BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013 – FRÜHWERKE/OEUVRES DE JEUNESSE: QUELQUES QUESTIONS SANS RÉPONSES

Programme de salle, couverture

La présentation des œuvres de jeunesse de Richard Wagner s’est terminée à Bayreuth avec Das Liebesverbot du 14 juillet dernier. Même si je n’ai pas vu Die Feen en juillet, j’avais vu cet opéra à Leipzig en février dernier, avec la même distribution ou peu s’en faut, le même chef et le même orchestre; je renvoie donc le lecteur au compte rendu de ce spectacle. On peut dire que l’initiative est un succès musical, malgré les inévitables imperfections sur des œuvres peu jouées et peu familières aux artistes. Rienzi a bénéficié de la présence de Christian Thielemann et d’une distribution internationale, mais c’est Das Liebesverbot qui reste l’opération la plus réussie, au total, avec une exécution de qualité et une mise en scène habile et intelligente, pour une œuvre qui contrairement aux deux autres, n’a pas bénéficié de productions récentes dans les théâtres européens et qui donc est une vraie surprise.
Mais on devait bien se douter qu’avec des chefs reconnus ou prometteurs, un orchestre aussi prestigieux que le Gewandhaus de Leipzig et la garantie du partenariat d’un opéra solide comme l’Oper Leipzig, la qualité artistique (exception faite de la mise en scène de Rienzi, superficielle et bâclée) ne ferait pas défaut.

La question est ailleurs, les questions devrait-on dire, qui se posent après le relatif échec commercial de cette programmation, et les erreurs de marketing qui l’accompagnent.
Partons déjà de la question posée par la qualité artistique: quand on propose des places au prix maximum de 500€, c’est à dire le billet d’opéra le plus cher du marché (plus que Salzbourg) , peut-on admettre une production de Rienzi aussi insignifiante? Certes, il s’agit d’une production qui ne sera pas reprise, faite ad-hoc pour un lieu qui lui, n’est pas ad-hoc pour l’opéra! Justement, qu’est-ce qui justifiait des prix aussi élevés pour une manifestation dans une salle de sport, à 2km du Festspielhaus?
Adéquation lieu, programme, prix et image…voilà la principale série de points d’interrogations.
On pourra discuter à l’infini du lieu choisi pour cette programmation exceptionnelle. Quelles qu’en soient les motifs, il me semble qu’on aurait du mal à convaincre un public qui paie de 100 à 500€ de venir à Bayreuth sans aller au Festspielhaus. En terme d’image,  le Festival de Bayreuth, c’est d’abord le Festspielhaus. Mais l’amener dans une grande salle de sport, aménagée de manière partielle, sur des sièges de plastique, sans un minimum de rituel festivalier (les fanfares de fin d’entracte remplacées par une sorte de coup de casserole, par exemple), et croire que le public va venir seulement parce qu’on est à Bayreuth, c’est vraiment faire une grossière erreur de jugement. Le public qui paie en veut évidemment pour son argent. Et là, à l’évidence, il n’en a pas pour son argent.
La motivation pour venir à Bayreuth, c’est évidemment le théâtre: c’est d’ailleurs très largement le motif pour lequel le festival n’a pas besoin de gros efforts de marketing pour attirer le public et pour lequel la demande est infiniment supérieure à l’offre. L’erreur vient peut-être que les organisateurs ont cru qu’il suffirait d’afficher « Bayreuth » et « Thielemann » pour mettre en branle les longs cortèges de visiteurs. Si au moins dans l’offre une soirée avait été prévue dans le théâtre (pour un concert par exemple) je suis sûr que la réponse du public  aurait été différente, a fortiori si l’on avait programmé dans la salle du festival les mêmes œuvres en version concertante, sans orchestre en fosse (puisque, dixit Thielemann, elles ne conviennent pas à la fosse de Bayreuth) et à n’importe quelle date (par exemple au moment de la Pentecôte, autour de la date anniversaire du 22 mai).

