BAYERISCHE STAATSOPER 2020-2021: PRÉSENTATION DE LA DERNIÈRE SAISON DU MANDAT DE NIKOLAUS BACHLER

En ces jours de confinement, le livre et la lecture, c’est ce qui nous reste pour passer le temps de loisir, et Le blog du Wanderer comme Wanderersite.com vont essayer d’alimenter de textes nouveaux pour informer et aussi et surtout en ce moment faire rêver.
Faire rêver, c’est bien l’effet de cette saison de la Bayerische Staatsoper, qui reste la maison la plus passionnante aujourd’hui dans le paysage lyrique international mais aussi l’une des plus riches, à la programmation la plus diversifiée. Aussi présentons-nous à l’exception des concerts de chambre au merveilleux Théâtre Cuvilliés l’ensemble de l’offre de l’Opéra d’État de Bavière

  • L’opéra
  • Les concerts symphoniques (Akademie Konzerte)
  • Le ballet que nous présentons dans le détail pour la première fois, grâce à notre collaborateur Jean-Marc

C’est la dernière saison de Nikolaus Bachler à la tête de la Bayerische Staatsoper, et c’est évidemment une saison « symbolique » qui reprend les grandes productions de son mandat, où l’on va voir le retour de Kent Nagano, premier GMD de son règne, un certain nombres de présences au pupitre de Vladimir Jurowski, futur GMD à la partir de 2021, et quelques présences du GMD qui a marqué ce mandat, Kirill Petrenko,cette année non pas GMD (son mandat s’achève en juillet 2020), mais « Gast », c’est à dire invité, qui concentrera son activité sur le Festival 2021.

Première observation, cette saison allie, aussi bien dans ses nouvelles productions que son répertoire, les qualités et les défauts qui ont caractérisé ce mandat, avec des choix de metteurs en scène quelquefois inspirés, quelquefois étonnants, et quelques choix de chefs plutôt pas toujours prometteurs à notre avis.

La deuxième observation est l’abondance de nouvelles productions à l’opéra comme au ballet, dont des créations en nombre plus important (trois), et un Festival de Juillet 2021 qui ressemble fort à une « tournée des grands ducs », un tour final en forme de feu d’artifice, comme pour laisser la place avec quelques perles dans les souvenirs.
Notre regard essaie de couvrir les nombreux éléments de cette saison particulièrement riche et excitante, dont quelques manifestations plus étroitement liées au départ de Nikolaus Bachler, intitulées Der wendende Punkt (le grand tournant, le moment décisif ), en juillet 2021, un concert de jeunes promesses du chant, et un grand concert bilan avec les stars.

Enfin tout cela fait quand même rêver avec néanmoins en tête les interrogations de ce que nous réserve l’avenir (autrement dit coronavirus permettant).

Opéra

Nouvelles productions

Oct-Nov 2020 / Juillet 2021:
Walter Braunfels, Die Vögel (les Oiseaux)
(1920) livret du compositeur d’après Aristophane, Dir.mus : Ingo Metzmacher, MeS : Frank Castorf avec entre autres Wolfgang Koch, Michael Nagy, Günter Papendell.
Une des œuvres phares et des grands succès de l’époque créée le 30 novembre 1920 au Nationaltheater de Munich, sous la direction de Bruno Walter dont cette production va donc fêter le centenaire. Walter Braunfels, qui était à moitié juif, resta en Allemagne pendant la guerre et mourut en 1954, un peu oublié.
Entre Meztmacher et Castorf, c’est un projet qui sans nul doute sera d’un très grand intérêt, avec une distribution brillante d’artistes connus pour leur science de l’expression et du texte, d’autant que les reprises récentes de cette œuvre furent des réussites là où elles eurent lieu.

Nov/Déc. 2020 :
Luca Francesconi, Timon of Athens (2020),
livret du compositeur d’après Shakespeare, Création mondiale. Dir.mus : Kent Nagano, MeS : Andreas Kriegenburg avec Toby Spence dans le rôle-titre et notamment Nikolaï Schukoff dans la distribution.
Il s’agit d’un « opéra en deux illusions » (opera in due illusioni) d’une des figures les plus importantes de la composition aujourd’hui.
On a vu de lui en 2017 « Trompe la mort » au Palais Garnier et on lira ou relira les textes et interviews que le Site Wanderer avait consacré à cette production, signée Guy Cassiers.
Critique du spectacle de Michel Parouty :
http://wanderersite.com/2017/03/vautrin-lirresistible/

Interview de Susanna Mälkki qui dirigeait l’orchestre :
http://wanderersite.com/interview/susanna-malkki-portrait-sensible/

Interview de Béatrice Uria-Monzon, l’une des protagonistes de la production :

http://wanderersite.com/interview/jai-chance-deprouver-toujours-plaisir-immense-a-etre-scene/
Outre l’intérêt immense d’une création de Luca Francesconi (né à Milan le 17 mars 1956), c’est le retour après plus de 7 ans au pupitre de la Bayerische Staatsoper de son ancien GMD Kent Nagano et du metteur en scène Andreas Kriegenburg avec lequel il a produit un Ring encore au répertoire (on va revoir cette saison Rheingold) qui a eu autant de succès avec Nagano flamboyant qu’avec Petrenko ensuite. (Voir les comptes rendus de ce Ring (Janvier 2013) dans ce Blog).
Toutes les raisons de faire le voyage de Munich.

Février/Juillet 2021 :
C.M. von Weber, Der Freischütz (1821)
, Livret de Friedrich Kind.
Dir.mus: Antonello Manacorda, MeS: Dmitry Tcherniakov, avec dans les principaux rôles Pavel Černoch (Max) Golda Schulz (Agathe), Kyle Ketelsen (Kaspar) et Anna Prohaska (Agathe).
Der Freischütz est une des œuvres les plus difficiles à monter et à réussir, notamment à cause des voix (c’est un peu le même problème que Fidelio, notamment pour Max et Agathe). Pour cette production ont été appelés d’excellents chanteurs, très expressifs, tous intelligents, mais pas de voix énormes. Des voix souples, plutôt adaptables. C’est aussi une œuvre difficile à cause du chef. Peu de chefs d’envergure se sont emparés récemment de cette musique sinon Thielemann en 2015, mais il aurait été peu probable que Bachler l’invite étant donné leurs relations …
Moins heureux à notre avis le choix du chef, qui n’avait pas convaincu dans ce même théâtre la saison dernière avec l’Alceste de Gluck. Tout en laissant les choses ouvertes (Freischütz peut réussir à Manacorda) il eût été peut-être plus pertinent de trouver un chef incontestable pour l’œuvre de Weber qui n’a pas dans mon souvenir bénéficié de très grands chefs depuis Harnoncourt à Zürich (avec Berghaus comme MeS), d’autant que la MeS confiée à Tcherniakov attirera sans doute tous les regards, voilà au contraire un choix très pertinent dans une œuvre située aux frontières entre le rationnel et l’irrationnel, le réel et le magique où sans doute le metteur en scène russe trouvera une clé qui nous surprendra.
Der Freischütz, créé à Berlin le 18 juin 1821 est créé à Munich le 15 avril 1822, soit dix mois après, et y connaît une riche histoire des représentations (on compte parmi les chefs Hans Knappertsbusch, Joseph Keilberth, Erich Kleiber, la dernière production fut créé en 1990 par Otmar Suitner, et donc qu’une nouvelle production soit affichée 30 ans après se justifie largement.


Mars-Avril 2021
R.Strauss, Der Rosenkavalier (1911),
livret de Hugo von Hofmannsthal. Dir.mus : Vladimir Jurowski, MeS : Barrie Kosky avec Marlis Petersen (La Maréchale), Christoph Fischesser (Ochs) Samatha Hankey (Octavian) Katharina Konradi (Sophie) et Johannes Martin Kränzle (Faninal)
Sans doute le plus gros pari de Nikolaus Bachler qui choisit lors de sa dernière saison de proposer une nouvelle production d’une des œuvres emblématiques de ce théâtre, qui marque la fin de la production la plus fameuse de cette maison, signée Otto Schenk en 1972, qui à chaque reprise a été fêtée par le public. Un enchantement renouvelé, à cause aussi des chefs liés à cette production, jadis Carlos Kleiber, récemment Kirill Petrenko.
C’est pourquoi Nikolaus Bachler, qui est malicieux, invite au pupitre le futur GMD Vladimir Jurowski, évidemment sous les feux de la rampe, qui excitera la curiosité du public, et Barrie Kosky pour la mise en scène, avec lequel Jurowski a magnifiquement fonctionné pour L’ange de Feu dans cette maison, et Les Bassarides l’automne dernier à la Komische Oper de Berlin. La confrontation de Barrie Kosky avec l’œuvre la plus emblématique de la maison sera aussi passionnante…
Dernière curiosité : la prise de rôle de Marlis Petersen dans la maréchale que tout le monde regardera à la loupe (aura-t-elle la voix du rôle ? diront les grands savants du genre opéra qui émettent leurs oukases sur les réseaux sociaux) mais qui sans aucun doute travaillera le texte avec son intelligence et sa sensibilité coutumières. En complément, une Sophie plus habituelle, Anna Prohaska, qui l’a déjà interprétée sur cette scène en 2018 avec Petrenko et en revanche un Octavian tout nouveau venu, la jeune américaine Samantha Hankey, nouvelle membre de l’ensemble de la Bayerische Staatsoper et qu’il sera intéressant d’entendre dans Dorabella à la fin de cette saison 2019-2020 (coronavirus permettant).

Mai-juin 2021
Aribert Reimann, Lear (1978),
livret de Claus Henneberg d’après Shakespeare. Dir.mus : Jukka-Pekka Saraste, MeS : Christoph Marthaler avec Christian Gerhaher dans le rôle-titre, Georg Nigl dans celui de Gloster, et un trio de choc : Angela Denoke, Ausrine Stundyte, Hanna-Elisabeth Müller .
Après la mise en scène originelle de Jean-Pierre Ponnelle, la deuxième production, 42 ans après est confiée au grand Christoph Marthaler, qu’on n’a pas vu à l’opéra depuis quelques années. Un choix très stimulant, avec une distribution de rêve et un chef finlandais très solide et de plus en plus salué, qu’on connaît mal à Munich, Jukka-Pekka Saraste. Un autre must de cette saison décidément brillante.

Juin 2021
Miroslav Srnka, Singularity (2021), Libretto de Tom Holloway, création.
Dir.mus : Patrick Hahn, MeS :  Nicolas Brieger avec les chanteurs de l’Opernstudio de la Bayerische Staatsoper ; orchestre Klangforum Wien.
Après South Pole (2016) (d’ailleurs repris dans la saison), Miroslav Srnka propose un travail spécifique pour des jeunes chanteurs, dans le cadre intime et splendide du Cuvilliés Theater, dont la thématique est évidemment le numérique, l’intelligence artificielle quand elle se dérègle, avec ses variations comiques. Le Klangforum Wien, l’une des formations de référence pour le répertoire d’aujourd’hui sera dirigé par le jeune autrichien prometteur Patrick Hahn (1995) qui a assisté Kirill Petrenko pour Salomé. Quant à Nicolas Brieger, c’est un vieux routier de la mise en scène, qui n’a pas beaucoup travaillé sur les grandes scènes ces dernières années.

Juin-Juillet 2021
Richard Wagner, Tristan und Isolde (1865), livret du compositeur. Dir.mus : Kirill Petrenko, MeS : Krzysztof Warlikowski avec Jonas Kaufmann (Tristan) Anja Harteros (Isolde), Wolfgang Koch (Kurwenal), Mika Kares (Marke), Okka von der Damerau (Brangaene).
Dire que ce Tristan est attendu avec impatience est en dessous de la vérité : le monde de l’opéra savait que ce serait la dernière production de Petrenko à Munich, que le metteur en scène serait Warlikowski, que Kaufmann serait pour la première fois Tristan. On ignorait qu’à ses côté, Anja Harteros serait son Isolde… (elle n’a pas la voix, vont dire les savants – voir plus haut pour Petersen). Une fois encore Petrenko sait ce qu’il fait et ce qu’il veut parce qu’il ne veut pas un Tristan au gros format vocal, mais un Tristan retenu, comme pour tous ses Wagner et une Isolde spécifique qui convienne à ce choix. Avec Warlikowski, ils ont fait ensemble Frau ohne Schatten et Salomé, deux éclatantes réussites.
Inutile de tergiverser, cinq représentations dont la dernière est le 31 juillet avec « Oper für alle » et donc aussi une retransmission en streaming, mais si on veut y aller,  il faudra le faire  sans doute à genoux et être prêts à tout…

Juillet 2021
W.A.Mozart, Idomeneo (1781),
livret de Giambattista Varesco. Dir.mus : Constantinos Carydis, MeS : Antú Romero Nunes. Avec : Matthew Polenzani (Idomeneo), Emily D’Angelo (Idamante), Olga Kulchynska (Ilia), Hanna-Elisabeth Muller (Elettra), au Prinzregententheater, avec le Balthasar-Neumann-Chor.
Habituellement c’est un opéra du répertoire baroque qui conclut les nouvelles productions de l’année au Prinzregententheater, cette fois-ci c’est un Mozart, distribué avec des chanteurs jeunes (Emily d’Angelo, qui débute, Olga Kulchynska qui est apparue récemment, les plus expérimentés étant Hanna-Elisabeth Müller et Matthew Polenzani), quant à la mise en scène d’ Antú Romero Nunes, je n’y fonde pas de grands espoirs (mais il faut toujours être disponible à la surprise). Les autres expériences (Guillaume Tell, Les Vêpres siciliennes) ne m’ayant pas vraiment convaincu. En revanche, le choix de Constantinos Carydis est particulièrement pertinent (ses Nozze di Figaro dans la production de Christoph Loy ont été saluées unanimement)

Ainsi voilà une saison de 8 nouvelles productions d’opéra, avec deux créations et au moins une rareté. Parmi ces œuvres quatre (Die Vögel, Idomeneo, Tristan und Isolde, Lear) ont vu le jour à Munich, quant à Der Rosenkavalier, l’opéra est profondément lié à l’histoire de ce théâtre dans les soixante dernières années. C’est donc une saison qui cherche à profondément exalter l’histoire et la modernité de l’institution munichoise, mais aussi le répertoire allemand ou autrichien, à part Luca Francesconi et Miroslav Srnka (mais qui créent leurs œuvres à Munich) tous les compositeurs sont des phares de l’aire germanophone, Braunfels, Weber, Wagner, Mozart, Reimann, Strauss.

Répertoire

Comme toujours, dans les nombreuses reprises de répertoire, il y a les œuvres courantes qui visent à générer un public nombreux, mais des reprises aussi marquées par une nouvelle distribution ou un nouveau chef prestigieux, l’intérêt est donc varié et ces reprises méritent au moins pour certaines, qu’on s’y arrête.

Dans l’ensemble la saison est bien équilibrée, entre chefs (et cheffes) jeunes et d’autres expérimentés comme Asher Fisch ou Pinchas Steinberg. Ce dernier est un chef très respectable qui garantit un niveau très correct de la reprise. On comprend pourquoi : il faut dans le répertoire avoir la garantie de chefs qui puissent reprendre un spectacle avec peu de répétitions, ayant l’expérience requise ou même ayant déjà dirigé la production à Munich. Expérience plutôt qu’exploration. Mais on se réjouit de voir aussi des jeunes chefs et surtout un quelques jeunes cheffes (Keri-Lynn Wilson, Simone Young, Marie Jacquot, Eun Sun Kim, Oksana Lyniv) pour donner à ces reprises un parfum de nouveauté.

Voici la liste des 37 opéras repris au répertoire. Avec les huit nouvelles productions, cela fait 45 titres d’opéra dans l’année à Munich et c’est respectable. Si vous allez voir l’une des nouvelles productions, vous aurez aussi peut-être envie d’aller voir les autres spectacles du moment, je vous donne donc quand c’est possible quelques infos sur les titres qui peuvent valoir l’achat d’un billet.

Septembre 2020
Strauss, Elektra,
Prod. Wernicke.Dir : Erik Nielsen avec Gabriele Schnaut (Klytemnästra), Irene Theorin (Elektra), Vida Miknevičiūtė (Chrysothemis) René Pape (Orest) et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Aegisth). Autre production importante de la maison, la dernière du grand Herbert Wernicke encore au répertoire, dirigée par un chef efficace, Erik Nielsen (qui dirigea dans cette maison la production de Karl V de Krenek. La distribution est classique (Irene Theorin est l’une des grandes Elektra actuelles) et avec une nouvelle venue dans les distributions internationales, la lithuanienne Vida Miknevičiūtė déjà vue dans ce rôle à Berlin, et qui chante dans toutes les grandes maisons allemandes ainsi qu’une « ancienne », Gabriele Schnaut qui fut la Brünnhilde du Ring Flimm/Sinopoli à Bayreuth. Quant à René Pape…

Septembre-Octobre 2020
Strauss, Die Frau ohne Schatten,
Prod Warlikowski, Dir: Sebastian Weigle, avec Klaus Florian Vogt (Kaiser), Emily Magee (Kaiserin), Wolfgang Koch (Barak), Miina-Liisa Värelä (sa femme), Michaela Schuster (la nourrice) etc…Une grande distribution pour cette reprise d’ouverture de saison à l’occasion de l’Oktoberfest, dirigée par Sebastian Weigle, qu’on peut ne pas (trop) aimer, mais qui est l’un des chefs allemands les plus côtés. Et la prod.Warlikowski est entrée (avec Petrenko…) dans la légende.

Septembre – Octobre 2020
Donizetti, L’Elisir d’amore
, Prod. Bösch, Dir: Francesco Angelico. Avec Galeano Salas (Nemorino), Pretty Yende (Adina) Andrei Zhilikhovsky (Belcore) et Milan Siljanov (Dulcamara). Certes, c’est l’une des productions les plus réussies de David Bösch et c’est une reprise « alimentaire » en pleine « Oktoberfest » (fin le 4 octobre) avec certes, Pretty Yende en guest star, et le jeune Andrei Zhilikovsky, membre de la troupe du Bolchoi jusqu’à 2019, et qui commence à être appelé un peu partout. Enfin, les deux rôles masculins principaux sont tenus par des solistes de la troupe, qui est comme on le sait, particulièrement valeureuse.

Octobre 2020
Puccini, Madame Butterfly
, Prod. Busse, Dir: Daniele Callegari avec Alexandra Kurzak (Cio Cio San), Roberto Alagna (Pinkerton), Alisa Kolosova (Suzuki), Markus Brück (Sharpless).
La vieille production de Wolf Busse, routinière, dirigée par l’excellent Daniele Callegari avec un couple star, Kurzak/Alagna pour trois représentations automnales.

Octobre 2020
Alban Berg, Wozzeck, Prod. Andreas Kriegenburg, Dir: Vladimir Jurowski avec Simon Keenlyside (Wozzeck), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Hauptmann), John Daszak (Tambourmajor) , Clive Bayley (Doktor) Tansel Akzeybek  (Andres) Anja Kampe (Marie).
La production est magnifique, hiératique et vraiment réussie, un des grands Wozzeck de ce temps. Simon Keenlyside est l’un des grands titulaires du rôle-titre (même si on a en tête Christian Gerhaher dans ce rôle et cette production) avec le reste de la distribution vraiment de grand niveau (Anja Kampe en Marie…) et puis surtout, dans la fosse, Vladimir Jurowski, dont le Wozzeck à Salzbourg fut exceptionnel .
Vaut évidemment le voyage

Octobre – Novembre 2020
Puccini, Tosca, Prod. Bondy, Dir : Asher Fisch, avec Anja Harteros (Oct),  Anna Netrebko (Nov-Dec), Kristine Opolais (Dec) (Tosca), Stefano la Colla (Oct), Yusif Eyvazov (Nov-Dec) (Mario), Bryn Terfel (Oct)-Ambrogio Maestri (Nov-Dec) (Scarpia).
Production tiroir-caisse, qui va attirer le public quelle que soit la distribution, même avec Asher Fisch au pupitre… Le couple Anna-Yusif va sans doute faire frétiller les aficionados. Pour ma part, pour ceux qui n’ont jamais vu le deuxième acte Harteros-Terfel, c’est eux qu’il faut privilégier, c’est grandiose… À noter Ambrogio Maestri dans Scarpia avec Netrebko, c’est nouveau pour un baryton qu’on voit plus souvent dans les rôles bouffes, et Kristine Opolais qui assure la dernière, le 4 décembre. C’est sans doute la dernière fois qu’on verra la production Bondy à Munich, qui a fait le tour du monde.

Octobre/Novembre 2020/Juillet 2021
Verdi, Macbeth, Prod. Kusej, Dir: Pinchas Steinberg, avec
Automne 2020 : Željko Lučić (Macbeth), Callum Thorpe/Alex Esposito (Banco), Ludmyla Monastyrska (Lady Macbeth) Saimir Pirgu (Macduff) etc…
Juillet 2021 : Simon Keenlyside (Macbeth), Roberto Tagliavini (Banco), Ekaterina Sementchuk (Lady Macbeth) Pavol Breslik (Macduff) etc…
La production moyenne de Kusej et des distributions intéressantes (surtout en juillet). Ce Macbeth ne nous remuera pas trop tout de même.

Novembre 2020
Mirolslav Srnka, South Pole, Prod.Neuenfels, Dir : Marie Jacquot, avec John Daszak (Scott), Tara Erraught (son épouse), Thomas Hampson (Amundsen), Mojka Erdmann (Landlady) etc…
Reprise d’une des importantes créations de l’ère Bachler, South Pole, dans la mise en scène assez suggestive de Hans Neuenfels, et avec une distribution proche de la création (seul Rolando Villazon est remplacé par John Daszak). À Kirill Petrenko succède au pupitre Marie Jacquot jeune cheffe française, « Ernste Kappelmeisterin » à Würzburg, qui fut son assistante sur cette production à la création.
Si vous êtes à Munich, allez-y !

Novembre 2020
Poulenc, Dialogues des Carmélites
, Prod Tcherniakov, Dir: Bertrand de Billy avec notamment Ermonela Jaho (Blanche de la Force), Doris Soffel (Madame de Croissy), Madame Lidoine (Adrianne Pieczonka). Une distribution de haut niveau pour la reprise d’une des productions phares de la maison, où Tcherniakov fit scandale (à cause de la fin) pour laquelle les descendants de Poulenc intentèrent un procès qu’ils perdirent en 2018.
On pourra lire le compte rendu que je fis dans ce Blog en son temps. C’est une production qu’il faut avoir vue, passionnante, réfléchie, quelquefois dérangeante.

Décembre 2020 :
Puccini, La Bohème,
Prod. Schenk, Dir : Eun Sun Kim, avec Aylin Perez (Mimi), Elsa Benoit (Musetta), Davide Luciano (Marcello) et Benjamin Bernheim (Rodolfo).
Une production historique, qui remonte à 1969, que j’ai vue il y a environ 40 ans avec Carlos Kleiber, Mirella Freni et Luciano Pavarotti (le rêve éveillé…).
Ici la reprise vaut pour notre Benjamin Bernheim, dont la carrière, justement, explose, pour notre Elsa Benoit, très liée à Munich dont elle est membre de la troupe après en avoir été du studio et pour le Marcello de Davide Luciani, l’un des jeunes barytons les plus en vue d’Italie (il est prodigieux en scène). Aylin Perez compte comme l’un des meilleurs sopranos lyriques aujourd’hui, qui promène notamment sa Mimi dans les grands temples (Scala, MET). Quant à Eun Sun Kim, c’est une cheffe coréenne qui a complété ses études à Stuttgart, qui a déjà été appelée notamment dans les grandes maisons allemandes.

Décembre 2020 :
Humperdinck, Hänsel und Gretel
Prod. Richard Jones, Dir: Friedrich Haider ; avec Tara Erraught/Corinna Scheurle (Gretel), Maureen McKay/Emily Pogorelc (Hänsel), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke/Kevin Conners (Knusperhaxe), etc…
Une production annuelle habituelle sous la période de fête avec un grand professionnel au pupitre.


Décembre 2020 – Janvier 2021
Mozart, Die Zauberflöte,
Prod. Everding, Dir: Antonello Manacorda avec Georg Zeppenfeld (Sarastro), Martin Mitterrutzner (Tamino),  Elsa Benoit (Pamina), Bo Skovhus/Milan Siljanov (Sprecher) Nina Minasyan (Königin der Nacht) André Schuen (Papageno). Les traditionnelles productions des fêtes, Zauberflöte, Fledermaus et un peu plus tôt Hänsel et Gretel.
La production de August Everding est une espèce de légende (elle remonte à 1978 et elle a fait l’objet d’une révision par Jürgen Rose en 2004) qu’il faut avoir vu une fois. La distribution est très correcte, avec un Tamino dont on parle, le jeune ténor autrichien Martin Mitterrutzner, Georg Zeppenfeld qu’on ne présente plus et Elsa Benoît qui de plus en plus s’impose sur les scènes en Pamina.

Décembre 2020 – Janvier 2021 :
J.Strauss : Die Fledermaus,
Prod Leander Haußmann reprise parAndreas Weirich, Dir: Friedrich Haider, avec Johannes Martin Kränzle (Gabriel), Rachel Willis-Sørensen (Rosalinde), Franz Hawlata (Frank), Okka von der Damerau (Orlofsky), Galeano Salas (Alfred), Michael Nagy (Dr.Falke) etc…
La médiocre production de Leander Haußmann est ici retravaillée par Andreas Weirich. On espère une future nouvelle production sous Dorny. Cette année, Friedrich Haider très à l’aise dans ce répertoire dirige, et la distribution est de très bon niveau…Donc musicalement, ça se défendra sûrement.

Janvier 2021:
Verdi, Un ballo in maschera,
Prod Erath. Dir: Paolo Carignani, avec Sondra Radvanovsky (Amelia), Joseph Calleja (Riccardo), Vladislav Sulimsky (Renato), Okka von der Damerau (Ulrica) Elsa Benoit (Oscar). Intéressante production de Johannes Erath (dont on devait voir le Rigoletto à Lyon, hélas annulé). Vaut évidemment pour l’Amelia de Sondra Radvanovski, la plus grande aujourd’hui, mais la distribution est très respectable. Du bon répertoire.

Janvier 2021
Puccini, Manon Lescaut,
prod. Neuenfels. Dir: Marco Armiliato, avec Sonya Yoncheva (Manon Lescaut), Stefano La Colla (Des Grieux), Lescaut (Davide Luciano) etc…
La production de Hans Neuenfels, qui n’avait tout à fait convaincu, revient avec un chef expérimenté, Marco Armiliato, et une distribution dominée par Sonya Yoncheva avec Stefano La Colla, qui est un ténor solide, et l’excellent Davide Luciano (Lescaut). Si on est à Munich, pourquoi pas ?

Janvier – Février 2021 :
Beethoven, Fidelio,
Prod. Bieito. Dir: Markus Stenz avec Klaus Florian Vogt (Florestan), Anja Kampe (Fidelio/Leonore), Franz-Josef Selig (Rocco), John Lundgren (Pizzaro) Tareq Yazmi (Don Fernando) Emily Pogorelc (Marzelline) Dean Power (Jaquino). Bonne distribution pour cette reprise de la fameuse production Bieito avec le quatuor de Beethoven à la place de Leonore III. Enfin, Markus Stenz est un chef respectable.

Janvier – Février 2021
Verdi, Rigoletto
, prod.Schilling, Dir :Keri-Lynn Wilson, avec Joseph Calleja (Il duca), Željko Lučić (Rigoletto), Sofia Fomina (Gilda) Rafał Siwek (Sparafucile) etc…
Une production de 2012 discutée, discutable, d’Árpád Schilling, pourtant l’un des metteurs en scène les plus stimulants à l’époque de la création de la production et sur la liste noire du gouvernement hongrois, ce qui est tout à son honneur. Une distribution plutôt solide et une cheffe reconnue à l’opéra.

