BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013 – FRÜHWERKE/OEUVRES DE JEUNESSE: QUELQUES QUESTIONS SANS RÉPONSES

Programme de salle, couverture

La présentation des œuvres de jeunesse de Richard Wagner s’est terminée à Bayreuth avec Das Liebesverbot du 14 juillet dernier. Même si je n’ai pas vu Die Feen en juillet, j’avais vu cet opéra à Leipzig en février dernier, avec la même distribution ou peu s’en faut, le même chef et le même orchestre; je renvoie donc le lecteur au compte rendu de ce spectacle. On peut dire que l’initiative est un succès musical, malgré les inévitables imperfections sur des œuvres peu jouées et peu familières aux artistes. Rienzi a bénéficié de la présence de Christian Thielemann et d’une distribution internationale, mais c’est Das Liebesverbot qui reste l’opération la plus réussie, au total, avec une exécution de qualité et une mise en scène habile et intelligente, pour une œuvre qui contrairement aux deux autres, n’a pas bénéficié de productions récentes dans les théâtres européens et qui donc est une vraie surprise.
Mais on devait bien se douter qu’avec des chefs reconnus ou prometteurs, un orchestre aussi prestigieux que le Gewandhaus de Leipzig et la garantie du partenariat d’un opéra solide comme l’Oper Leipzig, la qualité artistique (exception faite de la mise en scène de Rienzi, superficielle et bâclée) ne ferait pas défaut.

La question est ailleurs, les questions devrait-on dire, qui se posent après le relatif échec commercial de cette programmation, et les erreurs de marketing qui l’accompagnent.
Partons déjà de la question posée par la qualité artistique: quand on propose des places au prix maximum de 500€, c’est à dire le billet d’opéra le plus cher du marché (plus que Salzbourg) , peut-on admettre une production de Rienzi aussi insignifiante? Certes, il s’agit d’une production qui ne sera pas reprise, faite ad-hoc pour un lieu qui lui, n’est pas ad-hoc pour l’opéra! Justement, qu’est-ce qui justifiait des prix aussi élevés pour une manifestation dans une salle de sport, à 2km du Festspielhaus?
Adéquation lieu, programme, prix et image…voilà la principale série de points d’interrogations.
On pourra discuter à l’infini du lieu choisi pour cette programmation exceptionnelle. Quelles qu’en soient les motifs, il me semble qu’on aurait du mal à convaincre un public qui paie de 100 à 500€ de venir à Bayreuth sans aller au Festspielhaus. En terme d’image,  le Festival de Bayreuth, c’est d’abord le Festspielhaus. Mais l’amener dans une grande salle de sport, aménagée de manière partielle, sur des sièges de plastique, sans un minimum de rituel festivalier (les fanfares de fin d’entracte remplacées par une sorte de coup de casserole, par exemple), et croire que le public va venir seulement parce qu’on est à Bayreuth, c’est vraiment faire une grossière erreur de jugement. Le public qui paie en veut évidemment pour son argent. Et là, à l’évidence, il n’en a pas pour son argent.
La motivation pour venir à Bayreuth, c’est évidemment le théâtre: c’est d’ailleurs très largement le motif pour lequel le festival n’a pas besoin de gros efforts de marketing pour attirer le public et pour lequel la demande est infiniment supérieure à l’offre. L’erreur vient peut-être que les organisateurs ont cru qu’il suffirait d’afficher « Bayreuth » et « Thielemann » pour mettre en branle les longs cortèges de visiteurs. Si au moins dans l’offre une soirée avait été prévue dans le théâtre (pour un concert par exemple) je suis sûr que la réponse du public  aurait été différente, a fortiori si l’on avait programmé dans la salle du festival les mêmes œuvres en version concertante, sans orchestre en fosse (puisque, dixit Thielemann, elles ne conviennent pas à la fosse de Bayreuth) et à n’importe quelle date (par exemple au moment de la Pentecôte, autour de la date anniversaire du 22 mai).

