STAATSOPER IM SCHILLER THEATER BERLIN 2015-2016: PARSIFAL de Richard WAGNER le 28 MARS 2016 (Dir.Mus: Daniel BARENBOIM; Ms en scène: Dmitri TCHERNIAKOV) ADIEU À KUNDRY

 

Waltraud Meier Maîtresse Chanteuse
Waltraud Meier Meistersängerin

ADIEU À KUNDRY

Quand une gloire du chant fait ses adieux à un rôle, le public vient pour honorer l’artiste et le/la remercier. D’une certaine manière, peu importe l’entourage et la distribution et peu importe la prestation et l’état réel de la voix, tout sera pardonné.
Il n’en fut pas ainsi, dans le cas de Waltraud Meier , Kundry dans le Parsifal mis en scène par Dimitri Tcherniakov et dirigé par Daniel Barenboim qu’elle interprétait pour la dernière fois ce lundi 28 mars à la Staatsoper de Berlin : l’écrin pour ses adieux fut le plus glorieux qui soit, avec une distribution chavirante, un orchestre exceptionnel et un chef inspiré. C’est donc un merveilleux Parsifal qu’il nous été donné d’entendre, un de ceux à emporter sur l’île déserte.

C’est pourquoi toutes affaires cessantes (j’ai encore quelques textes en retard), je voulais écrire sur ce Parsifal et sur Waltraud Meier. Fort opportunément Daniel Barenboim a rappelé qu’elle débuta Kundry en 1983 sous la direction de James Levine au Festival de Bayreuth, j’ai eu la chance de l’y entendre et de suivre sa carrière depuis. C’est dire l’émotion qui pouvait me saisir. Mais plus encore, c’est l’exécution musicale dans son ensemble qui m’a enthousiasmé, et la confirmation de la qualité du travail de Tcherniakov, dont la « Personenführung », le travail sur les personnages est incroyable de précision et de justesse. De mise en scène il sera peu question, parce que je l’ai évoquée par le menu dans mon compte rendu de l’édition 2015 , mais Tcherniakov a adapté son travail au personnage porté par Waltraud Meier : alors qu’il avait travaillé avec Anja Kampe sur la jeunesse et la « parenté » Parsifal/Kundry, chacun portant son doudou à la fin (petit cheval ou poupée) et sur une certaine violence érotique, il va travailler avec Waltraud Meier (dont le costume est plus « sage ») sur la femme, une sorte de mère pour les filles fleurs, mais bafouée, blessée, sacrifiée, isolée : elle ne s’adresse pas à Parsifal qui étendu à terre après le baiser, ne veut rien entendre, mais elle monologue sur elle-même. C’est prodigieux de vérité et de douleur. Il travaille sur une Kundry plus maternelle, plus mûre qui voit en Parsifal son Erlöser, son rédempteur, son sauveur, dans une relation d’individu à individu qui frappe par son intensité (les échanges de regards sont littéralement déchirants) : c’est le désespoir qui gouverne plus que la magie d’un Klingsor devenu un « pervers pépère » gotlibien. Il en résulte pour le spectateur une expérience humaine intense et bouleversante, loin des simagrées pseudo-religieuses dont on affuble Parsifal. Oui, il s’agit d’un Festival scénique sacré, mais le sacré est ici l’humain, dans sa crudité et sa douleur, un humain qui se lit dans tous les personnages, Amfortas dont la souffrance est donnée à voir d’une manière presque impudique, Gurnemanz qui remâche l’histoire du Graal et qui devient une sorte d’intransigeant gardien du temple si violent qu’il poignardait l’an dernier Kundry à la fin ; c’est moins clair cette année vu les mouvements (ou la place que j’occupais), en tous cas, la mort de Kundry est moins « démonstrative », même s’il y participe.
Que Parsifal ne soit « que » le rédempteur qui passe et s’en va portant le cadavre de Kundry, laissant le Graal à son destin montre en même temps combien l’histoire de la « secte » du Graal intéresse peu Tcherniakov ; le destin de Parsifal est l’errance, qu’il soit jeune (au début) en bermuda et capuche ou adulte (à la fin) en veste de cuir et treillis : Parsifal comme roman d’apprentissage.

 

Daniel Barenboim et Waltraud Meier ©Staatsoper im Schiller Theater
Daniel Barenboim et Waltraud Meier ©Staatsoper im Schiller Theater

Une aventure humaine qui est une aventure théâtrale et musicale, dans laquelle nous sommes emportés comme par un tourbillon, d’abord grâce à Daniel Barenboim. Le chef est inspiré et porté sans doute par ce moment particulier qui sanctionne des années de travail fidèle avec Waltraud Meier depuis 1987 ; une collaboration artistique qui passe notamment par Parsifal, Tristan mais aussi Wozzeck ou Walküre (on oublie quelquefois quelle Sieglinde Waltraud Meier a été). C’est bien le sens que Daniel Barenboim a donné à ses quelques mots prononcés à la fin de la représentation soulignant les éminentes qualités de Waltraud Meier, puissance, beauté de la voix, intensité et surtout ce poids particulier donné aux paroles, à chaque mot, faisant sonner à chaque fois le sens juste. Il y a eu de très grandes Kundry, mais tous les spectateurs des années 80 en l’entendant savaient qu’une page de l’interprétation wagnérienne s’écrivait et se sanctionnait C’est ce qui stupéfie dans ce Parsifal et qui est largement partagé par tout le plateau : on comprend chaque parole projetée clairement, avec l’expressivité qui convient, on est pris par l’engagement de chacun et sa justesse dans le jeu. Pour Waltraud Meier, on est loin de la tigresse des premières années : elle fait sonner une étrange nostalgie, on y entend une femme dévastée, presque une mère, protectrice de ce Parsifal qui à l’acte I et au début de l’acte II est un chien fou. Chaque parole est sculptée, chaque inflexion est donnée comme dans un grand Lied somptueux. Ce qui frappe encore, c’est la puissance expressive de la voix, et surtout la puissance tout court. Aucun outrage des ans (avec certes deux petits moments de justesse approximative dans les aigus, mais c’est un microdétail quand on pense à ceux de Rysanek à Bayreuth en 1982) et une fraicheur telle qu’on se demande bien pourquoi elle abandonne le rôle, sinon pour affirmer ainsi qu’il vaut mieux renoncer à un rôle en pleine gloire que sur de vagues échos de ce qui fut et qui n’est plus.
Je voudrais dire quelle émotion est la mienne, en ce dernier jour, car elle me bouleversa souvent, mais surtout au plus profond, un soir berlinois, à la Philharmonie, en avril 2002, lorsqu’elle interprétait les Rückert Lieder pour une autre dernière fois, le dernier concert d’Abbado à Berlin comme directeur musical des Berliner Philharmoniker. Ich bin der Welt abhanden gekommen fut un de ces moments définitifs, où il se passait tant de choses entre le chef et l’interprète, sur fond du cor anglais déchirant de Dominik Wollenweber, qu’immédiatement ce soir c’est ce souvenir-là qui m’est remonté. Me disant qu’en face de moi j’avais l’une des chanteuses non seulement des plus intelligentes de la scène d’aujourd’hui, mais aussi des plus sensibles et des plus vraies.
C’est quand l’art laisse voir l’humain dans toute sa beauté qu’il devient sublime. Waltraud Meier est pour moi plus irremplaçable dans Kundry que dans Isolde, sans doute parce que je l’ai entendue depuis ses tout débuts, une Kundry déjà mûre et encore verte, et ce soir dans une Kundry pas encore mûre, mais accomplie. Une vie d’artiste. Car les adieux, c’est toujours un peu la fin qui s’annonce, et là, il y avait tant de vie, de vibration, de sensibilité, de vérité, qu’on était loin, très loin d’une quelconque fin.

Daniel Barenboim a dirigé son orchestre avec sa vibration dramatique habituelle ; on sentait l’orchestre tendu et appliqué, nombre de musiciens restaient en fosse pendant les entractes, signes de volonté de s’entraîner jusqu’à la dernière minute.
Il y a d’abord dans ce travail une profondeur qui frappe, avec le tempo juste, peut-être un poil rapide à la fin, avec un volume important, d’autant plus dans cette petite salle, peut-être un poil fort néanmoins. Mais l’ensemble est tellement intense, l’interprétation colle tellement à la scène et à la violence rentrée qu’elle nous impose qu’il y a des moments où cela a un effet physique sur le spectateur : la chaleur et la fièvre montent, les poings se ferment, quelques perles de sueur apparaissent sur le front.
Ce qui est extraordinaire avec Barenboim (ou quelquefois problématique), c’est qu’il est toujours inattendu ; comme souvent les très grands, il change tel ou tel détail, tel ou tel tempo d’une soirée à l’autre ; plusieurs amis ont souligné la différence de volume ce soir, plus marqué, où pourtant et malgré tout on l’entendait encore chantonner et indiquer par des sons telle inflexion, tel appui, signe de sa concentration extrême. Et comme souvent aussi avec les très grands, l’orchestre était ce soir tout à lui, sans une scorie, avec des cordes prodigieuses, des cuivres sombres, car ce soir, l’approche était sombre, celle du monde pessimiste et désespéré voulu aussi par Tcherniakov. Comme enfin avec les très grands, Barenboim dirige une œuvre, un plateau et une mise en scène dont il tient évidemment le plus grand compte. Ce travail a le rythme du plateau, la noirceur du plateau, son ironie aussi (deuxième acte) notamment dans la scène des filles fleurs, terrible parce que sans magie, mais magique parce que terrible, la fascination du mal, une sorte d’enchantement nadirien dont la version solaire nous sera donnée au troisième acte. Haletant. Engagé. Grandiose.
Grandiose également le chœur qui dans cette mise en scène fait un tout autre effet que lors des Parsifal-messes scéniques où il apparaît quelquefois. Il y a là une vie singulière, une énergie du désespoir notable et particulière (Direction Martin Wright) et une vraie présence, puissante et impressionnante.
Il est vrai aussi que Barenboim avait sous la main le plus beau des plateaux possibles. D’abord comme souvent des petits rôles très bien tenus, à la diction merveilleusement claire, à l’engagement scénique notable. Ainsi citera-t-on les Gralsritter Paul O’Neill et Dominic Barberi, les Knappen Sonia Grand, Natalia Skrycka (qui chante aussi la voix du ciel et une des filles fleurs), Florian Hoffmann et Roman Paier. Mais aussi les filles fleurs : on a toujours un chœur des filles fleurs alternant entre la joie explosive et la séduction à l’orientale (ou à la mode de Ravello vu l’inspiration du jardin des Blumenmädchen). Ici la mise en scène est loin de la séduction orientale et le chœur des filles fleurs, à peine strident, rend l’image d’un chœur de petites/jeunes filles avec des voix qui ne seraient pas « faites ». Même les filles fleurs sonnent différemment mais si justes et si cohérentes avec la mise en scène.
Enfin Matthias Hölle, en Titurel (il l’était déjà lors du premier Parsifal de Barenboim à Bayreuth en 1987, avec Waltraud…) sculptural dans son manteau de cuir de triste référence, rappelle quelle basse il fut, et qu’on admira tant sur la scène de Bayreuth.
Tómas Tómasson en Klingsor, comme l’an dernier, rattrape les années de Klingsor médiocres dont les théâtres nous ont gratifiés, en armure de Matrix ou en équipage SM. Bien sûr Tcherniakov prend le spectateur à revers en imposant un « caractère », plein de tics, remettant en place son horrible mèche rebelle derrière des lunettes de pervers. ; Tómas Tómasson marche et insupporte, il regarde et insupporte, il caresse des petites filles et insupporte. Un repoussoir.
Et le chant est impeccable, puissant avec cette légère ironie dans le ton, cette légère nasalisation, loin des voix noircies et sans intérêt. Le rôle est tout dans la première scène : et il faut l’attendre à Furchbare Not, le moment qui évoque la castration. Tómas Tómasson est étonnant, à la fois repoussoir et pathétique, il y a les deux dans cette manière de chanter. Du grand art .
René Pape en Gurnemanz, même un peu fatigué (au début, les graves étaient légèrement opaques) est toujours un moment d’exception. Des aigus d’une insondable profondeur et d’un rare éclat, un texte dit avec une clarté et un souci des inflexions phénoménal, une présence bourrue et blessée qui en ferait presque un personnage mystérieux de roman médiéval, un engagement féroce qui peut aller jusqu’au meurtre sous des dehors finalement anodins. Cette complexité du personnage, René Pape nous l’impose, quand nous voyons trop souvent des Gurnemanz sculpturaux et statufiés. Nous avons là une humanité déchirante, que Tcherniakov ne cesse d’imposer, notamment au troisième acte lorsqu’il rêve devant la diapo du temple…être et avoir été.
Wolfgang Koch en Amfortas, a une présence scénique crue, impudique, même un peu gênante pour le spectateur : il impose sa blessure, la négligence de son port et de sa tenue, comme une sorte d’être incurable qui nous imposerait un physique aux limites du supportable. On n’a vraiment pas envie de le voir, en boxer et marcel sanguinolant. Et face à ce corps en putréfaction, par contraste, une voix d’une noblesse unique, une expression d’une intensité rare, un timbre velouté. Qu’il soit Wotan, Sachs ou Amfortas, Koch s’impose comme l’un des plus grands wagnériens d’aujourd’hui, d’une modestie palpable tant la présence en scène s’impose par le dire, par un minimum de gestes signifiants sans en faire des tonnes. Rien de trop, juste ce qu’il faut pour toucher, sans jamais exagérer dans le démonstratif, sans jamais être pathétique. Quel artiste !

Jürgen Flimm, Waltraud Meier, Andreas Schager ©Staatsoper im Schiller Theater
Jürgen Flimm, Waltraud Meier, Andreas Schager ©Staatsoper im Schiller Theater

Et puis, il y a Andreas Schager. Un Parsifal  en tous points exceptionnel.
Il faut l’entendre dire, prononcer, moduler chanter “Erlöse..” à l’acte II. C’est vraiment une performance qui ferait presque oublier Kaufmann, bien que le style soit tellement différent, et le personnage à l’opposé. D’abord, Schager a un timbre de ténor, l’éclat d’un ténor, et une voix d’une puissance si marquée qu’on craint qu’elle ne s’use prématurément tant il chante fort (déjà dans Tannhäuser à Gand…). C’est très fort, mais c’est si juste et si intelligent qu’on lui pardonne. Le chien fou du premier acte, avec ses excès qu’on entend dans une voix éclatante, forte et fière de soi, et qui va ensuite éclater dans la désespérance avec une telle vérité qu’on en est frappé au deuxième acte ; et puis c’est légèrement plus maîtrisé au troisième, plus lyrique aussi, presque plus poétique : la mise en scène et les échanges de regards bouleversants Kundry/Parsifal aident à installer cet espace lyrique que le chanteur impose après les explosions vocales précédentes. Ce qui frappe encore là, c’est l’intelligence du chant, c’est la présence, c’est l’engagement résolu dans la mise en scène, c’est aussi un texte d’une telle évidence qu’on n’a même pas à lever les yeux vers les surtitres, car on comprend tout. Et quel jeu ! qui passe de la fraîcheur juvénile à l’adulte plus contrôlé.

Il faut voir la manière dont il se gratte le mollet, comme un tic : on se dit d’abord qu’il a une démangeaison toute humaine, mais son double se gratte aussi, et on découvre que c’est dans le jeu. Il faut voir aussi la manière saccadée dont il se change, dont il fouille dans son sac à dos…incroyable Tcherniakov. Et incroyable Schager qui construit un personnage de Parsifal neuf, frais, naturel, irremplaçable dans cette mise en scène, et incroyable d’incarnation. L’interprétation a mûri par rapport à l’an dernier, plus maîtrisée, plus intérieure, plus construite : il m’a fait penser à l’urgence de Vickers…c’est dire…

Alors bien sûr, l’adieu à Kundry de Waltraud Meier donnait à la soirée un parfum particulier, mais c’est bien l’un des grands Parsifal de ces dernières années qu’on a revu-là avec une distribution et une direction exceptionnelles, et c’est ce qui fait le prix de la soirée : on a vu et on est enthousiaste d’un Parsifal, c’est à dire de l’œuvre que les circonstances n’ont pas fait disparaître. C’est le plus beau cadeau à offrir à notre Waltraud qu’une représentation digne d’elle.
Alors bien sûr, presque 30 minutes d’applaudissements, avec discours chaleureux de Jürgen Flimm l’intendant, de Daniel Barenboim, avec couronnement de Waltraud d’une couronne de fleurs qu’on croirait sortie de la Festwiese des Meistersinger, ce qui pour une Meistersängerin, se justifie pleinement. Délire du public, joie des collègues, des musiciens. L’Opéra comme on le rêve, dans une salle qui a acquis une personnalité si attachante qu’on en viendrait presque à souhaiter des retards supplémentaires aux travaux de la Staatsoper unter den Linden.
Et puis, fidèle à la tradition humaniste de la maison, joint à la distribution, un petit papier à en tête de l’opéra, très officiel et signé Die Intendanz nous demande de donner à l’association Be an Angel pour les réfugiés avec aux portes, comme il y a six mois pour Meistersinger, du personnel recueillant les dons. On aimerait voir en France cette présence et ce type de demande au public… Même à Zurich il y a une fête prochaine pour les « Flüchlinge » sur le parvis de l’opéra. C’est sans doute le signe, malgré les méandres filandreux de la politique bien présents en Allemagne (et en Suisse !) aussi, qu’il y a une âme humaniste qui vibre et surtout qui s’exprime.