Février/Juillet 2021
Dvořák, Rusalka
, Prod. Kusej,Dir: James Gaffigan, avec Dmytro Popov (Le prince), Evguenia Muraveva (La princesse étrangère),  Rusalka (Kristine Opolais), L’esprit du lac (Günther Groissböck), Ježibaba (Helena Zubanovich) etc…
Distribution très correcte, avec le retour de Kristine Opolais qui avait créé cette production, chef estimé, production discutée mais à mon avis séduisante de Martin Kusej, qui essaie de reconstruire une dramaturgie « réaliste » à cette histoire qui ne l’est pas. Si vous êtes à Munich, pourquoi pas (la production de 2011 existe en DVD)

Février – Mars/Juillet 2021
Wagner, Tannhäuser,
Prod. Castellucci, Dir: Simone Young avec Klaus Florian Vogt (Tannhäuser), Anja Harteros/Lise Davidsen (Juillet)(Elisabeth), Daniela Sindram (Venus), Christian Gerhaher (Wolfram), Günther Groissböck/Georg Zeppenfeld(Juillet) (Landgrave) etc…
Le retour de la production de Castellucci, qui a tant fait discuter, sans Petrenko, mais avec la très solide Simone Young, et une distribution fabuleuse en février-mars comme pour l’unique représentation du festival 2021 (où Lise Davidsen et Georg Zeppenfeld succèdent à Anja Harteros et Günther Groissböck). A voir et à entendre. Rien que pour Christian Gerhaher en Wolfram, ça vaut le voyage.

Mars 2021 :
Bela Bartok, Judith, Concerto pour orchestre/Le Château de Barbe Bleue,
Prod. Katie Mitchell. Dir : Oksana Lyniv avec Nina Stemme et John Lundgren. Reprise de la nouvelle production vue en février dernier qui va être reprise en juin prochain (coronavirus permettant).
La mise en scène qui plonge dans le psychodrame, dans le roman policier, a fait un peu discuter, mais ni la direction ni la distribution, unanimement louées. À voir sans aucun doute.

Mars 2021 :
Donizetti, Lucia di Lammermoor, Prod. Barbara Wysoka, Dir: Antonino Fogliani avec Adela Zaharia (Lucia), Pavol Breslik (Edgardo), Galeano Salas (Arturo), Boris Pinkhasovich (Enrico).
On se souvient de l’extraordinaire direction de Kirill Petrenko à la création (2015) de cette production pas très stimulante, dont il reste Pavol Breslik, plutôt valeureux, et en Lucia la jeune Adela Zaharia, découverte dans Orlando Paladino au festival 2018 (qu’on devrait revoir cet été – coronavirus permettant)… Au pupitre l’excellent Antonino Fogliani, un des très bons chefs italiens actuels.

Mars – Avril 2021
Wagner, Parsifal,
Prod. Audi, Dir : Franz Welser-Möst avec Simon Keenlyside (Amfortas), Gunther Groissböck (Gurnemanz), Brandon Jovanovich (Parsifal), Anja Kampe (Kundry), Bálint Szabó (Titurel), Derek Welton (Klingsor).
Retour de la production de Pierre Audi, sans Petrenko, mais avec Welser-Möst ce qui garantit un haut niveau de représentation, avec une distribution excellente et largement différente de celle de la première qui était étincelante : Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Gunther Groissböck, Simon Keenlyside et Derek Welton devraient quand même satisfaire un public habitué ici à l’excellence wagnérienne. On peut faire le voyage, si on aime Baselitz, dont les décors alliés à la mise en scène de Pierre Audi avaient fait couler bien de l’encre…

April 2021
Verdi, Les Vêpres siciliennes
Prod. Antù Romero Nunes, Dir: Omer Meir Wellber avec Malin Byström (Hélène), John Osborn (Henri), Erwin Schrott (Procida) George Petean (Montfort), production médiocre, chef intéressant mais qui ne m’avait pas convaincu dans cette œuvre où il recherche trop les effets. La reprise se justifie par l’arrivée de John Osborn et Malin Byström qui avait chanté le rôle à Genève en 2011 sans convaincre. De toute manière, il n’y a pas beaucoup de sopranos pour Hélène sur le marché. John Osborn sera comme souvent excellent dans ce rôle qu’il vient de chanter à Rome, et George Petean avec sa science du phrasé et sa diction est un bon Montfort (le seul qui avait chanté avec goût et justesse lorsque j’avais vu la production en 2018.) Quant à Schrott, avec sa voix énorme, il fait hélas du Schrott.
À mon avis, avec la mise en scène et la direction, et une distribution à 50% douteuse, nous sommes encore mal partis.
Lire dans wanderersite.com : http://wanderersite.com/2018/07/requiem-pour-un-massacre/

Avril 2021
Verdi, La Traviata,
Prod. Krämer, Dir: Andrea Battistoni avec Rosa Feola (Violetta), Frédéric Antoun (Alfredo), Simon Keenlyside (Giorgio Germont) etc…
Encore une production “alimentaire”, car La Traviata de Günter Krämer n’en peut plus…mais elle est dirigée par Andrea Battistoni, un des chefs en vue de la jeune génération italienne, et qu’elle affiche un couple inhabituel Feola/Antoun que les amateurs seront curieux d’entendre, et Keenlyside dans Germont père, une garantie d’élégance. D’ailleurs, Keenlyside fait un beau retour à Munich puisqu’il est affiché dans plusieurs productions. Why not ?

Juillet 2020/Avril-Mai 2021
Verdi, I Masnadieri, Prod. Erath, Dir: Michele Mariotti (Juillet 2020)/Giampaolo Bisonti (2021). Nous signalons les deux représentations de juillet prochain (2020) puisque la série a été interrompue pour cause de coronavirus en ce mois de mars. La mise en scène de Johannes Erath en noir et blanc qui rend l’ambiance d’un film noir n’a pas été mal accueillie, la distribution de manière un peu plus contrastée.
Juillet 2020 – Dir : Michele Mariotti, avec Diana Damrau (Amalia) et Charles Castronovo (Carlo), Mika Kares (Massimiliano), Igor Golovatenko (Francesco)
Avril-Mai 2021– Dir : Giampaolo Bisonti, avec Carmen Giannattasio (Amalia) et Charles Castronovo (Carlo), Bálint Szabó (Massimiliano), Igor Golovatenko (Francesco).
On retrouvera Castronovo et Golovatenko en Avril-mai 2021, avec les réserves sur Amalia, Diana Damrau n’est pas en très grande forme et Carmen Giannattasio prévue en 2021 encore moins.
I Masnadieri a été représentée à Munich en 2008 (au Theater am Gärtnerplatz), mais jamais au Nationaltheater. Un titre qui revient sur les scènes après la production de la Scala, elle aussi magnifiquement dirigée par Michele Mariotti. En avril 2021, montera au pupitre Giampaolo Bisonti, un des chefs italiens remarqués aujourd’hui.

Avril – Mai 2021 :
Strauss, Ariadne auf Naxos,
Prod.Carsen. Dir : Erik Nielsen, avec Jane Archibald (Zerbinetta) et Camilla Nylund (Primadonna) Benjamin Bruns (Tenor/Bacchus). Vaut pour la Primadonna de Camilla Nylund et l’excellent Benjamin Bruns qui s’essaie à Bacchus et Erik Nielsen, comme on l’a déjà dit, est plutôt un bon chef. 

Mai 2021:
Verdi, Falstaff.
Prod.Mateja Koležnik Dir: Pinchas Steinberg avec Wolfgang Koch, Boris Pinkhasovitch (Ford), Bogdan Volkov (Fenton), Olga Beszmertna (Alice Ford), Okka von der Damerau (Quickly), Elsa Benoit (Nanetta), Dorottya Lang (Meg Page).
La production de Falstaff que tout le monde attend en juillet prochain, mais en 2021 sans Petrenko (Pinchas Steinberg est un spécialiste d’opéra italien) ni Alexandra Kurzak. Attendons…

Juin 2021 :
Mozart, Die Entführung aus dem Serail, Prod. Duncan, Dir : Ivor Bolton/Christopher Moulds, avec Sofia Fomina (Konstanze), Pavol Breslik (Belmonte), Gloria Rehm (Blonde), Manuel Günther (Pedrillo) et Hans Peter König (Osmin). Distribution très correcte, direction musicale qui garantit de bonnes représentations, mais production pas vraiment passionnante.

Juin 2021
Hans Abrahamsen, The snow Queen,
Prod.Kriegenburg, Dir: Leo Hussain avec Barbara Hannigan (Gerda), Catherine Wyn-Rodgers (Grandmother, Old lady, Finn woman), Peter Rose (Snow Queen/Reindeer/Clock) etc…
Reprise d’une des nouvelles productions de la saison actuelle, dont la mise en scène a été accueillie d’une manière contrastée, mais qui musicalement fonctionne avec une Barbara Hannigan souveraine. À l’excellent Cornelius Meister succède l’excellent Leo Hussain au pupitre.


Juin 2021
Giacomo Puccini, Il Trittico
Prod. Lotte de Beer,Dir: Bertrand de Billy avec Wolgang Koch (Michele) Elsa Van der Heever (Giorgetta) Ermonela Jaho (Suor Angelica) Michaela Schuster (Zia Principessa/Zita) Ambrogio Maestri (Gianni Schicchi) Elsa Benoit (Lauretta) Galeano Salas (Rinuccio). Je ne sais si Bertrand de Billy est le chef adapté à cette œuvre, je trouve qu’il excelle plus dans le bel canto. Il reste que la distribution est très défendable, avec des monstres comme Wolfgang Koch ou Ambrogio Maestri. La mise en scène de Lotte de Beer plutôt bien faite, a été discutée, mais elle ne m’avait pas déplu. Si vous êtes à Munich, allez-y.

Juin – Juillet 2021
Wagner, Das Rheingold,
Prod. Kriegenburg, Dir: Valery Gergievavec John Lundgren (Wotan), Johannes Martin Kränzle (Alberich), Benjamin Bruns (Loge), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Christof Fischesser (Fasolt) Ain Anger (Fafner), Daniela Sindram (Fricka) etc…Surprise de la saison, plus ou moins en ouverture du Festival 2021, retour de Valery Gergiev au Nationaltheaterpour deux représentations de Das Rheingold dans la prod.Kriegenburg, qui aura nourri l’ère Bachler, d’abord avec Nagano, puis Petrenko, et maintenant juste pour une dégustation Valery Gergiev, en voisin puisqu’il est jusqu’à 2025 directeur musical des Münchner Philharmoniker. Évidemment à voir et entendre, car en plus la distribution est séduisante et ceux qui connaissent la production savent que Das Rheingold est une mise en scène vraiment réussie.

Juillet 2021:
Wagner, Der Fliegende Holländer,
Prod. Konwitschny, Dir: Asher Fisch, avec Ain Anger (Daland), Anja Kampe (Senta), Bryn Terfel (le Hollandais), Tomislav Mužek (Erik), Tanja Ariane Baumgartner (Mary), Manuel Günther (Steuermann).
Reprise pour une représentation dans la saison, et pendant le festival, de la vieille production de Peter Kontwitschny, qui pour un seul soir bénéficie d’une distribution de luxe dominée par Anja Kampe et Bryn Terfel, mais hélas dirigée par Asher Fisch, qui ne m’a jamais convaincu.

Juillet 2021
Giacomo Puccini, Turandot
Prod. Carlus Padrissa/La Fura dels Baus, Dir: Jader Bignamini, avec Anna Netrebko (Turandot) et Yusif Eyvazov (Calaf), Golda Schultz (Liù), Alexander Tsymbaliuk (Timur). Inutile de s’étendre, la distribution (avec Anna Netrebko) est de celles qu’on ne discute pas…La mise en scène futuriste de Carlus Pedrissa a fait jaser, mais personne ne viendra pour elle.
Cet hiver, c’est le chef Giacomo Sagripanti qui dirigeait, c’est un autre jeune chef italien tout aussi valeureux sinon plus qui lui succède, Jader Bignamini. Attention, on jouera probablement la version « création », avec arrêt à la mort de Liù…

Juillet 2021
Mozart, Le nozze di Figaro,
Prod.Loy, Dir: Ivor Bolton, avec Ludovic Tézier (Almaviva), Federica Lombardi (Contessa), Alex Esposito (Figaro), Rosa Feola (Susanna), Emily Pogorelc (Cherubino), Anne Sofie von Otter (Marcellina) etc…
La jolie mise en scène de Christof Loy (un jeu sur des personnages marionnettes) avec une distribution de grand niveau (Tézier ! Esposito !) et un très bon chef…Cela pourrait mériter un voyage…Attention, 2 représentations seulement !

Juillet 2021
Strauss, Salomé,
Prod. Warlikowski, Dir : Kirill Petrenko avec Marlis Petersen (Salomé), Iain Paterson (jochanaan), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Herodes), Michaela Schuster (Herodias), Pavol Breslik (Narraboth), Rachael Wilson (le page) etc…Nous avons suffisamment écrit dans Wanderersite tout le bien que nous pensions de cette production et de la performance de Marlis Petersen (vous savez, celle qui selon les savants « n’a-pas-la-voix-du-rôle ». Mais les « savants » de l’opéra sont quelquefois des amateurs peu éclairés). Juillet 2021, c’est la cérémonie des adieux de Petrenko et cette Salomé extraordinaire, il ne faut la manquer sous aucun prétexte, même sans Wolfgang Koch dans Jochanaan.

Juillet 2021
Verdi, Otello,
Prod. Niermeyer, Dir: Asher Fisch  avec Arsen Soghomonyan (Otello), Anja Harteros (Desdemona), Gerald Finley (Iago), Oleksiy Palchykov (Cassio). Faute de Kaufmann, toujours parcimonieux dans ses apparitions, c’est Arsen Soghomonyan qui chante Otello après l’avoir chanté à la Philharmonie de Berlin avec Mehta en 2020. Anja Harteros et Gerald Finley sont au rendez-vous (ils avaient enthousiasmé lors de la première de la production). Malheureusement, Asher Fisch, sans grande âme, sans grand intérêt, même si efficace et techniquement au point, sera au pupitre. C’est bien dommage…


Juillet 2021
Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg,
Prod. Bösch, Dir: Kirill Petrenko.
Inutile de souligner que l’on va se précipiter sur ces représentations aussi bien en juillet 2020 ( Jonas Kaufmann, Hanna-Elisabeth Müller) qu’en 2021 (Tomislav Mužek, Julia Kleiter) avec en 2020 comme en 2021, Wolfgang Koch en Sachs, Christoph Fischesser en Pogner, Martin Gantner en Beckmesser, et Benjamin Bruns en David, avec Okka von der Damerau (2020) et Claudia Mahnke (2021) en Magdalene.
La production de David Bösch est sensible et intelligente, mais ici c’est essentiellement la direction de Kirill Petrenko et la distribution pas forcément faites de stars, mais engagée, homogène et soutenue de manière millimétrée par le chef qui ont déchaîné les enthousiasmes. Et puis, Die Meistersinger von Nürnberg est une œuvre liée à ce théâtre, où elle a été créée et qui des années durant a conclu les saisons. Il y a mille raisons de faire tout ce qui est possible pour venir voir une des trois malheureuses représentations qui restent, deux en juillet 2020, une en juillet 2021…

Calendrier du Festival 2021 (Münchner Opernfestspiele 2021)

Date Titre NP/ Répertoire
25 juin
(Prinzregententh)
Heute ist morgen, Ballet NP Première
Uraufführung
26 juin (Prinzregententh) Heute ist morgen, Ballet NP
27 juin (Prinzregententh) Heute ist morgen, Ballet NP
     
29 juin Tristan und Isolde DM: Petrenko Ms: Warlikowski NP Première
30 juin Das Rheingold, DM: Gergiev Ms: Kriegenburg Rép
1er juillet Der Scheeesturm, Ballet NP
2 juillet Der Freischütz, DM: Manacorda Ms: Tcherniakov NP
3 juillet Das Rheingold, DM: Gergiev Ms: Kriegenburg Rép
3 juillet (Prinzregententh) Liederabend Matthew Polenzani/Julius Drake Concert
4 juillet Tristan und Isolde DM: Petrenko Ms: Warlikowski NP
5 juillet Der Freischütz, DM: Manacorda Ms: Tcherniakov NP
6 juillet Roméo et Juliette, Ballet (Cranko) Rép
7 juillet Der Fliegende Holländer DM: Fisch Ms: Konwitschny Rép
8 juillet Tristan und Isolde DM: Petrenko Ms: Warlikowski NP
9 juillet Cinderella, Ballet (Wheeldon) NP
10 juillet Rusalka, DM: Gaffigan Ms: Kusej Rép
11 juillet Tannhäuser, DM: Young Ms: Castellucci Rép
12 juillet Turandot, DM: Bignamini Ms: Padrissa/Fura dels Baus Rép
13 juillet Tristan und Isolde DM: Petrenko Ms: Warlikowski NP
14 juillet Rusalka, DM: Gaffigan Ms: Kusej Rép
15 juillet Turandot, DM: Bignamini Ms: Padrissa/Fura dels Baus Rép
16 juillet Le nozze di Figaro, DM: Bolton Ms: Loy Rép
17 juillet Oper für alle:  Aida (Mehta) Concert
18 juillet Le nozze di Figaro, DM: Bolton Ms: Loy Rép
19 juillet (Prinzregententh) Festspiel Nachtkonzert Opercussion Concert
19 juillet Macbeth, DM: Steinberg Ms: Kusej Rép
19 juillet (Prinzregententh) Idomeneo, DM: Carydis Ms: Nunes NP Première
20 juillet Die Vögel DM: Metzmacher Ms: Castorf NP
20 juillet (Prinzregententh) Liederabend Ludovic Tézier Concert
21 juillet Otello DM: Fisch Ms: Niermeyer Rép
21 juillet (Prinzregententh) Liederabend Sonya Yoncheva/Malcolm Martineau Concert
22 juillet Macbeth DM: Steinberg Ms: Kusej Rép
22 juillet (Prinzregententh Idomeneo DM: Carydis Ms: Nunes NP
23 juillet Wendende Punkte: Konzert Feuer-next generation Concert
23 juillet (Prinzregententh Festpielkonzert ATTACCA (Jugendorchester des Bayerischen Staatsorchesters) Concert
24 juillet Otello DM: Fisch Ms: Niermeyer Rép
24 juillet (Prinzregententh Idomeneo DM: Carydis Ms: Nunes NP
25 juillet Salomé DM: Petrenko Ms: Warlikowski Rép
25 juillet (Prinzregententh Concert Erwin Schrott Tango el diablo Concert
26 juillet Liederabend Chistian Gerhaher/Gerold Huber Concert
26 juillet (Prinzregententh Idomeneo, DM Carydis Ms Nunes NP
27 juillet    
28 juillet Salomé DM: Petrenko Ms: Warlikowski Rép
29 juillet Die Meistersinger von Nürnberg DM: Petrenko Ms: Bösch Rép
30 juillet Wendende Punkte: Festspiel Sonderkonzert Konzert
31 juillet Oper für alle: Tristan und Isolde DM: Petrenko Ms: Warlikowski NP

Concerts Symphoniques

Les Akademie Konzerte sont à Munich une institution.
Rappelons pour faire bref que le Bayerisches Staatsorchester est l’une des institutions musicales les plus anciennes d’Europe, puisque sa fondation remonte à 1523 et qu’il a été pratiquement dès ses origines considéré comme l’une des formations les plus talentueuses d’Europe. Il devient « Hoforchester » (Orchestre de la Cour) en 1762, son nom actuel remonte à 1918.
Rappelons aussi qu’on compte dans ses directeurs musicaux Hans von Bülow, Hermann Levi, Richard Strauss, Felix Mottl, Bruno Walter, Hans Knappertsbusch, Clemens Krauss, Georg Solti, Ferenc Fricsay, Rudolf Kempe, Joseph Keilberth, Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta, Kent Nagano, Kirill Petrenko…cela donne simplement le tournis.
Que l’orchestre soit l’un des orchestres de fosse les meilleurs aujourd’hui ne fait aucun doute, mais c’est aussi un orchestre symphonique de grande tradition. Et chaque saison, il donne six « Akademie Konzerte » (deux concerts par série en général, les lundi et mardi, rarement trois), où alternent le GMD (un à deux concerts), un ou deux jeunes chefs remarqués, et d’autres chefs expérimentés et/ou prestigieux.

Cette saison ouvrira par Vladimir Jurowski, futur GMD dès septembre 2021, puis le chef polonais Krzysztof Urbański, Zubin Mehta, Kirill Petrenko, Youri Simonov et le jeune franco-suisse Joseph Bastian. Avec des interêts programmatiques généralement forts dont une Neuvième de Mahler incroyablement attendue (dernier concert de Petrenko avec son orchestre) et une Septième de Bruckner par Mehta (avec en première partie les quatre derniers Lieder de Strauss avec rien moins qu’Anja Harteros.

1er Akademie Konzert
5, 6, 7 Oktober 2020

Dir: Vladimir Jurowski, soliste : Frank Peter Zimmermann
Anton Webern
Passacaglia en ré mineur op. 1
Alban Berg
Concerto pour violon À la mémoire d’un ange
Ludwig van Beethoven
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 55 Eroica
(avec retouches de Gustav Mahler)

2ème Akademie Konzert
7, 8 décembre 2020
Dir: Krzysztof Urbański

Dmitri Chostakovitch
Symphonie Nr. 5 en ré mineur op. 47


3ème Akademie Konzert
11, 12 janvier 2021
Dir: Zubin Mehta Soliste: Anja Harteros
Strauss: Vier letzte Lieder
Bruckner: Symphonie n°7 en mi majeur


4ème Akademie Konzert
20, 21 février 2021
Dir: Kirill Petrenko
Gustav Mahler
Symphonie n° 9 en ré majeur


5ème Akademie Konzert
26, 27 avril 2021
Dir: Youri Simonov  Soliste: Alexander Rozhdestvensky
Nikolai Rimsky-Korsakov
Sadko. Tableaux musicaux op. 5
Alexandre Glazounov
Concerto pour violon en la mineur op. 82
Modest Mussorgsky
Tableaux d’une exposition



6ème Akademie Konzert

24, 25 mai 2021
Dir: Joseph Bastian
Programme non communiqué

Ballet d’État de Bavière
(Bayerisches Staatsballett)

Introduction, par Jean-Marc

Avec un nombre de représentations en croissance, des effectifs stabilisés, une programmation à la coloration académique très marquée aménageant des ouvertures sur la création contemporaine, le Ballet de l’Opéra d’Etat de Bavière trouve des moyens renforcés et une ambition nouvelle, au moment où son directeur Igor Zelensky vient d’être renouvelé jusqu’en 2026. Voilà sur le papier une saison 2020-2021 placée sous d’affriolants auspices.

Le directorat d’Igor Zelensky a connu des débuts un peu chaotiques, marqués par des saisons peu construites et peu fournies, et une forte volatilité des effectifs. La lecture du programme calibré pour la saison 2020-2021 par le directeur, dont le mandat a été récemment renouvelé jusqu’en 2026, laisse transparaître une ambition nouvelle.
Les rangs de solistes et danseurs « principaux » semblent se stabiliser pour cette Compagnie qui compte une soixantaine de danseurs et une quinzaine de surnuméraires et la fidélité de stars invitées se confirme – Sergei Polunin est d’ores et déjà annoncé dans Giselle en ouverture de saison. À Natalia Osipova ou Vladimir Shklyarov sont désormais réservées des apparitions certes rares mais récurrentes et remarquables s’agissant de stars très jalousement occupées par leurs compagnies-mère.

Le ballet académique et la forme néo-classique se taillent une part impressionnante de la programmation et c’est un défilé vertigineux de grands ballets qui s’enchaînera à Munich tout au long de la saison. C’est ainsi que Giselle ou Casse-Noisette seront largement représentés (10 représentations chacun) ; Jewels, Le Lac des cygnes, Coppélia (version Roland Petit) ou Spartacus, déjà donnés cette saison, seront quant à eux repris dans une logique de répertoire. Parangon du ballet narratif, Roméo et Juliette sera par ailleurs de retour dans la magnifique version de John Cranko. Il semblerait ainsi bien que Zelensky affiche désormais clairement une volonté de montée en puissance sur le créneau caractéristique de la plupart des grandes compagnies historiques européennes, à l’exception, notable et navrante, de Paris.

La liste des « full-length » sera amplifiée par deux des « premières », au sens allemand du terme, de la saison : la désopilante Cinderella de Christopher Wheeldon, déjà au répertoire de l’English National Ballet, fera son entrée au répertoire de Munich, et on suivra avec intérêt la commande faite au jeune chorégraphe Andrey Kaydanovsky autour de la nouvelle de Pouchkine La Tempête de neige.

Au rayon moderne ou contemporain :

– une soirée « À jour » permettra à quatre jeunes chorégraphes (dont Calvin Richardson du Royal Ballet) de présenter leur travail, 
– une soirée « Aujourd’hui est demain » dont le contenu n’est pas fixé sera donnée dans le cadre du Festival de fin de saison,
– une soirée assemblant des créations de tous ceux après qui tout le monde court (Alexei Ratmansky – et ses Tableaux d’une exposition ! -, David Dawson et Sharon Eyal) complètera le tableau.

Sur le papier, une bien belle et riche saison donc, que les balletomanes suivront avec intérêt !

Nouvelles productions

Décembre 2020 – Janvier/Avril/Juillet 2021
Serguei Prokofiev, Cinderella,  Chorégraphie : Christopher Wheeldon, Dir : Gavin Sutherland, qui est le directeur musical de l’English National Ballet. Le décorateur de cette [JN1] production connue, mais pour la première fois à Munich est Julian Crouch, l’un des leaders du courant théâtral « Fringe », à qui on doit entre autres Jedermann et Dreigroschenoper et qui travaille souvent avec Sven Eric Bechtholf

Avril-mai-juin/Juillet 2021
Lorenz Dangel, Der Schneesturm (La Tempête de neige),
Chorégraphie : Andrey Kaydanovskiy, Dir : Gavin Sutherland.
Lorenz Dangel est un compositeur polymorphe, qui traverse les genres et est particulièrement ouvert à l’expérimentation, il travaille ici pour la première fois pour le Bayerisches Staatsballett. C’est comme chorégraphe résident que le jeune Andrey Kaydanovskiy, très lié au Ballet de l’Opéra d’Etat de Vienne comme danseur et chorégraphe (les chorégraphies du Concert du Nouvel An 2019 lui furent confiées entre autres), créera cette pièce.

Juin 2021

Heute ist Morgen (aujourd’hui c’est demain) (au Prinzregententheater) . Présentation par la compagnie munichoise des dernières tendances de la danse contemporaine et de la création. C’est un élément permanent de la politique menée par Igor Zelensky.

Répertoire

Septembre 2020 – Octobre 2020 (tournée au Teatro Real, Madrid)
Janvier 2021 
Adolphe Adam, Giselle,
Chorégraphie : Peter Wright, Dir : Valery Ovsynanikov / Robertas Šervenikas (Janvier 2021) avec en ouverture de saison Ksenia Ryzhkova (Giselle) et Serguei Polunin (Albrecht). La chorégraphie qui a ouvert le mandat d’Igor Zelensky a une quarantaine d’années (créée à Stuttgart sur l’impulsion de John Cranko) d’après la version que Marius Petipa tira du chef d’œuvre créé à l’Opéra de Paris. Grand classique universel.


