TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: ABBADO LE RETOUR!!! CLAUDIO ABBADO DIRIGE L’ORCHESTRA FILARMONICA DELLA SCALA ET L’ORCHESTRA MOZART avec Daniel BARENBOIM, piano (CHOPIN Concerto n°1, MAHLER Symphonie 6)

Photo Alberto Falletti

Enfin. Enfin l’affiche de la Scala portait le nom de Claudio Abbado: depuis 19 ans, ce n’était plus arrivé.
Cette fois-ci le concert a eu lieu, Claudio était en chair, certes, mais encore plus en os et en inspiration totale, absolue. Il était tellement attendu que plus de mille personnes avaient fait la queue pour avoir les places de “loggione” de dernière minute, les places debout, alors qu’on en donne 140…enfin, le “loggione” était bien plein, de ce remplissage qui fait soupçonner la présence de bien des clandestins.
Les Abbadiani itineranti (abbadiens itinérants) avaient pour itinérer affrété un tram avec des affiches “Bentornato Claudio”, distribuaient des sacs souvenir et des petits drapeaux de papier à l’entrée. Voir à ce propos le reportage photo en cliquant sur le lien de “La Repubblica” .
Dans la salle, du haut en bas, tous ceux qui de près ou de loin ont partagé quelque chose avec Claudio, par exemple Cesare Mazzonis, ex-directeur artistique de la Scala au temps d’Abbado, les chefs Gustavo Dudamel, Diego Matheuz,  Riccardo Chailly, qui habite la banlieue milanaise, tous les vieux journalistes d’alors encore vivants, et tout ce public de fans dont certains ne se voient plus à la Scala depuis des années sont revenus…”ils sont venus ils sont tous là même ceux du sud de l’Italie…”. Seule, sa soeur Luciana, infatigable soutien à la musique d’aujourd’hui à Milan, n’a pu attendre jusqu’au jour de son retour à la Scala, car elle nous a quittés quatre jours auparavant. C’est une vraie perte, un très cruel deuil.
Un rêve tout éveillé, on avait l’impression d’être trente ans en arrière avec à la fois ce public vieilli mais enthousiaste (il y avait à la fin du concert au moins 400 personnes à la sortie des artistes), souriant, arborant drapeaux et sacs distribués à l’entrée, et aussi plein de jeunes, qui ne l’avaient jamais entendu en concert puisque son dernier concert à la Scala remontait au 15 février 1993 avec les Berliner Philharmoniker. Un public fou de bonheur , tant le triomphe fut grand, sans doute le plus grand depuis Carlos Kleiber pour Otello en 1987 et un concert de Jessie Norman à la fin des années 80. On sentait le frisson parcourir les gens à l’entrée, les petits groupes qui se retrouvaient, les saluts, les embrassades, cette fois on y était, Abbado était là! et nous aussi!!

Quelques vues du public (1)

