TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: MACBETH de Giuseppe VERDI le 9 AVRIL 2013 (Dir.mus: Valery GERGIEV; Ms en scène Giorgio BARBERIO-CORSETTI)

Les sorcières ©Brescia et Amisano

 

Les images du spectacle sont celles de la distribution A (Lucrezia Garcia, Franco Vassallo, Stephan Kocan)

La nouvelle production du Macbeth de Verdi à la Scala pose à nouveau la question de l’identité de ce théâtre et des relations avec son (ou ses) public(s).
Il n’était pas absurde de proposer une nouvelle production d’une œuvre qui a fait les beaux soirs de ce théâtre depuis des dizaines d’années (il suffit de voir la liste des chefs et des Lady Macbeth qui se sont succédé depuis 50 ans) , en proposant cette année la version originale de 1847. D’autant que la dernière production de Graham Vick a été affichée de 1997 à 2008 et qu’elle n’est pas l’une des plus réussies de ce metteur en scène. En proposant à Giorgio Barberio-Corsetti de mettre l’œuvre en scène, Stéphane Lissner appelle l’un des metteurs en scènes en vue de la scène italienne, assez populaire à l’étranger. En appelant Valery Gergiev, il s’assure un chef de premier plan (encore qu’il ne convainque pas toujours dans Verdi), et il compose une distribution faite d’artistes plutôt jeunes, en s’appuyant sur la génération « émergente », cast A comme cast B et donne enfin à un chanteur italien dans la force de l’âge le rôle-titre, marqué à jamais par Piero Cappuccilli. Pas de soprano italien depuis des lustres (sauf en cast B Paoletta Marrocu) pour Lady Macbeth (Maria Callas, Birgit Nilsson, Shirley Verrett, Ghena Dimitrova, Maria Guleghina) et donc pas d’exception à la règle : Lucrezia Garcia (vénézuélienne) alternant avec Tatiana Serjan (russe) .

Le cast A affichait des chanteurs qui ont accédé récemment à la gloire internationale, Stefano Secco pour Macduff, Stefan Kocan la basse slovaque, Franco Vassallo peut-être plus connu dans ses rôles rossiniens que verdiens. Lucrezia Garcia est peut-être plus hasardeuse dans Lady Macbeth : on aurait pu afficher une artiste plus affirmée pour un rôle redoutable entre tous, encore fallait-il qu’il y en eût. Car beaucoup de chanteuses ont circulé récemment dans la Lady , mais jamais convaincantes Iano Tamar (Lyon, Berlin), Nadja Michael (Munich), Jennifer Larmore (Genève), Paoletta Marrocu (Zürich), Erika Sunnegårdh (Vienne). Il faudra donc attendre…
L’accueil violemment négatif qui a accueilli la production lors de la première pose aussi la question du public de la Scala. Le directeur d ‘un très grand opéra me disait qu’il n’accepterait jamais de diriger la Scala à cause de son public. Un public à la fois conservateur, peu éduqué à l’opéra et à ses évolutions (les représentations d’opéra du XXème sont, à de rares exceptions près, beaucoup plus difficiles à remplir), dont une partie des fans de lyrique du poulailler (« Loggione ») se pose systématiquement en gardien du temple (quel temple d’ailleurs?)  en huant toute nouvelle production du répertoire italien et notamment verdien ou puccinien. Un public souvent peu sympathique ou peu disponible. En cela, il a plutôt évolué en mal. Même si j’ai plusieurs fois souligné la crise du chant italien et les difficultés de la Scala à afficher des succès dans le répertoire verdien.
Cette année, après des Wagner globalement réussis (triomphe de Lohengrin et  succès d’estime du Vaisseau fantôme), un immense succès pour Falstaff (Harding-Carsen), un Nabucco en demi-teinte (Luisotti-D.Abbado), voilà un Macbeth très mal accueilli (Gergiev) qui n’en demandait pas tant. Fallait-il renoncer à ce titre parce qu’aucun théâtre n’est en capacité d’afficher une distribution aujourd’hui qui puisse égaler celles du passé, dans ce théâtre et ailleurs? Il faudrait alors renoncer à la moitié sinon plus du répertoire verdien. Depuis la période Claudio Abbado (1968-1986) et Paolo Grassi, et malgré les efforts de certains des successeurs (Cesare Mazzonis), les différentes administrations de la Scala n’ont pas vraiment réussi à « éduquer » un public devenu au fil des ans plus « touristique », plus conservateur, moins ouvert à la modernité. Certes, les années Lissner ont un peu corrigé le tir au niveau des productions, mais elles ont été plus soucieuses de l’effet immédiat que d’un travail très approfondi au niveau de l’éducation des jeunes et du public, pour lui faire accepter autre chose que du standard de luxe. La caractéristique de la politique Abbado était assez claire. Le directeur musical avait pour objectif de préparer et orchestre et public à des répertoires nouveaux et la stratégie portait plus sur les concerts symphoniques de la fameuse « saison symphonique » d’automne que sur les opéras. Abbado ne dirigeait pas plus que deux ou trois productions par an, mais était largement présents sur les concerts. La saison symphonique a disparu, et Milan est une ville indigente en matière de concerts. Les abonnements populaires (abonnements « ouvriers ») disparus, les concerts symphoniques, disparus si l’on excepte les quelques concerts du Philharmonique de la Scala, les concerts réguliers de solistes, disparus (sauf les concerts de chant). C’est à un travail approfondi avec un directeur musical qui soit aussi un (ré)organisateur (une sorte de Generalmusikdirektor à l’allemande) qu’il faudrait soumettre la musique à Milan. Ainsi, lors de ce Macbeth qui voisinait avec l’ouverture d’une de ces foires milanaises qui attirent les affaires, le public était largement international, particulièrement slavophone, comme il y a quelques années ces japonais qui venaient pour un acte dans une loge louée par une agence de tourisme  prendre une photo et partir. A la Scala, on vient quelquefois pour l’opéra, souvent pour la Scala et y être, ou pour se retrouver entre soi, comme dans n’importe quel théâtre municipal de province. Objet touristique plutôt que culturel, la Scala risque bien d’y perdre son âme (je crains EXPO 2015) , si ce n’est déjà fait.
Dans ce contexte, une minime partie du public s’est bruyamment radicalisée (à trois ou quatre bien placés dans la salle, on peut largement créer une bronca mémorable!). Même si le public mélomane et averti n’est toujours qu’une minorité dans une salle d’opéra, c’est lui qui « fait » la salle, c’est lui la mémoire du théâtre, c’est lui la racine. Rappelons ce que disait Paolo Grassi, légendaire directeur du Piccolo Teatro avec Strehler, puis sovrintendente de la Scala: « La Scala est un chêne dont les racines sont au poulailler ». Et dans la nourriture italienne offerte à ce public, il y a bien peu de sources de satisfactions. Les productions verdiennes restent pâles.