Octobre 2020/Mars-avril-mai 2021

Leo Delibes-Coppelia, chorégraphie Roland Petit, Dir :Anton Grishanin.
Reprise de la chorégraphie fameuse de Roland Petit, entrée au répertoire du Ballet de Munich en octobre 2019
 

Octobre 2020/Février-Mai 2021
Ratmansky-Dawson-Eyal
Dir :Robertas Šervenikas/Tom Seligman (Octobre 2020)
Trois chorégraphies par Alexei Ratmansky (Tableaux d’une exposition de Modest Mussorgsky), David Dawson (Affairs of the heart de Marjan Mozetich ), Sharon Eyal (Bedroom Folk de Ori Lichtik) : une nouvelle production qui devrait être créée le 23 mai 2020, en ouverture de la Ballettfestwoche 2020 (La semaine du ballet 2020) coronavirus permettant, évidemment.

Novembre 2020
Jewels, chorégraphie Georges Balanchine,
Dir : Robert Reimer, musiques de Gabriel Fauré (Emeraudes), Igor Stravinsky (Rubis), P.I.Tchaikovski (Diamants). La trilogie de Balanchine célèbre dans le monde entier, est entrée au répertoire de Munich à l’automne 2018, dans les décors et costumes de la création.

Novembre-Décembre 2020/Janvier 2021
P.I.Tchaikowski, Casse-Noisette (Der Nussknacker),
Chorégraphie : John Neumeier Dir : Gavin Sutherland/ Robertas Šervenikas (Janvier 2021).
Le Casse-Noisette de Neumeier, qui remonte aux années 1970 avec le ballet de Hambourg est un des « must » du répertoire munichois, où on le joue depuis 1973. Présenté comme il se doit en période de Noël en même temps que Hänsel und Gretel, Die Zauberflöte et Die Fledermaus…

Janvier 2021
À jour – Zeitgenössische Choreographien (À jour, chorégraphies contemporaines)
– (Prinzregententheater). Un programme dédié à quatre chorégraphies de jeunes chorégraphes qui devraient être présentées en juillet 2020, de Charlotte Edmonds (UK), Philippe Kratz (Allemagne), Calvin Richardson (Australie), Yoshito Sakuraba (USA).

Février-mars-avril 2021
P.I.Tchaikowski, Le Lac des cygnes (Schwanensee)
Chorégraphie : Ray Barra d’après Marius Petipa et Lev Ivanov. Dir : Tom Seligman
Le grand classique du ballet, dans une adaptation chorégraphique de Ray Barra (qui remonte à 1994/1995) qui efface la magie au profit d’un certain prosaïsme et qui a tendance à bousculer la chorégraphie originelle de Petipa et Ivanov.

Mai-juin 2021/Juillet 2021
Prokofiev : Roméo et Juliette,
Chorégraphie John Cranko, Dir : Valery Ovsynanikov . Une chorégraphie marquante du chef d’œuvre de Prokofiev, celle de John Cranko, déparée de la délicieuse pompe soviétique de la version princeps de Lavrovsky, est au répertoire du Staatsballett depuis 1968, et donc, à ne pas manquer.


Mars-avril 2021
Aram Khatchaturian, Spartacus,
Chorégraphie de Youri Grigorovitch, Dir : Karen Durgaryan. Munich fut la seule compagnie d’Europe occidentale à monter le ballet mythique de Youri Grigorovitch, en 2016, un des spectacles emblématiques du Bolchoï depuis 1968, que le Wanderer eut le privilège de voir lors d’une des tournées du Bolchoï avec Vladimir Vassiliev et Ekaterina Maximova. C’est une des premières initiatives prises par Igor Zelensky à son arrivée comme directeur du Staatsballett de Munich.


BAYERISCHE STAATSOPER 2016-2017: LADY MACBETH DE MZENSK, de Dimitri CHOSTAKOVITCH le 4 DÉCEMBRE 2016 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Harry KUPFER)

Lady Macbeth de Mzensk ©Wilfried Hösl
Lady Macbeth de Mzensk ©Wilfried Hösl

On n’ira pas par quatre chemins : la discussion autour de cette production ne porte ni sur une distribution remarquable, ni sur une direction musicale de Kirill Petrenko hors normes, mais sur la mise en scène de Harry Kupfer. Octogénaire, le metteur en scène allemand continue de produire, à Francfort (Ivan Soussanine), à Berlin (Fidelio), à Salzbourg (Der Rosenkavalier) et maintenant à Munich, alors qu’on va revoir l’hiver prochain à Milan Die Meistersinger von Nürnberg dans sa production de Zurich.
L’opéra de Chostakovitch, qui a mis tant de temps à vraiment s’imposer sur les scènes, est l’objet depuis plusieurs années de productions qui ont impressionné et fait couler bien de l’encre, par exemple celle de Martin Kusej à Amsterdam et Paris, celle de Dimitri Tcherniakov à Düsseldorf, Londres et Lyon (la saison dernière), marquées par le Regietheater.
La production d’Harry Kupfer se situe ailleurs et pose autrement la question de cette femme, par une vision aporétique et indulgent de ce destin, qui doit beaucoup à la tragédie grecque : Kupfer fit jadis une Elektra frappante avec Abbado à Vienne, et cette Lady Macbeth est une tragédie de la solitude et de l’isolement, dans un espace clos, même lorsqu’il respire un peu du ciel des marines du peintre Gerhard Richter : le héros tragique est coincé entre des murs. Quel que soit le contexte, Katerina se heurte au mur invisible du destin, inscrit dans cette solitude initiale du lever de rideau, dans un arsenal, fabrique de bateaux abandonnée, au milieu de la rouille, du cambouis et de la saleté. L’élément marin, visible dans la dernière scène, mais déduit dès les premières, est cet espace infini mais interdit, cette nature au lointain qui finira par être l’échappatoire définitive, qui apparaît progressivement. D’abord limité à ce vaste hangar de verre et de métal, une sorte de gigantesque pavillon de Baltard sans horizon où chacun vit comme il peut sa vie, à la fois clos et pourri, puis au deuxième acte légèrement ouvert (c’est le moment du mariage) où l’on se prend à croire en une possible fuite, enfin complètement ouvert dans la vision paradoxale d’un espace marin immense et libre, mais fait de prisonniers enchainés au premier plan : le possible de cet espace, la seule liberté, c’est la mort qu’on donne ou qu’on se donne.
Harry Kupfer raconte son histoire à travers l’évolution du décor de Hans Schavernoch avec le même langage qui racontait Vienne dans Rosenkavalier, ou la fin de la musique dans Fidelio. C’est à dire la présence écrasante d’un univers qu’on croit réaliste, mais totalement abstrait qui inscrit l’action dans le symbolique et la distanciation. Le décor, image de la vie de Katerina qui l’écœure et la détruit, écrase et créé une correspondance (au sens baudelairien du mot) avec le plateau, et même la fosse.

Sans percevoir l’articulation structurelle entre décor, jeu et musique, on ne peut comprendre la vraie nature de ce travail qui est un chef d’œuvre de l’artisanat du metteur en scène, ou rien n’est laissé au hasard, mouvement, objets, gestes.
Certains y ont vu de manière erronée un travail du passé, à l’esthétique et la gestuelle un peu dépassée : c’est au contraire une déclaration affirmée, une volonté affichée du vieux maître de refuser les facilités du théâtre d’aujourd’hui, ou sa doxa, l’explicite de la violence ou du sexe, ou l’explicitation du contexte pour affirmer un théâtre qui au milieu de ce bric à brac métallique et pourri, reste une épure, avec un minimum de gestes signifiants, dans un espace plus symbolique que réaliste : à ce titre et pour des motifs très différents, la Katerina de Tcherniakov et celle de Kupfer si différentes vivent dans un espace clos, dans une niche séparée du monde et en même temps sous les yeux de tous. C’était l’espace rouge passion chez Tcherniakov, au centre de l’entreprise très clean de Zinovy et Boris. C’est chez Kupfer un espace de bois que der Schäbige (le balourd miteux) en appuyant sur un bouton soulève et abaisse autant que de besoin, un espace minimaliste où le lit est un cageot et où Katerina vit dans une pourriture métaphorique de sa situation. Ce théâtre n’a rien de dépassé, c’est tout au contraire un théâtre sur lequel le temps n’a aucune prise, un théâtre de la concentration et de l’abstraction, presque une œuvre pour toujours, la Κτῆμα ἐς ἀεί chère à Thucydide : Kupfer inscrit cette histoire dans une parabole, celle du destin éternel des perdants, dans l’histoire continue des victimes. La Katerina de Kupfer est une victime qui inspire la compassion.

Dès le lever le rideau. Katerina, seule au milieu des ruines de cet arsenal abandonné, est l’image de l’enfermement définitif et de l’impossibilité. Tout est déjà dit. Et nul besoin de l’espace vide pour marquer l’abstraction, il suffit de ce lieu qui n’en est pas un, de cet arsenal sans bateaux, de cette cabane qui n’est pas une maison, de cette passerelle au-dessus de la scène de mariage qui ne mène qu’au vide, de ce réel irréel qui n’est qu’une forêt de symboles.

C’est à un théâtre distancié que nous avons affaire, où tous les mécanismes sont visibles, à commencer par cette manière dont le décor de la cabane de Katerina se soulève sous l’action de celui-même qui plus tard découvrira le cadavre de Zinovy, une sorte d’ instrument du destin. Dans cette tragédie de la solitude, chacun est à sa place dans la mécanique tragique.

img_0420Autre magnifique vision, celle de cette noce qui fait tant penser à la Noce chez les petits bourgeois de Brecht, avec cet arrêt sur image qui laisse en dessous se développer la désopilante scène des policiers, assis sur des chaises de bureau à roulettes, dans une sorte de valse creuse née de l’oisiveté des petits employés, inoccupés, vision administrative d’apparatchiks plus que de policiers qui renvoie l’espace d’un instant au monde stalinien de Chostakovitch qui pourrait être aussi celui de la DDR de Kupfer. Vision à la fois sarcastique et inquiétante, qui elle aussi est une fabrique de mécanique tragique dont le lubrifiant est encore le balourd miteux, der Schäbige. Seul moment où le contexte politique s’introduit furtivement mais qui indique aussi clairement aussi que le grain de sable déclencheur du drame, s’appelle ici l’ennui. L’ennui des policiers comme l’ennui de Katerina, cause unique de la tragédie.
Les gestes, les mouvements, les actions même sont réduites et rapides, sans insister sur la violence, sans scorie, dans une sorte de rigueur qui ne laisse passer que le strict nécessaire, laissant à la musique le soin de l’éclairage et des explications : il suffit de lire le texte d’Harry Kupfer dans le programme de salle pour comprendre son extrême attention à la musique, à ses contrastes,  à sa diversité, et à sa manière de représenter le monde multiple et contradictoire qui entoure Katerina.

Le dernier acte est mis en scène à l’opposé du travail de Tcherniakov, qui dissimulait à la vue tout le contexte pour se concentrer sur l’étroit espace d’une cellule où tous les personnages finissaient par se détruire, dont le chœur (invisible) commentait l’action.
La vision de Kupfer est ici plus explicite, avec le cortège des prisonniers dont le chœur fait tant penser à celui de vieux croyants de Khovantchina, eux aussi promis à la mort, avec le côté de Katerina (cour) et celui de Sonjetka (jardin) si cruelle et si juste de Anna Lapkovskaja, dans une géométrie où elles finiront par se rejoindre au centre, sur ce ponton qui est presque un échafaud où toutes deux disparaîtront, pendant que Serguei va se fondre dans la foule, comme envolé dans son inexistence, laissant les femmes à leurs drames et à leur fin. On reste dans une sorte d’abstraction désespérée, de tableau de genre qui porte en lui-même sa fin, avec cette étendue marine au calme prémonitoire, ciel entaché de nuages (une marine de Gerhard Richter), comme si Katerina engloutie par les eaux rendait au jour qu’elle souillait toute  sa  pureté. Qu’est-ce que cette mort, sinon un épisode parmi d’autres du long voyage vers l’enfer sibérien. Un non-événement dont sont victimes celles qui ont voulu simplement essayer d’exister sans qu’on le leur permette et qui disparaissent dans l’eau sans laisser de traces. Kupfer nous raconte une histoire inutile qui n’a même pas accès à un mythe quelconque, l’histoire d’une non-existence. La longue histoire d’une chute annoncée, dès le début, une parabole ouverte dans l’espace clos d’un arsenal et close dans l’espace ouvert d’un rivage infini qui se referme.

Ce qui frappe dans ce travail, c’est sa linéarité, son refus de l’effet, son implacable mécanique qui conduit à l’instant fatal, où Katerina a voulu reconquérir son destin, a voulu le disputer à une fatalité inscrite dans le décor et dans chaque moment de l’action, en allant jusqu’au bout de sa logique, de son amour et de sa vie.

Voilà une production où une fois de plus la relation entre le chef et le metteur en scène est aveuglante, chacun se chargeant d’une partie de la tâche : rien de plus erroné que de croire que nous sommes face à un travail qui tiendrait seulement par le chef. Petrenko regarde toujours ce qui se passe sur scène pour proposer une ligne de direction musicale et son travail est ici un long lamento dramatique de l’impossible issue. Il fait ressortir de la musique non seulement les moindres détails, l’auditeur familier de son style en a l’habitude, mais d’abord tout le lyrisme et toute la tendresse : il montre dans cette musique tout ce que la tendresse mahlérienne a pu enseigner à Chostakovitch. Cette direction est en effet une sorte d’hommage à cette musique très référencée, qui puise dans les sources diverses, à commencer par Moussorgski, mais aussi l’univers viennois le plus léger, et bien sûr Mahler, à la fois immensément tendre et terriblement sarcastique voire grotesque, le Mahler d’une Neuvième qui serait projetée sur scène, mais aussi quelquefois un univers à la Wozzeck, un univers de la lente désespérance d’une marche au supplice.

Cette retenue, cette volonté d’inscrire en sourdine tout ce qui est soif de tendresse, à l’opposé de l’expressionisme cru, voire exacerbé qu’on retient la plupart du temps de l’œuvre en fait presque une vision romantique, au sens propre du terme, comme l’ont défini les théoriciens du romantisme au XIXème , par ses contrastes violents et son infini raffinement. C’est un immense travail sur la complexité, sur le refus d’un sens univoque, sur le multiple visage de la vie et sur les replis de l’âme humaine.

Deux exemples :

  • la disposition théâtrale des cuivres – tuba wagnérien et autres – dans les loges d’avant-scène, à la fois instruments et spectateurs, à la fois musiciens et personnages, qui répondent en écho au bal muet d’un orchestre de mimes, surgissant en arrière scène comme signe de chaque manifestation sexuelle ou de chaque moment de violence, signe de paroxysme musical pour paroxysme de sentiment, de désir, de volonté destructrice.
  • Les funérailles de Boris, magnifiquement réglées en marche funèbre clairement inspirée de la marche funèbre de Siegfried, scéniquement et musicalement, dans un rapport évidemment inversé, Boris n’ayant rien du héros wagnérien, et donc la vision d’une marche funèbre d’un anti-héros qui aimait trop les champignons, sarcastique mais non dépourvue aussi d’une certaine grandeur.

 

Ainsi la musique devient-elle-même mise en scène : extraordinaire Bayerische Staatsorchester qui rutile et murmure, qui s’alanguit et s’énerve, qui se dresse et s’étouffe car Kirill Petrenko et Harry Kupfer parlent ici exactement le même langage :  Kupfer travaille une chorégraphie des gestes et mouvements là où Petrenko accompagne par une chorégraphie des sons. On est dans un rapport à la scène voisin de celui des Soldaten de Kriegenburg, autre histoire de déchéance, où il y a une union très étroite sans jamais aucune redondance, un unisson visuel et sonore qui exclut toute complémentarité, comme si à ce qu’on voyait correspondait l’évidence de ce qu’on entendait, comme si ce qu’on entendait trouvait immédiatement sa vision scénique (et non sa traduction). On n’est pas loin non plus de la manière dont Lulu vu l’an dernier sur cette scène était mis en musique et en même temps aussi mis en théâtre. L’évidence scénique en écho ou en osmose avec une évidence musicale.

À chaque fois, Kirill Petrenko nous stupéfie, son génie du détail, son art d’être partout en même temps, par la multiplicité et la précision des gestes, par la profondeur des niveaux de lecture, construction en abyme où l’on découvre à chaque fois une autre phrase, un autre moment, d’autres phrases que jamais aucun enregistrement, aucun chef ne nous avaient révélées, une sorte de tunnel infini de sons et de phrases, une succession de moments découverts qui accentuent encore le foisonnement et la complexité de l’œuvre. Là où Kupfer étudie chaque geste avec une précision chirurgicale, Petrenko répond par un travail qui semble infini sur chaque note : l’un est métaphore de l’autre. Un travail étourdissant.

Munis de ces viatiques à vrai dire monumentaux, les chanteurs constituent une compagnie d’une rare cohérence, d’un vrai caractère, impossible à comparer ou presque à d’autres optionsCe qui caractérise la troupe, les membres du studio et les plateaux des grandes représentations de la Bayerische Staatsoper, c’est d’abord une homogénéité due non pas au niveau individuel des chanteurs, mais à un engagement partagé, chacun avec ses moyens et chacun à sa place : ce qu’on appelle souvent un esprit de troupe qui court tout le plateau et la fosse.

Le chœur, magnifiquement préparé dirigé par Sören Eckhoff, d’une présence très forte est particulièrement touchant au dernier acte qui le met sans doute le plus en relief. Et les solistes sont tous très engagés. Bien sûr la contribution de la troupe est particulièrement notable et il faut citer tous les petits rôles : c’est souvent eux qui donnent à la représentation son niveau d’excellence : Christian Rieger, Sean Michael Plumb, Milan Siljanov, Kristof Klorek, Dean Power, Peter Lobert, Igor Tsarkov, Selene Zanetti sont tous à leur place et contribuent à l’impression d’ensemble ; il n’y a aucun point faible, dans un opéra où tant de personnages évoluent et interviennent. Nous avons signalé plus haut la Sonjetka de Anna Lapkovskaia, rôle réduit, mais interprétation incisive, très expressive, avec une voix très bien posée et projetée et des graves vraiment somptueux. Alexander Tsymbalyuk, à la fois truculent policier en chef, avec sa belle voix de basse jeune et colorée, mais aussi Alter Zwangsarbeiter à qui échoient la dernière réplique de l’opéra, intériorisée, et qui clôt l’œuvre isolé sur le plateau. Tsymbalyuk qui chante aussi à Munich bien d’autres rôles dont Boris Godunov, montre ici une belle personnalité scénique et vocale. Même composition marquante pour le Pope de Goran Jurić, plein de relief, qui obtient un vrai succès personnel. C’est le type même de rôle non essentiel, mais dont la faiblesse gâcherait la fête, alors que la figure un peu grotesque du pope alcoolique (un topos dans le monde orthodoxe) participe de cette ambiance très diverse et très pittoresque du plateau, si nécessaire à l’histoire, qui se déroule sous les yeux du groupe. Très réussie l’Axinja d’Heike Grötzinger, première victime d’un Serguei entrant en scène en s‘attaquant à la plus faible et qui va passer de l’employée à la maîtresse. Enfin, der Schäbige le balourd miteux de Kevin Conners est comme le pope, une figure presque abstraite dans cette mise en scène, présent depuis le début et actionnant le mécanisme qui fait monter et descendre l’espace de Katerina : autre figure d’ivrogne, il est l’instrument du destin qui va décider des événements : découvrant le cadavre de Zinovy en cherchant quelque bouteille à la cave, puis allant dénoncer la chose à la police : il est l’élément déclencheur, ce petit clin d’œil du destin, le fameux grain de sable qui casse la mécanique huilée qui devait inscrire un tout autre avenir au couple Katarina/Serguei. Kevin Conners est vraiment ce ténor de caractère lui aussi très présent et très juste. Toute la troupe ou presque est donc mobilisée au service de cette œuvre pour entourer les quatre protagonistes du drame.

Anja Kampe (Katerina) Misha Didyk (Sergueï) Zinovy (Sergueï Skorokhodov) ©Wilfried Hösl
Anja Kampe (Katerina) Misha Didyk (Sergueï) Zinovy (Sergueï Skorokhodov) ©Wilfried Hösl

Serguei Skorokhodov, membre de la troupe du Marinski, est Zinovy : rôle ingrat,  court et qui doit pourtant être suffisamment présent pour aider à comprendre l’héroïne : c’est le patron sur qui pèse le destin des travailleurs, c’est le mari probablement impuissant, c’est un moteur d’ennui : son départ va déclencher le drame.
On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous, Seigneur. Loin de moi l’idée de rapprocher les rôles de Katerina et de Phèdre, mais plutôt d’évoquer une dramaturgie qui rapproche les deux œuvres, un exemple de mécanique tragique : le départ initial est un ressort tragique parce qu’il libère les paroles et les actes des personnages et de ce point de vue le schéma absence – libération des personnages restant – retour du maître est un schéma dramaturgique typique de tragédie. Ce départ est mis en scène de manière impitoyable et par Chostakovitch et par Kupfer : il s’agit à la fois d’affirmer la soumission de la femme au mari, le soupçon inhérent à la femme restée seule, le risque de bafouer les valeurs sanctionnées par la religion (présente par le pope, qui même alcoolique, n’en est pas moins pope) le tout orchestré par le père, Boris, dont la seule fonction est semble-t-il de surveiller une bru qu’il déteste (sauf, c’est dommage pour lui, quand elle lui cuisine des champignons), avec le décalage que constitue la soumission à Zinovy, un être inodore et sans saveur, que personnifie assez bien y compris dans la voix, Sergey Skorokhodov.
On ne peut éviter de penser non plus aux Atrides et à Agamemnon, à peine revenu de la guerre, à peine assassiné : Zinovy, Serguei et Katerina recomposent en version russe le trio infernal des Atrides : Agamemnon, Electre, Egisthe. Difficile d’échapper à cet autre schéma en version médiocrité : Zinovy n’est pas un héros, Katerina une victime, et Sergueï une bête à sexe arriviste.

Ainsi, le schéma dramaturgique de l’opéra aide à comprendre l’idée première qui m’a frappé d’une Lady Macbeth vue par Harry Kupfer en version tragédie grecque, qui fouille dans les conséquences de l’isolement et de l’ennui ; et qui pose, comme dans Phèdre, la question de l’innocence et de la culpabilité.

Boris (Anatoli Kotscherga) ©Wilfried Hösl
Boris (Anatoli Kotscherga) ©Wilfried Hösl

Second élément perturbateur de l’histoire et premier dans l’ordre des meurtres, le père, Boris, magistralement interprété par le vétéran Anatoli Kotscherga. Claudiquant et marchant en rythme avec le texte et la musique, avec une voix un peu opaque qui a perdu sans doute quelque chose de sa profondeur ou de sa projection mais tellement expressive : il mastique le texte d’une manière très théâtrale, avec des accents qui donnent à son débit à la fois quelque chose de terriblement froid et en même temps une imperceptible sensation d’impuissance : hors-jeu, réduit à surveiller la nuit la maison et sans doute sa bru, il n’a plus la main, sinon chercher la faille qui lui permettra de montrer à son fils ce que « vaut » sa femme. C’est une composition d’une très grande tenue, d’une très grande intelligence, qui sait jouer de ses problèmes vocaux : comme tous les très grands, Kotscherga sait adapter couleur et interprétation à son état vocal et sait faire plier les exigences du rôle à sa voix : il joue avec ses faiblesses et elles sont d’une force incroyable. Il n’apparaît qu’au premier et second acte mais il a une telle présence qu’on se souviendra longtemps de sa manière de descendre l’escalier étroit qui conduit au plateau, ou d’errer de manière fantomatique autour de la « cabane » de Katerina.
La mise en scène du rôle de Sergueï n’en fait pas la bête sûre d’elle et dominatrice qu’on a pu voir dans d’autres mises en scène (Tcherniakov par exemple) : le personnage a même quelque chose d’ordinaire, quelque peu négligé, mais sans la vulgarité qu’on lui prête quelquefois. Il est presque plus à l’aise dans la seconde partie, dans le rôle du marié déjà patron et propriétaire, manière pour Kupfer d’en faire un arriviste qui sait mimer les habitudes des patrons qu’il a dû tant observer. La voix au timbre clair, bien projetée, s’affirme sans effort mais sans s’imposer. Comme s’il n’était pas exactement ce que Katerina projette en lui. Comme si elle l’habillait d’une nature qu’il n’avait pas vraiment. La composition est intéressante car il ne surjoue jamais et ne paraît pas si antipathique, ce qui donne d’ailleurs à son quatrième acte une cruauté sans nom, dans sa manière de traiter et de rouler Katerina.

Anja Kampe enfin, dans une incroyable création. Pour sa première approche du rôle redoutable, elle ne respire pas la sensualité et elle ne joue pas de son corps comme une Ausrine Stundyte. Elle ne joue pas non plus de sa puissance vocale à la manière d’une Eva Maria Westbroek. Elle est au contraire entièrement concentrée dans sa manière de dire le texte et dans l’expression, avec un soin donné à la couleur, des audaces incroyables dans sa manière d’attaquer certaines notes, avec distance quelquefois et à d’autres une bestialité rare. C’est une vraie performance qui fait voir une incroyable puissance d’interprétation, entre Kundry, Lulu et Electre, monstrueuse et pitoyable. La puissance de certaines notes est inouïe, mais presque décuplée par la manière de dire, par les accents, par le lyrisme : la puissance n’est jamais gratuite, elle est toujours au service exclusif de l’expressivité, changeant de registre par un jeu de modulations et des passages négociés de manière stupéfiante : c’est une prodigieuse incarnation, parce qu’elle utilise toute sa voix – qui est sans doute moins volumineuse que celle d’autres interprètes du rôle, au service du personnage et de son évolution psychologique. Avec sa mémorable Sieglinde de Bayreuth, sa Katerina est sans doute le rôle où elle montre la variété de tons et de styles la plus manifeste. Dans le contexte, avec un Petrenko en fosse toujours attentif à ne jamais couvrir, et à accompagner le chanteur comme un pianiste en récital, toujours pointilleux sur le texte à dire et une mise en scène elle aussi tirée au cordeau, millimétrée dans le geste et réglant chaque mouvement de manière artisanale: Kampe est simplement écrasante.

La série de représentations a été un triomphe total de public, on en sort violemment bousculé. Il y a une session de rattrapage brève (une représentation) en juillet 2017. Vous feriez bien de ne pas la rater.[wpsr_facebook]

PS: Vous pouvez aussi lire la critique de David Verdier dans Wanderer

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Acte IV, le ponton ©Wilfried Hösl

BAYREUTHER FESTSPIELE 2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE WALKÜRE le 28 JUILLET 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; ms en scène: Frank CASTORF)

L'infinie tendresse Anja Kampe et Johan Botha ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
L’infinie tendresse: Anja Kampe et Johan Botha ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Transcendante, telle fut cette Walküre.

Je renvoie le lecteur patient aux comptes rendus de l’an dernier qui reprennent la mise en scène de manière assez détaillée.
Après un Rheingold ébouriffant et ébouriffé, cette mise en scène de Walküre paraît bien épurée et apparemment bien sage, car les points essentiels du livret s’y déroulent (presque) selon les habitudes. Alors qu’il avait peut-être du mal à suivre les tribulations de Rheingold, le spectateur s’y retrouvera parfaitement.
Si les épisodes des trois actes sont clairement identifiables, le contexte varie singulièrement d’un acte à l’autre, alors que le même décor fait apparemment cadre : un puits de pétrole version XIXème siècle en Azerbaïdjan, près de Bakou où furent installés les premiers puits et dont Castorf fait le centre référentiel de son histoire d’Or noir. Le décor, monumental, installé comme pour Rheingold sur une tournette reproduit fidèlement des photos d’époque.

