LA SAISON 2022-2023 DU THEATER AN DER WIEN

L’autre opéra à Vienne.
Le Theater an der Wien est la salle historique de Vienne, construite au tout début du XIXe à l’instigation d’Emanuel Schikaneder, le librettiste de Die Zauberflöte (La flûte enchantée) où ont été notamment créés Fidelio et deux des plus grandes opérettes viennoises, Die Fledermaus (la Chauve Souris) de Johann Strauss II en 1874 et Die lustige Witwe (La veuve joyeuse) de  Franz Lehár en 1905.  Bien antérieure à la Haus am Ring, l’actuelle Wiener Staatsoper qui l’a d’ailleurs utilisée comme salle de remplacement après la deuxième guerre mondiale, et plus récemment lorsque des productions naissaient dans le cadre du Festival de Vienne (Wiener Festwochen), comme les premières de Don Giovanni (1990, Claudio Abbado/Luc Bondy ou 1999 Riccardo Muti/Roberto De Simone),  Le nozze di Figaro (1991 Claudio Abbado/Jonathan Miller ou 2001 Riccardo Muti/Giorgio Strehler), et bien sûr Fierrabras (1988 Claudio Abbado/Ruth Berghaus), reprise ensuite à la Staatsoper, mais plus jamais reproposée depuis 1990…
Depuis 2006, le Theater an der Wien est un théâtre musical autonome, qui propose une saison d’opéra alternative à celle de la Staatsoper, établie sur des critères différents, sinon opposés.

  • Système stagione : 10 à 12 productions annuelles
  • Attention forte à la mise en scène
  • Pas d’orchestre fixe, mais participation régulière du Wiener Symphoniker et de l’ORF Symphonieorchester.
  • Participation régulière du célèbre Arnold Schönberg Chor (Dir.Erwin Örtner)
  • Appui sur des institutions et des artistes autrichiens quand c’est possible
  • Programmation alternant œuvres rares ou œuvres du répertoire dans des réalisations scéniques innovantes ou expérimentales
  • Appel à des artistes plutôt jeunes, non encore consacrés pour la plupart.

Je n’ai jamais évoqué ces saisons du Theater an der Wien, pourtant intéressantes, mais comme pour qui voyage à Vienne, il y a souvent la possibilité de combiner concerts et opéras en alternance, il pouvait être stimulant de décrire les productions de cette saison marquée par deux événements,

  • D’une part une restauration du Theater an der Wien qui deviendra Nationaltheater an der Wien à cause de sa longue histoire est entamée cette année qui devrait durer plusieurs années, et l’activité est transférée au Hall E du Museumquarter, près du Leopold Museum et pas loin du Kunsthistorisches Museum, et par ailleurs à la Kammeroper (Opéra de Chambre) pour les œuvres plus intimistes.
  • Kammeroper Wien
  • D’autre part la saison 2022-2023 est la première du règne du nouvel intendant Stefan Herheim, le metteur en scène norvégien bien connu, qui est aussi une garantie de modernité scénique. Il assumera quelques productions dans la saison.

On comprendra en lisant cette saison très intéressante que le Theater an Der Wien ne pourrait la proposer dans une ville qui n’aurait pas d’autre théâtre, car elle se profile comme un endroit autre, qui permet de parcourir d’autres chemins, laissant au public le loisir d’aller aussi à la Staatsoper qui est référentielle, et aussi plus « classique », même avec le nouveau cours imprimé depuis 2020. Et c’est une solution intelligente car personne ne se marche sur les pieds.
À Paris, face à l’opéra de Paris, il y a d’abord le TCE, qui n’a aucun choix artistique original, sinon de proposer plus ou moins les grands classiques, quelquefois même doublant les titres de l’Opéra de Paris, comme la saison prochaine une Bohème de Puccini programmée successivement à Bastille et aux Champs Elysées, rare stupidité. Pétrole…et pas d’idées.

Il y a ensuite l’Opéra-Comique, qui a un répertoire bien ciblé (opéra baroque et opéra et opéra-comique français) qui pourrait ressembler vaguement au Theater and der Wien, et le Châtelet, à l’identité illisible.
Comme on le voit il y aurait de quoi mettre en face de l’Opéra une institution qui irait ailleurs, sur d’autres chemins et vers d’autres œuvres.

Voici  les 12 productions prévues, 8 au Hall E du Museumquarter, 4 à la Kommeroper

Octobre 2022
Francesca Caccini
La liberazione

8 repr du 6 au 21 oct – Dir : Clemens Frick/MeS : Ilaria Lanzino
Avec Sara Gouzy, Luciana Mancini etc…
La Folia Barockorchester
À la Kammeroper

La Kammeroper est un théâtre à la jauge réduite, parfaitement adapté pour des œuvres baroques ou des œuvres de chambre. Et la saison ouvre avec un titre très original de la compositrice Francesca Caccini, fille de Giulio caccini, Chanteur et compositeur et sans doute première femme à avoir composé des opéras. Les temps sont plus que mûrs pour exhumer ses œuvres dont La liberazione, titre complet La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, tiré de l’Arioste. C’est une belle initiative, l’opéra est dirigé par Clemens Frick, qui travaille régulièrement aux côtés de René Jacobs et qui compte par les spécialistes d’éditions « historiquement informées ». La mise en scène est assurée par une jeune italienne formée en Allemagne où elle a travaillé comme assistante auprès de nombreux metteurs en scène dont Christof Loy ou David Bösch. C’est incontestablement une curiosité qui devrait valoir le coup, d’autant qu’en octobre, il y a aussi du choix du côté de la Staatsoper.

