STAATSOPER IM SCHILLER THEATER BERLIN 2015-2016: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG de Richard WAGNER, le 11 OCTOBRE 2015 (Dir.mis: Daniel BARENBOIM; Ms en scène Andrea MOSES)

"Barouf" de l'acte II ©Bernd Uhlig
“Barouf” de l’acte II ©Bernd Uhlig

L’Orchestre est prêt, scène ouverte, le chœur s’installe, les Maîtres aussi, tous venus de la salle, on bavarde, on se salue, on s’assoie. On fait silence. Puis au milieu de la scène arrive une dame avec un micro, on se dit : « Aïe ! l’annonce d’un malade… » Mais la dame nous rassure tout de suite en disant que tout le monde est en forme.
Elle vient nous dire simplement qu’après la représentation, le personnel de l’opéra sera aux portes pour recueillir ce que voudront bien verser les spectateurs pour les réfugiés arrivés à Berlin, de manière à résoudre au plus vite les questions pratiques et logistiques, l’argent liquide ira directement à une des associations berlinoises en charge du problème.

On croit rêver.

On croit rêver… et pourtant, cette manière de faire est implicitement cohérente avec la mise en scène de ces Meistersinger d’Andrea Moses, qui, en quelque sorte, fait le point sur l’Allemagne d’aujourd’hui et l’identité allemande.

Acte I Meistersinger ©Bernd Uhlig
Acte I Meistersinger ©Bernd Uhlig

Je trouve toujours plus que Die Meistersinger von Nürnberg est l’opéra le plus beau, le plus intéressant et le plus profond de Wagner. Je sais pourtant que beaucoup de wagnériens non allemands ont des difficultés avec cette œuvre. Moi même je n’y suis pas facilement entré. Mais quand tombent les blocages, quel univers fascinant ! Voilà une œuvre complexe, qui fut une sorte de modèle, dont on retrouve trace(s) aussi bien dans le Falstaff de Verdi que dans la Cinquième de Mahler, qui cumule les questions, celle du propos, d’abord, qui n’est pas si évident, celle de la réception ensuite, puisqu’elle a été ballotée entre la comédie pour distraire le bon bourgeois bavarois, et le symbole de l’identité allemande, glorifiée par les nazis pour devenir la seule œuvre possible à Bayreuth pendant la deuxième guerre mondiale, c’est elle enfin, en 1956, qui a été complètement nettoyée des scories brunes par Wieland Wagner à Bayreuth.
L’histoire de l’œuvre dans les 50 dernières années à Bayreuth est intéressante à rappeler pour comprendre l’importance de ce qu’Andrea Moses veut transmettre. Dernière œuvre « autorisée » par l’oncle Wolf à Bayreuth et jouée jusqu’en 1944, elle fut la seule des productions du Festival 1951 à ne pas subir le nettoyage par le vide wielandien. Il attendit 1956 et ce fut un scandale énorme, puis en 1963 il en « externalisa » la problématique chez Shakespeare dans un décor très inspiré du Théâtre du Globe essayant alors de « dégermaniser » la question. Une mise en scène qui dura peu, puisque dès 1968, après la mort de son frère, Wolfgang en proposa une vision assez traditionnelle, reprise avec de menues variantes jusqu’en 1996 et au seuil des années 2000. En gardant la main sur l’œuvre, Wolfgang donnait en quelque sorte un gage à ce public de Bayreuth qui ne digérait pas le Regietheater entré dans le temple wagnérien dans les années 70, et l’œuvre très populaire auprès de ce public (elle a même un public très spécifique) n’était ainsi pas remise en cause dans son aspect disons…folklorique. Un deal en quelque sorte.

Katharina Wagner osa affronter la discussion sur une œuvre que Bayreuth avait traité de manière ambiguë et qui continuait de traîner son image un peu délétère. Elle fit de Sachs un libéral qui vire au conservateur puis au dictateur : son discours final devenant clairement un discours hitlérien. Il faut se souvenir de l’excellent Hawlata mimant Adolf avec ses mouvements de main nerveux, entouré de statues à la Arno Breker, et Walther entre du même coup dans le rang dans un conformisme désolant. Et elle fit au contraire de Beckmesser une image d’ouverture et d’innovation. C’étaient des Maîtres « cul par dessus tête ».
En 2017, pour la première fois depuis 1956, une mise en scène des Maîtres à Bayreuth échappera à un Wagner, puisqu’elle est confiée à Barrie Kosky.
Daniel Barenboim, après une petite vingtaine d’années de présence à Bayreuth, a installé à Berlin un pôle wagnérien particulièrement médiatisé : Festival annuel, et productions très discutées ces dernières années : le Tannhäuser de Sasha Waltz puis le Parsifal de Tcherniakov ont installé définitivement la Staatsoper de Berlin et permis de rivaliser avec Munich et Bayreuth sur les exécutions wagnériennes de référence : Guy Cassiers (pour le Ring), Dmitri Tcherniakov et Sasha Waltz sont évidemment des noms qui comptent dans le monde théâtral.
Avec Andrea Moses, l’Opéra d’Etat de Berlin a fait appel à un metteur en scène moins en vue, originaire de Dresde (en ces temps de Pegida, ça compte) une jeune femme (il n’y en a pas trop dans le monde des metteurs en scène) qui affronte le plus tudesque des opéras.
Andrea Moses pose justement la question de l’Allemagne, très nette, très affichée (drapeau géant présent en permanence, dans lequel s’enroulent Eva et Waltehr au deuxième acte, délicieuse cachette pour amants, ballons aux couleurs germaniques, insignes des maîtres aux trois couleurs etc.). Et elle réussit le prodige de ne pas en faire un manifeste nationaliste, parce qu’elle pose la question de l’œuvre en lui permettant de se dérouler telle quelle dans une Allemagne apaisée, faisant de Nuremberg non pas la ville folklorique traditionnelle, mais une image de ville moderne qui reflète une Allemagne du jour, où Sachs cultive son cannabis sur le toit, et où les bagarres naissent des oppositions de supporters d’équipes de foot comme au deuxième acte, une Nuremberg très berlinisée qui abrite des punks berlinois. Même chez Wagner d’ailleurs, Nuremberg n’est pas la ville de Nuremberg, hic et nunc, mais un univers presque abstrait où art et artisanat se parlent, un monde où la discussion esthétique est quotidienne, une sorte de République platonicienne dont poètes et musiciens seraient les Maîtres.
Trois points frappent dans ce travail :

  • d’abord, le retour de la farce, du « Witz », la première scène dans l’église où Walther caresse le dos nu d’Eva est à la fois hardie et désopilante, Hans Schwarz (Franz Mazura, 91 ans bien portés !), qui ne cesse d’avaler ses pilules en se faisant encore plus vieux qu’il n’est, David malmené par ses copains, un groupe de Punks un peu agités, on rit beaucoup, on sourit souvent.
  • Ensuite, la scrupuleuse obéissance au livret, en le faisant aller au fond des choses, en installant Sachs dans son personnage de poète intellectuel (une bibliothèque riche en livres variés, comme on le voit au début du troisième acte) et notamment en révélant l’ambiguïté d’Eva, et son jeu entre Sachs et Walther (c’est presque d’ailleurs un topos de l’œuvre aujourd’hui) : même transposée, on reconnaît toute la trame.

    Acte III: Sachs (Wolfgang Koch) , Eva (Julia Kleiter) Walther (Klaus Florian Vogt) ©Bernd Uhlig
    Acte III: Sachs (Wolfgang Koch) , Eva (Julia Kleiter) Walther (Klaus Florian Vogt) ©Bernd Uhlig
  • Enfin, cette transposition moderne est plus subtile qu’il n’y paraît : l’affichage du panneau des sponsors comme lors des conférences de presse des entraîneurs au foot ou en formule 1, la présence lors de la Festwiese de délégués d’un Etat du Golfe, à qui on explique le déroulé, sans doute parce qu’ils sont des financeurs potentiels, les néons des toits de Nuremberg qui indiquent Sachs, ou Pogner comme autant de firmes qui cherchent à se vendre, sont des indices des intentions de la mise en scène : ces Maîtres d’aujourd’hui construisent une reconstitution « marketing » de l’histoire des Maîtres Chanteurs, cherchant sans doute un sponsor pour financer l’opération « Meisterfest » comme il y a l’Oktoberfest, et cherchant à affirmer une identité plus festive qu’idéologique, avec les qualités et les défauts du modernisme ambiant.
    Acte I ©Bernd Uhlig
    Acte I Sachs sur fond de sponsors©Bernd Uhlig

    Et du même coup on comprend évidemment pourquoi on sort le fauteuil de Sänger (« der Sänger sitzt ») sous une housse de plastique transparent, tout comme l’établi de Sachs, comme des objets sortis du grenier, reliques d’une époque disparue qu’on essaie de faire revivre plus ou moins artificiellement , on comprend aussi pourquoi les fauteuils des maîtres au premier acte sont des meubles dépareillés comme sortis du même grenier: nous sommes dans une représentation de « théâtre dans le théâtre ». Je dis « nous », parce que nous, spectateurs à Berlin, sommes évidemment part de la représentation, comme le montre l’accrochage des ballons tricolores sur scène et dans la salle, comme le montre la première image où chœur et spectateurs se font face avec la fosse au milieu pour écouter religieusement l’ouverture, et comme le montre l’image (quasi) finale du Palais impérial de Berlin, fond de scène bien peu nurembergeois, mais allusion claire au débat historique de la reconstitution d’un Palais impérial qui perdit sens et fonction à la chute de l’Empire, et donc à la question de l’Allemagne et de sa mémoire, voire de sa relation à l’histoire. Un texte du programme en souligne d’ailleurs l’absurdité.
    Aussi, quand l’effigie du Palais disparaît au profit de celle d’une sorte de prairie idéale et apaisée, une vraie « Festwiese » débarrassée de tout symbole politique, et que tous se tournent vers elle, alors, l’Allemagne unie autour de l’art et de la nature, apparaît, une Allemagne illuministe qu’on veut éternelle, et dont ces Meistersinger se veulent le nouvel emblème. Débats esthétiques, débats médiévaux, débats d’aujourd’hui et surtout débats allemands, voilà l’idée qui nous est proposée.

