement de la représentation, et c’est lui,  corps doré recouvert de paillettes, qui intervient dans les dernières secondes. La musique est donc l’élément porteur, ce qui ne saurait étonner puisque pendant la seconde partie (Acte III) l’orchestre est sur la scène, et les espaces de jeu se réduisent au proscenium et au fond de scène: habilement, Py y fait dessiner le rideau du palais Garnier par ses quatre techniciens dessinateurs (de l’équipe du décorateur Pierre-André Weitz), ce qui recrée un rapport traditionnel scène/orchestre sur la scène et donc un théâtre en abîme: le rideau dessiné du Palais Garnier ouvrant sur le retour d’Alceste des Enfers. On entre aux enfers par la fosse, et on en ressort par le fond: l’Enfer est partout, pas d’échappatoire: seul le plateau est la vie.

Car sans orchestre, la fosse devient l’entrée des enfers, d’où émerge le choeur, avec des masques de mort: à l’opéra, l’Enfer c’est la fosse…vous percevez l’ironie du propos..? Et pour sortir de l’enfer, l’orchestre doit être sur scène…est-ce si gentil pour Minkowski tout ça…?
Je plaisante, bien entendu…Il reste que le dispositif du troisième acte, faisant de l’orchestre le protagoniste qui occupe l’essentiel du plateau, avec un choeur derrière, bien de face, comme dans une représentation en version (semi) concertante et un proscenium occupé par les chanteurs rappelle bien des concerts d’opéra et en souligne et en impose l’organisation. Py nous dirait-il en plus, que la mise en scène est inutile à l’opéra et que la musique nous dit tout, parce qu’elle nous sauve? Bref, triomphe de la musique dans sa sublime abstraction (image finale de la Lyre), et mort de l’opéra: d’ailleurs le Palais Garnier de craie est bien vite effacé, ainsi que le rideau de scène à l’arrière. Jolie pirouette pour illustrer un auteur fondateur de l’opéra moderne.
C’est donc pour moi d’abord un travail non pas sur l’histoire d’Admète et d’Alceste, illustrée assez platement une fois que la surprise des dessinateurs aux longs bâtons de craie est passée et devient système, et donc non plus pour parler d’une histoire funeste de mort et d’enfers, d’effroi et de mythologie, mais plutôt c’est plutôt un travail sur la mort baroque du genre opéra (ou peut-être de la variation baroque de l’opéra). Le public fait donc un triomphe à la mort de son genre préféré, le noir renvoyant plus à une abstraction qu’à un signe mortuaire.
Mais je continue de plaisanter…

Craie, coeur, tableau mouillé, jeux d’ombres et de lumières © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

La craie: parlons-en justement. Bien sûr ces dessins font référence aux toiles peintes des opéras baroques, avec leurs perspectives rêvées et leurs visions de l’infinitude, elles apparaissent, elles s’effacent,  mais alors que dans l’opéra, elles offrent seulement un cadre évocatoire, ici les dessins deviennent en quelque sorte protagonistes: tous les spectateurs s’interrogent en se disant “alors et maintenant, qu’est-ce qu’ils vont nous dessiner?” et se concentrent sur leur travail, n’ayant ni Lubin, ni Callas, ni Verrett à se mettre sous la dent et surtout, Py s’arrangeant pour que le drame passe après
Je trouve le travail de Py très brillant, très virevoltant, ouvrant des possibilités multiples d’interprétation, très déstabilisant même par sa profusion et dans sa très apparente simplicité: au théâtre, ne jamais se laisser prendre à l’apparence.
Par exemple: et si tout le monde était en noir pour illustrer/représenter le noir des concerts (choeurs et orchestre sont tous en noir: le noir est la couleur du concert en représentation, la couleur de la musique classique appelée quelquefois sérieuse, pour enfoncer encore plus l’horrible clou) et non pour l’histoire d’Alceste. Bon, je concède, il y a le blanc du lit, le blanc d’Alceste, mais qui connaît l’antiquité sait que le blanc est la couleur du deuil, la couleur funéraire: le blanc, c’est la mort, pas le noir: tout ce qui est en blanc sur scène est la mort. Non, le noir ici n’est pas la mort, mais la couleur de la musique, la couleur que chaque soir, à Pleyel ou à Lucerne, à la Philharmonie de Berlin ou au Musikverein, nous acceptons comme un topos de la musique dite classique. Il n’y a que la musique qui sauve, nous dit Py: quand on vous le dit que ce noir là est un noir de vie…

Par ailleurs, l’antiquité dans son système de références artistiques (le blanc en est une) est bien présente: il y a dans ce travail une idée que je trouve vraiment géniale, c’est d’avoir fait chanter Divinités du Styx comme une invocation funéraire en plaçant la protagoniste assise de profil contre un fond aux dimensions de stèle, comme s’il s’agissait d’une stèle funéraire attique, avec un serviteur qui porte le miroir parce que celle qui va mourir se prépare et se fait belle pour le dernier voyage. Une sorte de stèle animée. J’ai immédiatement pensé à la très fameuse stèle d’Hègèsô, du Musée d’Athènes. Un vrai moment de mise en scène.
Py ne cesse aussi de jouer sur les distances avec l’histoire racontée. L’histoire en elle-même ne semble pas trop l’inspirer: certes, la lecture d’Euripide lui a inspiré un Hercule facétieux (et l’idée est excellente) une sorte de magicien à la Mandrake très bien personnifié par Frank Ferrari, un Hercule qu’on ne prend pas trop au sérieux, qui fait sortir bouquets et colombes de son chapeau; certes, l’image des enfants (une trouvaille de la version française) tantôt éplorés dans des gestes convenus comme pour faire la photo, tantôt absents, jouant à la balle, littéralement ailleurs et plus adolescents indifférents qu’enfants éplorés; certes aussi il sépare le choeur des “Coryphées” coiffés d’une couronne de laurier qui ont directement la fonction du choeur antique, commentant l’action, pendant que le choeur réel est le peuple, affolé au premier acte, lâche et fuyant (comme toujours: le peuple n’est pas fait de la trempe des héros) festoyant pour le retour d’Admète au second, lisant les journaux pour avoir des nouvelles: les journaux, encore un signe d’une sorte de passé; aujourd’hui les choeurs tweetent les news, voir Ivo Van Hove -Macbeth à Lyon, ou Andreas Kriegenburg – Götterdämmerung à Munich; dans le monde de l’Antiquité selon Py, on lit encore les journaux et on écrit à la craie. Tout fait signe au théâtre.
Et malgré toute cette profusion de possibles, malgré ce travail très brillant, il reste que toute cette distance fait disparaître l’émotion: Py est brillant, mais serait-il pour autant substantiel? Je n’arrive pas à voir dans ce travail un autre discours que celui du jeu sur les formes, sur le théâtre, sur la musique, qui ne va pas au-delà d’une acrobatie au total superficielle. Un exercice de style de haute voltige, mais rien qu’un exercice de style. Que reste-t-il au bout du compte? On peut se poser la question.