Sans Festspielhaus, il aurait fallu pour attirer le public développer une politique marketing particulièrement ciblée, et conquérir, aller chercher ce public « avec les dents » comme dirait l’autre alors que ce festival a l’habitude d’un public captif qu’il n’a jamais eu besoin d’aller chercher. D’où évidemment la difficulté notable et le résultat pour le moins contrasté.
On reste assez colère de voir des rangs entiers vides (y compris pour Rienzi qui affichait Thielemann) les gradins latéraux (places les moins chères) remplis à peine à 10% et on se pince en se disant « je suis à Bayreuth ».
Défaut de marketing, manque d’initiative pour vendre au dernier moment, repli sur une politique minimale dès qu’il a été clair qu’on ne remplirait pas, tout cela est si évident qu’on se demande s’il n’y a pas là de propos délibéré. Pourquoi programmer en fanfare il y a un an les « Frühwerke » pour ensuite proposer un site mal identifié, mal fichu, mal affiché, avec des plans de salle ne permettant pas de voir les places libres, un site qui ne met pas en avant les qualités de l’offre et qui n’est pas clairement en lien avec le site officiel du Festival. Déjà, il y a là un mystère.
Mystère qui s’épaissit lorsqu’on est sur place, à Bayreuth: on trouve peu d’affichage ou de publicité, des indications parcellaires du lieu des représentations , et sur le site du Festspielhaus, où l’on  va quand même en pèlerin, parce qu’on ne peut aller à Bayreuth sans au moins y faire un tour, aucune allusion à ce qui se passe plus bas .
Sur place, à l’Oberfrankenhalle, à part le kiosque à bière et à saucisses, une billetterie discrète, un étal pour vendre disques et « souvenirs » wagnériens (tee shirts et autres joyeusetés), il reste des indications peu claires sur les places (rangs etc…), pas la moindre décoration un peu festive ni dehors ni dedans (sinon des fanions des sponsors) et une salle inadéquate aménagée avec un gradin central entouré des gradins latéraux à peu près vides, et  les places les plus chères dans les premiers rangs, sans recul, sans vision un peu globale du dispositif.

Mise en page du résumé de l’action de Das Liebesverbot

Quant au matériel d’accompagnement du spectateur, je veux parler du programme de salle on reste bouche bée, on reste incrédule: un programme commun aux trois œuvres, au graphisme faussement contemporain, avec des distributions écrites en une police si réduite que la lecture en est difficile (en plus en blanc sur fond gris) avec des élégances graphiques qui rendent certaines pages illisibles, un graphisme et une mise en page différentes à chaque page, le pompon étant le résumé de Das Liebesverbot où alternent ligne à ligne le résumé du premier acte et du second acte: autrement dit (si je n’ai pas été assez clair ): ligne 1 premier acte ligne 2 second acte ligne 3 premier acte etc…. Où certains textes sont en anglais seulement et d’autres en allemand seulement, sans cohérence, sans rien pour clarifier, alors que ces programmes se devaient d’éclairer le public pour qui ces œuvres sont très peu connues. J’ai renoncé à le lire, c’est une entreprise vaine tant on fatigue, mais je le tiens à disposition de qui douterait de ma bonne fois ou penserait que j’exagère un peu.
Hélas, j’aimerais avoir un peu d’humour, mais j’ai tellement ce lieu dans la peau, ce festival dans mon cœur que je suis plutôt à la fois stupéfait et désolé. Certes, le matériel habituel du festival n’est pas d’une qualité notoire (design, contenus) : les programmes de Munich, ou même tout simplement de Paris sont bien plus détaillés et bien mieux faits. Mais sur ce coup là comme on dit, tous les records sont battus: personne dans le management n’a pu arrêter ce projet graphique absurde?
Alors on se pose des questions: pourquoi si peu de publicité, pourquoi si peu de marketing, pourquoi cette impression de Bayreuth du pauvre malgré le soleil éclatant? Certes, on peut penser que l’absence de remplissage de la salle a induit une limitation des disponibilités financières, mais il semble qu’on ait aussi bien manqué de compétences techniques, managériales, d’organisateurs efficaces: vu le résultat, tout se passe comme si le Festival voulait se faire tout petit, alors que le produit présenté était de qualité, pouvait valoir le déplacement, même dans une salle à l’acoustique pas toujours convaincante. Le mystère reste pour moi la contradiction entre des prix exagérés et une offre qui en rien ne les justifiait, même si elle était de qualité. Ce pouvait être au contraire l’occasion pour attirer un public qui ne vient pas habituellement, avec des prix attractifs avec une ambiance alternative, plus « cool »(et peut-être dans le package une visite du Festspielhaus, malgré la fermeture jusqu’en septembre pour répétitions – il n’y pas si longtemps, le Festspielhaus se visitait le matin avant 10h en temps de Festival ) .
Obtenir un résultat aussi contrasté quand on a de l’or dans les mains (Bayreuth, Wagner, Thielemann,Gewandhaus), comme on dit, il faut le faire. C’est une vraie question sans réponse. Simplement je ne comprends pas que ce qui était évident pour les gens du public avec lequel j’ai pu échanger ne l’ait pas été à un niveau plus haut. Je ne comprends pas.