Hunding (Kwangchul Youn) et le cadavre (Patric Seibert) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Hunding (Kwangchul Youn) et le cadavre (Patric Seibert) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Mais la fixité du décor n’est qu’apparente : d’un acte à l’autre, tout bouge. Si le récit qui fait vivre les personnages reste reconnaissable, le cadre historique avance, nous sommes au premier acte au milieu du XIXème siècle, dans le premier puits artisanal construit, un peu rustique, un puits-ferme, deux dindons dans une cage, des bottes de foin,  dans un monde encore marqué par l’agriculture, mais aussi monde de violence: Hunding se définit par le sang : il entre en scène avec une tête fichée sur la pointe de sa lance (un détail qui n’existait pas l’an dernier) sur laquelle il va poser délicatement son chapeau haut-de-forme et au premier plan sur une carriole, un cadavre sanguinolent (l’inévitable Patric Seibert, le barman soufre-douleur de Rheingold). Visiblement on ne s’amuse pas chez les Hunding. Comme dans Rheingold, mais moins systématique, un jeu entre vidéo (dans un style de film en noir et blanc) et théâtre : on voit ainsi Sieglinde verser le somnifère dans la boisson de Hunding, et le conduire au lit, on le voit d’ailleurs tomber dans un profond sommeil, avec un jeu aussi sur l’épée (qu’on ne voit pratiquement qu’à l’écran) en premier plan, fichée dans le sol sur la terrasse des Hunding , mais que Siegmund arrachera fichée dans le grand hangar ouvert par Sieglinde à la fin de l’Acte I. Là aussi il n’y a pas de cohérence apparente: en réalité, temps des héros et temps de l’histoire ne vont pas au même pas : l’Histoire va plus vite que le récit des héros. Les objets changent de place simplement parce que le temps change. C’est un élément essentiel à intégrer si l’on veut bien comprendre la logique de l’approche de Frank Castorf, qui inscrit l’histoire du Ring, la petite histoire du Ring dans la grande Histoire de l’Or Noir.

Acte II, Brünnhilde (Catherine Foster) Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Acte II, Brünnhilde (Catherine Foster) Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Avec l’acte II, nous avons bien avancé dans le temps historique : Wotan et Fricka sont un couple riche, Wotan en habit traditionnel de riche propriétaire,  Fricka en princesse azerbaïdjanaise portée par des esclaves; le hangar de l’acte I désormais ouvert, laisse voir des petites machines servant à mécaniser l’extraction par laquelle Wotan s’est probablement enrichi. Wotan conformément à la tradition, se distrait auprès de filles faciles (dont l’une se gave de gâteaux) et a déjà téléphoné (un téléphone à manivelle) depuis l’acte I la bonne nouvelle de la fuite des amants et de l’arrachage de l’épée. Même si elle est apparemment fantaisiste, cette vision est cohérente avec l’histoire et les caractères. Brünnhilde arrive et, en écoutant le récit de Wotan dans une scène d’une fixité saisissante prépare des caisses de nitroglycérine : ce sont les premières révoltes des exploités qu’on voit en arrière fond et Wotan pourrait bien en être le moteur. Les têtes pensantes des révolutions ne sont jamais des prolétaires, et Wotan le riche propriétaire lit…la Правда.
J’ai déjà l’an dernier tenté d’expliquer avec autant de précision que possible les espaces et les évolutions de ce décor, je voudrais ici m’attacher à éclairer la logique du propos:  Castorf relie Wotan à l’époque des idéologies, à la naissance de l’Etat soviétique, un Wotan à la fois des révolutions et des utopies, mais un Wotan qui fait feu de tout bois et  ignore la tendresse : il sacrifie Siegmund et tue Hunding, et part à la poursuite de Brünnhilde sans un instant s’arrêter sur ce fils qu’il avait créé pour conquérir le monde, et Siegmund reste seul, le regard fixe, dans une mise en espace de la scène finale de l’acte II un peu modifiée et clarifiée par rapport à l’an dernier.

Un des éléments frappants et permanents de ce Ring est l’absence totale d’amour et de tendresse. Seuls Siegmund et Sieglinde s’efforcent de vivre leur amour, avec le résultat que l’on sait, mais ni Wotan, ni les autres, ni surtout Siegfried (on va le voir très vite) ne sont porteurs d’un peu d’amour. Frank Castorf refuse la possibilité de l’amour dans cette histoire de la perversion humaine par la soif de l’or. Or dans cette Walkyrie, comme je l’ai écrit déjà l’an dernier, l’espoir est encore possible : Dans le parcours proposé, cette Walküre semble plus traditionnelle et donc mieux acceptée par le public que Siegfried. Walküre est encore d’une certaine manière le temps des illusions et des possibles, le temps où l’ivresse musicale wagnérienne enveloppe l’espoir né des deux jumeaux Siegmund et Sieglinde. Nul n’est besoin de distance, il faut au contraire épouser l’histoire pour mieux ensuite s’en éloigner. Il faut commencer par raconter simplement une histoire avant d’en décortiquer les données où d’en indiquer les dangers. Le couple Siegmund/Sieglinde est immédiat, dans sa rencontre, dans ses décisions, dans son amour explosif, et il a été programmé ainsi par Wotan. Le couple Siegfried/Brünnhilde est un couple encore plus programmé, éduqué pour se rencontrer et manipulé, mais cet amour est déjà perverti, traversé par les aventures du monde pétrolo-dépendant.

Ce vaste propos, propose un sens délétère au Ring, où derrière la belle histoire mythologique, derrière les rédemptions par l’amour, se cache la ruine.

Le troisième acte de cette Walkyrie est donc déjà entré dans l’ère de l’exploitation industrielle du pétrole, les puits sont mécanisés et la scène se passe autour d’un puits de type pumpjack (« chevalet de pompage ») à l’époque soviétique, une étoile rouge trône d’ailleurs sur le puits. Castorf en arrive à ce moment à Bakou 1942, au moment de l’opération Fall Blau (qui devait s’appeler initialement opération Siegfried – il n’y a pas de hasard) et au moment où les soviétiques sabotèrent les puits du Caucase dont la conquête était le but des allemands. Une explication claire de toute l’histoire de Bakou est consultable sur le site Le Caucase.com.

À la fin de la Walkyrie, nous sommes à un moment de basculement, d’un côté Wotan a programmé l’union future de Brünnhilde et Siegfried, de l’autre le sabotage des puits de Bakou et Stalingrad annoncent définitivement le recul puis la défaite des allemands en Europe. Ainsi, Siegfried se passera-t-il après guerre, à l’ombre des idéologies triomphantes, et surtout des dictateurs: Marx, Lénine, Staline, Mao.

La chevauchée des Walkyries ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
La chevauchée des Walkyries ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Si la mise en scène n’a bougé que sur quelques détails, on continue d’en admirer le réglage, par exemple dans la chevauchée des Walkyries, au début de l’acte III, où les Walkyries arrivent vêtues de tous les costumes possibles venues des régions d’Union Soviétique, et sans que le spectateur n’y prenne garde, se débarrassent de leurs oripeaux initiaux pour devenir des sortes de meneuses de la revue « wotanienne », en costumes plus clinquants ; elles arpentent de manière continue le décor, où les « héros » morts jonchent le sol: dans cette mise en scène, les « héros » sont des anarchistes en révolte contre la dictature stalinienne (qui avaient profité de la guerre pour se soulever). Et les Walkyries ne sont jamais ce groupe compact qu’on voit dans la plupart des mises en scènes, elles discutent, elles échangent, elles boivent, en bref, elle vivent. La scène est extraordinairement variée, réglée à la perfection, où même Brünnhilde rejoint ses sœurs en arborant un casque à crinière d’argent improbable et un manteau de fourrure outrageusement voyant et où seule Sieglinde reste aussi modestement vêtue qu’au départ.
La mise en scène de Walküre reste pour le public plus acceptable et plus familière, malgré les signes posés par le regard de Castorf, dont les graffitis en langue azéri ou en russe (on reconnaît le mot azéri neft, ou russe нефти qui désigne le pétrole) ou les allusions au 20 septembre (assassinat des 26 commissaires du peuple de Bakou) dont on attribue la responsabilité aux anglais en 1918, lorsque la région était violemment disputée entre turcs, soviétiques, anglais. Bakou, la Paris du Caucase est le centre des préoccupations de Castorf, tant le pétrole en a construit l’histoire.

Ce soir, pourtant, prima la musica: il y avait sur le plateau un air de miracle, tant la distribution a été exemplaire à tous niveaux. Dans ce premier acte au rythme plutôt lent, au lyrisme contenu (qui a fait dire à certains qu’il était mortellement ennuyeux), c’est d’abord la tension qui domine, la tension de la rencontre entre Siegmund et Sieglinde, la tension de la présence de Hunding et la violence rentrée qui en découle. Il en résulte de longs silences, des regards pesants, il en résulte une musique qui ne triomphe pas, quelquefois presque timide, mais toujours étonnamment fluide, il en résulte aussi une rencontre entre Siegmund et Sieglinde d’une infinie tendresse. Le Hunding de Kwangchul Youn est comme toujours tendu, froid, sans être démonstratif dans la violence, sinon quelques gestes sans équivoque envers Sieglinde, la voix est profonde, sonore, sans failles et toujours égale. Anja Kampe, dans Sieglinde, après un début un peu hésitant reprend ses marques et la voix gagne en assurance et en intensité, avec des inflexions bouleversantes. Le jeu est magnifique, de petits gestes gauches, des pas mesurés, des regards insistants ou effrayés, voire (à l’écran) haineux et duplices lorsqu’ils visent Hunding, tout cela montre la richesse et la diversité de l’interprétation.
Petrenko n’a pas à sa disposition des voix immenses, il adapte le volume de l’orchestre, pour faire de cet acte une rencontre timide qui va aller crescendo, mais un crescendo plus d’intensité que de volume. C’est dans les inflexions, dans la couleur, de la manière de dire que les choses se passent. Johan Botha est à ce titre exemplaire : on n’a jamais l’impression qu’il force la voix tant le débit est fluide, sans excès, naturel et tellement émouvant. Y compris dans les « Wälse » tenus mais jamais forcés, jamais poussés pour démontrer comme il tient les aigus. Ainsi on a un chant éminemment lyrique et éminemment élégiaque, où les voix prennent chacune l’initiative sans chercher à surjouer, avec une ligne impeccable, sans accrocs, sans violence aucune, mais avec une vie d’une urgence folle malgré tout. Il y a derrière cela un choix résolument contrôlé, un orchestre non pas chambriste, mais retenu, où tout, littéralement tout, est audible, avec une chaleur, une épaisseur et une cohérence stupéfiantes. Les tutti sont charnus sans jamais être débordants, les moments les plus fins sont tenus sur un fil de son. C’est totalement miraculeux et complètement inattendu, car l’harmonie avec le plateau est totale. Les chanteurs sont soutenus, le rythme est scandé, et ainsi le spectateur est porté presque naturellement vers le climax final.
Il n’y a pas, comme dans Rheingold, de primat à la conversation ; ici le primat est à la mélodie, à la ligne, au continuum. Il est servi par des chanteurs d’un exceptionnel engagement. Même Botha, dont les qualités d’acteur sont encore à démontrer, avec quelques mouvements bien réglés réussit à faire illusion : on constate le vrai travail de mise en scène qui fait que Botha n’a jamais l’air emprunté ou mal à l’aise, comme on a pu le voir dans d’autres mises en scène: il a l’air naturel, il ne fait pas maladroit, même avec un jeu minimaliste et en tous cas dans une distribution où la plupart ont un jeu de grande qualité et engagé, à commencer par sa partenaire, une Anja Kampe dédiée. Anja Kampe chante certes toujours aux limites, mais elle a un tel engagement qu’il semble lui donner une force surhumaine.

Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Ses répliques finales et sa danse avec Nothung sont un des moments les plus hallucinants qu’il m’ait été donnés de voir, au son d’une musique de plus en plus étourdissante, au rythme infernal: après avoir été si retenue, si contenue pendant l’acte, l’explosion prend son sens.
Le deuxième acte commence avec l’éclat de l’histoire qui se noue et que Wotan a accueillie avec une grande joie:  d’emblée, on entend Catherine Foster dans les Hojotoho initiaux bien plus homogène que l’année précédente. Il en sera ainsi pendant tout l’opéra. Il semble qu’elle ait trouvé elle aussi le ton juste et surtout que la voix se soit déployée; en tous cas elle n’a plus ces blancs ou ces opacités dans les graves pour ménager des aigus triomphants et larges.
Wolfgang Koch n’est pas un chanteur épique, mais réussit aussi à faire sonner sa voix d’une manière remarquable, et l’orchestre est à son sommet.
Dès l’arrivée de Fricka, puisque les désillusions vont commencer, la musique s’atténue et se tend. L’entrée de Fricka (Claudia Mahnke) dans les bras d’un esclave qui a mal au dos est à la fois significative et sarcastique, et pendant le dialogue avec Wotan, on voit en arrière plan s’agiter des ouvriers ; Wotan (qui lit ostensiblement la Правда) pendant que Fricka lui détaille ses devoirs et ses exigences reste assis sur son fauteuil, immobile comme d’ailleurs il le sera pendant toute la scène suivante. La Fricka de Claudia Mahnke n’a pas l’aura d’autres chanteuses, plus agressives ou plus présentes comme Elisabeth Kulman par exemple. Son chant est bien contrôlé, mais reste assez linéaire et banal : c’est une Fricka qui convient mieux à Rheingold qu’à Walküre, où elle a une seule scène à faire qui est déterminante pour l’action et qui doit marquer par le chant, mais la scène est bien menée.
En revanche, la scène  du long récit de Wotan à Brünnhilde est un sommet de la soirée. C’est souvent un des grands moments de l’opéra, très travaillé par les metteurs en scène, depuis Chéreau et son fameux jeu de Wotan au miroir, avec ce pendule obsessionnel qui marquait le cours des temps et qui s’arrêtait sur « Das Ende ! ». Ici Castorf choisit de faire bouger Brünnhilde et de laisser Wotan assis, d’une immobilité qui crée tension et concentration. La fonction de ce récit, qui donne la clef de l’histoire à partir du passé de Rheingold, et du futur annoncé, crée en même temps l’image que Castorf veut donner de Wotan à ce moment là et seulement à ce moment là, presque celle d’un Pimen qui raconte la chronique des temps troublés, ou celle d’un Tolstoï (il en a la barbe) qui raconte la Guerre et la Paix. Il est donc impérieux que Wotan ne fasse rien, et que tout soit dans le discours. Déjà l’an dernier j’avais été frappé par ce moment : mais cette année, tous semblent se surpasser.
De même que Wotan lisait ostensiblement la Правда face à Fricka, Brünnhilde écoute d’une oreille distraite un Wotan qui semble d’abord monologuer pour lui-même sans s’adresser à sa fille qui prépare la nitroglycérine comme on extrait l’alcool d’un alambic.
Ainsi, c’est un monologue intérieur, où Wotan s’adresse à lui-même qui nous est ici présenté : d’où la nécessité d’un accompagnement musical à la fois tendu et très intériorisé, qui plus qu’ailleurs encore soit attentif à chaque mot. Et Wolfgang Koch donne à ce moment une intensité inouïe, chaque mot est sculpté, chaque inflexion est millimétrée, chaque phrase se colore différemment, les forte ne le sont jamais tout à fait, les murmures jamais non plus tout à fait murmurés, la voix semble égale et en réalité est incroyablement variée, cet exercice de rentrée en soi est phénoménal car il crée évidemment un moment en suspens où chaque silence même est parlant, et où on entend à l’orchestre un discours parallèle, incroyable de netteté, qui commente ou accompagne les paroles de Wotan ou crée un écho à la fois présent et lointain. Il y a à la fois dans la musique de l’évocatoire lointain et du commentaire direct, avec d’infinies variations d’intensité et de volume dans un discours qui reste continu. C’est à la limite du supportable et donc immense car il en reste après une trace d’une infinie mélancolie, notamment lorsque Brünnhilde quitte la scène, une mélancolie qui non seulement bouleverse, mais qui marque évidemment la fin des illusions. Le contraste avec la scène suivante, qui montre des amants fugitifs, mais encore aimants, mais encore ensemble, mais encore dans l’espérance alors que tout est déjà perdu est fulgurant. Il y a après cette tension aux limites qu’on vient de vivre une douceur, une suavité dans l’expression de Johan Botha qui fait littéralement chavirer. Entre un Botha élégiaque, à la douceur surnaturelle, et une Kampe tendue, apeurée, à la voix aux accents rauques, le paysage musical est dressé.
L’annonce de la mort est aussi un des moments suspendus de cet acte : Castorf, qui sait tant « distraire » par des écrans, des petits films, des graffitis, des détails en foule que certains lui reprochent, va reproduire la magie du récit de Wotan par la fixité de la scène où Brünnhilde perchée sur le puits de pétrole dans l’ombre s’adresse au visage éclairé de Siegmund. Deux visages se parlent dans la nuit. Il ne se passe rien d‘autre.
Catherine Foster est à la fois intense et douce, accompagnée par un orchestre d’une subtilité et d’une légèreté diaphane : le crescendo des cuivres annonçant l’arrivée de Brünnhilde est magique, scandé par des silences suspendus, et malgré tout fluide.
La scène est d’une douceur incroyable et dite avec simplicité, sans effet ; elle ménage des longues plages de silence d’où émerge comme des ténèbres un orchestre phénoménal aux effets de couleur inattendus d’un discours jamais heurté, jamais ne s’arrêtant, comme si une phrase en appelait une autre dans un mystérieux surgissement : l’alternance des bois et des cuivres est à certains moments comme un choral. On a l’impression d’un effleurement orchestral qui commente ou colore le dialogue. Les « Grüsse mir » de Botha, dits avec à la fois la certitude de la décision et une imperceptible lassitude sont prodigieux de vérité et le prélude à un crescendo, qui pourtant ne réussit pas à tendre la situation, mais simplement à la conclure . Le chant de Botha et celui de Foster sont un exemple de dépouillement : il n’y a rien de spectaculaire rien d’extérieur, tout est senti, et tout coule comme un fleuve de sons évidents, de cette évidence qui fait qu’on se demande comment jouer cela autrement, avec malgré tout l’expérience d’une virtuosité unique d’un orchestre au sommet. Ah ! le jeu des bois au moment du decrescendo accompagnant le retour de Siegmund vers Sieglinde d’un Botha jamais entendu avec cette retenue et cette poésie là.
Pourtant, Petrenko et c’est là aussi ce qui fait la singularité de son approche, reste toujours dynamique, et dramatique quand il le faut, mais jamais paroxystique : en témoigne une fin d’une extrême tension, où Anja Kampe portée par la musique, hurle un cri déchirant et bestial au moment de la mort de Siegmund dans un tourbillon musical et scénique qui époustoufle, pour retomber dans le nadir, le soleil noir (encore des cuivres à se damner) avec une violence dont le cri animal de Wotan « geh » à l’adresse de Hunding est emblématique, lançant un orchestre à toute volée conclure un acte II qui fut anthologique.

Brünnhilde (Catherine Foster) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Brünnhilde (Catherine Foster) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

L’acte III est toujours plus attendu avec une chevauchée des Walkyries à la fois tendue (les coups d’archet au départ) à la respiration très large, moins spectaculaire que dynamique : on aura compris que cette approche n’est ni spectaculaire, ni démonstrative, mais marque une volonté de ne suivre que « le drame et rien que le drame »  sans cesser d’aller de l’avant en collant au dialogue et à l’action. Mais ce qui frappe aussi, c’est que l’an prochain, cette équipe dans son ensemble ou presque laissera place à d’autres, et il semble que chacun ait à cœur de marquer, de donner, de dire en même temps son plaisir de faire ce spectacle et de montrer de quoi il est capable. Car c’est bien d’équipe qu’il s’agit, à commencer par les Walkyries, remarquables, à la fois dans leur agilité et leur sveltesse scéniques, et dans la dynamique musicale : la mise en scène alimente la qualité du chant (je sais, cela va faire frémir les catastorfiens). Car dans cette scène et malgré la difficulté, la mise en scène épouse la musique et ses effets comme par une sorte d’émulation. Ainsi le groupe est-il donc porté, et par la scène et par l’orchestre époustouflant d’allant et de théâtralité,  et cette dynamique générale porte évidemment le dialogue Sieglinde/Brünnhilde à une intensité rare, avec un bouleversant
O hehrstes Wunder!
Herrlichste Maid!
Dir Treuen dank’ ich
heiligen Trost!
dans lequel Anja Kampe a donné toutes les forces possibles avant sa sortie de scène. Il y avait là quelque chose de fortement vécu qui allait au-delà de la représentation.

Brünnhilde (Catherine Foster) et Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Brünnhilde (Catherine Foster) et Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Wotan (sans barbe comme au final de l’acte II), redevenu le Dieu hic et nunc réglant ses comptes et non plus le chroniqueur du début de l’acte II, arrive avec une énergie peu commune, et le dialogue avec Brünnhilde n’est plus dialogue mais une discussion, une dialectique : à l’acte II, ce dialogue était un monologue intérieur déguisé de Wotan, à l’acte III, il s’agit d’un échange tendu, plus épique d’ailleurs, avec un Wotan plus énergique et une Brünnhilde à la présence renforcée, presque ciselée. C’est une scène où malgré la situation peu à peu s’insinue une certaine tendresse. Avec la disparition de Siegmund et le départ de Sieglinde, toute tendresse s’est envolée. Et même au moment où Wotan cherchera à serrer sa fille dans ses bras (Leb’ wohl, du kühnes, herrliches Kind!), Brünnhilde s’en arrache et va résolument à l’intérieur du hangar (qui a perdu ses cloisons) s’allonger, comme à son initiative, refusant la complaisance d’une marque d’amour qui ne serait qu’atermoiement. Toute la scène est conduite et sur scène et en fosse, de manière grandiose, Wolfgang Koch est  un magnifique interprète, avec une expressivité et une aptitude à colorer notables, passant tour à tour de l’intériorité à la colère, ou à l’ironie: ce n’est pas un Wotan expressioniste, ni autoritaire, c’est un Wotan plus méditatif, plus rentré en soi, qui cisèle chaque mot, tantôt enjôleur, tantôt aiguisé et coupant.
La Brünnhilde de Catherine Foster confirme l’impression initiale : le chant est infiniment plus homogène et même plus présent et plus senti, avec de beaux graves et des aigus bien posés et larges, avec une ligne de chant et une ligne de souffle qu’on ne lui connaissait pas . Belle performance ce soir.

Musicalement, la performance globale est encore supérieure à celle de l’an dernier : chacun était à son meilleur et a donné son maximum, avec ses moyens propres. Cette distribution qui avait suscité quelques doutes (on se souvient que Angela Denoke, prévue dans Brünnhilde, avait renoncé en 2012) semble avoir trouvé son rythme et sa respiration et cela laisse bien augurer de la suite. Quant aux dernières mesures, je n’avais pas entendu à l’orchestre une telle incantation du feu et de tels adieux depuis longtemps; Boulez qui m’a tant marqué n’était pas loin par la clarté et la plénitude sonore.
Et puis il y a l’orchestre. Un orchestre d’une qualité exceptionnelle à tous les pupitres, qui réussit merveilleusement à doser les volumes. On n’a pas encore entendu une scorie, avec des cuivres hallucinants de ductilité et de souplesse. Cette souplesse que Petrenko a su imprimer à l’ensemble de la soirée. Sans imposer la retenue de la veille dans Rheingold, l’orchestre est plus affirmé même dans les moments contenus, il n’est jamais  « envahissant »  et ne couvre pas les voix, (quelquefois, même à Bayreuth, c’est possible), mais il les accompagne en les soutenant, en les enveloppant, et surtout en travaillant en respiration avec le plateau et la mise en scène. On entend rarement un orchestre aussi fluide qui soit plutôt retenu et intime, très lyrique, et qui ait une telle dynamique et surtout une telle limpidité, un orchestre inattendu dans bien des phrases où l’on découvre tel instrument, tel mouvement, qu’on n’avait jamais remarqués. Sans jamais rien forcer, sans jamais rien mettre en représentation, tout le drame est là, tout le dialogue est là, tout est là audible, évident, comme un fleuve ininterrompu de son avec ses méandres et ses retenues, avec ses surprises et ses trésors cachés, avec ses rapides et sa puissance mais aussi avec sa sérénité et sa grandeur.
Ce soir c’était une Walküre qui nous a tous étonnés par l’engagement du plateau, mais c’est l’incroyable ductilité de l’orchestre, et sa stupéfiante présence, bouleversante, somptueuse, et en même temps jamais orgueilleuse, jamais en façade et toujours en profondeur, qui a donné à la représentation tout son sens et en a fait une soirée d’exception, qu’on ne peut évoquer sans émotion, un de ces Wagner transcendants qui vous marquent pour longtemps. [wpsr_facebook]

Image finale ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Image finale ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

STAATSOPER IM SCHILLER THEATER BERLIN 2014-2015: PARSIFAL de Richard WAGNER les 12 & 18 AVRIL 2015 (Dir.mus: Daniel BARENBOIM; Ms en scène: Dmitri TCHERNIAKOV)

Le dispositif général ©Ruth Walz
Le dispositif général: leçon de Graal ©Ruth Walz

Parsifal est une des œuvres les plus discutées de l’histoire de l’opéra, et celle qui 133 ans après la création au Festival de Bayreuth, provoque des discussions passionnées : est-ce un spectacle ? est-ce une œuvre religieuse et sacrée ? est-ce du théâtre ? est-ce une messe ? doit-on applaudir après le premier acte ? doit-on ne pas applaudir du tout ? qu’est-ce qu’un Bühnenweihfestspiel ?
La multiplicité des sources, le creuset très syncrétique dans lequel Wagner a composé son œuvre, les apports chrétiens et orientaux, tout concourt à faire de Parsifal un lieu passionnant, et passionné de réflexion et de propositions.
Encore aujourd’hui, en terre germanique, il est traditionnel de représenter Parsifal à Pâques, à cause de l’Enchantement du Vendredi Saint, comme si en quelque sorte le message des Pâques chrétiennes se reflétait dans le message d’espoir, de pacification et de rédemption laissé par l’œuvre.
Je ne suis pas sûr, au vu des rapports agités que théâtre et chrétienté ont entretenus au long de notre histoire, que ce soit au théâtre qu’il faille célébrer cette religion-là.. Et faire de Bayreuth même le seul lieu où Parsifal puisse être représenté, comme ce fut le cas jusqu’à l’orée du XXème siècle au nom de règles édictées post mortem me semble pour le moins excessif. Ou bien Parsifal est une œuvre sacrée, et il faut bien vite mobiliser la cathédrale de Sienne pour en faire un mystère permanent, ou bien c’est un opéra comme un autre et l’on n’a pas à faire des simagrées comme si l’œuvre imposait une attitude religieuse qui serait alors bien proche du blasphème. En tant qu’œuvre d’art, Parsifal est bien entendu, comme d ‘autres œuvres, porteuse d’une très grande spiritualité, mais cela n’a rien à voir avec la religion, et il faudrait d’ailleurs savoir laquelle, tant les sources de Wagner et ses intérêts sont divers.
La religion a ses lieux, le théâtre les siens. Il y a certes une cérémonie théâtrale, mais elle est par définition laïque et ouverte à tout le corps social : le théâtre et la mairie sont les deux monuments essentiels des villes moyennes et grandes du XIXème, et ils font face à l’église. A chacun sa fonction.

