DEUTSCHE OPER BERLIN 2013-2014: TRISTAN UND ISOLDE de Richard WAGNER le 18 MAI 2014 (Dir.mus: Donald RUNNICLES; Ms en scène: Graham VICK) avec Nina STEMME et Stephen GOULD.

Acte II(en 2011) © Matthias Horn
Acte II(en 2011) © Matthias Horn

 

Tels Alberich et Wotan rodant autour de l’antre de Fafner au 2ème acte de Siegfried, beaucoup de français wagnériens se sont retrouvés à Berlin en ce dimanche 18 mai pour un Tristan und Isolde alléchant affiché à la Deutsche Oper : Nina Stemme, Stephen Gould, Donald Runnicles dans la reprise du Tristan de 2011 mis en scène par Graham Vick, cela vous donne des ailes pour accourir humer l’air berlinois. Mais l’air berlinois joue quelquefois des tours, comme cette fois-ci à Nina Stemme, qui a fait annoncer devant la salle désolée qu’elle avait pris froid, qu’elle allait chanter sans savoir si elle terminerait, puisqu’une Isolde de substitution était en route. Le même porteur de mauvaises nouvelles annonça que pour une raison technique inexpliquée, une partie du décor (une lampe immense se balançant au dessus de Tristan et Isolde) n’avait pas pu être mise en place…Il y a des jours néfastes. Après ce prélude qui avait quelque peu refroidi notre attente, on commença d’entendre le fameux accord initial… La mise en scène de Graham Vick est, dirait-on, moderne : le couple ne boit pas le philtre mais se pique à l’héroïne, il nous est lourdement asséné qu’Eros et Thanatos vont ensemble : couple nu qui apparaît à l’acte II (Adam et Eve ? Si c’est le cas, Adam va passer une partie du temps à creuser sa tombe), femme enceinte qui surgit périodiquement, bébé apporté à Isolde : le cycle de vie va de conserve avec le cycle d’amour et surtout présence obsessionnelle d’un cercueil au milieu du décor, un décor de Paul Brown représentant une sorte d’immense salon d’une maison dans le style de Frank Lloyd Wright, mur percé de portes et de baies vitrées qui change de position selon les actes, revu années 50, à cause des meubles, divan, fauteuils, chaises et table métalliques sur lequel débouchent des portes donnant vers salle de bains ou chambres, ou réduit dans lequel loge Kurwenal derrière un comptoir.

Acte I (2011) © Matthias Horn
Acte I (2011) © Matthias Horn

Le cercueil au milieu fait table de salon au premier acte, sorte d’armoire au second (au salon se sont ajoutés deux sortes de Menhirs entourant une tombe que l’Adam du coin, nu comme un ver, est en train de creuser, comme je l’ai écrit plus haut). Une grande baie vitrée sépare deux mondes qui au troisième acte sont monde des vivants au premier plan et des morts au second plan: Tristan sort appeler Isolde…et en passant ce seuil, il est donc mort. Quant aux morts, ce sont des silhouettes multiples qui traversent l’espace dans une brume bienvenue. Je n’ose dire un fatras, mais il y a beaucoup d’objets et de petits détails qui envahissent la scène sans grande utilité, sinon  celle de disperser l’attention, et au milieu de cette abondance de biens nuisible, une idée intéressante : la marque du temps; d’acte en acte les héros vieillissent, ce qui donne à la fin un côté retrouvailles à l’asile de vieillards : Tristan est en pyjama robe de chambre, ffligé de mouvements convulsifs des mains, Isolde arrive pour le retrouver vêtue en ménagère de bien plus de cinquante ans. Mais soyons justes, l’idée n’est pas mauvaise, non plus que celle de l’héroïne dont on a parlé plus haut. Sauf que Vick n’en tire rien. Et donc cela fait une idée de plus, un signe de plus, mais comme disent les italiens, a che pro?

Final Acte I (2011) © Matthias Horn
Final Acte I (2011) © Matthias Horn

Notons également les beaux éclairages (Acte II) de Wolfgang Göbbel et l’idée d’un premier acte où Isolde est perdue, voire agressée dans un monde d’hommes, ou plutôt au milieu de la soldatesque installée dans l’espace commun, on est torse nu, on sort de la salle de bains, on se rapproche dangereusement de la reine et tout se beau monde se transforme en cour du roi au final portant les fleurs du mariage alors qu’Isolde se refuse obstinément à considérer la robe de mariée que Brangäne retouche, la rejette violemment…(merci Marthaler à Bayreuth…auquel par certains côtés l’ambiance se réfère (je soupçonne le lampion qui n’était pas là pour la représentation de ce jour de rappeler le jeu des lumières de Marthaler à Bayreuth) ; mais Marthaler a le sens de l’épure, mais Marthaler produit du sens. Graham Vick est bien plus fouillis. Le lecteur aura compris que je n’ai pas été convaincu par ce travail,  dispersif, mais au total pas très gênant, parce qu’en ce qui concerne la direction d’acteurs et les interactions entre les personnages, cela pourrait se passer dans le haut moyen âge ou en 2055, chez Wolfgang Wagner ou August Everding voire Otto Schenk : les gestes et les mouvements sont convenus, traditionnels et ce ne sont pas les costumes modernes qui y changent quoi que ce soit, c’est du faux moderne, un habillage complexe sans intérêt majeur.