Acte III sur fond de palais ©Bernd Uhlig
Acte III sur fond de palais ©Bernd Uhlig

L’histoire est donc racontée avec distance, avec un regard à la fois tolérant, mais tout de même acéré, qui affiche l’aujourd’hui des sponsors, y compris les plus incongrus, et l’aujourd’hui d’une communauté diverse, pas forcément unie, mais disponible. On croise donc aussi bien un juif orthodoxe un peu ahuri par la bagarre du deuxième acte que des financeurs du golfe, des supporters de foot (un peu hooligans), des nostalgiques de l’Empire qui agitent le drapeau noir/blanc/rouge rétabli par les nazis qu’on fait bien vite taire, et des maîtres qui sont d’authentiques maîtres chanteurs historiques, Siegfried Jerusalem, Rainer Goldberg, Olaf Bär, Graham Clark, Franz Mazura (91 ans) qui chantèrent chacun jadis un des grands rôles de l’opéra et qui furent à un moment symbole d’une identité ouverte (tous ne sont pas allemands) et unie autour de la musique.
Jeu subtil entre représentation et réalité, et représentation de la réalité, l’opéra utilise la salle et les spectateurs comme des spectateurs de Maîtres lointains et proches, qui concernent directement un public allemand et une Allemagne sans doute assez sûre d’elle pour lier de nouveau cette œuvre à un discours identitaire certes, mais jamais dominateur.
Du même coup, ces Meistersinger ont une saveur nouvelle : ils disent la grandeur de l’Allemagne du jour, avec ses qualités et ses défauts, avec sa diversité et ses problèmes, sans se poser le satané problème identitaire qui empoisonne inutilement et stupidement ce type de discours en Allemagne et ailleurs. Si Die Meistersinger von Nürnberg apparaît comme une manière d’opéra national, ce ne fut jamais un opéra nationaliste, sauf dans les fantasmes des âmes nazifiées. Que Daniel Barenboim conduise le bal est évidemment un gage, compte tenu des opinions qu’il a toujours affichées, de son ouverture et il faut bien le dire, de son courage, et bien entendu, de sa propre identité d’israélo-argentin au passeport palestinien vivant à Berlin.
Ainsi, la quête pour les réfugiés (qui apprend-on par un tweet, a recueilli 11000 €) prend-elle place légitimement dans une soirée qui célèbre une autre Allemagne que celle des clichés ou des peurs brunes.

À une mise en scène aussi réussie et aussi profonde correspond un travail musical exceptionnel, qui associe solistes, troupes, chœur et orchestre. Daniel Barenboim, dans une salle de 900 places (au merveilleux rapport scène salle, il faut le souligner), et pour une œuvre aussi monumentale, réussit à équilibrer les volumes au point qu’aucun chanteur n’est jamais couvert, qu’on entend tout, avec un vrai souci du texte, qui est dans cet opéra un élément fondamental, dont on ne peut jamais faire abstraction, tant il y a entre texte et musique une sorte de complicité, de systèmes d’échos, de précisions qui font que l’un est toujours tributaire de l’autre. C’est d’ailleurs le problème pour les spectateurs non germanophones ou non allemands, qui n’arrivent pas toujours à rentrer dans ce texte et ses jeux permanents sur tel ou tel mot, auquel répond une musique construite en fonction et de la lettre et du sens du texte, sans doute portée ici à sa perfection parce qu’elle sonne en même temps intime et collective. Intime… j’ose ici un mot qu’on n’associe pas toujours aux Meistersinger von Nürnberg, mais qui correspond parfaitement à l’une des couleurs de cet opéra- et qui en fait la complexité : Die Meistersinger est un opéra intimiste qui fouille les dédales de l’âme de Sachs, à la fois Tristan et Roi Marke, inventeur et créateur encore plein de ressources, et individu aimant au seuil de la vieillesse, qui se pose en permanence la question de l’être et de l’avoir été, intellectuel et artisan, à la fois citoyen et anti-système, qui raconte ici l’histoire de sa renonciation.
Ainsi la direction de Daniel Barenboim, d’une clarté exemplaire, est peut-être l’une de ses plus grandes réussites, parce que même dans les parties les plus spectaculaires (ouverture, chœurs, final), elle n’est jamais cabotine ou démonstratrice (ce qu’on lui reproche souvent), elle est toute faite de subtilité, de raffinements, de poésie et n’exagère rien dans un dialogue exemplaire entre intimisme et ensemble, entre musique de chambre (oui, vous avez bien lu) et symphonisme : la Staatskapelle Berlin le seconde dans ce propos de manière exemplaire : pas une scorie, des parties solistes à faire rêver (les violoncelles, les bois à se damner), et l’orchestre à lui seul construit cet univers idéal qu’on perçoit sur scène et qui fait que le spectateur sort toujours e heureux et en paix après avoir entendu cette œuvre.

Meistersinger ©Bernd Uhlig
Meistersinger (au premier plan, Franz Matura et Olaf Bär)  ©Bernd Uhlig

Car sur scène, il y a d’abord une équipe, une troupe, un ensemble dont la cohésion est visible. Il est clair que les chanteurs ont tous pris plaisir à un travail qui va sans doute devenir une grande référence dans l’histoire de la production de l’œuvre.

Die Meistersinger ! ©Bernd Uhlig
Die Meistersinger ! ©Bernd Uhlig

Les Maîtres d’abord : certes, la distribution des Meistersinger est toujours difficile pour un théâtre notamment à cause de ces 12 maîtres qui ne sont pas des rôles de complément (c’est un peu le même problème pour les Walkyries). La Staatsoper de Berlin a résolu le problème en distribuant huit des douze maîtres à des maîtres du chant, des Maîtres-Chanteurs authentiques d’hier ou d ‘aujourd’hui : aujourd’hui pour les rôles principaux Sachs (Wolfgang Koch), Pogner (Kwangchul Youn), Beckmesser (Markus Werba), mais aussi Kurt Vogelgesang (Graham Clark, qui fut un David merveilleux), Balthasar Zorn (Siegfried Jerusalem, ci-devant Walther, mais aussi Tristan, mais aussi Siegfried, mais aussi Lohengrin, mais aussi Parsifal , mais aussi Siegmund, mais aussi Loge, mais aussi Froh), Ulrich Eisslinger (Reiner Goldberg, un des ténors wagnériens qui réveilla tant d’espoirs au moment où l’on était en panne de ténors et qui fut à Bayreuth Erik, Tannhäuser, Siegfried, et naturellement Walther) , Hans Schwarz (Franz Mazura, une des basses wagnériennes les plus importantes qui chanta à Bayreuth de 1971 à 1995) et le Hans Foltz d’Olaf Bär (considéré en son temps comme le successeur de Dietrich Fischer Dieskau, un des maître du Lied et de la musique sacrée jusqu’au début des années 90 et qui chanta Günther et Donner à Bayreuth). Au-delà de l’émotion de voir ici réunies des gloires du chant wagnérien, l’idée de les réunir dans une œuvre aussi emblématique de l’éducation musicale et de l’éducation au chant est vraiment un vrai coup « de maître ».
Particulièrement « réaliste », la mise en scène assigne à chacun une part du jeu, focalise tour à tour l’action, notamment sur le vétéran Mazura, toujours au premier plan, chacun a quelque chose à faire, avec une précision dans le jeu d’acteur qui rappelle le travail de Frank Castorf, et qui ne démentit jamais Wagner quand il définit ce qui est imposé au chanteur dans Die Meistersinger von Nürnberg en matière de diction et de fluidité des dialogues. Il y a dans ce travail presque « choral » au sens « Bachien » du terme, presque fugué au sensF du terme (combien le Falstaff de Verdi se souvient de ces Meistersinger…), quelque chose d’une ciselure prodigieuse, d’un travail de joaillerie qu’un artisan-maître de Nuremberg ne pourrait démentir.
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Nachtwächter ©Bernd Uhlig
Nachtwächter ©Bernd Uhlig

utre exemple de joaillerie dans la mise en scène, le Nachwächter de Jan Martinik de bonne facture, habillé en pasteur, que personne de craint plus, qui veille au salut des âmes –Seelenwächter plus que Nachtwächter-, bientôt victime lui-même des baruffe du final de l’acte II, dans une Allemagne qui n’a pas peur des transgressions.
Évidemment, les grand solistes ne démentent en rien l’observation de ce travail global des maîtres, à commencer par le Veit Pogner de Kwangchul Youn, à la voix toujours sonore, plus vivant et plus coloré que d’habitude, avec un chant à la fois net, à la diction impeccable et à la couleur bon enfant.