Aussi, les efforts des metteurs en scène pour mettre en scène l’histoire, ses possibles et ses contradictions sont pleinement justifiables. On sourit à la manière dont la polémique est née à Bayreuth même, lorsqu’il fut décidé (en 1933) de changer la production originelle de Parsifal, qui tombait en lambeaux après 51 ans et 205 représentations de bons et loyaux services…
Depuis, une polémique après l’autre , Heinz Tietjen avec Alfred Roller et Emil Preetorius pour les décors (1933-1936), puis des décors de Wieland Wagner (1936-1939), puis Wieland Wagner qui déchaîna les passions avec son Parsifal sans colombe finale (1951-1973).
À Bayreuth, après Wieland Wagner, Wolfgang reprit la tradition (1974-1981), puis Götz Friedrich dans une belle production du centenaire dont on parle peu aujourd’hui, qui vit la fin de la Kundry de Leonie Rysanek et les débuts de celle Waltraud Meier (1982-1988), puis de nouveau Wolfgang Wagner de 1989 à 2001.
Depuis 2001, deux fortes productions, Christoph Schlingensief (2004-2007) d’une complexité telle qu’il est encore aujourd’hui impossible d’en démêler les fils géniaux, et Stefan Herheim (2008-2012) qui en fait une métaphore de l’histoire allemande dans une des productions les plus réussies de l’histoire récente de Bayreuth.
En 2016, un nouveau Parsifal devait être confié à l’artiste-performer Jonathan Meese. Mais son projet fut considéré comme trop onéreux (ou trop scandaleux ?), et Katharina Wagner décida de renoncer (amicales pressions?) et de le confier finalement au bien plus tranquille Uwe Erik Laufenberg, qui jusqu’ici n’a pas vraiment brillé par les idées…mais qui calmera les esprits.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Daniel Barenboim qui a dirigé régulièrement à Bayreuth de 1981 à 1999 n’y a dirigé Parsifal (dans la mise en scène de Friedrich) qu’en 1987 alors qu’il l’a dirigé régulièrement à la Staatsoper de Berlin dont il est le directeur musical (GMD) depuis 1992.
Pour cette nouvelle production des Festtage 2015, c’est à Dmitri Tcherniakov à qui la Staatsoper de Berlin a fait appel. Il y a déjà mis en scène une Fiancée du Tsar (Rimsky Korsakov) remarquée et on lui doit à la Staatsoper unter den Linden Boris Godunov (Moussorgski) et Le joueur (Prokofiev).
Dans une salle de 900 places comme celle du Schiller Theater, jouer Wagner change singulièrement les rapports scène-salle, on l’avait déjà remarqué pour le Ring (Guy Cassiers) et Tannhäuser (Sasha Waltz) l’an dernier. Pour Parsifal, malgré la fosse très profonde, la présence de l’orchestre est accentuée, et la proximité des chanteurs et du décor monumental et fermé accentue l’impression d’étouffement, mais aussi la participation du spectateur : le jeu théâtral est sans aucun doute favorisé, voire exalté parce que le moindre geste est visible par tous, de beaucoup plus près, le spectateur est dans le drame, au plus près de la respiration du plateau. Voilà un espace (qui à l’origine est un théâtre et non un opéra) qui favorise les mises en scènes très dramaturgiques et  portant l’accent sur les détails du jeu et des rapports des personnages entre eux.
En tant que spectateur assez régulier de la Staatsoper depuis qu’elle est provisoirement (et durablement) installée au Schiller Theater, je dois dire que je me sens particulièrement « bien » dans ce théâtre aux dimensions très humaines, au style un peu suranné mais chaleureux. Tout y a trouvé son style et ses habitudes.
Il y a donc de la cohérence à proposer un Parsifal « expérimental » comme l’a défini Tcherniakov dans une interview à un journal berlinois, qui mette le doigt de manière chirurgicale sur des possibles du livret et sur les contradictions de cette histoire, sans jamais néanmoins s’en écarter. Chaque épisode est clairement reconnaissable par tout spectateur connaissant l’œuvre, mais à chaque fois décalé, détourné ou interprété, voire jugé.
Tcherniakov, qui a fait les décors et les costumes, travaille à cette histoire avec sa propre culture et ses propres origines, orthodoxes, où le formalisme et le rituel sont si essentiels, et revendique son statut de totale étrangeté à ce qui se déroule. Il faut donc lire avec attention l’argument qu’il signe lui même dans le programme de salle.
La structure de l’œuvre est symétrique : premier et dernier acte sont construits de la même manière, tandis que le deuxième acte est un pivot, celui pendant lequel tout bascule. Dans le premier acte, Parsifal est ignorant, il est le « fol » évoqué dans les paroles : Durch Mitleid wissend der reine Tor , dans le dernier acte, il est « wissend » il  « sait » parce qu’il a éprouvé la souffrance et la blessure lors du baiser de Kundry, il est donc de l’autre côté du savoir et peut donc sauver le monde du Graal. Le deuxième acte est presque un rite de passage, de « Tor » à « wissend », par l’intermédiaire de la Mitleid, que l’on traduit par pitié, et qu’il faut ici entendre en son sens propre « souffrir avec » une « com-passion » authentique. Le troisième acte est l’acte de résolution où la prophétie évoquée au premier acte se réalise
Parsifal n’est pas un héros venu de nulle part : comme Siegfried, comme Siegmund, comme Lohengrin, il a une généalogie très précise. Sa mère est identifiée, Herzeleide, épouse de Gamuret, chevalier mort au combat. Elle élève en conséquence son fils de manière très protectrice, dans l’isolement, pour éviter qu’il ne connaisse le destin de son père: il est donc complètement ignorant et innocent. Mais il a fui cette mère trop possessive pour vivre l’aventure des héros, et elle en est morte.
Den Vaterlosen gebar die Muter,
als im Kampf erschlagen Gamuret;
vor gleichem frühen Heldentod
den Sohn zu wahren, waffenfremd
in Öden erzog sie zum Toren – die Törin!

Voilà ce que dit Kundry au premier acte, anticipant tout ce qu’elle va apprendre à Parsifal au deuxième. Parsifal est donc violemment marqué par cette mort qu’il a par son départ provoqué.
De son côté Kundry est  la femme comme Saint Augustin la voit, qui serait à l’origine du pêché et de la chute. Le jour, une sorte d’animal à la recherche obstinée de l’expiation, la nuit, une séductrice diabolique, servant donc à la fois les deux faces du monde (Ruth Berghaus qui mit en scène un Parsifal très remarqué à Francfort note fort justement que Parsifal ne présente pas deux mondes, mais deux faces d’un même monde) . Kundry n’a pas d’identité propre, c’est Klingsor qui le dit (« Namenlose »), mais dit-elle pendant le duo avec Parsifal, elle a ri au passage du Christ et depuis, frappée par le regard qu’il lui jeta, elle le cherche partout : elle est la juive à la recherche de l’expiation (raison pour laquelle Chéreau refusa de mettre en scène Parsifal à Bayreuth précisa un jour Gérard Mortier). Femme et juive, elle est donc à priori tout ce qui doit être rejeté, situation tragique où tout pardon lui est interdit, symbole d’une déchirure initiale et d’une rédemption désespérément cherchée.

Voici donc les deux personnages centraux de cette histoire, deux déchirures initiales, deux êtres perdus qui finiront par retrouver un chemin.
C’est cette histoire que raconte Tcherniakov, préférant fouiller les replis de l’âme humaine plutôt que raconter le mythe du Graal avec son cérémonial et son rituel. Du même coup pas de chevaliers, mais une communauté de pauvres hères, visible dès ce lever de soleil initial où l’on a l’impression d’être chez Emmaüs ou au « SAMU social », une communauté de rejetés de la terre, isolés, que l’on a entrepris d’éduquer dans la foi par le mythe et par une histoire qui sans doute se répète de génération en génération, l’histoire passée de la splendeur du Graal, une communauté et une ambiance où l’on imagine parfaitement un roman de Dostoïevski à qui Tcherniakov a sans doute pensé . Ce qui frappe en effet dans cette vision initiale, c’est que ce premier acte pourrait être le troisième, le temps a peu de prise et semble ne plus avancer. Tcherniakov a conçu un décor de salle octogonale romane qui rappelle  le décor du premier Parsifal (la cathédrale de Sienne), mais qui est ici un espace déconsacré : plus d’élévation ni de coupole, symbole du ciel, indiquée par Wagner dès la Verwandlungsmusik du premier acte: Endlich sind sie in einem mächtigen Saale angekommen, welcher nach oben in eine hochgewölbte Kuppel d’où doit arriver la lumière. Plus de coupole, plus de lumière car le lourd plafond de béton l’empêche. Il a donc naguère fallu ouvrir un des arceaux pour construire une fenêtre, large baie par laquelle va pénétrer la lumière : c’est donc un espace reconstruit, (mal) restauré et d’une rare tristesse qui abrite les activités de la confrérie, où bancs rangés un peu n’importe comment et grill où sont suspendus de rares spots et quelques ampoules disséminées entre les arceaux donnent une luminosité vacillante à mille lieux d’un royaume triomphant.
Nous sommes de nos jours, dans une communauté vaguement sectaire qui essaie de reproduire et de se rappeler une grandeur passée mythique dont elle n’a plus qu’une vague idée, un monde fermé sur lui-même, profondément sombre et froid, un monde sans avenir.
Gurnemanz est une sorte de gardien du temple, non plus un récitant, mais celui qui entretient la mémoire et le rituel, celui qui est garant de l’ordre : lorsque les « chevaliers » s’attaquent à Kundry, il calme leur colère (Kundry, la femme, donc l’intruse de ce monde d’hommes), et puis leur raconte sans doute pour une nième fois l’histoire du Graal en leur projetant sur un écran brinqueballant mais toujours prêt à servir (d’ailleurs il est là à l’ouverture du rideau au troisième acte) les images de la splendeur passée, qui pourraient être aussi les images mythiques des splendides Parsifal du passé (décors de la création, images des personnages), avec la coupe, le Graal (on a l’impression de voir défiler les Graal remisés dans les magasins du festival de Bayreuth) mais dès que le rituel se prépare, on remet les bancs en cercle, le Graal est dans sa boite : en bref, tous les éléments traditionnels sont là, pour une cérémonie qui semble avoir perdu et sa grandeur et son sens.

Acte I, Amfortas christique ©Ruth Walz
Acte I, Amfortas (wolfganag Koch et de dos, Titurel (Matthias Hölle)  ©Ruth Walz

La cérémonie du Graal en effet n’a rien d’une cérémonie, c’est un moment où les chevaliers cherchent à se régénérer pour vivre l’éternité, plus de religiosité, mais une chasse à la survie, dont le symbole est Titurel, habillé en redingote de cuir noir (toute allusion…) qui pour une fois n’est pas la voix désincarnée qu’on entend d’outre tombe, mais un vrai personnage dont la présence est pesante et l’exigence visible.
Pour souligner le rituel de régénérescence, il arrive, monte dans son cercueil recouvert d’un linceul, puis du fond du cercueil conformément au texte (Im Grabe leb’ich durch des Heilands Huld ) il émet ses exigences Mein Sohn Amfortas bist du am Amt ?
Alors qu’au-delà de sa souffrance, Amfortas n’est pas toujours un personnage intéressant (on se souvient ce qu’en avait fait en 2013, avec le même chanteur – Wolfgang Koch –la pauvre production de Michael Schulz au Festival de Pâques de Salzbourg), ici au contraire il devient central car il est celui dont se repaissent tous les autres. Il est réincarnation du Christ en croix, presque nu, à la source duquel les chevaliers avides de survie viennent se désaltérer : un servant prend du sang directement de la blessure pour le mélanger dans le Graal à de l’eau qu’on suppose bénite, comme la même coupe recueillit selon la légende le sang du Christ. Amfortas est littéralement saigné pour le bien de la collectivité, et Tcherniakov insiste sur une situation qui nous donne à voir le sacrifice permanent et surtout l’esclavage de ce roi soumis aux exigences du père, qui reste la clef de voûte de l’ensemble du groupe, comme en témoigne au premier acte la soumission finale des chevaliers à Titurel, tout frais régénéré sortant de son cercueil et leur prosternation la face contre terre, comme dans certains rites chrétiens orientaux, attendant la descente de la Parole.

Acte I-Cérémonie du Graal, fin ©Ruth Walz
Acte I-Cérémonie du Graal, fin ©Ruth Walz

La cérémonie du Graal est donc métaphoriquement le sacrifice du Christ (le fils) pour la gloire de Dieu le père. C’est important à noter pour comprendre ce que Tcherniakov fera du troisième acte.
Ce monde qui se ressource par la souffrance expiatoire de l’autre, c’est l’idée même du christianisme, où Christ est mort pour nous. Mais Tcherniakov y ajoute une extraordinaire violence,et en fait un monde sans chevaliers mais composé d’humains vivant dans le froid (bonnets, lourdes jaquettes) et dans cette obscurité à peine éclairée et d’où se dégage un sentiment de pesanteur glaciale, et surtout ni sérénité ni grandeur.

Acte I, Kundry (Anja Kampe), Gurnemanz (René Pape) et Parsifal (Andreas Schager) ©Ruth Walz
Acte I, Kundry (Anja Kampe), Gurnemanz (René Pape) et Parsifal (Andreas Schager) ©Ruth Walz

Dans ce monde complètement enfermé sur lui même, nos deux personnages clés apparaissent complètement en marge : Parsifal est un ado retardé, bermuda, baskets, capuche et sac à dos : une sorte de jeune randonneur à la mode d’aujourd’hui dont le sac à dos, renferme tout le nécessaire pour se changer, ce qu’il fait ostensiblement, après avoir secoué ses chaussures des éventuels cailloux, et étendu le tee shirt sans doute imbibé de sueur, il se retrouve torse nu au milieu de tous ces gens emmitouflés. Il fait littéralement « tache », mais apparaît complètement organisé, autonome et en rien perd, errant, ou peureux.
Quant à Kundry, elle est en pantalon, jaquette, sac de cuir, voyageuse elle aussi, comme Parsifal, mais violemment prise à partie par les autres, LA femme dans ce monde d’hommes est donc a priori soupçonnée ou coupable comme il a été précisé plus haut. La relation à Kundry, toujours méfiante dans la plupart des mises en scène de ce premier acte, est ici franchement violente. D’ailleurs, la manière dont Parsifal est plaqué à terre à peine a-t-il atteint le cygne (symbole de la sensualité dans la mythologie nordique) est elle aussi empreinte de violence : le monde du Graal vu par Tcherniakov n’a rien de ce monde éthéré ou pacifié, mais c’est au contraire un monde de violence rentrée qui n’attend que la moindre occasion pour s’exprimer.

Acte II, lever de rideau ©Ruth Walz
Acte II, lever de rideau ©Ruth Walz

Le lever de rideau du deuxième acte est au contraire une image stupéfiante et inattendue : même décor qu’au premier acte, mais blanc immaculé, inondé de clarté et de lumière : Klingsor a bien construit son royaume à l’image de celui dont il a été chassé, honorant un autre Graal… C’est un Klingsor grand-papa distribuant des friandises ou des jouets à un groupe de filles (fillettes, petites filles, vraies jeunes filles) en robes à fleurs et chaussettes qui jouent qui à la balle qui au cerceau. Bref, un monde apparemment innocent qui renforce l’impression de tension du 1er acte, un monde du bonheur et de la joie et non un monde écrasé sous le poids du péché comme au premier acte.

Mais très vite, Tcherniakov nous fait déchanter : le vieux Klingsor est un pépé-gâteau, sans doute, mais bourré de tics, qui se déplace comme souvent les metteurs en scène font déplacer Mime, auquel il renvoie inévitablement. Mime n’a rien d’un personnage positif, et c’est un papa de substitution plutôt dangereux, et l’on constate très vite que ce Klingsor est un malade, méchant (voir comme il essaie de réveiller Kundry), fantasque (voir aussi comment il s’amuse à tourner sur sa chaise), et l’on comprend quelle violence perverse il exerce : Tomas Tomasson qui l’interprète est stupéfiant de vérité. Dans ce monde de petites filles (ses filles, dit Tcherniakov dans l’argument), Kundry, la seule qui puisse visiblement sortir de ce monde, arrive comme la grande sœur ou la fille préférée à qui l’on confie les missions délicates (on pense à Wotan et Brünnhilde dans la Walkyrie) et s’assoie au milieu des autres disposées en cercle comme les chevaliers au premier acte. Nous sommes au milieu d’une étrange famille ou d’une autre étrange communauté. Beaucoup ont vu en ce Klingsor un pépé pédophile : c’est dans la société d’aujourd’hui une image de mal absolu. Il faut en tous cas y voir d’abord les mécanismes de soumission au « Maître » (le mot Meister est prononcé par Klingsor plusieurs fois) et d’impossibilité pour toutes ces filles sans doute violées (ce qui probablement arriva à Kundry la première) de se libérer de leur bourreau. La pédophilie de Klingsor devenant une manière de recherche éperdue de pureté à travers la possession des enfants, comme en témoigne aussi la blancheur qui aveugle en ce lever de rideau.

Mais Klingsor arrive avec difficulté à convaincre Kundry de servir ses projets : Kundry la nocturne garde quelque chose du jour qu’elle a servi, et vice versa. Elle n’est jamais tout l’un ou tout l’autre, d’où l’intérêt de la scène avec Parsifal, où il est difficile de démêler le dessein de Klingsor ou le dessein personnel, sauver le royaume de Klingsor, se sauver elle-même ? D’où l’enjeu très ambigu de la scène de séduction.
Après avoir demandé aux (petites) filles-fleurs de lui laisser la place, Kundry entreprend de convaincre Parsifal, selon le déroulement traditionnel du livret. Kundry évoque d’abord la blessure profonde de Parsifal, née dans les replis des souvenirs d’enfance : Tcherniakov fait apparaître à la fois le jeune Parsifal qui joue avec un cadeau de sa maman, un petit chevalier qui tourne sur lui-même, image du rêve de rejoindre les exploits du père, rêve de chevalerie, rêve guerrier (Parsifal est un guerrier, comme son père) et qui découvre la sensualité avec une jeune fille, mais, surpris par sa mère, il est chassé pendant que la jeune fille est giflée.
La mère est à la fois celle qui procure le rêve de combats et la castratrice qui marque l’interdit du désir.   Tous les éléments déclencheurs sont donc en place : Parsifal et Kundry de chaque côté du spectre, sont liés par des problèmes similaires, enfouis dans les profondeurs de l’enfance et chacun dans cette scène va essayer de résoudre ses propres nœuds. Le baiser de Kundry,
als Muttersegens letzten Gruss –
der Liebe – ersten Kuss! a l’ambiguïté du baisers interdit de l’inceste. Tout bascule quand ce baiser réveille à la fois les souvenirs enfouis et ceux plus récents qui font du désir et de la femme l’interdit suprême : Parsifal et Kundry se sont alors isolés hors du plateau, et Parsifal rentre violemment en scène (Amfortas, Die Wunde !) torse nu, bientôt suivi par Kundry en tricot et culotte. Il s’en suit une scène d’une rare tension, et en même temps d’une rare crudité où Tcherniakov essaie de montrer une vraie scène de violence entre un homme qui se refuse et une femme blessée: Parsifal est très tendu, bien plus Siegfried que Lohengrin, bien moins éthéré que dans d’autres mises en scène et surtout avec d’autres interprètes : il y a dans sa manière de chanter une extraordinaire violence et une grande virilité. Le jeu de la séduction, puis le jeu de la supplication, puis le désespoir et l’appel à l’aide, chaque étape de la scène avec Kundry, qui est à elle seule l’essentiel de l’acte II est respectée, mais Tcherniakov la règle comme une vraie scène de rupture, une scène de couple avec son intimité presque gênante, et en même temps une scène où l’enjeu est des deux côtés, alors qu’on n’a pas trop l’habitude de considérer la question de Kundry. Or Kundry est vécue comme ces femmes incapables de se libérer de leur « maître » et qui voit en Parsifal la « possibilité d’une île ».
Dans le rapport très marqué que Kundry entretient avec Klingsor, il y a cette dépendance dont elle ne réussit pas à se libérer, d’où ce tout pour le tout face à Parsifal. De son côté, Parsifal passe d’ado retardé à jeune adulte décidé, près à rejoindre le Graal : il abandonne d’ailleurs le bermuda, enfile un pantalon,  et se couvre d’une veste de cuir noir qui fait penser au long manteau de cuir de Titurel : il est prêt. Kundry quant à elle se recouvre du vêtement taché de sang d’Amfortas qu’elle a ramassé précieusement à la fin du 1er acte comme une relique, comme le souvenir de quelque chose de profond (qu’on découvrira au 3ème acte).

Image finale de l'acte II ©Ruth Walz
Image finale de l’acte II ©Ruth Walz

Par ce jeu de costumes, Tcherniakov montre que quelque chose a basculé. De même Parsifal passe-t-il lui aussi une épreuve du sang : lorsque Klingsor arrive pour « aider » Kundry avec la lance, c’est Parsifal qui transperce Klingsor sous les yeux horrifiés des (petites) filles-fleurs au lieu de faire le traditionnel signe de croix (il n’y a d’ailleurs dans toute la mise en scène aucun véritable indice religieux ou de religiosité) et le sang gicle sur son visage. C’est le combattant qui transparaît ici et non celui qui par un signe de croix (Mit diesem Zeichen bann’ ich deinen Zauber) efface la magie. Car le royaume de Klingsor ne disparaît pas, ne s’écroule pas : Parsifal vient d’assassiner un quelconque Dutroux, laissant dans le désarroi les jeunes filles et la grande sœur prisonnières de leur liberté nouvelle. L’acte II s’était ouvert sur une « image » de bonheur, il se clôt sur un meurtre de profonde interrogation suspendue : c’est la dévastation qui domine.

L’acte III apparaît comme une réplique de l’acte I, même espace, un peu plus désordonné, mais avec l’écran suspendu un peu abandonné (on suppose que l’éternelle histoire du Graal a dû être répétée puis radotée à l’infini), un cercueil fermé et délaissé apparaît côté jardin.
Seul signe du temps qui a passé, non pas un temple ruiné, non pas une nature dévastée, mais un Gurnemanz à la longue barbe désordonnée, signe de négligence plus que de vieillissement, et des bancs disposés sens dessus dessous. Mais l’impression est la même qu’au premier acte, obscurité, tension, pauvreté.
Kundry apparaît émergeant d’une sorte de long sommeil, reconnue par Gurnemanz, puis Parsifal arrive : il a troqué son sac à dos de randonneur contre un sac à dos militaire, ses Nike contre des knickers. Il est armé de la lance, bientôt reconnue par Gurnemanz. Il se débarrasse de ses affaires, ouvre son sac, en sort le petit chevalier tandis que Kundry sort une poupée, chacun face à face avec ses doudous d’enfance, chacun unis comme au premier acte, comme au deuxième acte, par les blessures lointaines. Et d’ailleurs cette union, cette communauté de destin fraternels, se lit dans les attitudes : Parsifal ne cesse de regarder Kundry, il la regarde avec une infinie tendresse, pendant que Gurnemanz raconte ce qui s’est passé dans la communauté. Gurnemanz demeure complètement exclu de ce moment d’une rare intensité : l’Enchantement du vendredi saint, ce sont ces retrouvailles entre Kundry et Parsifal. Un seul exemple de cette manière très particulière qu’a Tcherniakov de voir les choses suffit à le montrer : alors que Heil mir, dass ich dich wieder finde! devrait être adressé à Gurnemanz selon la didascalie écrite par Wagner dans le livret, Parsifal l’adresse à Kundry, rappelant ainsi la dernière réplique du deuxième acte Du weisst,
wo du mich wiederfinden kannst!
C’est donc cette attitude tendue l’un vers l’autre qui frappe en cette première partie de troisième acte, où Parsifal écoute d’une oreille distraite un Gurnemanz subitement renvoyé au niveau d’un vieux radoteur, et où il est fasciné par Kundry, au point qu’on imagine un amour naissant. En réalité, il y a dans ces retrouvailles celles de deux destins croisés, chacun poursuivant sa propre libération au travers de l’autre.

Cérémonie du Graal, Acte III ©Ruth Walz
Cérémonie du Graal, Acte III ©Ruth Walz

La cérémonie du Graal, si l’on peut encore appeler cela cérémonie, est marquée par le personnage d’Amfortas, courant seul dans l’espace vide, allant s’allonger sur le cercueil qu’on comprend être le cercueil paternel, volonté de mort, obsession du père. Mais en même temps image d’énergie (Amfortas court) complètement en contradiction avec son arrivée immédiatement après soutenu par deux hommes et incapable de marcher, comme s’il y avait deux Amfortas et si tout cela n’était qu’apparence…
La scène est d’ailleurs d’une violence encore supérieure à celle du premier acte : Amfortas évite tous les symboles pour lesquels il doit officier, ouvre brutalement le cercueil en fait tomber violemment le cadavre de Titurel, jette au loin la châsse enfermant le Graal, et se fait littéralement agresser par tous les autres.
L’intervention de Parsifal se fait étrangement par la même position qu’à l’acte II quand Parsifal tue Klingsor. Dans l’un la lance tue et dans l’autre la lance régénère, elle est jetée aux pieds du corps d’Amfortas épuisé, comme si Parsifal voulait s’en débarrasser. Tcherniakov écrit d’ailleurs dans l’argument que « Parsifal rend à Amfortas la lance perdue ».
Il n’y a pas, comme dans la plupart des mises en scène, de mise à l’écart d’Amfortas pour célébrer la cérémonie du Graal : pendant que la foule des chevaliers se régénère, Amfortas se lève et Kundry vient à lui : il est faux de dire qu’il n’y pas de rédemption. Kundry est la juive qui a ri du Christ et qui l’a recherché partout ensuite, comme nous l’avons dit plus haut. Amfortas est la réincarnation des souffrances du Christ, et il est sauvé par Parsifal (Erlösung dem Erlöser est la dernière parole de l’opéra), Kundry reconnaît en lui le sauveur qu’elle a jadis moqué, et Amfortas retrouve le regard qui avait tant frappé Kundry: voilà la rédemption de Kundry, qui en échange donne un baiser gratuit. Tcherniakov en fait la naissance du désir libéré de l’interdit et dans ce final complètement éthéré, introduit un long baiser d’amour enfin libre et débarrassé de toute culpabilité, pendant que Parsifal les regarde, ravi. De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur pourrait-ils dire, comme Tartuffe…
Mais le livret prévoit la mort de la femme, puisque, même (ou parce que) rachetée, comme Marguerite de Faust, Kundry doit mourir.
Cette mort n’est pas une mort extatique comme pourrait l’être celle l’Elisabeth de Tannhäuser (autre histoire où la sensualité et l’amour sont profondément séparés), Tcherniakov ne veut pas d’une Kundry subitement sanctifiée, mais plutôt une Kundry mourant parce qu’elle est devenue une femme libre débarrassée du poids du péché originel. Ce sera donc une mort donnée par la violence du fanatisme : elle est poignardée dans le dos par un Gurnemanz qui ne supporte pas la vue du baiser entre Amfortas et Kundry, parce que dans la communauté, il n’y pas de place pour la femme et ses dangers, pour le désir et ses dangers, pour l’amour entre l’homme et la femme et peut-être pour l’amour simplement.
Kundry s’écroule, Parsifal prend le cadavre dans ses bras et fuit.

Il laisse la communauté seule, Amfortas seul et les « chevaliers » dans une sorte de transe, les yeux révulsés tournés vers le ciel, dans une absence totale de sens, sinon le constat que toute communauté fermée est condamnée au vide parce que le simplement humain n’y a pas de place.

