IN MEMORIAM JORGE LAVELLI (1932-2023)

Au milieu des polémiques sur les metteurs en scène à l’Opéra disparaît l’un de ceux qui créa un scandale mémorable à l’Opéra de Paris lors de la première de « Faust » de Gounod le 3 juin 1975 (je me souviens que le rideau qui se levait lentement sur une scène du jardin entre les draps étendus avait provoqué dans le public parisien toujours aux avant-postes de la modernité une syncope dont peu se relevèrent notamment après le chœur « Gloire immotelle de nos aïeux » et suscité un retentissant « Bien fait pour Gounod ! » venu des hauteurs de la salle.
En même temps et bien malgré lui, ce « Faust » dès les premiers jours montra la force d’une mise en scène à l’opéra, indépendamment des décors.
En effet, une grève des techniciens éclata aussitôt après la première, pour empêcher les représentations de ce spectacle si emblématique et au décor (de Max Bignens) si impressionnant et lourd : la seule coupole de verre et de métal qui couronnait l’espace vaguement Baltard conçu par le décorateur (la mise en scène situait l’œuvre au XIXe, à l’époque de la création) avait un poids énorme.

Faust (Opéra de Paris, 1975), scène de la Kermesse

Du côté syndical on avait donc cru que sans ce décor si important, la direction annulerait les représentations.
Rolf Liebermann en décida autrement : il maintint les représentations qui se déroulèrent sur plateau nu, mais en costumes, et avec la mise en scène, sous un calicot de la CGT…
Gedda, inoubliable Faust, ouvrit ainsi l’opéra dont le premier mot est « rien » et se mit à rire et le public avec devant ce plateau nu : la partie était gagnée.
À la stupéfaction générale, sans décor et avec un minimum d’accessoires, la mise en scène tint si bien que le public à qui l’on proposait en raison des circonstances le remboursement des places continua de venir et la grève s’éteignit après la troisième soirée « nue » le 11 juin. C’était la preuve qu’une grande mise en scène, malgré les circonstances hostiles, tenait le coup : le scandale initial mené par les barbons de service allait tourner au triomphe, puisque cette production fut emblématique de l’Opéra de Paris jusqu’à 2003, et qu’elle aurait pu encore tenir des années encore.

Voir et revoir ce spectacle (reprise automne 1975, direction Charles Mackerras, avec Gedda, Freni, Soyer) sur Youtube

Je suis très touché par cette disparition, les lecteurs de ce Blog et du site Wandereriste.com savent que je cite souvent Lavelli, dont les spectacles à l’Opéra de Paris ont enchanté mes débuts de mélomane et de fan d’opéra.

L’Enfant et les sortilèges (1979)

Plusieurs spectacles et images me restent encore particulièrement vifs, comme cet « Enfant et les sortilèges », accouplé à « Œdipus Rex » de Stravinski en 1979 (avec Maria Casarès en récitant) sous la direction de Seiji Ozawa (on savait vivre à l’Opéra de Paris à l’époque). Comment cette production de « L’Enfant et les sortilèges » (venue de la Scala où elle était présentée avec « L’Heure espagnole ») a-t-elle pu rester au répertoire seulement deux saisons et disparaître ensuite est un mystère que seule l’imbécillité humaine peut expliquer.  C’était une production qui aurait pu émerveiller des générations d’un public jeune ou moins jeune, d’une fraicheur, d’une inventivité, d’une légèreté inoubliables.

Venue de la Scala encore, « Madama Butterfly » en 1978, en remplacement de la « Dame de Pïque » de Youri Lioubimov annulée à la suite d’une cabale de la nomenklatura d’URSS contre la mise en scène de celui qui était l’enfant terrible du théâtre russe (on voit de qui vient le combat contre les metteurs en scène novateurs…) à qui l’on a refusé le visa pour monter le spectacle.

Madama Butterfly, entrée (livraison) de Butterfly (1978)

Qui a vu la production de Lavelli se souvient de l’arrivée de Butterfly dans un panier d’osier et liée par un gros nœud rouge, comme un cadeau chosifié fait à Pinkerton et de tout l’opéra où elle reste enfermée dans son cylindre de tulle comme isolée du monde et dans son monde de rêves sauf au moment où elle croit au retour de Pinkerton au deuxième acte et que le cylindre se lève sur la baie de Nagasaki illuminée, une image bouleversante, jusqu’à sa mort déchirante où elle s’enroule dans un drap rouge sang tendu par son enfant aux yeux bandés, une fin à la Wozzeck, comme l’écrivit à l’époque Jacques Longchampt dans Le Monde.