Nina Stemme, Donal Runnicles, Stephen Gould le 18 mai 2014
Nina Stemme, Donal Runnicles, Stephen Gould le 18 mai 2014

Musicalement, c’est incontestablement Donald Runnicles qui porte de bout en bout la représentation. Le chef écossais, directeur musical de la Deutsche Oper propose rarement des interprétations médiocres. Et dans Wagner, c’est une figure reconnue. Son Tristan le confirme pleinement. C’est une version théâtrale, dynamique, passionnée, au tempo assez rapide, mais révélant la partition dans son épaisseur et ses détails, avec des moments vraiment exceptionnels (le duo du deuxième acte, le début du troisième acte)… Ce regard très lyrique produit un orchestre vivant, chatoyant, qui accompagne les chanteurs en les couvrant rarement (sauf quand Nina Stemme, fatiguée, ne peut pousser sa voix). Un orchestre très en forme si l’on excepte quelques scories aux cors du début de l’acte II, mais on a entendu plus catastrophique naguère dans des lieux bien plus wagnériens. Ce qui frappe dans ce travail c’est en même temps un engagement très fort dans le théâtre, mais aussi une lecture très dynamique d’une partition sans vraiment se complaire dans des effets inutiles, ou dans une polissure extrême qui confinerait au maniérisme. Il y a une  honnêteté, une franchise dans la manière d’affronter le tissu wagnérien qui à mon avis renvoie dans les cordes ceux qui lui reprocheraient une absence de style : c’est au contraire un vrai point de vue qui est affiché ici, convaincant, parfaitement au point, et qui veille à suivre le texte et l’intrigue avec clarté, sans autre dessein que de travailler à mettre en lumière, illuminer dirais-je, la musique de Wagner. Il est accompagné par un chœur efficace (direction Thomas Richter), spectaculaire même au final de l’acte I. La distribution fait honneur à l’entreprise : si l’on excepte les accidents vocaux de Peter Maus « ein Hirt» à la voix vacillante (ce qui se comprend dans un troisième acte marqué par l’usure du temps et le vieillissement), chacun reste très honorable, aussi bien Clemens Bieber (ein junger Seemann) que Ben Wager (ein Steuermann), très correct aussi le Melot de Jörg Schörner. Egils Silins en Kurwenal trouve là un de ses meilleurs rôles : une voix chaude, engagée, moins neutre que dans ses Wotan, une belle présence malgré une mise en scène qui ne le favorise pas. La Brangäne de Tania Ariane Baumgartner défend bien le rôle au premier et au troisième acte. Les appels dans le duo du second acte, où en général on attend Brangäne, restent en revanche bien pâles et bien éteints : on les entend mal, sans doute aussi parce que, dissimulée derrière le décor, la voix ne projette pas. Li Liang a une voix de basse profonde qui au contraire est très sonore et projette parfaitement. Il est un König Marke plutôt jeune au premier acte (ce qui surprend par rapport à la tradition : il a l’âge de Tristan). Une voix bien posée, mais une diction moins claire que celle des autres personnages principaux et surtout un manque d’expressivité très gênant au deuxième acte. Il chante, mais ne nous dit rien, cela reste neutre et plat ; cette absence est d’autant plus gênante que la voix, elle, est bien présente. Stephen Gould est considéré comme l’un des Tristan de référence aujourd’hui, sinon LE Tristan du jour. On comprend bien pourquoi : timbre chaleureux et juvénile, voix claire, qui projette bien, et un certain engagement scénique. S’il reste un peu en retrait au premier acte (mais c’est l’acte d’Isolde), le duo est particulièrement réussi, lyrisme, suavité, douceur, tout y est. Le troisième acte (l’acte de Tristan) est d’une extraordinaire vaillance (même avec de menus accidents ou quelques sons rauques dans les passages, qu’on peut intégrer volens nolens dans la couleur voulue pour le personnage). Il est non seulement convaincant, mais vraiment bouleversant. Grand moment, grande interprétation.

Nina Stemme le 18 mai 2014 (Berlin, Deutsche Oper)
Nina Stemme le 18 mai 2014 (Berlin, Deutsche Oper)

Nina Stemme n’était pas dans sa meilleure soirée, mais a eu le cran de mener la représentation à son terme. Son premier acte était difficile, la voix portait mal, les graves très affectés par la fatigue, sons rauques, menus accidents. L’aigu n’avait évidemment ni l’éclat ni la force auxquels elle nous a habitué et dont elle a gratifié paraît-il les spectateurs de la représentation précédente, sans parler de sa Salomé de Zürich des semaines passées (mais peut-on comparer l’endurance nécessaire à Isolde au sprint explosif qu’est Salomé ?). Il reste que, même avec ses faiblesses, on sent que le rôle aujourd’hui est complètement dominé, mature, réfléchi : elle réussit à produire une Isolde émouvante, engagée, présente : au deuxième acte, elle s’allie au Trsitan de Gould avec une retenue et un lyrisme saisissants, au troisième acte, s’étant reposée un peu, elle est vraiment bien meilleure vocalement et elle bouleverse, aidée par un orchestre merveilleux. Elle reste donc convaincante, elle reste une très grande Isolde, et elle finit donc par triompher. On peut rêver à ce qu’elle aurait donné si elle avait été en pleine forme. Malgré les accidents, ce fut donc une très belle représentation  finie dans un immense triomphe d’un public enthousiaste. Stemme a pu chanter malgré la fatigue perceptible : c’est la chance du répertoire wagnérien : elle n’aurait jamais pu chanter Verdi ou Puccini dans cet état. Et une confirmation: ne manquez pas une représentation dirigée par Donald Runnicles, c’est un grand chef d’opéra.
Ah, j‘oubliais…c’était une représentation de répertoire : j’étais au 18ème rang d’orchestre, parfaite vision, parfaite audition, à une place payée 66€.  À Paris (et c’est pareil à la Scala ou à Vienne), bien plus subventionné que Berlin,  pour le même type de place, j’aurais payé le triple, cherchez l’erreur…[wpsr_facebook]