Sans Festspielhaus, il aurait fallu pour attirer le public développer une politique marketing particulièrement ciblée, et conquérir, aller chercher ce public « avec les dents » comme dirait l’autre alors que ce festival a l’habitude d’un public captif qu’il n’a jamais eu besoin d’aller chercher. D’où évidemment la difficulté notable et le résultat pour le moins contrasté.
On reste assez colère de voir des rangs entiers vides (y compris pour Rienzi qui affichait Thielemann) les gradins latéraux (places les moins chères) remplis à peine à 10% et on se pince en se disant « je suis à Bayreuth ».
Défaut de marketing, manque d’initiative pour vendre au dernier moment, repli sur une politique minimale dès qu’il a été clair qu’on ne remplirait pas, tout cela est si évident qu’on se demande s’il n’y a pas là de propos délibéré. Pourquoi programmer en fanfare il y a un an les « Frühwerke » pour ensuite proposer un site mal identifié, mal fichu, mal affiché, avec des plans de salle ne permettant pas de voir les places libres, un site qui ne met pas en avant les qualités de l’offre et qui n’est pas clairement en lien avec le site officiel du Festival. Déjà, il y a là un mystère.
Mystère qui s’épaissit lorsqu’on est sur place, à Bayreuth: on trouve peu d’affichage ou de publicité, des indications parcellaires du lieu des représentations , et sur le site du Festspielhaus, où l’on  va quand même en pèlerin, parce qu’on ne peut aller à Bayreuth sans au moins y faire un tour, aucune allusion à ce qui se passe plus bas .
Sur place, à l’Oberfrankenhalle, à part le kiosque à bière et à saucisses, une billetterie discrète, un étal pour vendre disques et « souvenirs » wagnériens (tee shirts et autres joyeusetés), il reste des indications peu claires sur les places (rangs etc…), pas la moindre décoration un peu festive ni dehors ni dedans (sinon des fanions des sponsors) et une salle inadéquate aménagée avec un gradin central entouré des gradins latéraux à peu près vides, et  les places les plus chères dans les premiers rangs, sans recul, sans vision un peu globale du dispositif.

Mise en page du résumé de l’action de Das Liebesverbot

Quant au matériel d’accompagnement du spectateur, je veux parler du programme de salle on reste bouche bée, on reste incrédule: un programme commun aux trois œuvres, au graphisme faussement contemporain, avec des distributions écrites en une police si réduite que la lecture en est difficile (en plus en blanc sur fond gris) avec des élégances graphiques qui rendent certaines pages illisibles, un graphisme et une mise en page différentes à chaque page, le pompon étant le résumé de Das Liebesverbot où alternent ligne à ligne le résumé du premier acte et du second acte: autrement dit (si je n’ai pas été assez clair ): ligne 1 premier acte ligne 2 second acte ligne 3 premier acte etc…. Où certains textes sont en anglais seulement et d’autres en allemand seulement, sans cohérence, sans rien pour clarifier, alors que ces programmes se devaient d’éclairer le public pour qui ces œuvres sont très peu connues. J’ai renoncé à le lire, c’est une entreprise vaine tant on fatigue, mais je le tiens à disposition de qui douterait de ma bonne fois ou penserait que j’exagère un peu.
Hélas, j’aimerais avoir un peu d’humour, mais j’ai tellement ce lieu dans la peau, ce festival dans mon cœur que je suis plutôt à la fois stupéfait et désolé. Certes, le matériel habituel du festival n’est pas d’une qualité notoire (design, contenus) : les programmes de Munich, ou même tout simplement de Paris sont bien plus détaillés et bien mieux faits. Mais sur ce coup là comme on dit, tous les records sont battus: personne dans le management n’a pu arrêter ce projet graphique absurde?
Alors on se pose des questions: pourquoi si peu de publicité, pourquoi si peu de marketing, pourquoi cette impression de Bayreuth du pauvre malgré le soleil éclatant? Certes, on peut penser que l’absence de remplissage de la salle a induit une limitation des disponibilités financières, mais il semble qu’on ait aussi bien manqué de compétences techniques, managériales, d’organisateurs efficaces: vu le résultat, tout se passe comme si le Festival voulait se faire tout petit, alors que le produit présenté était de qualité, pouvait valoir le déplacement, même dans une salle à l’acoustique pas toujours convaincante. Le mystère reste pour moi la contradiction entre des prix exagérés et une offre qui en rien ne les justifiait, même si elle était de qualité. Ce pouvait être au contraire l’occasion pour attirer un public qui ne vient pas habituellement, avec des prix attractifs avec une ambiance alternative, plus « cool »(et peut-être dans le package une visite du Festspielhaus, malgré la fermeture jusqu’en septembre pour répétitions – il n’y pas si longtemps, le Festspielhaus se visitait le matin avant 10h en temps de Festival ) .
Obtenir un résultat aussi contrasté quand on a de l’or dans les mains (Bayreuth, Wagner, Thielemann,Gewandhaus), comme on dit, il faut le faire. C’est une vraie question sans réponse. Simplement je ne comprends pas que ce qui était évident pour les gens du public avec lequel j’ai pu échanger ne l’ait pas été à un niveau plus haut. Je ne comprends pas.