 

Pelléas et Mélisande (1977)

Enfin, dernier choc à l’Opéra de Paris, « Pelléas et Mélisande », dirigé par Lorin Maazel en 1977, création à l’Opéra de Paris (c’était une œuvre réservée à l’Opéra-Comique où elle a été créée) qui fut pour moi une révélation, musicale d’abord, tant la direction claire, lumineuse de Lorin Maazel m’aida à pénétrer cette musique encore mystérieuse à mes oreilles, et scénique, entre rituel, conte de fées sombre et histoire simple, avec ce château étonnant, l’arrivée de la mare en forme de miroir apporté par des femmes presque prêtresses,

L’arrivée de la mare-miroir

le tunnel formé par un long drap dans lequel Pelléas et Mélisande s’enfermaient, histoire simple et triste dans une ambiance uniformément sombre et noire, encore une production qui aurait pu tenir des décennies tant elle était forte et suggestive, et qui ne survécut pas à la période Liebermann…

Idomeneo (1975)

Mais il y eut dans cette période aussi d’autres chocs, dont le premier choc, « Idomeneo », à l’époque si rare en France, présenté d’abord à Angers, puis dans pas mal de villes de France, un enchantement d’images simples sans aucun décor lourd, et à l’inverse, l’énorme « Fidelio » toulousain de la Halle aux grains, où le public était partie prenante, dans un décor englobant, on dirait aujourd’hui immersif, ou les spectacles de théâtre qu’il créa à la Colline, dont il inaugura comme directeur les nouveaux murs où je vis notamment « Opérette » de Gombrowicz, un de ses auteurs fétiches au théâtre.

Il y eut d’autres spectacles à l’Opéra de Paris, comme « Dardanus » de Rameau avec son énorme monstre gonflable, « Salomé » de Strauss et ailleurs, à l’espace Cardin un « Orphée aux Enfers » assez délirant en 1984.
Mon parcours Lavellien s’est terminé par « La Veuve Joyeuse » à l’Opéra de Paris, dont je rendis compte dans ce blog.

Jorge Lavelli a été pour moi avec Chéreau, l’un des révélateurs de ce qu’est la mise en scène et notamment de son importance à l’opéra. Ils ont transformé chacun ma vie de spectateur, et donc ma vie intellectuelle, en me montrant les dimensions cachées du théâtre, en cela ils ne cessent de m’accompagner. Lavelli n’était ni un historien, ni un idéologue, mais il cherchait à traduire une vérité des œuvres par une variété d’approches qui pouvait aller de l’abstraction (« Idomeneo » ou « Madame Butterfly ») à un contexte fortement concret (« Faust », « Fidelio »), toujours lisible, toujours rigoureux, si bien qu’à l’instar de son Faust, beaucoup de ses productions à l’opéra eussent pu durer de longues années : elles ont quelque chose d’indémodable. Enfin, il a marqué le théâtre en France pendant uen trentaine d’années, imposant des auteurs rarement joués, en faisant connaître de nouveaux, en particulier tout au long de ses années au théâtre de la Colline mais pas seulement: il en fut ainsi d’Arrabal, de Gombrowicz déjà cité, de Valle Inclan, de Copi, de Lars Norén, de Thomas Bernhard, de Lorca, tout en continuant à monter des classiques, de Shakespeare à Ionesco en passant par Calderón ou Corneille.
Le travail de Lavelli a laissé en moi des images indélébiles, qui m’ont rendu – et ce n’est pas un paradoxe- encore plus sensible à la musique des œuvres qu’il a mises en scène, c’est vrai pour Pelléas, pour Ravel, c’est vrai pour le Faust de Gounod que je méprisais et détestais en bon wagnérien plongé très tôt dans la marmite, et que son travail m’a appris à aimer. J’y associe Alain Satgé, collaborateur étroit et dramaturge de Lavelli, qui a accompagné mes premiers pas dans la mise en scène d’opéra, au cours d’intenses conversations lors des longues files d’attente à l’Opéra de Paris et les pots d’après spectacle. C’est d’ailleurs à Lavelli et Satgé que je dois la lecture passionnée de mon premier livre d’analyse de mise en scène, Opéra et Mise à mort, chez Fayard, et donc indirectement, c’est à eux que je dois ce blog.