Pardon pour ce dernier mouvement d’humeur, mais après une telle soirée, où nous avons tous communié autour de notre art chéri, nous rappeler à la réalité tragique des temps du quotidien, et avec quelle élégance, cela m’émeut, et me désole quand je pense à mon pays.
Ce soir c’est l’humain dans tous ses états qui a triomphé.[wpsr_facebook]

Final 1er acte, debout Parsifal (Andreas Schager) ©Ruth Walz (Edition 2015)
Final 1er acte, debout Parsifal (Andreas Schager) ©Ruth Walz (Edition 2015)

STAATSOPER IM SCHILLER THEATER BERLIN 2015-2016: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG de Richard WAGNER, le 11 OCTOBRE 2015 (Dir.mis: Daniel BARENBOIM; Ms en scène Andrea MOSES)

"Barouf" de l'acte II ©Bernd Uhlig
“Barouf” de l’acte II ©Bernd Uhlig

L’Orchestre est prêt, scène ouverte, le chœur s’installe, les Maîtres aussi, tous venus de la salle, on bavarde, on se salue, on s’assoie. On fait silence. Puis au milieu de la scène arrive une dame avec un micro, on se dit : « Aïe ! l’annonce d’un malade… » Mais la dame nous rassure tout de suite en disant que tout le monde est en forme.
Elle vient nous dire simplement qu’après la représentation, le personnel de l’opéra sera aux portes pour recueillir ce que voudront bien verser les spectateurs pour les réfugiés arrivés à Berlin, de manière à résoudre au plus vite les questions pratiques et logistiques, l’argent liquide ira directement à une des associations berlinoises en charge du problème.

On croit rêver.

On croit rêver… et pourtant, cette manière de faire est implicitement cohérente avec la mise en scène de ces Meistersinger d’Andrea Moses, qui, en quelque sorte, fait le point sur l’Allemagne d’aujourd’hui et l’identité allemande.

Acte I Meistersinger ©Bernd Uhlig
Acte I Meistersinger ©Bernd Uhlig

Je trouve toujours plus que Die Meistersinger von Nürnberg est l’opéra le plus beau, le plus intéressant et le plus profond de Wagner. Je sais pourtant que beaucoup de wagnériens non allemands ont des difficultés avec cette œuvre. Moi même je n’y suis pas facilement entré. Mais quand tombent les blocages, quel univers fascinant ! Voilà une œuvre complexe, qui fut une sorte de modèle, dont on retrouve trace(s) aussi bien dans le Falstaff de Verdi que dans la Cinquième de Mahler, qui cumule les questions, celle du propos, d’abord, qui n’est pas si évident, celle de la réception ensuite, puisqu’elle a été ballotée entre la comédie pour distraire le bon bourgeois bavarois, et le symbole de l’identité allemande, glorifiée par les nazis pour devenir la seule œuvre possible à Bayreuth pendant la deuxième guerre mondiale, c’est elle enfin, en 1956, qui a été complètement nettoyée des scories brunes par Wieland Wagner à Bayreuth.
L’histoire de l’œuvre dans les 50 dernières années à Bayreuth est intéressante à rappeler pour comprendre l’importance de ce qu’Andrea Moses veut transmettre. Dernière œuvre « autorisée » par l’oncle Wolf à Bayreuth et jouée jusqu’en 1944, elle fut la seule des productions du Festival 1951 à ne pas subir le nettoyage par le vide wielandien. Il attendit 1956 et ce fut un scandale énorme, puis en 1963 il en « externalisa » la problématique chez Shakespeare dans un décor très inspiré du Théâtre du Globe essayant alors de « dégermaniser » la question. Une mise en scène qui dura peu, puisque dès 1968, après la mort de son frère, Wolfgang en proposa une vision assez traditionnelle, reprise avec de menues variantes jusqu’en 1996 et au seuil des années 2000. En gardant la main sur l’œuvre, Wolfgang donnait en quelque sorte un gage à ce public de Bayreuth qui ne digérait pas le Regietheater entré dans le temple wagnérien dans les années 70, et l’œuvre très populaire auprès de ce public (elle a même un public très spécifique) n’était ainsi pas remise en cause dans son aspect disons…folklorique. Un deal en quelque sorte.

Katharina Wagner osa affronter la discussion sur une œuvre que Bayreuth avait traité de manière ambiguë et qui continuait de traîner son image un peu délétère. Elle fit de Sachs un libéral qui vire au conservateur puis au dictateur : son discours final devenant clairement un discours hitlérien. Il faut se souvenir de l’excellent Hawlata mimant Adolf avec ses mouvements de main nerveux, entouré de statues à la Arno Breker, et Walther entre du même coup dans le rang dans un conformisme désolant. Et elle fit au contraire de Beckmesser une image d’ouverture et d’innovation. C’étaient des Maîtres « cul par dessus tête ».
En 2017, pour la première fois depuis 1956, une mise en scène des Maîtres à Bayreuth échappera à un Wagner, puisqu’elle est confiée à Barrie Kosky.
Daniel Barenboim, après une petite vingtaine d’années de présence à Bayreuth, a installé à Berlin un pôle wagnérien particulièrement médiatisé : Festival annuel, et productions très discutées ces dernières années : le Tannhäuser de Sasha Waltz puis le Parsifal de Tcherniakov ont installé définitivement la Staatsoper de Berlin et permis de rivaliser avec Munich et Bayreuth sur les exécutions wagnériennes de référence : Guy Cassiers (pour le Ring), Dmitri Tcherniakov et Sasha Waltz sont évidemment des noms qui comptent dans le monde théâtral.
Avec Andrea Moses, l’Opéra d’Etat de Berlin a fait appel à un metteur en scène moins en vue, originaire de Dresde (en ces temps de Pegida, ça compte) une jeune femme (il n’y en a pas trop dans le monde des metteurs en scène) qui affronte le plus tudesque des opéras.
Andrea Moses pose justement la question de l’Allemagne, très nette, très affichée (drapeau géant présent en permanence, dans lequel s’enroulent Eva et Waltehr au deuxième acte, délicieuse cachette pour amants, ballons aux couleurs germaniques, insignes des maîtres aux trois couleurs etc.). Et elle réussit le prodige de ne pas en faire un manifeste nationaliste, parce qu’elle pose la question de l’œuvre en lui permettant de se dérouler telle quelle dans une Allemagne apaisée, faisant de Nuremberg non pas la ville folklorique traditionnelle, mais une image de ville moderne qui reflète une Allemagne du jour, où Sachs cultive son cannabis sur le toit, et où les bagarres naissent des oppositions de supporters d’équipes de foot comme au deuxième acte, une Nuremberg très berlinisée qui abrite des punks berlinois. Même chez Wagner d’ailleurs, Nuremberg n’est pas la ville de Nuremberg, hic et nunc, mais un univers presque abstrait où art et artisanat se parlent, un monde où la discussion esthétique est quotidienne, une sorte de République platonicienne dont poètes et musiciens seraient les Maîtres.
Trois points frappent dans ce travail :

  • d’abord, le retour de la farce, du « Witz », la première scène dans l’église où Walther caresse le dos nu d’Eva est à la fois hardie et désopilante, Hans Schwarz (Franz Mazura, 91 ans bien portés !), qui ne cesse d’avaler ses pilules en se faisant encore plus vieux qu’il n’est, David malmené par ses copains, un groupe de Punks un peu agités, on rit beaucoup, on sourit souvent.
  • Ensuite, la scrupuleuse obéissance au livret, en le faisant aller au fond des choses, en installant Sachs dans son personnage de poète intellectuel (une bibliothèque riche en livres variés, comme on le voit au début du troisième acte) et notamment en révélant l’ambiguïté d’Eva, et son jeu entre Sachs et Walther (c’est presque d’ailleurs un topos de l’œuvre aujourd’hui) : même transposée, on reconnaît toute la trame.

    Acte III: Sachs (Wolfgang Koch) , Eva (Julia Kleiter) Walther (Klaus Florian Vogt) ©Bernd Uhlig
    Acte III: Sachs (Wolfgang Koch) , Eva (Julia Kleiter) Walther (Klaus Florian Vogt) ©Bernd Uhlig
  • Enfin, cette transposition moderne est plus subtile qu’il n’y paraît : l’affichage du panneau des sponsors comme lors des conférences de presse des entraîneurs au foot ou en formule 1, la présence lors de la Festwiese de délégués d’un Etat du Golfe, à qui on explique le déroulé, sans doute parce qu’ils sont des financeurs potentiels, les néons des toits de Nuremberg qui indiquent Sachs, ou Pogner comme autant de firmes qui cherchent à se vendre, sont des indices des intentions de la mise en scène : ces Maîtres d’aujourd’hui construisent une reconstitution « marketing » de l’histoire des Maîtres Chanteurs, cherchant sans doute un sponsor pour financer l’opération « Meisterfest » comme il y a l’Oktoberfest, et cherchant à affirmer une identité plus festive qu’idéologique, avec les qualités et les défauts du modernisme ambiant.
    Acte I ©Bernd Uhlig
    Acte I Sachs sur fond de sponsors©Bernd Uhlig

    Et du même coup on comprend évidemment pourquoi on sort le fauteuil de Sänger (« der Sänger sitzt ») sous une housse de plastique transparent, tout comme l’établi de Sachs, comme des objets sortis du grenier, reliques d’une époque disparue qu’on essaie de faire revivre plus ou moins artificiellement , on comprend aussi pourquoi les fauteuils des maîtres au premier acte sont des meubles dépareillés comme sortis du même grenier: nous sommes dans une représentation de « théâtre dans le théâtre ». Je dis « nous », parce que nous, spectateurs à Berlin, sommes évidemment part de la représentation, comme le montre l’accrochage des ballons tricolores sur scène et dans la salle, comme le montre la première image où chœur et spectateurs se font face avec la fosse au milieu pour écouter religieusement l’ouverture, et comme le montre l’image (quasi) finale du Palais impérial de Berlin, fond de scène bien peu nurembergeois, mais allusion claire au débat historique de la reconstitution d’un Palais impérial qui perdit sens et fonction à la chute de l’Empire, et donc à la question de l’Allemagne et de sa mémoire, voire de sa relation à l’histoire. Un texte du programme en souligne d’ailleurs l’absurdité.
    Aussi, quand l’effigie du Palais disparaît au profit de celle d’une sorte de prairie idéale et apaisée, une vraie « Festwiese » débarrassée de tout symbole politique, et que tous se tournent vers elle, alors, l’Allemagne unie autour de l’art et de la nature, apparaît, une Allemagne illuministe qu’on veut éternelle, et dont ces Meistersinger se veulent le nouvel emblème. Débats esthétiques, débats médiévaux, débats d’aujourd’hui et surtout débats allemands, voilà l’idée qui nous est proposée.

Acte III sur fond de palais ©Bernd Uhlig
Acte III sur fond de palais ©Bernd Uhlig

L’histoire est donc racontée avec distance, avec un regard à la fois tolérant, mais tout de même acéré, qui affiche l’aujourd’hui des sponsors, y compris les plus incongrus, et l’aujourd’hui d’une communauté diverse, pas forcément unie, mais disponible. On croise donc aussi bien un juif orthodoxe un peu ahuri par la bagarre du deuxième acte que des financeurs du golfe, des supporters de foot (un peu hooligans), des nostalgiques de l’Empire qui agitent le drapeau noir/blanc/rouge rétabli par les nazis qu’on fait bien vite taire, et des maîtres qui sont d’authentiques maîtres chanteurs historiques, Siegfried Jerusalem, Rainer Goldberg, Olaf Bär, Graham Clark, Franz Mazura (91 ans) qui chantèrent chacun jadis un des grands rôles de l’opéra et qui furent à un moment symbole d’une identité ouverte (tous ne sont pas allemands) et unie autour de la musique.
Jeu subtil entre représentation et réalité, et représentation de la réalité, l’opéra utilise la salle et les spectateurs comme des spectateurs de Maîtres lointains et proches, qui concernent directement un public allemand et une Allemagne sans doute assez sûre d’elle pour lier de nouveau cette œuvre à un discours identitaire certes, mais jamais dominateur.
Du même coup, ces Meistersinger ont une saveur nouvelle : ils disent la grandeur de l’Allemagne du jour, avec ses qualités et ses défauts, avec sa diversité et ses problèmes, sans se poser le satané problème identitaire qui empoisonne inutilement et stupidement ce type de discours en Allemagne et ailleurs. Si Die Meistersinger von Nürnberg apparaît comme une manière d’opéra national, ce ne fut jamais un opéra nationaliste, sauf dans les fantasmes des âmes nazifiées. Que Daniel Barenboim conduise le bal est évidemment un gage, compte tenu des opinions qu’il a toujours affichées, de son ouverture et il faut bien le dire, de son courage, et bien entendu, de sa propre identité d’israélo-argentin au passeport palestinien vivant à Berlin.
Ainsi, la quête pour les réfugiés (qui apprend-on par un tweet, a recueilli 11000 €) prend-elle place légitimement dans une soirée qui célèbre une autre Allemagne que celle des clichés ou des peurs brunes.

À une mise en scène aussi réussie et aussi profonde correspond un travail musical exceptionnel, qui associe solistes, troupes, chœur et orchestre. Daniel Barenboim, dans une salle de 900 places (au merveilleux rapport scène salle, il faut le souligner), et pour une œuvre aussi monumentale, réussit à équilibrer les volumes au point qu’aucun chanteur n’est jamais couvert, qu’on entend tout, avec un vrai souci du texte, qui est dans cet opéra un élément fondamental, dont on ne peut jamais faire abstraction, tant il y a entre texte et musique une sorte de complicité, de systèmes d’échos, de précisions qui font que l’un est toujours tributaire de l’autre. C’est d’ailleurs le problème pour les spectateurs non germanophones ou non allemands, qui n’arrivent pas toujours à rentrer dans ce texte et ses jeux permanents sur tel ou tel mot, auquel répond une musique construite en fonction et de la lettre et du sens du texte, sans doute portée ici à sa perfection parce qu’elle sonne en même temps intime et collective. Intime… j’ose ici un mot qu’on n’associe pas toujours aux Meistersinger von Nürnberg, mais qui correspond parfaitement à l’une des couleurs de cet opéra- et qui en fait la complexité : Die Meistersinger est un opéra intimiste qui fouille les dédales de l’âme de Sachs, à la fois Tristan et Roi Marke, inventeur et créateur encore plein de ressources, et individu aimant au seuil de la vieillesse, qui se pose en permanence la question de l’être et de l’avoir été, intellectuel et artisan, à la fois citoyen et anti-système, qui raconte ici l’histoire de sa renonciation.
Ainsi la direction de Daniel Barenboim, d’une clarté exemplaire, est peut-être l’une de ses plus grandes réussites, parce que même dans les parties les plus spectaculaires (ouverture, chœurs, final), elle n’est jamais cabotine ou démonstratrice (ce qu’on lui reproche souvent), elle est toute faite de subtilité, de raffinements, de poésie et n’exagère rien dans un dialogue exemplaire entre intimisme et ensemble, entre musique de chambre (oui, vous avez bien lu) et symphonisme : la Staatskapelle Berlin le seconde dans ce propos de manière exemplaire : pas une scorie, des parties solistes à faire rêver (les violoncelles, les bois à se damner), et l’orchestre à lui seul construit cet univers idéal qu’on perçoit sur scène et qui fait que le spectateur sort toujours e heureux et en paix après avoir entendu cette œuvre.

Meistersinger ©Bernd Uhlig
Meistersinger (au premier plan, Franz Matura et Olaf Bär)  ©Bernd Uhlig

Car sur scène, il y a d’abord une équipe, une troupe, un ensemble dont la cohésion est visible. Il est clair que les chanteurs ont tous pris plaisir à un travail qui va sans doute devenir une grande référence dans l’histoire de la production de l’œuvre.

Die Meistersinger ! ©Bernd Uhlig
Die Meistersinger ! ©Bernd Uhlig

Les Maîtres d’abord : certes, la distribution des Meistersinger est toujours difficile pour un théâtre notamment à cause de ces 12 maîtres qui ne sont pas des rôles de complément (c’est un peu le même problème pour les Walkyries). La Staatsoper de Berlin a résolu le problème en distribuant huit des douze maîtres à des maîtres du chant, des Maîtres-Chanteurs authentiques d’hier ou d ‘aujourd’hui : aujourd’hui pour les rôles principaux Sachs (Wolfgang Koch), Pogner (Kwangchul Youn), Beckmesser (Markus Werba), mais aussi Kurt Vogelgesang (Graham Clark, qui fut un David merveilleux), Balthasar Zorn (Siegfried Jerusalem, ci-devant Walther, mais aussi Tristan, mais aussi Siegfried, mais aussi Lohengrin, mais aussi Parsifal , mais aussi Siegmund, mais aussi Loge, mais aussi Froh), Ulrich Eisslinger (Reiner Goldberg, un des ténors wagnériens qui réveilla tant d’espoirs au moment où l’on était en panne de ténors et qui fut à Bayreuth Erik, Tannhäuser, Siegfried, et naturellement Walther) , Hans Schwarz (Franz Mazura, une des basses wagnériennes les plus importantes qui chanta à Bayreuth de 1971 à 1995) et le Hans Foltz d’Olaf Bär (considéré en son temps comme le successeur de Dietrich Fischer Dieskau, un des maître du Lied et de la musique sacrée jusqu’au début des années 90 et qui chanta Günther et Donner à Bayreuth). Au-delà de l’émotion de voir ici réunies des gloires du chant wagnérien, l’idée de les réunir dans une œuvre aussi emblématique de l’éducation musicale et de l’éducation au chant est vraiment un vrai coup « de maître ».
Particulièrement « réaliste », la mise en scène assigne à chacun une part du jeu, focalise tour à tour l’action, notamment sur le vétéran Mazura, toujours au premier plan, chacun a quelque chose à faire, avec une précision dans le jeu d’acteur qui rappelle le travail de Frank Castorf, et qui ne démentit jamais Wagner quand il définit ce qui est imposé au chanteur dans Die Meistersinger von Nürnberg en matière de diction et de fluidité des dialogues. Il y a dans ce travail presque « choral » au sens « Bachien » du terme, presque fugué au sensF du terme (combien le Falstaff de Verdi se souvient de ces Meistersinger…), quelque chose d’une ciselure prodigieuse, d’un travail de joaillerie qu’un artisan-maître de Nuremberg ne pourrait démentir.
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Nachtwächter ©Bernd Uhlig
Nachtwächter ©Bernd Uhlig

utre exemple de joaillerie dans la mise en scène, le Nachwächter de Jan Martinik de bonne facture, habillé en pasteur, que personne de craint plus, qui veille au salut des âmes –Seelenwächter plus que Nachtwächter-, bientôt victime lui-même des baruffe du final de l’acte II, dans une Allemagne qui n’a pas peur des transgressions.
Évidemment, les grand solistes ne démentent en rien l’observation de ce travail global des maîtres, à commencer par le Veit Pogner de Kwangchul Youn, à la voix toujours sonore, plus vivant et plus coloré que d’habitude, avec un chant à la fois net, à la diction impeccable et à la couleur bon enfant.