Leoš Janáček
La petite renarde rusée (Příhody lišky Bystroušky)

6 repr du 15 au 27 oct – Dir : Giedrė Šlekytė/MeS : Stefan Herheim
Avec Milan Siljanov, Melissa Petit, Levente Pàll etc…
Wiener Symphoniker
La saison prochaine et pratiquement en même temps, la Staatsoper programme Jenůfa, voilà l’occasion d’une petite cure de Janáček. Grande production inaugurale de la saison dans les locaux provisoires du Hall E du MuseumQuarter, c’est Stefan Herheim en personne qui met en scène, et nul doute que son imagination débordante et son sens de l’imagerie théâtrale devrait faire de cette production un des musts de la saison. En fosse, la jeune Giedrė Šlekytė, originaire de Lituanie, qu’on a vue (et qu’on reverra) à Munich, l’une des cheffes qui attire les regards des managers et des orchestres. Signalons dans la distribution Melissa Petit, soprano française à la voix fraîche dans le rôle de la renarde…

 

Novembre 2022
Gioachino Rossini
La Gazza ladra
6 repr du 16 au 27 nov – Dir : Antonino Fogliani/MeS : Tobias Kratzer
Avec Fabio Capitanucci, Maxim Mironov, Nino Machaidze, Paolo Bordogna, Nahuel di Pierro etc…
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Autre must, un opéra de Rossini La Gazza Ladra (La pie voleuse) justement jamais représenté à la Staatsoper et qui sera présenté «  en grande pompe » au Theater an der Wien dans une mise en scène de Tobias Kratzer, rien que ce nom excite la curiosité dirigé par Antonino Fogliani, qui devient inévitable dans le répertoire italien à Genève, Munich, Vienne avec des spécialistes de ce répertoire comme Paolo Bordogna, Maxim Mironov et la délicieuse Nino Machaidze. Une distribution qu’aun grand opéra du monde ne démentirait.
Immanquable

Décembre 2022
Vicente Martin y Soler
L’Arbore di Diana
10 repr. du 3 au 31 déc – Dir: Rubén Dubrovski/MeS: Rafael R. Villalobos
Avec Veronica Cangemi, Maiaan Licht, Jerilyn Chou etc…
Bach Consort Wien
Kammeroper
Parallèlement à la Kammeroper, une autre rareté, l’opéra le plus connu de Vicente Martin y Soler, L’Arbore di Diana.
Le Bach Consort est l’un des meilleurs ensembles baroques d’Autriche, fondé il y a un peu plus de vingt ans et il collabore régulièrement avec le Theater an der Wien. La distribution comprend notamment Veronica Cangemi et la mise en scène a été confiée à Rafael R.Villalobos, l’un des plus prometteurs des jeunes metteurs en scène espagnols. L’œuvre elle-même, citée par Mozart dans son Don Giovanni, a été redécouverte à la fin du XXe siècle. Sur un livret de Lorenzo da Ponte, elle a été créée à Vienne en 1787, justement l’année du Don Giovanni, à l’occasion de la visite d’une nièce de Joseph II: c’est une comédie légère, de circonstance, sur une musique vraiment intéressante. Si vous êtes à Vienne, il faut y aller.

Gian Carlo Menotti
Amahl and the Night visitors
11 repr du 15 au 27 déc – Dir : Magnus Loddgard/MeS : Stefan Herheim
Avec un soliste du Wiener Sängerknaben (Amahl), Nikolay Borchev, Wilhelm Schwinghammer etc…
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Un opéra pour les familles (et donc pour les enfants) dont Stefan Herheim assure la mise en scène et c’est Magnus Loddgard chef d’orchestre norvégien installé à Berlin, qui en assure la direction musicale. Amahl and the Nicht visitors créé en 1951, est le premier opéra créé pour la télévision, inspiré par L’adoration des mages de Jérôme Bosch. Un Opéra/opérette idéal pour les fêtes, chanté par un jeune chanteur du Wiener Sängerknaben et quelques bons chanteurs comme Nikolay Borchev et Wilhelm Schwinghammer. La mère étant chantée par Dshamilja Kaiser, un rôle qui fut de Teresa Stratas.