Acte II:  Sachs et Beckmesser ©Bernd Uhlig
Acte II: Sachs et Beckmesser ©Bernd Uhlig

Le Beckmesser de Markus Werba est sans doute scéniquement remarquable, jamais caricatural, ni exagéré, mais un peu décalé par son côté « professeur » tiré à quatre épingle, une sorte de Topaze un peu has been, et peu sûr de lui, qui essaie de se glisser dans les habits voulus « au sens propre », puisqu’il est vêtu d’habits médiévaux au deuxième acte pour chanter sa romance  (costumes d’Adriana Braga-Peretzki, qui a fait aussi les costumes du Ring de Castorf à Bayreuth); des habits qui rappellent un peu, de loin, le Mezzetin de Watteau, dans une atmosphère de « fête galante » très anachronique par rapport à l’ambiance voulue par cette mise en scène et qui souligne à plaisir l’anachronisme du personnage. Sans vouloir à tous prix établir des liens, soulignons quand même que Verlaine publie ses Fêtes Galantes en 1869, soit un an après la création des Meistersinger. Ce Beckmesser est ridicule parce qu’il n’est plus de ce temps, mais parce que sa jalousie et sa petitesse, elles, le sont. Il est chanté par un Markus Werba valeureux, mais qui ne sort pas du lot des bons Beckmesser, respectables mais pas exceptionnels. Les grands Beckmesser, eux, sont des modèles de chant, qui peuvent en remontrer à Sachs : ils ont nom Hermann Prey (à Bayreuth), ou même Michael Volle, qui, avant d’être Sachs sur scène, à Zurich et Salzbourg, a été un immense Beckmesser (à Bayreuth encore). Il y a vocalement dans Beckmesser un Sachs possible.
Magdalena est la jeune Anna Lapkovskaia, vue à Bayreuth dans le Ring cet été, elle se sort très honorablement d’un rôle un peu ingrat, jamais mis en valeur et pourtant toujours très présent dans les grands moments (le quintette…) et qui est souvent un gage de futur, tandis que le David de Stephan Rügamer (troupe de la Staatsoper de Berlin) est frais, jeune, vif, comme souvent chez ce ténor toujours juste.
Julia Kleiter abordait Eva pour la première fois. Habituée aux rôles plus légers ou aériens : Ännchen, Pamina, Sophie, Eurydice. Ella aborde Eva, un rôle faussement léger, qui demande à la fois les qualités des rôles cités précédemment, mais aussi une assise vocale plus forte, il faut se faire entendre au quintette, et il faut savoir aussi jouer et chanter les coquettes à l’acte II : personnage complexe, qui vire de jeune fille à jeune femme, en faisant passer Sachs de la maturité à la vieillesse. Certains lui ont reproché une certaine raideur, un manque de lyrisme qui donnait au personnage un aspect plus rêche. J’ai trouvé que dans cette salle, la voix sonnait bien et s’affirmait remarquablement, et j’ai aimé ce ton moins uniforme que d’habitude, plus nerveux, plus tendu. Comme un personnage en crise d’identité qui passe de Sophie à Susanne (qu’elle chante d’ailleurs aussi). La mise en scène l’habille plus « femme » que « jeune fille » et c’est ce passage-là que je trouve réussi vocalement dans une sorte d’instabilité théâtrale bien rendue vocalement qui m’a bien plu.
Klaus Florian Vogt est un Walther déjà éprouvé ailleurs, à Bayreuth, et même à Genève, face à une lumineuse Eva qui avait nom Anja Harteros. Il possède chaque inflexion du rôle, chaque nuance, chaque respiration aérienne. Mais il n’a plus ce qu’il avait naguère, une jeunesse de timbre séraphique, certes toujours enchanteur et un peu étrange mais imperceptiblement plus mature, moins éthéré, moins « étonné » et donc moins « étonnant ». Je sais que certains lecteurs peuvent me trouver difficile, mais dans Meistersinger, on chante toujours sur le fil du rasoir : Vogt chantait merveilleusement ce rôle parce qu’il en épousait les évolutions, d’un chant d’élève frais et naïf au premier acte à un chant de Maître au troisième. Il chante ici en professionnel, merveilleux certes, mais dans les équilibres subtils de la partition, on y croit un peu moins.

Hans Sachs (Wolgang Koch) ©Bernd Uhlig
Hans Sachs (Wolgang Koch) ©Bernd Uhlig

Reste Wolfgang Koch.
J’avais cet été hautement apprécié le monologue de Wotan du deuxième acte de la Walkyrie, pour moi un des sommets musicaux et vocaux du Ring de Bayreuth, où Wolfgang Koch atteignait un degré de profondeur sidéral, grâce à un corps à corps avec le texte, dont il faisait un gouffre à l’incroyable profondeur. Muni de ce viatique, il aborde Hans Sachs qu’il va reprendre avec Kirill Petrenko à Munich dans la mise en scène de David Bösch en mai prochain. C’est d’emblée un Sachs de référence : il a d’abord ce qui fait Sachs, à savoir la science du Lied, qui construit un univers par le chant : il a le mot en bouche, modulé jusqu’aux inflexions les plus subtiles et les plus fines, il dit un texte avant de le chanter et en ce sens il répond mot pour mot aux exigences de Wagner dans cette œuvre. Il est ensuite le personnage, sur scène, un peu négligé, mais pas trop, très simple et jamais «envahissant » ni imposant ni cabot, un personnage d’une humanité profonde et perceptible par le jeu, les attitudes, voire le côté un peu « farouche ». Un Sachs qui faiblit à peine à la toute fin de l’œuvre (le rôle est écrasant) et qui nous gratifie d’un troisième acte anthologique, dans sa bibliothèque d’intellectuel où trônent toutes sortes de volumes (beaucoup de partitions mais pas que…) sur de hauts rayonnages et un tableau de la renaissance allemande représentant un groupe d’hommes, tout de noir vêtus, image sociale et référentielle à la fois. Un Sachs déjà de référence, et qui marque cette représentation de son empreinte : ni basse profonde, ni haute stature, un Sachs à l’allure commune, ni aristocrate à la Fischer Dieskau, ni popu à la Hawlata, mais un humain ordinaire parmi les humains, à la fois simple et définitif.
Voilà ce que furent ces Meistersinger von Berlin, magnifiquement adaptés à cette ville ouverte et disponible, extraordinairement plurielle, qui célébrait le 3 octobre le « Jour de l’Unité » et où on le célébrait en fête à la Staatsoper pour la Première de cette production, une production très politique et très ironique en même temps, mais jamais cynique, jamais amère, jamais autre que souriante et apaisée. Il sera d’autant plus stimulant de comparer ces Meistersinger berlinois aux Meistersinger munichois en mai prochain, qui vont réinstaller ce pilier du répertoire munichois où ils ont été créé.
Mais ce soir, nous étions tous des berlinois. [wpsr_facebook]

Festwiese, image finale  ©Bernd Uhlig
Festwiese, image finale ©Bernd Uhlig

BAYREUTHER FESTSPIELE 2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE WALKÜRE le 28 JUILLET 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; ms en scène: Frank CASTORF)

L'infinie tendresse Anja Kampe et Johan Botha ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
L’infinie tendresse: Anja Kampe et Johan Botha ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Transcendante, telle fut cette Walküre.

Je renvoie le lecteur patient aux comptes rendus de l’an dernier qui reprennent la mise en scène de manière assez détaillée.
Après un Rheingold ébouriffant et ébouriffé, cette mise en scène de Walküre paraît bien épurée et apparemment bien sage, car les points essentiels du livret s’y déroulent (presque) selon les habitudes. Alors qu’il avait peut-être du mal à suivre les tribulations de Rheingold, le spectateur s’y retrouvera parfaitement.
Si les épisodes des trois actes sont clairement identifiables, le contexte varie singulièrement d’un acte à l’autre, alors que le même décor fait apparemment cadre : un puits de pétrole version XIXème siècle en Azerbaïdjan, près de Bakou où furent installés les premiers puits et dont Castorf fait le centre référentiel de son histoire d’Or noir. Le décor, monumental, installé comme pour Rheingold sur une tournette reproduit fidèlement des photos d’époque.

Hunding (Kwangchul Youn) et le cadavre (Patric Seibert) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Hunding (Kwangchul Youn) et le cadavre (Patric Seibert) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Mais la fixité du décor n’est qu’apparente : d’un acte à l’autre, tout bouge. Si le récit qui fait vivre les personnages reste reconnaissable, le cadre historique avance, nous sommes au premier acte au milieu du XIXème siècle, dans le premier puits artisanal construit, un peu rustique, un puits-ferme, deux dindons dans une cage, des bottes de foin,  dans un monde encore marqué par l’agriculture, mais aussi monde de violence: Hunding se définit par le sang : il entre en scène avec une tête fichée sur la pointe de sa lance (un détail qui n’existait pas l’an dernier) sur laquelle il va poser délicatement son chapeau haut-de-forme et au premier plan sur une carriole, un cadavre sanguinolent (l’inévitable Patric Seibert, le barman soufre-douleur de Rheingold). Visiblement on ne s’amuse pas chez les Hunding. Comme dans Rheingold, mais moins systématique, un jeu entre vidéo (dans un style de film en noir et blanc) et théâtre : on voit ainsi Sieglinde verser le somnifère dans la boisson de Hunding, et le conduire au lit, on le voit d’ailleurs tomber dans un profond sommeil, avec un jeu aussi sur l’épée (qu’on ne voit pratiquement qu’à l’écran) en premier plan, fichée dans le sol sur la terrasse des Hunding , mais que Siegmund arrachera fichée dans le grand hangar ouvert par Sieglinde à la fin de l’Acte I. Là aussi il n’y a pas de cohérence apparente: en réalité, temps des héros et temps de l’histoire ne vont pas au même pas : l’Histoire va plus vite que le récit des héros. Les objets changent de place simplement parce que le temps change. C’est un élément essentiel à intégrer si l’on veut bien comprendre la logique de l’approche de Frank Castorf, qui inscrit l’histoire du Ring, la petite histoire du Ring dans la grande Histoire de l’Or Noir.