Shirley Verrett, Lady Macbeth de Strehler/Abbado

Prenons l’histoire récente scaligère de Macbeth: la production de Strehler (qu’on peut voir encore puisqu’il en existe un enregistrement TV) fut une référence. Je l’ai vue non à la création, mais en 1985, sans Shirley Verrett mais avec Ghena Dimitrova, Piero Cappuccilli, Nicolai Ghiaurov, Claudio Abbado. Ce fut  une pierre miliaire de mon parcours.Pourquoi n’en avoir point fait une sorte de référence maison, comme la Bohème de Zeffirelli. Graham Vick(1997) et aujourd’hui Barberio-Corsetti (2013) n’apportent rien de plus, et je dirais même sont en retrait par rapport à cette production de 1975. Ce sont des productions comme disent les italiens  » d’ordinaria amministrazione ».
La production de Giorgio Barberio-Corsetti ne mérite absolument pas les huées qu’elle a reçues, ni les horreurs qu’on a débitées à son endroit. C’est un travail honnête, avec quelques jolis moments, dans un espace scénique organisé en deux façades nues sur lequel sont projetées des vidéos

Les dictateurs en fond de scène ©Brescia et Amisano

(sang, photos de dictateurs – Staline et Hitler – entre autres) dans un temps indéterminé plutôt contemporain (des années 30 aux années 2000). Les deux façades tournent sur elles mêmes pour laisser voir des espaces intérieurs structurés par des escaliers. Les sorcières sont vues comme un groupe de clochardes et leurs interventions sont ponctuées de chorégraphies quelquefois acrobatiques (de Raphaëlle Boitel) ou ratées (la forêt de Birnam). le couple Macbeth/Lady Macbeth apparaît dès de départ comme isolé, mais si le propos est à peu près semblable, rien à voir avec la vision décapante de Dimitri Tcherniakov à Paris où le couple renvoyait clairement au couple Ceaucescu, donnant à Macbeth une couleur très actuelle et très lisible par le public. Rien de si clair ici, même si le travail sur la dérive du pouvoir est ici évident et presque obligatoire et si l’idée d’un processus qui dépasse l’histoire et le temps est rendue, on reste quand même sur sa faim: tout cela est bien timide (pensons à la radicalité d’un Van Hove à Lyon plaçant Macbeth à Wall Street et faisant du peuple révolté les indignados d’aujourd’hui). C’est bien timide et c’est confus parce que cela part dans toutes les directions, idéologique, psychanalytique, irrationnel sans véritablement s’engager dans un propos clair et vraiment lisible: il reste que tout cela ne dérange pas, ne devrait pas déranger un public d’opéra du XXIème siècle. Visiblement, le public de la Scala ou du moins certains de ces éléments n’a pas encore atteint l’âge mûr ou n’a pas encore les références suffisantes pour supporter cette timide (et fausse) modernité.

Lucrezia Garcia ©Brescia et Amisano

On a dit aussi pis que pendre de la distribution A et de la direction de Valery Gergiev. Je ne peux me prononcer puisque j’ai vu la distribution B, composée de chanteurs en général plutôt jeunes et plutôt prometteurs. Tatiana Serjan (Lady Macbeth) fait partie des valeurs confirmées et écume les scènes italiennes (elle refera Lady Macbeth au prochain Mai Musical Florentin, en alternance avec Raffaella Angeletti); sa Lady est solide,  intense, elle a l’étendue du registre, les aigus redoutables (dont le dernier, le fameux contre ré bémol) et réussit une composition et musicale, et scénique qui impose le respect; son brindisi (si colmi il calice) s’impose du point de vue musical, même si le souvenir du personnage de  Jennifer Larmore à Genève reste très présent en dépit des incertitudes du chant. Elle remporte avec justice un beau succès et fait sans nul doute partie des chanteuses qui tiennent le rôle et le défendent avec vigueur. Certes, la diction n’est pas trop claire, mais dans l’ensemble, rien de notable à redire sur la prestation.