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BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013: RIENZI de Richard WAGNER (Ms en scène: Matthias von STEGMANN, Dir.mus: Christian THIELEMANN)

 

Dispositif scénique, en construction

 

Une année anniversaire est toujours l’occasion d’exhumer des oeuvres moins connues de l’artiste célébré pour explorer l’ensemble du corpus. Pour Wagner se pose de manière récurrente la question des oeuvres de jeunesse qu’il a « reniées », qu’on joue peu ou pas. Les uns en interpellent la qualité musicale, pour le moins discutée, les autres la difficulté (notable au niveau du chant) et donc d’une certaine manière le rapport investissement vs. résultat. La question a été depuis longtemps réglée à Bayreuth, puisque ni Die Feen, ni Das Liebesverbot, ni Rienzi n’ont droit de cité dans le Festival.
De manière récurrente aussi et notamment lors des débats sur la direction artistique, se pose la question du fonctionnement du théâtre, des oeuvres à y jouer, par exemple « Rienzi ou pas? » voire « Wagner et d’autres? ».  Pour ce bicentenaire, la direction artistique a choisi, pour la première fois, de donner un espace aux oeuvres de jeunesse, dans un jeu de dedans-dehors qui montre clairement la valse hésitation qui a dû à un moment occuper la programmation de ces célébrations.
Dedans:  la direction du Festival a décidé de programmer sur ses fonds propres et sans subvention spécifique (mais avec des sponsors) les trois opéras en question en collaboration (et coproduction) avec l’opéra de Leipzig (Oper Leipzig), ville natale de Wagner et donc référence en cette année de bicentenaire de la naissance (1813). Ce sont les forces du théâtre qui officient, choeur de l’opéra, et Gewandhaus Orchester. L’avantage est évident, les répétitions et tout le travail de préparation peut avoir lieu à Leipzig, à un moment où Bayreuth est pris par toute la préparation du Festival (et ne peut donc mettre à disposition les forces afférentes, orchestre et choeur, mais aussi techniciens).
Dehors: il n’est pas question, pour des raisons symboliques et aussi techniques (préparation et répétitions, occupations des espaces) de jouer dans le théâtre des Festivals (Festspielhaus) à cette époque de l’année: les répétitions musicales de Bayreuth sont brèves: 3 semaines pour 7 opéras, et avec un nouveau Ring, la pression est encore plus forte. Il faut donc jouer ailleurs. Et à Bayreuth, l’ailleurs se réduit à trois lieux:
– l’opéra des Margraves, joyau de l’architecture théâtrale baroque du XVIIème siècle, actuellement en restauration pour plusieurs années (étonnant de commencer les restaurations l’année du bicentenaire de Wagner, sensée drainer un flux touristique plus marqué) et de toute manière trop petit pour l’énorme machine wagnérienne,
– la Stadthalle, peu idoine pour de très grosses productions
– L’Oberfrankenhalle, un espace qui peut accueillir aussi bien des concerts pop que des matches de basket ou de Hand Ball, et qui pour l’occasion et pour la première fois accueille deux productions (Rienzi, Das Liebesverbot) et une version concertante de Die Feen (joué par l’Opéra de Leipzig ce dernier hiver, voir le compte rendu dans ce site).
Le public qui ressemble vu de loin à celui du Festival, trottine donc après le parking à trois étages en passant devant la piscine couverte, puis devant la patinoire, et arrive à l’Oberfrankenhalle,  béton, métal, saucisses (à 2,50 € au lieu des 4  ou 5 € pratiqués sur la colline sacrée: on sent bien qu’on est dehors), bière et Coca: Bayreuth chez le populo.
Et tout le monde de soupirer, à 1 km de là le Festpielhaus, espace interdit et tant désiré, et  de demeurer surtout frappé par  une communication peu claire, le Festival s’affichant à peine, (Wagnerjahr 2013):  dans le programme de salle, pas un salut de la direction artistique du Festival, sur les affiches, il est à peine signalé, et même si les billets d’entrée sont les mêmes qu’au Festival, on sent bien que l’administration  peine à s’afficher franchement, comme si elle avait un peu honte ou qu’elle voulait (pour quelle raison?) rester à la marge.

La salle en salle de sport

La salle (un grand hall de sport) avec ses gradins latéraux fixes et ses gradins provisoires de face est loin d’être pleine (curieusement les places les moins chères sont vides) pour ce Rienzi pourtant dirigé par Christian Thielemann, sensé ramener les foules sur son nom (d’ailleurs les affiches titrent sur Christian Thielemann, comme s’il dirigeait tout alors qu’il ne dirige que Rienzi, les autres chefs étant Constantin Trinks (Das Liebesverbot) et Ulf Schirmer (Die Feen).