Acte II:  Sachs et Beckmesser ©Bernd Uhlig
Acte II: Sachs et Beckmesser ©Bernd Uhlig

Le Beckmesser de Markus Werba est sans doute scéniquement remarquable, jamais caricatural, ni exagéré, mais un peu décalé par son côté « professeur » tiré à quatre épingle, une sorte de Topaze un peu has been, et peu sûr de lui, qui essaie de se glisser dans les habits voulus « au sens propre », puisqu’il est vêtu d’habits médiévaux au deuxième acte pour chanter sa romance  (costumes d’Adriana Braga-Peretzki, qui a fait aussi les costumes du Ring de Castorf à Bayreuth); des habits qui rappellent un peu, de loin, le Mezzetin de Watteau, dans une atmosphère de « fête galante » très anachronique par rapport à l’ambiance voulue par cette mise en scène et qui souligne à plaisir l’anachronisme du personnage. Sans vouloir à tous prix établir des liens, soulignons quand même que Verlaine publie ses Fêtes Galantes en 1869, soit un an après la création des Meistersinger. Ce Beckmesser est ridicule parce qu’il n’est plus de ce temps, mais parce que sa jalousie et sa petitesse, elles, le sont. Il est chanté par un Markus Werba valeureux, mais qui ne sort pas du lot des bons Beckmesser, respectables mais pas exceptionnels. Les grands Beckmesser, eux, sont des modèles de chant, qui peuvent en remontrer à Sachs : ils ont nom Hermann Prey (à Bayreuth), ou même Michael Volle, qui, avant d’être Sachs sur scène, à Zurich et Salzbourg, a été un immense Beckmesser (à Bayreuth encore). Il y a vocalement dans Beckmesser un Sachs possible.
Magdalena est la jeune Anna Lapkovskaia, vue à Bayreuth dans le Ring cet été, elle se sort très honorablement d’un rôle un peu ingrat, jamais mis en valeur et pourtant toujours très présent dans les grands moments (le quintette…) et qui est souvent un gage de futur, tandis que le David de Stephan Rügamer (troupe de la Staatsoper de Berlin) est frais, jeune, vif, comme souvent chez ce ténor toujours juste.
Julia Kleiter abordait Eva pour la première fois. Habituée aux rôles plus légers ou aériens : Ännchen, Pamina, Sophie, Eurydice. Ella aborde Eva, un rôle faussement léger, qui demande à la fois les qualités des rôles cités précédemment, mais aussi une assise vocale plus forte, il faut se faire entendre au quintette, et il faut savoir aussi jouer et chanter les coquettes à l’acte II : personnage complexe, qui vire de jeune fille à jeune femme, en faisant passer Sachs de la maturité à la vieillesse. Certains lui ont reproché une certaine raideur, un manque de lyrisme qui donnait au personnage un aspect plus rêche. J’ai trouvé que dans cette salle, la voix sonnait bien et s’affirmait remarquablement, et j’ai aimé ce ton moins uniforme que d’habitude, plus nerveux, plus tendu. Comme un personnage en crise d’identité qui passe de Sophie à Susanne (qu’elle chante d’ailleurs aussi). La mise en scène l’habille plus « femme » que « jeune fille » et c’est ce passage-là que je trouve réussi vocalement dans une sorte d’instabilité théâtrale bien rendue vocalement qui m’a bien plu.
Klaus Florian Vogt est un Walther déjà éprouvé ailleurs, à Bayreuth, et même à Genève, face à une lumineuse Eva qui avait nom Anja Harteros. Il possède chaque inflexion du rôle, chaque nuance, chaque respiration aérienne. Mais il n’a plus ce qu’il avait naguère, une jeunesse de timbre séraphique, certes toujours enchanteur et un peu étrange mais imperceptiblement plus mature, moins éthéré, moins « étonné » et donc moins « étonnant ». Je sais que certains lecteurs peuvent me trouver difficile, mais dans Meistersinger, on chante toujours sur le fil du rasoir : Vogt chantait merveilleusement ce rôle parce qu’il en épousait les évolutions, d’un chant d’élève frais et naïf au premier acte à un chant de Maître au troisième. Il chante ici en professionnel, merveilleux certes, mais dans les équilibres subtils de la partition, on y croit un peu moins.

Hans Sachs (Wolgang Koch) ©Bernd Uhlig
Hans Sachs (Wolgang Koch) ©Bernd Uhlig

Reste Wolfgang Koch.
J’avais cet été hautement apprécié le monologue de Wotan du deuxième acte de la Walkyrie, pour moi un des sommets musicaux et vocaux du Ring de Bayreuth, où Wolfgang Koch atteignait un degré de profondeur sidéral, grâce à un corps à corps avec le texte, dont il faisait un gouffre à l’incroyable profondeur. Muni de ce viatique, il aborde Hans Sachs qu’il va reprendre avec Kirill Petrenko à Munich dans la mise en scène de David Bösch en mai prochain. C’est d’emblée un Sachs de référence : il a d’abord ce qui fait Sachs, à savoir la science du Lied, qui construit un univers par le chant : il a le mot en bouche, modulé jusqu’aux inflexions les plus subtiles et les plus fines, il dit un texte avant de le chanter et en ce sens il répond mot pour mot aux exigences de Wagner dans cette œuvre. Il est ensuite le personnage, sur scène, un peu négligé, mais pas trop, très simple et jamais «envahissant » ni imposant ni cabot, un personnage d’une humanité profonde et perceptible par le jeu, les attitudes, voire le côté un peu « farouche ». Un Sachs qui faiblit à peine à la toute fin de l’œuvre (le rôle est écrasant) et qui nous gratifie d’un troisième acte anthologique, dans sa bibliothèque d’intellectuel où trônent toutes sortes de volumes (beaucoup de partitions mais pas que…) sur de hauts rayonnages et un tableau de la renaissance allemande représentant un groupe d’hommes, tout de noir vêtus, image sociale et référentielle à la fois. Un Sachs déjà de référence, et qui marque cette représentation de son empreinte : ni basse profonde, ni haute stature, un Sachs à l’allure commune, ni aristocrate à la Fischer Dieskau, ni popu à la Hawlata, mais un humain ordinaire parmi les humains, à la fois simple et définitif.
Voilà ce que furent ces Meistersinger von Berlin, magnifiquement adaptés à cette ville ouverte et disponible, extraordinairement plurielle, qui célébrait le 3 octobre le « Jour de l’Unité » et où on le célébrait en fête à la Staatsoper pour la Première de cette production, une production très politique et très ironique en même temps, mais jamais cynique, jamais amère, jamais autre que souriante et apaisée. Il sera d’autant plus stimulant de comparer ces Meistersinger berlinois aux Meistersinger munichois en mai prochain, qui vont réinstaller ce pilier du répertoire munichois où ils ont été créé.
Mais ce soir, nous étions tous des berlinois. [wpsr_facebook]

Festwiese, image finale  ©Bernd Uhlig
Festwiese, image finale ©Bernd Uhlig

LES WANDERUNGEN DU WANDERER: LES STATIONS de la PASSION. LA TABLE DES MATIÈRES 2013

Les 132 articles de l’année 2013

Janvier 2013 (8)

Les Troyens au cinéma (MET HD)
La succession de Sir Simon Rattle est ouverte (Actualité)
Der fliegende Holländer (Budapest)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Bayerische Staatsoper München)
Concert: Münchner Philharmoniker-Ingo Metzmacher-Michael Volle/Berg-Mahler-Pfitzner-Wagner (Philharmonie in Gasteig München)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayerische Staatsoper München)

Février 2013 (15)

Der Ring des Nibelungen, de Beckham à Wagner, une rêverie (Bayerische Staatsoper München)
Falstaff (Scala)
Nabucco (Scala)
La Traviata (Grand Théâtre de Genève)
Après Genève, La Traviata, promenade dans la discothèque (Grand Théâtre de Genève)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Opéra de Paris)
Parsifal (MET-New York)
Rigoletto (MET-New York)
Théâtre: Sommergäste (Les estivants) (Schaubühne Berlin)
Concert: Gewandhausorchester-Riccardo Chailly/Mendelssohn-Schlee-Mahler (Gewandhaus Leipzig)
Sur Wolfgang Sawallisch (In memoriam)
Die Feen (Oper Leipzig)
Opéra de Paris, saison 2013-2014 (Actualité)
MET, saison 2013-2014 (Actualité)
DNO Amsterdam, saison 2013-2014 (Actualité)

Mars 2013 (12)

Remarques rêveries sur le Parsifal du MET (MET HD)
Teatro Real & Liceu Barcelona, saisons 2013-2014 (Actualité)
Das Rheingold (Grand Théâtre de Genève)
Der fliegende Holländer (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado-Martha Argerich /Mozart-Beethoven (Lucerne Festival)
Théâtre: Phèdre (Comédie Française)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Britten (Lucerne Festival)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Beethoven-Chostakovitch (Lucerne Festival)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann/Brahms (Osterfestpiele Salzburg 2013)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann-Yefim Bronfman/Henze-Beethoven-Brahms (Osterfestspiele Salzburg 2013)
Parsifal (Bayerische Staatsoper München)
Parsifal (Osterfestspiele Salzburg)

Avril 2013 (11)

Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Opéra de Paris)
Opéra National de Lyon, la saison 2013-2014 (Actualité)
Il Prigioniero/Erwartung (Opéra de Lyon)
Macbeth (Scala)
Claude (Opéra de Lyon)
Concert: Mahler Chamber Orchestra – Claudio Abbado-Martha Argerich/Beethoven-Mendelssohn (Salle Pleyel, Paris)
Théâtre: Le Misanthrope (Sivadier) Comédie de Valence
Bayerische Staatsoper, la saison 2013-2014 (Actualité)
Grand Théâtre de Genève, la saison 2013-2014 (Actualité)
Wiener Staatsoper, la saison 13-14 (Actualité)
Staatsoper Berlin/Deutsche Oper Berlin, saisons 13-14 (Actualité)

Mai 2013 (12)

Oberto conte di San Bonifacio (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino- Claudio Abbado/Wagner-Verdi-Berlioz (Teatro Comunale Firenze)
Oper Frankfurt Saison 2013-2014 (Actualité)
ROH Covent Garden et ENO, saisons 2013-2014 (Actualité)
Capriccio (Opéra de Lyon)
Der Fliegende Holländer (Staatsoper Berlin)
Le Grand Macabre (Komische Oper Berlin)
Concert: Berliner Philharmoniker-Claudio Abbado/Mendelssohn-Berlioz (Philharmonie Berlin)
Teatro alla Scala, saison 2013-2014 (Actualité)
Der fliegende Holländer (MC2 Grenoble)
Le Vaisseau fantôme ou le maudit des mers (MC2 Grenoble)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Scala)

Juin 2013 (8)

La Gioconda (Opéra de Paris)
Alexander Pereira, nouveau sovrintendente de la Scala (Actualité)
Rigoletto à Vernier (Le Lignon, Stadttheater Biel)
Die Meistersinger von Nürnberg (Amsterdam DNO)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado/Beethoven-Mozart-Haydn-Prokofiev (Salle Pleyel, Paris)
Cosi fan tutte (Teatro Real à la TV)
Bon anniversaire Claudio (Actualité)
Interview de Claudio Abbado dans Die Zeit (Actualité)

Juillet 2013 (14)

Die Zauberflöte (Opéra de Lyon)
Concours international de Chant Toti dal Monte (Trévise)
Rienzi (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Das Liebesverbot (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Der Ring des Nibelungen, Siegfried (Münchner Opernfestspiele 2013)
Otello (Münchner Opernfestspiele 2013)
Wagnerjahr 2013, Frühwerke: quelques questions sans réponses (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Elektra (Aix 2013)
Don Giovanni (Aix 2013)
Rigoletto (Aix 2013)
Un ballo in maschera (Scala)
Don Carlo (Münchner Opernfestspiele 2013)
Boris Godunov (Münchner Opernfestspiele 2013)
Der Ring des Nibelungen, ce qu’on en dit (Bayreuth 2013)

Août 2013 (11)

Sur Regina Resnik (In memoriam)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Brahms-Schönberg-Beethoven (Lucerne Festival 2013)
Tannhäuser (Bayreuth 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayreuth 2013)
Der fliegende Holländer (Bayreuth 2013)
Concert: Percussive Planet Ensemble-Martin Grubinger/Xenakis-Bartok (Lucerne Festival 2013)
Die Meistersinger von Nürnberg (Salzburg 2013)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Schubert-Bruckner (Lucerne Festival 2013)
Norma (Salzburg 2013)
Claudio Abbado nommé “Senatore a vita” (Actualité)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (version de concert) Lucerne Festival 2013

 

Septembre 2013 (12)

Orphée et Eurydice (version de concert) (Festival Berlioz)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Concertgebouw-Gatti/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Maurizio Pollini (Schönberg-Schumann-Chopin) (Lucerne Festival 2013)
Gérard Mortier limogé du Teatro Real (Actualité)
Claudio Abbado annule sa tournée au Japon (Actualité)
Arrivée anticipée de Stéphane Lissner à Paris (Actualité)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons-Uchida/Beethoven-Berlioz (Lucerne Festival 2013)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Alceste (Opéra de Paris)
Concert: Budapest Festival Orchestra-Ivan Fischer/Bartok-Dvorak (Lucerne Festival 2013)
Concert: Philharmonia Orchestra/Esa-Pekka Salonen (Lucerne Festival 2013)

Octobre 2013 (13)

Falstaff (Opéra de Budapest)
Die Soldaten-1 (Opernhaus Zürich)
Patrice Chéreau (In memoriam)
Aida (Opéra de Paris)
Les Dialogues des Carmélites-1 (Opéra de Lyon)
Les Noces de Figaro d’après Mozart (Odyssée – Eybens)
Les Dialogues des Carmélites-2 (Opéra de Lyon)
Théâtre: Lucrèce Borgia (Athénée)
Concert: ONF-Gatti/Haydn-Ravel-Tchaïkovski (TCE)
Lucerne 2014: La programmation de Pâques 2014 (Lucerne Festival)
Lucerne 2014: La programmation de l’été et de l’automne (Lucerne Festival)
Inauguration Académie Liszt de Budapest (Liszt Academy)
Die Soldaten-2 (Opernhaus Zürich)

Novembre 2013 (7)

Der fliegende Holländer (Geneva Wagner Festival, BFM-Genève)
Théâtre: L’Avare (Toneelgroep Amsterdam) (MAC Créteil)
Norma (version de concert) (Opéra de Lyon)
Théâtre: Le Conte d’hiver (MC2 Grenoble)
Elektra (Opéra de Paris)
Mémopéra, l’opéra et la mémoire (Opéra de Paris)
I Puritani (Opéra de Paris)

Décembre 2013 (9)

Die Frau ohne Schatten (1) (Bayerische Staatsoper München)
Die Frau ohne Schatten (2) (Bayerische Staatsoper München)
La Traviata (Scala)
Les contes d’Hoffmann (Opéra de Lyon)
Les Dialogues des Carmélites (TCE)
La Grande Duchesse de Gerolstein (Athénée)
Méditation sur Forza del destino (streaming)
Les Wanderungen 2013 du Wanderer (Blog Wanderer)
Le Palmarès 2013 du Blog du Wanderer (Blog Wanderer)

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STAATSOPER BERLIN AM SCHILLER THEATER et DEUTSCHE OPER BERLIN 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON BERLINOISE

Non, tout ne marche pas en Allemagne. L’aéroport de Berlin-Brandeburg devait ouvrir en juin dernier, il ne sera opérationnel qu’en 2015, et encore, sa capacité est insuffisante dès l’ouverture: tant mieux, on continuera d’utiliser Tegel, bien plus pratique. La Staatsoper unter den Linden en travaux depuis deux ans, n’ouvrira probablement pas non plus dans les délais prévus et donc voilà encore ce théâtre contraint d’utiliser les espaces plus étroits du Schiller Theater, à une volée du rival la Deutsche Oper, en face sur la même avenue. A ce jour les deux théâtres ont publié leurs saisons respectives, mais pas le troisième larron, la Komische Oper. Trois opéras à Berlin, trois histoires, trois traditions différentes, trois publics aussi et donc un casse tête pour le politique désireux de rationaliser la situation, budgétaire notamment. Je m’en vais donc essayer de vous présenter les deux saisons, de ces deux théâtres qui sont des théâtres de répertoire, avec leur troupe et donc leur couleur.

