SALZBURGER FESTSPIELE 2014 (PFINGSTEN): LA CENERENTOLA de Gioacchino ROSSINI le 5 JUIN 2014 (Dir.mus:Jean-Christophe SPINOSI; Ms en scène: Damiano MICHIELETTO) avec Cecilia BARTOLI

Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli
Cecilia Bartoli, rondo final © Silvia Lelli

Cecilia Bartoli est à la fois directrice artistique, prolongée jusqu’en 2016 et vedette du Festival de Pentecôte de Salzbourg, traditionnellement dédié au répertoire baroque et construit en ce moment sur mesure pour la star italienne. Depuis deux ans, elle a proposé des pièces du grand répertoire (l’an dernier Norma, cette année Cenerentola) accompagnées par un orchestre d’instruments anciens, un « retour aux sources », dit-elle. C’était l’an dernier la formation baroque de l’Opéra de Zürich, l’Orchestra La Scintilla, c’est cette année l’Ensemble Matheus dirigé par son chef Jean-Christophe Spinosi.
La présence d’orchestres français dans la fosse salzbourgeoise n’est pas si fréquente, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Dispositif d'ensemble © Silvia Lelli
Dispositif d’ensemble © Silvia Lelli

La mise en scène a été confiée à Damiano Michieletto, qui commence à essaimer sur les grandes scènes internationales, et la distribution est évidemment dominée par Cecilia Bartoli en Angelina, un rôle qu’elle a beaucoup chanté et qu’elle a aussi enregistré, par le ténor mexicain Javier Camarena en Ramiro, et par le baryton Nicola Alaimo en Dandini.
Une production annonciatrice de succès, ce qui fut, et un succès même triomphal.
La présence d’un orchestre d’instruments anciens enrichit-il notre vision de l’œuvre? J’avoue avoir mes doutes à ce propos. L’an dernier, je n’ai pas été trop surpris par Norma ni même dérangé, par rapport à la version habituelle avec un orchestre traditionnel. Cette année, j’avoue que mon oreille habituée à d’autres sons et à un autre Rossini a été un peu perturbée : certes, Spinosi mène l’ensemble avec beaucoup d’énergie très démonstrative, mais je trouve que les rythmes (notamment dans l’ouverture) s’en ressentent, que la fluidité s’en ressent, et que le rééquilibrage cordes/vents au profit des vents donne un son très différent et pas forcément plus intéressant que dans la version traditionnelle. Est-ce dû à l’acoustique ? à la place où j’étais ? J’ai par exemple trouvé que la flûte solo avait un petit air d’acouphène très désagréable. Le son d’ailleurs était assez mat dans l’ensemble, et souvent l’orchestre se faisait trop discret au profit du plateau. J’avoue avoir été « formé » ou « formaté » à l’excellente interprétation que Lopez-Cobos en donna jadis à Paris (avec en alternance Teresa Berganza et Frederica von Stade, excusez du peu) puis avec Abbado dans la production Ponnelle, désormais légendaire, mais aussi par l’enregistrement de Chailly (avec Bartoli) dans une version un peu plus rèche que celle d’Abbado, qui reste pour moi dans Rossini la référence. J’ai trop entendu son Rossini léger, clair, rythmé, aux crescendos incroyables (ah, le final du 1er acte…quelle frustration !), pour être séduit par ce son mat, ce manque de clarté ou de lisibilité (pour mon goût), même si certains moments m’ont plu notamment dans le second acte et que j’ai trouvé le continuo magnifiquement réussi, de justesse, de rythme, de présence discrète (Felice Velanzoni au pianoforte, Claire Lise Demettre au violoncelle , Thierry Runarvot à la contrebasse)