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BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013: DAS LIEBESVERBOT (LA DÉFENSE D’AIMER) de Richard WAGNER (Ms en scène: Aron STIEHL, Dir.mus: Constantin TRINKS)

Image finale

Pour une surprise, c’en est une ! Après Die Feen moyennes à l’Oper Leipzig (reprise à Bayreuth en version de concert), après un Rienzi musicalement sans gros problèmes mais scéniquement indigent, voilà Das Liebesverbot, le moins connu des trois, le moins joué des trois, et incontestablement le meilleur moment, le meilleur spectacle de ce pré festival. un spectacle un peu fou, une musique que Rossini ou Auber auraient pu reconnaître, une verve totalement inconnue, un chef extraordinairement doué, un plateau homogène, sans vedettes (Christiane Libor exceptée) mais très solide, et enfin un metteur en scène, qui sait ce que rythme, ce que musique, ce que direction d’acteurs veut dire. Devant cette vraie réussite, on ne peut que regretter les erreurs de marketing et d’image qui conduisent à ces rangs déserts, ces gradins vides, ces trous dans le public de ce dimanche en matinée. Voilà un spectacle d’où on sort heureux, et surtout où tout le monde chantonne les refrains entrainants, guillerets, sautillants de l’auteur de Parsifal.
Voilà une musique qui non seulement se laisse entendre, mais qui, lorsqu’on se concentre sur l’orchestre, est souvent subtile, avec quelques strates mozartiennes, et une compréhension stylistique de l’opéra rossinien étonnante: sens du crescendo, sens des ensemble, sens des rythmes, sens aussi du lyrisme dans ces moments où les âmes s’expriment, comme ce magnifique duo initial de Mariana et Isabella, qui s’ouvre sur une phrase musicale qu’on retrouvera telle quelle dans Tannhäuser. Et Wagner nous étonne encore plus, et l’on ne peut que comprendre mieux le parcours qui le conduit là où l’on sait. Avec Die Feen, il aborde l’opéra à la Weber ou à la Marschner, fantasmagorique, horriblement difficile à chanter, mais aussi varié, coloré, même si dramaturgiquement longuet. Avec Rienzi, il montre qu’il sait faire un Grand Opéra à la Meyerbeer (ne dit-on pas de Rienzi qu’il est le meilleur opéra de Meyerbeer?), une grosse machine dramatique et spectaculaire. Avec Das Liebesverbot, il fait une incursion dans un style qu’on lui croit étranger, celui de l’opéra italien, rossinien, et même de l’opéra à la Auber avec airs, ensembles, dialogues, mais là où l’orchestre des opéras bouffes rossiniens est assez réduit, Wagner propose une oeuvre longue, avec des choeurs importants, un grand orchestre symphonique et une lourde distribution (trois sopranos, trois ténors etc…) tout en faisant, paradoxalement  le choix de la légèreté, pour une oeuvre inspirée de Mesure pour mesure de Shakespeare, dont il fait  une oeuvre un peu déjantée où il joue le carnaval, la gaieté, la folie.
J’avais bien entendu l’oeuvre au disque, et remarqué ce style inattendu; mais à la scène, avec une mise en scène adéquate qui vous met dans sa poche dès le début, et un orchestre impeccable qui vous enlève à un rythme totalement fou, vous finissez par vous demander pourquoi cette partition a si peu droit de cité. Ce n’est pas un immense chef d’oeuvre, mais c’est une pièce passionnante, qui s’écoute avec un réel plaisir, et même un réel intérêt. Un moment de musique, de joie,  de sourire, qui fait oublier et la salle de sport, et l’audience clairsemée, et qui vous fait dire que les absents ont vraiment eu tort.

Constantin Trinks


L’artisan de cette réussite, c’est sans conteste le chef Constantin Trinks, ce jeune chef, remarqué à Strasbourg pour Tannhäuser et qui commence à diriger dans les grands théâtres allemands (Dresde, Munich etc…) mène tout cela à un rythme d’enfer, avec une dynamique, une fluidité et une précision remarquables. L’orchestre du Gewandhaus est d’une clarté cristalline, tous les pupitres s’entendent, les violons, les cuivres, les bois: tout est si lisible et audible que l’on perçoit avec évidence les caractères de cette partition, les inspirations, les éléments pris ailleurs que Wagner fait siens, mais aussi ce qui fera de Wagner ce qu’il est aujourd’hui pour nous. La direction de Trinks agit comme révélateur pour le spectateur, mais elle est aussi l’élément qui scande, qui fait avancer, qui sécurise le plateau. Ce jeune chef de 38 ans ans (né à Karlsruhe) au geste clair, aux indications nettes fait à l’évidence partie des baguettes à suivre dans les prochaines années.
L’autre artisan de ce succès, c’est le metteur en scène Aron Stiehl. Il signe une véritable mise en scène, avec un vrai travail sur le jeu, les mouvements, les rythmes. Il fait de cette oeuvre une pièce de carnaval, joyeuse et folle, avec des costumes de bandes dessinée (de  Sven Bindseil) et des mouvements chorégraphiques qui rappellent la comédie musicale . Le décor unique de Jürgen Kirner divise le plateau en trois parties, séparées par des cloisons mobiles, qui déterminent trois ambiances: un espace d’une nature tropicale et  sauvage, grandes feuilles, fleurs, couleurs, pour l’ambiance de carnaval, l’amour, la liberté, un espace composé de tiroirs numérotés, fermés ou ouverts, une sorte d’espace administratif plus contraint, froid, géométrique, qui rappelle des murs d’urnes funéraires sans doute le monde où évolue Friedrich, le régent qui impose l’ordre moral, et un espace nu et blanc, avec une croix qui se projette au mur, qui est l’espace initial des novices. On passe alternativement de l’un à l’autre, mais celui qui domine est sans conteste celui de la nature où les coeurs se livrent dans une sorte de liberté aimable.
L’histoire pour faire bref reprend la pièce « Measure for measure » de Shakespeare: un roi de Sicile quitte le pays en le laissant au régent Friedrich, et en lui demandant de faire régner l’ordre moral et d’empêcher tout débordement social et moral, notamment en fermant tous les lieux d’amusement et en interdisant les manifestations du carnaval et toute manifestation amoureuse. Première victime, Claudio, condamné à mort parce qu’il est amoureux de Julia, à qui il a promis le mariage, et frère d’Isabella, une jeune novice . Pour le sauver, Isabella intercède auprès de Friedrich, qui contre toute les règles qu’il a édictées, lui demande son amour pour prix de son intervention. Mais Isabelle découvre que Friedrich n’a pas encore signé la condamnation, révèle au peuple la supercherie, et au final, Friedrich est confondu et humilié, Claudio libéré, Luzio le jeune ami de Claudio peut aimer Isabella, et là où l’amour était interdit, l’amour devient le guide du carnaval final.