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/VERDI: I VESPRI SICILIANI

I vespri siciliani fit les grandes heures verdiennes de l’Opéra de Paris version Liebermann. La première saison (Printemps 1973), l’opéra présenta les fameuses Noces de Figaro de Strehler, Orphée et Eurydice de Gluck avec Nicolaï Gedda en Orphée -aujourd’hui on pousserait des cris d’orfraie-,  Parsifal de Wagner et Il Trovatore, originellement prévu avec le jeune Riccardo Muti et Luchino Visconti. Mais le projet n’aboutit pas et Muti refusa de diriger. Le chef partit mais restèrent les chanteurs: tantôt Gwyneth Jones en Leonora, tantôt Shirley Verrett en Azucena. On eut aussi Cossuta ou Domingo en Manrico, Cappuccilli en Luna, Scotto en Leonora, Cossotto en Azucena. Bref, du rêve en continu. Mais les chefs pour Trovatore se firent attendre et désirer…

La seconde production verdienne (1974) fut l Vespri Siciliani, qui demeura l’une des grandes réussites de l’ère Liebermann. Opéra rarement donné à l’époque, et notamment en France, alors que l’oeuvre a été créée en Français pour Paris à l’occasion de l’exposition de 1855 (Livret de Eugène Scribe). Il est vrai que Verdi n’avait pas vraiment choisi un sujet francophile, puisqu’il s’agissait de rappeler le massacre des occupants français de Sicile par les Siciliens, une occasion de célébrer le sentiment national italien. Un autre opéra de Verdi, Giovanna d’Arco, n’eut jamais en France l’heur de plaire, vu que l’histoire (tirée de Schiller) ne correspond pas exactement, c’est le moins qu’on puisse dire, à l’histoire de Jeanne telle que des millions de petits français l’apprennent dans la Légende Dorée des gloires nationales. D’autres opéras de Verdi en Français  n’ont pas eu non plus de destin fabuleux, Don Carlos, bien sûr, éclipsé par Don Carlo, ce chef d’oeuvre que je préfère dans sa version française, plus longue, plus développée, plus étirée sans doute, mais à la musique sublime, et Le Trouvère, version française élaborée par Verdi avec des éléments spécifiques qu’on ne retrouve pas dans la version italienne. Voilà du grain à moudre pour Nicolas Joel si Verdi revient vraiment à la mode avec des chanteurs adéquats…Mais je m’égare.

Ces Vespri Siciliani étaient présentés dans une production très épurée de John Dexter (1) et dans des décors impressionnants (un escalier monumental) de Josef Svoboda, production partagée avec le MET de New York et dirigée par le suisse Nello Santi, qui eut toujours dans cette oeuvre un énorme succès, alors qu’il fut plus contesté dans les autres opéras qu’il dirigea par ailleurs. Dans mon souvenir, je vis cette production pour la première fois avec Martina Arroyo, Placido Domingo, Roger Soyer, David Ohanesian; on y vit aussi en alternance  Cristina Deutekom, Peter Glossop, Ruggero Raimondi (ah, ce “O tu Palermo”!), Franco Bonisolli. Arroyo était irremplaçable dans Elena, et que dire de Domingo qui chanta peu ce rôle !

Je revis tardivement des Vespri Siciliani, à la Scala, avec Muti, dans une mise en scène ennuyeuse de Pier Luigi Pizzi avec Chris Merritt, Cheryl Studer, Giorgio Zancanaro et Ferruccio Furlanetto, et je me souviens bien de la Première du 7 décembre 1989: le plus gros succès, triomphal et délirant, fut remporté par …Patrick Dupont, soliste du ballet que Muti avait réinséré pour l’occasion. Merritt et Studer se firent huer copieusement. Et la production tomba dans l’oubli.

