DE NEDERLANDSE OPERA 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON D’AMSTERDAM

Plus proche que New York, à portée de TGV (même si le Thalys pratique des prix exorbitants) qui permet l’aller-retour dans la journée, Amsterdam reste un théâtre toujours attirant. Il est rare d’y voir des spectacles médiocres: mise en scène soignées, distributions bien équilibrées et bien construites, direction musicale de grande qualité. En allant à Amsterdam, on a toujours la garantie de voir au moins un spectacle qui tient la route, même si ce n’est pas forcément le spectacle de l’année. N’ayant pas d’orchestre maison, on peut y entendre la plupart des formations néerlandaises. La saison prochain sera fortement marquée par Wagner: deux cycles complets du Ring (fin janvier-mi février) et des représentations séparées de Siegfried (septembre) et Götterdämmerung (Novembre) avec le Nederlands Philharmonisch Orkest . Pas de nouvelle production, il s’agit de la production jolie mais sage de Pierre Audi dans des décors de Georges Tsypin, pas de nouveau chef, c’est Hartmut Haenchen qui a toujours porté ce Ring qui le portera à nouveau. je sais qu’il n’est pas toujours apprécié et je trouve cela injuste. Quant à la distribution,  pour le rôle de Siegfried elle varie entre septembre-novembre (Stephen Gould) et janvier-février (Stig Andersen). On préfèrera Gould; on y écoutera avec attention la Sieglinde de Catherine Naglestad face à la Brünnhilde de Bayreuth, Catherine Foster, quant à Wotan, ce sera Thomas Johannes Mayer. Une distribution intéressante, solide, composée de chanteurs de référence dans le monde wagnérien.

Les saisons d’Amsterdam sont toujours très équilibrées et s’appuient sur tous les répertoires, du baroque au contemporain. On y verra donc en octobre Armide de Glück, avec le Nederlands Kamerorkest, et ce sera sans doute un événement, puisque c’est l’échevelé Barrie Kosky, directeur de la Komishe Oper de Berlin qui en signera la mise en scène, la direction étant confié à un spécialiste de ce répertoire, Ivor Bolton. En décembre, Marc Albrecht, directeur musical de l’Opéra d’Amsterdam, y dirigera le Residentie Orkest (L’Orchestre de la Résidence de La Haye) dans  Le joueur de Prokofiev assez rare sur nos scènes (le livret n’est pas facile il est vrai) dans une mise en scène d’Andrea Breth avec  Nadja Michael. Le répertoire italien sera représenté par Lucia di Lammermoor (mars-avril), avec le pâle Carlo Rizzi dirigeant le Nederlands Kamerorkest avec Marina Rebeka dans une mise en scène de Monique Wagemakers et surtout par le Falstaff de fin de saison (juin 2014) , dans la mise en scène de Robert Carsen (Covent Garden, Scala, MET) avec Daniele Gatti au pupitre du Koninklijk Concertgebouworkest, deux motifs pour y courir, avec une distribution solide (Ambrogio Maestri, Daniela Barcellona, Fiorenza Cedolins, Christian van Horn) qui devrait valoir le voyage.
Arabella
de Strauss, prévue en avril et mai, affiche une distribution honnête dominée par Annette Dasch dans Arabella, avec Charlotte Margiono, Agneta Eichenholz et James Rutherford dans Mandryka, dirigée par Marc Albrecht dont c’est le répertoire avec le Nederlands Philharmonisch Orkest dans une production de Christof Loy que je n’apprécie pas toujours.
En revanche le Faust programmé en mai 2014 semble bien attirant par le cast affiché: Michele Fabiano dans Faust, Mikhail Petrenko dans Mephisto et la jeune Sonya Yoncheva dans Marguerite. J’ai déjà dit l’impression excellente faite par  cette jeune chanteuse à Monte Carlo dans Traviata, il sera fort intéressant de l’entendre dans Marguerite. Elle y sera entourée de l’excellente Marianne Crebassa (Siebel) et de l’inusable Doris Lamprecht dans Marthe. De plus Marc Minkowski dirigera le très bon Rotterdam Philharmonisch Orkest. Beaucoup d’arguments militent donc pour le voyage, d’autant que la mise en scène est assurée par Alex Ollé et la Fura dels Baus.
Pas de saison à Amsterdam sans une création (en général en collaboration avec le Holland Festival), ce sera cette fois Laïka, du nom de la chienne qui pour la première fois fut envoyée dans l’espace avant Gagarine. le livret de P.F.Thomèse est une pièce ironique et satyrique sur la volonté d’un présentateur vedette de la TV de fuir le monde pour tourner éternellement dans l’espace, attiré par Gagarine et Laïka dans leur voyage éternel. On peut même vivre sans TV. L’orchestre Asko|Schönberg et le choeur VOCAALLAB seront dirigés par Etienne Siebens dans une mise en scène de Aernout Mik, célèbre plasticien néerlandais.
On pourra donc sans crainte passer quelques week ends ou même seulement quelques dimanches à Amsterdam; pour ma part j’en vois cinq possibles: Siegfried et Götterdämmerung en septembre et novembre, Armide en Octobre, Faust en mai et Falstaff en juin, et les plus curieux pourront y ajouter Le Joueur en décembre. L’abondance de l’offre et la bonne qualité moyenne plaident pour Amsterdam.
D’ailleurs dès cette année prenez y vos marques en allant voir Die Meistersinger von Nürnberg (juin 2013, mise en scène David Alden) avec Thomas Johannes Mayer, Adrian Eröd, Roberto Sacca et Ana Maria Martinez (Direction Marc Albrecht) et surtout Death in Venice de Britten dans la production de l’ENO (Deborah Warner) avec l’excellent John Graham Hall  et sous la direction d’Edward Gardner à la tête du Rotterdam Philharmonic Orchestra.
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SALZBURGER FESTSPIELE 2012: TAMERLANO DE G.F. HAENDEL LE 9 AOÛT 2012 (Version de concert) (Dir.Mus: Marc MINKOWSKI avec Placido DOMINGO)