On peut penser que si les trois opéras, même en version concertante, avaient été donnés dans le Festspielhaus, et même à un autre moment de l’année, on aurait affiché complet. mais Thielemann explique dans le programme qu’il se refuse à jouer autre chose que les dix opéras traditionnels dans le Festspielhaus.  J’oubliais un détail qui a son importance: les places sont chères, très chères même (jusqu’à 500 € pour quelques unes), plus chères qu’au festival comparativement (ce qui s’explique puisque l’opération n’est pas subventionnée, mais ce qui n’encourage pas le public à faire le déplacement à moins que le rapport qualité/prix soit à l’avantage de la qualité.

La façade qui fait rêver…

Ce Rienzi est musicalement solide et scéniquement indigent, c’est donc relativement mal parti.
L’histoire de Rienzi  prend place dans l’agitation politique à Rome aux temps de la papauté d’Avignon, où la ville éternelle est en proie aux appétits des familles nobles, au désir d’une certaine partie de l’Eglise de quitter Avignon, et aux atermoiements d’un peuple qui se cherche des héros. La situation ressemble assez à celle décrite par Verdi à Gênes dans Simon Boccanegra, doge presque malgré lui, dont les efforts consistent à apaiser les conflits et notamment celui qui l’ oppose aux aristocrates, lui dont la fille (Amelia) qu’il a retrouvée par hasard est amoureuse d’un des porte-drapeau de la noblesse (Gabriele Adorno). Dans Rienzi, c’est la soeur de Rienzi, Irene, qui est amoureuse d’Adriano, le fils de Steffano Colonna, qui lui essaie de s’interposer dans les luttes entre Rienzi et les familles aristocratiques: on a donc une même structure Simon/Rienzi, Amelia/Irene Gabriele/Adriano. Seule différence, de taille, tout le monde meurt à la fin chez Wagner, tandis que chez Verdi, le Doge meurt, mais dans une Gênes pacifiée.

Une scène de foule

C’est que l’opéra de Wagner est déjà un objet « politique ». Dans un XIXème fils de la révolution française, les oppositions idéologiques sont fortes, notamment dans une Allemagne encore morcelée, aux mains de princes et de roitelets divers, pendant que couvent les désirs d’une bourgeoisie et de peuples inspirés par le souvenir de la révolution française et du passage des armées napoléoniennes notamment en Rhénanie- Palatinat. Wagner analyse un de ses motifs favoris, celui de l’homme providentiel (Lohengrin, Parsifal), qui, accueilli en héros, est bientôt rejeté par ceux-là même qui l’ont porté au pouvoir. Rienzi, monté au sommet avec la bénédiction de l’église, et contre la noblesse, est bientôt rejeté, excommunié, puis détruit. On peut en faire un héros positif et charismatique, mais on peut en faire aussi un « populiste » perverti par le pouvoir qui finit victime de lui même.
Philipp Stölzl à Berlin (Deutsche Oper) avait travaillé la version populiste en s’appuyant sur une référence cinématographique, Le Dictateur de Chaplin et une référence historique, Adolf Hitler et le nazisme (avec des allusions à la Germania d’Albert Speer) et la production avait une grande cohérence et une grande séduction (voir le compte rendu dans ce site).
Mise en scène? Vous avez dit mise en scène? Matthias von Stegmann signe une mise en images (pauvres), une mise en espace (réduite à l’os) qui permet (à peine) de souligner les détails de l’intrigue, mais qui laisse pour une grande part les chanteurs livrés à eux-mêmes, quand c’est Daniela Sindram, merveilleuse Adriano, c’est positif, quand c’est l’Irene un peu pataude de Jennifer Wilson, c’est déjà plus problématique. Certes, on peut souligner la difficulté inhérente au lieu: une scène large, mais sans dessous ni hauteur, permettant des déplacements de décors exclusivement latéraux, un orchestre à niveau sans fosse, obligeant le chef à être assis, sinon il masque les chanteurs (oui oui, on est…à Bayreuth!). Pauvres spectateurs des premiers rangs (et des prix les plus chers) qui doivent affronter un son brouillé, une vision obstruée, et un manque de recul!