Puis-je décrire sans émotion une soirée qu’on attendait depuis dix-neuf ans, depuis ce dernier concert, et surtout depuis ce moment où un conflit avec la Scala d’alors avait éloigné Claudio Abbado de Milan au point qu’il refusait d’en parler, ou qu’il faisait le signe qui signifiait qu’il avait fait une croix sur Milan, au point d’en chercher tous les défauts, au point de déclarer de ci- de là que Milan était une ville polluée, sans espaces verts, au point d’exiger encore récemment comme condition à son retour qu’on plante des dizaines de milliers d’arbres. Colère, refus, mais aussi souffrance de rester éloigné de sa ville, cet excès même en était la preuve, et il nous l’avait bien fait sentir au détour de conversations.
Rappelons les faits: il semblait acquis que Claudio viendrait diriger un Barbiere di Siviglia et un Fidelio à la Scala, mais qu’il viendrait aussi  en 1996 avec le Philharmonique de Berlin faire l’Elektra de Strauss mise en scène par Lev Dodine présentée à Salzbourg en 1995. Riccardo Muti refusa assez tard qu’un autre orchestre que celui de la Scala soit dans la fosse, un peu comme pour l’affaire Carmen à l’Opéra Comique à Paris en 1980, où Abbado ne voulait plus diriger l’orchestre de l’Opéra de Paris après le Simon Boccanegra de 1978: il  avait dit clairement  à France Musique le mal qu’il pensait de l’Orchestre de l’Opéra et a demandé de venir avec le LSO: Liebermann refusa. On peut comprendre que ne pas utiliser l’Orchestre de l’Opéra pour Carmen à Paris aurait été un véritable camouflet pour les musiciens. Mais dans le cas de la Scala, il y avait en jeu la fameuse rivalité à distance que Riccardo Muti avait installée à Milan.
A Milan on a dit alors qu’Abbado demandait des sommes pharamineuses, que Berlin était inaccessible etc…etc…Le résultat, ce que Milan la riche ne pouvait soi-disant pas payer, Florence le paya, et Elektra fut présentée aux dates prévues, mais au Comunale de Florence (dont le directeur artistique d’alors était Cesare Mazzonis-voir plus haut-) et ce fut un incroyable triomphe. Mazzonis en échange de ce service (qui évita une perte financière sèche) obtint d’Abbado qu’il fasse le Simon Boccanegra de Salzbourg (Mise en scène Peter Stein) au Comunale de Florence.
Quand Lissner arriva à Milan, l’un de ses premiers soucis fut de convaincre Claudio de revenir. Ce fut long, et difficile, mais il y est arrivé, sans doute aussi grâce à la grande amitié qui lie Claudio Abbado et Daniel Barenboim, pourtant si différents (y compris musicalement, on l’a bien encore constaté ce soir)  . D’ailleurs, à la fin du concerto de Chopin, le public réclamait le bis à Barenboim, et celui-ci a pris la parole en disant “je pourrais vous donner un, deux, trois bis, je pourrais jouer tant que vous voulez, mais ce soir, c’est une soirée spéciale, c’est la soirée de Claudio Abbado, et alors considérez que le bis c’est la sixième de Mahler!”(tonnerre d’applaudissements).

Quelques vues du public(2)

Puis-je oser dire que ce soir, la musique passait  au second plan, au moins avant le concert, tant voir Claudio revenir dans ce théâtre qu’il a tant marqué, revenir devant son public, était un moment d’une émotion intense, qui m’a étreint fortement, tant je me souvenais de son dernier Pelléas et Mélisande, à la dernière représentation dans la merveilleuse production d’Antoine Vitez (qu’on vit aussi à Vienne, puis à Londres dans les années 90), où pleuvaient fleurs et petits papiers “O Vienna quante pene ci costa!” (Ô Vienna, que de peines tu nous coûtes, parodie d’une réplique des Nozze di Figaro), où les larmes coulaient et où a fermenté l’idée d’itinérance des fans d’Abbado qui se retrouvaient là où Claudio était. Que de nuits passées à conduire entre Milan et Vienne pour aller l’entendre et continuer à tisser le lien qui nous attache encore à lui. Oui, je suis arrivé à Milan dans les deux dernières années de son mandat, et j’ai toujours été au loggione, en deuxième galerie pour voir les opéras qu’il dirigeait (Carmen, Macbeth, il Barbiere di Siviglia, Il Viaggio a Reims, Pelléas et Mélisande), j’ai donc acheté pour ce soir une deuxième galerie: à la Scala, n’allez en Platea (orchestre) qu’à reculons, le son est moyen alors qu’en haut, le son est chatoyant, varié, puissant;  et surtout, surtout, ce soir, je revoyais mes années 80 milanaises, dans ce théâtre qui est mon théâtre (peut-être encore plus que le Palais Garnier), avec ce merveilleux public de la Scala qui peut-être farouche, insupportable, mais qui plus qu’aucun autre sait accueillir et saluer la grandeur et l’art. Ce soir fut pour moi un moment très fort, inoubliable, où les larmes coulèrent.

Quelques vues du public (3)

Faut-il en oublier de rendre compte de ce que nous avons entendu?
Une première partie avec Daniel Barenboim dans le concerto n°1 de Chopin. Certes, on sait bien que Maurizio Pollini ou Martha Argerich eussent été des choix plus conformes au style d’Abbado, mais le prétexte du concert est un cycle Chopin par Daniel Barenboim (directeur musical de la Scala) , fait avec Gustavo Dudamel la semaine dernière et Daniel Harding (remplaçant Andris Nelsons) la semaine prochaine. Insérer le concert Abbado dans ce cycle, c’était du coup banaliser ce retour (si c’était possible) et lui donner un statut “ordinaire”, de fait le prix était ordinaire (de 10 à 66€).