Les rôles principaux Tristan und Isolde 18 mai 2014 Deutsche Oper Berlin
Les rôles principaux Tristan und Isolde 18 mai 2014 Deutsche Oper Berlin

 

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (2) : SPECTACLES A RETENIR – BERLIN

Hier 4 novembre à Berlin, à la Deutsche Oper, à 16h, dernière représentation de la première série de la nouvelle production de Parsifal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl, dirigée par Donald Runnicles, avec Klaus Florian Vogt (Clemens Bieber le 12 janvier et Stephen Gould les 29 mars et 1er avril) et Evelyn Herlitzius en Kundry (Violeta Urmana les 29 mars et 1er avril).

Hier 4 novembre à Berlin, à 300m de là sur l’autre trottoir, à la Staatsoper am Schiller Theater, à 15h reprise de Don Carlo, de Verdi dans la production de Philipp Himmelmann, dirigé par Massimo Zanetti, avec René Pape, Tamar Iveri, Fabio Sartori, Ekaterina Gubanova, Alfredo Daza.

Hier 4 novembre à Berlin, à 4 km de là,  derrière Unter der Linden, à la Komische Oper, où l’on joue en allemand, la trilogie de Monteverdi en continu:
– À 11h Orpheus(Orfeo) de Monteverdi, dans la mise en scène de Barrie Kosky, nouveau directeur de la Komische Oper, et dirigé par André de Ridder.
– À 14h30, Odysseus (Il ritorno d’Ulisse in patria) (Barrie Kosky/André de Ridder)
– À 19h, Poppea (L’incoronazione di Poppea) (Barrie Kosky/André de Ridder).

Qu’auriez-vous fait si vous aviez été à Berlin en ce 4 novembre, où l’offre dominicale était exceptionnelle? Voilà bien pourquoi Berlin demande à elle seule, un article spécifique car l’offre est telle, que ce type d’hésitation se répète plusieurs fois dans l’année, sans évidemment compter les concerts à la Philharmonie, au Konzerthaus et les représentations théâtrales au Deutsches Theater, à la Volksbühne, au Berliner Ensemble  à la Schaubühne (tiens, le 4 nov: Un ennemi du peuple, Ibsen, Thomas Ostermeier, la production vue à Avignon cet été…).

La salle du Schiller Theater

Commençons donc par la Staatsoper am Schiller Theater, installée dans ce théâtre des années cinquante, pendant plusieurs années encore, en attendant que la salle et la scène de la Staatsoper am Unter den Linden ne soient agrandies, restaurées, et permettent alternance et accueil du public améliorés. La programmation n’accuse pas de baisse, même si l’accueil de spectateurs est réduit (la salle a 1200 places).
Année Wagner oblige, l’événement de l’année c’est le Ring de Wagner enfin complet dans la mise en scène de Guy Cassiers, en coproduction avec la Scala. En raison des prix prohibitifs de la Scala, mieux vaudra choisir Berlin, d’autant que l’orchestre de fosse, la Staatskapelle Berlin, est plus aguerri sur ce répertoire. On aime Barenboim ou non mais son Wagner a fait date, et à la Staatsoper, Wagner c’est lui. Ce Ring est donc annoncé en trois éditions en mars et avril (23, 24, 27, 31 mars/3, 4, 7, 10 avril/13, 14, 18, 21 avril)  avec plusieurs représentations de Götterdämmerung début mars, d’autres de Walküre et de Siegfried viennent d’avoir lieu en octobre. Dans la distribution, René Pape en Wotan pour Rheingold et Walküre, Juha Uusitalo en Wanderer pour Siegfried, Waltraud Meier en Sieglinde, Waltraute, et même en 2ème Norne (alternant pour ces deux rôles avec Marina Prudenskaia), Irene Theorin (l’Isolde de Bayreuth) en Brünnhilde, Mikhail Petrenko en Fafner, Hunding et Hagen, Peter Seiffert en Siegmund (Christopher Ventris le 24 mars), Lance Ryan et Ian Storey en Siegfried, Ekaterina Gubanova en Fricka, Johannes Martin Kränzle en Alberich, Iain Paterson en Fasolt (Matti Salminen le 13 avril) et Gerd Grochowski en Günther, Peter Bronder en Mime, Anna Larsson en Erda, Marina Poplavskaia en Gutrune début mars et Anna Samuil en avril . Une distribution de très haut niveau, à ne pas manquer, à des prix encore raisonnables.
Autre nouvelle production wagnérienne de la Staatsoper, en mai 2013,  Der Fliegende Holländer, dirigé par Daniel Harding, dans une production de Philipp Stölzl (qui fait Parsifal et Rienzi à l’opéra d’en face, la Deutsche Oper) avec Michael Volle dans le Hollandais et Emma Vetter en Senta (84 ou 66 € la place d’orchestre selon les dates, Paris est à 180…).