Dispositif scénique

Pas de vraie mise en scène (entendue comme lecture), mais une plate reproduction du livret, sans travail d’acteur, sans travail sur les foules (systématiquement le choeur est face au chef, se plaçant face au public comme pour la photo), le tout en costume de ville pour faire moderne, avec quelques vidéos (pour faire archi-contemporain) qui montrent la Oberfrankenhalle comme un lieu de rassemblement populiste (une sorte de Nuremberg en salle), des costumes d’aujourd’hui ( de Thomas Kaiser) des décors (Matthias Lippert, qui signe aussi les vidéos) qui évoquent le Colisée (on est à Rome) ou les thermes de Caracalla (deux murs verticaux latéraux qui rappellent la scène en plein air utilisée pour la saison d’été de l’Opéra de Rome), quelques escaliers et une reproduction des gradins de la Oberfrankenhalle, le tout avec quelques projections et lumières colorées. La messe est dite: pour son entrée sur le territoire de Bayreuth, ce Rienzi n’entrera pas dans la légende, une entrée et sortie par la petite porte. Sans doute ce travail est-il rapide et destiné à l’oubli: Leipzig a une production de Nicolas Joel et aucun théâtre ne reprendrait un spectacle aussi insuffisant.
Il en va autrement de la musique. L’Orchestre du Gewandhaus, malgré quelques petits problèmes aux cuivres quelquefois, dirigé (pour la première fois à ma connaissance) par Christian Thielemann est très bien préparé (il l’a déjà joué à Leipzig pendant la saison, mais sans Thielemann), direction précise, nerveuse, bien calibrée (encore que l’acoustique de la salle renvoie  un son souvent brouillé, où les pupitres sont mal distingués), rythmée, pleine de relief et de dramatisme. Thielemann semble très à l’aise dans ce type de répertoire: m’est avis qu’il pourrait avec profit se diriger vers Weber, Schubert (Fierrabras) ou même…pourquoi pas, Meyerbeer voire Berlioz vu ce que j’ai entendu hier soir:  pourquoi pas un Benvenuto Cellini ou des Troyens? Avec une telle direction, l’oeuvre est portée, servie, valorisée, si bien qu’on se demande pourquoi malgré ses longueurs (et bien qu’elle ait été encore coupée à la représentation, trop à mon avis: pour une fois, à Bayreuth, on pouvait OSER la version intégrale), l’oeuvre n’a pas un vrai destin dans les grands théâtres.
Le choeur de Leipzig, très sollicité, s’en sort avec les honneurs: on peut rêver de l’effet qu’il aurait pu produire dans la salle du Festspielhaus.
Les solistes rassemblés (grands solistes internationaux et membres de la troupe de Leipzig) forment un ensemble très solide, homogène: les rôles de complément sont tenus avec honneur (par exemple le Cardinal Orvieto de Tuomas Pursio, mais aussi le Paolo Orsini de Jürgen Kurth ou le Steffano Colonna de Milcho Borovinov).
Robert Dean Smith (Rienzi) donne toujours l’impression de relative fragilité, à cause de cette voix claire qui semble toujours a priori insuffisante pour les rôles écrasants qu’il tient (Tristan!) et au bout du compte, il tient toujours la distance, avec élégance, avec vaillance aussi. Il a un timbre qui me rappelle René Kollo, et dans Rienzi non seulement il tient la distance (avec quelques traces de fatigue à la fin dans sa fameuse prière néanmoins exécutée avec honneur) mais fait preuve de vaillance, avec de beaux aigus (premier acte) même si la présence scénique et le charisme font quelquefois défaut. Il reste un Rienzi qui peut faire référence désormais, à côté de celui de Torsten Kerl.
Le cas de Jennifer Wilson est très différent. J’ai aimé naguère à Valencia sa Brünnhilde, qui me rappelait les grandes Brünnhilde d’antan. Je pense même que c’est une vraie voix pour Brünnhilde, avec une couleur très différente de celle nécessaire pour Sieglinde par exemple. Pour Irene, il faut des aigus triomphants, mais il faut aussi un style qui se rapproche d’une Leonore de Fidelio, avec une voix ductile, une capacité à moduler, à cadencer, une voix douée de puissance, de volume, et aussi et surtout de souplesse (comme c’est difficile de trouver les trois en une): Jennifer Wilson n’a pas la souplesse: dès qu’il en faut tant soit peu, dès qu’il faut un tant soit peu d’agilité aussi, la voix devient problématique, avec des sons fixes, et quelquefois ratés; mais les aigus et les suraigus sont larges, bien posés, avec un bel appui sur le souffle. Dès qu’elle monte à l’aigu, la voix immense domine largement les ensembles et l’on entend des notes d’une grande beauté. Pour le reste, c’est un peu brut, et manque singulièrement de lyrisme voire de style.