Janvier 2023
Jacques Offenbach
La Périchole
8 repr. du 16 au 31 janvier – Dir : Jordan de Souza/MeS : Nilolaus Habjan
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
On commence l’année par une œuvre légère, de nouveau, et quelle œuvre puisqu’il s’agit de La Périchole d’Offenbach dirigée par Jordan de Souza, excellent chef qu’on a entendu souvent à la Komische Oper de Berlin et mise en scène par Nikolaus Habjan, jeune metteur en scène autrichien dont on a vu à Bayreuth la performance autour de Rheingold autour de l’étang du parc « Rheingold – immer noch Loge » fait avec des marionnettes, puisqu’il en est un spécialiste. Il a été metteur en scène en résidence au Theater an der Wien précédemment. C’est Anna Lucia Richter qui sera Périchole. Ce devrait être assez singulier

Février-mars 2023
Peter Eötvös
Der goldene Drache (Le dragon d’or)
8 repr. du 14 fév. au 3 mars – Dir : Walter Kobéra MeS : Jan Eßinger
Klangforum Wien PPCM Academy (Performance Practice in Contemporary Music (PPCM)
Kammeroper
Certains ont pu voir cette œuvre de Théâtre musical à Genève où elle était présentée à la Comédie de Genève en parallèle avec Sleepless, les drames qui se vivent derrière les cuisines d’un restaurant asiatique « Le dragon d’Or. A Genève, c’était l’excellent Julien Chavaz qui mettait en scène, ici la mise en scène est confiée à Jan Eßinger jeune metteur en scène allemand qui a travaillé comme assistant dans de nombreuses maisons allemandes et qui a aussi commencé à mettre en scène à Detmold et Heidelberg. C’est Walter Kobéra, un des chefs de musique contemporaine reconnus à Vienne, qui assure la direction musicale.  Une œuvre intéressante, un compositeur qui fait partie des maîtres ‘aujourd’hui dans le cadre intimiste de la Kammeroper avec l’excellent Klangforum Wien engagé dans un projet universitaire, le PPCM (voir ci-dessus)

 

Février-mars 2023
Georg Friedrich H
aendel
Belshazzar
6 repr. du 20 fev. au 2 mars – Dir : Christina Pluhar/MeS :Marie-Eve Signeyrole
Avec Robert Murray, jeanine De Bique, Vivica Genaux, Michael Nagl
L’Arpeggiata
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Direction musicale excitante, Christina Pluhar (qui est autrichienne et qui vit à Paris) et son ensemble L’Arpeggiata comptent parmi les ensembles baroques les plus demandés, et Marie-Eve Signeyrole est l’une des metteuses en scène à laquelle la scène germanique s’intéresse de plus en plus (elle vient de signer L’infedeltà delusa de Haydn à la Staatsoper de Munich. Distribution splendide pour ce répertoire. Que demander de plus ; c’est un incontournable pour les amoureux du baroque.

Mars-avril 2023
Carl Maria von Weber
Der Freischütz
6 repr. du 22 mars au 3 avril – Dir : Patrick Lange/MeS : David Marton
Avec Jacquelyn Wagner, Sofia Fomina, Alex Esposito ; Tuomas Katalaja
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Un opéra relativement rare et difficile à réaliser, malgré sa célébrité. Très solide distribution, très solide direction musicale de l’excellent Patrick Lange, et mise en scène qui devrait être passionnante de David Marton, que les lyonnais connaissent bien (Capriccio, Orphée et Eurydice, Doin Giovanni, La Damnation de Faust) et qui est l’une des personnalités scéniques les plus intéressantes aujourd’hui.
Peut valoir le voyage.

Avril-mai 2023
Mieczysław Weinberg
Идиот (L’Idiot)
5 repr. du 28 avril au 7 mai – Dir : Michael Boder – MeS: Vasily Barkhatov
Avec Dmitry Golovnin, Natalya Pavlova, Kostas Smoriginas etc…
ORF Symphonieorchester
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Weinberg revient sur les scènes, et son opéra L’Idiot, d’après Dostoïevsky, composé entre 1985 et 1989 créé à Mannheim en 2013. Direction du très solide Michael Boder et mise en scène de Vasily Barkhatov, un des metteurs en scènes russes travaillant assez souvent en Allemagne ; et ce sera Dmitry Golovnin, l’un des meilleurs ténors russes, spécialiste des rôles de caractères et psychologiquement fragiles qui assumera le rôle-titre.
À ne pas manquer

Mai-juin 2023
Alban Berg
Lulu
6 repr. du 27 mai au 6 juin – Dir: Maxime Pascal/MeS: Marlene Monteiro Freitas
Avec Vera-Lotte Böcker, Bo Skovhus, Kurt Rydl, Edgaras Montvidas, Anne Sofie von Otter
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Wiener Festwochen
Un projet passionnant conduit par l’artiste totale cap-verdienne Marlene Monterio Freitas, et par Maxime Pascal, passionné par la modernité, qui se lancent tous deux dans une Lulu de Berg et seulement de Berg (les deux premiers actes) et pour le troisième, une proposition appuyée sur la Lulu Suite et sur l’inventivité de la danseuse et chorégraphe bien connue.
Distribution composée notamment de Vera-Lotte Böcker, désormais appelée sur toutes les grandes scènes, Bo Skovhus et Anne Sofie von Otter, autant dire exceptionnelle
À ne pas manquer.