Le Schiller Theater

Autres nouvelles productions, tout d’abord La Finta Giardiniera, en novembre décembre 2012, dans une nouvelle version du livret et une mise en scène de Hans Neuenfels (ça va encore gronder!) intitulé Die Pforten der Liebe, dirigé par Christopher Moulds, avec Stephan Rügamer, Joel Prieto, et Annette Dasch et une nouvelle production du Vin Herbé de Frank Martin, mise en scène de Katie Mitchell (Written on Skin à Aix) et dirigé par Frank Ollu, en mai et juin 2013, avec Anna Prohaska et Matthias Klink Citons pour finir le Festival Infektion! pour le nouveau théâtre musical, en juin 2013, avec deux spectacles qui devraient susciter l’intérêt, Aschemond oder the Fairy Queen, de Helmut Oehring sur arrangements de la musique de Purcell dirigé par Michael Boder et Benjamin Bayl ( qui dirigera l’Akademie für Alte Musik de Berlin), mise en scène de Claus Guth, avec rien moins que Marlis Petersen, Bejun Mehta, Topi Lehtipuu, et Roman Trekel et Hanjo de Toshio Hosokawa, commission du Festival d’Aix et coproduction avec la Ruhrtriennale, dans une mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Günther Albers.
Cela pour les premières et les nouvelles productions, mais il y a aussi des reprises de répertoire qui peuvent intéresser les amateurs et les autres, par exemple en décembre, un Rosenkavalier dirigé mais oui, par Sir Simon Rattle, avec Madame en Octavian (Magdalena Kožena), Dorothea Röschmann en Marschallin, Anna Prohaska en Sophie et l’excellent Peter Rose en Ochs, dans une mise en scène de Nicolas Brieger, mais aussi, toujours en décembre, une Bohème (mise en scène Lindy Hume) dirigée du 2 au 22 décembre (sauf le 12) par Andris Nelsons, accompagnant Madame (Kristine Opolais) dans Mimi avec Stephen Costello en Rodolfe et Anna Samuil en Musetta, ou même cette Agrippina de Haendel, mise en scène de Vincent Boussard (La Finta Giardiniera à Aix) et dirigée, mais oui, par René Jacobs, avec entre autres Bejun Mehta, Amex Penda, Dominique Visse, Jennifer Rivera pour trois représentations début mai. On reverra aussi avec plaisir La fameuse Traviata de Peter Mussbach présentée à Aix il y a une dizaine d’années, mais plutôt lors des représentations de juin: Massimo Zanetti dirigera et Christine Schäfer sera Violetta aux côtés de Charles Castronovo en Alfredo. Enfin on pourra découvrir l’opéra de Toshio Hosokawa, Matsukaze, pour trois représentations en février, dirigé par David Robert Coleman mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz avec Barbara Hannigan,  Charlotte Hellekant, Frode Olsen et enfin The Rake’s Progress dirigé par David Robert Coleman dans la production de Krzysztof Warlikowski pour trois autres petites représentations de mars 2013.
On le voit, à des prix plus que raisonnables, on n’a que l’embarras du choix devant des productions très travaillées du point de vue scénique, avec des distributions souvent stimulantes, et rien qu’avec la Staatsoper, on peut déjà comparer cette programmation au bord de la Spree, à celle à laquelle nous avons droit au bord de la Seine. La domparaison est déjà douleureuse, d’un côté idées, variété, nouveauté et de l’autre grisaille et conformisme , et l’on n’a pas encore parcouru la programmation de la maison d’en face, la Deutsche Oper dans sa salle moderne et froide (très années 60)  de 1900 spectateurs.

La Deutsche Oper Berlin

L’opéra lui-même s’est retrouvé être celui de Berlin Ouest pendant les années du Mur,

L’ancien Deutsches Opernhaus Berlin en 1912

mais sa création comme “Opernhaus de Chalottenburg” remonte à 1912, appelé par les nazis Deutsche Opernhaus. Le répertoire y est large, et le directeur musical actuel en est Donald Runnicles.