L’entrée d’Abbado et Barenboim, photo Alberto Falletti

Entrée d’Abbado et Barenboim, explosion du public. Abbado toujours timide va pour monter sur le podium, mais Barenboim l’attire par la main sur le devant de la scène et alors c’est la standing ovation avant même le début du concert. C’était l’ambiance hier.
Rien n’est plus différent que le style haché, contrasté, violent, mais aussi énergique et presque juvénile de Daniel Barenboim et la fluidité, la sensibilité avec laquelle Abbado aborde ce concerto qu’il n’avait pas dirigé depuis plus de trente ans.  Bien sûr  Barenboim cherche à entraîner l’orchestre derrière lui, mais Abbado tient bon, et on sent une sorte de “jeu de pouvoir” entre les deux amis. Abbado réussit à obtenir de l’orchestre un son rond et chaleureux qu’on ne lui avait pas entendu depuis longtemps (il faut reconnaître que la qualité du son de l’orchestre n’est plus celle du temps d’Abbado ni même de Muti: un peu de problèmes techniques, quelques sons  approximatifs, une couleur qui s’est banalisée), il réussit tout de même de magnifiques pianissimi dans le deuxième mouvement (le plus accompli  à mon avis, avec  le premier mouvement), ces pianissimi dont Abbado a le secret. Une suprême élégance du geste, communicatif, qui n’est pas la manière de jouer ou de diriger de Daniel Barenboim. Chopin est-il d’ailleurs encore son univers? Le troisième mouvement m’est apparu à la fois acrobatique et approximatif, où les deux partis pris se confrontaient sans toujours dialoguer. Il reste que Daniel Barenboim reste un étonnant artiste, d’une intelligence redoutable (voir la manière dont il a calmé le seul imbécile qui le huait – c’était bien le moment! en rappelant que cette soirée était celle d’Abbado et relativisant du même coup sa présence et sa prestation).
L’orchestre est souvent considéré comme la partie faible chez Chopin, on dit souvent qu’il préfère les petites formes aux grandes machines orchestrales à la Beethoven, ici évidemment, Abbado oblige,  on entend les couleurs et les modulations orchestrales, la manière dont l’orchestre cherche à mettre en valeur le soliste, mais dont il s’éloigne en même temps par le style. Il reste que globalement, on demeure assez satisfait (ou indulgent), un hueur, mais un gros succès du public et de nombreux rappels.

L’énorme dispositif

Bien sûr on attendait la Sixième de Mahler car chaque concert mahlérien d’Abbado est désormais un événement . Il a épuisé le genre à Lucerne en refusant de faire la huitième, et donc il y a fort à parier que ces moments seront de plus en plus rares. Cette Sixième (après une huitième supprimée et une seconde avortée) devenait donc un moment d’urgence, et pour la mettre en place, Abbado a demandé de mélanger son orchestre Mozart (et surtout ses chefs de pupitre, rompus au travail avec lui) et l’Orchestre Philharmonique de la Scala, qu’il a fondés tous deux: voilà deux orchestres fils d’Abbado! On reconnaissait donc Raphaël Christ (Lucerne et Mozart), mais aussi Lucas Macias Navarro le génial hautboïste (Lucerne, Mozart et Concertgebouw) qui ce soir encore  a donné des exemples époustouflants de poésie et de simplicité, Chiara Tonelli la flûtiste (Mahler Chamber Orchestra, Orchestra Mozart), Aloïs Posch le contrebassiste (ex Wiener Philharmoniker) et d’autres sans doute difficiles à reconnaître de si loin. On avait réuni une masse orchestrale inédite, environ 170 exécutants, dans une vraie mise en scène avec le fameux marteau au centre, surélevé, comme un billot, il y avait par exemple 14 contrebasses, 18 violoncelles, 20 altos, 4 harpes dont le son montait avec une clarté confondante (voir notamment le début du quatrième mouvement); comme toujours avec Abbado, l’adagio était joué avant le scherzo.
Et ce fut magnifique. Ce ne sera pas sa plus grande interprétation de la Sixième, mais ce sera quand même une pierre miliaire bouleversante: rappelons-nous l’extraordinaire Sixième faite avec les Berlinois, à bondir pour l’éternité, ou celle de Lucerne. Et comme je l’ai rappelé, l’orchestre n’est pas techniquement au niveau des phalanges citées, notamment les cuivres, (mais qui atteint le niveau de Reinhold Friedrich?) et on entend quelquefois des stridences pas toujours bienvenues  mais on sentait les répétitions, l’engagement, l’application, la prise que le chef avait (à voir les sons produits quelquefois) et surtout l’incroyable énergie.