©Brescia et Amisano

Le Macbeth de Vitalyi Bilyy (formé à Odessa, en Ukraine) a un timbre juvénile, chaleureux, coloré, sa diction est acceptable, même si la couleur n’est pas suffisamment italienne. Stylistiquement cela gène, malgré un très joli phrasé qui montre un sens du chant et même du bel canto. Le chant et l’expression sont intenses, les aigus présents, même si insuffisamment projetés: seul le volume reste insuffisant, surtout dans une salle telle que la Scala et il est obligé de forcer dans les grands monologues. Indéniablement, dans une salle plus petite (Fenice, Pergola, Bologne) son Macbeth passerait mieux. Cela reste très honorable.  Adrian Sampetrean (Banquo), d’origine roumaine, a un peu le même problème de volume. C’est une voix bien posée, au timbre plutôt clair pour une basse, à la diction impeccable, parfaitement compréhensible. Il lui manque un peu de profondeur et de volume pour s’imposer (dans les Banquo récents, je reste sur la magnifique impression produite à Genève par Christian Van Horn). Mais là aussi, la prestation est honorable.
Le succès public vient des deux ténors, Macduff (Wookyung Kim) et Malcolm (Antonio Coriano). Wookyung Kim remporte un triomphe à l’issu de son air O figli o figli miei… Ah, la paterna mano, voix claire, ronde, phrasé impeccable, tension, mélancolie, qualité interprétative, une voix à suivre, tandis que le jeune Antonio Coriano en Malcolm montre dans ses brèves interventions vaillance,  justesse, et prise sur le public, un ténor italien à suivre lui-aussi. Actuellement, il est le Malcolm des scènes italiennes (Florence, Milan, Rome).

La forêt de Birnam ©Brescia et Amisano

Le chœur est évidemment sans reproche, tant au niveau du volume, du phrasé que de l’intensité dans le final de lacte I (Schiudi, inferno, la bocca) ou le très fameux patria oppressa à l’acte IV, un grand moment d’émotion, musicale encore que la mise en scène (distribution de la soupe au peuple) soit un peu anecdotique: Christof Loy (oui…oui)avait fait beaucoup mieux à Genève.
Je nourris suffisamment de préventions envers Valery Gergiev pour souligner cette fois que son travail de direction et de « concertazione » m’est apparu en place, précis, attentif, notamment dans la deuxième partie, avec un magnifique Acte IV. J’ai plus de réserves sur le début, rapide, superficiel, sans âme, avec des notes en place mais une musicalité absente. Peu à peu s’impose un rythme et une respiration. Même si je continue à penser que Gergiev n’est pas un chef pour Verdi, il a une énergie et une vitalité qui manquent à bien d’autres. Au final, et malgré un début très discutable, c’est plutôt une bonne surprise.
On aura compris que si rien n’est totalement exceptionnel dans ce Macbeth, rien n’est non plus scandaleux, absolument rien.  Une représentation honorable qui témoigne de l’état médiocre du grand chant verdien aujourd’hui.  La soirée passa agréablement même si on est loin des étoiles, loin du Capitole, mais pas si près non plus de la Roche Tarpéienne.[wpsr_facebook]

Stephan Kocan, Franco Vassallo, Lucrezia Garcia (Cast A), apprition du spectre ©Brescia et Amisano

OPÉRA DE LYON 2012-2013 : MACBETH de Giuseppe VERDI le 13 octobre 2012 (Dir.mus : Kazushi ONO, Ms en scène Ivo VAN HOVE)

Scène finale / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

J’ai trouvé l’une des clefs de la représentation, en écoutant la radio hier, rentrant après cette première de Macbeth de Giuseppe Verdi: la barbarie, disait la voix, c’est par exemple aujourd’hui Goldman Sachs. C’est bien ce que nous dit la mise en scène de Ivo van Hove qui considère le monde de la finance comme le vrai pouvoir du jour. Ainsi s’opère la transposition du monde gris, brumeux et sauvage du Moyen âge écossais au monde gris et tout aussi sauvage du Vatican de la finance, Wall Street. La sauvagerie en costume-cravate, la barbarie du pouvoir au sein de La Banque, les constructions mafieuses, les complots, la soif éternelle du pouvoir utilisant les leviers du jour. Voilà la réponse à la question : que nous dit Macbeth aujourd’hui ?

La radio (décidément !) ce matin m’a donné la seconde clef du spectacle, une clef encore plus universelle que tous les lecteurs de littérature connaissent ;  elle était exprimée par Michel Bouquet (invité de Rebecca Manzoni sur France Inter): la grande pièce de théâtre (on pourrait dire la grande littérature) s’en sort toujours quel que soit le contexte historique, elle a toujours quelque chose à dire, on la retourne, et elle donne sa réponse. Ainsi parlait Michel Bouquet au sujet du « Roi se meurt », ainsi pourrait-on parler du Macbeth de Shakespeare, et du Macbeth de Verdi. Plaquez la pièce à la réalité du jour, pressez-la, et elle donne son jus, toujours recommencé et toujours frais.
Ainsi le décor de Jan Versweyveld est-il unique, un espace tragique délimité par de vastes espaces gris sur lesquels se projettent des images  de Tal Yarden (comme à Amsterdam dans Der Schatzgräber), toujours en négatif et noir et blanc, donnant l’impression du rêve, de l’irréel, de la représentation mentale, et derrière des bureaux qui courent tout autour, des écrans qui projettent tantôt des graphiques, des chiffres comme dans les salles de marchés, tantôt les images mentales des personnages non sans humour (chat noir, crapaud, selon les recettes des sorcières ou des extraits de dessins animés –dont « Ma sorcière bien aimée »- mettant en scène les sorcières).