C’est un autre salle historique, qui concurrence la Staatsoper, l’opéra de Cour, à deux pas du palais impérial, qui fut pendant les années du Mur l’Opéra de Berlin Est.
Aujourd’hui par les hasards de la géographie et des théâtres disponibles de Berlin, les deux institutions bordent la Bismarckstrasse, l’une au numéro 35, l’autre au 110.
La Deutsche Oper a été très marquée par la période où l’intendant était le metteur en scène Götz Friedrich, à qui l’on doit le Ring de la maison, depuis plusieurs dizaines d’années, qui reste le pilier de référence du théâtre dans les beaux décors de Peter Sykora. En cette saison 2012-2013, la Deutsche Oper va présenter tous les opéras de Wagner à son répertoire, et en 2013-2014 deux fois le Ring, une série  en septembre, l’autre aura lieu en janvier 2014. C’est Sir Simon Rattle (qui ne fait pas de jaloux, dirigeant soit au Schiller Theater soit au Deustche Oper) qui ouvrira le premier cycle en septembre tandis qu’en janvier 2014 Donald Runnicles dirigera Rheingold (le 8) , Sir Simon Rattle Die Walküre (le 9), et Donald Runnicles Siegfried (10) et Götterdämmerung le 12 janvier. Dans la distribution, on note le Wotan de Marc Delavan (comme au MET) pour Rheingold et Walküre, et Terje Stensvold pour Wanderer, l’Alberich d’Eric Owens (comme au MET) pour Rheingold et Götterdämmerung, la Brünnhilde d’Evelyn Herlitzius (Walküre) et  de Susan Bullock (pour les deux autres jours), le Siegfried de Lance Ryan pour Siegfried et Götterdämmerung, la Sieglinde de Heidi Melton (hélas, c’était en septembre Eva-Maria Westbroeck), le Siegmund de Peter Seiffert, le Hagen de Hans Peter König, le Hunding de Reinhard Hagen, et  la Fricka de Doris Soffel, toujours vaillante. Notons enfin la Waltraute de Anne-Sofie von Otter. Une distribution plus inégale qu’à la Staatsoper, mais qui reste supérieure à celle de Paris par exemple.
Dans l’ensemble des opéras de Wagner présentés cette année (seul Der Fliegende Holländer est en version concertante présenté à la Philharmonie le 27 mai), rappelons le Parsifal dont il était question au début de cet article, dirigé par Donald Runnicles et avec Klaus Florian Vogt jusqu’à aujourd’hui, Clemens Bieber et Evelyn Herlitzius en janvier et Stephen Gould avec Violeta Urmana en mars, ce qui n’est pas si mal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl. Je conseillerais vivement d’aller voir l’une des trois représentations de Rienzi, production du même Philipp Stölzl en janvier prochain (Direction Sebastian Lang-Lessing avec Manuela Uhl dans Irene et Torsten Kerl dans Rienzi. ceux qui sont à Berlin vers le 22 décembre pourront aller entendre Tannhäuser, pour Christian Gerhaher dans Wolfram (seulement en décembre) et les amoureux de Tristan pourront venir en mars écouter Stephen Gould, Violeta Urmana, Hans Peter König (Peter Rose le 23 mars) et Samuel Youn, dans le Tristan und Isolde de Graham Vick dirigé par Donald Runnicles.

Deutsche Oper, la salle

A part cette fête wagnérienne, il faut reconnaître que la Deutsche Oper qui fête ses 100 ans cette année, ne propose pas des nouvelles productions d’un intérêt majeur, sauf peut-être un Peter Grimes, production de David Alden venue de l’ENO de Londres et dirigée par Donald Runnicles en janvier février avec Christopher Ventris et Micaela Kaune. Même la version concertante le 19 juin 2013 de Attila de Verdi (Pinchas Steinberg au pupitre avec Dalibor Jenis, Erwin Schrott et Liudmyla Monastyrska) n’est pas si stimulante, quant à Lucrezia Borgia en version concertante le 27 avril 2013 dirigée par Andriy Yurkevych, c’est une version pour nostalgiques avec Edita Gruberova entourée du très bon Alex Esposito et de Pavol Breslik .
Dans les reprises, il y aurait bien Les Troyens (mise en scène David Pountney) dirigés par Donald Runnicles, avec Ildiko Komlosi en Cassandre et Elina Garanca en Didon, mais la perspective de l’Enée d’ Endrik Wottrich est inquiétante, sinon impensable.
Pour le reste, beaucoup de Verdi de répertoire avec des distributions de répertoire, desquelles je tirerai un Otello avec Peter Seiffert, Lucio Gallo, Adrianne Pieczonka, dans la production d’Andreas Kriegenburg fin février début mars. J’ai noté aussi un Don Giovanni en janvier bien distribué avec Michael Volle dans le rôle titre et Alex Esposito dans son rôle fétiche, Leporello, ainsi que Patrizia Ciofi dans Donna Anna, mise en scène de Roland Schwab et dirigé par Guillermo Garcia Calvo.
Enfin, une Tosca dans la production plus qu’antique de Boreslaw Barlog, dirigée par Donald Runnicles, mais qui fera le plein en février (17,23,28) à cause de la Tosca d’Anja Harteros et du Mario de Massimo Giordano alternant avec Marcelo Alvarez.
Deux vraies raretés pour finir, une reprise de Jeanne d’Arc- Szenen aus dem Leben der Heiligen Johanna, de Walter Braunfels, fin novembre, dans la production de Christoph Schlingensief, dirigée par Matthias Foremny et Le Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch (1808 – 1865) en version concertante dirigée par Enrique Mazzola au Konzerthaus de Berlin avec Laura Aikin.
Une saison contrastée à la Deutsche Oper, qui n’a pas la tenue de celle de la Staatsoper, et dont la force est un répertoire solide, sur lequel s’appuie l’essentiel de la programmation.