Cette saison, Amsterdam (en septembre dernier) et Genève (en mai prochain) coproduisent et programment Les Vêpres Siciliennes dans la version française, dans une mise en scène de Christof Loy. C’est une occasion exceptionnelle qu’il ne fait pas rater, quelle que soit la distribution, quelle que soit la mise en scène. Il  existe un enregistrement de la version française chez Arkadia, reprise d’un concert londonien dirigé par Mario Rossi en 1969 avec Jacqueline Brumaire (Hélène) et Jean Bonhomme (Henri). Ce n’est pas inoubliable, mais comme c’est le seul enregistrement existant à ma connaissance…

La version italienne en revanche est bien servie par le disque, notamment “live”. On ne peut dire qu’il y ait une version plus faible que les autres. les deux versions “officielles” sont celle de James Levine avec le New Philharmonia Orchestra et Arroyo, Domingo, Milnes, Raimondi enregistrée suite aux représentations du MET en 1974 et contemporaine des représentations parisiennes, et celle de Riccardo Muti, faite en direct à la Scala en 1989 avec Studer, Merritt, Zancanaro, Furlanetto, plus complète puisqu’elle comprend la musique du ballet. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire de ma relation à cette oeuvre, je préfère évidemment la version Levine, avec une bonne partie de la distribution entendue à l’époque à Paris un Domingo (Arrigo) jeune et éclatant,  et une Martina Arroyo (Elena) au timbre solaire et un Raimondi (Procida) un peu en retrait. Même Sherill Milnes est moins froid qu’à l’accoutumée dans Monforte. Levine, qui est très bon chef pour Verdi, emporte l’ensemble avec feu et énergie, tout cela palpite, halète, séduit. C’est un Verdi de chair et de tripes, merveilleusement chanté, comme je l’aime.

J’avais assisté aux représentations de la Scala qui ont donné l’occasion du second enregistrement. C’était le début des problèmes pour les voix verdiennes, c’est aussi le moment où Riccardo Muti a complètement changé sa manière de diriger Verdi. Le sommet de Muti dans Verdi, c’est la Forza del Destino (Freni-Domingo) un sommet inégalé, enregistré trois ans auparavant, et c’est aussi toute sa première manière, énergique, avec des accélérations démentes, des contrastes à la limite du supportable, une dynamique et une vie qui en firent à l’époque une des deux références pour Verdi (l’autre étant évidemment Claudio Abbado), on en a des traces dans son Aida, son Ballo in maschera ou même son Macbeth, éclipsé par celui d’Abbado, mais qui reste un magnifique enregistrement que tout mélomane doit posséder. Mais c’est dans ses “live” faits à Florence qu’il étonna (Ah! son Trovatore, son Otello (avec un époustouflant Bruson et une Scotto de rêve)! A partir des années 90, le Verdi de Muti, tout en restant une merveille d’orchestration, s’aplatit, se banalise, devient presque ennuyeux (au fur et à mesure qu’il dirige à la Scala La Forza del Destino, on entend de plus en plus une routine, et son dernier Trovatore fut vraiment mortel) à force de rechercher des effets sonores preqaue mozartiens, tout cela devient froid, plein d’afféteries et presque indifférent. Ces Vespri Siciliani souffrent d’être trop léchées, trop sages, et pas suffisamment portées par le plateau: voulant se rapprocher de la version française, et du style français qu’elle impose, il demande à Merritt de chanter quelquefois en voix de tête avec de bien vilains sons (IVème acte). Et Studer n’est pas et ne sera jamais un soprano lirico colorature.On est loin de la chair et du sang qu’on trouve chez Levine. C’est que le rôle d’Arrigo est complexe à distribuer: il n’est pas sûr que Domingo, malgré son timbre, malgré son charisme, malgré le souvenir qu’on a de lui dans cette oeuvre, soit vraiment un Arrigo, qui n’est pas vraiment un ténor construit au moule italien. Arrigo (ou Henri), c’est un ténor de couleur plus française (Un Vanzo pouvait faire merveille là dedans, et Gedda fut impérial)

Mes Vespri Siciliani, en version officielle ce sont celles de Levine, sans hésitation !