Angelina acte I © Silvia Lelli
Angelina acte I © Silvia Lelli

Certes, dans une mise en scène certes très « fun », mais où les aspects dramatiques et sombres notamment au début ne manquent pas (ne pas oublier que Cenerentola est un melodramma giocoso), un son moins clair, moins lumineux pouvait se comprendre. Dans l’ouverture notamment, il y a de la part du chef un parti pris plus saccadé pour accompagner le plateau et correspondre point à point aux gestes et aux mouvements voulus par le metteur en scène, et une manière sympathique de s’engager dans le spectacle (notamment lorsqu’au début du second acte, Alidoro lui envoie une flèche qui le transperce : Spinosi s’en donne à cœur joie pour le plus grand bonheur du public), tout cela contribue évidemment à la bonne humeur générale.
Mais c’est la mise en scène qui soutient l’ensemble et non l’orchestre.
Il est évident aussi que cet orchestre plus sourd ne pouvait que convenir à la voix de Cecilia Bartoli, dans une salle à l’acoustique idéale pour elle. Mon sentiment est donc mitigé ; l’expérience reste seulement pour moi une expérience.
Le plateau était dans l’ensemble plutôt homogène et très équilibré : il faut pour Rossini un engagement vocal et musical exceptionnels, une technique très maîtrisée, notamment dans la diction, et les rythmes, et il faut que les chanteurs s’amusent, sans quoi le soufflé retombe. Le sextet Che sarà du second acte, où toute la distribution est enfermée par Alidoro dans un rouleau de plastique adhésif  est l’un des meilleurs moments où cette homogénéité est mise en valeur.

Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli
Dandini (Nicola Alaimo) et les deux soeurs Clorinda (Lynette Tapia) à dte et Tisbe (Hilary Summers) à gche © Silvia Lelli

Le travail de Michieletto est tellement précis, tellement intelligent, tellement juste, que chacun est scéniquement à sa place. Les deux sœurs Clorinda (Lynette Tapia) et Tisbe (Hilary Summers) sont par exemple désopilantes, d’une incroyable justesse, d’un engagement scénique irréprochable, l’une Clorinda avec sa voix un peu nasale et l’autre Tisbé à la voix d’alto tellement profonde qu’on ne serait pas étonné que ce fut un homme déguisé, d’autant que, physiquement à l’opposé l’une de l’autre, elles composent une de ces paires impossibles qui ne peuvent qu’avoir effet sur le public. Mais voilà, quand elles jouent, c’est parfait, mais dès qu’elles chantent, c’est moins précis, moins en rythme, et quelquefois aux limites de la justesse (notamment Hilary Summers trop rauque, même si elle s’en sert avec brio). L’Alidoro de la jeune basse Ugo Guagliardo est très efficace scéniquement lui aussi, d’autant que dans la vision de Michieletto il est le personnage toujours présent en scène qui manipule toute l’action. Même si le timbre est pour mon goût un peu trop jeune pour le rôle, la voix a une belle couleur, et la prestation est très honorable.

Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli
Nicola Alaimo (Dandini) et Cecilia Bartoli © Silvia Lelli

Le Dandini de Nicola Alaimo est irrésistible de présence. On connaît ce baryton, neveu de Simone Alaimo, qu’on a vu à Paris dans Dandini et Melitone de La Forza del Destino. Belle technique, belle présence scénique, un vrai baryton de caractère à la voix plutôt puissante, avec un vrai contrôle sur la voix, qui dessine un personnage désopilant de Prince vulgaire et excessif.

Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli
Enzo Capuano (Magnifico) et Cecilia Bartoli (Angelina) © Silvia Lelli

Enzo Capuano en revanche est un peu décevant dans Magnifico : certes, lui aussi est scéniquement d’une rare justesse, dans son personnage de père méchant, voire violent, et pas vraiment la basse bouffe et presque inoffensive qu’on a l’habitude de voir. J’ai encore le souvenir de Paolo Montarsolo qui dans son monologue initial Miei ramponi femminini faisait crouler la salle. C’est la mise en scène qui impose un personnage plus négatif que le clown qu’était Montarsolo jadis, mais vocalement il ne réussit pas à s’imposer pour mon goût, même si scéniquement il est remarquable.