En répétition

La distribution est dominée par l’Isabella de Christiane Libor, qui devient la spécialiste des œuvres de jeunesse de Wagner (elle est déjà le soprano principal de référence pour Die Feen) . Les aigus sont éclatants, bien projetés, bien tenus, et s’élargissent à plaisir. Le registre central est moins agréable à écouter que les aigus, et la voix a perdu en homogénéité: il est vrai que le rôle est lourd, que la mise en scène lui demande beaucoup d’abattage. Il reste que la prestation sans être exceptionnelle, reste très appréciable, comme pour l’ensemble d’une distribution sans noms particulièrement connus, appartenant tous ou à peu près à la troupe de Leipzig. On remarquera l’excellent Friedrich de Tuomas Pursio, baryton basse au timbre agréable, à la voix bien projetée, qui sait donner de la couleur à ce rôle de méchant tourné en ridicule et qui s’engage vraiment en scène et dans l’économie générale du spectacle. Les deux ténors Bernhard Berchthold (Luzio) et David Danholt (Claudio) sans être des voix de premier ordre se défendent avec vaillance, avec une préférence pour le joli timbre de David Danholt. Notons aussi la jolie Mariana de Anna Schoeck qui accompagne dans le duo initial l’Isabella de Christiane Libor et qui a un joli timbre de soprano, bien contrôlé, et la pétillante Dorella de Viktoria Kaminskaite. Le Brighella (chef des sbires) de Reinhard Dorn est une basse bouffe (une sorte d’Osmin qui chanterait) dont la voix est épuisée, mais le personnage est posé et fait rire le public et passe malgré des insuffisances musicales.
Au total donc un spectacle frais, réussi qui sera repris cet automne à Leipzig (allez-y si vous pouvez) et un peu plus tard (en novembre) à Trieste. Et puis n’oubliez pas de guetter les apparitions de Constantin Trinks, il en vaut la peine.
On a un peu oublié grâce à toute cette fraîcheur, les erreurs de « com », le programme de salle au design douteux et en tous cas bien peu lisible, le public qui n’est pas au rendez-vous, et au total le mauvais service rendu à ces oeuvres qui méritent plus que deux lignes méprisantes dans une histoire de la musique. J’ai découvert que « la défense d’aimer » peut être l’occasion d’un vrai plaisir, ne vous en défendez pas non plus.
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Ambiance de l’acte 2

BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013: RIENZI de Richard WAGNER (Ms en scène: Matthias von STEGMANN, Dir.mus: Christian THIELEMANN)

 

Dispositif scénique, en construction

 