Daniela Sindram (Adriano)

Quand on écoute Rienzi, on est surpris car le rôle qui nous marque n’est pas tant Rienzi ni Irene, mais celui d’Adriano. Sans Adriano d’exception, pas de grand Rienzi. C’est le rôle de référence (donné à la création à Wilhelmine Schröder-Devrient). Il exige intensité, volume, souplesse, ductilité, aigus, graves, couleur. Daniela Sindram, native de Nuremberg, qui conduit désormais une carrière en free lance après avoir été en troupe dans de nombreux théâtres allemands (et à la fin à Munich) est tout à fait extraordinaire dans Adriano; elle laisse loin derrière elle Kate Aldrich, dont j’avais pourtant apprécié la prestation à Berlin.

Daniela Sindram, travesti extraordinaire

Elle a d’abord la présence scénique, elle campe un travesti confondant de vraisemblance, elle a ensuite la voix, tant les aigus redoutables que la souplesse et le style: jamais un vilain son, la voix toujours bien posée, toujours projetée, toujours bien appuyée sur le souffle. Une prestation de référence. Il sera difficile de s’en passer si un théâtre veut remonter Rienzi. C’est elle qui emporte tout et notamment les hurrahs du public.

Au total, et malgré les défauts de communication, une réalisation scénique un, deux ou trois tons en dessous, malgré le lieu sinistre des représentations, malgré l’éloignement mental du Festspielhaus,  la réalisation musicale est vraiment de premier plan, le niveau général tout à fait remarquable, et dans un théâtre à l’acoustique seulement normale, un tel travail musical aurait fait date. Même si on aurait aimé dans ce lieu avoir droit à un Rienzi complet, sans coupures. Mais Thielemann argue du fait de ne pas avoir eu le temps d’y travailler suffisamment et promet pour plus tard un Rienzi complet avec ballet. Mais n’est-ce pas le rôle d’une direction artistique de décider quelle version proposer? Voilà un Rienzi de référence condamné à la petite porte, un peu victime de l’organisation artistique du festival et des erreurs de marketing patentes, ainsi que des prix extravagants, tout cela en porte la lourde responsabilité. Coup d’épée dans l’eau: une épée en diamant dans une eau trouble.
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Dispositif (Plan)

BAYREUTH 2013: LE VOILE EST LEVÉ: LA DISTRIBUTION DU RING EST COMPLÈTE

L’organisation du Festival de Bayreuth 2013, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. est désormais connue.

Les cérémonies anniversaires le 22 mai 2013 seront marquées par un concert de l’orchestre du Festival de Bayreuth au Festspielhaus, dirigé par Christian Thielemann (extraits de Walküre -Acte I- de Götterdämmerung, de Meistersinger et même de Rienzi, dont les notes sonneront pour la première fois sous le toit du Festspielhaus.) concert suivi d’une fête dans la ville.
Note: Ce programme originel a été modifié: Walküre -Acte I-, Tristan und Isolde, prélude et Mort d’Isolde, Götterdämmerung, marche funèbre, Meistersinger ouverture. Exit Rienzi, la seule originalité. Dommage.

L’un des enjeux étant les représentations des œuvres de jeunesse de Richard Wagner dans une saison qui devrait en afficher l’intégrale, ces œuvres seront présentées en coproduction avec l’Oper Leipzig (lieu de naissance de Wagner) qui les affichera en 2012-2013 (Die Feen) ou en 2013-2014 (Das Liebesverbot)
Si l’on ne touche pas au Festival et si les œuvres de jeunesse n’y seront pas jouées, et surtout pas dans la salle du Festspielhaus, elles seront donc présentées pendant la première quinzaine de juillet (du 7 au 14 juillet)  dans la « Oberfrankenhalle » à Bayreuth, en version concertante (Die Feen, le 9 juillet 2013, direction musicale: Ulf Schirmer) ou en version scénique:
– Das Liebesverbot les 8, 11, 14 juillet 2013, direction musicale: Constantin Trinks mise en scène: Aron Stiehl
– Rienzi les 7, 10 et 13 juillet, direction musicale: Christian Thielemann mise en scène: Mathias von Stegmann

Attention, réservation en ligne à partir du 27 juillet 2012, 18h00, premier arrivé, premier servi.
Diverses manifestations, concours (y compris un concours de rap à partir de textes de Richard Wagner) , colloques, films, émaillent la saison du Festival. Le Festival affichera une nouvelle production du Ring des Nibelungen dans une mise en scène de Frank Castorf, et une direction musicale de Kirill Petrenko,et voici quelques éléments de distribution: Brünnhilde devait être Angela Denoke, elle a renoncé et l’administration du Festival a trouvé une remplaçante, ce sera pour tout le cycle Catherine Foster.  Wolfgang Koch sera Wotan et le Wanderer, Lance Ryan et Johan Botha seront Siegfried et Siegmund (ils ont déjà tenu ces rôles lors de la dernière année du Ring précédent), Anja Kampe Sieglinde et Martin Winkler Alberich. Notons aussi l’excellent Iain Paterson comme Gunther et Attila Yun comme Hagen et Franz-Josef Selig comme Hunding.