La Staatsoper im Schiller Theater, Bismarckstraße 110

Héritier de la tradition lyrique historique de Berlin, la Staatsoper, à deux pas du palais impérial, était la Hofoper (Opéra de Cour) de l’Etat prussien, avec l’orchestre d’Etat, la Staatskapelle, il fut dirigé par les plus grands Richard Strauss, Leo Blech, Erich Kleiber, Clemens Krauss, Herbert von Karajan (1941-1945…) ; ce fut après la deuxième guerre mondiale et une longue reconstruction (1945-1955)  l’opéra d’Etat de Berlin Est, avec son public plus populaire, vitrine de l’art lyrique en Allemagne de l’Est, que Daniel Barenboim reprit en 1992 peu après qu’il a été écarté du Philharmonique de Berlin au profit de Claudio Abbado.  Royaume de Daniel Barenboim et de l’intendant Jürgen Flimm, resté peu de temps à Salzbourg et qui en dit des horreurs (commentant dans les journaux le fait qu’en ce moment Alexander Pereira ferraille avec son conseil d’administration et se trouve au bord du départ: Salzbourg use et abuse des intendants depuis le départ de Mortier), il est installé à l’étroit dans la salle du Schiller Theater qui contient moins de 1000 spectateurs.
La programmation de la Staatsoper est dans l’ensemble plus recherchée et plus raffinée que celle de sa voisine d’en face, la Deutsche Oper; d’une part Jürgen Flimm est homme de théâtre et à ce titre veille à ce que les productions soient faites par des metteurs en scène inventifs, l’an prochain par exemple, Tcherniakov, Philipp Stölzl, Sasha Waltz, Andrea Breth sont des acteurs de la scène d’aujourd’hui et représentent une certaine modernité. Du côté musical, Daniel Barenboim est un directeur musical très ouvert, très présent (trop disent ses détracteurs) qui va diriger trois des nouvelles productions (La Fiancée du tsar, Trovatore, Tannhäuser), mais aussi Don Giovanni, Simon Boccanegra, Wozzeck dans le répertoire, soit 6 productions au total, ce qui est très respectable, mais il a appelé aussi Zubin Mehta (deux productions, Salomé et Aida), Sir Simon Rattle (Katja Kabanova), Daniel Harding (Fliegende Holländer), Marc Minkowski (Il trionfo del Tempo e del Disinganno), René Jacobs (Rappresentazione di Anima e Corpo) ce qui promet de belles soirées.
Vu l’exigüité de la salle, elle peut accueillir plus facilement des opéras baroques, du théâtre musical, et la salle de l’atelier (Werkstatt) des opéras pour enfants ou des  petites formes. Ainsi donc la saison est plutôt séduisante, diverse et marque une vraie variété alliant répertoire, raretés, recherche; quant au reste du répertoire, il fait appel aux chefs maison, à la troupe locale, à des chefs très solides spécialistes de répertoire baroque ou classique (Christopher Moulds) ou italien (Massimo Zanetti).
Ainsi donc bonne partie de l’automne sera faite de nouvelles productions, après un Ballo in Maschera de répertoire (Production Jossi Wieler/Sergio Morabito, avec Norma Fantini (Amelia), Kamen Chanev (Riccardo), Marina Prudenskaia (Ulrica), Valentina Nafornita (Oscar), le tout dirigé parr Massimo Zanetti (septembre), dès le 3 octobre, et pour 6 représentations jusqu’au 1er novembre, la première nouvelle production, Zarskaja newesta (La Fiancée du Tsar) de Nicolai Rimski-Korsakov dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et dirigée par Daniel Barenboim avec une très belle distribution, Anatolij Kotscherga, Olga Peretyatko, Johannes Martin Kränzle, Pavel Černoch, Anita Rachvelishvili. Daniel Barenboim en profitera pour diriger un Wozzeck de répertoire mis en scène par Andrea Breth, avec Roman Trekel dans Wozzeck, Waltraud Meier (Marie), Graham Clark (Kapitän), Pavol Hunka (Doktor) et Štefan Margita dans le Tambourmajor: il faut le dire, c’est une splendide distribution (4 représentations du 4 au 12 octobre). Daniel Barenboim dirigera en octobre une reprise de Don Giovanni dans la production salzbourgeoise passionnante de Claus Guth (où Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur dès le début vit à fond ses dernières heures et règle tous ses comptes); comme à Salzbourg, c’est Christopher Maltman qui chante Don Giovanni, aux côtés de la Anna de Christine Schäfer et la Elvira de Dorothea Röschmann, du Leporello de Adrian Sâmpetrean (vu récemment dans le Macbeth milanais) de l’Ottavio de Rolando Villazon, de la Zerlina d’Anna Prohaska et du Masetto de Adam Plachetka (qui sera en revanche Don Giovanni à Vienne et à la Deutsche Oper); là aussi, une jolie réunion de bons chanteurs! (6 représentations du 18 octobre au 3 novembre).
Daniel Barenboim sera encore au pupitre pour un hommage de Sasha Waltz au Sacre du printemps de Stravinski, la création de Sacre un montage entre le Sacre du Printemps, la “scène d’amour” du Roméo et Juliette de Berlioz et L’après-midi d’un faune de Debussy pour deux représentations les 26 octobre et 2 novembre.
La programmation de novembre est faite de représentations de répertoire, La Traviata fameuse de Peter Mussbach, direction Domingo Hindoyan, avec Anna Samuil dans Violetta pour 3 représentations en novembre, 2 en février et 2 en mars, Die Zauberflöte (Production August Everding) direction du jeune Wolfram-Maria Märtig, avec Anna Prohaska en Pamina et Stephan Rügamer en Tamino et La Finta Giardiniera (Die Pforten der Liebe) de Mozart dans une nouvelle version du livret signée Hans Neuenfels, qui a aussi signé la mise en scène à l’automne 2012, dirigé par Christopher Moulds avec Stephan Rügamer et Anna Siminska.
Le 29 novembre 2013, la première très attendue  du Trovatore de Verdi pour 7 représentations (jusqu’au 22 décembre) dans la production de Philipp Stölzl (à qui l’on doit le Rienzi et le Parsifal de la Deutsche Oper, ainsi que le Fliegende Holländer actuellement en scène à la Staatsoper), dirigé par Daniel Barenboim avec Anna Netrebko (Leonora), Alexksandr Antonenko (Manrico), une voix un peu lourde pour le rôle à mon avis, Marina Prudenskaja dans Azucena et…Placido Domingo dans Il conte di Luna. Réservons notre vol…
Car en décembre, outre ce Trovatore, quelques Zauberflöte et Finta Giardiniera, ainsi que La Bohème (pour5 représentations jusqu’au 19 janvier (Anna Samuil dans Mimi et Josep Caballé-Domenech au pupitre) on pourra aussi voir Der Fliegende Holländer, dans la production de Philipp Stölzl (c’est son mois!) dirigé par Daniel Harding, avec Michael Volle dans le Hollandais, Emma Vetter (Senta) et Stephan Rügamer (Erik) (à partir du 12 décembre pour 4 représentations jusqu’au 29). Philipp Stölzl sera encore à la fête à la Staatsoper pour la production de fin d’année, une reprise de Orphée aux Enfers (Orpheus in der Unterwelt) d’Offenbach, dirigée par Günther Albers pour 4 représentations jusqu’au 12 janvier.
En janvier justement des représentations de répertoire de Bohème, de Zauberflöte, de Barbiere di Siviglia, pour en arriver le 25 janvier à la première représentation de Katja Kabanova, de Leoš Janáček, nouvelle production d’Andrea Breth, dirigée par Sir Simon Rattle pour 6 représentations jusqu’au 16 février, avec une magnifique distribution réunissant entre autres Deborah Polaski (Marfa) et Eva Maria Westbroek (Katja), Pavel Černoch (Boris), Stephan Rügamer (Tichon), Roman Trekel (Kuligin). En février on pourra coupler cette Katja Kabanova de luxe par une reprise de choix, celle de Salomé, car la production de Harry Kupfer sera dirigée par rien moins que Zubin Mehta, pendant un bon mois à la Staatsoper de Berlin et pour pour 4 représentations du 2 au 13 février, avec Camilla Nylund (Salomé) et Albert Dohmen (Jochanaan), mais aussi l’excellent Gerhard Siegel (Herodes) et Birgit Remmert dans Herodias; un “mois Mehta”, ai-je dit, parce le 15 février, il dirigera une série de 3 représentations (jusqu’au 23 février) de Aida, dans la mise en scène de Pet Halmen avec le quatuor Ludmila Monastyrska (Aida), Nadia Krasteva(Amneris), Franco Vassallo (Amonasro), Fabio Sartori (Radamès): on pouvait rêver meilleur cast, mais pour Zubin Mehta dans un grand Verdi on ne fera pas la fine bouche.
En fin de mois, une Tosca qu’on peut éviter (Mise en scène Carl Riha, direction Stefano Ranzani avec Maria José Siri, Thiago Arancam et Egils Silins). Traviata, Zauberflöte pour un mois de mars sans grand intérêt, sauf pour 6 représentations (16 mars-6 avril) des Nozze di Figaro dirigées par Christopher Moulds avec une jolie distribution qui vaut une soirée si l’on est à Berlin: Roman Trekel (Il conte), Dorothea Röschmann (La Contessa), Vito Priante (Figaro), Anna Prohaska (Susanna) et Rachel Frenkel (Cherubino, comme à Vienne).
Avril, c’est le festival annuel du 12 au 20 avec deux “must”:
– une nouvelle production de Tannhäuser, dirigée par Daniel Barenboim, dans une mise en scène chorégraphiée de Sasha Waltz (c’est incontestablement attirant) avec quelle distribution ! René Pape (Landgrave), Peter Seiffert (Tannhäuser), Peter Mattei (!!) (Wolfram), Marina Prudenskaja (Venus), Marina Poplavskaja (Elisabeth). (4 représentations du 12 au 27 avril)
– une reprise de Simon Boccanegra (mise en scène – mauvaise- de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo (Simon) et Anja Harteros (Amelia), Dmitry Belosselskiy (Fiesco), Fabio Sartori (Gabriele) les 13 et 17 avril.

Et peu après, à partir du 22 avril et jusqu’au 26 avril (3 soirs), une rareté, le Vin Herbé de Frank Martin, direction de Frank Ollu, et mise en scène de Katie Mitchell, avec entre autres Matthias Klink et Anna Prohaska, qui est une reprise d’un spectacle qui aura sa première à la fin du mois de mai 2013.
La première moitié du mois de mai 2014 sera baroque. Tout d’abord, une reprise de Rappresentatione di Anima et di Corpo de Emilio de’ Cavalieri, oeuvre fondatrice de l’opéra, dirigé par René Jacobs avec l’Akademie für Alte Musik Berlin, dans la mise en scène de Achim Freyer, avec notamment Marie-Claude Chappuis pour 4 représentations du 4 au 11 mai, puis de Dido and Aeneas, de Purcell (réédition de Attilio Cremonesi) dans une mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz, un magnifique spectacle dirigé par Christopher Moulds, reprise d’un spectacle de 2005 (je crois), avec l’Akademie für Alte Musik de Berlin.
On pourra voir (en passant) à partir du 18 mai une reprise de la production déjà ancienne de Philipp Himmelmann (2004) de Don Carlo de Verdi (version en 4 actes) pour 5 soirées du 18 au 30 mai, dirigée par Massimo Zanetti, avec René Pape dans Filippo II, Fabio Sartori dans Don Carlo et Alfredo Daza dans Posa, ainsi que Anna Samuil dans Elisabetta et Marina Prudenskaja dans Eboli et encore les 24 mai et 1er juin Tosca (avec Béatrice Uria-Monzon et Jorge de Leon cette fois).
Le mois de juin verra pour la dernière reprise de l’année (pour trois représentations les 7,9,11 juin) , encore un spectacle baroque: Il trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, avec Marc Minkowski au pupitre des Musiciens du Louvre – Grenoble  et dans la mise en scène de Jürgen Flimm avec notamment Charles Workman, Sylvia Schwartz,  et Delphine Galou et enfin  la dernière nouvelle production de l’année, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny de Kurt Weill dans une mise en scène de Vincent Boussard, décors de Vincent Lemaire et costumes de Christian Lacroix  avec Wayne Marshall au pupitre de la Staatskapelle Berlin pour 6 représentations du 6 au 25 juin, avec le très bon Michael König dans le rôle de Jim Mahoney .
Toute la seconde moitié de juin est dédiée au festival Infektion! Festival für neues Musiktheater qui présentera
– le Lohengrin (1982) de Salvatore Sciarrino dans l’Atelier (Werkstatt) pour 5 représentations du 14 au 21 juin, mise en scène Ingo Kerkhof
– dans la grande salle de la Staatsoper la création d’un spectacle composé d’un opéra de Morton Feldman Neither (sur un texte de Samuel Beckett) et de Footfalls de Samuel Beckett, sur les lieux mêmes où Feldman et Beckett se rencontrèrent,  la mise en scène est de Katie Mitchell (qui a mis en scène Written on Skin de George Benjamin à Aix) qui combinera les deux œuvres, la Staatskapelle de Berlin sera dirigée par François-Xavier Roth et la soliste sera Laura Aikin pour 4 représentations du 22 au 29 juin.
Aschemond oder The Fairy Queen, un opéra de Helmut Oehring sur une interprétation de musiques de Henry Purcell dans une mise en scène de Claus Guth avec une distribution très stimulante, Marina Prudenskaja, Bejun Mehta, Andrew Staples, Roman Trekel et sous la direction de Michael Boder pour la Staatskapelle Berlin et de Benjamin Bayl pour l’Akademie für Alte Musik (23, 26, 28 juin)
– Enfin, une reprise de Lezioni di tenebra de Lucia Ronchetti créé le 30 janvier au Werkstatt d’après Giasone de Francesco Cavalli sous la direction de Max Renne (27 et 29 juin).
On peut constater à la fois la variété de l’offre de la Staatsoper qui va de l’opéra standard à au théâtre musical le plus contemporain, la qualité des chefs invités et celle des metteurs en scène ainsi que la bonne tenue des distributions. Le système est un mélange de système de répertoire et de stagione: la scène du Schiller Theater ne permet pas de toute manière une alternance complète. En tous cas de septembre à février, les mélomanes devraient trouver leur compte, sans oublier le Festival en avril et aussi le Festival de Théâtre musical en juin qui offre deux spectacles à voir de Katie Mitchell et Claus Guth. De quoi remplir bien des soirées berlinoises, à des prix  raisonnables vu que la plupart du temps les places vont de 20-28 € à 66-84 €  !

Deutsche Oper am Rhein, Bismarckstraße 35

Le cube de béton construit au début les années 60 (1961), salle à vision frontale de 1900 spectateurs environ fait suite à une histoire qui remonte au début du siècle. Face à l’opéra d’Etat (Staatsoper) , c’est un “opéra de quartier” lié au quartier très riche de Charlottenburg (la commune la plus riche de Prusse à l’époque) qui naît, appelé Deutsches Opernhaus, puis Städtische Oper (Opéra municipal) en 1925. Goebbels l’a appelé de nouveau Deutsches Opernhaus. Carl Ebert, l’intendant de l’époque, a quitté l’Allemagne pour éviter à avoir à se compromettre avec le régime: il retrouvera son poste en 1945. La salle de 1912, remodelée en 1935, fut détruite par un bombardement en 1943. La conception de la salle de 1961 est clairement celle d’une salle de répertoire, plutôt ouverte (vision frontale) qui fut l’Opéra de Berlin Ouest lorsque le mur sépara Berlin et que la Staatsoper fut celui de Berlin Est. Deux symboles donc et toujours la même rivalité (sous les nazis, Goebbels tenait la Deutsches Opernhaus et Göring la Staatsoper), qui continue au-delà de la “Wende”, après la chute du mur, tant les profils des deux théâtres sont différents (un peu comme Garnier et Bastille si les théâtres avaient deux administrations séparées). La Deutsche Oper est donc un véritable opéra de répertoire, avec des productions durables, très marqué encore par les années où Götz Friedrich fut son intendant, de 1981 à sa mort, en 2000.
Ses directeurs musicaux furent, entre autres, Bruno Walter, Ferenc Fricsay, Lorin Maazel, Gerd Albrecht, Christian Thielemann. Depuis 2009, le directeur musical est l’américain Donald Runnicles.
Six nouvelles productions en 2013-2014, et deux productions en version de concert, et 26 productions au répertoire, cela signifie une grosse trentaine de titres différents, sans compter les six productions dans la “Tischlerei” (l’ancienne menuiserie) salle de création dédiée aux expérimentations ouverte en novembre 2012. En 2013-2014, on jouera Berlioz (2) Bizet (1), Britten(1), Donizetti(3), Humperdinck(1), Janacek(1), Leoncavallo(1), Mascagni(1), Massenet(1), Mozart(4), Ponchielli(1), Puccini(2), Rossini(1), Verdi(7), Wagner(6, dont deux séries du Ring).
Une saison qui s’ouvre le 22 août par une création (unique soirée) dans le foyer de l’opéra, un opéra “accessible”(Begehbare Oper) sur des musiques de Maurizio Kagel et Christian Steinhäuser dans une mise en scène de Sven Sören Beye.
Mais c’est bien le Ring, dans la mise en scène désormais culte de Götz Friedrich qui va encore faire événement cette année: programmé deux fois dans deux distributions différentes, en septembre sous la direction de Sir Simon Rattle (qui se partage entre Deutsche Oper et Staatsoper!) et en janvier sous la direction de Donald Runnicles. C’est septembre qu’il faut choisir au vu de la distribution: Wotan, Juha Uusitalo (sept), Mark Delavan (janv); Alberich: Eric Owens; Loge: Burkhard Ulrich; Fricka: Doris Soffel (sept), Daniela Sindram (janv), Siegmund: Simon O’Neill (sept) Peter Seiffert (janv); Brünnhilde (Walküre): Evelyn Hertlizius (sept), Linda Watson (janv), (Siegfried) Susan Bullock,(Götterdämmerung) Evelyn Hertlizius (sept), Susan Bullock (janv) ; Sieglinde: Eva-Maria Westbroek(sept), Heidi Melton (janv);  Siegfried: Lance Ryan; Wanderer: Juha Uusitalo (sept), Terje Stensvold (janv); Mime: Burkhard Ulrich; Hagen: Hans Peter König; Waltraute: Anne Sofie von Otter; Gutrune: Heidi Melton; Günther: Markus Brück.
Anna Smirnova sera comme à Vienne Abigaille dans une nouvelle production de Nabucco dirigée par le jeune Andrea Battistoni, moins doué que l’autre jeune italien, Daniele Rustioni à mon avis (qui vient d’obtenir l’Opera Award du meilleur jeune chef) mise en scène de Keith Warner, avec Johan Reuter dans Nabucco (à partir du 8 septembre, en octobre et en décembre). La saison propose un autre Verdi, Falstaff, dirigé par Donald Runnicles, mise en scène de Christof Loy (hum), avec Markus Brück (Falstaff), Michael Nagy (Ford) , Joel Prieto (Fenton) et Barbara Haveman dans Alice Ford (7 représentations de novembre à janvier). Donald Runnicles dirigera aussi La Damnation de Faust de Berlioz, mise en scène de Christian Spuck, sur deux séries de représentations ( 4 en février-mars et 4 fin mai début juin) avec des choix de distributions cornéliens: en février Klaus Florian Vogt, Clementine Margaine, Samuel Youn, et en mai Matthew Polenzani, Elina Garanca, Ildebrando d’Arcangelo. On passera rapidement sur une nouvelle production d’Irina Brook de L’Elisir d’amore de Donizetti, dirigée par le très pâle Roberto Rizzi Brignoli avec Nicola Alaimo tout de même dans Dulcamara (5 soirs en avril mai) pour s’intéresser vivement à Billy Budd de Britten, pour 5 représentations en mai juin, dans une mise en scène de David Alden et dirigé par Donald Runnicles, avec John Chest en Billy Budd et Burkhard Ulrich en Edward Fairfax Vere. la saison se termine par quatre représentations concertantes, deux (4 & 7 juin) de Maria Stuarda de Donizetti (Paolo Arrivabeni, Joyce di Donato/Carmen Giannatasio), pour madame Di Donato, et deux (16 & 19 juin) de Werther de Massenet  (Donald Runnicles, Ekaterina Gubanova/Vittorio Grigolo): Grigolo en Werther…c’est le mauvais rêve de l’éléphant dans le magasin de porcelaines.
Du côté des reprises de répertoire, comptez sur des Bohème (7 fois en décembre) et des Tosca (6 fois en décembre, janvier, mai), des Nozze di Figaro (3 fois en février-mars), des Don Giovanni (6 fois de mars à juin) avec Adam Plachetka la trouvaille viennoise, et Sonja Yontcheva, 10 Zauberflöte (mise en scène Günter Krämer) d’octobre à mai, un Barbiere di Siviglia pour 6 représentations d’octobre à février (dirigé par Guillermo Garcia Calvo).
Les Verdi sont plus intéressants et se concentrent en automne (année du centenaire oblige) cinq titres sont proposés en plus de Nabucco et Falstaff dans la période:
Don Carlo (version en 4 actes) en octobre et surtout novembre, direction Donald Runnicles et mise en scène Marco Arturo Marelli, avec Hans Peter König, Paata Burchuladzé, Russel Thomas, Dalibor Jenis, Violeta Urmana et Anja Harteros/Barbara Frittoli (pour une soirée en novembre).
Macbeth (4 représentations en octobre et novembre), direction Paolo Arrivabeni, et mise en scène Robert Carsen, avec en Macbeth Thomas Johannes Mayer (octobre) et Simon Keenlyside (novembre), en Lady Macbeth Marianne Cornetti(octobre) et Ludmyla Monastyrska (novembre).
Otello (3 représentations en novembre), dirigé par Donald Runnicles, dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg, avec José Cura (Otello), Barbara Frittoli (Desdemona) et Thomas Johannes Mayer en Jago: malgré Kriegenburg, on peut passer.
Rigoletto (6 représentations en novembre, décembre et avril), mise en scène de Jan Bosse, direction Roberto Rizzi Brignoli, nouvelle production très contestée de la saison actuelle, avec Lucy Crowe (nov-déc)/Elena Tsallagova(avril), Andrzej Dobber(nov-déc)/Markus Brück(avril) et Ivan Magri(nov-déc)/David Lomeli(avril)
La Traviata (8 représentations entre octobre et avril) dans la mise en scène de Götz Friedrich, dirigée par Gérard Korsten et Ivan Repusic (avril) avec quatre Violetta (Dinara Alieva, Ailyn Perez, Alexandra Kurzak, Marina Rebeka), quatre Alfredo (Gyorgy Vasiliev, Stephen Costello, Yosep Kang, Dmytro Popov), quatre Germont (Etienne Dupuis, Simon Keenlyside – 1 fois-, Leo Nucci -1 fois- et Markus Brück en février et avril).