 

Juin 2023
Erich Wolfgang Korngold
Die stumme Serenade
10 repr. du 5 au 25 juin – Dir : Ingo Martin Stadtmüller/ MeS : Dirk Schmeding
Wiener Kammerorchester
Kammeroper
Une comédie en musique peu connue écrite pour petit ensemble de Korngold, créée en 1951 à son retour d’exil, faite de musique de film, de jazz mais aussi de réminiscences de ses opéras d’avant exil, intrigue invraisemblable. Pour ce petit chef d’œuvre, une équipe jeune, une fois de plus, le chef Ingo Martin Stadtmüller, GMD au Schleswig-Holsteinischen Landestheater tout au nord de l’Allemagne, et une mise en scène de Dirk Schmeding, qui après avoir un peu trouné comme assistant dans de grandes maisons allemandes, commence à faire des mises en scène, notamment à Braunschweig et Graz. Œuvre totalement inconnue, à découvrir bien évidemment pendant un jour libre d’un des Ring de la Staatsoper.

A côté des productions, très régulièrement, des opéras du répertoire baroque en version concertante pendant toute la saison, très bien distribués (Cencic, Deshayes etc…) et avec des chefs de tout premier ordre (Jacobs, Pluhar, Rousset, Dantone etc…) en voici la liste :

  • 16/10/2022 : Agostino Steffani La Lotta d’Ercole con Acheloo
  • 19/11/2022 : Antonio Vivaldi Il Tamerlano
  • 22/11/2022 : Antonio Caldara Il Venceslao
  • 19/12/2022 : Bach/Scarlatt : Magnificat
  • 24/01/2023 : Haydn Orfeo ed Euridice (L’anima del Filosofo)
  • 25/02/2023 : Händel goes Wild, Oeuvres de Haendel
  • 01/03/2023 : Lully, Thésée
  • 25/03/2023 : Haendel, Alexander’s Feast
  • 04/05/2023 : Porpora, Il Polifem
  • 13/06/2023 : Telemannia Telemann & friends

Programmes et distributions consultables sur le site du Theater an der Wien, très clair https://www.theater-wien.at/de/spielplan

 

Conclusion :
Entre les opéras à la Kammeroper, avec des équipes jeunes, stimulantes et des œuvres à découvrir, et la liste des opéras au programme, alternant découvertes et œuvres célèbres, mais plus rarement représentées ou opérations expérimentales, avec des chefs solides et des metteurs en scène le plus souvent passionnants, ainsi que les opéras baroques en version de concert, on tient sans doute là la saison la plus intelligente et la plus séduisante de ce que nous avons pu voir jusque-là, alternant raretés et œuvres consacrées, mais toujours vues sous un angle original
Une telle saison ne peut se concevoir que dans une grande ville, en  complément d’un grand théâtre de répertoire ou d’un grand opéra de type Ciovent Garden ou Opéra de Paris: elle ne saurait être la saison d’un théâtre de Stagione comme le Teatro Real, le Grand Théâtre de Genève, La Monnaie ou Lyon car leur cahioer des charges ets forcément plus “généraliste”, pour un public le plus large possible. Cette suppose un public curieux, peut-être plus averti, ouvert à la modernité, ouvert aussi à de nouvelles équipes, et aux jeunes et non un public de consommation occasionnelle.
C’est une saison qui donne envie, tout simplement.
Tentez le Theater an der Wien, il en vaut la peine.

 

 

 

OPER STUTTGART 2016-2017: FIDELIO de L.v.BEETHOVEN le 5 Novembre 2016 (Dir.mus: Patrick LANGE; Ms en scène: Jossi WIELER & Sergio MORABITO)

Dispositif   ©A.T.Schaefer
Dispositif ©A.T.Schaefer

Direction musicale: Patrick Lange, Mise en scène et Dramaturgie: Jossi Wieler, Sergio Morabito, Décor: Bert Neumann, Costumes: Nina von Mechow, Lumière: Lothar Baumgarte, Chœur: Johannes Knecht

Don Fernando: Ronan Collett, Don Pizarro: Michael Ebbecke, Florestan: Eric Cutler, Leonore: Rebecca von Lipinski, Rocco: Roland Bracht, Marzelline: Josefin Feiler, Jaquino: Daniel Kluge, Erster Gefangener: Young Chan Kim, Zweiter Gefangener: Sebastian Peter, avec: Staatsopernchor Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart

Venu pour le Faust exceptionnel de Frank Castorf (voir le site Wanderer), j’ai profité de ma présence à Stuttgart pour assister la veille au Fidelio dit « de répertoire », qui était la production de début de saison dernière. L’intérêt était double, d’une part il était intéressant de mettre en perspective l’approche de Kupfer à Berlin vue quelques jours auparavant et celle du binôme Wieler-Morabito à Stuttgart, d’autre part, j’aime assister à des représentations de répertoire, parce qu’elles en disent souvent plus sur l’état d’une maison d’opéra qu’une nouvelle production.
La production de ce Fidelio va se concentrer sur la question du texte et des dialogues, complets, et sur la question de la trace là où Claus Guth à Salzbourg les a tous effacés, signe qu’il y a là un véritable enjeu.
Toute l’action se déroule devant une espèce de bunker dont on ne réussit pas à déterminer la fonction et qui se dévoilera à la fin. L’ambiance dessinée par Bert Neumann, le mythique décorateur berlinois de Frank Castorf qu’il a accompagné à la Volksbühne depuis 1989, pour son dernier décor (il est décédé l’été 2015 à 54 ans), est à la fois aseptisée et redoutable, un hall d’entreprise de logistique éclairé à cru (par Lothar Baumgartne, fidèle de Neumann et Castorf), où le travail des personnages consiste à réceptionner des paquets d’un tapis roulant, les ouvrir, les contrôler puis les renvoyer sur un autre tapis roulant. Des personnages dont on finit par comprendre qu’ils sont tous prisonniers, tous habillés de la même manière en quatre déclinaisons, évoluent sous une vingtaine de microphones qui captent tous leurs dialogues: c’est un monde de prison, comme si l’univers était lui-même une immense salle de contrôle où chacun épie l’autre ; les prisonniers vêtus (costumes de Nina von Mechow) comme les personnages principaux se déplacent comme de petits soldats au pas, et à l’aveugle : le monde-même est une prison, sous le regard, figuré par un écran où paraissent les mots même des airs, non comme surtitrage (leur format est bien plus large), mais comme s’il fallait absolument garder le mot comme trace fatale et qu’aucun, ni des dialogues, ni des airs ne devait échapper .

Ce décor, un hangar logistique du « Stasiland » (un monde connu et subi par Bert Neumann originaire de la DDR) que Jossi Wieler et Sergio Morabito,  loin de l’humanisme beethovénien, nous présentent, est une sorte de monde d’après, ou, mieux, un monde d’aujourd’hui, ce monde du totalitarisme soft, de ce « monstre doux », le mostro mite  décrit par Raffaele Simone dans un livre célèbre paru il y a quelques années.
Comme Kupfer à Berlin, Wieler et Morabito n’y croient plus.
Inquiétant regard où le monde est lu comme une immense prison, ou comme un univers à la Orwell où Big Brother règne, ou bien, pire encore, un univers de téléréalité où la vie au quotidien est objet de regard, parce que tout doit être vu, et de spectacle, parce qu’on doit en jouir. Ainsi au milieu de cet univers faussement industriel, qui gère l’industrie de l’espionnage des uns vers les autres, de tous vers tous, une balancelle orange, qui marque l’univers petit bourgeois qui s’est construit dans cette horreur-là : on a l’humanité qu’on peut.

Rocco (Roland Bracht) et Leonore (Rebecca von Lipinski) ©A.T.Schaefer
Rocco (Roland Bracht) et Leonore (Rebecca von Lipinski) ©A.T.Schaefer

Il y a en effet évidemment une sorte de contraste entre l’horreur du propos, le regard, l’impossibilité d’être soi, la saleté mentale que tout cela suppose et le décor très clean, la modernité proprette presque télévisuelle (d’où ma référence à la téléréalité). En effet, le Pizzaro est une sorte non pas de « Stasimann » mais semble presque sorti d’un film de Fellini (on est dans la férocité d’un Ginger e Fred), un producteur prêt à tout.
Mais que fait donc le prisonnier Florentin isolé dans un tel monde ?

Stasiland...©A.T.Schaefer
Stasiland…©A.T.Schaefer

La solution vient, comme un deus ex machina à la fin. Le ministre, Don Fernando, libère l’ensemble des prisonniers avec Florestan au premier plan en faisant ouvrir par Leonore le fameux bunker, qui s’ouvre comme une porte de garage et laisse apparaître un monde de papiers et d’archives qui sont en train d’être broyées, qu’aussi bien Leonore que Marzelline et Jaquino vont regarder, consulter, comme si leurs actions avaient été là consignées, épiées, classées peut-être par Florestan lui-même au passé alors trouble, ou bien c’est le produits des dénonciations dont a été victime Florestan. On pense à Tartuffe, au discours de l’exempt (« Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude) et à la dénonciation de l’Orgon du moment (Florestan) par le Tartuffe du moment (Pizzaro ?), et à la volonté du Prince d’effacer les mots. C’est tout le discours sur le rapport au passé, sur les totalitarismes, sur la situation des sympathisants de la révolution au début du XIXème dans l’Empire d’Autriche à la veille du congrès de Vienne qui se révèle: en 1804, quand Beethoven écrit sa première version de Fidelio, le monde des libéraux européens voyait en Napoléon le garant de l’humanisme et de la liberté, et l’opéra libérateur avait un sens d’espérance. En 1814, quand tout est à peu près consommé, que Napoléon n’a  défendu ni la liberté ni l’humanisme, mais a installé un autre totalitarisme, et que les vieilles monarchies sont en train de reconquérir le terrain perdu, le monde est autre et Fidelio (1814) ne peut qu’être un chant désespéré. C’est cette histoire complexe, ce renversement de sens, ce monde d’hier et d ‘aujourd’hui où les conquêtes qu’on croyait définitives s’avèrent fragiles que racontent Wieler et Morabito.