Les sorcières/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Le rideau se lève sur une salle de marché où les sorcières sont des traders ou des conseillères (en communication bien sûr). Image frappante, traversée par une femme de ménage qui va être le témoin muet et permanent du drame, dont le rôle va s’éclairer à la fin surprenante. Dans cette première scène, elle nettoie les déchets laissés par les traders-sorcières, qui pendant leur sabbat, puisent dans les ordures (essentiellement du papier hygiénique) et les jettent au sol. Dans ce monde dont l’enfer est figuré en projection par l’Empire State Building, tous nos tics high teck sont sarcastiquement montrés: le roi Duncan est mort et tous les employés pianotent sur leurs mobiles pour tweeter la nouvelle, la lettre de Macbeth  est lue par la Lady sur son Ipad, déjà utilisé dans « le Misanthrope » de la Schaubühne (cf compte rendu), du même Ivo van Hove, vu aux ateliers Berthier ce printemps (cf autre compte rendu).
La grande différence entre Shakespeare et Verdi, c’est que Verdi isole le couple en éliminant de nombreux personnages, et surtout, le montre bousculé, apeuré, féroce parce qu’effrayé devant le crime initial commis. Ainsi l’espace conçu très vaste (tout le plateau) montre-t-il très souvent le couple seul , traversé par ses doutes, se jetant à corps perdu dans le meurtre , et en même temps quelque part émouvant :

Acte IV / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

le merveilleux quatrième acte où pendant la scène du somnambulisme lady Macbeth en combinaison noire, pieds nus, tour à tour évite puis cherche Macbeth (qui a abandonné le costume cravate, signe de la caste, de la bande pourrait-on dire) en chemise défaite.
Dans le monologue de Macbeth qui suit,

Monologue de Macbeth(Acte IV) / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

c’est Macbeth qui tue « tendrement » la Lady, scène magnifique, d’une terrible justesse.
De même la scène du banquet et du brindisi, devenue une réception du personnel de la banque, où le spectre apparaît en projection sur les écrans, en autant d’images mentales de Macbeth démultipliées, et où à la fin, certains membres du personnel, déstabilisés, dont Macduff, rangent leurs affaires (dont les ordinateurs, ou les sacro-saints mugs) dans des = cartons et quittent le navire comme les rats. Images réelles ou images mentales, c’est bien le doute qui se glisse lorsque les crimes commis sont montrés comme en filigrane sur les cloisons géantes, meurtre de Duncan, initial, geste originel, isolé, meurtre de Banco, plus mafieux, exécuté dans un parking par des tueurs à gage (casque de moto etc…).
A ce monde de la barbarie en cravate, se construit et s’oppose le monde de ceux qui disent non, en habits « casual », qui sont en fait ces indignés de Wall Street (le mouvement OWS : Occupy Wall Street) qui ont tant interrogé les chroniqueurs, et qui vont porter la fin optimiste de la pièce. Car ne l’oublions pas, Macbeth se termine par une note d’espoir extraordinaire  et un hymne de victoire et d’espoir « L’aurora che spuntò / Vi darà pace e gloria ! » (l’aurore qui vient de pointer vous donnera paix et gloire).
À la barbarie du monde de la finance répond l’espoir venu de la rue, du « peuple », symbolisé par cette femme de ménage que j’évoquais, qui assiste à tout le drame, et qui court ouvrir les portes au peuple de la rue qui va envahir la salle des marchés, témoin muet, inexistant pour tous les protagonistes (ils évoquent leurs crimes devant elle, tant elle est invisible, tant elle ne compte pour rien) et elle écoute, enregistre, intériorise, pour finalement courir vers ce peuple qui assiège le lieu du pouvoir, vers les siens : elle envahit au milieu de siens, le saint des saints bancaire.

"Figli, o fgli miei" Dmytro Popov/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Ce peuple, il doit émouvoir et c’est la vidéo qui donne l’émotion comme dans un storytelling : la scène du chœur « patria oppressa » et le magnifique monologue de Macduff prennent leur sens dans la vidéo réalisée « en direct », avec des gros plans sur les visages tendus (un peu comme au début de la Flûte enchantée de Bergman, toutes proportions gardées), sur le chanteur, magnifique , dont le chant prend une valeur sensible extraordinaire quand il est démultiplié par la vidéo. Et c’est ce peuple opprimé qui se libère et envahit « la banque » au total pacifiquement.  Ainsi tout se termine-t-il par une image d’espoir, une sorte d’arbre de Birnam joyeux  qui s’élève comme un ballon, pendant que Macbeth, qui n’est pas mort, semble écrasé par ce qui arrive, hagard, couvert d’une couverture, à qui Macduff vient porter à boire : alors ce qu’on vient de voir pendant 2h50 n’était-il qu’un rêve ? Les traders écrasés sont-ils laissés là sans plus aucun instrument de pouvoir ? Comment se reconstruira l’avenir ? Autant de questions sans réponses.  Cette fin optimiste, voire naïve n’est-elle pas qu’un faux semblant ? Voilà les questions qui restent sans réponses à la fin de ce travail étonnant, qui a laissé perplexe bon nombre de spectateurs : quand l’équipe de Ivo van Hove vient saluer, pas d’explosion, applaudissements intenses, mais seulement polis, et quelques buhs.