Javier Camarena est un Ramiro exceptionnel, dans la tradition des ténors latinos qui depuis Luigi Alva ont toujours été de grands rossiniens. La voix est ductile, puissante, et si le personnage reste un peu pâlichon (mais c’est aussi la couleur voulue par Rossini), la présence vocale est telle dans les airs qu’il remporte un immense triomphe, à l’égal de Bartoli. Un moment merveilleux de suavité musicale et de style, de très grand style même.
Reste Cecilia Bartoli, très familière du rôle, qu’elle reprend après avoir fréquenté d’autres répertoires ou un Rossini plus sérieux (Desdemona d’Otello par exemple). Les agilités de l’air final « Non piu’ mesta » sont étourdissantes, les cadences acrobatiques. On connaît cette Bartoli-là qui est un feu d’artifice irrésistible.

Enzo capuano (Magnifico) et Angelina (Cecilia Bartoli) © Silvia Lelli
Enzo capuano (Magnifico), Angelina (Cecilia Bartoli) et Ramiro (Javier Camarena) © Silvia Lelli

Mais dans la ligne de sa Norma de l’an dernier, c’est son sens dramatique aigu qui m’a frappé et c’est là ce qui m’a peut-être le plus ému : une Angelina quelquefois déchirante, discrète, modeste, d’une étonnante justesse en bref un vrai personnage à la fois émouvant, mais aussi énergique, qui ne s’en laisse pas compter. On reconnaît les très grands à leur capacité à vous étonner et à être là où on ne les attend pas : Cecilia Bartoli est de ceux-là.
Mais le plateau et l’orchestre n’auraient peut-être pas remporté l’immense triomphe qu’ils ont connu à Salzbourg sans le travail de Damiano Michieletto, qui donne sens à l’ensemble et qui porte complètement la soirée. C’est à mon avis lui la clef de voûte et qui va n’en doutez pas, faire courir le public cet été à Salzbourg. On connaît la technique de Michieletto : de la transposition naît la lumière. Il éclaire les livrets par une vision d’aujourd’hui (rappelons Un Ballo in maschera de la Scala vu comme une campagne électorale à l’américaine par exemple).
Ici toute l’action est transposée dans un bar-buffet à l’américaine (ce pourrait d’ailleurs être en Sicile ?) un peu cheap, tenu par un Magnifico qui a tout d’un émigré italien avec ses deux filles oisives et pestes, et Angelina qui fait tout le boulot : laver les sols, nettoyer les tables, servir les clients. La situation est donc respectée.

Au palais apparition d'Angelina © Silvia Lelli
Au palais apparition d’Angelina © Silvia Lelli

On passe ensuite au Palais, vu comme un bar de luxe, divans, lumières tamisées, jardin, fréquenté par l’aristocratie locale, structuré comme le bar de Magnifico mais en version luxe, avec l’apparition d’Angelina en star hollywoodienne qui m’a rappelé Audrey Hepburn. Ainsi les deux moments sont-ils d’une lumineuse clarté dramaturgique, d’une belle lisibilité et d’une grande logique.

Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli
Alidoro descend du ciel (image initiale) © Silvia Lelli

Toute l’action est pilotée par Alidoro, sorte de magicien qui gère les lieux, les gens, les lumières, qui crée les situations, génie invisible ou visible selon les moments, et qui arrive dès l’ouverture comme descendu du ciel. C’est lui le deux ex machina, c’est lui le génie, le magicien d’Oz, sorte d’enfant grandi trop vite avec son petit costume blanc et son Bermuda. Une sorte de vision du bon génie qui créé les situations où les méchants se confirment et où la bonté d’Angelina éclate.
Alors, changements à vue, décor à transformations, changements de lumières très efficaces d’Alessandro Carletti et utilisation très réussie de la vidéo, qui contribue à éclairer l’intrigue, tout cela file avec une grande fluidité.  Avec évidemment des moments désopilants, qui provoquent applaudissements à vue, et une vraie joie du public.
Le rythme, la couleur, les contrastes, tout dépend de ce travail scénique d’une incroyable précision, d’une très grande tenue, et en même temps d’une justesse dans la transposition qui éclaire l’intrigue sans jamais casser l’histoire : Michieletto en bon italien a son Rossini dans le sang, mais il a su aussi en tirer des éléments moins souvent valorisés, comme la violence subie par Angelina, et la pointe tragique qu’on lit pendant le premier acte, une pointe de serio dans cette fête du giocoso. Un spectacle complet, une vision à la fois traditionnelle et renouvelée, une ambiance poétique par l’image finale où tous lavent les sols, pendant qu’Angelina, de blanc vêtue, chante son rondo, rythmée par les bulles de savon qui envahissent la scène, à la fois issues du nettoyage général et du rêve de la jeune fille. Monsieur Propre au pays des Fées. [wpsr_facebook]