Yann Beuron – Sophie Koch © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

Je trouve en revanche que le travail sur les personnages  reste dans  ce maelström étonnamment frustre, que les mouvements, les rapports des êtres entre eux restent confinés dans des gestes relativement convenus et peu chargés d’émotion, sauf à de rares moments (Alceste se penchant sur le corps d’Admète dans son lit) et encore. Il y a certes une volonté de rester sur une sorte de grammaire du geste très abstraite, réduite au minimal nécessaire, sans doute aussi pour respecter le tragique, qui refuse tout pathos. Mais cela ne cadre pas suffisamment avec la construction de la silhouette très contemporaine de Sophie Koch ou même d’un Admète en bras de chemise. Des silhouettes d’aujourd’hui avec des gestes d’avant hier, qui conviendraient à une Adrienne Lecouvreur (la vraie, pas celle de Cilea) en stola ou à un Lekain en tunique ou en toge. Je sens là quelque chose qui n’a pas  (pour moi du moins) fonctionné et qui reste très froid et très distant. Adieu émotion.
Musicalement, l’ensemble de la distribution est très honorable, il n’y a vraiment aucune faute de goût, même si tous ne sont pas totalement convaincants.
Yann Beuron interprète un Admète au style impeccable, tant dans la diction, que l’expression, que la projection c’est au niveau du chant de très loin le plus convaincant, le plus présent vocalement aussi: il ne m’a pas en revanche convaincu comme personnage ou comme acteur, plutôt pâle, mais en cela il convient bien au rôle, pas très passionnant: on se demande bien pourquoi un tel amour d’Alceste, pour un Admète si peu héroïque et aussi fade.
Sophie Koch en revanche éprouve des difficultés dans ce rôle redoutable entre tous. C’est une prise de rôle, et sans doute va-t-elle peu à peu polir le propos; mais la fréquentation de rôles plus aigus (Wagner par exemple) pèse évidemment pour un rôle qui frappe par ses exigences dans les graves. Elle ne les a pas. On ne l’entend pas dès que la voix descend, et encore plus quand l’orchestre est sur scène. Quant aux aigus, ils sont un peu criés. Et donc  il y a du tiraillement dans la voix et dans la ligne de chant. L’artiste reste évidemment intéressante, soucieuse de proposer une vision cohérente, et la proposition reste honorable et défendable, mais je suis persuadé que si elle était plus à l’aise avec sa voix et avec le chant, le personnage sortirait beaucoup plus incarné: ici, il y a l’actrice, très correcte comme toujours, et il y a le chant,  un peu plus discutable, et les deux n’arrivent pas vraiment à créer une osmose. Bref, je n’ai pas été vraiment touché.
Le grand prêtre d’Apollon (en soutane…) de Jean-François Lapointe confirme en revanche  l’excellence de cet artiste dont la qualité du chant marque chaque apparition. On se passionne pour ce chant et cette technique, qui dominent largement le premier acte et qui ravissent l’oreille: Lapointe est une valeur très sûre, notamment pour ce répertoire. Ne le manquez jamais.
Frank Ferrari, très à l’aise comme personnage dans Hercule offre une jolie prestation qui contraste bien heureusement par son côté vital, joyeux, trivial. Un joli moment, très souriant, très roboratif, très sympathique.
Parmi les autres rôles, qui sont épisodiques, notons les quatre coryphées, confiés pour l’essentiel à d’anciens élèves de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, et qui montre que le travail mené a porté ses fruits, des voix très présentes, techniquement au point, bien projetées, très musicales (Florian Sempey, Marie Adeline Henry), mais j’ai un faible pour Stanislas de Barbeyrac, dont le style impeccable, le velouté du timbre, l’élégance, la projection laissent espérer une carrière brillante. Si on ajoute François Lis (l’oracle, une divinité infernale) qui a étudié au conservatoire de Paris, on peut être particulièrement satisfait du travail de préparation des jeunes chanteurs français d’aujourd’hui. Il est vrai qu’on les voit maintenant émerger un peu partout, et ils ont vraiment un niveau technique particulièrement remarquable. L’idée d’un chant français piteux, qui est un topos superficiel du monde lyrique, ne correspond vraiment plus du tout à la réalité, et on peut ici saluer l’Opéra de Paris qui met en valeur cette génération déjà bien présente sur les plateaux.
Mes doutes les plus marqués au niveau musical vont à la direction de Marc Minkowski, et à l’ensemble orchestre et choeur. On regrette quand même que pour une oeuvre pareille le choeur de l’Opéra de Paris n’ait pas été convoqué; certes, il prépare Aïda, mais tout de même Alceste est une oeuvre phare, le choeur a un grand rôle et celui de l’opéra est en général au rendez-vous…  Le choeur des Musiciens du Louvre est (juste) un ton en dessous de ce qui serait à attendre dans ce théâtre, en terme de volume, en terme de rondeur, en terme de présence. Et du point de vue des rapports entre l’orchestre et le choeur, il y a de trop nombreux décalages et, plusieurs fois,  comme des erreurs de tempo, comme si les deux n’allaient pas toujours ensemble, ni toujours de conserve.
Quant au choix de l’orchestre, j’avoue que j’ai des réserves sur l’emploi dans Gluck d’un orchestre baroque (notamment pour les cuivres, presque pénibles). Je sais qu’on pourrait en discuter à l’infini, mais j’entends toujours Gluck à la lumière du futur qu’il a impulsé, Spontini, Cherubini, voire Rossini et bien sûr Berlioz et Wagner et non à la lumière de son propre présent ou de son passé. Et je préfère l’entendre avec des orchestres modernes, on y lit beaucoup plus les filiations, les nouveautés, les fulgurances. Ainsi, voir et entendre l’orchestre sur scène impose un style sonore qui ne me convient pas, question de goût, d’habitude (d’autres diraient sans doute manque de goût et de culture). J’avoue, comme d’ailleurs lorsque j’ai entendu Cherubini dirigé par Spinosi, ne pas comprendre ce que cela apporte de plus, ou de mieux, au-delà de la curiosité esthétique: là aussi un exercice de style inutile. Quand je pense qu’on commence à nous infliger du Rossini (Bartoli-Spinosi au TCE et à Salzbourg) ainsi, comme si cela allait devenir la norme, cela me désole, car on tombe encore dans l’effet de mode et de marché, mais absolument pas dans l’effet musical utile (même si j’ai assez aimé Norma à Salzbourg, je ne suis pas vraiment convaincu que l’orchestre de Giovanni Antonini y soit à sa place, mais expérimentation fait loi). Je rappelle pour mémoire que le Couronnement de Poppée qui me marqua à jamais fut celui où chantaient ces baroqueux bien connus qui ont nom Jon Vickers, Christa Ludwig, Gwyneth Jones, Nicolaï Ghiaurov.
Mais qu’on ne se méprenne pas, je ne remets pas en cause l’interprétation des oeuvres baroques sur instruments anciens ni l’apport musicologique essentiel de ces recherches. Mais puisqu’on ne peut savoir exactement quel son entendaient nos ancêtres, ni comment ils le percevaient (pas plus qu’on ne peut savoir exactement comment ils disaient ou entendaient les vers, pas plus qu’on ne peut savoir exactement comment ils percevaient les couleurs) on ne peut pas imposer une uniformité de styles et de formes. Or je cherche ce que ce son sec et déséquilibré, quelquefois vacillant, apporte à Gluck. J’ai entendu plusieurs fois Riccardo Muti (qui est loin d’être mon chef de prédilection) dans ce répertoire avec un orchestre “ordinaire”, j’ai été cent fois, mille fois plus impressionné, surpris et ému.
Dans la fosse d’ailleurs, on n’entendait pas vraiment bien l’orchestre, notamment les cordes si essentielles étaient d’une discrétion notable. Ainsi les effets aux cordes des inserts de l’orchestre dans le grand choeur du premier acte, qui sont à la fois sublimes et très “modernes” et qui doivent avoir du relief, restaient d’une désespérante platitude, et à peine audibles. Sur scène au contraire, on l’entendait un peu trop et il couvrait souvent les voix. Où est le juste équilibre? Et la direction de Minkowski, certes comme toujours énergique et dynamique, n’avait pas pour moi l’épaisseur voulue. J’ai lu que certains y ont vu une insondable profondeur, avec un relevé de détails sublimes de la partition: je dois vite courir chez Audika, car j’ai bien peu entendu de détails, de raffinements, de profondeur dans ce travail: cette direction ne me dit rien, ne me parle pas, elle ne me tient pas un discours: elle avance, elle file puis elle passe et on l’oublie. Ainsi d’ailleurs suis-je terriblement frustré: face à un travail du metteur en scène sur la musique , c’est justement la musique qui pêche et qui ne répond pas suffisamment du moins à mon goût aux exigences de cette partition. Seule la musique sauve, eh bien, pas ici, pas vraiment.
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Alceste, mort, choeur © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