A cette réalisation étonnante et si juste, si fluide, si bien conduite (mouvements du chœur, direction d’acteurs d’une incroyable précision), correspond une réalisation musicale de haut niveau, homogène, emmenée par l’orchestre si bien préparé de Kazushi Ono. Une interprétation sans vraie touche de lyrisme, avec moins de raffinement que d’autres sans doute mais à la précision chirurgicale (au sens où l’on qualifie de « chirurgicales » les frappes des bombardements) et froide, rendue encore plus sensible par l’acoustique si sèche de l’Opéra de Lyon. Kazushi Ono propose un Verdi peu « italien », qui ne se laisse pas entraîner par les rythmes, les palpitations, les intermittences du cœur, une lecture plus « objective » (si ce mot a un sens en matière de direction musicale) que sensible (dans la même œuvre, à la Scala, il avait été mal accueilli), une lecture, si je peux me permettre, passée au moule de Chostakovitch, où Ono excelle. Cela va évidemment très bien et sonne très juste au regard de la vision du metteur en scène:  on est là en pleine cohérence. Le chœur est magnifiquement emmené par son chef Alan Woodbridge.
La distribution provient de manière étrange presque exclusivement de l’est et des anciens territoires soviétiques, réservoirs presque inépuisables de voix, et de grandes voix : Evez Abdulla (Azerbaïdjan), Iano Tamar (Georgie), Dmytro Popov (Ukraine), Victor Antipenko (Russie), Ruslan Rosyev (Turkmenistan);  seul Riccardo Zanellato qui prête sa belle voix de basse puissante à Banco (mais sans le timbre envoûtant et si émouvant de Christian Van Horn à Genève) marque la présence italienne dans les rôles principaux de la distribution.
Iano Tamar est Lady Macbeth, elle est scéniquement superbe dans sa robe verte, tache de couleur au milieu de ce monde gris, de ce vert qui est aussi celui des chiffres projetés par millions sur les écrans;  actrice remarquable, sensible, aux gestes tour à tour brutaux et tendres, sachant exprimer envie et amour, certitudes et doutes, sa présence est stupéfiante : il est d’autant plus regrettable que la voix, puissante néanmoins, ne suive pas. Lady Macbeth n’a pas besoin d’une « belle » voix charnue, mais d’une voix pleine qui soit expressive, mobile (mezzo-soprano qui soit aussi colorature), agile, qui sache avec aisance monter au suraigu, mais aussi tomber dans les graves, qui sache donner de la couleur. La voix de Iano Tamar est grande, il y a incontestablement des moments magnifiques, sentis, mais dans les moments clés, qui réclament de l’agilité et de la souplesse, il y a problème : sons fixes, suraigus tirés, montée à l’aigu difficile, même si le chant est contrôlé, peu ou pas d’agilité, et le fameux contre ré-bémol final de la scène de somnambulisme bien loin du « fil di voce » demandé par Verdi. La voix ne convient pas vraiment au rôle, et c’est regrettable car le personnage est stupéfiant, d’un bout à l’autre.
A cette Lady Macbeth, grande, sculpturale, correspond un Macbeth plus petit, au physique d’un Ceaucescu jeune, qui marque déjà les rapports au sein du couple. La voix de Evez Abdulla est vraiment bien posée, bien contrôlée, avec un savant travail sur les mezze-voci, sur la « morbidezza », sur la diction d’une grande clarté, également : elle démontre souplesse et douceur, avec un très beau timbre clair, et une belle projection malgré un volume relativement limité. La personnalité scénique est moins affirmée que celle de sa partenaire, au moins dans la première partie mais on doit reconnaître que ses troisième et quatrième actes sont vraiment magnifiques. Une belle voix de baryton qui mérite une belle carrière internationale, on sent un Posa possible derrière ce Macbeth, car il en a l’incommensurable douceur. Un Macbeth qui n’a pas la force sauvage d’un Cappuccilli, mais qui a une puissance d’émotion qui amènerait le public à lui pardonner. Remarquable.
On l’a dit, Riccardo Zanellato a une belle voix de basse, puissante, profonde, émouvante, et une belle personnalité scénique : son air « Come dal ciel precipita » est un des grands moments de la soirée. Mais le plus beau moment de chant, il est donné par le Macduff de Dmytro Popov, jeune ténor inconnu d’une trentaine d’années, qui dans « O figli, o figli miei » montre à la fois une voix large, puissante, très contrôlée, à l’aigu sûr, au timbre magnifique, à la diction parfaite. On entend derrière à l’évidence un Hermann de la Dame de Pique, mais aussi Don José (qu’il va faire à Sydney) ou le Prince de Rusalka. Retenez ce nom : si le marché ne ruine pas cette voix extraordinaire, il pourrait faire une très grande carrière et être un des ténors qu’on s’arrache.
Belle (et brève) prestation du Malcolm de Viktor Antipenko, à la voix forte, bien contrôlée, jeune chanteur qui a à peine terminé sa formation aux USA (Philadelphie, New York) et des deux rôles secondaires,  la Dame (Kathleen Wilkinson, dont la voix dans les ensembles surnage sans difficultés) et le médecin (le jeune Ruslan Rozyev, frais émoulu de l’Opéra Centre Galina Vichnevskaia, fabrique très efficace de chanteurs).
Au total, une fois de plus un spectacle passionnant, musicalement de niveau très homogène et d’une grande intensité,  scéniquement original, qui montre que lorsque la transposition fait sens et se trouve réalisée avec justesse et intelligence, elle contribue à éclairer la lecture des grands chefs d’œuvre de notre patrimoine. Une fois de plus l’Opéra de Lyon contribue au renouvellement du genre, en maintenant une pleine exigence artistique, sans concession, et une fois de plus,  Ivo van Hove se montre un des grands d’aujourd’hui dans une mise en scène d’une acuité exemplaire, encore plus ciblée que dans Der Schatzgräber, d’Amsterdam il y a quelques semaines. Il ne vous reste plus qu’à aller voir ce spectacle qui ouvre avec honneur la saison 2012-2013 de Lyon.

