STAATSOPER BERLIN 2009-2010: CARMEN avec Anita RACHVELISHVILI (15 MAI 2010)

LA SURPRISE DU CHEF

150520102048.1274223237.jpgEt voilà! On pense assister à une représentation de répertoire ordinaire d’une production vieille de 6 ans, on attend des voix moyennes, on se prépare à une production poussiéreuse, on ne fait même pas cas du nom du chef, et surgit la surprise, le miracle, la découverte qui dès le départ et les première mesures, font penser qu’on va assister là à quelque chose de remarquable: un chef, un jeune chef israélien de 28 ans, élève de Barenboim qui fait tout basculer par une direction miraculeuse, tellement supérieure à celle de son maître à la Scala. Si vous êtes de Toulouse et que vous lisez cette chronique, prenez d’emblée des places pour les concerts de Barenboim la saison prochaine, car c’est ce jeune qui dirigera, il s’appelle Omer Meir Wellber. Quelques amis italiens l’ont déjà entendu diriger à Padoue Aida et Trovatore, et sont restés étonnés devant l’engagement et la finesse de son travail. Son agenda est plein jusqu’en 2014, et pour sûr on en entendra parler. Mais quelle joie, quelle joie d’entendre enfin une exécution exacte, qui rend justice à tous les raffinements de la partition, avec un sens dramatique, voire tragique, consommé, avec une dynamique étonnante, tout en restant d’une limpidité cristalline, on entend tous les pupitres, rien n’est étouffé, et les chanteurs sont vraiment accompagnés, sans jamais être couverts, une telle tension a été créée qu’après le final, la salle explose d’enthousiasme alors qu’elle avait au départ accueilli poliment sans plus, ce chef encore inconnu. Guettez ce nom sur les programmes, et allez le découvrir: sa Carmen est d’un niveau très rarement atteint dans les théâtres aujourd’hui.

Vous connaissez aussi la production si vous l’avez vue à la télévision ou assisté aux représentations du Châtelet avec Sylvie Brunet et Marc Minkowski au pupitre, c’est la même, de l’autrichien Martin Kusej. Lumière blanche, béton, géométrie, femmes offertes, hommes tout en désir et lubricité dans une usine de cigares qui a tout du lupanar. Une mise en scène qui propose comme jadis chez Faggioni, un flash back dès le départ, puisque Don José est fusillé dès les premières mesures, et qui fait de Carmen un ange noir dans ce monde sans couleur, sinon le rouge du foulard qui tombe des cintres dès le lever de rideau, avec lequel Carmen se drapera et attrapera Don José. A vrai dire j’ai trouvé la première partie peu convaincante, un peu excessive, démonstrative, d’autant que Kusej a modifié les dialogues parlés dans le sens de son travail…J’aime son travail en général, j’ai aimé ici ses troisième et quatrième acte, plus rigoureux, mieux construits, avec des idées très fortes (l’apparition du corps ensanglanté d’Escamillo, qu’on retire de l’arène, et pousse Carmen à ouvrir les bras au couteau de Don José par exemple). Ce n’est donc pas un travail négligeable, qui est très cohérent avec l’approche du chef.

150520102050.1274223270.jpgOn remarquera les choeurs un peu forts de la Staatsoper, mais très au point,  et un ensemble de chanteurs jamais indignes, pas toujours impeccables, mais qui contribuent fortement au succès de la soirée. Si Micaela a des stridences désagréables et n’est pas toujours émouvante (Adriane Queiroz), la voix est passable et son deuxième air “je dis que rien ne m’épouvante”est assez réussi. l’Escamillo d’Alexander Vinogradov manque sans doute de maturité: ce chanteur est jeune, et affiche une voix insolente, plus basse que baryton, lancée un peu à la va-comme-je-te pousse sans contrôle ni surtout de style adapté au personnage et au ton de Bizet. Des moyens stupéfiants, non dominés, mais au total, cela passe. Le Don José du coréen Yonghoon Lee, un peu “forcé” au début (on avait l’impression qu’il gonflait sa voix) prend corps au fur et à mesure du déroulement de l’œuvre et s’affirme vraiment dans les deux derniers actes, où il ne manque ni d’émotion, ni de style, le voix est puissante, sonore, bien posée. Une découverte, là aussi.

150520102054.1274223298.jpgEnfin, la jeune Anita Rachveslishvili a mûri son personnage depuis décembre dernier à la Scala, la voix est magnifique, assurée, forte,  avec une technique et une présence sans failles. Une vraie Carmen, de grand niveau. L’actrice manque peut-être de féminité: elle n’a rien du félin que Carmen pourrait être, elle manque aussi un peu d’humour, de cet humour si marqué dans la Carmen de Berganza, par exemple, les attitudes sont convenues, pas toujours élégantes, mais du point de vue musical rien à dire, c’est une grande Carmen, très sûre, au volume qui remplit la salle, et un sens dramatique affirmé.
Au total, une excellente soirée, couronnée par cette direction exemplaire, qui m’a vraiment très fortement marqué . C’est une grande joie que celle de la découverte,  où l’on entre sans préjugés aucun et où l’on sort conquis, étonné, ravi, parce que l’on voit que l’avenir est assuré, et que les références au passé si chères au mélomane et à votre serviteur, peuvent céder la place à l’attente confiante de demain.

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