FESTIVAL d’AIX EN PROVENCE 2013: DON GIOVANNI de W.A.MOZART le 20 JUILLET 2013 (Dir.mus: marc MINKOWSKI, Ms en scène: Dimitri TCHERNIAKOV)

Saluts

On pourra se référer pour une analyse plus complète de la mise en scène, au compte rendu du Don Giovanni de 2010, à Aix en Provence.

L’intérêt d’une reprise, surtout dans un festival, est de faire une autre proposition musicale (nouveaux chanteurs, nouveau chef) dans le cadre d’une production retravaillée. C’est bien ce qui a présidé à cette reprise d’une production discutée il y a trois ans, et discutée encore cette année, signe qu’elle n’a rien perdu de son actualité ni de sa force subversive.
Malheureusement, il se peut aussi qu’une reprise ne produise pas les résultats escomptés. Et pourtant, Marc Minkowski et le London Symphony Orchestra sont apparemment des garanties de qualité, et la distribution, sans être de celles qui entrent dans la légende, n’était pas sur le papier au moins, inférieure à celle d’il y a trois ans, dont plusieurs protagonistes faisaient déjà partie. Et pourtant, quelle différence! et quelle déception!
La mise en scène de Tcherniakov produit toujours son effet sur le public. Effet délétère évidemment, les mêmes qui applaudissaient au génie de Chéreau (qui étaient les mêmes ou leurs clones qui il y a trente cinq ans hurlaient à la provocation contre le même Chéreau) ont hurlé contre Tcherniakov aujourd’hui. Le public de l’opéra est toujours aussi versatile. Et lorsqu’on touche aux masses de granit comme Don Giovanni, “il y a des limites à ne pas dépasser”. Tcherniakov signe là un travail radical, d’où sont évacués le mythe de Don Giovanni et son aspect surnaturel, car il en fait le film d’un drame familial, inspiré du “Dernier Tango à Paris” de Bertolucci (le sexe comme dernier rempart de la désespérance) de “Theorème” de Pasolini  (l’ange exterminateur qui pénètre une famille et en révèle les désirs cachés ou inavouables) ou “Les Damnés” de Visconti, tous traitent du délitement des âmes et des désirs de corps:  j’ai vu aussi cette année dans cet univers clos à décor unique un drame à la Tennessee Williams. Lecture du Don Giovanni à la lumière du XXème siècle, de l’art du XXème par excellence, le cinéma et aussi du théâtre américain. Alors évidemment les amateurs de commandeurs à la voix caverneuse et de Don Giovanni disparaissant dans les fumées sulfureuses de l’Enfer en sont pour leur frais: mince alors, ils n’auront pas reconnu leur Don Giovanni!