Choeur des prisonniers ©A.T.Schaefer
Choeur des prisonniers ©A.T.Schaefer

Les relations entre les personnages restent cependant ce qu’elles sont dans l’œuvre de Beethoven, même si la mise en scène et la dramaturgie leur donnent l’ambiguïté dont il a été question plus haut, et en font un monde où la frontière entre bons et méchants n’est plus si nette : chez Beethoven, c’est le cas de Rocco. Wieler et Morabito nous suggèrent que Florestan et  Pizzaro sont eux-mêmes ambigus, que le monde-même est ambigu et que la liberté n’est pas un donné, ni même un promis. Le chant final plein d’espérance est teinté d’amertume, il n’est qu’à regarder le visage de Leonore, défait par la découverte du « bunker », la trace construite des ambiguïtés, des secrets gardés et accumulés, des passés troubles. On comprend alors pourquoi au lever de rideau Marzelline lave avec scrupule et attention le sol : on pense aux servantes de l’Elektra de Chéreau occupées à laver toutes les traces indélébiles du sang du meurtre d’Agamemnon, on pense à Lady Macbeth et à son obsession des taches de sang, on pense à ce passé qu’on essaie d’effacer et qui ne disparaît jamais, qui se révèle toujours à un moment ou un autre, ce peut-être pour l’Allemagne le passé nazi, ou le passé Stasi, en France le passé Vichy. Il y a toujours quelque chose à cacher, et qui finit toujours par se révéler.

Voilà un travail complexe, qui exige du spectateur une attention, une réflexion et une analyse approfondies, et qui ne laisse pas indemne. Mais à une semaine de distance, le Fidelio de Kupfer et celui de Wieler-Morabito, par des moyens très différents, disent quelque chose de voisin sur la désespérance du monde, comme si nous entrions dans un tunnel.
Musicalement, la représentation est d’une très grande tenue : les forces de l’Opéra de Stuttgart que ce soit le chœur (dirigé par Johannes Knecht) avec ses deux solistes valeureux Young Chan Kim et Sebastian Peter ou l’orchestre, montrent que nous sommes dans une grande maison: pas de scories, mais de l’énergie, de la précision, une vraie implication qui seront confirmées par le Faust du lendemain. Spectacle créé par le directeur musical Sylvain Cambreling, cette reprise de Fidelio est dirigée par Patrick Lange, un chef encore jeune qui fut pendant une brève période directeur musical de la Komische Oper de Berlin, très attentif, très précis, un de ces chefs qui donnent confiance aux orchestres par leur sérieux et leur souci d’une approche sans bavures. Sa direction est énergique, plutôt classique au sens où elle ne marque pas une volonté excessive de personnalisation ou d’interprétation, mais un respect de l’écriture et un vrai souci de l’équilibre avec le plateau, sans jamais couvrir et soutenant en permanence les chanteurs. Patrick Lange, que j’estime, est en ce sens un grand chef de répertoire (et ce n’est pas pour moi péjoratif), une garantie pour un théâtre (comme a pu l’être un Fabio Luisi dans la première partie de sa carrière), il lui manque peut-être ce grain de fantaisie et de liberté qui le propulserait à un niveau supérieur.

Marceline (Josefin Feiler) ©A.T.Schaefer
Marceline (Josefin Feiler) ©A.T.Schaefer

Du côté du plateau, essentiellement composé d’artistes de l’ensemble de Stuttgart, une remarquable homogénéité, c’est quasiment la distribution de la première qui a donc travaillé longuement avec les metteurs en scène : frais et très incarnés le Jaquino de Daniel Kluge et la Marzelline de Josefin Feiler, joli contrôle de voix mozartiennes, jamais excessives, et très présentes néanmoins.
Le Pizzaro de Michael Ebbecke est d’abord un personnage, d’une certaine vulgarité télévisuelle, échevelé, vêtu comme un faux jeune, sans scrupule, chanté avec netteté et force, voix bien projetée (ou jetée ?)  qui est bien plus ambigu que dans d’autres lectures. Wieler et Morabito n’en font pas un personnage noir, ils lui laissent en quelque sorte sa chance.
Le Rocco de Roland Bracht, même avec une voix un peu fatiguée, est profondément juste, humain, ambigu lui aussi mais il chante d’une manière si chaleureuse, avec ses faiblesses et son air débonnaire, qu’on pardonne tout au personnage, et tout au chanteur. Une véritable incarnation.
Le ministre de Ronan Collett est un peu pâle vocalement, mais c’est aussi la conséquence d’une mise en scène qui l’efface, devant le chœur et les personnages qui se dépêtrent dans le bunker. Une absence de relief du vrai pouvoir qui accentue l’ambiguïté de cette fin sans gloire laissant seule Leonore avec une pâle lumière lunaire qui n’a rien du soleil éclatant qui habituellement se lève sur les âmes .