Placido Domingo le 09/08/2012 ©Silvia Lelli

Je vais assez rarement au Festival de Salzbourg l’été, je vais plus régulièrement à Pâques. L’été, Salzbourg est livrée pieds et poings liés aux marchands du temple, Mozart en chocolat, en tee shirts, en cristal, en bonbons, Mozart en tout, et même en musique. En dehors des Mozart du Festival (cette année Zauberflöte avec Harnoncourt au Manège des rochers et Re Pastore en version de concert), des concerts apparaissent comme génération spontanée, de ci de là, avec des musiciens en costumes XVIIIème, sans compter les Mozart de rue, les acteurs statufiés devant sa maison natale etc…etc…
Contrairement à Bayreuth, où le Festival vit sa vie un peu en dehors de la vie citadine (et de plus, le Musée de Wahnfried est fermé, et encore pour quelques années, et l’Opéra des Markgraves va fermer pour au moins 4 ans), le Festival de Salzbourg est étroitement lié à la ville, et la puissante association des commerçants veille au grain.
Même si ce qu’on entend à Salzbourg est souvent exceptionnel, et impossible à entendre ailleurs (les Wiener Philharmoniker dans la fosse, les meilleurs orchestres, les plus grands chefs et chanteurs), cela reste pour moi un “produit” de luxe où il manque un peu d’âme.
Mon premier souvenir lorsque j’y vins en 1979  fut de voir les gens cherchant des billets pour l’Aida de Karajan, au lieu de produire un carton avec “Suche Karten” comme à Bayreuth, agiter en éventail des liasses de billets de 1000 Schillings devant les dizaines de Rolls qui déposaient les spectateurs au festival…
Aujourd’hui Audi sponsor du festival a remplacé les Rolls, j’ai compris depuis que Rolls ou Audi faisaient le tour du pâté de maisons à vide, pour faire croire à une abondance de véhicules qui n’est en réalité que mise en scène pour impressionner le bon peuple.
Salzbourg est une immense entreprise de spectacle, parfaitement organisée, huilée, avec aujourd’hui à sa tête Alexander Pereira, celui qui sait le mieux aligner artistes et sponsors, communiquer et aussi qui a su à Zurich s’attacher durant des années les meilleurs sponsors et les meilleurs artistes.
L’argent à Salzbourg n’est pas un problème, mais les années post-Mortier ont montré que gérer cette machine n’est pas si simple, vu la succession rapide des intendants (Peter Ruzicka, Jurgen Flimm…) qui n’ont pas réussi à tracer un sillon. Pereira, c’est le manager qu’il faut à Salzbourg, et on le voit dès cette première saison, où il affiche pour la première fois Puccini (La Bohème) dans un Festival où aucun opéra de Puccini n’a jamais été joué, avec Anna Netrebko et Piotr Beczala, dirigé par Daniele Gatti, mise en scène par la nouvelle star des scène italiennes, Damiano Michieletto. Le couple Netrebko/Beczala écume depuis plusieurs années les Bohèmes dans les bons théâtres, rien d’inattendu donc, mais tout le monde y court, impossible d’avoir une place, et tous ceux qui l’ont vue disent “remarquable”, un “spectacle qui comptera”,” grandiose”.
Pour ma part, j’ai voulu aller entendre encore et toujours Placido Domingo, affiché dans un opéra baroque en version de concert, Tamerlano, où il chante le sultan Bajazet. Je sais qu’il a abordé récemment ce répertoire, dans cette post-carrière tardive où il chante un peu ce qu’il veut, en fonction de ce qu’il peut et j’étais à la fois curieux et ravi d’entendre encore ce chanteur qui a accompagné toute ma vie de mélomane.
Bien m’en a pris, la soirée, Domingo ou non d’ailleurs, fut grande.