©Festival d’Aix

Oui, dans toute entreprise de ce type, il y a par force des moments plus discutables, moins convaincants. Bien sûr la séparation en séquences de ce qui devrait être un continuum perturbe, peut déranger: mais pris comme des stations d’une passion de Don Giovanni, ils reconquièrent une logique. On a parlé de pornographie: quelle bêtise crasse!  comme si le désir exprimé en scène était de la pornographie. j’invite ces pâles effarouché(e)s à se confronter à Calixto Bieito qu’en France on ne connaît pas encore (il officie ailleurs en Europe -Berlin, Zürich, Barcelone, Madrid, Bâle – depuis des années et des années).

© Festival d’Aix

Il y a dans ce travail des moments en creux, plus dans le second acte que dans le premier, mais il y a des scènes marquantes: extraordinaire scène des masques où les masques, au lieu de cacher, révèlent les personnages, final du premier acte, scènes entre Don Ottavio et Donna Anna, magnifique scène du cimetière, mimée et si distanciée (la peur devient un jeu sur une peur qu’on mime et qu’à aucun moment on n’éprouve), ou même le repas final devenu conseil de famille autour d’un Commandeur qui s’avère être un figurant qu’on paie pour faire le commandeur. Le tout dans des costumes d’une grande justesse d’Elena Zaytseva et Dimitri Tcherniakov (Une Donna Anna aux couleurs vives, flashy, là où elle est habillée le plus souvent en noir). Comme il y a trois ans, nous avons à faire là à une travail d’une précision millimétrée, d’une très grande intelligence, et à une véritable approche novatrice.

Ottavio et Anna ©Festival d’Aix

Mais, alors que nous sortions la veille d’une Elektra où la cohérence entre scène, fosse et plateau était l’une des marques de l’éclatante réussite du spectacle, ce qui frappe dans ce Don Giovanni, c’est justement l’absence de cohérence, et de dialogue entre les trois socles du spectacle. D’abord, l’impression d’une direction musicale en difficulté face à un orchestre qui ne répond pas. Là où Langrée avait face à lui il y a trois ans les Freiburger Barockorchester (chef non baroqueux face à un orchestre baroque) Minkowski, chef venu du baroque, dirige le London Symphony Orchestra qui n’a rien de baroque et qui semble imperméable à la gestuelle et aux indications du chef. D’où des décalages nombreux entre la scène et la fosse, un son mat sans relief, sans approfondissement. La partition ne semble pas fouillée, éclairée, clarifiée, et l’on ne sent aucune direction affirmée, ni propositions musicales originales. C’est plat, sans accents, cela avance, en terrain plat. Aucune correspondance entre les aspérités de la mise en scène et d’éventuelles aspérités musicales. Une impression de vacuité, l’impression que personne n’a rien tiré de la partition, et que l’orchestre en tant que phalange n’est pas concerné.
Du côté du plateau, une distribution pâle, d’où émerge comme il y a trois ans l’excellent Leporello mauvais garçon et parasite de Kyle Ketelsen qui domine la scène par son engagement, sa mobilité et la manière intelligente dont il s’empare du rôle. Mais à ce Leporello si juste correspond un Don Giovanni vocalement sans relief et scéniquement “forcé”. Il est mal dans le rôle que veut lui faire jouer Tcherniakov. Là où il y a trois ans un Bo Skhovus à la voix vacillante était phénoménal de justesse et d’adéquation à ce Marlon Brando bis voulu par la mise en scène, Rod Gilfry reste un peu extérieur: il joue mais il n’est pas, il chante mais sans éclat ni accent, il n’est pas Don Giovanni, ni dans la vision de Tcherniakov, ni dans toute autre vision.  Maria Bengtsson est une Anna juste au contraire, engagée, à la voix un peu froide, mais très musicale. Ses deux airs sont réussis, notamment “Non mi dir” au second acte. Délicieuse Zerline, très musicale elle-aussi de Joelle Harvey, sortie de l’académie européenne de musique. Pour le reste, une situation plus contrastée. Un Masetto indifférent de Kostas Smoriginas (meilleur que dans son Escamillo l’an dernier à Salzbourg, mais sans vrai caractère), une Elvira à oublier d’Alex Penda, succédant à Kristine Opolais: aucun lyrisme, aucune velouté, aucun legato, des sons vilains, pas de technique, une voix sans homogénéité, des cris. Pénible. Et un Commendatore d’Anatolyi Kotscherga qui par rapport à sa prestation d’il y a trois ans, a perdu la profondeur, les sonorités d’une voix qui n’a plus aucun éclat ni aucun relief: très décevant. Reste le cas de Paul Groves, dont le premier acte, malgré de menues scories montrait une voix bien posée, sonore, en place, et qui s’écroule au second acte (plus de justesse, plus de ligne, plus de tenue): est-ce la raison pour laquelle il ne chante pas l’air d’Ottavio du second acte, coupé lors de cette représentation? Comme on le voit, un plateau inégal servant une musique peu convaincante dans la fosse.

Meurtre du Commandeur © festival d’Aix

Voilà un bilan bien gris d’un spectacle qui tient par la mise en scène. Je ne crois pas, contrairement à ce que j’ai entendu çà et là que la mise en scène empêche les chanteurs de chanter, je ne crois pas, contrairement à ce que j’ai entendu çà et là, que la mise en scène empêche le développement de l’action par ses coupures incessantes, je crois simplement qu’il n’y a pas eu de rencontre, et que l’alchimie n’a pas pris. Pas de pierre philosophale pour ce Don Giovanni. Dommage, au pays de Cassandre et d’un Don Giovanni mythique, que je découvris à 11 ans, à la TV (Aix fut transmis à la TV pendant les années 60) avec un certain Gabriel Bacquier.
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En 2010 avec Bo Skhovus ©Festival d’Aix

MC2 GRENOBLE 2012-2013: LE VAISSEAU FANTÔME OU LE MAUDIT DES MERS de Pierre-Louis DIETSCH le 24 MAI 2013 (LES MUSICIENS DU LOUVRE-GRENOBLE,Dir.mus: Marc MINKOWSKI)