Une année anniversaire est toujours l’occasion d’exhumer des oeuvres moins connues de l’artiste célébré pour explorer l’ensemble du corpus. Pour Wagner se pose de manière récurrente la question des oeuvres de jeunesse qu’il a « reniées », qu’on joue peu ou pas. Les uns en interpellent la qualité musicale, pour le moins discutée, les autres la difficulté (notable au niveau du chant) et donc d’une certaine manière le rapport investissement vs. résultat. La question a été depuis longtemps réglée à Bayreuth, puisque ni Die Feen, ni Das Liebesverbot, ni Rienzi n’ont droit de cité dans le Festival.
De manière récurrente aussi et notamment lors des débats sur la direction artistique, se pose la question du fonctionnement du théâtre, des oeuvres à y jouer, par exemple « Rienzi ou pas? » voire « Wagner et d’autres? ».  Pour ce bicentenaire, la direction artistique a choisi, pour la première fois, de donner un espace aux oeuvres de jeunesse, dans un jeu de dedans-dehors qui montre clairement la valse hésitation qui a dû à un moment occuper la programmation de ces célébrations.
Dedans:  la direction du Festival a décidé de programmer sur ses fonds propres et sans subvention spécifique (mais avec des sponsors) les trois opéras en question en collaboration (et coproduction) avec l’opéra de Leipzig (Oper Leipzig), ville natale de Wagner et donc référence en cette année de bicentenaire de la naissance (1813). Ce sont les forces du théâtre qui officient, choeur de l’opéra, et Gewandhaus Orchester. L’avantage est évident, les répétitions et tout le travail de préparation peut avoir lieu à Leipzig, à un moment où Bayreuth est pris par toute la préparation du Festival (et ne peut donc mettre à disposition les forces afférentes, orchestre et choeur, mais aussi techniciens).
Dehors: il n’est pas question, pour des raisons symboliques et aussi techniques (préparation et répétitions, occupations des espaces) de jouer dans le théâtre des Festivals (Festspielhaus) à cette époque de l’année: les répétitions musicales de Bayreuth sont brèves: 3 semaines pour 7 opéras, et avec un nouveau Ring, la pression est encore plus forte. Il faut donc jouer ailleurs. Et à Bayreuth, l’ailleurs se réduit à trois lieux:
– l’opéra des Margraves, joyau de l’architecture théâtrale baroque du XVIIème siècle, actuellement en restauration pour plusieurs années (étonnant de commencer les restaurations l’année du bicentenaire de Wagner, sensée drainer un flux touristique plus marqué) et de toute manière trop petit pour l’énorme machine wagnérienne,
– la Stadthalle, peu idoine pour de très grosses productions
– L’Oberfrankenhalle, un espace qui peut accueillir aussi bien des concerts pop que des matches de basket ou de Hand Ball, et qui pour l’occasion et pour la première fois accueille deux productions (Rienzi, Das Liebesverbot) et une version concertante de Die Feen (joué par l’Opéra de Leipzig ce dernier hiver, voir le compte rendu dans ce site).
Le public qui ressemble vu de loin à celui du Festival, trottine donc après le parking à trois étages en passant devant la piscine couverte, puis devant la patinoire, et arrive à l’Oberfrankenhalle,  béton, métal, saucisses (à 2,50 € au lieu des 4  ou 5 € pratiqués sur la colline sacrée: on sent bien qu’on est dehors), bière et Coca: Bayreuth chez le populo.
Et tout le monde de soupirer, à 1 km de là le Festpielhaus, espace interdit et tant désiré, et  de demeurer surtout frappé par  une communication peu claire, le Festival s’affichant à peine, (Wagnerjahr 2013):  dans le programme de salle, pas un salut de la direction artistique du Festival, sur les affiches, il est à peine signalé, et même si les billets d’entrée sont les mêmes qu’au Festival, on sent bien que l’administration  peine à s’afficher franchement, comme si elle avait un peu honte ou qu’elle voulait (pour quelle raison?) rester à la marge.

La salle en salle de sport

La salle (un grand hall de sport) avec ses gradins latéraux fixes et ses gradins provisoires de face est loin d’être pleine (curieusement les places les moins chères sont vides) pour ce Rienzi pourtant dirigé par Christian Thielemann, sensé ramener les foules sur son nom (d’ailleurs les affiches titrent sur Christian Thielemann, comme s’il dirigeait tout alors qu’il ne dirige que Rienzi, les autres chefs étant Constantin Trinks (Das Liebesverbot) et Ulf Schirmer (Die Feen).

On peut penser que si les trois opéras, même en version concertante, avaient été donnés dans le Festspielhaus, et même à un autre moment de l’année, on aurait affiché complet. mais Thielemann explique dans le programme qu’il se refuse à jouer autre chose que les dix opéras traditionnels dans le Festspielhaus.  J’oubliais un détail qui a son importance: les places sont chères, très chères même (jusqu’à 500 € pour quelques unes), plus chères qu’au festival comparativement (ce qui s’explique puisque l’opération n’est pas subventionnée, mais ce qui n’encourage pas le public à faire le déplacement à moins que le rapport qualité/prix soit à l’avantage de la qualité.