Acte II, Brünnhilde (Catherine Foster) Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Acte II, Brünnhilde (Catherine Foster) Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Avec l’acte II, nous avons bien avancé dans le temps historique : Wotan et Fricka sont un couple riche, Wotan en habit traditionnel de riche propriétaire,  Fricka en princesse azerbaïdjanaise portée par des esclaves; le hangar de l’acte I désormais ouvert, laisse voir des petites machines servant à mécaniser l’extraction par laquelle Wotan s’est probablement enrichi. Wotan conformément à la tradition, se distrait auprès de filles faciles (dont l’une se gave de gâteaux) et a déjà téléphoné (un téléphone à manivelle) depuis l’acte I la bonne nouvelle de la fuite des amants et de l’arrachage de l’épée. Même si elle est apparemment fantaisiste, cette vision est cohérente avec l’histoire et les caractères. Brünnhilde arrive et, en écoutant le récit de Wotan dans une scène d’une fixité saisissante prépare des caisses de nitroglycérine : ce sont les premières révoltes des exploités qu’on voit en arrière fond et Wotan pourrait bien en être le moteur. Les têtes pensantes des révolutions ne sont jamais des prolétaires, et Wotan le riche propriétaire lit…la Правда.
J’ai déjà l’an dernier tenté d’expliquer avec autant de précision que possible les espaces et les évolutions de ce décor, je voudrais ici m’attacher à éclairer la logique du propos:  Castorf relie Wotan à l’époque des idéologies, à la naissance de l’Etat soviétique, un Wotan à la fois des révolutions et des utopies, mais un Wotan qui fait feu de tout bois et  ignore la tendresse : il sacrifie Siegmund et tue Hunding, et part à la poursuite de Brünnhilde sans un instant s’arrêter sur ce fils qu’il avait créé pour conquérir le monde, et Siegmund reste seul, le regard fixe, dans une mise en espace de la scène finale de l’acte II un peu modifiée et clarifiée par rapport à l’an dernier.

Un des éléments frappants et permanents de ce Ring est l’absence totale d’amour et de tendresse. Seuls Siegmund et Sieglinde s’efforcent de vivre leur amour, avec le résultat que l’on sait, mais ni Wotan, ni les autres, ni surtout Siegfried (on va le voir très vite) ne sont porteurs d’un peu d’amour. Frank Castorf refuse la possibilité de l’amour dans cette histoire de la perversion humaine par la soif de l’or. Or dans cette Walkyrie, comme je l’ai écrit déjà l’an dernier, l’espoir est encore possible : Dans le parcours proposé, cette Walküre semble plus traditionnelle et donc mieux acceptée par le public que Siegfried. Walküre est encore d’une certaine manière le temps des illusions et des possibles, le temps où l’ivresse musicale wagnérienne enveloppe l’espoir né des deux jumeaux Siegmund et Sieglinde. Nul n’est besoin de distance, il faut au contraire épouser l’histoire pour mieux ensuite s’en éloigner. Il faut commencer par raconter simplement une histoire avant d’en décortiquer les données où d’en indiquer les dangers. Le couple Siegmund/Sieglinde est immédiat, dans sa rencontre, dans ses décisions, dans son amour explosif, et il a été programmé ainsi par Wotan. Le couple Siegfried/Brünnhilde est un couple encore plus programmé, éduqué pour se rencontrer et manipulé, mais cet amour est déjà perverti, traversé par les aventures du monde pétrolo-dépendant.

Ce vaste propos, propose un sens délétère au Ring, où derrière la belle histoire mythologique, derrière les rédemptions par l’amour, se cache la ruine.

Le troisième acte de cette Walkyrie est donc déjà entré dans l’ère de l’exploitation industrielle du pétrole, les puits sont mécanisés et la scène se passe autour d’un puits de type pumpjack (« chevalet de pompage ») à l’époque soviétique, une étoile rouge trône d’ailleurs sur le puits. Castorf en arrive à ce moment à Bakou 1942, au moment de l’opération Fall Blau (qui devait s’appeler initialement opération Siegfried – il n’y a pas de hasard) et au moment où les soviétiques sabotèrent les puits du Caucase dont la conquête était le but des allemands. Une explication claire de toute l’histoire de Bakou est consultable sur le site Le Caucase.com.

À la fin de la Walkyrie, nous sommes à un moment de basculement, d’un côté Wotan a programmé l’union future de Brünnhilde et Siegfried, de l’autre le sabotage des puits de Bakou et Stalingrad annoncent définitivement le recul puis la défaite des allemands en Europe. Ainsi, Siegfried se passera-t-il après guerre, à l’ombre des idéologies triomphantes, et surtout des dictateurs: Marx, Lénine, Staline, Mao.

La chevauchée des Walkyries ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
La chevauchée des Walkyries ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Si la mise en scène n’a bougé que sur quelques détails, on continue d’en admirer le réglage, par exemple dans la chevauchée des Walkyries, au début de l’acte III, où les Walkyries arrivent vêtues de tous les costumes possibles venues des régions d’Union Soviétique, et sans que le spectateur n’y prenne garde, se débarrassent de leurs oripeaux initiaux pour devenir des sortes de meneuses de la revue « wotanienne », en costumes plus clinquants ; elles arpentent de manière continue le décor, où les « héros » morts jonchent le sol: dans cette mise en scène, les « héros » sont des anarchistes en révolte contre la dictature stalinienne (qui avaient profité de la guerre pour se soulever). Et les Walkyries ne sont jamais ce groupe compact qu’on voit dans la plupart des mises en scènes, elles discutent, elles échangent, elles boivent, en bref, elle vivent. La scène est extraordinairement variée, réglée à la perfection, où même Brünnhilde rejoint ses sœurs en arborant un casque à crinière d’argent improbable et un manteau de fourrure outrageusement voyant et où seule Sieglinde reste aussi modestement vêtue qu’au départ.
La mise en scène de Walküre reste pour le public plus acceptable et plus familière, malgré les signes posés par le regard de Castorf, dont les graffitis en langue azéri ou en russe (on reconnaît le mot azéri neft, ou russe нефти qui désigne le pétrole) ou les allusions au 20 septembre (assassinat des 26 commissaires du peuple de Bakou) dont on attribue la responsabilité aux anglais en 1918, lorsque la région était violemment disputée entre turcs, soviétiques, anglais. Bakou, la Paris du Caucase est le centre des préoccupations de Castorf, tant le pétrole en a construit l’histoire.

Ce soir, pourtant, prima la musica: il y avait sur le plateau un air de miracle, tant la distribution a été exemplaire à tous niveaux. Dans ce premier acte au rythme plutôt lent, au lyrisme contenu (qui a fait dire à certains qu’il était mortellement ennuyeux), c’est d’abord la tension qui domine, la tension de la rencontre entre Siegmund et Sieglinde, la tension de la présence de Hunding et la violence rentrée qui en découle. Il en résulte de longs silences, des regards pesants, il en résulte une musique qui ne triomphe pas, quelquefois presque timide, mais toujours étonnamment fluide, il en résulte aussi une rencontre entre Siegmund et Sieglinde d’une infinie tendresse. Le Hunding de Kwangchul Youn est comme toujours tendu, froid, sans être démonstratif dans la violence, sinon quelques gestes sans équivoque envers Sieglinde, la voix est profonde, sonore, sans failles et toujours égale. Anja Kampe, dans Sieglinde, après un début un peu hésitant reprend ses marques et la voix gagne en assurance et en intensité, avec des inflexions bouleversantes. Le jeu est magnifique, de petits gestes gauches, des pas mesurés, des regards insistants ou effrayés, voire (à l’écran) haineux et duplices lorsqu’ils visent Hunding, tout cela montre la richesse et la diversité de l’interprétation.
Petrenko n’a pas à sa disposition des voix immenses, il adapte le volume de l’orchestre, pour faire de cet acte une rencontre timide qui va aller crescendo, mais un crescendo plus d’intensité que de volume. C’est dans les inflexions, dans la couleur, de la manière de dire que les choses se passent. Johan Botha est à ce titre exemplaire : on n’a jamais l’impression qu’il force la voix tant le débit est fluide, sans excès, naturel et tellement émouvant. Y compris dans les « Wälse » tenus mais jamais forcés, jamais poussés pour démontrer comme il tient les aigus. Ainsi on a un chant éminemment lyrique et éminemment élégiaque, où les voix prennent chacune l’initiative sans chercher à surjouer, avec une ligne impeccable, sans accrocs, sans violence aucune, mais avec une vie d’une urgence folle malgré tout. Il y a derrière cela un choix résolument contrôlé, un orchestre non pas chambriste, mais retenu, où tout, littéralement tout, est audible, avec une chaleur, une épaisseur et une cohérence stupéfiantes. Les tutti sont charnus sans jamais être débordants, les moments les plus fins sont tenus sur un fil de son. C’est totalement miraculeux et complètement inattendu, car l’harmonie avec le plateau est totale. Les chanteurs sont soutenus, le rythme est scandé, et ainsi le spectateur est porté presque naturellement vers le climax final.
Il n’y a pas, comme dans Rheingold, de primat à la conversation ; ici le primat est à la mélodie, à la ligne, au continuum. Il est servi par des chanteurs d’un exceptionnel engagement. Même Botha, dont les qualités d’acteur sont encore à démontrer, avec quelques mouvements bien réglés réussit à faire illusion : on constate le vrai travail de mise en scène qui fait que Botha n’a jamais l’air emprunté ou mal à l’aise, comme on a pu le voir dans d’autres mises en scène: il a l’air naturel, il ne fait pas maladroit, même avec un jeu minimaliste et en tous cas dans une distribution où la plupart ont un jeu de grande qualité et engagé, à commencer par sa partenaire, une Anja Kampe dédiée. Anja Kampe chante certes toujours aux limites, mais elle a un tel engagement qu’il semble lui donner une force surhumaine.

Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Ses répliques finales et sa danse avec Nothung sont un des moments les plus hallucinants qu’il m’ait été donnés de voir, au son d’une musique de plus en plus étourdissante, au rythme infernal: après avoir été si retenue, si contenue pendant l’acte, l’explosion prend son sens.
Le deuxième acte commence avec l’éclat de l’histoire qui se noue et que Wotan a accueillie avec une grande joie:  d’emblée, on entend Catherine Foster dans les Hojotoho initiaux bien plus homogène que l’année précédente. Il en sera ainsi pendant tout l’opéra. Il semble qu’elle ait trouvé elle aussi le ton juste et surtout que la voix se soit déployée; en tous cas elle n’a plus ces blancs ou ces opacités dans les graves pour ménager des aigus triomphants et larges.
Wolfgang Koch n’est pas un chanteur épique, mais réussit aussi à faire sonner sa voix d’une manière remarquable, et l’orchestre est à son sommet.
Dès l’arrivée de Fricka, puisque les désillusions vont commencer, la musique s’atténue et se tend. L’entrée de Fricka (Claudia Mahnke) dans les bras d’un esclave qui a mal au dos est à la fois significative et sarcastique, et pendant le dialogue avec Wotan, on voit en arrière plan s’agiter des ouvriers ; Wotan (qui lit ostensiblement la Правда) pendant que Fricka lui détaille ses devoirs et ses exigences reste assis sur son fauteuil, immobile comme d’ailleurs il le sera pendant toute la scène suivante. La Fricka de Claudia Mahnke n’a pas l’aura d’autres chanteuses, plus agressives ou plus présentes comme Elisabeth Kulman par exemple. Son chant est bien contrôlé, mais reste assez linéaire et banal : c’est une Fricka qui convient mieux à Rheingold qu’à Walküre, où elle a une seule scène à faire qui est déterminante pour l’action et qui doit marquer par le chant, mais la scène est bien menée.
En revanche, la scène  du long récit de Wotan à Brünnhilde est un sommet de la soirée. C’est souvent un des grands moments de l’opéra, très travaillé par les metteurs en scène, depuis Chéreau et son fameux jeu de Wotan au miroir, avec ce pendule obsessionnel qui marquait le cours des temps et qui s’arrêtait sur « Das Ende ! ». Ici Castorf choisit de faire bouger Brünnhilde et de laisser Wotan assis, d’une immobilité qui crée tension et concentration. La fonction de ce récit, qui donne la clef de l’histoire à partir du passé de Rheingold, et du futur annoncé, crée en même temps l’image que Castorf veut donner de Wotan à ce moment là et seulement à ce moment là, presque celle d’un Pimen qui raconte la chronique des temps troublés, ou celle d’un Tolstoï (il en a la barbe) qui raconte la Guerre et la Paix. Il est donc impérieux que Wotan ne fasse rien, et que tout soit dans le discours. Déjà l’an dernier j’avais été frappé par ce moment : mais cette année, tous semblent se surpasser.
De même que Wotan lisait ostensiblement la Правда face à Fricka, Brünnhilde écoute d’une oreille distraite un Wotan qui semble d’abord monologuer pour lui-même sans s’adresser à sa fille qui prépare la nitroglycérine comme on extrait l’alcool d’un alambic.
Ainsi, c’est un monologue intérieur, où Wotan s’adresse à lui-même qui nous est ici présenté : d’où la nécessité d’un accompagnement musical à la fois tendu et très intériorisé, qui plus qu’ailleurs encore soit attentif à chaque mot. Et Wolfgang Koch donne à ce moment une intensité inouïe, chaque mot est sculpté, chaque inflexion est millimétrée, chaque phrase se colore différemment, les forte ne le sont jamais tout à fait, les murmures jamais non plus tout à fait murmurés, la voix semble égale et en réalité est incroyablement variée, cet exercice de rentrée en soi est phénoménal car il crée évidemment un moment en suspens où chaque silence même est parlant, et où on entend à l’orchestre un discours parallèle, incroyable de netteté, qui commente ou accompagne les paroles de Wotan ou crée un écho à la fois présent et lointain. Il y a à la fois dans la musique de l’évocatoire lointain et du commentaire direct, avec d’infinies variations d’intensité et de volume dans un discours qui reste continu. C’est à la limite du supportable et donc immense car il en reste après une trace d’une infinie mélancolie, notamment lorsque Brünnhilde quitte la scène, une mélancolie qui non seulement bouleverse, mais qui marque évidemment la fin des illusions. Le contraste avec la scène suivante, qui montre des amants fugitifs, mais encore aimants, mais encore ensemble, mais encore dans l’espérance alors que tout est déjà perdu est fulgurant. Il y a après cette tension aux limites qu’on vient de vivre une douceur, une suavité dans l’expression de Johan Botha qui fait littéralement chavirer. Entre un Botha élégiaque, à la douceur surnaturelle, et une Kampe tendue, apeurée, à la voix aux accents rauques, le paysage musical est dressé.
L’annonce de la mort est aussi un des moments suspendus de cet acte : Castorf, qui sait tant « distraire » par des écrans, des petits films, des graffitis, des détails en foule que certains lui reprochent, va reproduire la magie du récit de Wotan par la fixité de la scène où Brünnhilde perchée sur le puits de pétrole dans l’ombre s’adresse au visage éclairé de Siegmund. Deux visages se parlent dans la nuit. Il ne se passe rien d‘autre.
Catherine Foster est à la fois intense et douce, accompagnée par un orchestre d’une subtilité et d’une légèreté diaphane : le crescendo des cuivres annonçant l’arrivée de Brünnhilde est magique, scandé par des silences suspendus, et malgré tout fluide.
La scène est d’une douceur incroyable et dite avec simplicité, sans effet ; elle ménage des longues plages de silence d’où émerge comme des ténèbres un orchestre phénoménal aux effets de couleur inattendus d’un discours jamais heurté, jamais ne s’arrêtant, comme si une phrase en appelait une autre dans un mystérieux surgissement : l’alternance des bois et des cuivres est à certains moments comme un choral. On a l’impression d’un effleurement orchestral qui commente ou colore le dialogue. Les « Grüsse mir » de Botha, dits avec à la fois la certitude de la décision et une imperceptible lassitude sont prodigieux de vérité et le prélude à un crescendo, qui pourtant ne réussit pas à tendre la situation, mais simplement à la conclure . Le chant de Botha et celui de Foster sont un exemple de dépouillement : il n’y a rien de spectaculaire rien d’extérieur, tout est senti, et tout coule comme un fleuve de sons évidents, de cette évidence qui fait qu’on se demande comment jouer cela autrement, avec malgré tout l’expérience d’une virtuosité unique d’un orchestre au sommet. Ah ! le jeu des bois au moment du decrescendo accompagnant le retour de Siegmund vers Sieglinde d’un Botha jamais entendu avec cette retenue et cette poésie là.
Pourtant, Petrenko et c’est là aussi ce qui fait la singularité de son approche, reste toujours dynamique, et dramatique quand il le faut, mais jamais paroxystique : en témoigne une fin d’une extrême tension, où Anja Kampe portée par la musique, hurle un cri déchirant et bestial au moment de la mort de Siegmund dans un tourbillon musical et scénique qui époustoufle, pour retomber dans le nadir, le soleil noir (encore des cuivres à se damner) avec une violence dont le cri animal de Wotan « geh » à l’adresse de Hunding est emblématique, lançant un orchestre à toute volée conclure un acte II qui fut anthologique.

Brünnhilde (Catherine Foster) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Brünnhilde (Catherine Foster) Acte I (final) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

L’acte III est toujours plus attendu avec une chevauchée des Walkyries à la fois tendue (les coups d’archet au départ) à la respiration très large, moins spectaculaire que dynamique : on aura compris que cette approche n’est ni spectaculaire, ni démonstrative, mais marque une volonté de ne suivre que « le drame et rien que le drame »  sans cesser d’aller de l’avant en collant au dialogue et à l’action. Mais ce qui frappe aussi, c’est que l’an prochain, cette équipe dans son ensemble ou presque laissera place à d’autres, et il semble que chacun ait à cœur de marquer, de donner, de dire en même temps son plaisir de faire ce spectacle et de montrer de quoi il est capable. Car c’est bien d’équipe qu’il s’agit, à commencer par les Walkyries, remarquables, à la fois dans leur agilité et leur sveltesse scéniques, et dans la dynamique musicale : la mise en scène alimente la qualité du chant (je sais, cela va faire frémir les catastorfiens). Car dans cette scène et malgré la difficulté, la mise en scène épouse la musique et ses effets comme par une sorte d’émulation. Ainsi le groupe est-il donc porté, et par la scène et par l’orchestre époustouflant d’allant et de théâtralité,  et cette dynamique générale porte évidemment le dialogue Sieglinde/Brünnhilde à une intensité rare, avec un bouleversant
O hehrstes Wunder!
Herrlichste Maid!
Dir Treuen dank’ ich
heiligen Trost!
dans lequel Anja Kampe a donné toutes les forces possibles avant sa sortie de scène. Il y avait là quelque chose de fortement vécu qui allait au-delà de la représentation.