La jolie salle de la Komische Oper

Reste la Komische Oper, qui vient de changer de mains: Andreas Homoki a laissé Berlin pour Zürich, et à sa place le metteur en scène échevelé, volontiers provocateur, Barrie Kosky. A la Komische Oper, tout le répertoire présenté est en allemand, et l’on propose aussi bien opéra, opéra comique, opérette, musical:  c’est une salle bien inscrite dans le paysage berlinois, avec un public fidèle et spécifique, notamment originaire de la partie est. C’est aussi le théâtre qui fut de Walter Felsenstein, puis de Harry Kupfer, et qui depuis quelques années a trouvé son chemin au milieu du paysage berlinois en proposant d’autres visions, d’autres voies, plus radicales, plus provocatrices. Sera-ce le prix de la survie, dans une ville endettée, au chômage endémique, où la profusion des opéras est toujours prise comme exemple de gabegie. c’est en tous cas un de mes lieux favoris à Berlin: même si l’on n’y entend que peu de vedettes, c’est presque toujours très respectable musicalement, et souvent particulièrement intéressant scéniquement pour ceux qui aiment les expériences, la nouveauté, et qui n’ont pas trop froid aux yeux.
La programmation (nouvelles productions et reprises) fait une large place à Barrie Kosky (on n’est jamais si bien servi que par soi-même), nouvel intendant et nouveau membre de l’Akademie des Künste (Académie des Arts), mais je commencerai par attirer l’attention sur des reprises qui sont des “must” de la maison, à commencer par Xerxès de Haendel dans la production hallucinante de Stefan Herheim, présentée l’an dernier et qui prend le chemin d’être un des succès énormes de la maison. C’est complet jusqu’à la dernière, le 4 décembre, mais on trouve toujours des places au dernier moment. Comme le système de répertoire réclame beaucoup de soirées à succès (il faut remplir à tous prix), Xerxès sera sans doute repris régulièrement les années prochaines. Le chef, Konrad Junghänel, est un très bon chef pour ce répertoire et les chanteurs sont parmi les meilleurs de la troupe, même s’ils ne sont pas des spécialistes du chant baroque (Stella Doufexis chante aussi bien Haendel que Bizet).

Xerxès de Haendel vu par Stefan Herheim

Stefan Herheim, un de mes metteurs en scènes favoris (on verra ses Meistersinger, production de Salzbourg, à l’Opéra Bastille dans les prochaines années), pose un regard au second degré sur l’opéra baroque à machines avec la complicité de sa décoratrice Heike Scheele: on en a plein les yeux!
Autre reprise qui ne peut que susciter l’intérêt, celle de l’Auberge du Cheval blanc (Im Weißen Rößl) de Ralph Benatzky, dans la version originale pour trois orchestres retrouvée il y a quelques années dont j’ai rendu compte dans ce blog.  Non seulement on y voit une version expurgée de toute influence américaine, mais aussi on y retrouve presque une musique bien proche de Kurt Weill: une opérette berlinoise qui attire tous les publics. A voir dans la mise en scène (réussie) de Sebastian Baumgarten et dirigée par Koen Shoots (4 représentations en décembre janvier).
En novembre, décembre et janvier on trouve également une reprise du très violent Freischütz de Weber, dirigé par Igor Budinstein,  mis en scène par Calixto Bieito qui met Max (Vincent Wolfsteiner) à nu pendant la moitié de la représentation.
L’année comprend aussi des cycles, un cycle Kurt Weill en janvier,  et un cycle Mozart en mai, ainsi qu’un festival fin juin début juillet qui reprend toutes les nouvelles productions de l’année. Dans le cycle Kurt Weill du 18 au 24 janvier, des versions semi-concertantes (Der Kuhhandel, arrangement de Barrie Kosky, dirigé par Antony Hermus), ou des reprises (Sieben Songs/Die sieben Todsünden, mise en scène Barrie Kosky, dirigé par Kristiina Poska avec Dagmar Manzel, vedette de la chanson et de l’opérette berlinoises en janvier février). Enfin, en février mars, l’un des gros succès de la maison, Kiss me Kate de Cole Porter, mise en scène Barrie Kosky et dirigé par Koen Shoots, spécialiste du musical.
Dans le cycle Mozart de mai, notons une reprise du Don Giovanni mis en scène de Peter Konwitschny avec Günter Pappendell, un bon chanteur, en Don Giovanni, la nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, mise en scène…Barrie Kosky (et Susanne Andrade) pour 20 représentations dans l’année depuis novembre dont 5 en mai, dirigée par Henrik Nánási, nouveau GMD de la maison qui succède à l’excellent Patrick Lange, avec le très bon Peter Sonn en Tamino. Barrie Kosky propose aussi une reprise de ses Nozze di Figaro (Die Hochzeit von Figaro), en mai juin, dirigé par Henrik Nánási et de Die Entführung aus dem Serail, déconseillé aux moins de 18 ans, si si, dans la mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kristiina Poska pour 4 représentations en mai.