En respectant presque à la lettre le livret, Dmitri Tcherniakov propose un message complexe, sur l’individu face aux dérives de notre monde: face aux manifestations extrêmes de la religiosité, quand elle confine au fanatisme, comme face aux comportements les plus pervers, il voit les dangers de la dépendance et de l’isolement . Il délivre un message d’une totale simplicité, d’humanité, de tolérance et d‘amour et de revendication profonde de l’individu face aux dangers du groupe.
C’est là son Parsifal, à la fois simple et dérangeant parce que là où l’on glorifie habituellement la célébration mystique, il la détricote en en montrant le mécanisme pervers. Là où l’on a, bien installée en nous, la certitude qu’il y a le bien d’un côté et le mal de l’autre, il nous dit que les frontières n’en sont pas si nettes et que le monde est totalement et l’un et l’autre, et que nous sommes donc et l’un et l’autre.
Il fallait à ce spectacle très discutable, mais d’une très grande intensité, d’une profonde sensibilité et d’une évidente intelligence une réalisation musicale à la hauteur. Elle le fut grâce à une distribution de très haut vol et surtout grâce à une direction musicale qui fait écho à la mise en scène en l’accompagnant avec attention et précision. Elle le fut aussi parce que Barenboim a voulu qu’entrer dans Parsifal c’était entrer en Parsifal, c’est à dire entrer dans une musique qui exige une concentration particulière : quand le noir se fait, un long silence s’installe volontairement avant le début de la musique et quand le rideau tombe à chaque acte, le même noir continue avant l’arrivée de la lumière en salle, imposant des applaudissements très timides aux entractes et une sorte de continuité. Entrer dans un tunnel en somme et n’en sortir qu’au bout des 4h30 de musique et donner à l’ensemble des artistes, chœur, orchestre, solistes chef et même metteur en scène le 18 avril la standing ovation qu’ils méritaient.
Certains ont trouvé que le premier acte était long (1h48) et donc ont décrété que la direction manquait de tension ou de dynamique . S’ils allaient voir, simplement voir les longueurs comparées des actes, ils constateraient qu’Hermann Levi le créateur faisait un premier acte de 1h47 et que la plupart des chefs (Richard Strauss compris, et même Knappertsbusch) tournent autour de cette durée. Seuls à Bayreuth, Arturo Toscanini et James Levine dépassent les deux heures dans le premier acte, Daniele Gatti était assez lent, mais plus encore au troisième acte, et les plus rapides sont Pierre Boulez (1h35 à 1h38 entre 1966 et 1970) et Hans Zender (1h33). Alors je veux bien que Barenboim soit trop lent, mais trop lent par rapport à qui ?? et à quel Parsifal rêvé??  D’ailleurs, Barenboim lui-même varie les tempi d’une représentation à l’autre, il n’est jamais métronomique.
En réalité, la durée n’est pas pour moi un critère dans Parsifal, car c’est une œuvre qui supporte des tempi différents sans être affectée. À vrai dire, je ne me pose pas la question car quelle que soit l’approche musicale, Parsifal reste une œuvre fascinante et toutes les options musicales sont défendables, comme l’a bien montré Boulez.

Ce qui frappe dans la direction de Barenboim, c’est d’abord sa clarté, son relief, c’est surtout la capacité à varier les accents et à accompagner dramatiquement ce qui se passe en scène. C’est aussi, dans une fosse un peu difficile, de ne jamais vraiment couvrir les chanteurs. L’épaisseur de la partition est sans cesse mise en valeur, la qualité des cordes et des bois permet des effets d’écho très élaborés et le sens dramatique de Barenboim fait de l’acte II un moment d’une intensité rarement atteinte, avec une dynamique pour le coup exemplaire.
Le prélude de l’acte III est aussi un des grands moments de l’exécution, où même les moments qui habituellement sont spectaculaires à l’orchestre (on pense à la Verwandlungsmusik de l’acte I ou de l’acte III par exemple) restent tendus et retenus à cause d’un spectacle justement aussi peu spectaculaire que possible. Il y a chez Barenboim une volonté tragique, une certaine noirceur qui domine l’ensemble de son travail, mais aussi des moments d’une indicible émotion, où il joue sur les cordes d’une manière incroyablement sensible et sentie. Certes, notamment le 18 avril, il y a eu quelques scories sur les cuivres, mais pas le 12 avril. Il reste que l’ensemble de sa direction démontre une immense sensibilité et une incroyable intelligence du texte : Daniel Barenboim est l’un des grands maîtres de l’univers wagnérien et il le démontre une fois de plus.
Il est vrai qu’il dirige une de ces distributions qui laissent l’auditeur émerveillé par la prestation ou l’incarnation collective, avec un engagement de chacun dans le respect des exigences de la mise en scène, très crue par moments notamment pour Amfortas (Wolfgang Koch) ou pour Kundry (Anja Kampe).
Les filles fleurs sont très homogènes, et plus le 18 que le 12, les aigus sont bien négociés et moins métalliques et les parties plus lyriques très réussies. La situation scénique fait que le chant enjôleur des filles-fleurs apparaît ici bien plus un jeu d’enfant artificiel, auquel finalement on prête peu attention : les choses sérieuses vont arriver après, mais il est intéressant de voir comment par l’art de la mise en scène la perception de la musique se transforme et se gauchit.
On est heureux aussi de retrouver Matthias Hölle, une des grandes basses de référence de Bayreuth entre 1981 et 2001, où il a à peu près chanté tous les grands rôles de basse, de Titurel à Gurnemanz en passant par Hunding et Marke. Il est un Titurel présent et non pas seulement une voix, avec grande allure. Et la voix reste puissante et marquée. Même pour quelques répliques, Titurel est un rôle important, il l’est d’autant plus dans cette mise en scène qu’il est le véritable maître des lieux.

Wolfgang Koch, Amfortas christique ©Ruth Walz
Wolfgang Koch, Amfortas christique ©Ruth Walz

Wolfgang Koch en Amfortas est bien plus intense qu’à Salzbourg. Son timbre reste très velouté, jamais agressif, mais vibrant avec une voix toujours bien projetée et une diction parfaite : il n’est jamais question de puissance ou de sons dardés (ses erbarmen ! sont intenses sans être un modèle de puissance) c’est inutile dans une salle aux dimensions aussi raisonnables, mais la voix est si bien projetée que tout passe sans problème. L’interprète et le jeu frappent tout autant, car la mise en scène exige beaucoup, et se retrouver en boxer en scène jouant le Christ sans être vaguement ridicule montre en même temps son extraordinaire présence et la puissance de l’incarnation. Car Amfortas est sans doute avec Parsifal et Kundry le personnage le plus fouillé de ce travail, c’est l’homme au sens de Ecce homo, il est homme et il est Christ, mais il est plus homme que Christ, c’est sa grandeur, et c’est sa faiblesse.
L’autre révélation, si l’on peut dire d’un chanteur déjà si connu, est le Klingsor de Tomas Tomasson, prématurément vieilli, extraordinaire de vérité dans son rôle de pépé pas si gâteau que cela. Il est difficile de trouver un bon Klingsor (Thomas Jesatko avec Herheim et Gatti à Bayreuth en était un), et souvent le rôle assez court est donné à des barytons basses en fin de carrière, d’où souvent des éructations, ou des aigus mal négociés.
La voix est ici impeccable, aussi bien dans la projection, dans l’expressivité, dans les accents, dans la couleur et d’autant plus impressionnante qu’elle cadre mal avec le personnage de gentil pépé. C’est incontestablement une voix de méchant, une voix qui joue magnifiquement sur les couleurs. C’est vraiment une magnifique référence dans ce rôle souvent sacrifié.
René Pape est un Gurnemanz de référence, il se partage le marché des grands théâtres avec Kwanchul Youn, dans un style très différent. Le 12, il était un peu fatigué et a fait faire une annonce, le 18 il était tel qu’en lui même, puissant, avec des aigus d’une incroyable tenue, des graves sonores et surtout un travail particulièrement approfondi sur la différence entre la couleur du I et la couleur du III, plus ouvert et plus jeune au I, plus voilé et plus sombre au trois. Ce timbre reste stupéfiant : à New York avec Gatti il m’avait littéralement bluffé, à Berlin avec Barenboim, il fait de la ciselure, jouant avec les accents, avec chaque mot entendu distinctement grâce à une incroyable diction et un véritable effort sur le ton. De plus, le travail scénique, les gestes, les mouvements sont confondants de naturel. Anthologique, comme toujours.

Klingsor (Tomas Tomasson) et Kundry (Anja Kampe) ©Ruth Walz
Klingsor (Tomas Tomasson) et Kundry (Anja Kampe) ©Ruth Walz

Mon opinion sur Anja Kampe est en train d’évoluer sensiblement. Je n’ai jamais douté de ses qualités scéniques et de son engagement toujours éminents, mais sa Leonore à la Scala m’avait déçu (elle ne m’avait jamais vraiment convaincu dans ce rôle) ainsi que sa Senta, et j’ai toujours eu l’impression qu’elle n’avait pas les moyens vocaux des rôles auxquels elle prétendait, qui sont les purs rôles de soprano dramatique. Elle a, c’est encore clair ce soir, très peu de réserves sur les notes très hautes, où le timbre devient métallique et proche du cri, et où elle n’arrive pas à négocier les passages de manière homogène. Mais quel engagement par ailleurs, quelle vérité, quel personnage, quels accents, quelle intelligence du texte, quelle interprète ! Son duo du deuxième acte est hallucinant : elle joue dans des conditions physiques (en tee shirt et culotte) plutôt difficiles (un peu comme Koch au premier acte) et elle transcende le personnage. Loin d’en faire un suppôt du démon, une femme fatale étendue sur son divan au milieu des fleurs du jardin de Ravello, Tcherniakov lui demande de travailler la vérité du personnage et sa quête, il en résulte qu’elle apparaît toujours sincère et engagée et jamais ambiguë lorsque le moment du fatal baiser est passé. Elle séduit avec ses moyens, n’étant jamais autre chose que ce qu’elle a été au premier et ce qu’elle sera au dernier acte, dans une sorte de continuité de l’image féminine, et elle est d’une classe incroyable. À vrai dire je suis émerveillé de la performance. Elle m’avait impressionné dans Walküre, elle me secoue dans Kundry. Depuis Waltraud Meier, je n’ai jamais vu une telle présence, et dans un style tout différent. Waltraud Meier est la duplicité, et la femme vampire, elle a cette extraordinaire capacité à personnifier quelque chose de négatif et diabolique, avec une puissance inouïe. Anja Kampe est à l’opposé une femme non dénuée de fragilité, plus humaine et moins distanciée, mais aussi impressionnante, mais aussi convaincante et vocalement splendide.
Andreas Schager s’installe peu à peu sur le marché des ténors dramatiques. Il sera Parsifal en 2017 à Bayreuth, il a été déjà Siegfried avec Barenboim et même Tristan dans des théâtres moins exposés (comme Meiningen). Il compose un Parsifal parfaitement en phase avec la mise en scène, il en a le physique juvénile, le style et il est stupéfiant de vérité dans l’adolescent retardé qu’il incarne au premier acte. Le timbre est chaleureux, la voix est assez large, les aigus assurés. Parsifal n’est pas le plus difficile des rôles wagnériens, il est assez bref, mais doit justement convaincre d’autant plus. Il y a des Parsifal éthérés (Vogt) d’autres très intériorisés (Kaufmann) certains vocalement magnifiques sans avoir le physique (Botha) et une série de bons chanteurs qui ne marquent pas vraiment le rôle comme Christopher Ventris ou Burkhard Fritz. Plus loin dans le passé il y eut des légendes comme Domingo ou Vickers. À l’Opéra de Paris dans les années 70 on a eu tout ce que l’opéra comptait comme grands Parsifal, Helge Brilioth, René Kollo, James King, Jon Vickers, seul Peter Hoffmann a manqué à l’appel, mais il fut pour Paris Siegmund.
Andreas Schager a un physique assez frêle qui convient bien au personnage, et une voix au contraire assez large et puissante, qui lui permet d’aborder le rôle de manière plus héroïque que ses collègues actuels, dans ce Parsifal là pointe Siegfried. Il a les aigus, le medium large et triomphant, il lui manque quelquefois un peu de grave, mais c’était plus net le 12 que le 18 avril et il est doué d’une diction exemplaire de clarté et d’accents.
Il affiche l’agressivité du jeune héros, il en a aussi l’effronterie et l’engagement, il a même une certaine nervosité, mais il a aussi le lyrisme et la douceur, et donc la versatilité et la ductilité nécessaires. C’est un Parsifal à la fois émouvant et dur. Il réussit aussi au troisième acte, et déjà au deuxième acte, à incarner un personnage mûri, décidé, affirmé. Une vraie composition, qui le fait rentrer totalement dans la mise en scène, avec une aisance rare. Un magnifique Parsifal d’emblée installé au sommet.

Après ce long compte rendu, il me paraît inutile de revenir sur une interprétation musicale totalement convaincante, de la fosse au plateau et un Barenboim superlatif.
Je sais en revanche que la mise en scène a laissé des doutes : il est difficile de renoncer aux habitudes et à une vision confortables du drame wagnérien. Mais l’inconfort vient surtout qu’au lieu de nous projeter dans un Eden espéré, Tcherniakov nous renvoie à nous mêmes, nos espoirs et nos contradictions, nos perversions et nos faiblesses. Cette crudité là est insupportable.
Il reste sur scène un Amfortas sauvé et humain…après tout c’est déjà beaucoup.[wpsr_facebook]

Image finale ©Ruth Walz
Image finale ©Ruth Walz

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE WALKÜRE, de Richard WAGNER le 28 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO ;ms en sc: Andreas KRIEGENBURG)

Die Walküre, image finale © Wilfried Hösl
Die Walküre, image finale © Wilfried Hösl

On se réfèrera pour l’analyse de la mise en scène au compte rendu écrit en janvier 2013 http://wanderer.blog.lemonde.fr/?p=4927

Deuxième jour de ce Ring, fin du premier épisode fait de Rheingold et de Walküre et d’emblée s’imposent plusieurs certitudes :

  • Kirill Petrenko effectue un travail étonnant en fosse et il remporte un indescriptible triomphe totalement justifié. Il faudrait être sourd, ou insensible, ou étourdi pour ne pas saluer ce qu’on écoute, qui est souvent si surprenant qu’il faut un instant avant de s’habituer. La direction de Kent Nagano il y a deux ans était remarquable, et elle m’a enthousiasmé, celle de Petrenko est radicalement différente, volontairement retenue et elle va ailleurs, en tous cas pas dans les sentiers battus. C’est prodigieux
  • Le plateau dans son ensemble est remarquable d’intelligence, tous les chanteurs savent aussi chanter avec leur tête, et certains plus avec leur tête qu’avec leur voix (Evelyn Herlitzius, plusieurs fois en sérieuse difficulté), mais le couple Vogt/Kampe emporte l’adhésion, et l’enthousiasme. Anja Kampe est fulgurante et Vogt chante un long Lied d’une incroyable poésie.
  • La mise en scène, qui pour Walküre avait mis un peu de temps à me convaincre il y a deux ans, m’a beaucoup intéressé de nouveau aux premier et second actes. Le troisième acte est pour mon goût un peu en retrait. À noter, comme il y a deux ans, la bronca lors du ballet « hippique » sans musique qui précède la Chevauchée et qui fait brûler d’impatience la foule de plus en plus hurlante et féroce qui lance des hojotoho et des heiaha à sa manière, animale bien entendu. L’ironie de Kriegenburg fonctionne à merveille sur un public qui réagit par réflexe pavlovien…

    La "Chevauchée" chorégraphiée...et huée...© Wilfried Hösl
    La « Chevauchée » chorégraphiée…et huée…© Wilfried Hösl

Je reviens sur le travail de Andreas Kriegenburg, inconnu en France, qui est essentiellement un metteur en scène de théâtre, venu tard à l’opéra (on lui doit les stupéfiants Soldaten dans ce même théâtre). Il travaille sur la construction d’images, souvent assez poétiques, comme dans Don Juan revient de guerre de Horváth l’été dernier à Salzbourg et dirige les acteurs avec beaucoup de précision, comme cela se vérifie aussi bien dans Rheingold et dans Walküre.

À l’issue de cette deuxième vision, je voulais compléter par quelques menues remarques. Au premier acte, j’ai vraiment trouvé très émouvant ce jeu des verres que les servantes se passent de main en main (évidente allusion au philtre de Tristan und Isolde), mais j’ai aussi noté cet éloignement des corps qui n’efface pas l’échange des regards et leur intensité. Giotto à la Capella degli Scrovegni de Padoue a peint une annonciation où Marie est d’un côté et l’Ange Gabriel de l’autre, avec entre deux le vide de l’arcature et de la nef…c’est l’une des plus puissantes que j’ai pu voir. Sans aller jusqu’à dire qu’on est dans Giotto, c’est exactement la même posture : plus on est loin et plus on se regarde, et plus le lien passe, imperceptible et d’une criante réalité.

Le motif récurrent des corps morts qu’on embaume, qu’on nettoie ou qu’on enlève, on le retrouve à chaque acte : c’est évidemment l’image du travail des Walkyries, dont c’est l’office nécrophile, qui revient comme un leitmotiv lancinant, et la chevauchée du 3ème acte se déroule au milieu de corps sur des pals, comme de la viande en attente d’équarissage est aussi une manière de souligner le côté bestial et peu ragoûtant de cette scène.
Le troisième acte laisse les choses à peu près en l’état, dans un espace vide, les deux personnages sont seuls et il faut bien dire qu’il n’y a là rien de nouveau sous le Soleil, sinon l’arrivée finale des « servants » porteurs du feu, qui rappelle en écho la manière dont Alberich se transformait en Dragon dans Rheingold, puisque la mise en scène utilise la même méthode : d’une certain manière, Brünnhilde est gardée par le feu telle l’Or par le Dragon, allongée sur une table circulaire presque sacrificielle.
En tous cas, ce travail qui évacue toute référence à une actualité brûlante ou à une signification est à la fois l’anti-Castorf, puisque l’histoire est livrée telle que, avec une distance poétique qui sied aux mythes, même si Walküre est moins sollicitée que Rheingold sous ce rapport, on sait que c’est l’option de ce travail jusqu’à Siegfried, mais aussi en quelque sorte l’anti Lepage : partant de la même volonté de raconter une histoire, de travailler sur un récit et sa logique interne plus que sur une succession d’événements significatifs, il choisit à l’opposé de l’hypertechnique de Lepage des procédés simples qui semblent en même temps simplistes, les figurants remplaçant machines et effets, et se contentant de « figurer » : leur utilisation au deuxième acte est particulièrement originale où, presque comme chez Cassiers, ils miment le discours de Wotan et Fricka, ou sont leurs sièges ou bien leurs meubles.

Acte I, Anja Kampe 5Sieglinde) et Klaus Florian Vogt (Siegmund) © Wilfried Hösl
Acte I, Anja Kampe 5Sieglinde) et Klaus Florian Vogt (Siegmund) © Wilfried Hösl

Ainsi chaque acte est un univers en soi, la maison de Hunding, plus maison que cabane, soutenue par l’arbre sinistre au centre du dispositif, l’immense salle du Walhalla, avec ce bureau central et lointain, qui souligne le changement de statut des Dieux, devenus des politiques : Fricka ne force-t-elle pas Wotan à obéir à quelque chose comme une raison d’Etat que Brünnhilde ne peut comprendre. Habituée à obéïr et manier du cadavre au quotidien, c’est Siegmund qui va lui révéler la réalité du monde et la réalité des hommes. Prenant fait et cause pour lui, elle se place évidemment du côté des mortels et anticipe la décision de Wotan.

Anja Kmape (Sieglinde) et Günther Groissböck (Hunding), Acte I © Wilfried Hösl
Anja Kmape (Sieglinde) et Günther Groissböck (Hunding), Acte I © Wilfried Hösl

Kriegenburg évoque ces points, par un geste, par des attitudes, par quelques mouvements (notamment le mimétisme de Brünnhilde au début du 2nd acte, reproduisant les gestes et les attitudes de Wotan). C’est cette distance, quelquefois réellement installée, quelquefois à peine perceptible, qui me plaît dans une mise en scène plus méditative qu’active. J’avais déjà souligné chez Kent Nagano ce refus du spectaculaire et ce suivi scrupuleux du plateau.
Avec des résultats sonores très différents, c’est aussi l’option de Kirill Petrenko.
Le public qui n’est pas forcément fait de techniciens de l’orchestre, même le public un peu mélomane, s’accroche à des gestes du chef et en fait une sorte de métaphore, de transposition gestuelle de ce qu’il entend, et s’arrête à deux éléments : la battue et le tempo.
Évidemment, le travail essentiel de préparation effectué au cours des répétitions, notamment par pupitre, ce travail que les italiens appellent concertazione (sur les affiches de la Scala on lisait souvent « concertatore e direttore d’orchestra ») est le travail invisible et essentiel, c’est le moment où l’on demande aux musiciens tel geste, telle nuance, c’est le moment où les équilibres se construisent, c’est le moment aussi on l’on va travailler ensemble. Etrange voyage que celui du mot concerto, celui d’un mot signifiant combattre, s’opposer, livrer bataille en latin, devenu synonyme de travail construit ensemble, pour trouver l’accord…
Le chef met ensemble des éléments disparates au départ et tout le travail interprétatif répond à la question comment « mettre ensemble » pour faire enfin de la musique.
Ce travail souterrain apparaît ici dans toute sa profondeur : Petrenko n’est pas de ceux qui gesticulent avec le corps, mais c’est quelqu’un qui travaille avec les bras et les mains : il ne cesse d’indiquer, et souvent d’une manière impérative. Il est fascinant de noter que dirigeant l’opéra, il indique les départs à chaque chanteur, tous les départs avec une précision incroyable, de la main gauche.

Die Walküre Acte III, la Chevauchée © Wilfried Hösl
Die Walküre Acte III, la Chevauchée © Wilfried Hösl

Et ici, il épouse à sa manière le propos du plateau : il travaille la partition non comme une succession de scènes avec chacune sa loi propre, mais il travaille plutôt un parcours, dans son ensemble, d’où l’impression qu’il n’y a pas de tension. La tension existe bien sûr, mais à la mode de la Gesamtkunstwerk : on est chez Wagner. et tout contribue à la production commune. Si un chanteur chante de manière tendue, comme Wotan dans cet extraordinaire deuxième acte, l’orchestre n’ pas besoin d’être redondant. Si Vogt chante avec la douceur et la suavité d’un Lied, articulant chaque parole, l’orchestre ne peut le couvrir parce que à ce moment là c’est la parole qui prime. Si une mise en scène est d’une certaine manière plus dans le récit que dans l’événement ponctuel, plus dans la continuité, la direction doit évidemment en tenir compte. Petrenko ne dirige pas Wagner-Kriegenburg comme il dirige Wagner-Castorf. L’annonce de la mort où les paroles incroyablement douces de Vogt frappent d’émotion, l’orchestre s’allège, respire, donne au chanteur l’espace voulu tout en faisant entendre des raffinements inouïs. Il en résulte une cohérence interne d’un niveau rarement atteint, avec les qualités habituelles de ce chef que sont la clarté, la transparence, voire ce que j’ai appelé le cristal : on entend évidemment tout, mais surtout on ne cesse d’être surpris par des choix de mise en valeur, par des attaques jamais entendues ainsi, par un miroitement sonore différent d’une partition qu’on croyait connaître : tout parle, et en même temps sans jamais épater, sans jamais se donner en spectacle, ou en vitrine. C’est le flux continu d’un récit conçu comme tel, avec des moments qui m’ont frappés : l’attaque du prélude, installant immédiatement la tension et l’énergie, et en même temps dès l’entrée de Siegmund en scène, quelque chose d’un mystère. Le son est alors souvent sourd, mystérieux, sombre, éclate et explose, puis se dilate en un incroyable lyrisme.

Kirill Petrenko le 28 février 2015 (Die Walküre)
Kirill Petrenko le 28 février 2015 (Die Walküre)

On peut aimer sans doute plus d’urgence, plus de dramatisme, on peut aimer sentir une direction (au sens géographique) et alors Petrenko peut n’être pas le chef pour ce Wagner-là…mais tout est là pourtant, diffracté dans l’orchestre ou sur les voix, ou sur l’ensemble ; a-t-on jamais entendu pareil final du 1er acte, tourbillonnant avec un tempo quasi impossible. Pour ma part je l’ai rarement entendu attaqué à cette vitesse hallucinante, après avoir pendant tout le duo respecté la douceur et la couleur voulues par la voix de Klaus Florian Vogt, et travaillé sur l’épaisseur du son et ses reflets plutôt que sur le crescendo amoureux : voilà une des ruptures surprenantes, qui prend à revers l’auditeur et l’assomme de bonheur.
Petrenko n’aime pas mettre en relief la noirceur d’une musique, il reste toujours disponible et ouvert. C’est pourquoi cette Walküre a le charme des belles histoires tristes sans avoir de couleur sombre même aux moments les plus difficiles, même en regardant ces cadavres qui émaillent chaque acte : en écoutant, je pensais aux épopées italiennes du Tasse et de l’Arioste, je pensais aussi Stendhal, c’est à dire une tristesse et une violence médiatisées par le discours, par la distance, par, étonnant je sais, un certain apaisement: la vérité des choses atténuée mais révélée par la métaphore.
Pour nous révéler ce Wagner-là, un Wagner presque « littéraire » au plus merveilleux des sens, il fallait aussi une distribution qui fût à la hauteur, et elle le fut, malgré les petits hauts et bas et les accidents.

D’abord, où pourrait-on retrouver pareil cast ? Même l’ensemble des Walkyries chante avec un engagement et une énergie rares il est vrai que parmi elles, on remarque Okka von der Damerau, Nadine Weissmann et Anna Gabler qui ne sont pas les dernières venues.
Evacuons d’emblée le cas Evelyn Herlitzius : on dit d’elle ce que j’entendais de Gwyneth Jones jadis. C’est vrai, la voix bouge, les aigus sont mal assurés, et quelquefois ne passent pas, comme au troisième acte où la voix s’est engorgée de manière spectaculaire. Mais il y a d’autres moments éclatants, vibrants, bouleversants, et il y a aussi une allure, une stature, une présence qui reste stupéfiante, même si moins marquée qu’il y a deux ans. Brünnhilde n’est pas Elektra, et ne permet pas toujours à l’artiste de stupéfier de manière démonstrative comme elle le fait dans Strauss, et les Hojotoho entendus restent dans la bonne moyenne sans être une performance.

Die Walküre Acte II © Wilfried Hösl
Die Walküre Acte II (Wotan: Thomas J.Mayer, Fricka, Elisabeth Kulman)© Wilfried Hösl

Il reste que le duo du 2ème acte avec Wotan, le moment clé du Ring où tout est révélé et notamment la menace de « la fin » (Das Ende, répété plusieurs fois dans le duo) est un des moments les plus intenses de la soirée et même de bien des Walkyries des dernières années. Il suffit de se concentrer sur le regard tendu et à la fois fasciné de Brünnhilde pour Wotan pour retrouver certains des regards de Jones (mais cela, c’est pour ma mémoire d’ancien combattant) ; il y a dans le regard d’Evelyn Herlitzius une fraîcheur, une confiance, une force si positive, qu’elle pose le personnage immédiatement comme vital, intense, jeune, et quand on entend ce qui se passe en fosse, on se demande si le chef ne rend pas hommage à ce regard là, tant la musique se colore quand Brünnhilde chante.

Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) & Thomas J.Mayer (Wotan), Acte II © Wilfried Hösl
Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) & Thomas J.Mayer (Wotan), Acte II © Wilfried Hösl

Wotan en face (Thomas Johannes Mayer) est plus en forme que la veille : une diction phénoménale, des accents d’une vérité et d’une crudité rares, il est le personnage, déjà assommé, fatigué, perdant, et à l’orchestre, ce futur incertain s’entend, mystérieux, assombri. Entre le regard d’Herlitzius, la voix de Mayer et le son de la fosse, tout se répond et fait naître cette tension qui paraît-il manquerait…Ce sont moments au contraire passionnants qui remettent sur le tapis ce qu’on croyait connaître, savoir, aimer…et qu’on se prend à redécouvrir et aimer encore plus.