Brünnhilde (Catherine Foster) et Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Brünnhilde (Catherine Foster) et Wotan (Wolfgang Koch) ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Wotan (sans barbe comme au final de l’acte II), redevenu le Dieu hic et nunc réglant ses comptes et non plus le chroniqueur du début de l’acte II, arrive avec une énergie peu commune, et le dialogue avec Brünnhilde n’est plus dialogue mais une discussion, une dialectique : à l’acte II, ce dialogue était un monologue intérieur déguisé de Wotan, à l’acte III, il s’agit d’un échange tendu, plus épique d’ailleurs, avec un Wotan plus énergique et une Brünnhilde à la présence renforcée, presque ciselée. C’est une scène où malgré la situation peu à peu s’insinue une certaine tendresse. Avec la disparition de Siegmund et le départ de Sieglinde, toute tendresse s’est envolée. Et même au moment où Wotan cherchera à serrer sa fille dans ses bras (Leb’ wohl, du kühnes, herrliches Kind!), Brünnhilde s’en arrache et va résolument à l’intérieur du hangar (qui a perdu ses cloisons) s’allonger, comme à son initiative, refusant la complaisance d’une marque d’amour qui ne serait qu’atermoiement. Toute la scène est conduite et sur scène et en fosse, de manière grandiose, Wolfgang Koch est  un magnifique interprète, avec une expressivité et une aptitude à colorer notables, passant tour à tour de l’intériorité à la colère, ou à l’ironie: ce n’est pas un Wotan expressioniste, ni autoritaire, c’est un Wotan plus méditatif, plus rentré en soi, qui cisèle chaque mot, tantôt enjôleur, tantôt aiguisé et coupant.
La Brünnhilde de Catherine Foster confirme l’impression initiale : le chant est infiniment plus homogène et même plus présent et plus senti, avec de beaux graves et des aigus bien posés et larges, avec une ligne de chant et une ligne de souffle qu’on ne lui connaissait pas . Belle performance ce soir.

Musicalement, la performance globale est encore supérieure à celle de l’an dernier : chacun était à son meilleur et a donné son maximum, avec ses moyens propres. Cette distribution qui avait suscité quelques doutes (on se souvient que Angela Denoke, prévue dans Brünnhilde, avait renoncé en 2012) semble avoir trouvé son rythme et sa respiration et cela laisse bien augurer de la suite. Quant aux dernières mesures, je n’avais pas entendu à l’orchestre une telle incantation du feu et de tels adieux depuis longtemps; Boulez qui m’a tant marqué n’était pas loin par la clarté et la plénitude sonore.
Et puis il y a l’orchestre. Un orchestre d’une qualité exceptionnelle à tous les pupitres, qui réussit merveilleusement à doser les volumes. On n’a pas encore entendu une scorie, avec des cuivres hallucinants de ductilité et de souplesse. Cette souplesse que Petrenko a su imprimer à l’ensemble de la soirée. Sans imposer la retenue de la veille dans Rheingold, l’orchestre est plus affirmé même dans les moments contenus, il n’est jamais  “envahissant”  et ne couvre pas les voix, (quelquefois, même à Bayreuth, c’est possible), mais il les accompagne en les soutenant, en les enveloppant, et surtout en travaillant en respiration avec le plateau et la mise en scène. On entend rarement un orchestre aussi fluide qui soit plutôt retenu et intime, très lyrique, et qui ait une telle dynamique et surtout une telle limpidité, un orchestre inattendu dans bien des phrases où l’on découvre tel instrument, tel mouvement, qu’on n’avait jamais remarqués. Sans jamais rien forcer, sans jamais rien mettre en représentation, tout le drame est là, tout le dialogue est là, tout est là audible, évident, comme un fleuve ininterrompu de son avec ses méandres et ses retenues, avec ses surprises et ses trésors cachés, avec ses rapides et sa puissance mais aussi avec sa sérénité et sa grandeur.
Ce soir c’était une Walküre qui nous a tous étonnés par l’engagement du plateau, mais c’est l’incroyable ductilité de l’orchestre, et sa stupéfiante présence, bouleversante, somptueuse, et en même temps jamais orgueilleuse, jamais en façade et toujours en profondeur, qui a donné à la représentation tout son sens et en a fait une soirée d’exception, qu’on ne peut évoquer sans émotion, un de ces Wagner transcendants qui vous marquent pour longtemps. [wpsr_facebook]

Image finale ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele
Image finale ©Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

TEATRO ALLA SCALA 2014-2015: FIDELIO de L.v.BEETHOVEN le 16 DÉCEMBRE 2014 (Dir.mus: Daniel BARENBOIM; Ms en scène: Deborah WARNER)

Fidelio à la Scala, Acte II choeur final © Marco Brescia et Rudi Amisano
Fidelio à la Scala, Acte II choeur final © Marco Brescia et Rudi Amisano

Il en va de Fidelio comme de Don Giovanni, pour des raisons très différentes : c’est pour le metteur en scène une gageure et rares sont ceux qui s’y sont retrouvés. En fouillant dans ma mémoire, je n’arrive même pas à identifier une mise en scène qui m’ait quelque peu marqué, sinon celle de Herbert Wernicke à Salzbourg (avec Solti au pupitre) et surtout pour la scène finale. Au cimetière des éléphants, celle de Deborah Warner ira s’ajouter à celles qui ont plombé le public de la Scala. Ni Werner Herzog avec Muti, Waltraud Meier et Thomas Moser (puis Robert Dean Smith) , ni une dizaine d’années avant, Lorin Maazel avec Giorgio Strehler,  Thomas Moser et Jeanine Altmeyer, n’ont marqué les mémoires. La production précédente (Otto Schenk) en février 1978 avait marqué certes, mais parce que Leonard Bernstein était dans la fosse, que c’était une tournée de l’Opéra de Vienne et que les deux héros s’appelaient René Kollo et Gundula Janowitz.
La dernière apparition de l’Opéra de Vienne dans Fidelio, en septembre 2011 fut réduite à une exécution de concert, avec Franz Welser-Möst au pupitre, Nina Stemme et Peter Seiffert dans les rôles principaux et n’a pas vraiment séduit.
En bref, la Scala n’a pas eu de chance avec Fidelio.
Et cela peut se comprendre car l’opéra conjugue une très grande difficulté à réunir une distribution indiscutable et une difficulté encore plus grande à identifier un metteur en scène qui y trouve sa voie.
L’intrigue de Fidelio, inspirée d’une pièce de Jean-Nicolas Bouilly, Léonore ou l’amour conjugal est aujourd’hui la plupart du temps éclairée par les metteurs en scène en fonction de la tradition illuministe, enrichie par notre référence contemporaine aux droits de l’homme : prison, et prisonniers enfermés dans des conditions précaires, condamnations arbitraires, vengeances politiques et personnelles sont aujourd’hui aussi fréquents qu’au début du XIXème siècle, chaque époque se reconnaît malheureusement dans cette dénonciation. La victoire de la justice sur l’injustice et le chœur final qui rappelle la IXème symphonie font le reste et rendent le public moralement et esthétiquement satisfait.
Mais Fidelio est aussi tributaire d’une tradition assez bien ancrée dans l’opéra de l’époque où la dénonciation illuministe de l’injustice et de l’arbitraire entre moins qu’un schéma bien connu des librettistes qui est la pièce à sauvetage. Un personnage (en général une femme) enfermé injustement dans un château est sauvé par un autre (un preux chevalier dans les bonnes histoires), le méchant est puni, et tout est bien qui finit bien. C’est peu ou prou le schéma de Zauberflöte de Mozart, même si Sarastro n’est pas le méchant qu’on croyait au départ, c’est le schéma du plus grand succès de l’époque, Lodoïska de Cherubini, créé à Paris en 1791 au théâtre Feydeau, 200 représentations, à partir des Aventures du Chevalier de Faublas de Jean-Baptiste Louvet de Couvray.
Le succès est tel que la partition de Cherubini va être regardée à la loupe et imitée par les successeurs, dont Beethoven, et que le livret va être l’occasion de trois opéras, l’un de Stephen Storace, Lodoïska (1794), de Simon Mayr, Lodoïska (1796) et surtout le Torvaldo e Dorliska, de Rossini en 1815, soit un an après la création de la version définitive du chef d’œuvre de Beethoven.
Je me demande toujours pourquoi l’opéra de Cherubini n’est jamais représenté, même s’il a été proposé dans le cadre du festival de Montpellier il y a quelques années. C’est exactement le type d’œuvre que pourrait monter l’Opéra Comique. Seul Riccardo Muti en a proposé une magnifique production à la Scala en 1991, 200 ans après la création.
Tout cela nous montre que Beethoven prend un sujet à la mode, avec un schéma bien manichéen et assez simpliste qui peut gêner un metteur en scène, d’autant que la qualité dramaturgique de l’œuvre reste à démontrer, avec tout un acte I qui est l’exposition et un acte II plus bref qui concentre l’action et le dénouement de manière assez rapide. Certes, la prison injustement infligée et la libération donnent l’occasion de rêver droits de l’homme, la femme libératrice est un nouveau motif digne d’intérêt (inspirée d’un fait divers révolutionnaire réel) : on a donc vu une grande variation sur le thème camp et prison : on se souvient de la fameuse mise en scène de Jorge Lavelli à la Halle aux Grains de Toulouse, mais on ne compte plus les murs gris (ou ocres et écrasants chez Strehler), les grilles, les soupiraux. L’imagination (?) en la matière est au pouvoir.
Je me demande si ce type d’histoire, assez frustre au demeurant, ne conviendrait pas à une approche plus « bande dessinée », j’ai toujours rêvé aussi de voir un Fidelio de type cinéma muet : cette histoire convient très bien à un scénario du muet, héroïne blonde et diaphane, Pizzaro méchant à souhait, héros malheureux et écrasé roulant des yeux suppliants, Rocco brave type. En fait, je pense qu’il faudrait aller du côté de l’imagerie, plutôt que du côté sérieux, « droits de l’homme » ou révolution. Une imagerie d’Epinal que les moyens modernes utilisés par la scène aujourd’hui pourraient développer. Je trouve que cela correspond mieux au type d’histoire, à la dramaturgie minimale, à la manière un peu miraculeuse dont Léonore réussit rapidement à libérer son Florestan.

Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano
Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano

Ce n’est pas le chemin qu’ont pris des mises en scène récentes. Je me souviens de Chris Kraus, avec Abbado, qui l’avait choisi parce qu’il avait tant aimé son film Quatre minutes autour d’un professeur de piano qui donne des cours dans une prison pour femmes. De là vient l’idée aussi du projet de musique dans les prisons monté à Bologne avec l’orchestra Mozart et continué actuellement par l’association Mozart 2014 qui vient de naître.

Chris Kraus proposait une variation sur la guillotine, plutôt sympathique en première partie (garnie de pots de fleurs, comme un meuble familier) et qui sert pour punir les coupables à la fin, montrant qu’on remplace un totalitarisme par un autre.
Deborah Warner n’est pas très loin de cette lecture.
Son Fidelio se passe non en prison « officielle », pas d’uniformes, mais dans un lieu de confinement d’une guerre civile où sont probablement enfermés des révolutionnaires ou  des opposants. Tout est civil en effet dans cet espace (beau décor de béton d’immeuble en construction de Chloe Obolensky et beaux éclairages de Jean Kalman), un lieu de non-droit et d’arbitraire. Le décor du soupirail où est confiné Florestan se passe dans l’obscurité au point que Florestan chante son « Gott » dans le noir quasi absolu (bel effet que cette voix émergeant des ténèbres). L’arrivée du Ministre est en fait une sorte de libération par des forces révolutionnaires, le Ministre ressemblant plus à un membre d’un comité révolutionnaire quelconque entouré de drapeaux rouges.
C’est je crois à peu près tout.
Les éléments psychologiques ou dramatiques qui étayent cette histoire, comme le retournement de veste de Rocco, qui dénonce son maître Pizzaro une fois que tout est dit (ce qui jette une lumière trouble sur son personnage), la déception et la tristesse de Marzelline qui découvre que son Fidelio n’est pas celui qu’elle croyait et voit l’étendue de sa disgrâce ne sont pas mieux traités. Il faut trente secondes à Marzelline pour revenir à son Jaquino (il faut en effet faire vite car l’opéra se termine). Quant à Pizzaro après avoir fanfaronné de manière ridicule (genre Mohammed Ali après avoir vaincu un combat de boxe) aux côtés de Don Fernando, croyant échapper au châtiment, il est emmené à peine dénoncé et abattu d’un coup de pistolet sans aucune forme de procès (chez Chris Kraus il était guillotiné). Bref, on passe là aussi d’un totalitarisme à l’autre, la fin (l’aube rouge…) justifiant les moyens.
Tout cela ne va pas bien loin et Deborah Warner nous avait habitué à un peu mieux. Tout de même entre le Regietheater à la Castorf et ce plan plan, il y a sans doute de l’espace pour quelques idées. Mais non, il ne semble pas. L’opéra serait-il condamné à errer entre médiocrité warnérienne et abominations warlikowskiennes ou castastorfiques ?
Du point de vue musical, il n’en va pas beaucoup mieux, même si la distribution réunie avait tout pour plaire sur le papier.
Rien à dire sur la plupart des rôles périphériques, Marzelline est Mojka Erdmann, bien plus à l’aise dans ce rôle que dans Sophie où elle n’existait pas à Salzbourg. Fraîcheur, allant, rythme, tout cela est convaincant, tout comme l’excellent Jaquino de Florian Hoffmann, voix claire, belle diction, une touche de poésie, rien à dire, ces deux là sont parfaitement à leur place.
Kwangchul Youn  est un Rocco impeccable, un chant contrôlé, une couleur très chaleureuse, un des meilleurs Rocco de ces dernières années. Kwangchul Youn est aujourd’hui l’une des basses de référence pour le répertoire allemand, très émouvant et profond, c’est ce soir sans nul doute le meilleur du plateau.

Falk Struckmann, fut un Pizzaro référentiel lui aussi. L’artiste est intelligent, la présence scénique impressionnante, la diction impeccable. Malheureusement, la voix n’a plus l’éclat ou la profondeur d’antan et le chanteur éprouve quelque difficulté dans les moments de vaillance et les extrêmes du spectre, aigus comme graves, il en résulte un chant crié un peu vociféré, qui est quelquefois pénible. Malgré tout le respect pour le grand chanteur qu’il fut et qu’il reste quelquefois, cet heureux temps n’est plus.
Peter Mattei (Fernando) est une présence luxueuse pour un rôle très épisodique, mais il s’en tire comme toujours avec élégance, avec puissance, avec ses qualités habituelles d’émission et de diction, même si j’ai trouvé qu’à Lucerne (avec Abbado) il avait été encore meilleur.

Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano
Anja Kampe © Marco Brescia et Rudi Amisano

Anja Kampe, qui chante Leonore depuis longtemps (avec Abbado lors de la tournée du Fidelio de Chris Kraus) devrait désormais réfléchir à ses choix de rôle : son engagement, son timbre chaud, son charisme lui garantissent des triomphes, soit dans Sieglinde, soit dans Senta, soit dans Leonore. Mais pour ma part je pense qu’elle n’a jamais eu les moyens d’un soprano dramatique, et surtout pas d’une Leonore, presque inchantable, demandant des qualités de cantabile à la limite du bel canto, et des aigus dardés, mais aussi des graves notables sur un spectre d’une rare étendue. On sentait ses limites dans ce rôle avec Abbado, même dans des théâtres moins vastes, elle s’égosille ici à en perdre la voix à la fin et rater plusieurs aigus. C’est une Leonore scénique, pour sûr, l’une des meilleures sur le marché, mais pas une Leonore vocale. Ici c’est nettement insuffisant.
Klaus Florian Vogt a un autre problème. Rien à dire sur la diction, sur la manière de colorer, sur la douceur de ce timbre, sur les aigus, même si le final de son air, haleté, haletant, lui crée quelques difficultés. C’est un chanteur de grand niveau et incontestable. Mais son timbre très clair, très nasal, un timbre qu’on croit être de ténor léger comme Almaviva (alors que la voix est tout autre que légère) ne convient absolument pas à la couleur du rôle, qui exige plus de corps, qui exige une couleur un tantinet plus sombre. Le résultat est qu’il n’existe pas. Ce n’est pas une question d’accompagnement du chef comme je l’ai lu, c’est une question de couleur et de pâte vocale. Ce timbre convient à Lohengrin, un héros venu d’ailleurs d’une autre nature et d’une autre pâte, cela ne convient pas du tout à Florestan, dont la couleur doit avoir du drame dans l’expression. Ici pas de drame, quelque chose de gentillet et de propret qui tombe à plat. Je le dis avec d’autant plus de tristesse que j’adore ce chanteur. Il n’est pas facile de trouver un Florestan aujourd’hui (sauf Kaufmann), ce n’était pas une mauvaise idée d’aller chercher ailleurs, mais tous ceux qui étaient à la représentation du 10 où Jonas Kaufmann a chanté ont dit qu’incontestablement cela avait fait basculer la représentation.
Malgré tout ce que j’ai lu (vulgarité, volume excessif, choix erronés) c’est bien Daniel Barenboim qui m’est apparu le plus convaincant et le plus impressionnant. Il a choisi comme ouverture Leonore II qui fut exécutée lors des premières représentations de la première version de l’opéra, une ouverture plus longue, plus symphonique, plus dramatique, plus descriptive aussi de la suite aussi, cette ouverture fut pour moi un grand moment : tempo lent, très lent, qui rappelait Klemperer, énergie et dramatisme qui rappelaient Furtwängler, référence explicite de Barenboim, c’est à dire un Beethoven inscrit dans une tradition datée certes (on ne joue plus Beethoven comme cela aujourd’hui), mais exécuté de manière fulgurante. Et c’est cette exécution majestueuse d’une incontestable grandeur, avec un orchestre particulièrement attentif, qui m’a séduit ici. Barenboim propose un Beethoven monumental, sombre, tendu avec un sens du drame marqué.  Certes on est à l’opposé de l’élégance dynamique d’un Abbado, ou d’un Harnoncourt, mais il y a là une vraie direction, une véritable option et l’orchestre sonne, avec un soin extraordinaire pour révéler la partition, pour en noter l’épaisseur et tant et tant de détails. Ainsi, toute la scène finale est elle musicalement grandiose (chœur vraiment remarquable, comme souvent à la Scala) et cette grandeur musicale compense largement la faiblesse du propos scénique. Le Beethoven de Barenboim n’est pas toujours convaincant. Ici on peut discuter les choix et options, on peut discuter l’interprétation, eu égard notamment aux voix choisies qui ne correspondent pas à cette direction (pour Vogt notamment), mais ce qui est indiscutable c’est la force de conviction, c’est l’intelligence, c’est même l’émotion qui se dégage de certains moments (l’ouverture notamment, mais aussi le final du premier acte et toute la scène du chœur des prisonniers, et le début du 2ème acte (qui n’a pas cependant la force qu’il dégageait chez Abbado).
Barenboim quitte la Scala après la dernière du 23 décembre. Premier directeur musical non italien,  aura beaucoup apporté pour le répertoire de la maison, qu’il a ouvert, il aura aussi permis à des chefs nouveaux de diriger, il a fait respirer une maison qui avait été un peu plâtrée les dernières années de Muti. On peut discuter le personnage, un certain public peut penser « bon débarras », mais il est clair pour moi qu’il a été un des phares de la période Lissner. Il restera au successeur  Riccardo Chailly de défendre le répertoire idiomatique scaligère.
Ce Fidelio est loin d ‘être totalement convaincant. Il est sauvé pour moi par la direction musicale, magnifique et à contre courant des modes, XXème siècle en diable, beethovénienne au sens furtwänglérien du terme dans la grande tradition du symphonisme allemand.