La façade qui fait rêver…

Ce Rienzi est musicalement solide et scéniquement indigent, c’est donc relativement mal parti.
L’histoire de Rienzi  prend place dans l’agitation politique à Rome aux temps de la papauté d’Avignon, où la ville éternelle est en proie aux appétits des familles nobles, au désir d’une certaine partie de l’Eglise de quitter Avignon, et aux atermoiements d’un peuple qui se cherche des héros. La situation ressemble assez à celle décrite par Verdi à Gênes dans Simon Boccanegra, doge presque malgré lui, dont les efforts consistent à apaiser les conflits et notamment celui qui l’ oppose aux aristocrates, lui dont la fille (Amelia) qu’il a retrouvée par hasard est amoureuse d’un des porte-drapeau de la noblesse (Gabriele Adorno). Dans Rienzi, c’est la soeur de Rienzi, Irene, qui est amoureuse d’Adriano, le fils de Steffano Colonna, qui lui essaie de s’interposer dans les luttes entre Rienzi et les familles aristocratiques: on a donc une même structure Simon/Rienzi, Amelia/Irene Gabriele/Adriano. Seule différence, de taille, tout le monde meurt à la fin chez Wagner, tandis que chez Verdi, le Doge meurt, mais dans une Gênes pacifiée.

Une scène de foule

C’est que l’opéra de Wagner est déjà un objet « politique ». Dans un XIXème fils de la révolution française, les oppositions idéologiques sont fortes, notamment dans une Allemagne encore morcelée, aux mains de princes et de roitelets divers, pendant que couvent les désirs d’une bourgeoisie et de peuples inspirés par le souvenir de la révolution française et du passage des armées napoléoniennes notamment en Rhénanie- Palatinat. Wagner analyse un de ses motifs favoris, celui de l’homme providentiel (Lohengrin, Parsifal), qui, accueilli en héros, est bientôt rejeté par ceux-là même qui l’ont porté au pouvoir. Rienzi, monté au sommet avec la bénédiction de l’église, et contre la noblesse, est bientôt rejeté, excommunié, puis détruit. On peut en faire un héros positif et charismatique, mais on peut en faire aussi un « populiste » perverti par le pouvoir qui finit victime de lui même.
Philipp Stölzl à Berlin (Deutsche Oper) avait travaillé la version populiste en s’appuyant sur une référence cinématographique, Le Dictateur de Chaplin et une référence historique, Adolf Hitler et le nazisme (avec des allusions à la Germania d’Albert Speer) et la production avait une grande cohérence et une grande séduction (voir le compte rendu dans ce site).
Mise en scène? Vous avez dit mise en scène? Matthias von Stegmann signe une mise en images (pauvres), une mise en espace (réduite à l’os) qui permet (à peine) de souligner les détails de l’intrigue, mais qui laisse pour une grande part les chanteurs livrés à eux-mêmes, quand c’est Daniela Sindram, merveilleuse Adriano, c’est positif, quand c’est l’Irene un peu pataude de Jennifer Wilson, c’est déjà plus problématique. Certes, on peut souligner la difficulté inhérente au lieu: une scène large, mais sans dessous ni hauteur, permettant des déplacements de décors exclusivement latéraux, un orchestre à niveau sans fosse, obligeant le chef à être assis, sinon il masque les chanteurs (oui oui, on est…à Bayreuth!). Pauvres spectateurs des premiers rangs (et des prix les plus chers) qui doivent affronter un son brouillé, une vision obstruée, et un manque de recul!