 

 

 

 

Le couple Siegmund/Sieglinde (Klaus Florian Vogt/Anja Kampe) est celui de la première série de représentations, qui retrouve ainsi ses marques, et quelles marques ! Indescriptible triomphe à la fin de l’acte I, un moment bouleversant : foin des aigus, des voix gigantesques, des Siegmund qui nous tiennent de longues secondes sur « Wälse » sans rien nous faire ressentir de « Winterstürme ». On entend tout de suite que Vogt est particulier : il n’est pas Heldentenor, mais il possède cette voix (que certains détestent) en permanence éthérée, avec un sens de la parole, une diction, une science des modulations, de la couleur qui en fait cet être étrange venu d’ailleurs fascinant. Et évidemment Petrenko dirige en fonction de cette voix là, ne la couvrant jamais, ralentissant les tempi pour accompagner le chant de la plus merveilleuse des manières.

Acte II, Klaus Florian Vogt (Siegmund) Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) et, étendue, Anja Kampe (Sieglinde) © Wilfried Hösl
Acte II, Klaus Florian Vogt (Siegmund) Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) et, étendue, Anja Kampe (Sieglinde) © Wilfried Hösl

Si le 1eracte est fascinant, l’annonce de la mort du deuxième acte bouleverse par sa vérité, Vogt chante le regard lointain qui semble ne rien entendre, comme mû par un automatisme, et Herlitzius change d’attitude, de mouvements : de lointaine Walkyrie hiératique, elle devient femme qui respire et qui sent : à un moment on a même l’impression qu’en Siegmund elle se progette déjà auprès de Siegfried tellement l’échange est intense. Vogt donne une dimension inconnue à Siegmund, une poésie inouïe, une douceur ineffable, une suavité inexplorée jusque là, modulant le volume sur chaque parole, avec une émission sans faille : quand il chante, c’est tout un univers qui est évoqué, un Lied permanent : oui, malgré des aigus pas tout à fait assurés, mais donnés sans jamais forcer, toujours avec fluidité et naturel, c’est un Siegmund fantastique à entendre, bien plus neuf que son Florestan dans Fidelio où il s’est pour moi fourvoyé à la Scala, et en tous cas le Siegmund le plus touchant et le plus naturellement émouvant qui soit aujourd’hui.

Anja Kampe le 28 février 2015 (Die Walküre)
Anja Kampe le 28 février 2015 (Die Walküre)

A ce naturel bouleversant du chant de Vogt correspond l’émotion incandescente et la voix chaleureuse d’Anja Kampe, plus émouvante qu’à Bayreuth. La voix est dans une forme extraordinaire, chaude, bien assise, avec des aigus solides et sûrs, mais en même temps une puissance d’incarnation rarement entendue (Meier avec Domingo, dans un autre style peut-être ?) Ils sont le couple, ils sont amour, et nous sommes chavirés. Avec un art de la parole, un art de l’émission et de la projection consommé, elle réussit totalement à faire oublier qu’elle n’a pas tout à fait la voix du rôle. Elle est aux limites et les dépasse en intensité, en investissement, en intelligence du texte. Evidemment la direction de Petrenko est sans cesse à l’écoute, chaque parole est scandée par la musique : c’est une fête de la couleur, une fête du son, et c’est d’une urgence inouïe, avec les moyens du Lied, de la poésie, avec un orchestre retenu…à n’y rien comprendre. Nous sommes là aussi pris à revers. A-t-on déjà entendu cela ainsi?
Les autres protagonistes ne font qu’alimenter notre plaisir et notre émotion. Günther Groissböck était la veille Fasolt, il est Hunding, brutal, sonore, et même, le temps d’un instant, tendre. C’est un merveilleux acteur (ah, quand il coupe la pastèque avec son épée) : Groissböck a tellement l’habitude de chanter les méchants qu’il s’y glisse avec facilité, mais en même temps, il n’est lui non plus jamais démonstratif, laissant la scène se développer, laissant le théâtre se faire. Il est un Hunding vocalement raffiné et surtout a des accents et un ton qui seraient presque du domaine du théâtre parlé….

Elisabeth Kulman le 28 février 2015 (Die Walküre)
Elisabeth Kulman le 28 février 2015 (Die Walküre)

Quant à la Fricka d’Elisabeth Kulman, elle est égale à elle même, comme à Lucerne, comme il y a deux ans à Munich, avec tout ce qui fait qu’elle est aujourd’hui la plus grande des Fricka : les aigus, l’agressivité, l’ironie, le jeu, la présence scénique inouïe, une diction de rêve avec un texte digéré, mâché, prononcé et plein de couleurs dans la voix ainsi que des gestes d’une vérité stupéfiante. Elle entre en scène, et elle a déjà vaincu. Il est fascinant de constater qu’entre hier et aujourd’hui, ce sont des facettes très différentes qui nous sont montrées. Ce soir c’est une scène, au sens théâtral du terme, quelque chose du duo Philippe II/Grand Inquisiteur. On croise le fer. Et elle est inouïe. Hier dans L’or du Rhin, elle était toute élégance, toute subtilité, avec une technique de chant presque belcantiste, et c’était aussi merveilleux (alors qu’il y a deux ans j’avais été un peu dubitatif devant sa Fricka dans Rheingold).

Il faut se rendre à l’évidence, à la merveilleuse évidence, à deux ans de distance, avec des chanteurs différents et un chef différent, ce Ring continue de nous parler, avec un niveau exceptionnel à l’orchestre et un plateau d’une rare intelligence et d’un rare engagement.
Qu’il fait bon d’être à Munich, l’autre casa wagneriana.[wpsr_facebook]

Klaus Florian Vogt, Anja Kampe, Evelyn Herlitzius le 28 février 2015 (Die Walküre)
Klaus Florian Vogt, Anja Kampe, Evelyn Herlitzius le 28 février 2015 (Die Walküre)

TEATRO ALLA SCALA 2014-2015: FIDELIO de L.v.BEETHOVEN le 16 DÉCEMBRE 2014 (Dir.mus: Daniel BARENBOIM; Ms en scène: Deborah WARNER)

Fidelio à la Scala, Acte II choeur final © Marco Brescia et Rudi Amisano
Fidelio à la Scala, Acte II choeur final © Marco Brescia et Rudi Amisano

Il en va de Fidelio comme de Don Giovanni, pour des raisons très différentes : c’est pour le metteur en scène une gageure et rares sont ceux qui s’y sont retrouvés. En fouillant dans ma mémoire, je n’arrive même pas à identifier une mise en scène qui m’ait quelque peu marqué, sinon celle de Herbert Wernicke à Salzbourg (avec Solti au pupitre) et surtout pour la scène finale. Au cimetière des éléphants, celle de Deborah Warner ira s’ajouter à celles qui ont plombé le public de la Scala. Ni Werner Herzog avec Muti, Waltraud Meier et Thomas Moser (puis Robert Dean Smith) , ni une dizaine d’années avant, Lorin Maazel avec Giorgio Strehler,  Thomas Moser et Jeanine Altmeyer, n’ont marqué les mémoires. La production précédente (Otto Schenk) en février 1978 avait marqué certes, mais parce que Leonard Bernstein était dans la fosse, que c’était une tournée de l’Opéra de Vienne et que les deux héros s’appelaient René Kollo et Gundula Janowitz.
La dernière apparition de l’Opéra de Vienne dans Fidelio, en septembre 2011 fut réduite à une exécution de concert, avec Franz Welser-Möst au pupitre, Nina Stemme et Peter Seiffert dans les rôles principaux et n’a pas vraiment séduit.
En bref, la Scala n’a pas eu de chance avec Fidelio.
Et cela peut se comprendre car l’opéra conjugue une très grande difficulté à réunir une distribution indiscutable et une difficulté encore plus grande à identifier un metteur en scène qui y trouve sa voie.
L’intrigue de Fidelio, inspirée d’une pièce de Jean-Nicolas Bouilly, Léonore ou l’amour conjugal est aujourd’hui la plupart du temps éclairée par les metteurs en scène en fonction de la tradition illuministe, enrichie par notre référence contemporaine aux droits de l’homme : prison, et prisonniers enfermés dans des conditions précaires, condamnations arbitraires, vengeances politiques et personnelles sont aujourd’hui aussi fréquents qu’au début du XIXème siècle, chaque époque se reconnaît malheureusement dans cette dénonciation. La victoire de la justice sur l’injustice et le chœur final qui rappelle la IXème symphonie font le reste et rendent le public moralement et esthétiquement satisfait.
Mais Fidelio est aussi tributaire d’une tradition assez bien ancrée dans l’opéra de l’époque où la dénonciation illuministe de l’injustice et de l’arbitraire entre moins qu’un schéma bien connu des librettistes qui est la pièce à sauvetage. Un personnage (en général une femme) enfermé injustement dans un château est sauvé par un autre (un preux chevalier dans les bonnes histoires), le méchant est puni, et tout est bien qui finit bien. C’est peu ou prou le schéma de Zauberflöte de Mozart, même si Sarastro n’est pas le méchant qu’on croyait au départ, c’est le schéma du plus grand succès de l’époque, Lodoïska de Cherubini, créé à Paris en 1791 au théâtre Feydeau, 200 représentations, à partir des Aventures du Chevalier de Faublas de Jean-Baptiste Louvet de Couvray.
Le succès est tel que la partition de Cherubini va être regardée à la loupe et imitée par les successeurs, dont Beethoven, et que le livret va être l’occasion de trois opéras, l’un de Stephen Storace, Lodoïska (1794), de Simon Mayr, Lodoïska (1796) et surtout le Torvaldo e Dorliska, de Rossini en 1815, soit un an après la création de la version définitive du chef d’œuvre de Beethoven.
Je me demande toujours pourquoi l’opéra de Cherubini n’est jamais représenté, même s’il a été proposé dans le cadre du festival de Montpellier il y a quelques années. C’est exactement le type d’œuvre que pourrait monter l’Opéra Comique. Seul Riccardo Muti en a proposé une magnifique production à la Scala en 1991, 200 ans après la création.
Tout cela nous montre que Beethoven prend un sujet à la mode, avec un schéma bien manichéen et assez simpliste qui peut gêner un metteur en scène, d’autant que la qualité dramaturgique de l’œuvre reste à démontrer, avec tout un acte I qui est l’exposition et un acte II plus bref qui concentre l’action et le dénouement de manière assez rapide. Certes, la prison injustement infligée et la libération donnent l’occasion de rêver droits de l’homme, la femme libératrice est un nouveau motif digne d’intérêt (inspirée d’un fait divers révolutionnaire réel) : on a donc vu une grande variation sur le thème camp et prison : on se souvient de la fameuse mise en scène de Jorge Lavelli à la Halle aux Grains de Toulouse, mais on ne compte plus les murs gris (ou ocres et écrasants chez Strehler), les grilles, les soupiraux. L’imagination (?) en la matière est au pouvoir.
Je me demande si ce type d’histoire, assez frustre au demeurant, ne conviendrait pas à une approche plus « bande dessinée », j’ai toujours rêvé aussi de voir un Fidelio de type cinéma muet : cette histoire convient très bien à un scénario du muet, héroïne blonde et diaphane, Pizzaro méchant à souhait, héros malheureux et écrasé roulant des yeux suppliants, Rocco brave type. En fait, je pense qu’il faudrait aller du côté de l’imagerie, plutôt que du côté sérieux, « droits de l’homme » ou révolution. Une imagerie d’Epinal que les moyens modernes utilisés par la scène aujourd’hui pourraient développer. Je trouve que cela correspond mieux au type d’histoire, à la dramaturgie minimale, à la manière un peu miraculeuse dont Léonore réussit rapidement à libérer son Florestan.

Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano
Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano

Ce n’est pas le chemin qu’ont pris des mises en scène récentes. Je me souviens de Chris Kraus, avec Abbado, qui l’avait choisi parce qu’il avait tant aimé son film Quatre minutes autour d’un professeur de piano qui donne des cours dans une prison pour femmes. De là vient l’idée aussi du projet de musique dans les prisons monté à Bologne avec l’orchestra Mozart et continué actuellement par l’association Mozart 2014 qui vient de naître.

Chris Kraus proposait une variation sur la guillotine, plutôt sympathique en première partie (garnie de pots de fleurs, comme un meuble familier) et qui sert pour punir les coupables à la fin, montrant qu’on remplace un totalitarisme par un autre.
Deborah Warner n’est pas très loin de cette lecture.
Son Fidelio se passe non en prison « officielle », pas d’uniformes, mais dans un lieu de confinement d’une guerre civile où sont probablement enfermés des révolutionnaires ou  des opposants. Tout est civil en effet dans cet espace (beau décor de béton d’immeuble en construction de Chloe Obolensky et beaux éclairages de Jean Kalman), un lieu de non-droit et d’arbitraire. Le décor du soupirail où est confiné Florestan se passe dans l’obscurité au point que Florestan chante son « Gott » dans le noir quasi absolu (bel effet que cette voix émergeant des ténèbres). L’arrivée du Ministre est en fait une sorte de libération par des forces révolutionnaires, le Ministre ressemblant plus à un membre d’un comité révolutionnaire quelconque entouré de drapeaux rouges.
C’est je crois à peu près tout.
Les éléments psychologiques ou dramatiques qui étayent cette histoire, comme le retournement de veste de Rocco, qui dénonce son maître Pizzaro une fois que tout est dit (ce qui jette une lumière trouble sur son personnage), la déception et la tristesse de Marzelline qui découvre que son Fidelio n’est pas celui qu’elle croyait et voit l’étendue de sa disgrâce ne sont pas mieux traités. Il faut trente secondes à Marzelline pour revenir à son Jaquino (il faut en effet faire vite car l’opéra se termine). Quant à Pizzaro après avoir fanfaronné de manière ridicule (genre Mohammed Ali après avoir vaincu un combat de boxe) aux côtés de Don Fernando, croyant échapper au châtiment, il est emmené à peine dénoncé et abattu d’un coup de pistolet sans aucune forme de procès (chez Chris Kraus il était guillotiné). Bref, on passe là aussi d’un totalitarisme à l’autre, la fin (l’aube rouge…) justifiant les moyens.
Tout cela ne va pas bien loin et Deborah Warner nous avait habitué à un peu mieux. Tout de même entre le Regietheater à la Castorf et ce plan plan, il y a sans doute de l’espace pour quelques idées. Mais non, il ne semble pas. L’opéra serait-il condamné à errer entre médiocrité warnérienne et abominations warlikowskiennes ou castastorfiques ?
Du point de vue musical, il n’en va pas beaucoup mieux, même si la distribution réunie avait tout pour plaire sur le papier.
Rien à dire sur la plupart des rôles périphériques, Marzelline est Mojka Erdmann, bien plus à l’aise dans ce rôle que dans Sophie où elle n’existait pas à Salzbourg. Fraîcheur, allant, rythme, tout cela est convaincant, tout comme l’excellent Jaquino de Florian Hoffmann, voix claire, belle diction, une touche de poésie, rien à dire, ces deux là sont parfaitement à leur place.
Kwangchul Youn  est un Rocco impeccable, un chant contrôlé, une couleur très chaleureuse, un des meilleurs Rocco de ces dernières années. Kwangchul Youn est aujourd’hui l’une des basses de référence pour le répertoire allemand, très émouvant et profond, c’est ce soir sans nul doute le meilleur du plateau.

Falk Struckmann, fut un Pizzaro référentiel lui aussi. L’artiste est intelligent, la présence scénique impressionnante, la diction impeccable. Malheureusement, la voix n’a plus l’éclat ou la profondeur d’antan et le chanteur éprouve quelque difficulté dans les moments de vaillance et les extrêmes du spectre, aigus comme graves, il en résulte un chant crié un peu vociféré, qui est quelquefois pénible. Malgré tout le respect pour le grand chanteur qu’il fut et qu’il reste quelquefois, cet heureux temps n’est plus.
Peter Mattei (Fernando) est une présence luxueuse pour un rôle très épisodique, mais il s’en tire comme toujours avec élégance, avec puissance, avec ses qualités habituelles d’émission et de diction, même si j’ai trouvé qu’à Lucerne (avec Abbado) il avait été encore meilleur.

Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano
Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano

Anja Kampe, qui chante Leonore depuis longtemps (avec Abbado lors de la tournée du Fidelio de Chris Kraus) devrait désormais réfléchir à ses choix de rôle : son engagement, son timbre chaud, son charisme lui garantissent des triomphes, soit dans Sieglinde, soit dans Senta, soit dans Leonore. Mais pour ma part je pense qu’elle n’a jamais eu les moyens d’un soprano dramatique, et surtout pas d’une Leonore, presque inchantable, demandant des qualités de cantabile à la limite du bel canto, et des aigus dardés, mais aussi des graves notables sur un spectre d’une rare étendue. On sentait ses limites dans ce rôle avec Abbado, même dans des théâtres moins vastes, elle s’égosille ici à en perdre la voix à la fin et rater plusieurs aigus. C’est une Leonore scénique, pour sûr, l’une des meilleures sur le marché, mais pas une Leonore vocale. Ici c’est nettement insuffisant.
Klaus Florian Vogt a un autre problème. Rien à dire sur la diction, sur la manière de colorer, sur la douceur de ce timbre, sur les aigus, même si le final de son air, haleté, haletant, lui crée quelques difficultés. C’est un chanteur de grand niveau et incontestable. Mais son timbre très clair, très nasal, un timbre qu’on croit être de ténor léger comme Almaviva (alors que la voix est tout autre que légère) ne convient absolument pas à la couleur du rôle, qui exige plus de corps, qui exige une couleur un tantinet plus sombre. Le résultat est qu’il n’existe pas. Ce n’est pas une question d’accompagnement du chef comme je l’ai lu, c’est une question de couleur et de pâte vocale. Ce timbre convient à Lohengrin, un héros venu d’ailleurs d’une autre nature et d’une autre pâte, cela ne convient pas du tout à Florestan, dont la couleur doit avoir du drame dans l’expression. Ici pas de drame, quelque chose de gentillet et de propret qui tombe à plat. Je le dis avec d’autant plus de tristesse que j’adore ce chanteur. Il n’est pas facile de trouver un Florestan aujourd’hui (sauf Kaufmann), ce n’était pas une mauvaise idée d’aller chercher ailleurs, mais tous ceux qui étaient à la représentation du 10 où Jonas Kaufmann a chanté ont dit qu’incontestablement cela avait fait basculer la représentation.
Malgré tout ce que j’ai lu (vulgarité, volume excessif, choix erronés) c’est bien Daniel Barenboim qui m’est apparu le plus convaincant et le plus impressionnant. Il a choisi comme ouverture Leonore II qui fut exécutée lors des premières représentations de la première version de l’opéra, une ouverture plus longue, plus symphonique, plus dramatique, plus descriptive aussi de la suite aussi, cette ouverture fut pour moi un grand moment : tempo lent, très lent, qui rappelait Klemperer, énergie et dramatisme qui rappelaient Furtwängler, référence explicite de Barenboim, c’est à dire un Beethoven inscrit dans une tradition datée certes (on ne joue plus Beethoven comme cela aujourd’hui), mais exécuté de manière fulgurante. Et c’est cette exécution majestueuse d’une incontestable grandeur, avec un orchestre particulièrement attentif, qui m’a séduit ici. Barenboim propose un Beethoven monumental, sombre, tendu avec un sens du drame marqué.  Certes on est à l’opposé de l’élégance dynamique d’un Abbado, ou d’un Harnoncourt, mais il y a là une vraie direction, une véritable option et l’orchestre sonne, avec un soin extraordinaire pour révéler la partition, pour en noter l’épaisseur et tant et tant de détails. Ainsi, toute la scène finale est elle musicalement grandiose (chœur vraiment remarquable, comme souvent à la Scala) et cette grandeur musicale compense largement la faiblesse du propos scénique. Le Beethoven de Barenboim n’est pas toujours convaincant. Ici on peut discuter les choix et options, on peut discuter l’interprétation, eu égard notamment aux voix choisies qui ne correspondent pas à cette direction (pour Vogt notamment), mais ce qui est indiscutable c’est la force de conviction, c’est l’intelligence, c’est même l’émotion qui se dégage de certains moments (l’ouverture notamment, mais aussi le final du premier acte et toute la scène du chœur des prisonniers, et le début du 2ème acte (qui n’a pas cependant la force qu’il dégageait chez Abbado).
Barenboim quitte la Scala après la dernière du 23 décembre. Premier directeur musical non italien,  aura beaucoup apporté pour le répertoire de la maison, qu’il a ouvert, il aura aussi permis à des chefs nouveaux de diriger, il a fait respirer une maison qui avait été un peu plâtrée les dernières années de Muti. On peut discuter le personnage, un certain public peut penser « bon débarras », mais il est clair pour moi qu’il a été un des phares de la période Lissner. Il restera au successeur  Riccardo Chailly de défendre le répertoire idiomatique scaligère.
Ce Fidelio est loin d ‘être totalement convaincant. Il est sauvé pour moi par la direction musicale, magnifique et à contre courant des modes, XXème siècle en diable, beethovénienne au sens furtwänglérien du terme dans la grande tradition du symphonisme allemand.

Les fins de cycle sont toujours un peu mélancoliques : voir Barenboim saluer seul avec panache un public conquis avait quelque chose d’émouvant.
La saison est ouverte, la Scala continue, grande dame vénérable et malgré tout éternellement séduisante. [wpsr_facebook]

Acte II Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Peter Mattei, Kwangchul Youn © Marco Brescia et Rudi Amisano
Acte II Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Peter Mattei, Kwangchul Youn © Marco Brescia et Rudi Amisano

BAYREUTHER FESTSPIELE 2014: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE WALKÜRE, de Richard WAGNER les 28 JUILLET 2014 et 11 AOÛT 2014 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Frank CASTORF)

Die Walküre, Adieux de Wotan© Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Die Walküre, Adieux de Wotan© Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Dans l’économie d’une entreprise aussi complexe qu’un Ring, chaque moment est une étape, et cette longue histoire nécessite une construction claire et qui réponde en continu au concept exprimé par la mise en scène. Dans le choix de Frank Castorf, deux éléments clés :
–       d’une part le théâtre épique au sens brechtien du terme,
–       d’autre la claire séparation du prologue et de l’histoire, dont Die Walküre constitue le premier jour, ou premier moment.

Nous avons vu que le prologue avait mis en place les conditions du récit : un enjeu médiocre d’une humanité médiocre, mais dépendante du consumérisme, sexe, jeux, et pétrole : c’est dans une station Texaco que l’histoire du Rheingold se passe. Mais l’espace est presque un espace mental, issu des bandes dessinées ou des comics, inscrit dans un lieu qui tient sa richesse du pétrole, mais en dehors de toute référence historique marquée.

Acte I (2013) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte I (2013) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Avec Die Walküre, l’histoire commence, et elle est au contraire inscrite dans le temps : le récit va être historié, et surtout situé dans l’espace : il prend naissance en Azerbaïdjan, à Bakou, avec les premiers puits de pétrole. Dans un monde qui s’apprête à accueillir le Dieu pétrole, le décor va prendre peu à peu forme et s’élaborer en fonction de l’importance grandissante de l’Or noir : puits et ferme (bottes de foin, cage à dindons) à l’acte I, puits de pétrole primitif à l’acte II, et puits de pétrole-Walhalla et Cathédrale au III. Une histoire à la fois éclatée, dilatée en espace et en temps, d’acte en acte. On avance dans le temps et l’espace se structure. Le troisième acte est déjà celui de l’extraction industrielle du pétrole, et la malheureuse histoire de la Walkyrie se déroule dans un Walhalla qui ressemble bien par certains côtés au Nibelheim de l’Or du Rhin. Un lieu d’exploitation et d’esclavage.

Il faut aussi sans cesse garder en tête les intentions de mise en scène, en s’appuyant sur l’histoire de Frank Castorf, venu de l’ex DDR, profondément lié à Berlin, à son histoire faite de déchirures et d’enjeux idéologiques. Ces questions irriguent son théâtre et donc ce Ring. Si le fil conducteur est l’Or noir, dont Castorf affirme qu’il s’est substitué à l’Or jaune comme source de toute la ruine du monde, de son absence de morale et de l’évacuation progressive de tout sentiment,  il souligne que les idéologies quelles qu’elles soient s’y sont subordonnées : au bout du compte, il n’y a plus de béquille pour porter le monde, il n’y plus qu’un immense néant. Crépuscule des Dieux ? non, Crépuscule de l’humanité.
Ce vaste propos, propose un sens délétère au Ring, où derrière la belle histoire mythologique, derrière les rédemptions par l’amour, se cache la ruine universelle.

Dans le parcours proposé, cette Walküre semble plus traditionnelle et donc mieux acceptée par le public que Siegfried, par exemple, auquel je viens d’assister. Walküre est encore d’une certaine manière le temps des illusions et des possibles, le temps où l’ivresse musicale wagnérienne enveloppe l’espoir né des deux jumeaux Siegmund et Sieglinde. Nul n’est besoin de distance, il faut au contraire épouser l’histoire pour mieux ensuite s’en éloigner. Il faut commencer par raconter simplement une histoire avant d’en décortiquer les données où d’en indiquer les dangers. Le couple Siegmund/Sieglinde est immédiat, dans sa rencontre, dans ses décisions, dans son amour explosif, et il a été programmé ainsi par Wotan. Le couple Siegfried/Brünnhilde est un couple encore plus programmé, éduqué pour se rencontrer et manipulé, mais cet amour est déjà perverti, traversé par les aventures du monde pétrolo-dépendant.

La ferme où vit Sieglinde est à peine touchée par le pétrole, le décor monumental et génial (on ne le dira jamais assez: le décor est toujours fascinant) d’Alexander Denić, représente une ferme, avec une tour (le derrick, reproduisant des photos de l’époque), une terrasse, et au pied de cet ensemble, des bottes de foin et deux dindons, auxquels Sieglinde donne à manger, deux dindons en cage prémonitoires, sorte de couple déjà prisonnier, des victimes en attente de solution finale : dans cette cage bientôt débarrassée de ses deux bêtes, viendront se réfugier un anarchiste (au troisième acte), mais on y jettera aussi tous les oripeaux idéologiques ou mythologiques : Wotan y dépose sa lance, Siegmund Notung etc.. Réceptacle de toutes les illusions du monde, réceptacle des dindons, oui, mais des dindons de la farce.
Comme dans l’Or du Rhin, extérieur et intérieur se mêlent à travers l’habile utilisation de la vidéo, Hunding endormi dort mal et semble avoir un sommeil agité de rêves. Sieglinde cachée derrière un drap prépare le philtre somnifère avec un air entendu digne d’un film du muet, tout le combat entre Hunding et Siegmund au deuxième acte se déroule en ombre ou dans l’intérieur de la ferme-derrick, on voit en final  alternativement, en phase avec la musique les deux visages de Hunding et Siegmund, les yeux fixes, résultat de leur combat.
Siegmund d’ailleurs meurt lentement, et ne cesse de tendre les bras vers ce père qu’il vient de reconnaître et d’apercevoir, mais c’est Brünnhilde qui le prend dans ses bras, contrairement à la tradition initiée par Chéreau. Dans le monde voulu par Carstorf, même fugitivement, Wotan n’a aucun sentiment.
L’univers dans lequel l’histoire est insérée se colore progressivement de notations géographiques et idéologiques. L’Univers de Castorf est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

L’histoire de la Walkyrie traverse les époques, du premier derrick à son exploitation plus mécanisée, voire plus industrielle et sa conséquence sur les masses, exploitées, puis révolutionnaires. Comme dans Rheingold où l’histoire était inscrite dans le Texas profond, champ pétrolifère bien identifié, nous sommes en Azerbaïdjan, russifié, avec ses inscriptions en russe, en azeri (une langue voisine du turc) qui nous envahissent progressivement. Au spectateur de se sentir à la fois concerné, mais aussi étranger, dans un monde qu’il ne déchiffre pas, dans une langue qu’il ne comprend pas (du moins les non russophones…). Au deuxième acte, le monde des graffitis idéologiques est né le monde n’a plus la « pureté » ou l’ignorance primitive du premier acte. À la paille et aux dindons laissent la place le monde d’un Lumpenproletariat exploité par Wotan, de la manière dont habituellement on voit Alberich exploiter ses Nibelungen dans Rheingold. Castorf propose cette image non dans Rheingold, mais dans Walküre, sussurant que derrière le mot Walhalla se cache pouvoir et donc exploitation (et productivisme stalinien) et que Wotan et Alberich sont deux faces d’un même Janus bifrons.