Leonore (Rebecca von Lipinski) ©A.T.Schaefer
Leonore (Rebecca von Lipinski) ©A.T.Schaefer

Les deux héros, Rebecca von Lipinski  (Leonore) et Eric Cutler (qui succède à Michael König, le Florestan de la première) ont tous deux une voix qui n’a pas tout à fait le format habituel des deux rôles. Rebecca von Lipinski était aussi Leonore dans le Fidelio récent donné à la Philharmonie (voir Wanderer). La voix est aux limites, le format est plus celui d’un lyrique qu’un lirico très spinto exigé par le rôle, et la fin est quelquefois un peu difficile. Elle incarne pourtant magnifiquement le personnage, et compense par sa présence et une jolie technique les fragilités réelles de la voix : l’incarnation est meilleure que la prestation, mais dans Fidelio, l’incarnation est essentielle et elle est totalement engagée dans la mise en scène et sa complexité. Elle rend cette Leonore émouvante notamment à la fin où, malgré la libération de son Florestan, elle semble frappée, et finit isolée dans le noir.
Eric Cutler est un ténor de belle facture, belle technique, style, attention au texte, contrôle. Lui aussi n’a pas tout à fait le format de Florestan, il semble épuiser ses réserves, mais son Florestan reste crédible, notamment dans l’air redoutable d’entrée du deuxième acte. Il fait partie de ces chanteurs dont la technique et le style permettent d’aborder des rôles légèrement surdimensionnés sans jamais tomber dans les pièges. La voix est évidemment tendue, mais l’incarnation est là aussi, impressionnante notamment quand face à Rocco à qui il demande à boire, et la clarté de la voix, la justesse de l’expression sont ici des atouts. Il est à l’extrême du spectre du rôle. Florestan comme d’autres rôles du répertoire de la période, qu’on va retrouver dans Weber ou même dans le Grand Opéra, demande de la force, de la puissance et aussi du style, de l’élégance, une capacité à maîtriser et dominer la voix : Cutler a les qualités de raffinement qui permettent de compenser une puissance qu’il n’a pas tout à fait, et c’est pourquoi il est un Florestan crédible.

Au total, un Fidelio d’un grand intérêt, par son pessimisme même, par son ambiguïté : j’ai souligné souvent combien l’œuvre était difficile à monter, avec sa dramaturgie bancale et cette notable différence entre première et deuxième partie. En posant le dialogue comme musique, ainsi qu’ils l’affirment dans le programme de salle, les metteurs en scènes ont réhabilité théâtralement une pièce à la dramaturgie souvent sacrifiée. Je ne suis pas toujours convaincu par le travail de Wieler et Morabito, car je le trouve souvent d’un dépouillement paradoxalement complexe et exigeant. L’impression au sortir de ce Fidelio était mi-figue, mi-raisin, musicalement oui et scéniquement moui. Quatre semaines de maturation, la réflexion et l’analyse qui en résultent ont fait leur œuvre, ce sera oui, et pour les deux. [wpsr_facebook]

Image finale ©A.T.Schaefer
Image finale ©A.T.Schaefer

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 14 janvier 2012: LA TRAVIATA de Giuseppe VERDI (Dir.mus: Patrick LANGE, Ms en scène : Hans NEUENFELS)

Alfredo-Le souteneur- Violetta (Acte I) - Photo Komische Oper

Chants et danses de la mort…Danse macabre…pourraient être des titres alternatifs à cette Traviata de Hans Neuenfels, production 2008 de la Komische Oper, reprise cette année (avec des répétitions, et non simple titre du répertoire, comme l’indique l’expression “Wiederaufnahme”). On pourrait y ajouter le titre fameux essai de Catherine Clément “L’opéra ou la défaite des femmes”, tant ce travail souligne le chemin consenti vers la mort et consenti vers l’amour de l’héroïne verdienne. Hans Neuenfels signe là une production au total assez conforme à ce qu’on attend de Traviata, et sans véritable “provocation” du genre des rats de son dernier Lohengrin.
Musicalement, le chant est contrasté: la Violetta de Brigitte Geller est très correcte. La voix est bien posée, intense, la technique est maîtrisée, les notes aiguës sont là même si elles sont savamment préparées, l’agilité est là aussi, et les pianissimis du fameux “addio del passato” (ou son équivalent allemand, puisque l’opéra est chanté en allemand dans la version de W.Felsenstein) un peu difficiles, mais “passables”. Au total, une prestation intense, en place, rien à dire. Même remarque et voire un peu plus pour le Germont de Tom Erik Lie, très belle voix de baryton, qui sait parfaitement moduler, varier la couleur, et chanter avec engagement et intensité, un nom à suivre.
Il est plus difficile en revanche d’apprécier la prestation du ténor gallois Timothy Richards en Alfredo. La voix est plus large que haute, la souplesse et la ductilité font défaut, le chant tout en force n’est pas exempt de scories notamment du côté de la justesse, tout cela est bien fixe, et pour tout dire, pas vraiment passionnant. En tous cas, ce n’est pas un Alfredo, ni pour la couleur, ni pour l’éclat, ni non plus pour le jeu, que j’ai trouvé un peu fruste.
Notons au passage la Flora de Karolina Gumos, appréciée la veille dans Mercedès, et dont la voix marque une vraie personnalité.
Ce qui m’a vraiment séduit musicalement et fortement induit à suivre de plus près ce chef dans le futur, c’est la direction inspirée et engagée de Patrick Lange, jeune chef allemand directeur musical de la Komische Oper, ex-assistant de Claudio Abbado (quand on connaît ses saints…). J’ai rarement entendu une Traviata aussi fine, aussi intime, avec des pupitres aussi intelligemment mis en valeur, ce qui donne une vraie couleur mélancolique à l’ensemble et qui surtout tire profit avec bonheur d’un orchestre aux dimensions relativement plus modestes qu’un orchestre d’opéra habituel. Grande souplesse, engagement, attention soutenue aux chanteurs qui sont parfaitement suivis, voilà des qualités qui font de Patrick Lange un nom à suivre et que nos théâtres feraient bien d’inviter. Une vraie alternative à Daniel Oren et autres routiniers de luxe.
A cette couleur musicale très respectable correspond une mise en scène qui ne peut vraiment heurter un public conservateur. Hans Neuenfels propose donc une marche à la mort, dans un espace désespérément vide et froid:  du noir, du métal, des panneaux coulissants qui délimitent un espace contre lequel les protagonistes se heurtent  ou qui disparaissent en désarçonnant les personnages, comme si même l’espace leur échappait. Les costumes de Elina Schnizler sont plutôt du genre macabre-grotesque, un docteur Grenvil en Gilles/Polichinelle, une Flora en collant-squelette. Violetta elle-même porte un costume de soirée à frous-frous, puis redevient au deuxième acte premier tableau une femme simple,