Duo final / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

ANNEXE:
Extrait du dossier de presse que tout spectateur reçoit avec le programme de salle et que vous pouvez trouver sur le site de l’Opéra de Lyon: http://www.opera-lyon.com

Macbeth, notre contemporain

Macbeth, selon Ivo van Hove, est une réflexion sur le pouvoir. Macbeth veut être roi, et lady Macbeth veut être reine. « J’ai pensé, dit-il, à ce qu’était le pouvoir aujourd’hui. Il est clair qu’il n’est plus entre les mains des politiques. En Europe, le monde de la finance et des affaires domine le politique. Si Verdi avait écrit l’opéra aujourd’hui, je suis sûr qu’il l’aurait situé dans le monde de la finance, un monde dont le seul objectif est d’accroître ses bénéfices. » Sur cette base, les sorcières – qui seront, aussi bien des sorciers – deviennent des conseillers en communication, forts en storytelling, dispensateurs d’« éléments de langage », si influents que Macbeth se soumet à leurs prophéties auto-réalisatrices. « Macbeth pourrait dire non ! Mais il accepte parce qu’il veut ce qu’ils disent. Les conseils ne deviennent vérité que parce que Macbeth veut les reconnaitre comme tels. »

Un film américain récent, Margin Call, de J .C. Chandor, qui décrit la lutte pour le pouvoir de tradersnew-yorkais durant la crise de 2008 a inspiré Ivo van Hove et son scénographe, Jan Versweyveld. Dans ce contexte, le château royal n’est plus une demeure gothique perdue dans les brumes d’Ecosse, mais un gratte-ciel de cinquante étages au cœur d’une cité financière. De si haut, le reste du monde paraît absent. On baigne dans les nuages, dans le tonnerre et les éclairs. Seule, la silhouette d’un aigle vient frôler les vitres et rappeler la place que la pièce et l’opéra accordent aux éléments : « Dans les monologues, comme dans les arias, il y a des comparaisons avec les animaux et la nature. C’est le monde subjectif de Macbeth, une nature à l’état brut, qui apparaitra sous forme de vidéos, comme si on était dans la tête de Macbeth. » Et il y aura aussi des vidéos tournées en direct, notamment pendant le banquet du couronnement, filmé comme un événement mondain. La nature, la dimension fantastique, certes. Mais que reste-t-il des rebelles anglo-écossais de Malcolm et Macduff et de l’avancée de la forêt de Birnam ? Avec une logique imparable, Ivo van Hove les fait revivre à travers le mouvement Occupy Wall Street (OWS) – homologue des « indignés » européens. « C’est le mouvement le plus intéressant de ces dernières années. Ils ne manifestent pas pour demander plus de travail, ils disent : il faut s’arrêter et réfléchir. Avant leur éviction par la police, ils sont restés sous leurs tentes à New York, en débats, en chansons, comme une nouvelle communauté. Ce mouvement est comme la forêt de Birnam pour moi. Je veux le voir investir le gratte-ciel, portant ses tentes comme les branches des arbres. Les OWS militent pour la recherche d’un nouveau futur. Ils sont porteurs d’une espérance. C’est exactement ce qu’il y a dans le Macbeth de Verdi, la naissance d’un espoir. »

/Jean-Louis Perrier

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GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2011-2012: MACBETH de Giuseppe VERDI le 21 juin 2012 (Dir.mus: Ingo METZMACHER, Ms en scène: Christof LOY)