Claudio salue

Après avoir entendu le Gewandhaus (une autre de ces phalanges exemplaires) à Lucerne en septembre dernier avec un Riccardo Chailly déchainé dans la même œuvre, avec une sorte d’urgence et d’énergie du désespoir, on reste toujours frappé de redécouvrir Abbado (c’est comme à chaque fois une surprise, la découverte toujours renouvelée des perfections avec les yeux stendhaliens de Fabrice pour Clelia) par la manière dont Abbado fait parler l’orchestre, qui sourit, qui pleure, qui grince. Et par la variété “psychologique” de cette interprétation. Un des amis que j’ai croisé hier me disait qu’il trouve toujours Mahler “cérébral”. Rien n’est plus discutable: il est au contraire à fleur de peau, sans cesse en tension, sans cesse passant d’un moment d’extase à l’angoisse, à la noirceur, au sarcasme. Je ne le sens pas comme cérébral, mais au contraire comme un vagabond d’un univers sensible à l’ extrême. Oui Mahler est un “sensible de l’extrême”, en telle osmose avec les éléments naturels, qu’il crée sans cesse des “montées d’images” comme en psychanalyse et Abbado nous fait sentir le moindre souffle de cette sensibilité exacerbée, c’est pourquoi hier c’était l’extrême tension, notamment au départ, avec ce pas vif initial, en même temps léger, car on passe sans cesse d’une variation d’humeur à l’autre avec une extrême fluidité. Pour moi, c’est encore l’adagio qui m’emporte et me bouleverse, qui me tire les larmes, un moment suspendu de pure poésie, et hier c’est sans doute encore la partie qui m’a le plus touché. Mais il faut reconnaître qu’une fois de plus Abbado fait lire le texte, propose une vision d’une telle clarté, que toujours l’architecture se fait jour. Et il construit une telle tension qu’on en sort écarlate de l’énergie qu’on accumule. A part quelques imbéciles des fauteuils  d’orchestre qui pianotaient sur leur portable (d’en haut, ils n’échappent pas à nos regards) sans doute à la recherche du restaurant d’après spectacle, il fallait voir les visages tendus du public des galeries, silencieux, debout, arque-bouté aux barres de la galerie, suivre avec une urgence inouïe ce concert qui est sans doute le plus beau donné à la Scala depuis des lustres. Lecture d’une clarté stellaire, émotion indicible en soi par la musique, et aussi par les circonstances, tension prodigieuse. Oui  ce fut à la fin une explosion, où toute la salle est restée, 30 minutes d’applaudissements, les dix dernières minutes avec des cris scandés “Clau-dio”, un Claudio qui, visiblement fatigué et ému, n’est pas revenu seul saluer, comme il le fait à Lucerne. Oui, comme disait l’affiche du tram, Claudio est “bentornato” dans sa cité, et ce soir, le public de la Scala a redécouvert ce qu’immense voulait dire.

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PALAIS DES ARTS DE BUDAPEST 2010-2011: GERGELY BOGANYI INTERPRÈTE L’INTÉGRALE DE L’OEUVRE POUR PIANO DE F.CHOPIN EN UN WEEK END ET DIX CONCERTS

200px-boganyi_gergely_april_2009.1291331225.jpgUne folie? Pourquoi pas? Pour célébrer Chopin à l’occasion de son bicentenaire, le palais des Arts de Budapest, la salle de concert moderne dont la capitale hongroise s’est dotée  il y a quelques années dans un quartier en complète restructuration au Sud de la ville le long du Danube proposait en un week end un véritable marathon pianistique, l’intégrale de l’oeuvre pour pinao soliste de Chopin confiée à un pianiste de 36 ans, célèbre en Hongrie, Gergely Boganyi. Ainsi se sont succédés 10 concerts d”une heure trente ou deux heures (mais alors avec entracte) séparés les uns des autres par trente minutes de repos (sauf le samedi où public et pianiste ont pu souffler trois heures l’après midi, et deux heures le dimanche). le public qui avait choisi d’écouter les dix concerts était donc à pied d’oeuvre de 10h à 22h environ.