Effets vidéo © Silvia Lelli
Effets vidéo © Silvia Lelli

 

THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES 2010-2011 : ORLANDO FURIOSO de A.VIVALDI (Dir.mus: Jean-Christophe SPINOSI, Ms en scène: Pierre AUDI, avec Marie-Nicole LEMIEUX/Delphine GALOU, Philippe JAROUSSKY) le 14 mars 2011

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Orlando Furioso, pour les gens de ma génération, ce sont deux spectacles inoubliables et radicalement différents, d’une part, en 1969, la mise en scène de l’épopée de l’Arioste, époustouflante et inoubliable de Luca Ronconi dans les pavillons de Baltard des ex-Halles de Paris avant leur destruction , et dans les années 1980 (à la fin des années 70 en réalité)  la mise en scène de Pier Luigi Pizzi de l’opéra de Vivaldi reprise de nombreuses fois avec Marilyn Horne comme Orlando, au milieu des colonnes blanches.

horne.1300293823.JPGQuel souvenir! la Horne sur son cheval, avec son casque à plume et sa cape rouge! Et quel souvenir musical!

Et pourtant, le spectacle du théâtre des Champs Elysées a déjà lui aussi une longue histoire, née de l’enregistrement de 2004, paru en 2006 chez Naïve avec bien des chanteurs de la distribution de ce soir et bien entendu Jean-Christophe Spinosi et son orchestre, l’Ensemble Matheus. Ainsi donc l’entreprise entamée il y a plusieurs années, accompagnant un travail d’édition qui a enfin rendu justice à la musique de Vivaldi, arrive sur la scène. Ce soir pourtant petit accident de parcours: Marie-Nicole Lemieux, la chanteuse québécoise que tout le monde attendait, est tombée malade, et elle a été remplacée (dans la fosse) par la jeune Delphine Galou, pendant qu’elle mimait le rôle sur scène. Mais au final, triomphe pour l’ensemble du spectacle. Le public parisien, et notamment celui des Champs Elysées, formé par Dominique Meyer, est avide d’opéra baroque.
On glose souvent sur le côté un peu convenu et monotone de ce type d’oeuvre, composé d’une succession d’airs de bravoure, sollicitant agilité, colorature, maîtrise technique étourdissante, visant (exclusivement, disent les adversaires de ce répertoire) à mettre les voix en valeur, sans vraiment accorder d’importance à ce qui est dit ou fait sur scène. Il y a quelquefois effectivement des longueurs, même si le propos de la mise en scène est de prouver que le livret est beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.
Il faut rendre d’abord justice à Jean-Christophe Spinosi et à son ensemble Matheus: c’est pour moi le très grand triomphateur de la soirée, rendant cette musique dès le départ étourdissante de virtuosité, et tour à tour émouvante, dynamique,en faisant ressortir tout le modernisme, en montrant combien elle crée l’adhésion à ce qui se passe sur scène. Il y a des moments suspendus qui sont une pure merveille. Le deuxième acte dans son ensemble m’est apparu peut-être le plus réussi par sa variété,  son aspect mélancolique aussi. Spinosi rend cette musique éminemment vivante, pleine de sève, pleine de surprises, en mettant en relief certaines parties instrumentales qui rendent l’ensemble à la fois vivace, contrasté, toujours passionnant.
Du côté des voix, il a réuni peu ou prou la distribution de son disque, au moins pour les principaux rôles. Marie-Nicole Lemieux sur scène, a montré son engagement et son immersion totale dans le rôle d’Orlando, et la jeune Delphine Galou, accourue de Zürich, dans la fosse, malgré une voix moins large et moins puissante que celle de Marie-Nicole Lemieux, s’en est tirée avec tous les honneurs, démontrant à la fois capacités techniques, contrôle de l’agilité, respiration, mais aussi sensibilité et interprétation (notamment dans le redoutable 3ème acte).
Jennifer Larmore au départ n’a pas vraiment convaincu en Alcina, elle m’a même surpris: agilités problématiques, suraigus criés et acides: peu à peu cependant, grâce à un engagement scénique peu commun , et une maîtrise technique en lien de plus en plus intime avec l’interprétation, cette magnifique artiste (d’une grande beauté sur scène) a rendu le personnage bouleversant. De Jaroussky en Ruggiero rien à dire, car il a tout, beauté du timbre, technique impeccable, agilités étourdissantes, mais aussi maîtrise extraordinaire des moments plus recueillis: une prestation en tous points splendide.
Veronica Cangemi en Angelica me paraît avoir un peu dépassé l’âge du rôle, et cela se sent aussi dans la voix, rèche notamment à l’aigu, et pas toujours très à l’aise dans les agilités. Je suis un peu déçu car j’aime beaucoup cette chanteuse. Bonnes surprises pour l’Astolfo de Christian Senn, seule voix vraiment mâle de la soirée (c’est un baryton) qui sait rendre émouvant le texte par la simple vertu d’une diction impeccable et la Bradamante de Kristina Hammarström, intense, à la voix bien posée, très en place. Mais je garde le meilleur pour la fin: la mezzo italienne Romina Basso a fait de Medoro un personnage magnifique: la voix a un timbre sombre, la chanteuse une technique redoutable dans les agilités, une rare maîtrise des inflexions grâce à une respiration exemplaire. C’est pour moi à la fois une vraie découverte, et l’assurance d’une suite de carrière sans doute riche, tant la prestation est impressionnante.
Au total, un travail musical de très haute qualité sans atteindre vraiment l’exceptionnel sur le plateau: il est vrai que l’oeuvre exige un niveau tout à fait extraordinaire de chacun des protagonistes, et il n’y a pas vraiment de petits rôles.