Frank Castorf dans une interview au journal Die Welt en dit quelques mots: pour Castorf, l’or d’aujourd’hui est l’Or noir, dont chacun cherche à s’approprier, et son Ring « mondialisé »  ira de Berlin Alexanderplatz à Wall Street.
Vous en saurez plus en lisant l’intégrale de l’interview (en allemand) sur le lien Interview Castorf dans Die Welt
Août 2012: sur le Site du festival de Bayreuth, les distributions complètes et les dates du Festival 2013 sont en ligne.

Site des festivités Richard Wagner: Année Wagner 2013 Leipzig/Bayreuth

Site du Jubilé Wagner de la ville de Leipzig: Jubilé Wagner-Leipzig

DEUTSCHE OPER BERLIN 2009-2010 le 30 janvier 2010: RIENZI de Richard Wagner (Dir.Mus: Sebastian LANG-LESSING, Ms en scène: Philippe STÖLZL)

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Photo: Bettina Stöß

Où aujourd´hui monte-t-on Rienzi, ce monument du Grand Opéra dont Hans von Bülow disait qu´il était le « l´opéra le plus réussi de Meyerbeer » ? Il faut faire le voyage de Berlin, enneigée jusqu´à la garde, pour découvrir cette nouvelle production à l´occasion des semaines que le Deutsche Oper dédie à Richard Wagner, dirigée par Sebastian Lang-Lessing et mise en scène par Philippe Stölzl, qui attire une grande affluence de public et évidemment des discussions infinies sur les choix de la mise en scène et les coupures du chef, puisque l’oeuvre qui dure normalement 5h15, en est à peine réduite à  3h (Sawallisch à Munich en 1983 l’avait réduite à 4h…). Dans le cas d’une oeuvre qu’on peut voir à peu près tous les trente ans, j’estime qu’il vaut le coup de monter l’intégrale sans coupures même au prix d’efforts terribles des des artistes (et quelquefois peut-être du public) et en dépit des coûts de l’entreprise. Dans le programme, le chef justifie son choix par l’impossibilité de monter aujourd’hui ce type d’oeuvre (avec un ballet de 40 minutes de belle musique!) et par l’ignorance en Allemagne de ce qu’est le Grand Opéra à la Meyerbeer. Par ailleurs, le metteur en scène qui vient du monde du cinéma en a fait une sorte de « montage » destiné à clarifier l’intrigue et à en donner une lecture linéaire, vidée de ses méandres qui risquent de perdre le spectateur. Sebastian Lang-Lessing insiste sur l’italianité de cette oeuvre et pourtant rien de plus « germanique », oserais-je dire « teuton » au très mauvais sens du terme, que la manière d’aborder cet opéra pour cette fois, tant à l’orchestre, beaucoup trop fort, trop livré aux cuivres, sans aucune subtilité – on a appelé le chef Lang-Lessing « Laut »-Lessing (laut en allemand signifiant « fort ») qu’à la scène, où Stölzl, propose en fin de compte une lecture au prisme de la folie nazie, ce qui n’a rien d’original vu l’imposante théorie de mises en scènes allemandes depuis les années 70 où les nazis sont mis à contribution.

Certes, cette histoire s’y prête bien, qui raconte l’ascension et la chute du tribun romain Cola di Rienzo lequel, profitant de la présence de la papauté à Avignon au XIVème siècle, réveille les plébeiens de Rome au nom de l’antique gloire de la ville éternelle  et les entraîne à la victoire, puis à la guerre et à la misère. A cette trame assez linéaire du type « Grandeur et décadence » ou « résistible ascension.. » s’ajoutent des amours problématiques: sa soeur Irène est amoureuse du fils du chef de la famille aristocratique ennemie  des Colonna (Adriano) à quoi s’ajoute une relation trouble entre le frère et la soeur (Wagner aime décidément els amours incestueuses, voir Walküre…). En fait c’est une trame qui n’est pas sans rappeler par certains aspects  Simon Boccanegra, mais d’un Boccanegra moins politique, moins stratégique, et plus fragile et livré aux affects.