Je ne suis ni un amateur d’opéra baroque, ni un amateur de Minkowski. Mais il faut quelquefois ravaler ses opinions, pour admettre une performance exceptionnelle. Certes, je ne change pas vraiment mon goût pour l’opéra baroque, que je trouve être souvent plus une performance acrobatique, une succession d’airs assez répétitifs , même si souvent étourdissants. Il faut néanmoins reconnaître que Tamerlano présente aussi des moments dramatiques intéressants, surtout au troisième acte, où la succession d’airs et de récitatifs s’interrompt pour privilégier le récitatif accompagnato (presque un mélodrame) ou le récitatif pur, comme si le théâtre prenait la main sur la performance vocale: la longue scène finale, où Bajazet meurt dans un long murmure vocal accompagné par un long murmure orchestral, avec un Domingo encore bouleversant de présence, est une scène d’anthologie, ainsi que le surprenant ensemble final où quatre protagonistes sur cinq encore vivants chantent la clémence de Tamerlan, tandis que Asteria, la cinquième n’apparaît pas, comme effacée par la mort de son père Bajazet.
Autre attrait, la présence de deux contreténors, les deux amoureux d’Asteria, la fille du sultan Bajazet, Tamerlano, le conquérant mal aimé et mal aimant, et Andronico, l’ami de Tamerlan, amoureux d’Asteria, se croyant mal aimé d’une Asteria qui feint d’accepter l’amour de Tamerlan pour mieux l’assassiner ensuite (la parabole de Judith et Holopherne…), et chantant continuellement son désespoir.
Quand Minkowski dirige son orchestre, il en résulte une performance de haute qualité et de haute tenue, il obtient d’ailleurs un triomphe mérité, l’orchestre est magnifique de ductilité, les bois et cuivres sont somptueux, notamment lorsqu’ils jouent en solistes et sont mis en valeur par le chant, les récitatifs sont accompagnés au clavecin souvent avec humour (une touche de “marche nuptiale” de Mendelssohn bien incongrue et souriante à la fin!) par Francesco Corti, remarquable. Minkowski conduit avec beaucoup d’énergie comme toujours, mais aussi avec subtilité, en modulant le son, en donnant à chaque moment sa couleur, son volume, son épaisseur propres. Du grand travail, un magnifique résultat.
Si je venais en bon fan pour Placido Domingo, je repars ravi par le Festival de beau chant auquel nous avons eu droit à tous niveaux. Deux contreténors, d’une couleur et d’un timbre très différents. Le premier, Bejun Mehta, entendu il y a quelques semaines à Aix dans Written on skin, timbre clair, acrobate pyrotechnique de la vocalise, corps tout au service du chant, gesticulant, prenant ses élans, connaissant son rôle sans partition, qui compose un personnage certes conquérant mais faible devant l’amour: moins d’airs que l’autre contreténor, mais tous ahurissants de vélocité, de technicité. Une immense performance saluée par un très grand triomphe de public.
Le second, l’argentin Franco Fagioli, timble moins éclatant, plus sombre, voix plus petite aussi,  qui joue d’une alternance graves (avec une voix “normale” et aigus avec la voix du contreténor) d’une rare intensité. C’est qui a les airs les plus nombreux, souvent acrobatiques,  avec des variations de couleur étonnantes. Très grande performance également.