Orfeo vu par Barrie Kosky

Dans les nouvelles productions, il faut retenir d’abord la Trilogie Monteverdi, mise en scène par Barrie Kosky (il n’arrête pas!), dans la version de Elena Kats-Chernin,  tantôt jouée en une journée, voir ci-dessus la journée du 4 novembre, tantôt en soirées séparées (direction André de Ridder) qui a été le spectacle d’ouverture de la saison, joué jusqu’ne novembre. Orpheus sera repris en mai, juin, juillet, Ulysse et Poppea seulement pour une soirée début juillet.
Encore en novembre puis fin juin, une version de Lulu de Berg revue et réorchestrée par Olga Neuwirth, American Lulu, en coproduction avec le London Opera Group, dirigée par Johannes Kalitzke et mise en scène par Kirill Serebrennikov.
Fin février et tout mars, (une représentation en avril et une début juillet ) une nouvelle production de Mazeppa de Tchaïkovsky dirigée par Henrik Nánási et mise en scène par Ivo van Hove (Macbeth à Lyon) qui devrait comme toujours à la fois faire polémique et proposer une vision nouvelle de l’œuvre assez rarement jouée et pourtant magnifique.
Enfin, Reinhard von der Thannen, le décorateur habituel de Hans Neuenfels, se lance dans la mise en scène et propose en mars Hänsel und Gretel, dirigé par Kristiina Poska, avec de nombreuses représentations en avril, une en mai, une en juin.
En juin justement, dernière production de l’année, une opérette-jazz spectaculaire créée en 1932 au Metropol Theater (ancêtre de la Komische Oper) à la fin de la république de Weimar renaît après 80 ans, Ball im Savoy du compositeur juif hongrois Paul Abraham, dirigé par Adam Benzwi et avec Dagmar Manzel.
Enfin, je signale aux amoureux de la musique grecque d’aujourd’hui la soirée du 8 avril où l’immense Maria Farantouri, chanteuse fétiche de Mikis Theodorakis, chantera Mikis Theodorakis et le compositeur turc-kurde Taner Akyol, auteur de l’opéra pour enfants Ali Baba et les quarante voleurs (Ali Baba und die 40 Räuber) créée en nouvelle production (en allemand et en turc)  à voir cette année jusqu’à décembre, dirigé par Kristiina Poska , et mis en scène par Matthias Davids.

Bien des choses à voir à Berlin entre novembre et juillet, un peu à la Deutsche Oper, beaucoup à la Staatsoper, et beaucoup aussi à la Komische Oper: il faut essayer de combiner tout cela ou bien prendre un appartement à Berlin en résidence secondaire!

Il reste que la curiosité est bien stimulée, notamment de février à juin. J’avoue, outre le Ring de la Staatsoper, être fortement tenté par l’opérette Ball im Savoy et par Mazeppa, sans compter la Traviata de Mussbach -combinable avec Ball im Savoy en juin). En bref, plusieurs voyages à Berlin s’imposent: par chance Berlin est une ville abordable et les prix de ses théâtres également. Sans doute à choisir parmi toutes les villes européennes, Berlin s’impose comme premier choix pour la qualité, la variété, l’originalité de l’offre et aussi par l’agrément de la ville, l’une des plus ouvertes et agréables en Europe aujourd’hui. Que de choses nous apprennent les scènes berlinoises!
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DEUTSCHE OPER BERLIN 2009-2010 le 30 janvier 2010: RIENZI de Richard Wagner (Dir.Mus: Sebastian LANG-LESSING, Ms en scène: Philippe STÖLZL)

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Photo: Bettina Stöß

Où aujourd´hui monte-t-on Rienzi, ce monument du Grand Opéra dont Hans von Bülow disait qu´il était le “l´opéra le plus réussi de Meyerbeer” ? Il faut faire le voyage de Berlin, enneigée jusqu´à la garde, pour découvrir cette nouvelle production à l´occasion des semaines que le Deutsche Oper dédie à Richard Wagner, dirigée par Sebastian Lang-Lessing et mise en scène par Philippe Stölzl, qui attire une grande affluence de public et évidemment des discussions infinies sur les choix de la mise en scène et les coupures du chef, puisque l’oeuvre qui dure normalement 5h15, en est à peine réduite à  3h (Sawallisch à Munich en 1983 l’avait réduite à 4h…). Dans le cas d’une oeuvre qu’on peut voir à peu près tous les trente ans, j’estime qu’il vaut le coup de monter l’intégrale sans coupures même au prix d’efforts terribles des des artistes (et quelquefois peut-être du public) et en dépit des coûts de l’entreprise. Dans le programme, le chef justifie son choix par l’impossibilité de monter aujourd’hui ce type d’oeuvre (avec un ballet de 40 minutes de belle musique!) et par l’ignorance en Allemagne de ce qu’est le Grand Opéra à la Meyerbeer. Par ailleurs, le metteur en scène qui vient du monde du cinéma en a fait une sorte de “montage” destiné à clarifier l’intrigue et à en donner une lecture linéaire, vidée de ses méandres qui risquent de perdre le spectateur. Sebastian Lang-Lessing insiste sur l’italianité de cette oeuvre et pourtant rien de plus “germanique”, oserais-je dire “teuton” au très mauvais sens du terme, que la manière d’aborder cet opéra pour cette fois, tant à l’orchestre, beaucoup trop fort, trop livré aux cuivres, sans aucune subtilité – on a appelé le chef Lang-Lessing “Laut”-Lessing (laut en allemand signifiant “fort”) qu’à la scène, où Stölzl, propose en fin de compte une lecture au prisme de la folie nazie, ce qui n’a rien d’original vu l’imposante théorie de mises en scènes allemandes depuis les années 70 où les nazis sont mis à contribution.