Du côté de Wagner, à part le Ring, la Deutsche Oper affiche des spectacles solides dans des distributions soignées:
Parsifal, à Pâques comme il se doit (5,18, 21 avril) dans la mise en scène assez réussie de Philipp Stölzl (nouvelle production de cette saison) , dirigé par Axel Kober, qui dirigera cette année Tannhäuser à Bayreuth avec Hans-Peter König (Gurnemanz), Stefan Vinke (Parsifal), Bo Skovhus (Amfortas) Bastiaan Everink (Klingsor) et Evelyn Herlitzius (Kundry)
Tristan und Isolde, en mai pour 3 représentations, dirigé par Donald Runnicles dans la mise en scène de Graham Vink, avec Nina Stemme et Stephen Gould, entourés de Albert Pesendorfer et Liang Li (Marke), Samuel Youn (Kurwenal) et Tanja Ariane Baumgartner (Brangäne). Pour le couple vedette, on ne peut manquer Nina Stemme dans Isolde.

Mais dans la liste des opéras de répertoire, émergent quelques moments qui devraient stimuler le plaisir du mélomane ou du fan.
Les Troyens (3 représentations en mars-avril): production de David Pountney, dirigée par Paul Daniel, avec Roberto Alagna (Enée), Ildiko Komlosi (Cassandre) et Béatrice Uria-Monzon (Didon), distribution intéressante et œuvre évidemment passionnante qu’on n’a pas vue depuis longtemps à Paris, ce foyer, paraît-il, du grand répertoire français.
Jenufa (3 représentations en février): production de Christof Loy diriége par Donald Runnicles, avec Hanna Schwarz, Will Hartmann, Jennifer Larmore et Michaela Kaune; là aussi, un ensemble digne d’intérêt
Cavalleria rusticana/Pagliacci  (4 représentations en mars) : on pourrait ranger cette production dans les soirées habituelles de répertoire, mais voilà, Santuzza sera Waltraud Meier dans Cavalleria et cela change tout et dans Pagliacci, Canio sera Stephen Gould et Nedda Carmen Giannatasio. C’est aussi le jeune Cornelius Meister, grand espoir de la direction en Allemagne qui sera au pupitre et la mise en scène est de David Pountney
La Gioconda (4 représentations en janvier-février), entrée au répertoire de Paris en ce moment, déjà au répertoire de Berlin depuis longtemps, La Gioconda mérite d’être vue au moins une fois même dans une vieille mise en scène de Filippo Sanjust, dirigée par l’excellent Jesus Lopez Cobos, avec Hui He, Marianne Cornetti, Marcelo Alvarez, Lado Ataneli. Une distribution solide, qui peut sauver l’honneur d’une œuvre un peu surannée.

Telles sont les perspectives des deux salles berlinoises: deux couleurs différentes certes, deux manière de gérer l’opéra certes, mais bien des similitudes:  toutes deux sont ouvertes au Regietheater  et à l’innovation sur scène,  on y retrouve les mêmes (Philipp Stölzl par exemple) ou quelquefois les mêmes titres en trop grand nombre (Don Carlo, Don Giovanni, La Traviata, Il Barbiere di Siviglia, Tosca, Bohème…) ce qui est regrettable et montre les effets pervers de la concurrence sur les grands standards. La Deutsche Oper travaille plus sur son répertoire (on le voit sur l’accumulation des Verdi et Wagner), la Staatsoper travaille plus sur “la” représentation dans une logique qui se rapproche du système stagione : en sera-t-il de même lorsqu’elle aura regagné Unter den Linden? Il faudra un jour qu’une décision soit prise pour que les deux institutions ne labourent pas le même champ.
Même si tout ne vaut pas le vol vers Berlin pour le mélomane français, il reste que pour le spectateur local, il y a de quoi aller voir de l’opéra chaque semaine, sinon chaque soir,  et de l’opéra, dans des productions souvent intéressantes: au moins ce n’est pas ennuyeux…Heureux berlinois. [wpsr_facebook]

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (2) : SPECTACLES A RETENIR – BERLIN

Hier 4 novembre à Berlin, à la Deutsche Oper, à 16h, dernière représentation de la première série de la nouvelle production de Parsifal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl, dirigée par Donald Runnicles, avec Klaus Florian Vogt (Clemens Bieber le 12 janvier et Stephen Gould les 29 mars et 1er avril) et Evelyn Herlitzius en Kundry (Violeta Urmana les 29 mars et 1er avril).

Hier 4 novembre à Berlin, à 300m de là sur l’autre trottoir, à la Staatsoper am Schiller Theater, à 15h reprise de Don Carlo, de Verdi dans la production de Philipp Himmelmann, dirigé par Massimo Zanetti, avec René Pape, Tamar Iveri, Fabio Sartori, Ekaterina Gubanova, Alfredo Daza.

Hier 4 novembre à Berlin, à 4 km de là,  derrière Unter der Linden, à la Komische Oper, où l’on joue en allemand, la trilogie de Monteverdi en continu:
– À 11h Orpheus(Orfeo) de Monteverdi, dans la mise en scène de Barrie Kosky, nouveau directeur de la Komische Oper, et dirigé par André de Ridder.
– À 14h30, Odysseus (Il ritorno d’Ulisse in patria) (Barrie Kosky/André de Ridder)
– À 19h, Poppea (L’incoronazione di Poppea) (Barrie Kosky/André de Ridder).

Qu’auriez-vous fait si vous aviez été à Berlin en ce 4 novembre, où l’offre dominicale était exceptionnelle? Voilà bien pourquoi Berlin demande à elle seule, un article spécifique car l’offre est telle, que ce type d’hésitation se répète plusieurs fois dans l’année, sans évidemment compter les concerts à la Philharmonie, au Konzerthaus et les représentations théâtrales au Deutsches Theater, à la Volksbühne, au Berliner Ensemble  à la Schaubühne (tiens, le 4 nov: Un ennemi du peuple, Ibsen, Thomas Ostermeier, la production vue à Avignon cet été…).

La salle du Schiller Theater

Commençons donc par la Staatsoper am Schiller Theater, installée dans ce théâtre des années cinquante, pendant plusieurs années encore, en attendant que la salle et la scène de la Staatsoper am Unter den Linden ne soient agrandies, restaurées, et permettent alternance et accueil du public améliorés. La programmation n’accuse pas de baisse, même si l’accueil de spectateurs est réduit (la salle a 1200 places).
Année Wagner oblige, l’événement de l’année c’est le Ring de Wagner enfin complet dans la mise en scène de Guy Cassiers, en coproduction avec la Scala. En raison des prix prohibitifs de la Scala, mieux vaudra choisir Berlin, d’autant que l’orchestre de fosse, la Staatskapelle Berlin, est plus aguerri sur ce répertoire. On aime Barenboim ou non mais son Wagner a fait date, et à la Staatsoper, Wagner c’est lui. Ce Ring est donc annoncé en trois éditions en mars et avril (23, 24, 27, 31 mars/3, 4, 7, 10 avril/13, 14, 18, 21 avril)  avec plusieurs représentations de Götterdämmerung début mars, d’autres de Walküre et de Siegfried viennent d’avoir lieu en octobre. Dans la distribution, René Pape en Wotan pour Rheingold et Walküre, Juha Uusitalo en Wanderer pour Siegfried, Waltraud Meier en Sieglinde, Waltraute, et même en 2ème Norne (alternant pour ces deux rôles avec Marina Prudenskaia), Irene Theorin (l’Isolde de Bayreuth) en Brünnhilde, Mikhail Petrenko en Fafner, Hunding et Hagen, Peter Seiffert en Siegmund (Christopher Ventris le 24 mars), Lance Ryan et Ian Storey en Siegfried, Ekaterina Gubanova en Fricka, Johannes Martin Kränzle en Alberich, Iain Paterson en Fasolt (Matti Salminen le 13 avril) et Gerd Grochowski en Günther, Peter Bronder en Mime, Anna Larsson en Erda, Marina Poplavskaia en Gutrune début mars et Anna Samuil en avril . Une distribution de très haut niveau, à ne pas manquer, à des prix encore raisonnables.
Autre nouvelle production wagnérienne de la Staatsoper, en mai 2013,  Der Fliegende Holländer, dirigé par Daniel Harding, dans une production de Philipp Stölzl (qui fait Parsifal et Rienzi à l’opéra d’en face, la Deutsche Oper) avec Michael Volle dans le Hollandais et Emma Vetter en Senta (84 ou 66 € la place d’orchestre selon les dates, Paris est à 180…).

Le Schiller Theater

Autres nouvelles productions, tout d’abord La Finta Giardiniera, en novembre décembre 2012, dans une nouvelle version du livret et une mise en scène de Hans Neuenfels (ça va encore gronder!) intitulé Die Pforten der Liebe, dirigé par Christopher Moulds, avec Stephan Rügamer, Joel Prieto, et Annette Dasch et une nouvelle production du Vin Herbé de Frank Martin, mise en scène de Katie Mitchell (Written on Skin à Aix) et dirigé par Frank Ollu, en mai et juin 2013, avec Anna Prohaska et Matthias Klink Citons pour finir le Festival Infektion! pour le nouveau théâtre musical, en juin 2013, avec deux spectacles qui devraient susciter l’intérêt, Aschemond oder the Fairy Queen, de Helmut Oehring sur arrangements de la musique de Purcell dirigé par Michael Boder et Benjamin Bayl ( qui dirigera l’Akademie für Alte Musik de Berlin), mise en scène de Claus Guth, avec rien moins que Marlis Petersen, Bejun Mehta, Topi Lehtipuu, et Roman Trekel et Hanjo de Toshio Hosokawa, commission du Festival d’Aix et coproduction avec la Ruhrtriennale, dans une mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Günther Albers.
Cela pour les premières et les nouvelles productions, mais il y a aussi des reprises de répertoire qui peuvent intéresser les amateurs et les autres, par exemple en décembre, un Rosenkavalier dirigé mais oui, par Sir Simon Rattle, avec Madame en Octavian (Magdalena Kožena), Dorothea Röschmann en Marschallin, Anna Prohaska en Sophie et l’excellent Peter Rose en Ochs, dans une mise en scène de Nicolas Brieger, mais aussi, toujours en décembre, une Bohème (mise en scène Lindy Hume) dirigée du 2 au 22 décembre (sauf le 12) par Andris Nelsons, accompagnant Madame (Kristine Opolais) dans Mimi avec Stephen Costello en Rodolfe et Anna Samuil en Musetta, ou même cette Agrippina de Haendel, mise en scène de Vincent Boussard (La Finta Giardiniera à Aix) et dirigée, mais oui, par René Jacobs, avec entre autres Bejun Mehta, Amex Penda, Dominique Visse, Jennifer Rivera pour trois représentations début mai. On reverra aussi avec plaisir La fameuse Traviata de Peter Mussbach présentée à Aix il y a une dizaine d’années, mais plutôt lors des représentations de juin: Massimo Zanetti dirigera et Christine Schäfer sera Violetta aux côtés de Charles Castronovo en Alfredo. Enfin on pourra découvrir l’opéra de Toshio Hosokawa, Matsukaze, pour trois représentations en février, dirigé par David Robert Coleman mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz avec Barbara Hannigan,  Charlotte Hellekant, Frode Olsen et enfin The Rake’s Progress dirigé par David Robert Coleman dans la production de Krzysztof Warlikowski pour trois autres petites représentations de mars 2013.
On le voit, à des prix plus que raisonnables, on n’a que l’embarras du choix devant des productions très travaillées du point de vue scénique, avec des distributions souvent stimulantes, et rien qu’avec la Staatsoper, on peut déjà comparer cette programmation au bord de la Spree, à celle à laquelle nous avons droit au bord de la Seine. La domparaison est déjà douleureuse, d’un côté idées, variété, nouveauté et de l’autre grisaille et conformisme , et l’on n’a pas encore parcouru la programmation de la maison d’en face, la Deutsche Oper dans sa salle moderne et froide (très années 60)  de 1900 spectateurs.

La Deutsche Oper Berlin

L’opéra lui-même s’est retrouvé être celui de Berlin Ouest pendant les années du Mur,

L’ancien Deutsches Opernhaus Berlin en 1912

mais sa création comme “Opernhaus de Chalottenburg” remonte à 1912, appelé par les nazis Deutsche Opernhaus. Le répertoire y est large, et le directeur musical actuel en est Donald Runnicles.

C’est un autre salle historique, qui concurrence la Staatsoper, l’opéra de Cour, à deux pas du palais impérial, qui fut pendant les années du Mur l’Opéra de Berlin Est.
Aujourd’hui par les hasards de la géographie et des théâtres disponibles de Berlin, les deux institutions bordent la Bismarckstrasse, l’une au numéro 35, l’autre au 110.
La Deutsche Oper a été très marquée par la période où l’intendant était le metteur en scène Götz Friedrich, à qui l’on doit le Ring de la maison, depuis plusieurs dizaines d’années, qui reste le pilier de référence du théâtre dans les beaux décors de Peter Sykora. En cette saison 2012-2013, la Deutsche Oper va présenter tous les opéras de Wagner à son répertoire, et en 2013-2014 deux fois le Ring, une série  en septembre, l’autre aura lieu en janvier 2014. C’est Sir Simon Rattle (qui ne fait pas de jaloux, dirigeant soit au Schiller Theater soit au Deustche Oper) qui ouvrira le premier cycle en septembre tandis qu’en janvier 2014 Donald Runnicles dirigera Rheingold (le 8) , Sir Simon Rattle Die Walküre (le 9), et Donald Runnicles Siegfried (10) et Götterdämmerung le 12 janvier. Dans la distribution, on note le Wotan de Marc Delavan (comme au MET) pour Rheingold et Walküre, et Terje Stensvold pour Wanderer, l’Alberich d’Eric Owens (comme au MET) pour Rheingold et Götterdämmerung, la Brünnhilde d’Evelyn Herlitzius (Walküre) et  de Susan Bullock (pour les deux autres jours), le Siegfried de Lance Ryan pour Siegfried et Götterdämmerung, la Sieglinde de Heidi Melton (hélas, c’était en septembre Eva-Maria Westbroeck), le Siegmund de Peter Seiffert, le Hagen de Hans Peter König, le Hunding de Reinhard Hagen, et  la Fricka de Doris Soffel, toujours vaillante. Notons enfin la Waltraute de Anne-Sofie von Otter. Une distribution plus inégale qu’à la Staatsoper, mais qui reste supérieure à celle de Paris par exemple.
Dans l’ensemble des opéras de Wagner présentés cette année (seul Der Fliegende Holländer est en version concertante présenté à la Philharmonie le 27 mai), rappelons le Parsifal dont il était question au début de cet article, dirigé par Donald Runnicles et avec Klaus Florian Vogt jusqu’à aujourd’hui, Clemens Bieber et Evelyn Herlitzius en janvier et Stephen Gould avec Violeta Urmana en mars, ce qui n’est pas si mal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl. Je conseillerais vivement d’aller voir l’une des trois représentations de Rienzi, production du même Philipp Stölzl en janvier prochain (Direction Sebastian Lang-Lessing avec Manuela Uhl dans Irene et Torsten Kerl dans Rienzi. ceux qui sont à Berlin vers le 22 décembre pourront aller entendre Tannhäuser, pour Christian Gerhaher dans Wolfram (seulement en décembre) et les amoureux de Tristan pourront venir en mars écouter Stephen Gould, Violeta Urmana, Hans Peter König (Peter Rose le 23 mars) et Samuel Youn, dans le Tristan und Isolde de Graham Vick dirigé par Donald Runnicles.