Face à eux, Placido Domingo dans le premier rôle écrit pour ténor de l’histoire de l’opéra je crois, qui affiche certes une voix au timbre un peu vieilli dans les parties centrales, qui cherche loin son grave un peu détimbré, mais qui, dès qu’il y a des agilités ou des aigus, retrouve son timbre de toujours et sa couleur intacte. On reste stupéfait de la maîtrise technique, de la perfection des agilités, de l’interprétation, et de la diction. Le personnage est là, remplissant la scène, et la scène finale à la fois dite et chantée, murmurée avec un sublime accompagnement orchestral, est un moment d’anthologie qui fait penser aux grandes morts chantées par Domingo, Otello ou Boccanegra et qui sait diffuser une émotion intense. Grandiose.
Face à ces trois grands, la jeune soprano Julia Lezhneva, 22 ans, chante Asteria de manière, il faut  bien le dire, totalement époustouflante: elle a tout d’une grande, technique, maturité, modulation. La qualité de la voix, le timbre, la maîtrise de la couleur, tout, vraiment tout y est. Chacune de ses apparitions est un pur bonheur. Ah! quelle Fiordiligi elle doit être!! En voilà une qui pouvait faire le soprano du Requiem de Mozart à Lucerne, à la place de  l’acide Prohaska. Si le marché et les agents ne la ruinent pas, elle pourrait bien être le soprano mozartien des prochaines années: en tous cas, ne la manquez surtout pas. Triomphe évidemment!
Face à elle l’Irene de la jeune française Marianne Crebassa, une belle voix de mezzo, aux graves sompteux, à la technique bien dominée, très énergique, très intense, qui promet de grands succès tant sa prise sur le public est forte par une présence hors du commun. Une future Charlotte peut-être, et en tout cas une future grande…
Enfin,  last but not least, dans le rôle secondaire de Leone, le baryton-basse Michael Volle, (le Mandryka d’Arabella à Paris, le Sachs de Meistersinger à Zürich, le merveilleux Wolfram de Tannhäuser à Zürich encore) venu à Salzbourg appelé par Pereira dont il a fait les beaux soirs zurichois, et l’un des barytons vedette des scènes germaniques, complète à la perfection la distribution, en apportant sa touche de (baryton)basse noble, et cette couleur incomparable dans les ensembles.
On l’aura compris, ce Tamerlano (long de 3h45 quand même) valait bien les onze heures de route aller/retour Lucerne Salzbourg et j’en suis revenu émerveillé par la qualité du chant entendu et ébloui par l’ensemble de la performance. Au-delà du formalisme inhérent au genre, car c’est bien d’abord un festival formel auquel l’opéra baroque invite le public, des formes pyrotechniques impressionnantes qui laissent évidemment imaginer ce que devaient être les représentations d’alors: on écoutait les airs et on faisait autre chose entre les airs. Mais avec un Domingo habitué des scènes, et maître de l’interprétation sensible (ceux qui l’ont entendu dans ses grandes années savent ce que je veux dire), et un opéra qui tranche avec les formes traditionnelles en son troisième acte, on a vraiment droit à un mélange entre forme et fond qui produit une soirée merveilleuse, et qui fait aussi mentir les Cassandre qui en 1976 promettaient à Domingo, tout jeune Otello encore, une fin de carrière dans les trois ans.
Ce ne fut ce soir que du bonheur.
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OPERA NATIONAL DE PARIS, Opéra Garnier: MIREILLE, de Charles GOUNOD (Dir.mus: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 octobre 2009