Dispositif scénique

Pas de vraie mise en scène (entendue comme lecture), mais une plate reproduction du livret, sans travail d’acteur, sans travail sur les foules (systématiquement le choeur est face au chef, se plaçant face au public comme pour la photo), le tout en costume de ville pour faire moderne, avec quelques vidéos (pour faire archi-contemporain) qui montrent la Oberfrankenhalle comme un lieu de rassemblement populiste (une sorte de Nuremberg en salle), des costumes d’aujourd’hui ( de Thomas Kaiser) des décors (Matthias Lippert, qui signe aussi les vidéos) qui évoquent le Colisée (on est à Rome) ou les thermes de Caracalla (deux murs verticaux latéraux qui rappellent la scène en plein air utilisée pour la saison d’été de l’Opéra de Rome), quelques escaliers et une reproduction des gradins de la Oberfrankenhalle, le tout avec quelques projections et lumières colorées. La messe est dite: pour son entrée sur le territoire de Bayreuth, ce Rienzi n’entrera pas dans la légende, une entrée et sortie par la petite porte. Sans doute ce travail est-il rapide et destiné à l’oubli: Leipzig a une production de Nicolas Joel et aucun théâtre ne reprendrait un spectacle aussi insuffisant.
Il en va autrement de la musique. L’Orchestre du Gewandhaus, malgré quelques petits problèmes aux cuivres quelquefois, dirigé (pour la première fois à ma connaissance) par Christian Thielemann est très bien préparé (il l’a déjà joué à Leipzig pendant la saison, mais sans Thielemann), direction précise, nerveuse, bien calibrée (encore que l’acoustique de la salle renvoie  un son souvent brouillé, où les pupitres sont mal distingués), rythmée, pleine de relief et de dramatisme. Thielemann semble très à l’aise dans ce type de répertoire: m’est avis qu’il pourrait avec profit se diriger vers Weber, Schubert (Fierrabras) ou même…pourquoi pas, Meyerbeer voire Berlioz vu ce que j’ai entendu hier soir:  pourquoi pas un Benvenuto Cellini ou des Troyens? Avec une telle direction, l’oeuvre est portée, servie, valorisée, si bien qu’on se demande pourquoi malgré ses longueurs (et bien qu’elle ait été encore coupée à la représentation, trop à mon avis: pour une fois, à Bayreuth, on pouvait OSER la version intégrale), l’oeuvre n’a pas un vrai destin dans les grands théâtres.
Le choeur de Leipzig, très sollicité, s’en sort avec les honneurs: on peut rêver de l’effet qu’il aurait pu produire dans la salle du Festspielhaus.
Les solistes rassemblés (grands solistes internationaux et membres de la troupe de Leipzig) forment un ensemble très solide, homogène: les rôles de complément sont tenus avec honneur (par exemple le Cardinal Orvieto de Tuomas Pursio, mais aussi le Paolo Orsini de Jürgen Kurth ou le Steffano Colonna de Milcho Borovinov).
Robert Dean Smith (Rienzi) donne toujours l’impression de relative fragilité, à cause de cette voix claire qui semble toujours a priori insuffisante pour les rôles écrasants qu’il tient (Tristan!) et au bout du compte, il tient toujours la distance, avec élégance, avec vaillance aussi. Il a un timbre qui me rappelle René Kollo, et dans Rienzi non seulement il tient la distance (avec quelques traces de fatigue à la fin dans sa fameuse prière néanmoins exécutée avec honneur) mais fait preuve de vaillance, avec de beaux aigus (premier acte) même si la présence scénique et le charisme font quelquefois défaut. Il reste un Rienzi qui peut faire référence désormais, à côté de celui de Torsten Kerl.
Le cas de Jennifer Wilson est très différent. J’ai aimé naguère à Valencia sa Brünnhilde, qui me rappelait les grandes Brünnhilde d’antan. Je pense même que c’est une vraie voix pour Brünnhilde, avec une couleur très différente de celle nécessaire pour Sieglinde par exemple. Pour Irene, il faut des aigus triomphants, mais il faut aussi un style qui se rapproche d’une Leonore de Fidelio, avec une voix ductile, une capacité à moduler, à cadencer, une voix douée de puissance, de volume, et aussi et surtout de souplesse (comme c’est difficile de trouver les trois en une): Jennifer Wilson n’a pas la souplesse: dès qu’il en faut tant soit peu, dès qu’il faut un tant soit peu d’agilité aussi, la voix devient problématique, avec des sons fixes, et quelquefois ratés; mais les aigus et les suraigus sont larges, bien posés, avec un bel appui sur le souffle. Dès qu’elle monte à l’aigu, la voix immense domine largement les ensembles et l’on entend des notes d’une grande beauté. Pour le reste, c’est un peu brut, et manque singulièrement de lyrisme voire de style.

Daniela Sindram (Adriano)

Quand on écoute Rienzi, on est surpris car le rôle qui nous marque n’est pas tant Rienzi ni Irene, mais celui d’Adriano. Sans Adriano d’exception, pas de grand Rienzi. C’est le rôle de référence (donné à la création à Wilhelmine Schröder-Devrient). Il exige intensité, volume, souplesse, ductilité, aigus, graves, couleur. Daniela Sindram, native de Nuremberg, qui conduit désormais une carrière en free lance après avoir été en troupe dans de nombreux théâtres allemands (et à la fin à Munich) est tout à fait extraordinaire dans Adriano; elle laisse loin derrière elle Kate Aldrich, dont j’avais pourtant apprécié la prestation à Berlin.

Daniela Sindram, travesti extraordinaire

Elle a d’abord la présence scénique, elle campe un travesti confondant de vraisemblance, elle a ensuite la voix, tant les aigus redoutables que la souplesse et le style: jamais un vilain son, la voix toujours bien posée, toujours projetée, toujours bien appuyée sur le souffle. Une prestation de référence. Il sera difficile de s’en passer si un théâtre veut remonter Rienzi. C’est elle qui emporte tout et notamment les hurrahs du public.