Deutsche Oper, la salle

A part cette fête wagnérienne, il faut reconnaître que la Deutsche Oper qui fête ses 100 ans cette année, ne propose pas des nouvelles productions d’un intérêt majeur, sauf peut-être un Peter Grimes, production de David Alden venue de l’ENO de Londres et dirigée par Donald Runnicles en janvier février avec Christopher Ventris et Micaela Kaune. Même la version concertante le 19 juin 2013 de Attila de Verdi (Pinchas Steinberg au pupitre avec Dalibor Jenis, Erwin Schrott et Liudmyla Monastyrska) n’est pas si stimulante, quant à Lucrezia Borgia en version concertante le 27 avril 2013 dirigée par Andriy Yurkevych, c’est une version pour nostalgiques avec Edita Gruberova entourée du très bon Alex Esposito et de Pavol Breslik .
Dans les reprises, il y aurait bien Les Troyens (mise en scène David Pountney) dirigés par Donald Runnicles, avec Ildiko Komlosi en Cassandre et Elina Garanca en Didon, mais la perspective de l’Enée d’ Endrik Wottrich est inquiétante, sinon impensable.
Pour le reste, beaucoup de Verdi de répertoire avec des distributions de répertoire, desquelles je tirerai un Otello avec Peter Seiffert, Lucio Gallo, Adrianne Pieczonka, dans la production d’Andreas Kriegenburg fin février début mars. J’ai noté aussi un Don Giovanni en janvier bien distribué avec Michael Volle dans le rôle titre et Alex Esposito dans son rôle fétiche, Leporello, ainsi que Patrizia Ciofi dans Donna Anna, mise en scène de Roland Schwab et dirigé par Guillermo Garcia Calvo.
Enfin, une Tosca dans la production plus qu’antique de Boreslaw Barlog, dirigée par Donald Runnicles, mais qui fera le plein en février (17,23,28) à cause de la Tosca d’Anja Harteros et du Mario de Massimo Giordano alternant avec Marcelo Alvarez.
Deux vraies raretés pour finir, une reprise de Jeanne d’Arc- Szenen aus dem Leben der Heiligen Johanna, de Walter Braunfels, fin novembre, dans la production de Christoph Schlingensief, dirigée par Matthias Foremny et Le Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch (1808 – 1865) en version concertante dirigée par Enrique Mazzola au Konzerthaus de Berlin avec Laura Aikin.
Une saison contrastée à la Deutsche Oper, qui n’a pas la tenue de celle de la Staatsoper, et dont la force est un répertoire solide, sur lequel s’appuie l’essentiel de la programmation.

La jolie salle de la Komische Oper

Reste la Komische Oper, qui vient de changer de mains: Andreas Homoki a laissé Berlin pour Zürich, et à sa place le metteur en scène échevelé, volontiers provocateur, Barrie Kosky. A la Komische Oper, tout le répertoire présenté est en allemand, et l’on propose aussi bien opéra, opéra comique, opérette, musical:  c’est une salle bien inscrite dans le paysage berlinois, avec un public fidèle et spécifique, notamment originaire de la partie est. C’est aussi le théâtre qui fut de Walter Felsenstein, puis de Harry Kupfer, et qui depuis quelques années a trouvé son chemin au milieu du paysage berlinois en proposant d’autres visions, d’autres voies, plus radicales, plus provocatrices. Sera-ce le prix de la survie, dans une ville endettée, au chômage endémique, où la profusion des opéras est toujours prise comme exemple de gabegie. c’est en tous cas un de mes lieux favoris à Berlin: même si l’on n’y entend que peu de vedettes, c’est presque toujours très respectable musicalement, et souvent particulièrement intéressant scéniquement pour ceux qui aiment les expériences, la nouveauté, et qui n’ont pas trop froid aux yeux.
La programmation (nouvelles productions et reprises) fait une large place à Barrie Kosky (on n’est jamais si bien servi que par soi-même), nouvel intendant et nouveau membre de l’Akademie des Künste (Académie des Arts), mais je commencerai par attirer l’attention sur des reprises qui sont des “must” de la maison, à commencer par Xerxès de Haendel dans la production hallucinante de Stefan Herheim, présentée l’an dernier et qui prend le chemin d’être un des succès énormes de la maison. C’est complet jusqu’à la dernière, le 4 décembre, mais on trouve toujours des places au dernier moment. Comme le système de répertoire réclame beaucoup de soirées à succès (il faut remplir à tous prix), Xerxès sera sans doute repris régulièrement les années prochaines. Le chef, Konrad Junghänel, est un très bon chef pour ce répertoire et les chanteurs sont parmi les meilleurs de la troupe, même s’ils ne sont pas des spécialistes du chant baroque (Stella Doufexis chante aussi bien Haendel que Bizet).

Xerxès de Haendel vu par Stefan Herheim

Stefan Herheim, un de mes metteurs en scènes favoris (on verra ses Meistersinger, production de Salzbourg, à l’Opéra Bastille dans les prochaines années), pose un regard au second degré sur l’opéra baroque à machines avec la complicité de sa décoratrice Heike Scheele: on en a plein les yeux!
Autre reprise qui ne peut que susciter l’intérêt, celle de l’Auberge du Cheval blanc (Im Weißen Rößl) de Ralph Benatzky, dans la version originale pour trois orchestres retrouvée il y a quelques années dont j’ai rendu compte dans ce blog.  Non seulement on y voit une version expurgée de toute influence américaine, mais aussi on y retrouve presque une musique bien proche de Kurt Weill: une opérette berlinoise qui attire tous les publics. A voir dans la mise en scène (réussie) de Sebastian Baumgarten et dirigée par Koen Shoots (4 représentations en décembre janvier).
En novembre, décembre et janvier on trouve également une reprise du très violent Freischütz de Weber, dirigé par Igor Budinstein,  mis en scène par Calixto Bieito qui met Max (Vincent Wolfsteiner) à nu pendant la moitié de la représentation.
L’année comprend aussi des cycles, un cycle Kurt Weill en janvier,  et un cycle Mozart en mai, ainsi qu’un festival fin juin début juillet qui reprend toutes les nouvelles productions de l’année. Dans le cycle Kurt Weill du 18 au 24 janvier, des versions semi-concertantes (Der Kuhhandel, arrangement de Barrie Kosky, dirigé par Antony Hermus), ou des reprises (Sieben Songs/Die sieben Todsünden, mise en scène Barrie Kosky, dirigé par Kristiina Poska avec Dagmar Manzel, vedette de la chanson et de l’opérette berlinoises en janvier février). Enfin, en février mars, l’un des gros succès de la maison, Kiss me Kate de Cole Porter, mise en scène Barrie Kosky et dirigé par Koen Shoots, spécialiste du musical.
Dans le cycle Mozart de mai, notons une reprise du Don Giovanni mis en scène de Peter Konwitschny avec Günter Pappendell, un bon chanteur, en Don Giovanni, la nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, mise en scène…Barrie Kosky (et Susanne Andrade) pour 20 représentations dans l’année depuis novembre dont 5 en mai, dirigée par Henrik Nánási, nouveau GMD de la maison qui succède à l’excellent Patrick Lange, avec le très bon Peter Sonn en Tamino. Barrie Kosky propose aussi une reprise de ses Nozze di Figaro (Die Hochzeit von Figaro), en mai juin, dirigé par Henrik Nánási et de Die Entführung aus dem Serail, déconseillé aux moins de 18 ans, si si, dans la mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kristiina Poska pour 4 représentations en mai.

Orfeo vu par Barrie Kosky

Dans les nouvelles productions, il faut retenir d’abord la Trilogie Monteverdi, mise en scène par Barrie Kosky (il n’arrête pas!), dans la version de Elena Kats-Chernin,  tantôt jouée en une journée, voir ci-dessus la journée du 4 novembre, tantôt en soirées séparées (direction André de Ridder) qui a été le spectacle d’ouverture de la saison, joué jusqu’ne novembre. Orpheus sera repris en mai, juin, juillet, Ulysse et Poppea seulement pour une soirée début juillet.
Encore en novembre puis fin juin, une version de Lulu de Berg revue et réorchestrée par Olga Neuwirth, American Lulu, en coproduction avec le London Opera Group, dirigée par Johannes Kalitzke et mise en scène par Kirill Serebrennikov.
Fin février et tout mars, (une représentation en avril et une début juillet ) une nouvelle production de Mazeppa de Tchaïkovsky dirigée par Henrik Nánási et mise en scène par Ivo van Hove (Macbeth à Lyon) qui devrait comme toujours à la fois faire polémique et proposer une vision nouvelle de l’œuvre assez rarement jouée et pourtant magnifique.
Enfin, Reinhard von der Thannen, le décorateur habituel de Hans Neuenfels, se lance dans la mise en scène et propose en mars Hänsel und Gretel, dirigé par Kristiina Poska, avec de nombreuses représentations en avril, une en mai, une en juin.
En juin justement, dernière production de l’année, une opérette-jazz spectaculaire créée en 1932 au Metropol Theater (ancêtre de la Komische Oper) à la fin de la république de Weimar renaît après 80 ans, Ball im Savoy du compositeur juif hongrois Paul Abraham, dirigé par Adam Benzwi et avec Dagmar Manzel.
Enfin, je signale aux amoureux de la musique grecque d’aujourd’hui la soirée du 8 avril où l’immense Maria Farantouri, chanteuse fétiche de Mikis Theodorakis, chantera Mikis Theodorakis et le compositeur turc-kurde Taner Akyol, auteur de l’opéra pour enfants Ali Baba et les quarante voleurs (Ali Baba und die 40 Räuber) créée en nouvelle production (en allemand et en turc)  à voir cette année jusqu’à décembre, dirigé par Kristiina Poska , et mis en scène par Matthias Davids.

Bien des choses à voir à Berlin entre novembre et juillet, un peu à la Deutsche Oper, beaucoup à la Staatsoper, et beaucoup aussi à la Komische Oper: il faut essayer de combiner tout cela ou bien prendre un appartement à Berlin en résidence secondaire!

Il reste que la curiosité est bien stimulée, notamment de février à juin. J’avoue, outre le Ring de la Staatsoper, être fortement tenté par l’opérette Ball im Savoy et par Mazeppa, sans compter la Traviata de Mussbach -combinable avec Ball im Savoy en juin). En bref, plusieurs voyages à Berlin s’imposent: par chance Berlin est une ville abordable et les prix de ses théâtres également. Sans doute à choisir parmi toutes les villes européennes, Berlin s’impose comme premier choix pour la qualité, la variété, l’originalité de l’offre et aussi par l’agrément de la ville, l’une des plus ouvertes et agréables en Europe aujourd’hui. Que de choses nous apprennent les scènes berlinoises!
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STAATSOPER BERLIN am SCHILLER THEATER: MADAMA BUTTERFLY de Giacomo PUCCINI (Dir.mus: Andris NELSONS avec HUI HE) le 13 mai 2012

Madama Butterfly ©Monika Ritterhaus (Cio Cio San: Miriam Gauci)

Riccardo Muti, lorsqu’il était encore à la Scala avait coutume d’ironiser sur le système germanique de « répertoire », en vantant la qualité infiniment supérieure du système dit « stagione » (en cours à Londres, Paris, ou Milan qui garantit l’excellence des productions, qu’elles soient des nouvelles productions ou des reprises (répétées, avec un cast spécifique et donc une garantie de qualité). Je m’inscris en faux.  Seul le système de répertoire est capable de garantir au public l’accessibilité à tout le répertoire (d’opéra, ou même de théâtre), aux artistes  l’emploi: au lieu de leur payer les intermittences par le chômage, au moins, ils sont salariés, ils chantent ou ils jouent : certes les salaires du système de répertoire sont plus bas que les cachets du système stagione, mais au moins les artistes sont employés à plein temps. Le répertoire signifie un système de spectacle vivant fort, des subventions publiques (locales, régionales ou nationales) importantes, mais en matière d’éducation du public et de culture du spectacle, ce système est le seul véritablement capable d’irriguer un territoire. Je ne cache pas les difficultés afférentes au système, j’ai bien constaté la salle clairsemée de Leipzig, les difficultés financières des entreprises de spectacle, mais en même temps, je ne puis que constater que la Staatsoper de Berlin, pour cette Butterfly, affichait des prix n’excédant pas 65 euros, et qu’à 20 Euros, on avait encore une place de parterre (Pour mémoire, j’ai payé 16,70 Euros mon billet de Leipzig, au balcon, avec vision parfaite). Quand on voit les prix de la Scala pour des spectacles aussi nuls que la dernière Aida ou la dernière Tosca, ou la politique tarifaire hypocrite de notre Opéra national (qui la plupart du temps n’affiche jamais de spectacles vraiment nuls, mais souvent moyens), on se dit que du côté de Berlin, il y a encore un sens du spectacle public.
Parce que cette Butterfly de  répertoire, dans une production il faut bien le dire affligeante de Eike Gramms, qui remonte à 1991 (une japoniaiserie), affichait pour trois représentations rien moins qu’Andris Nelsons et Hui He, remplaçant Kristina Opolais (à la ville Madame Nelsons).  On me rétorquera  «  Oui, Nelsons, mais sans répétitions, parce que c’est du répertoire ». Nelsons ce soir 15 mai est en concert à la Philharmonie avec l’orchestre du lieu, la Staatkapelle Berlin, il a donc au moins un peu travaillé avec l’orchestre. Peu importe d’ailleurs parce que cette représentation a été vraiment une réussite, avec de longs rappels, grâce à une Butterfly magnifique, et grâce à un orchestre à la hauteur. On ne parlera pas de la mise en scène, sans aucun intérêt, et d’ailleurs, après vingt ans, c’est une mise en place dans un décor à l’étroit sur la plateau assez chiche du Schiller Theater.

Le Schiller Theater, siège actuel des saisons de la Staatsoper Berlin

Le Schiller Theater est un théâtre, mais pas une salle d’opéra. Il a été il y a quelques années menacé de fermeture ; ce fut une levée de boucliers. Ce théâtre est assez monumental, à vision frontale; il a été construit en 1907, reconstruit  en   1937-38, dans une architecture de Paul Baumgarten rappelant la Neue Sachlichkeit des années 20, mais aussi le style monumental nazi, il a été détruit par un bombardement, puis de nouveau reconstruit en 1950-1951, par Olf Grosse et Heinz Völker qui reprirent des éléments de l’ancien théâtre, et avec une salle de 1067 spectateurs, comme siège du théâtre d’Etat de Berlin.
Cette salle revêtue de bois a un rapport  scène-salle extraordinaire de proximité, mais une acoustique très sèche, absolument pas faite pour la musique.  Pendant trois ans au minimum (La Staatsoper Unter den Linden est au milieu d’un vaste chantier de reconstruction et réaménagement du Palais impérial et de ses alentours, et la salle doit être rehaussée et la scène modernisée) il en sera ainsi. Les berlinois s’en contentent, et ceux qui viendront voir le Ring coproduit par Berlin et la Scala aux prix raisonnables de Berlin et pas aux prix exagérés de Milan, s’en rendront compte : un Ring avec des chanteurs si proches, ce sera une expérience intéressante.

J’avais entendu Hui Hé à Milan, dans Tosca il y a quelques années. Voix puissante, mais sans expression pour mon goût. Je l’ai réécoutée dans Butterfly, et elle m’a vraiment touché et convaincu. D’abord, la voix a du grave, et surtout un registre central prodigieux, développé, massif, qui convient à Butterfly, les aigus sont là, surtout aux deuxième et troisième acte, accompagnés de raffinements, de notes filées, et surtout une expressivité souvent bouleversante. Au premier acte, l’ensemble m’est apparu un peu froid, à l’orchestre (très précis, très clair, mettant bien en valeur l’orchestration de Puccini, mais insuffisamment engagé, comme avec une distance) comme sur le plateau. Mais le deuxième et le troisième acte étaient plus engagés, l’osmose orchestre/plateau plus évidente. Et aussi bien dans l’air « Un bel dì vedremo » que surtout dans le duo avec Sharpless, l’émotion a gagné : d’ailleurs on ne s’y trompait pas, le public un peu bavard du dimanche après-midi s’est tu, saisi par l’émotion. Le troisième acte de Hui Hé a été bouleversant de bout en bout.  Et, il faut le dire, tirait les larmes.
L’orchestre de Andris Nelsons était lui aussi présent, accompagnant avec attention le plateau, avec un son très analytique, mais jamais froid, avec juste ce qu’il fallait de pathos pour créer les conditions de l’émotion et surtout un soutien exemplaire des chanteurs, réussissant à ne jamais les couvrir. Tous les chanteurs semblaient plus présents, plus engagés. D’abord le Pinkerton de Pavel Černoch, dont le physique correspond à la perfection à l’officier américain, mais aussi avec la froideur, la distance,  l’indifférence voulues pendant le premier acte. Son chant est juste, contrôlé, sans aucune scorie, mais glacial. Son regard est dur, bref, on lit déjà dans le personnage la suite et l’abandon. Quelle différence au troisième acte, où il est vraiment engagé, impliqué et où la voix « sort » vraiment ! Belle composition.
Le Sharpless de Alfredo Daza prend peu à peu corps, avec sa gaucherie, sa simplicité, son impuissance et sa lâcheté aussi, et aussi un style de chant qui correspond à ce qu’il veut donner du personnage : rien de démonstratif, mais plutôt discursif, comme une conversation. Quant à la Suzuki de Katharina Kammerloher, elle est juste, et émouvante, et remporte un vrai succès. Notons aussi le Goro de Paul O’Neill, le reste de la compagnie n’appelant pas de remarques particulières.
Voilà : c’était une représentation dite « de répertoire », dans un théâtre à l’acoustique discutable, un dimanche après-midi, et il y a longtemps que je n’avais pas été aussi ému par une Butterfly. Grâce à une extraordinaire chanteuse, grâce à un équilibre et un élan que le chef Andris Nelsons a su créer en soutenant un plateau de plus en plus engagé. Ce dimanche les larmes étaient au rendez-vous.