Chopin valait-il cette messe? Evidemment oui, puisqu’à mon retour chez moi je me suis mis à sortir de ma discothèque tous les disques de Chopin (Rubinstein, Horowitz, Ashkenazy, Nat et d’autres), c’est donc que loin de me rendre pour longtemps hermétique à cette musique, cette expérience a au contraire réveillé ma curiosité, pour réentendre telle ou telle oeuvre, pour retrouver d’autres styles dans l’oreille.

boganyirec.1291335427.jpgGergely Boganyi mérite d’être mieux connu en France, né en 1974,  il a étudié à l’académie Lizst de Budapest, mais aussi auprès de maîtres tels que György Sebök aux Etats Unis et a vaincu de nombreux Prix dont le prix Kossuth, la distinction artistique la plus prestigieuse de Hongrie. C’est un artiste très apprécié et très populaire en Hongrie. Il se présente au public un peu en dandy romantique, cheveux longs, changeant de tenue à chaque concert (pull gris au départ, puis veste et écharpe blanches, puis grises, puis noires, pour finir dans un costume très “music hall” gris brillant!).Dans une exposition dédiée à Chopin dans le foyer du théâtre, il ya même un portrait de lui…

(voir ci-dessous)

portrait.1291335458.jpgIl faut d’abord saluer la performance technique et “sportive”, il semblait même que peu à peu la concentration s’est faite plus forte, la tension plus palpable, l’émotion réelle dès l’exécution dans le deuxième concert  alors que le premier concert m’avait semblé un peu froid, avec une “technique impeccable”, mais sans aucun “supplément d’âme”. Dès le deuxième concert en effet, l’exécution tout à fait extraordinaire des 12 études op.10 provoquait un très grand enthousiasme et montrait à la fois une maîtrise pianistique impressionnante, et une approche particulièrement sensible sans tomber cependant dans la sensiblerie. Car le Chopin que nous avons entendu n’a rien de mièvre comme on peut le craindre quelquefois, mais est marqué par une énergie et une intensité rares. A entendre toutes ces pièces les unes après les autres (dont près de 60 mazurkas…) on est frappé à la fois par la variété et les parentés, en amont notamment avec Beethoven, mais aussi en aval avec Rachmaninov, mais aussi , plus étonnant, avec certaines pièces de l’école de Vienne.

xv2f6317b.1291335469.jpgIl y eut des moments prodigieux, l’op.22 (l’andante spianato/Grande Polonaise brillante) , les trois sonates et notamment la n°3 en si mineur, l’exécution étourdissante des 24 préludes op.28, et certaines valses (op.18, op.34 n°1) qui ont vraiment marqué” le public par une rare intensité. On pourrait reprocher quelquefois  à Gergely Boganyi une trop grande vélocité qui empêche presque d’entendre chaque note, même s’il faut saluer l’agilité technique qui rendent son interprétation des études tant l’op.10 que l’op.25 un des sommets de ces deux jours.

imag0072b.1291335439.jpgAu total, même s’il est clair que l’expérience est  un défi très publicitaire pour le pianiste et l’organisateur du concert (les dix concerts étaient à peu près pleins,  la salle était remplie, et même remplie de jeunes, beaucoup se retrouvant d’un concert à l’autre, puisque chaque concert était vendu séparément), ce fut aussi pour le public l’occasion de rentrer en soi, tant le piano, même exécuté dans ces conditions, aide à la méditation.

On ne  peut certes rester concentré sur une si longue durée, mais en même temps je me suis surpris de ma fraîcheur à la sortie. On finit donc par s’adapter à ce rythme et même désirer que cela continue…Et Boganyi s’est même offert le luxe de concéder plusieurs fois des bis, un comble pour ce type d’exécution marathon, tellement sa joie de jouer était évidente et sa générosité grande!

Quant à moi cela m’a permis de reconstituer un pan oublié de mon histoire musicale, puisque j’ai abordé Chopin non par le piano, mais par la version orchestrale du ballet “Les Sylphides”, dans un vieil enregistrement dirigé par Jésus Etcheverry et l’orchestre des Concerts Lamoureux où j’ai entendu à 8 ou 9 ans quelques nocturnes quelques valses et quelques mazurkas, ne découvrant que bien plus tard leur version originale au piano. Echos sans doute très forts et très marquants parce que les détails mélodiques, très présents en moi, ont fini par m’envahir en réécoutant ces pièces enfouies et me plonger de manière mélancolique dans “le vert paradis des amours enfantines”.

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