Vocalement, les exigences sont fortes, des basses profondes, un rôle de ténor redoutable (un Florestan mâtiné de Max…rien moins), un travesti mezzo soprano qui exige puissance et engagement, et un soprano lirico spinto de style italien dit Lang-Lessing, un mélange redoutable de Senta,  et d’Elvira d’Ernani… qui exige une voix dynamique, une couleur et un style italiens, et la puissance d’une Senta.

La distribution est très contrastée: le Rienzi de Torsten Kerl est vraiment irréprochable, malgré une voix un peu resserrée au début notamment, il est le personnage voulu (une sorte de Goering) et il est aussi solide dans les parties héroïques que dans les parties plus lyriques, notamment à la fin.

Kate Aldrich dans Adriano est exceptionnelle : elle a tout, engagement, puissance, élégance, style, présence: c’est une magnifique découverte d’un mezzosoprano qui à n’en pas douter, est promis à une grande carrière.

Camilla Nylund dans Irène déçoit profondément: la voix est tendue, manque de puissance, mais surtout, est incapable d’expression: son chant est plat, le personnage inexistant et la voix est complètement engloutie dans les ensembles. Déjà elle nous avait déçu dans Salomé à Paris (voir ce même Blog en novembre dernier), cette fois-ci elle nous agace,  la déception est fortement confirmée.

Le reste de la distribution ne nous semble pas vraiment à la hauteur (sauf lpeut-être le Steffano Colonna de Ante Jerkunica ou le Baroncelli de Clemens Bieber ) et les choeurs gigantesques sont corrects, sans plus.
Nous avons souligné la « manière forte » avec laquelle Lang-Lessing lit la partition. On a l’impression qu’il a choisi les seuls passages fortissimos et que tous les moments lyriques ont été sacrifiés, mais l’orchestre est en place, bien préparé, notamment les cuivres.

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Photo: Bettina Stöß

Et la mise en scène? Philipp Stölzl (qui signe ce travail avec sa collègue Mara Kurotschka) a choisi d’en faire une parabole du pouvoir totalitaire, qui aveugle et écrase les valeurs. L’ouverture se joue à rideau ouvert où une pantomime se déroule sur scène, très inspirée de l’univers de Chaplin dans Le Dictateur, dès la première scène, les choeurs portent des masques qui renvoient à  l’expressionnisme des tableaux de Munch, Max Bechstein ou de Otto Dix, dans des décors qui renvoient à Metropolis de Fritz Lang . Très marqué par l’univers du cinéma et désireux de donner une sens à la narration, on comprend vite ce que Stölzl veut construire: le peuple quitte les masques pour les uniformes, et Rienzi asseoit son pouvoir et sa dictature en faisant faire le sale boulot par « le peuple » qui écrase les complots aristocrates. La fin de la première partie est un triomphe. La deuxième partie est une chute: le peuple est fatigué de la guerre, il ne suit plus son chef que contraint et forcé, et Rienzi, enfermé dans un Bunker (tiens tiens)  devient de plus en plus solitaire au milieu des maquettes de sa nouvelle Rome, qui ressemble à s’y méprendre à la Berlin rêvée d’Albert Speer… On pense au film La Chute, de Oliver Hirschbiegel avec Bruno Ganz. Le personnage d’Irène, sorte d’Eva Braun très pâle et vaguement ridicule, choisit de s’enfermer avec lui.

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Photo: Bettina Stöß

Tout fonctionne, parce que l’histoire est très emblématique de la montée d’un dictateur, de l’oubli des promesses, du culte de la personnalité: le spectacle est donc recevable, se laisse même voir  avec  plaisir, le décor d’Ulrika Siegristest est impressionnant, les vidéos qui rappellent évidemment l’univers des  films de Leni Riefenstahl (Momme Hinrichs et Torge Møller) très ironiques et particulièrement bien réalisées et insérées dans le travail scénique…mais ce travail qui répétons-le fonctionne, est trop démonstratif, trop didactique, manque de finesse (il est vrai que la finesse n’est pas vraiment la qualité du dictateur) ou de travail psychologique: l’allusion à l’inceste en fin de spectacle n’est pas vraiment préparée, les personnages sont tout d’une pièce. Tout cela laisse un peu insatisfait, avec la certitude qu’une autre voie était possible, où le passé nazi n’aurait pas encore une fois servi à l’édification des foules allemandes…

Il reste que j’ai passé une excellente soirée: il y a beaucoup de notes (et de belles notes) dans Rienzi, on y sent la fougue de la jeunesse, l’explosion du génie, on y reconnaît des phrases futures de Lohengrin (les cuivres) ou du Vaisseau (la scène finale), Wagner se construit, mais j’ai entendu la moitié de la construction: j’attends la version complète.