© GTG/Monika Rittershaus

La distribution de ce Macbeth, avec en tête la Lady de Jennifer Larmore, a fait beaucoup gloser le petit monde des mélomanes ou surtout des lyricomanes. Pour le reste, c’est à un Macbeth de couleur typiquement germanique que Tobias Richter nous invite à Genève : germanique par l’équipe, Christof Loy à la mise en scène, Ingo Metzmacher à la direction musicale, germanique par les présupposés, qui mettent l’analyse dramaturgique au centre des décisions, tant scéniques que musicales : le choix des voix correspond non à une partition, mais à une lecture dramaturgique. Il en résulte évidemment des conséquences musicales non indifférentes. Sans donner ce crédit aux équipes artistiques du grand théâtre, on ne pourrait comprendre l’appel à Jennifer Larmore dans le rôle de Lady Macbeth, dont elle n’a ni le volume, ni l’assise, ni le style, prise de rôle, et première apparition dans Verdi de cette chanteuse plutôt rossinienne et quelquefois belcantiste . Ingo Metzmacher est un analyste, et construire une interprétation musicale en étroite osmose avec le metteur en scène lui va bien. Ainsi, les voix des deux protagonistes sont-elles « à côté » car le Macbeth de Davide Damiani s’en va aussi vocalement en capilotade à la fin de l’opéra tout comme le personnage, et si ce n’est pas voulu, c’est assez cohérent avec les intentions musico-scéniques.
Reste à démontrer que pour affirmer une interprétation mieux vaut s’appuyer dans ces rôles sur les défauts de voix inadaptées  que de confier à de grands interprètes le soin de dessiner des personnages, en jouant sur leurs moyens et en colorant une voix bien dominée. Il est plus facile d’enlaidir une belle voix que l’inverse…
Ce sont les personnages secondaires (et positifs) qui ont de belles voix bien timbrées, un vrai bonheur à l’audition, Banquo (Christian van Horn), et Macduff (Andrea Carè) .
Les vilains ont de vilaines voix, et les bons de jolies voix : n’est-ce pas bien trouvé ?
Ceci posé, ce Macbeth n’est pas un spectacle négligeable, loin de là. Dans les nombreux spectacles de Christof Loy vus à Genève, c’est même sans doute le meilleur : s’appuyant sur une tradition cinématographique de films noirs américains des années 30 ou 40 en noir et blanc (une ambiance à la Hitchcock),

© GTG/Monika Rittershaus

la scénographie impressionnante de Jonas Dahlberg  (grande salle de château Renaissance revue par Viollet Le Duc avec cheminée et escalier monumentauxl) est le cadre unique de l’action, y compris la scène des sorcières (ici le chœur dans son ensemble, et même avec des hommes habillés en femmes, pour répondre au texte qui évoque la barbe des sorcières). Le rideau s’ouvre sur ce qui sera l’image finale, pour tracer un destin : Macbeth vieilli et Lady Macbeth somnambule traversent la scène au milieu des sorcières, qui chantent de manière volontairement nasillarde (très beau travail du chœur).
Dans l’ensemble, la conduite des acteurs n’est pas véritablement précise, mais les mouvements de foule sont très bien réglés. Le ballet qui est donné n’ajoute pas grand chose.

©GTG/Monika Rittershaus

Le plus beau moment de la soirée est sans nul doute est le chœur « patria oppressa » avec le chœur disposé frontalement, sur toute la largeur de la scène, suivi de l’air de Macduff « figli, o figli miei » chanté avec grande intensité par Andrea Carè, un ex-élève de Luciano Pavarotti à qui il emprunté une certaine couleur. Le choeur du Grand Théâtre dirigé par  par Ching Lien Wu montre encore ici son excellence.
La construction des scènes en noir et blanc, les maquillages blancs des principaux personnages, la violence de certains contrastes, tout concourt à construire des images vraiment frappantes, et pour une fois le propos de Loy est clair, qui souligne le glissement progressif vers la folie d’un couple isolé dans ses rêves fous, qui finit par faire le vide autour de lui, par le crime et par la crainte. Plus qu’une méditation sur le pouvoir et ses excès, c’est une méditation sur la solitude de ceux qui n’ont pas d’épaisseur humaine, et sont complètement dominés par leur désir fou.
A cette conception correspondent des choix musicaux forts: alors que c’est la version de Paris qui est présentée, d’un commun accord, Loy et Metzmacher choisissent pour le final de reprendre la version de la création à Florence qui se clôt sur la mort de Macbeth et sans chœur triomphal final qui donnerait une note trop optimiste. Par ailleurs, guidés par le fait que c’est à la Pergola, théâtre de dimensions moyennes que l’oeuvre a été créée à Florence, ils choisissent Jennifer Larmore comme Lady, une chanteuse rossinienne au volume convenant à une salle moyenne (malheureusement, le Grand Théâtre est une salle autrement vaste) et s’appuient sur une lettre de Verdi disant dans une lettre à  Cammarano « je voudrais pour la Lady une voix aigre, rauque et sourde….je voudrais que que la voix de la Lady ait quelque chose de diabolique ». Il y a donc  derrière cette production un vrai parti pris, qui élimine ce qui pourrait lui donner une couleur trop brillante, trop « italienne »: pas de soleil dans l’univers gris et nocturne des Macbeth. Ainsi du fameux brindisi « Si colmi il calice », chanté joyeusement d’abord, puis repris par Jennifer Larmore d’une voix plus terne, plus blanche après la crise de Macbeth face au spectre (représenté par la veste de Banquo posée sur une chaise).

© GTG/Monika Rittershaus

Il faut d’ailleurs donner crédit à Jennifer Larmore qui face aux limites de sa voix, essaie de donner une interprétation juste et un poids aux paroles. Elle n’y réussit pas tout à fait à mon avis malgré des moments très justes.