Décevant!

En ouvrant sa saison et son règne par Mireille, de Gounod, Nicolas Joel voulait annoncer une direction nouvelle: rédécouverte d’une oeuvre un peu oubliée, large appel aux chanteurs français, fin du Regietheater, enfant chéri de l’ère Mortier. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il a assumé lui-même la mise en scène, alors qu’il avait lui-même annoncé qu’il n’enferait pas à Paris. Il aurait mieux fait de s’en tenir à sa déclaration, à mon humble avis.

Le résultat de ce pari est donc mitigé, plus convaincant musicalement que scéniquement. La distribution de cette Mireille est très honorable sans être étincelante. Le plus marquant, c’est le plus ancien, le vétéran Alain Vernhes, dont la voix de basse sonore sied parfaitement au rôle de Ramon, le terrible père  de Mireille. Il est pleinement convaincant, campe un personnage juste, remplit l’espace scénique. Vraiment au-dessus des autres, dans la composition, comme dans le chant, qui a  le volume voulu. Tous les autres sont à leur place, dans tous les rôles, grands ou petits, avec une note particulière pour Anne-Catherine Gillet et la Taven de Sylvie Brunet . Frank Ferrari est un Ourrias très correct qui manque cependant d’éclat.

Quant aux protagonistes, ils sont eux aussi sans reproches au niveau du chant et de la technique. Charles Castronovo prononce le français à la perfection, chante avec la douceur voulue, le timbre est joli, la voix est bien placée. Mais ce chant reste un peu appliqué, et la voix manque un de volume et de projection. Le volume est aussi le problème de Inva Mula, souvent émouvante au demeurant, qui rencontre quelques problèmes dans le suraigu, la voix se montrant très tendue, à la limite de ses réserves; son timbre un peu clair pour mon goût dans ce rôle nuit à la force dramatique, qui en souffre. N’est pas Freni (qui l’a enregistré, mais n’a pas voulu le proposer sur scène) qui veut.

Il reste que cette musique nous touche, notamment dans la seconde partie (3ème au 5ème acte), avec de superbes moments (le troisième acte), où le mélodiste Gounod sait atteindre l’auditeur. La direction musicale, hélas,  ne stimule pas l’émotion. Marc Minkowski ne me paraît pas diriger cette oeuvre avec la sensibilité voulue, le son reste sec, le lyrisme absent, même si techniquement tout est très au point.

Mais le vrai problème de ce spectacle, c’est justement le spectacle. Ezio Frigerio conçoit un décor et Franca Squarciapino des costumes comme toujours soignés, soulignés par des éclairages subtils de Vinicio Cheli (ah, le lever de soleil au IVème acte). Mais ce décor n’est qu’une image plaquée, il n’a aucune fonction dramaturgique, On ne décèle aucune invention non plus pour les scènes plus mystérieuses  du Val d’Enfer, ni  du Rhône, qui est rendue de façon un peu ridicule d’ailleurs. Car toute la mise en scène se joue au premier plan, avec des entrées et des sorties toujours latérales, sans aucune utilisation de l’espace en profondeur, alors que l’évocation du désert de la Crau pouvait être mieux soulignée que par un ciclorama, cette absence de spatialisation scénique fait perdre à l’oeuvre de la respiration. Les choeurs (solides) sont disposés comme aux pires soirs de l’opéra de papa, le provençal devient pacotille, et les chanteurs font comme ils peuvent, car il n’y aucune direction d’acteurs, sauf quelques gestes çà et là, d’ailleurs bienvenus.

Il en résulte des moments de notable ennui, et un spectacle illustratif qui ne nous dit rien de Mistral, rien de la Provence, rien de cette liaison entre réel et surnaturel (il ya un peu de Freischütz dans cette ambiance), aucun mystère nocturne, Taven est bien peu sorcière (même si le passeur ressemble à la mort, Ah, merci Charon!)  au point qu’on finit par se demander pourquoi Mireille meurt, ce qui est quand même un comble .

C’est dommage, l’oeuvre pouvait être portée par une autre vision, pas forcément plus novatrice, mais sans doute plus sensible et plus habitée. Ici c’est l’indifférence qui essaie de mettre en scène la sensibilité, avec le résultat qu’on peut craindre…

On ne peut néanmoins que se réjouir de voir un certain répertoire un peu méprisé aujourd’hui revenir sur le devant de la scène, mais doit-on se réjouir que des millions de téléspectateurs aient vu un spectacle poussiéreux dès la première, confirmant les pires poncifs qui circulent sur l’art lyrique?

Pour mon goût, si je pense que le retour à l’Opéra d’oeuvres françaises (ou en français) oubliées, est une excellente initiative, (verra-t-on un jour Lodoiska de Cherubini, le plus grand succès de la révolution française, deux cents représentations!), j’aurais bien préféré comme inauguration en grand style d’une saison et d’un règne, voir Les Huguenots de Meyerbeer revenir à Paris. Attendons donc mieux.