Sans hésitation, certes pour la version officielle, mais si on commence à considérer les enregistrements “live” on ne peut que bousculer ce classement: j’en possède trois sur les quatre à posséder (il me manque Muti en 1978 à Florence, qui je le sais est une merveille à l’orchestre, avec une Renata Scotto d’exception).
Le premier est connu de tous les amateurs, Maria Callas, Boris Christoff à Florence avec l’immense Erich Kleiber. Le quatrième acte de Callas impose l’admiration silencieuse et Kleiber impose une vision plus mature de Verdi que le son “Grand Opéra” plus adapté à cette oeuvre.

Gavazzeni ouvre la saison 1970-71 de la Scala avec un quatuor de chanteurs de choc : Renata Scotto, Gianni Raimondi, Piero Cappuccilli, Ruggero Raimondi. On peut discuter la direction un peu “Zim boum” de Gavazzeni (l’ouverture!), aux tempi un peu lents, à qui il manque pour mon goût cette palpitation que je trouve chez Levine. Mais cela reste de la très belle ouvrage. Gianni Raimondi n’est pas vraiment une grande personnalité en Arrigo mais il se sort des pièges du rôle. Ruggero Raimondi et Piero Cappuccilli font merveille, mais on s’arrêtera sur Renata Scotto. Voix claire, style un peu maniéré, mais quelle maîtrise technique, quel contrôle du son, et des aigus à faire pâlir: extraordinaire! Dans le même disque, un bonus avec Leyla Gencer (qui alternait avec Scotto) dans quelques extraits aux côtés du pâle Giorgio Casellato Lamberti. Confrontation intéressante entre deux timbres radicalement différents, celui plus sombre de Gencer,  avec une fluidité du chant et une facilité à donner de la couleur qui stupéfie.

Enfin, Levine au MET avec  Montserrat Caballé, Nicolaï Gedda, Sherill Milnes, Justino Diaz, malgré une prise de son, notamment au début qui rend l’écoute très difficile voire pénible (il faut tendre l’oreille pour entendre les voix) dispute la palme avec la version Gavazzeni. C’est à peu près le seul témoignage de Caballé dans Elena, alors qu’elle était à l’époque considérée comme l’une des spécialistes de ce rôle: fluidité, aigus aériens, agilité, mais aussi émotion, mais aussi énergie (plus que d’habitude!) en font une Elena de toute première grandeur. A cette Caballé si lyrique si “naturelle” (plus naturelle que Scotto en tous cas), répond un Arrigo surprenant, Nicolaï Gedda, qu’on entendait à l’époque à Paris, dans Faust, dans Hoffmann, dans Orphée. Gedda, c’est une voix étendue, qui montait jusqu’au si, c’est ensuite une technique redoutable, une élégance inégalée et une diction unique. Et son Arrigo est une merveille, voilà celui qu’il aurait fallu entendre dans la version française ! Il a tout, les aigus, les cadences, le style, le lyrisme, mais aussi  l’allant: certes ce n’est pas une couleur à proprement parler italienne, mais cet opéra est à la fois un Grand Opéra à la française, héritier de Meyerbeer, et aussi un opéra italien (on a bien vu que Domingo même un peu inadapté dominait parfaitement un rôle qu’il estimait pourtant pour lui très difficile). Il faut entendre ses duos avec Caballé, et son “Giorno di pianto” du quatrième acte unique dans les annales (comment il tient la note sur le “disprezzo” final), c’est incontestablement l’Arrigo le meilleur de tous et sans doute le moins attendu.
Si Milnes est comme toujours impeccable, la surprise vient aussi de Justino Diaz, impressionnant Procida aussi bien dans son air d’entrée (Oh! tu Palermo) que dans les ensembles (quatrième acte). Et si c’était là ma version?

On l’a vu, il est très difficile de choisir entre ces version qui toutes ont quelque chose qui attire l’attention, et des atouts qui rendent le choix très difficile. D’autant que l’oeuvre est hybride et ne se laisse pas immédiatement appréhender. Pour découvrir sans nul doute, Levine (BMG ex.RCA), pour jouir des voix, Gavazzeni, et pour le bonheur – malgré un son pénible – Levine Caballé et Gedda.J’ai commandé Muti 1978. La suite à réception!

(1) Dexter fit aussi à Paris La Forza del Destino, mais avec beaucoup moins de bonheur scénique -même si le plateau fut toujours éblouissant: c’étaient les années où l’on distribuait aisément Verdi, mais pas Wagner. Les temps ont bien changé.