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Venons en aux interprètes justement en commençant par Jennifer Larmore qui abordait Verdi, et donc Macbeth pour la première fois dans sa carrière. Malheureusement le choix idéologique de cette production en fait la première victime. La voix n’est pas adaptée du tout à ce rôle redoutable. Certes elle est aigre quelquefois et rauque souvent, mais il faut un autre volume et une autre assise pour pouvoir chanter un tel rôle, elle n’a ni la largeur voulu, ni la hauteur requise (les aigus sont tirés, sans aucune réserve d’appui) et le ré bémol final aigu (indiqué par Verdi un fil di voce) de la grande scène du somnambulisme est loin du filet de voix demandé. Elle n’a pas non plus les agilités requises, chez elles bien plus rossiniennes que verdiennes, avec un effet une peu à rebours sur l’ambiance voulue. Malgré tout cela, il serait injuste de dire que Jennifer Larmore propose une prestation indigne. Certes, nos amis du blog italien « Corriere della Grisi » s’étrangleraient, mais dans l’ensemble, elle passe un peu mieux que je ne l’attendais, même si évidemment La Lady demande un tout autre organe.
A la limite, le cas de Davide Damiani est plus inquiétant. Là aussi, peut-être est-ce un choix « pensé » que de choisir une voix plutôt opaque et sans grand éclat pour construire un personnage plutôt pâle et dominé (sexuellement selon Cappuccilli) par son épouse. Mais j’en doute un peu. En tout cas, le chanteur est adéquat au personnage jusqu’à la fin, les approximations et hésitations du caractère trouvent dans cette voix à la technique approximative, aux aigus qui sortent mal, et au souffle court une image presque métaphorique. L’air final « Perfidi! all’anglo contro me v’unite… » en est même pénible à entendre, tant les problèmes de souffle, l’épuisement, les limites de la voix, les différences de timbre, les ruptures, l’absence de legato, les difficultés dans les passages et les problèmes d’appui sont criants. On reste indulgent parce qu’une annonce préalable avait laissé entendre une certaine fatigue de l’artiste, mais ce ne fut pas une prestation digne d’intérêt. Me viennent à l’esprit les paroles du regretté Piero Cappuccilli (reprise par l’Avant Scène Opéra dans son numéro n°40 de mars-avril 1982 sur Macbeth): « Si j’ai débuté dans ce rôle après 18 ans de carrière, c’est que c’est un opéra qui demande au baryton la même maturité qu’Otello à un ténor, d’abord vocalement parce que l’instrument doit être prêt(…) . et ensuite scéniquement parce que comme Simon Boccanegra, Macbeth est un opéra d’interprétation et pas seulement de chant (…) c’est un rôle qui demande un effort total à l’artiste. »
L’intérêt, il faut le chercher chez le Banquo du baryton basse Christian van Horn, à la voix chaude,   à la couleur chatoyante, au style impeccable et à la technique très contrôlée qui propose un personnage immédiatement humain, dont la tenue et l’élégance tranchent avec un Macbeth négligé vocalement, ce qui donne évidemment une construction symétrique assez réussie, l’audition nous indique qui est le bon et qui est la brute.
L’intérêt, il faut le chercher aussi chez le Macduff intense du jeune ténor Andrea Carè: voix lumineuse, techniquement solide (normal pour un élève de Pavarotti et de Raina Kabaïvanska), bien posée, mais aussi intense, avec des qualités notables de modulation et d’interprétation.
L’intérêt il faut aussi le trouver chez Natalia Gavrilan (la Dama), jeune mezzo moldave qui dans les ensembles domine l’ensemble des solistes, au point que je me suis demandé si elle ne donnait pas les notes à Lady Macbeth dont la voix noyée ne s’entendait pas.
L’intérêt enfin, il faut le trouver dans le bel orchestre dirigé par Ingo Metzmacher, bien préparé, qui propose une vision très sombre, très métallique et froide. Tous les moments où Verdi essaie de danser (les sorcières dans « S’allontanarono… ») sont aplatis, pour donner cette impression uniformément pessimiste et cette noirceur reproduite sur scène. Et l’orchestre sonne mieux que d’habitude. Metzmacher mieux connu pour son goût pour le contemporain a en réalité à l’opéra de Hambourg beaucoup dirigé le répertoire standard, et j’avoue que son approche a de quoi séduire.
Voilà une entreprise évidemment risquée: Christof Loy aime les chanteurs qui découvrent les œuvres, et il déteste les chanteurs professionnels d’un seul rôle. Il veut de la fraîcheur d’approche, au prix d’erreurs de casting, même si cela passe auprès du public, qui une fois de plus ne remplit pas la salle et dont une partie part à l’entracte. On est donc de ce point de vue bien servi.

Musicalement, la direction imprimée par Metzmacher est intéressante, et l’ensemble nous permet de découvrir aussi de très bons chanteurs. Il reste que si le problème est le couple Macbeth et Lady Macbeth, c’est quand même mal parti.
Je reste avec mon doux souvenir du grand Claudio à la Scala en 1985 avec un immense, inoubliable Piero Cappuccilli et une Ghena Dimitrova qui ne faisait pas oublier Shirley Verrett, mais qui aujourd’hui ferait oublier toutes celles qui osent aborder la Lady, dans la très fameuse mise en scène de Giorgio Strehler, marquée du sceau du génie pour l’éternité. Le vidéo de Verrett/Cappuccilli existe, courir le chercher séance tenante. Quant à ceux qui prétendent que ce Macbeth n’est pas une référence absolue, laissons-les à leur aveuglement et surtout, à leur ignorance.
Je conclus donc par ce conseil discographique, en signalant cependant qu’en même temps (à un poil près) paraissait le Macbeth dirigé par Riccardo Muti avec Fiorenza Cossotto et Sherill Milnes. La conception est à l’opposé de celle d’Abbado, c’en est même caricatural, et c’est aussi une belle version qui ne peut certes combattre dans la même catégorie, j’aime aussi beaucoup Muti parce que j’aime le Muti d’avant 1990 et surtout le Muti des années de sève et de sang, de bouillonnement et d’explosion.
Elles sont toutes deux en collection économique. Faites en l’achat et partez sur l’île déserte.

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