Certes, cette histoire s’y prête bien, qui raconte l’ascension et la chute du tribun romain Cola di Rienzo lequel, profitant de la présence de la papauté à Avignon au XIVème siècle, réveille les plébeiens de Rome au nom de l’antique gloire de la ville éternelle  et les entraîne à la victoire, puis à la guerre et à la misère. A cette trame assez linéaire du type “Grandeur et décadence” ou “résistible ascension..” s’ajoutent des amours problématiques: sa soeur Irène est amoureuse du fils du chef de la famille aristocratique ennemie  des Colonna (Adriano) à quoi s’ajoute une relation trouble entre le frère et la soeur (Wagner aime décidément els amours incestueuses, voir Walküre…). En fait c’est une trame qui n’est pas sans rappeler par certains aspects  Simon Boccanegra, mais d’un Boccanegra moins politique, moins stratégique, et plus fragile et livré aux affects.

Vocalement, les exigences sont fortes, des basses profondes, un rôle de ténor redoutable (un Florestan mâtiné de Max…rien moins), un travesti mezzo soprano qui exige puissance et engagement, et un soprano lirico spinto de style italien dit Lang-Lessing, un mélange redoutable de Senta,  et d’Elvira d’Ernani… qui exige une voix dynamique, une couleur et un style italiens, et la puissance d’une Senta.

La distribution est très contrastée: le Rienzi de Torsten Kerl est vraiment irréprochable, malgré une voix un peu resserrée au début notamment, il est le personnage voulu (une sorte de Goering) et il est aussi solide dans les parties héroïques que dans les parties plus lyriques, notamment à la fin.

Kate Aldrich dans Adriano est exceptionnelle : elle a tout, engagement, puissance, élégance, style, présence: c’est une magnifique découverte d’un mezzosoprano qui à n’en pas douter, est promis à une grande carrière.

Camilla Nylund dans Irène déçoit profondément: la voix est tendue, manque de puissance, mais surtout, est incapable d’expression: son chant est plat, le personnage inexistant et la voix est complètement engloutie dans les ensembles. Déjà elle nous avait déçu dans Salomé à Paris (voir ce même Blog en novembre dernier), cette fois-ci elle nous agace,  la déception est fortement confirmée.

Le reste de la distribution ne nous semble pas vraiment à la hauteur (sauf lpeut-être le Steffano Colonna de Ante Jerkunica ou le Baroncelli de Clemens Bieber ) et les choeurs gigantesques sont corrects, sans plus.
Nous avons souligné la “manière forte” avec laquelle Lang-Lessing lit la partition. On a l’impression qu’il a choisi les seuls passages fortissimos et que tous les moments lyriques ont été sacrifiés, mais l’orchestre est en place, bien préparé, notamment les cuivres.

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Photo: Bettina Stöß

Et la mise en scène? Philipp Stölzl (qui signe ce travail avec sa collègue Mara Kurotschka) a choisi d’en faire une parabole du pouvoir totalitaire, qui aveugle et écrase les valeurs. L’ouverture se joue à rideau ouvert où une pantomime se déroule sur scène, très inspirée de l’univers de Chaplin dans Le Dictateur, dès la première scène, les choeurs portent des masques qui renvoient à  l’expressionnisme des tableaux de Munch, Max Bechstein ou de Otto Dix, dans des décors qui renvoient à Metropolis de Fritz Lang . Très marqué par l’univers du cinéma et désireux de donner une sens à la narration, on comprend vite ce que Stölzl veut construire: le peuple quitte les masques pour les uniformes, et Rienzi asseoit son pouvoir et sa dictature en faisant faire le sale boulot par “le peuple” qui écrase les complots aristocrates. La fin de la première partie est un triomphe. La deuxième partie est une chute: le peuple est fatigué de la guerre, il ne suit plus son chef que contraint et forcé, et Rienzi, enfermé dans un Bunker (tiens tiens)  devient de plus en plus solitaire au milieu des maquettes de sa nouvelle Rome, qui ressemble à s’y méprendre à la Berlin rêvée d’Albert Speer… On pense au film La Chute, de Oliver Hirschbiegel avec Bruno Ganz. Le personnage d’Irène, sorte d’Eva Braun très pâle et vaguement ridicule, choisit de s’enfermer avec lui.

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Photo: Bettina Stöß

Tout fonctionne, parce que l’histoire est très emblématique de la montée d’un dictateur, de l’oubli des promesses, du culte de la personnalité: le spectacle est donc recevable, se laisse même voir  avec  plaisir, le décor d’Ulrika Siegristest est impressionnant, les vidéos qui rappellent évidemment l’univers des  films de Leni Riefenstahl (Momme Hinrichs et Torge Møller) très ironiques et particulièrement bien réalisées et insérées dans le travail scénique…mais ce travail qui répétons-le fonctionne, est trop démonstratif, trop didactique, manque de finesse (il est vrai que la finesse n’est pas vraiment la qualité du dictateur) ou de travail psychologique: l’allusion à l’inceste en fin de spectacle n’est pas vraiment préparée, les personnages sont tout d’une pièce. Tout cela laisse un peu insatisfait, avec la certitude qu’une autre voie était possible, où le passé nazi n’aurait pas encore une fois servi à l’édification des foules allemandes…

Il reste que j’ai passé une excellente soirée: il y a beaucoup de notes (et de belles notes) dans Rienzi, on y sent la fougue de la jeunesse, l’explosion du génie, on y reconnaît des phrases futures de Lohengrin (les cuivres) ou du Vaisseau (la scène finale), Wagner se construit, mais j’ai entendu la moitié de la construction: j’attends la version complète.