Je l’ai écrit précédemment, c’est une excellente initiative que d’exhumer l’œuvre que l’Opéra de Paris a décidé de monter en 1842 à la place du Fliegende Holländer de Wagner (qui fut créé à Dresde en 1843). Cela montre la distance qui existe entre l’honnête artisan et le génie, et cela demande un certain nombre de réflexions. En prélude, soulignons que la soirée du 24 à Grenoble a été une très grande réussite, et c’est une excellente initiative qu’elle se solde par un enregistrement qui permettra de mettre en perspective les deux œuvres par ailleurs difficilement comparables.
L’œuvre de Dietsch “La Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers” permet de se replonger dans le contexte parisien de la fin des années 1830, et d’en expliquer les choix et les erreurs, et surtout de comprendre pourquoi les intentions de Wagner pour ce Vaisseau ne pouvaient qu’être incomprises, ou provoquer méfiance, voir crainte.
La vie musicale parisienne de la première moitié du XIXème se partage entre les trois théâtres, Opéra, Opéra Comique, Théâtre Italien, qui changent régulièrement de salle au gré des incendies, étroitement liés aux pouvoir, l’Empire d’abord, la Restauration ensuite, la Monarchie de Juillet enfin un peu moins étroitement attachée à surveiller ce qui se passe sur ces scènes nationales. Aussi bien en théâtre qu’en opéra, le répertoire classique et XVIIIème est encore très présent, et en musique ce qui se joue à la fin du XVIIIème, entre autres Méhul, Cimarosa, mais aussi Cherubini qui triompha à Paris pendant la révolution.
Par ailleurs, les modèles sont essentiellement italiens, à commencer par Spontini, protégé de Napoléon, qui produit en français des opéras comme Fernand Cortez, La Vestale, Olympie et des opéras comiques. C’est un des grands modèles, admiré par bonne part des compositeurs de tous ordres au XIXème, d’Auber à Wagner.
Cherubini est le deuxième “phare”, directeur du conservatoire, installé à Paris depuis la fin des années 1780, triomphateur du théâtre Feydeau sous la révolution, il est considéré comme un compositeur d’opéras comiques (à l’époque, on considère Médée comme un opéra comique), c’est presque un auteur officiel (voir son Requiem à la mémoire de Louis XVI ou sa Messe pour le sacre de Louis XVIII) c’est le dernier grand représentant du néoclassicisme musical.
Enfin Rossini, qui arrive à Paris vers 1825 qu’il ne quittera pratiquement plus jusqu’à sa mort en 1868. On peut difficilement se représenter la célébrité de Rossini alors, ses opéras sont une telle garantie de succès que les imprésarios les programment partout en Europe, certaines saisons de la Scala sont composées à 100% d’opéras de Rossini! Comment s’étonner qu’il ait pu vivre de ses rentes de 1830 (année de Guillaume Tell, son dernier opéra) à 1868 !?
Ce sont les masses de granit qui vont être le socle de la vie musicale du XIXème.
A cela s’ajoute évidemment Auber, essentiellement auteur d’opéras comiques à succès, mais aussi d’œuvres au format plus large dont la Muette de Portici en 1828. Avec Guillaume Tell de Rossini et Fernand Cortez de Spontini, cela constitue les bases de référence du Grand Opéra à la française, et dont Giacomo Meyerbeer est le plus important représentant avec les trois œuvres composées pour l’Opéra de Paris, Robert le Diable, Les Huguenots, Le Prophète et qui marque les années 1830-1840. Wagner n’aura de cesse de se faire reconnaître de lui, sans succès, et son Rienzi (1840) est dit “le meilleur opéra de Meyerbeer”.
Par ailleurs, il ne faut pas croire que l’on créé tous les jours des nouvelles œuvres, et certains auteurs, comme Weber, pénètrent le public parisien à travers des pots pourris, des œuvres composées à partir d’extraits d’auteurs multiples. c’est ainsi que le Freischütz va être introduit à Paris par un pot pourri qui puise beaucoup dans l’original, Robin des Bois ! Les foyers de création sont plus à trouver à l’opéra comique et au Théâtre Italien qu’à l’Opéra de Paris, grosse machine, “grande boutique” dira Verdi, qui surfe sur les modes, et qui à travers le Grand Opéra, va surtout faire la gloire des mises en scène géantes, des chœurs immenses, des grands ballets à des coûts stratosphériques.
Guillaume Tell (évidemment) que Benvenuto Cellini ou les Troyens et puis Les Vêpres Siciliennes, Don Carlos, et même Tannhäuser sont à classer pour un public de Paris dans la catégorie des Grands Opéras, marque de la maison.
Ce n’est sans doute plus vrai aujourd’hui parce qu’alors que beaucoup de théâtres européens proposent  Les Vêpres Siciliennes, ou Don Carlos dans leur version originale en français, Paris les ignore superbement.