Schiller Theater, 13 mai 2012

OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (2): SPECTACLES A RETENIR – VIENNE & BERLIN

Se reporter aux commentaires spécifiques sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

Vienne, Berlin,  voici venir le moment des deux grandes capitales européennes de la musique d’opéra, 300 soirs à Vienne, trois opéras à Berlin, des titres variés, des standards certes, mais aussi bien des raretés. L’énorme offre berlinoise permet de diversifier les styles, les approches, les artistes, même si on voit mal se prolonger encore longtemps une situation d’une telle richesse. A Vienne, nous avons pour l’instant passé sous silence le Theater an der Wien, qui propose une programmation nouvelle correspondant à l’espace plus réduit et à un authentique théâtre du XVIIIème, et qui explore un répertoire différent de la Staatsoper, ni la Volksoper, qui n’a pas les mêmes choix esthétiques que la Komische Oper de Berlin, bien qu’elle ait la même fonction sociale et même si l’apport intellectuel de la  Komische Oper à l’histoire du théâtre est autrement plus riche (Se reporter aux sites respectifs).  Les productions du Theater an der Wien sont certes alléchantes, mais elles ne me sont pas apparues plus stimulantes que dans d’autres lieux similaires, c’est une programmation qu’on verrait bien à Aix en Provence par exemple.

VIENNE

Le Staatsoper de Vienne est un lieu un peu particulier. Un des hauts lieux de la grande tradition de l’Opéra, une institution d’une importance considérable dans le paysage autrichien, trois cents soirées du 1er septembre au 30 juin, un bal qui fait courir le monde, un vrai public de fans, capable de faire des jours et des jours de queue pour voir ses idoles (je fis trois jours pour Carmen avec Abbado, Baltsa, Carreras…)et un intendant, pour la première fois de son histoire, non issu de la sphère germanique, le français Dominique Meyer, germanophone, grand ami des Wiener Philharmoniker, qui a entrepris de faire bouger un peu les lignes dans cette vénérable institution et qui semble y réussir, tant à l’opéra qu’au ballet, introduisant le répertoire baroque (Armida avec Anja Harteros), le bel canto (l’an dernier Anna Bolena – Netrebko/Garanca- fit son entrée au répertoire) ou rafraichissant les productions maison vénérables et légendaires (cette année le Rosenkavalier de Otto Schenk).
Dans l’énorme quantité de titres (rien que dans les nouvelles productions ou les reprises qui ont été retravaillées, on compte 16 titres entre ballets et opéras)  au total une quarantaine  d’opéras différents, il est difficile de faire un choix clair, mais je vais signaler tout de même ce qui me fait très envie:

Don Carlo/Don Carlos: cette année, Vienne s’offre le luxe de présenter deux productions du chef d’oeuvre de Verdi, d’une part la version française dans la production désormais culte de Peter Konwitschny et une nouvelle production du Don Carlo italien montée par Daniele Abbado, fils de…On s’offrirait bien le luxe d’aller revoir l’une et découvrir l’autre.
Don Carlos, mise en scène Peter Kontwitschny, dir.mus. Bertrand de Billy avec Kwanchoul Youn (Philippe II), Ludovic Tézier (Rodrigue), Yonghoon Lee (Don Carlos), Adriane Pieczonka (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Eboli). Une distribution très honorable qui devrait produire un spectacle de haut niveau.

Don Carlo, mise en scène Daniele Abbado, dir.mus. Franz Welser-Möst, avec René Pape (Filippo II), Ramon Vargas (Don Carlo), Simon Keenlyside (Rodrigo), Luciana d’Intino (Eboli), Krassimira Stoyanova (Elisabetta). Inutile de dire qu’une fois de plus René Pape sera très attendu, comme à Munich ainsi que Simon Keenlyside, dont on connaît le magnifique Posa. Mais la distribution est moins excitante que celle de Munich (16-29 juin 2012)

Entre Zürich, Munich, Berlin, Vienne, beaucoup de Don Carlo(s) à voir cette année, et c’est heureux, avec des distributions assez variées, ce qui ne peut que réjouir.

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. C’est une des nouvelles productions de l’année qu’il faudra aller voir. L’oeuvre de Kurt Weill reste rarement représentée ( il y a eu récemment une belle production à Nantes) j’avais vu la représentation de Salzbourg en 1998, mise en scène Peter Zadek, dir.mus. Dennis Russell-Davies, dans les décors de Richard Peduzzi où Gwyneth Jones prêtait sa voix ruinée, mais fantastiquement ruinée pour le rôle à Leokadja Begbick, (avec aussi Catherine Malfitano et Jerry Hadley). En reproposant une forme “opéra”, Weill et Brecht posent à la fois la question de sa légitimité et celle de son public. Une oeuvre d’un immense intérêt et surtout tellement d’actualité! Dominique Meyer a composé une distribution stimulante (Christopher Ventris, Angelika Kirschlager, Elisabeth Kulman – Leokadja – , et le très bon Tomasz Konieczny) et fait appel à Jérôme Deschamps, peintre d’une société déjantée pour la mise en scène, le tout sera dirigé par Ingo Metzmacher, un maître pour ce type de répertoire. A VOIR ABSOLUMENT. (Du 24 janvier au 5 février 2012).

Parmi les spectacles viennois attirants, on peut aussi noter

Roberto Devereux, avec, comme à Munich, Edita Gruberova, cette fois-ci dirigée par Evelino Pido’, qui porte décidément à Vienne (et en France…) le bel canto, dans une mise en scène du roumain Silvio Purcarete , que les français connaissent bien, avec José Bros, et Nadia Krasteva (26 mai-10 juin)

Die Frau ohne Schatten, dirigée par Franz Welser-Möst, dont on connaît l’affinité pour Strauss, mise en scène de Robert Carsen, avec Adriane Pieczonka (Kaiserin), Robert Dean Smith (Kaiser), Evelyne Herlitzius (Färberin), Wolfgang Koch (Barak, der Färber), soit une belle distribution. Frau ohne Schatten est un de ces opéras qu’on aime à peine on commence à l’écouter et qui a laissé de sublimes interprétations (Rysanek, Nilsson, Böhm…) . (17-27 mars 2012).

Signalons au passage un Ring des Nibelungen unique du 1er au 13 novembre dirigé cette année par Christian Thielemann dans la mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf, avec une pléiade de grands chanteurs wagnériens, Albert Dohmen, Katharina Dalayman, Stephen Gould, Christopher Ventris, Waltraud Meier, Janina Baechle, Tomasz Konieczny…succès assuré même si je ne suis pas fan de Thielemann.

Signalons aussi un Faust, dir.mus: Alain Altinoglu, Mise en scène Nicoals Joel, avec Inva Mula..jusque là on est en terrain connu, mais aussi avec Jonas Kaufmann et l’excellent Adrian Eröd dans Valentin, Albert Dohmen étant Mephisto. Ce Faust devrait faire courir les foules.

Enfin, last but not least, j’ai un faible un très gros faible pour une reprise du Rosenkavalier dans la mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Peter Schneider en décembre et par Jeffrey Tate en avril, avec en décembre, Anja Harteros, Chen Reiss, Kurt Rydl et Michaela Selinger et en avril Nina Stemme, Kurt Rydl, Elina garanca et Miah Persson, alternative difficile je crois que je choisirai(s) avril, le trio est vraiment un trio de choc! A NE PAS MANQUER.

Il y aurait bien d’autres choses à signaler: le beau Cardillac d’Hindemith dirigé par Welser Möst qui a triomphé l’an dernier (29 mars-4 avril), un Parsifal pascal dirigé par Thielemann avec Angela Denoke dans Kundry, une Clemenza di Tito avec Michael Schade et Elina Garanca, mise en scène Jürgen Flimm, direction Louis Langrée (17 mai-1er juin 2012) et la Traviata d’Aix (mise en scène Jean-François Sivadier) sans Dessay, mais avec Ermonela Jaho, et dirigée en mai par Bertrand de Billy (10-20 mai) et De la Maison des morts, de Janacek (11 décembre-30 décembre) dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Peter Konwitschny et puis..et puis..et puis..promenez-vous (que dis-je..perdez-vous) dans le site de l’opéra de Vienne, vous resterez étonné de l’offre de ce théâtre “de répertoire” qui allie les avantages du répertoire et ceux de la stagione (notamment pour les distributions)… et puis c’est l’occasion d’aller voir et revoir les Klimt et les Schiele du Belvedere, et les Brueghel et les Archimboldo du Kunsthistorisches Museum, sans oublier le Café Landtmann, le Café Schwarzenberg (mon préféré), le café Mozart, le café Hawelka et le café Diglas (Wollzeile, derrière la Stephansdom, mon second préféré)…

 

BERLIN

Avec ses trois opéras, Staatsoper Unter den Linden, Deutsche Oper, Komische Oper, Berlin à elle seule peut justifier un long séjour lyrique, encore faut-il trouver la période qui permette de voir dans les trois établissements un spectacle qui en vaille la peine.

  • STAATSOPER UNTER DEN LINDEN

Comme son nom ne l’indique plus, la Staatsoper unter den Linden a déménagé à cause de très gros travaux de rénovation (surélévation de la scène notamment) pour trois à quatre ans au Schiller Theater, plus petit, situé presque en face de la Deutsche Oper, côté ouest, alors que la Staatsoper fut l’Opéra de Berlin Est avant la chute du mur. Le directeur artistique depuis vingt ans en est Daniel Barenboim, l’orchestre en fosse est la Staatskapelle Berlin. Daniel Barenboim étant aussi le directeur musical de la Scala, les liens entre ces deux théâtres se sont resserrés, ils ont notamment en commun le Ring de Guy Cassiers, et quelques distributions ou productions (Don Giovanni cette saison affiche dans les deux théâtres, pour deux productions différentes, bien des chanteurs communs). Un regard sur la riche programmation m’a permis de repérer deux reprises intéressantes :

    • Candide, de Leonard Bernstein, dir. mus. Wayne Marshall, mise en scène Vincent Boussard (costumes de Christian Lacroix). L’œuvre mérite d’être vue, elle est encore rare dans les théâtres, et cette production a une flatteuse réputation, la distribution comprend Maria Bengtsson dans Cunégonde et la grande Anja Silja dans the Old Lady. C’est en ce moment…du 1er au 15 novembre (à combiner avec le Don Carlo – encore-  du Deutsche Oper).
    • L’Etoile, de Chabrier, succès de l’an dernier, repris pour Noël (du 4 au 22 décembre) dans la mise en scène de Dale Düsing, et dirigé par Simon Rattle (qui est très bon dans ce type de répertoire) avec Jean-Paul Fouchécourt, Magdalena Kožená, Giovanni Furlanetto.

            On remarquera aussi dans les reprises le fameux Simon Boccanegra (mise en scène minable de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo et Anja Harteros (cela vaut encore le voyage malgré tout), dirigé par Daniel Barenboim (26 au 31 mai 2012), un beau Tristan (Barenboim, avec Waltraud Meier), du 10 au 25 mars 2012, une Butterfly de pur répertoire, mais dirigée par…Andris Nelsons et avec la nouvelle coqueluche Kristina Opolais (6 au 13 mai), et pour les nostalgiques de Paris ou d’Aix, la magnifique Traviata mise en scène par Peter Mussbach (vous vous souvenez…Aix) avec la non moins magnifique Christine Schäfer (vous vous souvenez..Paris) dirigée par le jeune et talentueux Omar Meir Wellber entre le 27 novembre et le 17 décembre et une reprise les 29 juin et 1er juillet sans Christine Schäfer.

Dans les nouvelles productions, celle de De la Maison des morts (Chéreau) vient d’avoir un triomphal succès dirigée ici par Sir Simon Rattle, une autre devrait promettre :

Al gran sole carico d’amore, de Luigi Nono, œuvre revenue sur les scènes grâce à Salzbourg (c’est d’ailleurs la même production qu’on va revoir) avec au pupitre Ingo Metzmacher, qui ici aussi fera sans doute l’unanimité (Mise en scène Katie Mitchell) (entre le 1er et le 11 mars). A INSCRIRE SUR SES TABLETTES.

Dans les œuvres contemporaines, une autre coproduction avec Salzbourg, et avec Amsterdam, encore dirigée par Ingo Metzmacher :

Dionysos, de Wolfgang Rihm, dans une mise en scène de Pierre Audi du 8 au 15 Juillet 2012 dans le cadre de « Festival Infektion »…

Dans les autres « premières », il faut signaler quand même
Don Giovanni, dans la production salzbourgeoise très discutée de Claus Guth (un Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur et qui vit le tout pour le tout dans ses dernières heures) avec Anna Netrebko, Christopher Maltman, Erwin Schrott, Dorothea Röschmann…(du 24 juin au 6 juillet).

Lulu, avec l’équipe du Wozzeck (Andrea Breth, Daniel Barenboim) et une distribution qui impose le respect : Mojka Erdmann dans Lulu, Deboreh Polaski dans Geschwitz, et Michael Volle dans Schön.. m’est avis que cela devrait valoir le voyage (31 mars-14 avril)

Orphée aux Enfers, d’Offenbach, dans une mise en scène du cinéaste Philipp Stölzl (Celui à l’on doit le Rienzi de la maison d’en face, le Deutsche Oper)  dirigée par Christoph Israel qui devrait là aussi décoiffer un peu.

Quelques productions pour les jeunes d’œuvres peu connues qui devraient stimuler l’intérêt des anciens :

–          Aschenputtel (Cendrillon) de Ermanno Wolf-Ferrari (du 5 au 29 décembre) chaque jour au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater

–          Moscou quartier des cerises, de Chostakovitch, que les lyonnais connaissent bien au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater tous les deux jours entre le 2 mai et le 17 mai prochains.

Enfin, le baroque et musique ancienne ne sont pas en reste, avec deux productions à noter :

Rappresentazione di anima e di corpo, de Emilio De Cavalieri, dirigé par René Jacobs et mis en image par Achim Freyer, avec Marie-Claude Chappuis, et l’Akademie für Alte Musik Berlin (8 juin-17 juin)

Il trionfo del corpo e del disinganno, dirigé par Marc Minkowski avec les Musiciens du Louvre, avec Delphine Galou et Charles Workman, dans une mise en scène de Jürgen Flimm (15 au 29 janvier 2012)

Comme on le voit, une programmation riche, qui couvre des directions et des répertoires, exigeante, fouillée, comme on en voit peu en France, complétée par l’offre un peu plus « grand public » (mais pas tant que ça) de la Deutsche Oper (mais il faut remplir une salle beaucoup plus vaste). Il faudra faire des choix. Je pense quand même que j’irai voir Al gran sole carico d’amore et Lulu.

 

 

 

 

  • DEUTSCHE OPER

Au milieu des 7 nouvelles productions (avec trois productions concertantes dues à des choix économiques) et de la trentaine de titres offerts par la Deutsche Oper, il va être encore difficile de faire des choix. On va finir par avoir envie de s’installer à Berlin ! Notons que la Deustche Oper vient d’offrir  une fois de plus l’inusable production du Ring des Nibelungen (ce mois de septembre dernier) de Götz Friedrich, qui régna sur cette maison, sous la direction du directeur musical actuel, Donald Runnicles, avec une distribution de bon niveau (Jennifer Wilson en Brünnhilde de Walküre, Stephen Gould en Siegfried, avec Torsten Kerl, avec aussi Robert Dean Smith en Siegmund.

Dans les reprises notons aussi

Rienzi, mise en scène Philipp Stölzl, dir.mus : Sebastian Lang-Lessing, avec Torsten Kerl en Rienzi et Manuela Uhl en Irene. J’ai rendu compte dans ce blog de cette très belle production et je ne saurais trop conseiller de faire le voyage : Rienzi est si rare.(20 au 30 avril)

Si vous êtes à Berlin pour Noël, ne pas manquer non plus la reprise de
Hänsel und Gretel, de Humperdinck, un des must de l’opéra allemand, dans une mise en scène de Andreas Homoki (un bon metteur en scène), dirigée par Garett Keast avec Jana Korukova/Julia Benziger et Anna Schoeck/Martina Welschenbach (23-27 décembre)

Parmi la longue liste des premières de la saison où l’on voit notamment la première berlinoise du Tancredi de Rossini (Dir.mus Alberto Zedda, mise en scène : Pierluigi Pizzi avec Patrizia Ciofi (du 22 janvier au 4 février), Patrizia Ciofi assurera (avec Joseph Calleja) aussi deux  représentations concertantes des Pêcheurs de perles de Bizet, direction Guillermo Garcia Calvo (les 19 et 22 décembre), ce qui est aussi une première berlinoise. On note aussi une Jenufa, un Lohengrin. J’ai noté aussi la nouvelle production de

Don Carlo mise en scène Marco Arturo Marelli (qui avait fait à Garnier le Don Carlos français et le Don Carlo italien dans les années 1980 sous l’ère Bogianckino.) dirigé par Donald Runnicles, avec Roberto Scandiuzzi en Filippo II et Anja Harteros (qui chante souvent au Deutsche Oper (je l’y ai entendue dans Traviata où elle fut pour moi inoubliable) Massimo Giordano en Carlo et Anna Smirnova dans Eboli…(du 23 octobre au 12 novembre, et du 8 au 14 avril avec d’autres chanteurs)

Mais c’est sur deux représentations concertantes d’un relief particulier que j’ai jeté mon dévolu :

Candide, de Leonard Bernstein, le 15 mars prochain en hommage à l’humoriste Loriot (Vicco von Bülow) mort en août dernier, dirigé par Donald Runnicles, avec notamment Toby Spence dans Candide et Grace Bumbry dans the Old Lady..Qui manquerait Grace Bumbry ??