Chez Flora (Acte II, 2) - Photo Komische Oper

 

Chez Flora - Photo Komische Oper

au deuxième tableau chez Flora, quand elle revient au baron, elle porte un costume de prostituée, mini robe de cuir, perruque rousse (elle est d’ailleurs impressionnante dans cet accoutrement). Le vieux Germont en costume d’un vilain bleu avec une croix visible à 500m, et Alfredo en smoking blanc d’abord (l’apparition), puis en bûcheron du dimanche (deuxième acte, le retour à la terre), puis en costume du bleu sale paternel (deuxième acte, chez Flora), et enfin retour au blanc pendant la scène finale. Des costumes qui évidemment parlent, et correspondent aux différents moments du texte et de l’intrigue.

Neuenfels inscrit dès le début Violetta dans un destin de femme, mais un destin qui lui est interdit: quand défilent en fond de scène des mariées, des femmes enceintes, puis des veuves, elle vit dans un espace réduit à une relation au plaisir, représenté par un jeune acteur-danseur (Christian Natter) une sorte de souteneur, mais aussi de “Servant” illustrant une vie qu’elle refuse et qu’elle va abandonner. Elle chante le “E’ strano” du premier acte en jouant avec ce personnage, puis en l’éloignant quand Alfredo chante a capella. Lorsqu’au deuxième tableau du deuxième acte, elle revient à cette vie qu’elle abhorre, le “Servant” verra son cœur arraché, et servir de figure répulsive et magique lors de la scène du jeu de cartes, où au lieu de jouer aux cartes, le baron et Alfredo piquent avec des aiguilles dans ce cœur qui bat encore, seul au milieu d’un plat…

La scène de l’acte II entre Germont et Violetta est très réussie même avec ses quelques exagérations, où Violetta arrache la perruque blanche de Germont dès le début de la scène, marquant immédiatement qui sert le vrai et qui sert les apparences, où elle essaie de se blottir contre lui, cherchant une affection et où il se refuse,

Acte II,1 - Photo Komische Oper

où elle offre sa tête au billot dont Germont serait le bourreau et où elle chante un “amami Alfredo” à terre de manière assez bouleversante.

"Je suis une putain" - Photo Komische Oper

Au second tableau, chez Flora, elle chante l’ensemble final sur un podium où il est écrit “je suis une putain!”, ce qui évidemment tranche avec le texte qui est chanté et provoque un vrai choc.

Acte III - Photo Komische Oper

Enfin, au dernier acte, par le jeu des panneaux coulissant, elle disparaît derrière laissant seuls en scène Alfredo et Germont, et Grenvil et Annina, comme perdus. Grenvil en Gilles/Polichinelle, sorte de clown triste, donne vraiment à ce moment une couleur déchirante. La fête est finie, les personnages sont seuls face à leur destin et leur remords (Germont entre noyé dans l’alcool, éperdu de remords). Et Violetta réapparaît pour mourir et tomber dans les bras d’Alfredo, comme une Pietà inversée où elle deviendrait christique.
On le voit, avec des idées, avec des moments vraiment justes et émouvants, chanté correctement et excellemment dirigé, on passe une soirée assez réussie, et le public, plus clairsemé que la veille (environ 70% de remplissage) fait un accueil très chaleureux à la production. Merci Patrick Lange, merci Hans Neuenfels.