Au moment où Wagner arrive à Paris, la situation à l’opéra n’est pas très brillante. la période de référence a été celle du directeur Louis-Désiré Véron, qui a fait passer l’opéra de l’âge de l’aristocratie à celle de la bourgeoisie; c’est le premier vrai manager de l’opéra, qui a fait du Grand Opéra le genre parisien par excellence. C’est lui qui attire les bons librettistes, Scribe, Delavigne mais surtout qui flaire les compositeurs qui vont remonter la maison (Guillaume Tell en 1830 avait été un semi-échec), tels Meyerbeer (Robert le Diable, immense succès en 1831) ou Halevy (La Juive en 1835). En 1835, l’Etat veut réduire les subventions, et Véron se retire, laissant sa place à Duponchel, son bras droit qui malgré le succès des Huguenots de Meyerbeer (1836) laisse une impression très mitigée, peu de créations, public clairsemé. Véron avait réussi à la fois à créer un genre, mais à faire de l’opéra une pompe à finances! Duponchel n’y réussit pas, et encore moins son successeur, l’incompétent Léon Pillet: c’est à lui malheureusement que Wagner va vendre son sujet du Hollandais Volant, pour 500F, et c’est lui qui confiera la réalisation à Pierre-Louis Dietsch, connu comme chef d’orchestre et comme compositeur  de musique religieuse, mais pas par l’opéra car Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers est son seul opéra. Wagner tombe donc au mauvais moment, celui où l’opéra stagne, où les moyens financiers sont limités, où la compétence managériale n’existe plus.
Pour les raisons expliquées plus haut, c’est un Grand Opéra qu’il faut composer pour attirer le public et être cohérent avec la marque de fabrique de l’Opéra de Paris. Incontestablement, Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers en a les ingrédients, avec un chant suffisamment acrobatique pour attirer les bravos (aigus et agilités de l’héroïne Minna, suraigus du ténor Magnus dans un style à la Auber ou à la Rossini (Arnold dans Guillaume Tell), tessiture tendue du premier rôle (Troïl) baryton;  il en a aussi les formes, traditionnelles désormais: arias, cabalettes, ensembles, duos, chœurs importants, qu’on entend à Paris partout, et notamment aux Italiens et à l’Opéra Comique: n’oublions pas qu’Auber triomphe, que Donizetti est installé à Paris depuis 1838, qu’il crée en 1840 Les Martyrs pour l’Opéra,  et qu’en 1843, il crée Don Pasquale au Théâtre Italien, et que Bellini  est mort à Puteaux en 1835 après avoir créé la même année I Puritani au Théâtre Italien.
Alors évidemment en écoutant Dietsch on piste çà et là un peu de style italien (très mâtiné d’Auber!), un peu du Rossini de Guillaume Tell (c’est quand même à lui que j’ai beaucoup pensé) un peu de Weber à d’autres moments , et en bref un peu de toute cette mouvance musicale qui règne à Paris à l’époque, et dans laquelleDietsch baignait en tant que chef de chant. Rappelons pour mémoire que c’est lui qui a dirigé la création de Tannhäuser à l’opéra de Paris en 1861, créant des démêlés épiques avec Wagner qui voulait diriger lui-même son œuvre.
Le livret a été confié à Paul Foucher qui s’est certes appuyé sur l’histoire de Wagner, mais a probablement ajouté des éléments d’autres œuvres, et a situé l’action aux îles Shetland (Thulé), et qui en a fait deux actes et trois tableaux.
C’est là à mon avis que le bât blesse: pour un public habitué aux formes longues (plusieurs heures) et lourdes du Grand Opéra, à des personnages nombreux, le format de ce Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers est trop réduit (deux actes et 6 personnages)  par rapport aux formes qu’il utilise et la structure du livret ne correspond pas à ce qu’on attendrait pour une œuvre relativement brève (1h50).
L’intuition géniale de Wagner en 1841 est que pour une œuvre à l’histoire relativement simple, brève et linéaire (le Hollandais arrive, négocie, séduit, et meurt avec la belle), il conçoit un gigantesque crescendo dramatique sans interruption qui tient le public en haleine et en tension et propose la nouveauté d’un acte unique de plus de deux heures. C’était très nouveau dans un monde où les Grands Opéras durent entre 4 et 5h avec des interruptions, des ballets, des ensembles, des personnages multiples (comme dans ses Feen ou dans son Rienzi): avec Der fliegende Holländer, Wagner utilise certes des formes encore identifiables (airs, duos, chœurs etc…) sans encore entrer tout à fait dans une dramaturgie nouvelle, mais tout de même, il insère les formes traditionnelles dans une linéarité dramatique nouvelle que justifie l’absence d’entracte.
Chez Dietsch, on trouve donc tout ce contre quoi Wagner va s’élever, des formes conformistes de l’opéra traditionnel, qui ralentissent l’action (à ce titre, après le duo Minna/Troïl très tendu du second acte, la dernière scène commence par une ralentissement du rythme, de l’action, du tempo qui choque après la tension précédente) et qui nuisent à l’efficacité dramatique. Le scénario wagnérien tel quel, n’était pas soluble dans les formes d’alors,car trop ramassé, trop immédiatement dramatique, trop tendu: Dietsch et Foucher sont tombés dans le piège, ils ont écrit un Grand Opéra trop petit…
Musicalement, ce n’est pas une œuvre qui marquera la postérité et ce n’est pas un hasard s’il faut attendre le 21 mai 2013 pour voir la douzième  exécution d’un opéra dont la dernière remontait au 23 janvier 1843…(et la première au 9 novembre 1842). Mais ce n’est pas pour cela que l’œuvre est ennuyeuse, et Dietsch est un bon mécanicien musical, il y a même des moments jolis, appuyés sur des solos instrumentaux, alto et voix, solo de harpe, solo de violoncelle, il y aussi de jolies allusions aux tempêtes rossiniennes (début de l’air bien nommé de Minna “Il fait nuit, et l’orage ébranle les rochers de la vieille Thulé) ou bien le prélude très retenu du second acte. Une musique agréable, qui se laisse écouter avec aisance mais sans moments de tension forte, sauf peut-être le duo de l’acte II, sc.5 .