Il Trovatore, de Verdi. J’ai dit qu’un Trovatore bien distribué était difficile à trouver aujourd’hui. Les 6 et 9 juin prochains au Deutsche Oper de Berlin, on pourra entendre en représentation concertante Stuart Neill qui est un bon ténor (mais est-ce un Manrico ?), mais surtout Anja Harteros en Leonora (enfin !!), l’excellent Dalibor Jenis en Luna, et la somptueuse Stephanie Blythe (la fabuleuse Fricka de New York) en Azucena, le tout dirigé par le très jeune chef italien Andrea Battistoni…J’espère que cela va palpiter, haleter et qu’on va enfin avoir un Trovatore digne de ce nom.

On l’aura compris, s’il y a un voyage à faire pour moi, c’est le samedi 9 juin pour Trovatore, pour écouter Harteros et Blythe, et découvrir Battistoni dont on parle tant.

 

  • KOMISCHE OPER

t voilà le troisième larron, le théâtre de Felsenstein, que Andreas Homoki va quitter pour Zürich. Pour faire exister son établissement (où tous les opéras sont donnés en allemand) entre les deux géants berlinois, il a tablé sur la nouveauté des mises en scène et sur la provocation. Si vous voulez voir cette année des mises en scènes de Hans Neuenfels, allez donc voir Traviata, si vous voulez, après le Tannhäuser de Bayreuth voir encore une production de Sebastian Baumgarten, vous pourrez voir Carmen dès la fin Novembre, et depuis octobre et jusqu’en janvier vous pourrez voir Im weissen Rößl (l’auberge du Cheval blanc, oui oui) toujours par Baumgarten. Vous pourrez aussi voir une nouvelle production de Homoki (La petite renarde rusée), de Calixto Bieito (Freischütz) et enfin de Stefan Herheim (Xerxès). Bref, c’est le théâtre à ne pas fréquenter pour ceux qui sont allergiques au Regietheater.
Pourtant on y voit souvent des spectacles intelligents et vifs dans des conditions musicales moyennes : quelquefois on voit à la Komische Oper les stars de demain, quelquefois celles d’hier, mais on fait aussi des découvertes (le chef Konrad Junghänel qui va diriger Xerxès que j’entendis dans Armide est vraiment excellent). Mon goût pour le théâtre allemand qui m’est souvent reproché fait que je vais sans doute faire le voyage pour Carmen et L’auberge du cheval blanc : je veux comprendre la manière dont travaille Baumgarten, Le Freischütz de Calixto Bieito, qui va être dirigé par Patrick Lange le directeur musical du théâtre m’attire également. Et inutile de dire que je vais me précipiter au Xerxès de Haendel, mis en scène par Stefan Herheim vu mon admiration pour ce metteur en scène et mon intérêt pour le chef Konrad Junghänel.

Aussi proposerais-je la sélection suivante, destinée aux curieux, aux fous furieux, aux inconscients et aux masos.

Carmen, de Bizet, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus. Stefan Blunier, avec Stella Doufexis en Carmen (du 27 novembre au 27 janvier et le 4 juillet)

Im weissen Rößl, [L’auberge du cheval blanc] de Benatzky, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus Koen Schoots/Peter Christian Feigel (6 nov-15 janv)

Der Freischütz, de Weber, mise en scène Calixto Bieito, dir.mus Patrick Lange avec Günter Papendell, Bettina Jensen, Dmitry Golovnin (depuis le 29 janvier, en fév., mars, avril, jusqu’au 6 juillet)

Xerxès, de Haendel, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Konrad Junghänel à partir du 13 mai et jusqu’au 5 juillet, avec Stella Doufexis.

On remarque aussi dans les nouvelles productions
Le cheval de bronze [das bronzene Pferd], d’Auber, livret de Eugène Scribe dans une mise en scène de Frank Hilbrich, dirigé par Maurizio Barbacini. Auber est si rare dans nos contrées que cela vaut aussi le voyage d’aller voir cette production, qui court du 11 mars au 3 juillet.

Enfin lst but not least, un peu de Hans Neuenfels ne peut faire mal à la santé et donc pour les irréductibles, la reprise de
Traviata, mise en scène Hans Neuenfels, dir.mus.Patrick Lange, du 14 janvier au 14 février (mais surtout en janvier !)

Pour ma part, Xerxès, bien sûr, mais aussi Carmen,  l’Auberge du cheval blanc et sans doute Freischütz. Le système de répertoire permet néanmoins d’étaler ses projets sur plusieurs années, les productions étant reprises régulièrement.

 

Comme on le voit, à Berlin, on a tous les choix, tous les styles, tous les répertoires, la tête tourne devant cette offre à la limite excessive – est-ce que les restrictions économiques le permettront longtemps ?  En tous cas pour l’instant,  pas de quoi s’ennuyer, mais l’exercice est délicat qui consiste à concentrer en peu de temps des spectacles qui valent le déplacement.

 

 

 

A suivre.. Londres, New York, Florence, Rome

STAATSOPER BERLIN 2009-2010: CARMEN avec Anita RACHVELISHVILI (15 MAI 2010)

LA SURPRISE DU CHEF

150520102048.1274223237.jpgEt voilà! On pense assister à une représentation de répertoire ordinaire d’une production vieille de 6 ans, on attend des voix moyennes, on se prépare à une production poussiéreuse, on ne fait même pas cas du nom du chef, et surgit la surprise, le miracle, la découverte qui dès le départ et les première mesures, font penser qu’on va assister là à quelque chose de remarquable: un chef, un jeune chef israélien de 28 ans, élève de Barenboim qui fait tout basculer par une direction miraculeuse, tellement supérieure à celle de son maître à la Scala. Si vous êtes de Toulouse et que vous lisez cette chronique, prenez d’emblée des places pour les concerts de Barenboim la saison prochaine, car c’est ce jeune qui dirigera, il s’appelle Omer Meir Wellber. Quelques amis italiens l’ont déjà entendu diriger à Padoue Aida et Trovatore, et sont restés étonnés devant l’engagement et la finesse de son travail. Son agenda est plein jusqu’en 2014, et pour sûr on en entendra parler. Mais quelle joie, quelle joie d’entendre enfin une exécution exacte, qui rend justice à tous les raffinements de la partition, avec un sens dramatique, voire tragique, consommé, avec une dynamique étonnante, tout en restant d’une limpidité cristalline, on entend tous les pupitres, rien n’est étouffé, et les chanteurs sont vraiment accompagnés, sans jamais être couverts, une telle tension a été créée qu’après le final, la salle explose d’enthousiasme alors qu’elle avait au départ accueilli poliment sans plus, ce chef encore inconnu. Guettez ce nom sur les programmes, et allez le découvrir: sa Carmen est d’un niveau très rarement atteint dans les théâtres aujourd’hui.

Vous connaissez aussi la production si vous l’avez vue à la télévision ou assisté aux représentations du Châtelet avec Sylvie Brunet et Marc Minkowski au pupitre, c’est la même, de l’autrichien Martin Kusej. Lumière blanche, béton, géométrie, femmes offertes, hommes tout en désir et lubricité dans une usine de cigares qui a tout du lupanar. Une mise en scène qui propose comme jadis chez Faggioni, un flash back dès le départ, puisque Don José est fusillé dès les premières mesures, et qui fait de Carmen un ange noir dans ce monde sans couleur, sinon le rouge du foulard qui tombe des cintres dès le lever de rideau, avec lequel Carmen se drapera et attrapera Don José. A vrai dire j’ai trouvé la première partie peu convaincante, un peu excessive, démonstrative, d’autant que Kusej a modifié les dialogues parlés dans le sens de son travail…J’aime son travail en général, j’ai aimé ici ses troisième et quatrième acte, plus rigoureux, mieux construits, avec des idées très fortes (l’apparition du corps ensanglanté d’Escamillo, qu’on retire de l’arène, et pousse Carmen à ouvrir les bras au couteau de Don José par exemple). Ce n’est donc pas un travail négligeable, qui est très cohérent avec l’approche du chef.

150520102050.1274223270.jpgOn remarquera les choeurs un peu forts de la Staatsoper, mais très au point,  et un ensemble de chanteurs jamais indignes, pas toujours impeccables, mais qui contribuent fortement au succès de la soirée. Si Micaela a des stridences désagréables et n’est pas toujours émouvante (Adriane Queiroz), la voix est passable et son deuxième air “je dis que rien ne m’épouvante”est assez réussi. l’Escamillo d’Alexander Vinogradov manque sans doute de maturité: ce chanteur est jeune, et affiche une voix insolente, plus basse que baryton, lancée un peu à la va-comme-je-te pousse sans contrôle ni surtout de style adapté au personnage et au ton de Bizet. Des moyens stupéfiants, non dominés, mais au total, cela passe. Le Don José du coréen Yonghoon Lee, un peu “forcé” au début (on avait l’impression qu’il gonflait sa voix) prend corps au fur et à mesure du déroulement de l’œuvre et s’affirme vraiment dans les deux derniers actes, où il ne manque ni d’émotion, ni de style, le voix est puissante, sonore, bien posée. Une découverte, là aussi.

150520102054.1274223298.jpgEnfin, la jeune Anita Rachveslishvili a mûri son personnage depuis décembre dernier à la Scala, la voix est magnifique, assurée, forte,  avec une technique et une présence sans failles. Une vraie Carmen, de grand niveau. L’actrice manque peut-être de féminité: elle n’a rien du félin que Carmen pourrait être, elle manque aussi un peu d’humour, de cet humour si marqué dans la Carmen de Berganza, par exemple, les attitudes sont convenues, pas toujours élégantes, mais du point de vue musical rien à dire, c’est une grande Carmen, très sûre, au volume qui remplit la salle, et un sens dramatique affirmé.
Au total, une excellente soirée, couronnée par cette direction exemplaire, qui m’a vraiment très fortement marqué . C’est une grande joie que celle de la découverte,  où l’on entre sans préjugés aucun et où l’on sort conquis, étonné, ravi, parce que l’on voit que l’avenir est assuré, et que les références au passé si chères au mélomane et à votre serviteur, peuvent céder la place à l’attente confiante de demain.

STAATSOPER BERLIN 2009-2010: SIMON BOCCANEGRA avec Placido Domingo et Anja Harteros (Dir.mus: Daniel BARENBOIM, Mise en scène: Federico TIEZZI) le 27 octobre 2009

 

271020091243.1256768585.jpgAnja Harteros salue le public le 27 octobre

La plupart des grandes salles d’opéra (MET, Covent Garden, Scala, Staatsoper Berlin) programment cette année Placido Domingo dans cette prise de rôle si surprenante et tant attendue, Simon Boccanegra.  Placido Domingo a déjà chanté des emplois de baryton (Don Giovanni, par exemple, et un Barbier de Séville dirigé par Abbado, où il chante Figaro, qui n’est d’ailleurs pas un bon enregistrement). Je me souviens, lorsqu’il aborda Otello, beaucoup prédirent la fin de cette voix solaire, et qualifièrent cette prise de rôle d’erreur fondamentale. On sait ce qu’il est advenu des oracles. Placido Domingo chante encore – et de quelle manière- Siegmund aujourd’hui, 35 ans après… Et il aborde de nouveaux rôles, Idomeneo l’an dernier et aujourd’hui, Simon Boccanegra, pour lequel l’Europe entière l’attend.  Cette attente ne sera sans doute pas déçue à voir l’accueil délirant de bonheur du public berlinois (25 minutes d’applaudissements debout). Mais Placido n’est pas seul. Il est superbement accompagné par l’ensemble d’une distribution homogène, de très haut niveau, à commencer par l’extraordinaire Amelia de Anja Harteros,  qui atteint là des sommets : chant contrôlé, technique impeccable, couleur, et surtout aigus triomphants, tenus, clairs, le tout d’un lyrisme vibrant. Ce n’est pas une surprise : que ce soit dans Wagner (Eva), ou dans Verdi (Traviata et maintenant, Amelia de Simon Boccanegra), la soprano allemande d’origine grecque accumule les triomphes. C’est aujourd’hui sans nul doute avec Anna Netrebko, et dans un registre sensiblement différent (la voix et plus grande, le répertoire plus large), la chanteuse de répertoire italien de référence. Aussi, dès que l’on voit son nom dans une distribution, il faut se précipiter. Face à cette Amelia d’exception, à mon avis seulement comparable à Freni, un Gabriele Adorno tout à fait remarquable, Fabio Sartori, déjà entendu dans ce rôle avec Abbado il y a quelques années. La technique est toujours impeccable, le  souffle et le volume parfaitement contrôlés, le sens musical aigu, et une voix  qui s’est bien élargie. Il fait d’Adorno, personnage toujours difficile, pris entre Simon et Fiesco, un authentique héros d’opéra. Fiesco, c’est Kwanchoul Youn, inhabituel dans ce répertoire. Nous le connaissons plus comme basse wagnérienne. Il n’a pas l’éclat d’un Ghiaurov ou même d’un Furlanetto (pas toujours…) ou d’un Prestia, mais malgré une certaine froideur,  il a une intelligence du chant, et une technique qui lui permettent de défendre un personnage plus intérieur, et un style moins expressionniste. Son  Fiesco est un personnage renfermé,  usant beaucoup de mezza voce, de notes murmurées. La fin par ailleurs (le duo avec Boccanegra) dégage une très grande émotion. Surprise aussi d’entendre Hanno Müller-Brachmann en Paolo, chanteur de qualité, un peu appliqué ordinairement, il délivre là une composition intéressante, plus juvénile que d’habitude dans ce rôle, un chant très expressif, techniquement sans failles et une très belle diction de l’italien.

Et Placido Domingo ? Dès la première parole (un’amplesso !) un son, un éclat, une profondeur qui touchent au cœur. Il n’y rien à dire, la prestation est d’un niveau tel qu’on reste secoué par certains moments bouleversants (au 2ème et 3ème actes surtout). Il n’est en rien barytonal, il n’obscurcit pas la voix et chante en ténor (ce qui quelquefois peut surprendre, notamment dans les trios avec Gabriele et Amelia au 2ème acte où en fait on entend bien deux ténors !), mais c’est un chant tellement expressif, tellement engagé, tellement intrinsèquement beau que l’on n’a d’yeux que pour ce Simon, complètement habité. On l’a beaucoup entendu dans Wagner ces derniers temps : l’entendre renouer avec Verdi, et avec quelle maestria, et avec quel panache, c’est nous replonger dans notre passé, quarante ans en arrière, au moment où il nous enchantait dans tous les Verdi qu’il abordait. Une renaissance !

Du point de vue du chant, la distribution réunie ici nous fait mentir lorsque nous affirmions encore récemment qu’il est difficile d’entendre un Verdi convaincant aujourd’hui. En voilà un, qui renoue avec le fil un peu interrompu des soirées verdiennes bouleversantes.

Et pourtant, tout n’est pas convaincant à 100% dans cette production, la direction musicale de Daniel Barenboim qui accompagne bien les chanteurs, reste en deçà de ce qu’on peut attendre d’un tel chef : beaucoup de décalages avec les chœurs d’abord, quelques accidents dans l’orchestre (cuivres..) mais bon…ce ne serait que cela ! En fait, cette direction surprend par sa froideur, par son manque de laisser aller. Jamais la musique ne se laisse aller à la poésie (le troisième acte, notamment avec le duo « piangi..piangi.. où Abbado faisait pleurer l’orchestre ici reste un peu en réserve). Certes, certains moments sont suffoquants de beauté, certaines phrases orchestrales prennent l’auditeur et le surprennent, mais l’ensemble reste un peu trop extérieur, un peu trop fort, comme si le chef n’arrivait pas à s’immerger vraiment dans la délicatesse de cet univers. Certes, l’ensemble n’est pas indigne, loin de là (sinon, on ne serait pas sorti si heureux de la salle), mais très en-deçà du niveau du chant, qui lui est tout à fait exceptionnel. D’ailleurs, avec une autre équipe de chanteurs,  on aurait sans doute moins pardonné à Barenboim.

Quant à la mise en scène, elle est proprement insipide. Federico Tiezzi a-t-il d’ailleurs fait une mise en scène ? Les mouvements des personnages, le traitement des chœurs et des foules sont  tellement rudimentaires que cela confine au ridicule (le prologue utilise les mêmes artifices que Strehler, à croire qu’on ne peut plus mettre en scène la mort de Maria sans faire que Simon soit à la fois dedans et dehors , à l’extérieur et à l’intérieur dy Palais Fieschi ! La scène du conseil est ratée, aucune tension, aucune violence, une stylisation qui appauvrit l’intrigue, le début du troisième acte n’est pas plus réussi, les soldats courent de toutes parts d’une manière risible)  . Le décor de Maurizio Balo’ est , comme souvent, épuré  mais sans vraie fonction dramaturgique  ni qualité esthétique particulière bien au contraire: seule la vidéo marine de la fin fait son effet. Les costumes de Giovanna Buzzi, sont au contraire tout à fait somptueux et sauvent l’ensemble.  On pourra bien sûr dire que cette mise en scène nous fait échapper au Regietheater : certes elle peut être en ce sens bienvenue aux yeux de certains, mais   elle n’apporte rien, ni en terme de fond, ni en terme de forme et ne dit rien de l’histoire et de sa signification : une illustration sans imagination.


Au total ce spectacle vaut pour ses chanteurs. Par leur vertu, il constitue un sommet qui à lui seul justifie qu’on courra  au printemps prochain à la Scala (ou à Berlin, deux représentations fin mars, sans doute moins courues qu’à Milan) les réentendre. Le reste est ou discutable, ou médiocre. J’ai l’habitude de dire que l’Opéra tient sur un trépied ( chant, direction, mise en scène) dont au moins deux doivent fonctionner… Me voilà démenti, par la vertu de chanteurs magiques ou mythiques.  Cette soirée tient sur un seul pied, mais c’est le piédestal  du paradis.

Saluts des artistes et de l’orchestre: de droite à gauche: Placido Domingo, Daniel Barenboim, Anja Harteros, Fabio Sartori, Kwanchoul Youn, Hanno Müller Brachmann, Alexander Vinogradov.

Saluts de l'ensemble de la compagnie et de l'orchestre