Les fins de cycle sont toujours un peu mélancoliques : voir Barenboim saluer seul avec panache un public conquis avait quelque chose d’émouvant.
La saison est ouverte, la Scala continue, grande dame vénérable et malgré tout éternellement séduisante. [wpsr_facebook]

Acte II Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Peter Mattei, Kwangchul Youn © Marco Brescia et Rudi Amisano
Acte II Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Peter Mattei, Kwangchul Youn © Marco Brescia et Rudi Amisano

BAYREUTHER FESTSPIELE 2014: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER, de Richard WAGNER le 8 AOÛT 2014 (Dir.mus: Christian THIELEMANN; Ms en sc: Jan Philipp GLOGER)

Les "fileuses" © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Les “fileuses” © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Fliegende Holländer 2013: http://wanderer.blog.lemonde.fr/2013/08/21/bayreuther-festspiele-2013-der-fliegende-hollander-de-richard-wagner-le-20-aout-2013-dir-mus-christian-thielemann-ms-en-scene-jan-philipp-gloger/

 

Fliegende Holländer 2012: http://wanderer.blog.lemonde.fr/2012/08/01/bayreuther-festspiele-2012-der-fliegende-hollander-le-31-juillet-2012-dir-mus-christian-thielemann-ms-en-scene-jan-philipp-gloger/

 

Est-ce le voisinage du Ring ? Est-ce la direction complètement novatrice de Kirill Petrenko ? Est-ce la mise en scène de la complexité du monde voulue par Frank Castorf ? Il reste que, comme pour Lohengrin, l’impression en sortant de ce Fliegende Holländer sans être mitigée, est moins enthousiaste que les années précédentes. Pour les descriptions détaillées de la mise en scène de Jan Philipp Gloger, je vous renvoie aux comptes rendus respectifs de 2012 et 2013.

Que les impressions varient, c’est plutôt un bien. Où serait le plaisir si chaque année on voyait une copie de l’année précédente ? Gloger avait bien modifié entre 2012 et 2013 un certain nombre de données (on était notamment passé du rouge au noir), mais peu de modifications entre 2013 et 2014, sinon  dans la distribution où Kwangchul Youn succède à Franz-Josef Selig dans Daland.

Senta et la poupée représentant le Hollandais © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Ballade de Senta © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

La mise en scène de Jan-Philipp Gloger part d’une donnée simple : la rencontre de deux errances, celle d’un homme d’affaire, las des rencontres tarifées, des halls d’hôtel et de voyages, qui a envie de se poser et de connaître enfin l’amour, et celle d’une jeune fille rêveuse, lasse de son travail à la chaîne, qui aspire enfin à vivre une histoire.
Ils se rencontrent, ils s’aiment, ils meurent. Un Hollandais qui prendrait ses modèles chez Roméo ou chez Tristan. Peu de fantasmagorie ou juste ce qu’il faut pour ne pas épurer à l’excès, pas d’océan, pas de vaisseau ou juste du barque, pas de fileuses, mais des ouvrières qui fabriquent à la chaîne des ventilateurs…Daland fabrique et vend du vent…et finira, image finale, par vendre des effigies des deux amoureux, un peu comme le père Al Fayed chez Harrods a exploité jusqu’à la garde le filon Dodi Al Fayed/Lady Di.

Le choeur des matelots © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Le choeur des matelots © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Un travail assez clair, rigoureux, mais dont les profondeurs sont vite épuisées On dirait vulgairement qu’on en a vite fait le tour, c’est très évident à la troisième vision. Voilà une ligne, suivie, cohérente, bien gérée (les personnages comme Mary ou le Steuermann sont très bien profilés), qui ne devrait pas (trop ) choquer les amateurs de Vaisseaux, de tempêtes ou même de tempêtes sous un crâne, car le filon psychologique ou même psychiatrique (Senta vaguement schizophrène) n’est pas exploité du tout. Ici, Senta n’est pas une rêveuse, mais plutôt une révoltée.
Du point de vue musical, Chritian Thielemann mène l’ensemble à un rythme soutenu, très dynamique, avec un souci du détail marqué, notamment dans les parties plus lyriques ou plus contenues. C’est un travail exemplaire de direction musicale : rien ne manque, les fortissimi, les forte, les moments plus tendres, avec un orchestre qui le suit avec une parfaite précision et un bel engagement. L’exemple même de ce qu’on attend d’un Fliegende Holländer, une approche sans état d’âme, démonstrative, d’une sûreté sans failles, mais peut-être aussi sans surprise. Et c’est à cela que je pensais en écoutant la fosse : j’ai eu ce à quoi je m’attendais, ce que j’avais eu et apprécié les années précédentes ? Rien de plus. Je vois un rictus agacé sur le visage du lecteur…mais qu’est ce qu’il lui faut de plus ?
Peut-être me manque-t-il la surprise (la surprise du chef…), l’étonnement, ce plus qui fait que telle œuvre avec le même chef n’est pas exactement comme la veille, qu’il y a des variations, une variété, une invention, des tentatives. Rien de tel dans ce Vaisseau, tout à fait remarquable mais, remarquable comme un chef d’œuvre architectural qui est là une fois pour toute : comme sur le viaduc de Millau, on passe, on repasse, c’est toujours remarquable, mais le travail de Norman Foster n’évolue pas, il a inscrit dans ce viaduc une fois pour toutes son génie, et nous admirons.
Chez Thielemann, c’est un peu cela, remarquable, mais un peu extérieur, comme fouillé et proposé une fois pour toutes et sans vraie sensibilité. Cela vit sans respiration, sans l’humain sensible, et avec un tantinet d’arrogance.
Me voilà bien critique : il ne s’agit aucunement de critique, mais d’une opinion, d’un ressenti, appuyé sur ce je ne sais quoi et ce presque rien qui a traversé mon écoute.
Du point de vue du chant, nous nous trouvons face à une équipe très homogène, qui tient très largement la route : le Hollandais de Samuel Youn a toujours ses qualités d’élégance, de phrasé, de timbre chaleureux et velouté, et toujours ce petit manque de projection et de largeur vocale qui n’en fera sans doute pas un Hollandais de légende, mais au moins le personnage voulu par la mise en scène, qui doute, et bien plus humain que d’habitude. Pour ma part, j’aime beaucoup cet artiste.

Kwangchul Youn © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Kwangchul Youn © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Kwangchul Youn a cette qualité remarquable de solidité et de régularité qui fait qu’on est toujours sûr de l’égalité du résultat et du rendu, mais avec des variations de couleur, avec une vraie recherche dans la manière de rendre le mot, une sensibilité au texte qui fait les grands chanteurs pour Wagner, il est en plus le personnage voulu, gentiment roublard, commerçant dans l’âme, accompagné de son âme damnée, le Steuermann Benjamin Bruns, la vraie surprise de ce cast vieux de trois ans, excellent vocalement, avec une vraie puissance, un timbre clair et sûr, et surtout magnifique en scène dans son rôle d’intendant et de gestionnaire de l’entreprise Daland. Beau succès aussi du Tomislav Mužec, comme l’an dernier, un chanteur jeune, intense, au joli timbre et très émouvant.

Tomislav Mužec © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Tomislav Mužec © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Christa Mayer n’est pas une Mary inoubliable, mais y en a-t-il ?

Ricarda Merbeth © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Ricarda Merbeth © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath

Reste Ricarda Merbeth.
Énorme succès, proportionnel aux aigus impressionnants, notamment à la fin. Mais Y-a-t-il une vie après les aigus ? Pour un soprano, oui, théoriquement. Pour Ricarda Merbeth, apparemment non. Une Senta d’une grande froideur, très peu expressive, très peu ressentie, sans âme et sans tripes. Une machine à faire des aigus, comme souvent je le lui ai reproché, une chanteuse qui ne me dit rien, qui ne me communique rien, qui n’a rien de la vibration d’une Pieczonka, pourtant vocalement bien plus hésitante et plus fragile…Senta, c’est justement une vibration et une sensibilité, une chaleur, un rêve qui passe. Ici, tout passe avec la même puissance, et sans rien d’autre qu’une exposition de décibels.
Au total, et malgré ces remarques tatillonnes, un bon Fliegende Holländer, une belle soirée à Bayreuth comme devrait être son ordinaire, et comme n’est pas son extraordinaire.[wpsr_facebook]

Acte III © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath
Acte III © Bayreuther Fespiele/Enrico Nawrath