J’ai trouvé que Les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski étaient bien plus dans leur élément que dans Wagner la veille. Le son était mieux calibré, l’orchestre plus souple, moins brutal, plus coloré aussi. L’univers des années 1830 est un axe pour eux, et je suis sûr que s’ils se lançaient plus avant dans Auber, (Minkowski a déjà dirigé le Domino Noir d’Auber et Robert le Diable de Meyerbeer) on aurait de jolies surprises. Les solos instrumentaux très beaux, très délicats, les ensembles bien construits, les rythmes marqués: évidemment, on n’a aucune référence, mais tout de même, on a pu percevoir une plus grande familiarité avec ce style de musique et d’approche qu’avec les déchainements wagnériens de la veille. La réussite de la soirée, réelle, tient beaucoup à ce changement de braqué.
Elle tient aussi et surtout à une distribution sans taches, avec des solistes qui chacun à leur place ont montré de très grandes qualités dans une œuvre qu’ils découvraient. Sally Matthews, Minna (tiens, le prénom de l’épouse de Wagner d’alors…) a toutes les qualités techniques de contrôle du son, a les pianissimi, a les notes élevées, et les passages très propres, un magnifique exemple de chant éduqué à l’anglo-saxonne et parfaitement en place; elle pourrait chanter du bel canto à un haut niveau (mmm…une Rosmonda d’Inghilterra…), mais elle a un petit problème d’émission un peu tubée, et surtout de diction du français: on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’elle chante la plupart du temps et c’est très regrettable face à ses partenaires qui eux, sont d’une clarté cristalline. Car si le Magnus de Bernard Richter a une qualité c’est bien celle de mâcher, d’articuler chaque mot avec une élégance sans pareille, avec toute petite raideur cependant. Magnifique exemple de ce que chanter avec style veut dire. La voix est claire, mais pas légère, on comprend pourquoi il a pu chanter Georg (Erik) à Versailles;  les aigus, même les plus tendus sont bien installés; à mon avis, il pourrait être dans quelque temps un Henri de la version française des Vêpres Siciliennes (pas dans l’italienne) avec un registre central un peu plus large. La référence dans Henri pour moi c’est Nicolaï Gedda, on n’en est pas (trop) loin. Eh, oui je rêve d’une version française des Vêpres qui soit de style français, pas de style italien traduit en français.
Le Troïl du baryton Russell Braun est aussi un exemple de chant parfaitement maîtrisé et éduqué à l’anglo-saxonne: ces chanteurs nord-américains (ou britanniques) -Russell Braun est canadien-, sont pour moi des autoroutes de l’opéra, sûrs, nets, droits, quand en plus il y a des ouvrages d’art, c’est à dire qu’ils savent intelligemment moduler, “ammorbidire”diraient les italiens, avec un chant qui sait s’adoucir, se colorer et en bref interpréter, cela donne une performance exemplaire, comme ce Troïl émouvant, parfaitement dominé, qu’il nous a été donné d’entendre: il ferait, lui, un bon Guillaume Tell…
Eric Cutler qui a une petite partie (Eric) m’est apparu un peu plus en retrait qu’hier dans Georg, mais toujours avec du style et de l’élégance, ainsi que Mika Kares, qui fait une petite apparition, toujours remarquable,  quant à  Ugo Rabec, jeune basse (Barlow , le père de Minna), il tient bien sa place, joli timbre, émission soignée, diction impeccable. Un très bon point dans une distribution dans l’ensemble exemplaire, avec les toutes petites réserves sur le soprano.
Pour tout dire, on ne peut qu’être ravi d’avoir découvert cette œuvre, non tant pour elle-même que parce qu’elle nous replonge dans une période peu explorée aujourd’hui dans les théâtres et même assez peu connue du public, de Rossini, à part Barbiere et Cenerentola, on ne propose plus grand chose alors qu’à Paris on aimerait entendre à l’opéra un Guillaume Tell (que je suis en train de réécouter et qui est une œuvre magistrale), du bel canto, à part Lucia di Lammermoor(1), L’Elisir d’amore et I Puritani peu de choses sont vues alors que le répertoire est gigantesque (et je ne parle d’auteurs italiens comme  Mercadante ou de Carlo Coccia),  d’ auteurs germaniques d’opéras de la période comme Marschner, Schubert, et même Weber, peu de choses : on en parle beaucoup mais qu’on en joue peu: à quand un Oberon, à quand même un Freischütz à l’Opéra de Paris?, d’Auber, il a fallu l’initiative de l’opéra comique pour revoir la Muette de Portici alors que c’est un opéra pour Garnier, au minimum. Quant aux Meyerbeer…Les Huguenots ont été montés magnifiquement par Strasbourg et Bruxelles, mais rien à Paris. Il faut saluer les initiatives du Palazetto Bru Zane sur ce répertoire immense, qui vont produire l’enregistrement de ces deux Vaisseaux et des Musiciens du Louvre-Grenoble qui font là œuvre culturelle notable.
J’étais arrivé à la MC2 avec des préventions, j’en sors avec une certitude, celle que l’opéra restera un art vivant si d’un côté on créée des œuvres nouvelles, et que de l’autre on explore le répertoire, on varie l’offre, on stimule les curiosités du public, toujours disponible, on construit une vraie culture lyrique. Aujourd’hui, un opéra qui tourne sur les standards universellement partagés, c’est un opéra qui meurt.
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(1) J’oublie injustement la Fille du Régiment, mais elle été remontée pour Dessay, pas pour Donizetti.