Pierre Audi est un metteur en scène qui produit toujours un travail très propre à défaut d’être toujours inspiré: beaucoup d’attention à l’esthétique, aux lumières et une réflexion dramaturgique souvent juste qu’on ne lit cependant pas toujours bien sur la scène. Ici, le parti pris est clair: cet Orlando est une oeuvre vénitienne, le décor (à dominante noire, tout comme les costumes) reproduit un riche salon vénitien (reconnaissable au lustre de Murano), les personnages portent des masques, c’est en quelque sorte un opéra de salon joué par des personnages à la Goldoni. Goldoni est d’ailleurs une grande référence de l’ensemble de ce travail, et je soupçonne aussi des claires références à l’univers de Giorgio Strehler (jeux d’ombres et lumières, mouvement virevoltants des costumes), qui connaissait son monde en matière goldonienne. Ainsi, Pierre Audi essaie de souligner ce jeu des apparences et des faux semblants, des sentiments vrais qu’on cache, de l’amour dont on joue, dont on se joue mais dont on souffre aussi, comme si Goldoni était mâtiné de Crébillon fils. Au jeu des égarements du corps et de l’esprit, Orlando perd son âme. Mais Audi a des difficultés au troisième acte à rendre le personnage intéressant: mouvements répétitifs, sans inventivité dans la dramaturgie, et au total peut-être , le sentiment que c’est un peu long, même si l’éclatement du groupe, la dispersion des personnages tout à eux-mêmes, laissant seuls une Alcina qui s’écroule, morte, et un Orlando qui clôt l’opéra par une danse hystérique bien proche d’un final d’Elektra de Strauss, reste une belle idée.

Incontestablement un beau spectacle, qui permet d’entendre une musique magnifique, qui semble presque neuve, mais qui ne procure pourtant pas l’extase qu’on attendrait des acrobaties musicales et d’une mise en scène aussi soignée. Une petite déception donc, au milieu de bien des motifs de satisfaction cependant.

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