Mais déjà, à l’orée même de l’exploitation du pétrole, naissent dans le même temps ses dérivés les plus destructrices. Pendant le récit de Wotan au deuxième acte, Brünnhilde distraite prépare les produits de mort, les produits explosifs, elle écoute d’une oreille légère le monologue de son père, et va recueillir dans de petites bouteilles qu’on insère ensuite dans une caisse, un suc issu d’une sorte d’alambic, le TNT…
Quant aux Dieux, ils n’ont pas de racine, ils sont partout et ils sont nulle part, et donc ils empruntent les usages  là où ils sont: Fricka arrive en scène au deuxième acte vêtue en princesse russe, comme on pourrait en voir dans un opéra de Glinka ou de Borodine. Elle arrive non en char tiré par des béliers, mais portée par un esclave qu’elle fouette, autre manière de montrer que Nibelheim est au Walhalla et que les Dieux sont comme les autres et comme ceux qu’ils combattent. Et Castorf, jamais avare de sarcasme et d’ironie, fait se retirer l’esclave un peu titubant et se frottant  le dos maladroitement, pour marquer la souffrance d’avoir porté la déesse. Rires dans la salle.
Ainsi donc alternent une vision traditionnelle de Die Walküre, on y trouve Notung (même si dédoublée au premier acte, plantée sur la terrasse et plantée sur un tronc dans le hangar où Siegmund vient l’arracher), on trouve les amants affolés et traqués, une Sieglinde apeurée (extraordinaire Anja Kampe), et en même temps Brünnhilde préparant des caisses de TNT,  et une explosion prémonitoire à l’écran, pour l’utiliser : le temps est bien marqué, il s’agit de 1942, le sabordage des champs pétrolifères de Bakou pour empêcher les allemands de les occuper et les exploiter lors de l’offensive allemande appelée Opération Edelweiss.
Le combat de Hunding et Siegmund a lieu dans ces circonstances, sans doute métaphoriques d’un combat plus planétaire, au total sans vainqueurs ni vaincus, écartelé entre l’extérieur et l’intérieur, écran et théâtre, réel projeté et réel figuré/représenté. Et le combat se voit sur l’écran, comme par regard interposé. Sieglinde, dehors, lance un hurlement animal, d’un volume phénoménal et déchirant, comme le hurlement des éternelles victimes. C’est ce qu’on retient de ce combat, hors les corps qu’on voit étendus et les visages figés, hors le geste de Siegmund, tentative vers Wotan le père qu’il rencontre pour la première fois, hors l’explosion des puits de pétrole.

La Chevauchée des Walkyries © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
La Chevauchée des Walkyries © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Le troisième acte commence par une Chevauchée marquée idéologiquement : le drapeau anarchiste risque de flotter sur ces puits, on se souvient aussi que les Tchétchènes et autres populations locales excédées par le totalitarisme stalinien ont profiter de l’arrivée allemande pour chercher à se libérer, fortement soutenus par les allemands : bref, les Walkyries ont pour mission là où elles sont, et elles sont partout, de  pourchasser ceux qui nuisent à la belle organisation pétrolifère et wotanienne, et tous ces révoltés s’écroulent près du but et meurent. Piétinant ces corps les Walkyries arrivent, vêtues des costumes de toute la société soviétique, dans le temps et dans l’espace, belles dames bourgeoises ou aristocratiques de la fin de l’ère tsariste, babouchkas, femmes de la Russie profonde (on dirait Marfa de la Khovantchina), musulmanes des états d’Asie centrale, princesses traditionnelles. Venues de tout le territoire et de toutes les époques, elles sont toutes vêtues comme des représentantes de la haute société et elles arrivent pour se réunir, quitter leurs oripeaux nécessaires pour tomber dans le monde, pour prendre des habits de Walkyries dignes de dames de revues de Music hall, casques argentés un peu punky, tenues de « maîtresses » de boite SM : le sérieux et la mort côtoient les paillettes, rien n’a de valeur, il n’y a plus d’échelle. Brünnhilde arrive avec Sieglinde en épais manteau de fourrure et en casque argenté punky, seule Sieglinde garde sa vague tenue de paysanne azeri.
Il faut noter aussi au passage les beaux costumes de Adriana Braga Peretski, costumes voyageurs eux aussi, variés, très inspirés pour certains de costumes de music hall, avec paillettes, lamé, des costumes d’apparence, mais jamais de substance, nous sommes à l’évidence au spectacle du monde, the show is going on.
Un autre élément à la fois intéressant et dérangeant,  les mêmes personnages apparaissent comme des figures différentes y compris d’un acte à l’autre. Il y a par exemple une plasticité de Wotan qui se présente sous des apparences diverses, dans l’Or du Rhin mauvais garçon, et le voilà dans le deuxième acte de Die Walküre, affublé d’une barbe de patriarche, à la russe.

Wotan et Fricka (Acte II) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Wotan et Fricka (Acte II) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Il est dans ce deuxième acte celui qui est la mémoire et qui rappelle les épisodes précédents, il est le chroniqueur, un peu le Pimen (de Boris Godunov) de la situation, il ressemble même avec sa grosse barbe à un Léon Tolstoï qui raconterait Guerre sans Paix chez les Dieux. Pendant que Brünnhilde à qui il devrait s’adresser prépare ses fioles de TNT, son discours devient un monologue intérieur, une méditation totalement fascinante, telle qu’elle est dite par Wolfgang Koch, avec un sens de la parole, un sens de la couleur hallucinants, et accompagnée à l’orchestre comme probablement jamais depuis Boulez je n’ai entendu dans ce deuxième acte un orchestre. Une méditation intérieure, fusionnelle entre parole et orchestre, l’orchestre dit ce que le chanteur dit, dans une osmose qui fait rentrer le spectateur en soi, qui crée y compris en lui la posture méditative. Un sommet.

Léon Tolstoï, portrait par Repin
Léon Tolstoï, portrait par Repin

Il est frappant de voir quel statut patriarcal Castorf lui donne ici, d’autant que dans l’acte suivant Wotan perd sa barbe (mais garde ses deux yeux et en perdra un, on verra pourquoi, dans Siegfried) et redevient une figure non de la mémoire, mais du futur immédiat, le jeune chef exigeant. Ces variations sont évidemment la conséquence de ce travail où temps et espace se mélangent et s’épousent, se contredisent et en tous cas voyagent sans cesse : Wotan est un Wanderer du temps et de l’espace et prend, tout comme les dieux de la mythologie, les apparences nécessaires exigées par les situations : tout est mouvant dans cet univers en fusion.
Le dialogue Brünnhilde Wotan du 3ème acte, est complètement différent par l’ambiance et par le propos de celui du second acte.  Les attitudes changent : Wotan plus jeune, plus vif, plus projeté vers le futur, Brünnhilde qui n’a pas ici l’attitude vaguement soumise et tendre qu’on connaît souvent dans ce duo. Cela bouge, cela discute ferme, cela s’oppose, et cela vit, d’une manière incroyable grâce à une diction de conversation qu’on a déjà entendue dans Rheingold.
Quant au final, il garde quelque chose d’une vision traditionnelle, c’est le tonneau cuve du premier plan qui s’enflamme (Il y a beaucoup de pétrole par ici…), tandis que Brünnhilde, vue à travers la vidéo  s’endort à l’intérieur du décor, qui tient du puits de pétrole, du château fort et surtout de la cathédrale merveilleusement éclairée (il faudrait de longues descriptions des sublimes éclairages de Rainer Casper) avec son immense clocher dominé par une étoile rouge (nous sommes en plein stalinisme).Elle s’endort les yeux ouverts, fixés dans l’attente, comme pour l’éternité, dernière image sublime qui montre aussi que Castorf sait provoquer les émotions.
La réussite de cette Walkyrie qui a triomphé de manière indescriptible auprès du public, doit rendre grâce à une distribution très équilibrée, voire quelquefois d’un niveau exceptionnel.

Hunding et les dindons (Acte I) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Hunding et les dindons (Acte I) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Kwanchoul Youn en Hunding est comme d’habitude remarquable de diction, et d’équilibre,   il campe un personnage glacial, violent avec son épouse, distancié, avec une voix bien posée, magnifiquement projetée.

Acte I (final) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte I (final) © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Johan Botha est tout simplement merveilleux, merveilleux de style, de tendresse, de velouté vocal, une voix qu’il sait rendre puissante avec des sons incroyablement tenus (les Wälse du premier acte et surtout le Wälsungen Blut de la conclusion). On sait qu’il n’est pas un acteur de référence, mais Castorf tient compte dans ses mouvements et son jeu des capacités du chanteur, et il fait un Siegmund à la fois passionné, mais en même temps plutôt introverti, qui correspond bien à la couleur sombre et retenue imposée par Petrenko. Passion rentrée plus qu’exprimée, vagues intérieures et réprimées, une passion traversée (déjà) par l’angoisse.
Anja Kampe est vibrante. En petite difficulté dans le premier acte où la voix semble retenue et sortir sans éclat, elle explose au deuxième et au troisième acte. J’ai rappelé son cri final du deuxième acte déchirant, violent, mais en même temps performance inouïe, il faut aussi saluer l’extrarodinaire personnage campé et chanté au troisième acte, avec de merveilleux O hehrste Wunder ! Herrlichste Maid ! bouleversants.
Catherine Forster en Brünnhilde en revanche est un personnage intéressant, mais la voix a de sérieuses difficultés avec les hojotoho initiaux du deuxième acte, qui se résument à des cris stridents, pas toujours en mesure, si bien qu’elle en fait sauter un. Cette voix est étrange, fragile dans les graves peu soutenus et dans le medium où elle s’aide d’un vibrato peu agréable, mais dès qu’elle atteint le haut medium, l’aigu devient large, expansé, solide, charnu, comme si elle n’avait travaillé que l’homogénéité de l’aigu sans s’occuper du reste ; il en résulte des moments très inférieurs au niveau à mon avis requis, et d’autres d’une grande beauté…
La Fricka de Claudia Mahnke est un joli personnage de princesse russe un peu exigeante, la voix et correcte, mais ce n’est pas une Fricka de référence, on est loin d’une Elisabeth Kulman, entendue à Lucerne et qui cassait la baraque.

Les Walkyries sont plutôt bien distribuées, l’ensemble vocal (à part quelques stridences) bien homogènes, surtout chez les mezzo (Alexandra Petersamer, Okka von der Dammerau) et saluons aussi la mise en scène (complexe) sur plusieurs niveaux qui rend le son magnifiquement distribué dans l’espace.
Reste Wolfgang Koch, Wotan étonnant.
Étonnant parce que jamais en représentation vocale : il a choisi de travailler un discours au ton plutôt égal, très travaillé dans le détail. Les aigus y sont, mais attaqués avec subtilité, presque noyés dans le discours, c’est souvent comme du Sprechgesang, avec une incroyable variété de couleurs. C’est un Wotan qui impressionne par l’intelligence et la subtilité, un Wotan au chant presque mozartien (comme je l’ai rappelé dans Rheingold), avec une technique et un contrôle supérieurs, et un timbre chaleureux. Sans s’imposer par le volume (on est à l’opposé d’un Terfel), il s’impose par le discours, par le texte, par le dire. C’est tout à fait exceptionnel.
Exceptionnel, c’est un qualificatif encore inférieur à l’effet produit par la direction de Kirill Petrenko. Je le répète, depuis Boulez, et malgré les Barenboim, les Levine et autre Thielemann, qui furent (ou sont) les chéris du lieu, on n’a pas entendu depuis plusieurs dizaine d’années une lecture de cette hauteur, de cette intelligence, de cette parfaite adéquation au discours scénique. Un orchestre sans effets, sinon l’appui permanent au texte, comme un discours textuel qu’il porterait lui même (le deuxième acte, anthologique d’intelligence et de grandeur), une direction qui est tout sauf démonstrative, qui ne cherche pas à démontrer, qui ne cherche aucun effet de manche ou de baguette, et qui ne cesse de démontrer, qui ne cesse de montrer le discours wagnérien, avec un sens du détail, avec une lisibilité, une clarté uniques. Petrenko, c’est la chance de cette édition du festival, car c’est la profondeur, c’est l’invention, c’est la méditation, c’est aussi la passion, mais jamais explosive, toujours rentrée, toujours avec cette petite réserve qui nous prépare à la noirceur du futur. C’est un Wagner différent de tout ce qu’on entend actuellement, en ce sens, nous avons entendu dans la fosse une Walküre unique. Cristal et métal, fleuve, air, braise, sonore et mate. Le miracle.
On l’aura compris, il serait imbécile de vouer aux gémonies une telle entreprise. C’est la grandeur de Bayreuth d’oser Castorf, mais sans Petrenko, tout ce qui fait la singularité de ces moments disparaîtrait sans doute. Après ces Ring, il va rejoindre Munich son port d’attache. Compréhensible. Il faudra donc s’armer d’une probable longue, très longue patience pour le voir revenir dans cette fosse. C’est pourquoi il ne faudra à aucun prix rater le Ring 2015, son dernier. Mais avant de parler du futur, restons dans le miracle quotidien que constitue la musique de ce Ring, et dans la stimulation quotidienne que constitue le travail fascinant et intriguant de Castorf.

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WALKÜRE II  LE 11 AOÛT 2014 :

Beaucoup d’émotion, et une admiration de plus en plus forte si c’est possible pour le travail à l’orchestre de Kyrill Petrenko.

Juste quelques remarques sur cette seconde Walkyrie, qui a fonctionné sur le public comme la première. On ne peut que confirmer l’habileté de Wolfgang Koch à incarner Wotan au deuxième acte, son monologue face à Brünnhilde, devenu monologue intérieur dans la mise en scène (il reste souvent seul en scène pendant que Brünnhilde va préparer ses bombes), accompagné par un orchestre époustouflant, reste pour moi le sommet de la soirée.
L’orchestre me paraît plus libéré que lors de la première audition, presque plus lyrique. Toujours aussi fluide, toujours aussi présent dans sa modestie même, toujours aussi précis : on entend le moindre des sons, Petrenko accompagne plus qu’il ne dirige et le sentiment de globalité du spectacle n’en est que plus fort. Cette fois-ci, et plusieurs fois, le cœur a battu très fort et les yeux se sont mouillés.

Anja Kampe ds Walküre acte I © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Anja Kampe ds Walküre acte I © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Une réserve cependant, et de taille : Anja Kampe en Sieglinde a eu un énorme succès, un triomphe indescriptible comparable seulement à celui de Petrenko qui fait hurler et taper des pieds toute la salle en délire, comme la veille dans Rheingold.
Pourtant, je suis très réservé sur sa Sieglinde. Le personnage est formidable en scène, elle vibre et fait vibrer, mais la voix reste quand même notoirement insuffisante pour le rôle. Cela a provoqué des discussions d’entracte, car beaucoup ont adoré sans réserves. Son premier acte pourtant est truffé, je dis bien truffé de problèmes à l’aigu. La voix manque de largeur pour le rôle, le souffle qui accompagne les aigus dans les passages est court, elle doit systématiquement s’y reprendre à deux fois, pousser d’abord, ouvrir après, avec un fort vibrato et certains aigus sont savonnés ou ne sortent pas, d’autant que le tempo installé par le chef en accord avec la mise en scène est plutôt lent et la met en difficulté. Cela va mieux aux deuxième et troisième acte, qui sont plus dramatiques et donc passent mieux en scène, mais la largeur des aigus reste problématique. Nous sommes quelques uns à l’avoir ressenti, et certains mêmes plus violemment que moi : comme dans sa Senta à la Scala, comme dans sa Leonore (Fidelio) avec Abbado, on entend les problèmes d’homogénéité vocale d’une voix forcée. Si cela continuait ainsi, je ne sens pas une longue carrière encore, malgré les évidentes qualités d’engagement de l’artiste.

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Acte III © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte III © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

 

 

TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER de Richard WAGNER, le 15 mars 2013 (Dir.mus: Hartmut HAENCHEN, ms en scène Andreas HOMOKI)

Acte 1 ©Keystone

Il y a toujours beaucoup à dire d’une production wagnérienne, et peut-être encore plus quand elle n’a pas convaincu, ce qui est le cas. D’autant plus que le plus souvent, Der Fliegende Holländer a plutôt de la chance, et vu le cast réuni, on pouvait rêver, et rêver beaucoup mieux.
Depuis les années 80, l’œuvre a bénéficié à la Scala de deux productions (celle-ci est la troisième), en 1988, Michael Hampe, très classique dirigée par Riccardo Muti (c’était son premier Wagner) avec James Morris et Deborah Polaski et 2004, Yannis Kokkos, tout aussi classique mais plus jolie à voir dirigée par Guennadi Rojdetsvenski avec Juha Uusitalo et Eva Johansson. Du solide.
Cette année, c’est Andreas Homoki, actuel directeur de l’opéra de Zürich et ex directeur de la Komische Oper, qui assure la mise en scène (coproduite par Zürich et Oslo), Hartmut Haenchen qui dirige, avec Bryn Terfel et Anja Kampe. Du solide encore, d’autant que Daland est tenu par Ain Anger, et Erik par Klaus Florian Vogt pour toutes les représentations sauf la dernière. C’était Michael König, autre très bon ténor, qui était affiché pour cette dernière représentation: sans crier gare, sans avertir, la Scala affiche en réalité Marco Jentzsch qui a tenu le rôle à Zürich en décembre et janvier dernier. Enfin, autre surprise, alors que le programme, et notamment un article  très clair de Hartmut Haenchen évoque la préférence de Wagner pour une version en un acte sans entracte (aujourd’hui adoptée dans tous les théâtres ou presque) et aborde la question de la version en trois actes avec entractes (comme Muti l’avait fait en 1988) et la critique, la Scala propose ni l’un ni l’autre, mais une version en deux parties avec entracte après le premier acte, qui doit cacher des pesanteurs internes (syndicales dit-on) et sans doute une négociation avec le chef.
La mise en scène de Andreas Homoki éloigne volontairement toute référence aux légendes nordiques, et aux tempêtes de légende, elle fait de cette histoire une sorte de drame bourgeois, dans un décor clos, sinon unique, du moins agrémenté par un cube-cloisons de bois sombre qui tourne sur une tournette et présente panneaux économiques, tableaux (mer houleuse) ou carte géographique (de l’Afrique).
Évidemment, présentée ainsi, la mise en scène suscitera déjà un commentaire amer du spectateur agacé par le Regietheater (encore des absurdités!). La mise en scène de Homoki a sa logique, et sa cohérence, c’est loin d’être « n’importe quoi » comme on dit le plus souvent pour jeter aux oubliettes un travail de mise en scène.
Andreas Homoki part de la légende du Hollandais, qui se passe non en Norvège comme on le pense généralement, mais dans la région du Cap de Bonne Espérance: le capitaine hollandais a refusé de mouiller dans un port lors d’une terrible tempête, a blasphémé et défié les éléments, et comme punition non seulement il ne réussit pas à passer le fameux Cap, mais il est en plus condamné par Dieu à errer sur les mers jusqu’au Jugement Dernier et n’aborder la terre que tous les sept ans pour trouver la femme qui lui promettra amour et fidélité (jusqu’à la mort) et ainsi mettre fin à la malédiction.

Voilà qui explique donc la carte de l’Afrique du Sud (puis celle de l’Afrique entière) qu’on voit au début. Le décor clos, figure au départ (mais c’est peu clair) un navire, puis change (tout en restant globalement similaire structuré en espace unique : les changements de décor sont indiqués par cette structure centrale de bois qui tourne faisant apparaître tour à tour Afrique, mer houleuse, une horloge où le temps tourne à toute vitesse; les changements d’intérieur étant indiqués par des meubles qui varient: une table avec un télégraphe (nous sommes à la fin du XIXème), une salle avec des secrétaires derrière des machines à écrire (les fileuses…) , un canapé ou des fauteuils…Les ambiances changent sans vraiment changer: nous sommes dans un monde de la colonisation (Afrique du Sud) triomphante dont Daland est l’un des acteurs, où tout but poursuivi est économique: tous les personnages sont en noir habillés (hommes et femmes) comme des employés de banque des débuts du capitalisme,

Le Hollandais vu par Homoki ©Opernhaus Zurich/T+T Fotografie/Toni Suter + Tanja Dorendorf

sauf le Hollandais, sorte de Raspoutine un peu décalé dans sa pelisse en peau de bête (qu’il abandonnera lorsque l’amour de Senta lui sera donné, il laissera voir un costume très XIXème: le temps le rattrape avec l’amour!) et son haut de forme un peu désuet avec sa plume rouge : ce « look » est pris au film de Jim Jarmush Dead-man (1995) qui raconte l’errance d’un personnage (Johnny Depp)

Johnny Depp dans Dead-man

perdu dans un monde qui le pourchasse et condamné à errer dans l’Ouest américain avec un autre personnage nommé Nobody . C’est en soi une idée excellente, encore faut-il que le public non cinéphile puisse la saisir.

Dead-Man (avec Johnny Depp)film de Jim Jarmush

Erik aussi en habit de chasseur vert là où les autres sont en noir et blanc, est en décalage et  appartient à un monde différent, méprisé par les autres.

La Ballade ©Opernhaus Zurich/T+T Fotografie/Toni Suter + Tanja Dorendorf

Quant à Senta, elle ôte son habit d’employée pour apparaître en combinaison à la fin de la ballade (elle est prête à se donner…), qu’elle cachera sous une redingote pendant tout le reste de l’œuvre. La mise en scène oscille entre les fantasmes de Senta (thèse centrale de la mise en scène de Kupfer en 1978) et la vision d’un monde gouverné par le gain qui justifie l’attitude de Daland qui vend sa fille au plus offrant (après tout le mariage  aristocratique ou bourgeois a la plupart du temps été dicté par des accords économiques dans l’ancien régime et au XIXème). En ce sens Senta affirme la prééminence du désir personnel et non des contingences socio-économique, elle représente une sorte d’autonomie de la femme qui s’oppose envers et contre tout aux lois sociales et au conformisme en vigueur à l’époque.
D’un autre côté, la carte de l’Afrique complète qui apparaît au troisième acte et marque l’étendue de la conquête coloniale, puis à la place de la fameuse tempête, fait apparaître à la fois l’exploitation des noirs et aussi la révolte des zoulous (la carte de l’Afrique brûle) comme une menace transformée en cauchemar explique le contexte de l’histoire, qui fait apparaître le Hollandais comme venu de nulle part et qui repartira en disparaissant dans le nulle part et provoquera le suicide de Senta, avec la carabine d’Erik.
Tout ce propos a sa logique, sans forcément s’imposer : il manque à ce travail une vraie dynamique, on s’ennuie un peu, et une urgence que la musique devrait imposer. On ne rêve pas: toute référence à la légende, au monde fantasmatique de Senta est gommée et la soif d’irrationnel est loin d’être étanchée. On est face à une sorte de drame bourgeois qui ne dit pas son nom, et qui n’a rien de l’opéra romantique indiqué par le titre. C’est alors plat, et lourd, et sans magie. Bref, tout cela apparaît sans vraie justification, une logique, un travail précis, loin d’être stupide, mais qui tombe carrément à plat.
A un choix de mise en scène pareille devrait correspondre un choix musical plus radical, plus urgent, plus nerveux, où la version dite parisienne de 1841 devait s’imposer, en un acte, sans rédemption, brutal et vif, alors qu’est choisie la version de 1860 avec la rédemption (la mise en scène refuse l’idée de rédemption quand la musique l’indique) et que la Scala pour raisons internes impose un absurde entracte, alors qu’à Zürich dans la même mise en scène l’œuvre était présentée comme c’est logique, sans entractes sous la direction d’Alain Altinoglu.
Hartmut Haenchen propose une direction musicale très en place, très précise, avec un orchestre globalement bien préparé (quelques menues scories dans les bois ou les cuivres), mais sans vrais accents, sans vrai discours, un tempo assez rapide mais une direction sans relief, sans vraie musicalité qui me rappelle ce que Von Dohnanyi disait à l’orchestre de l’Opéra avant de renoncer au pupitre d’un Tannhäuser dans les années Lefort: « j’entends des notes, je n’entends pas de musique », une direction peu animée, c’est à dire sans âme.
La distribution en revanche promettait beaucoup, Bryn Terfel, Anja Kampe, Klaus Florian Vogt et Ain Anger. IL paraît que Vogt était très bon dans les représentations précédentes. Michael König pouvait être un Erik magnifique, ce fut l’honnête Marco Jentzsch à la voix plus légère et moins engagée, et donc au poids très relatif. Une voix qui pouvait convenir à la salle au volume réduit de Zürich, mais qui se perd un peu dans une vaste nef telle que la Scala. Or les meilleurs Erik sont plus des futurs Siegmund que des ex-Tamino. Erik doit s’affirmer, et sa présence vocale doit en être la marque. Ici, peu de présence.
Le « Steuermann », le pilote de Dominik Wortig, n’a pas la séduction de certains pilotes: le timbre n’est pas vraiment engageant, les aigus n’y sont pas, et l’air initial n’a aucune, mais aucune magie. Ain Anger, sans avoir un timbre d’une grande séduction, a une voix de basse impressionnante de puissance et de présence, son chant manque d’une certaine élégance (ah..Salminen!) mais pour Daland, cela peut convenir. C’est plutôt une bonne surprise.
Anja Kampe a remporté un beau succès critique à Zürich et à Milan, et il faut reconnaître un chant engagé, quelquefois intense, des aigus bien construits. Mais pour ma part, je ne suis pas sûr que Anja Kampe puisse chanter ainsi longtemps. Les moyens naturels ne sont pas ceux d’un soprano dramatique, les aigus sont très construits, le chant se prépare sans cesse aux aigus des scènes finales de l’acte II et de l’acte III, et la ballade reste en dessous de la fluidité attendue. A Zürich, pour elle également, la salle plus petite pouvait convenir sans que la voix de vire au cri. A la Scala, c’est plus difficile et la voix a tendance aux stridences. La prestation est évidemment très honorable, mais pas exceptionnelle dans ce rôle à mon avis.

Duo Senta/Hollandais ©Opernhaus Zurich/T+T Fotografie/Toni Suter + Tanja Dorendorf

Le cas de Bryn Terfel est différent: il n’a plus rien à prouver, il tout chanté, de Falstaff à Leporello, de Wotan à Hans Sachs et au Hollandais.

©Opernhaus Zurich/T+T Fotografie/Toni Suter + Tanja Dorendorf

Il m’est apparu cette fois bien moins convaincant que dans Falstaff, la voix manquait d’éclat, marquait la fatigue notamment dans le duo avec Senta et dans la scène finale. Certes, il garde des qualités éminentes de diction et d’interprétation, mais le poids vocal a ce me semble perdu de la présence et la puissance et l’aisance n’étaient pas au rendez-vous. Peut-être est-ce passager, peut-être aussi est-ce la fatigue de ses prestations successives depuis décembre dernier? Il reste qu’il m’est apparu en retrait.

 

 

 

 

Succès correct mais pas de triomphe à la Scala. On dit que le Fliegende Holländer de Bologne, sans stars, sous la direction de Stephan Anton Reck était en tous points plus convaincant. Je crois que pour cette fois, la mise en scène a un peu plombé l’ensemble et que la direction n’était pas assez engagée : malgré son titre, ce Fliegende Holländer n’a pas décollé.

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Les marins Acte 1 ©Opernhaus Zurich/T+T Fotografie/Toni Suter + Tanja Dorendorf