 

MC2 GRENOBLE 2012-2013: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER de Richard WAGNER le 23 MAI 2013 (LES MUSICIENS DU LOUVRE-GRENOBLE,Dir.mus: Marc MINKOWSKI)

Une semaine après Der Fliegende Holländer à Berlin, deux soirées à Grenoble avec les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski dans un projet hommage à Wagner, qui pointe une erreur de jugement: celle du directeur de l’opéra de l’époque Léon Pillet, qui  préféra un compositeur français, estimé plus sûr, Pierre-Louis Philippe Dietsch, pour composer sur le sujet du Hollandais Volant que Wagner avait projeté, après une lecture de Heine (Les Mémoires de Monsieur Schnabelewopski) et aussi après une épouvantable tempête vécue au large de la Norvège, alors qu’il fuyait Riga, où il était criblé de dettes. Dietsch composa “La vaisseau fantôme ou le Maudit des mers”, 11 représentations en 1843 et puis c’est tout à l’opéra, nous entendrons demain la 13ème (la 12ème fut entendue ce mardi 21 mai à l’opéra de Versailles).  À Versailles, le choix a été fait d’enchaîner les deux œuvres, à Grenoble, le projet sera divisé en deux soirées (les 23 et 24 mai) avec un enregistrement chez Naïve à la clef. L’opération est coorganisée par le Palazzetto Bru Zane, le centre de musique romantique française très actif: il s’agit donc à la fois d’un projet sur Dietsch et d’un projet qui consiste à présenter la version parisienne du vaisseau de 1841 (encore que la version de 1860 fût aussi composée pour un concert parisien), celle sans la “rédemption” et celle qui est obligatoirement jouée en un acte, mais aujourd’hui, on joue Der fliegende Holländer sans entracte dans la plupart des théâtres, y compris la version de 1860.
C’est une initiative intelligente, stimulante, et bien accueillie par le public grenoblois.
Mais voilà, l’auditorium de la MC2 a une acoustique très réverbérante, avec un son très présent et prononcé qui convient aux récitals d’instruments solistes et à la musique de chambre ou à des formations symphoniques moyennes (musique du XVIIème, XVIIIème, romantique) mais à cause de son podium réduit, à cause de son toit assez bas, elle ne convient pas au grand répertoire symphonique qui a besoin de plus espace. Or, Der fliegende Holländer, par son urgence, sa dynamique, ses chœurs importants a besoin d’espaces plus larges et le son nous arrive ici avec un volume excessif, même si la proximité des chanteurs et des musiciens n’est pas désagréable.
La première remarque est donc cette inadéquation du lieu, peut-être eût il mieux convenu d’utiliser la salle de théâtre, plus volumineuse, qui a une fosse, pour une représentation semi-scénique: c’est évidemment une opinion, qu’on peut discuter.
On sait les Musiciens du Louvre-Grenoble plutôt spécialisés dans un répertoire plus ancien (le XVIIIème), et même si la musique romantique est jouée désormais depuis longtemps aussi par des instruments d’époque (voir l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique), cette incursion dans un opéra de Wagner pouvait apparaître saugrenue pour  certains.
Certes le son est différent, plus âpre, plus rêche, cela s’entend dans les cuivres,  qui sont très découverts et un peu brutaux, on entend ordinairement des cuivres aujourd’hui beaucoup plus subtils, avec plus, beaucoup plus même de legato mais on doit applaudir l’engagement de l’ensemble de l’orchestre, très impliqué, très vif, très dynamique, très jeune avec des moments particulièrement réussis (La tempête du début du troisième acte, avec le très bon chœur  de Chambre Philharmonique Estonien). Le jeu des musiciens, la manière d’aborder l’œuvre, peuvent être discutés, mais il reste une vraie “franchise” dans cette manière d’aborder Wagner.
En revanche la direction de Marc Minkowski ne fait rien pour adoucir les effets ou donner un peu de raffinement. Certes, la version de Paris doit plutôt être jouée “haletante”, dynamique et énergique dans la tradition des opéras de Weber ou de Schubert, ou même des premiers opéras de Wagner. Mais là, avec  l’acoustique et l’interprétation du chef, on a une sorte de double peine: manque de souplesse, manque de couleur,  un volume  excessif en permanence, et un manque de subtilité: on l’entend dans le duo Senta/Hollandais du deuxième acte, dont l’une des qualités est la douceur de l’accompagnement orchestral, si bien réussi par Daniel Harding la semaine dernière, et ici presque gênant qui casse une peu la magie musicale.
Du côté des chanteurs, c’est plutôt une très agréable surprise, car la distribution réunie est jeune et remarquable dans son ensemble. À la différence de Versailles, où le Hollandais était confié à Vincent Le Texier, pour l’enregistrement à Grenoble, c’est Evguenyi Nikitin qui est le Hollandais, a priori un joli coup qui place en vedette celui qui devait le chanter à Bayreuth l’an dernier et qui en a été exclu à cause d’un tatouage nazi malencontreux. Il chante dans tous les grands théâtres, et donc on s’attendait à une prestation magnifique. Las, c’est une déception, comme dans Klingsor à New York en février dernier (dans le magistral Parsifal dirigé par Daniele Gatti). La voix est mal projetée, elle reste mate et sans vrai volume (même dans cette salle si favorable), il semble très fatigué, et sans aucun engagement (ce qui tranche avec les autres chanteurs) même si la diction est correcte et que le timbre reste beau. Mais il n’a rien d’un Hollandais réclamé dans les grandes scènes internationales: quelle différence abyssale avec Michael Volle la semaine dernière à Berlin qui était si émouvant et si présent.
Face à lui, une découverte, la jeune basse finlandaise Mika Kares (en Donald, c’est à dire Daland) basse profonde qui rappelle un autre finlandais, Matti Salminen, même si le physique est très différent. Très bien préparé, le chanteur est le seul à essayer de jouer un peu, de créer des interactions, car il chante sans partition. L’entrée en scène au premier acte, le duo du premier acte sont vraiment des moments magnifiques: il faut vraiment revoir en scène cet artiste, qui est une authentique révélation.
Le Georg (Erik) d’Eric Cutler a la technique américaine, très contrôlée, avec un centre étendu, des aigus bien négociés, une voix suffisamment large (car Georg/Erik n’est pas une voix légère): certes, dans les ensembles avec un orchestre au volume qui assomme dans la salle, notamment à la fin, on l’entend mal, mais son élégance dans le duo avec Senta montre vraiment les qualités de l’artiste, à réentendre dans Belmonte ou Tamino.
J’ai déjà plusieurs fois signalé Bernard Richter, ténor suisse d’une suprême élégance, à l’aigu très sûr, au timbre superbe, à la diction modèle, que j’avais découvert dans Don Ottavio à l’Opéra de Paris l’an dernier mais qui y chante régulièrement depuis 2006. Un Steuermann très maîtrisé, presque trop “beau” pour le rôle.
J’ai revu avec plaisir Hélène Schneiderman, en troupe à Stuttgart depuis 1984, qui a aussi été à Heidelberg où j’ai vécu, et qui y avait laissé une trace profonde,  une chanteuse toujours “honnête”, toujours préparée, toujours présente, dans Mary, qui n’est pas un rôle de grand relief, et dans lequel elle ne démérite pas.
Enfin, terminons par une autre découverte, Ingela Brimberg, un soprano suédois dans la grande tradition des voix suédoises au volume étonnant, à la technique solide, aux aigus perçants et parfaitement placés, avec une couleur un peu froide qui rappelle beaucoup Lisbeth Balslev. L’acoustique de la salle rend ses aigus énormes et presque trop volumineux, mais dans une salle ordinaire d’opéra, nul doute qu’elle ferait merveille. En tous cas, une Senta de grande allure, sans une faiblesse, avec un engagement qui tranche avec son partenaire Nikitin. Là aussi une jolie révélation.
Au total et malgré mes réserves sur l’orchestre et le chef, une entreprise justifiée, très soignée, et ma foi, riche de potentiel pour tous ces jeunes chanteurs, un vrai Fliegende Holländer, qui rend clairement justice à l’œuvre, sans doute une première pour Grenoble et les grenoblois n’ont pas été volés!
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