Au total, et malgré les défauts de communication, une réalisation scénique un, deux ou trois tons en dessous, malgré le lieu sinistre des représentations, malgré l’éloignement mental du Festspielhaus,  la réalisation musicale est vraiment de premier plan, le niveau général tout à fait remarquable, et dans un théâtre à l’acoustique seulement normale, un tel travail musical aurait fait date. Même si on aurait aimé dans ce lieu avoir droit à un Rienzi complet, sans coupures. Mais Thielemann argue du fait de ne pas avoir eu le temps d’y travailler suffisamment et promet pour plus tard un Rienzi complet avec ballet. Mais n’est-ce pas le rôle d’une direction artistique de décider quelle version proposer? Voilà un Rienzi de référence condamné à la petite porte, un peu victime de l’organisation artistique du festival et des erreurs de marketing patentes, ainsi que des prix extravagants, tout cela en porte la lourde responsabilité. Coup d’épée dans l’eau: une épée en diamant dans une eau trouble.
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Dispositif (Plan)

OPER LEIPZIG 2012-2013: DIE FEEN de Richard WAGNER le 24 février 2013 (Dir.mus: Ulf SCHIRMER; Ms en scène Renaud DOUCET)

Acte I ©Kirsten Nijhof

Fallait-il remonter Die Feen? La presse allemande a été divisée là-dessus, le plus radical étant Manuel Brug dans Die Welt qui affirme non seulement qu’il ne fallait pas le faire, mais que c’est une honte qui déshonore Leipzig d’avoir investi dans l’opération. Excessif.
Cette année de bicentenaire est évidemment l’occasion de remonter ces œuvres peu connues qui  élargissent notre connaissance de l’œuvre: c’est toujours stimulant d’en apprendre un peu plus sur son compositeur chéri.
La production de Leipzig cependant ne restera pas dans les mémoires, et on peut s’en étonner: vu les feux de la rampe braqués sur Wagner et son bicentenaire, sur les représentations de Bayreuth et sur le partenariat Bayreuth/Leipzig, on pouvait penser qu’un soin tout particulier aurait été mis sur la distribution d’un ouvrage il est vrai très difficile à bien distribuer puisqu’il exige un soprano qui soit à la fois une Leonore de Fidelio,  une Agathe et une Elsa, et un ténor qui soit un peu Siegfried, un peu Max et un peu Florestan. Si nous y sommes presque avec Christiane Libor comme soprano dans Ada, nous en sommes loin, très loin avec Arnold Bezuyen dans Arindal. Et dans l’ensemble, cela reste bien médiocre.
C’est un peu paradoxal vu l’absence de ces œuvres sur les scènes, mais il existe un certain nombre d’enregistrements des opéras de jeunesse de Wagner et chacun peut donc se faire une opinion ou se construire une culture. En ce qui concerne Die Feen, une version intéressante et assez abordable (30€) avec les forces de l’opéra de Francfort dirigées par Sebastian Weigle vient de sortir, et il existe au même prix une version dirigée par Gabor Ötvös avec les forces du Théâtre de Cagliari, mais la référence de l’ouvrage reste l’enregistrement de Wolfgang Sawallisch, un coffret assez cher (60€ environ chez Orfeo) qu’il faut se faire offrir.
Wagner a 20 ans en 1833 et il produit une de ces œuvres où il va mettre presque tout ce qu’il sait, et un peu de ce qu’il fera. En 1833, le théâtre de Leipzig n’en veut pas et il faudra attendre le 19 juin 1888 pour que l’opéra soit créé à Munich sous la direction de Franz Fischer (mais avec Richard Strauss comme répétiteur, poussé par Hermann Levi le créateur de Parsifal). Finalement la première représentation à Leipzig a lieu en 1938, et c’est dans cette ville la seconde fois que l’opéra est monté. Si dans l’histoire de l’œuvre on compte pas mal de représentations concertantes, il y encore peu de productions, dont celle début 2009 au Châtelet, dirigée par Marc Minkowski, dans une mise en scène d’Emilio Sagi, avec déjà Christiane Libor.
L’histoire, inspirée d’un conte de Carlo Gozzi, La donna serpente, raconte les amours de Arindal, héritier d’un royaume de Tramond, avec Ada, une fée rencontrée en chassant une biche, à qui il est permis pour un temps (8 ans)  d’aimer ce mortel, à condition qu’il ne lui demande jamais qui elle est. Ils ont le temps de s’aimer, d’avoir deux enfants, mais Arindal pose la fatale question et se trouve expulsé du royaume des Fées. Il revient dans son royaume ravagé par la guerre, décide de le défendre contre l’ennemi et Ada est résolue à le suivre et à devenir mortelle, mais  lui impose des épreuves pour vérifier la solidité de son amour: elle lui fait notamment voir son armée décimée par un ennemi dont elle a pris la tête et  fait disparaître leurs enfants dans les flammes. Horrifié, Arindal la maudit et se trouve incapable d’aller défendre son pays contre l’ennemi: mais Ada lui révèle que tout cela n’était que sortilèges, mais maudite par son amour elle a perdu son pari et doit rester pétrifiée 100 ans avant de redevenir immortelle.
Arindal est désespéré et abdique, pendant que Morald défend le royaume et en devient le roi, partageant le pouvoir avec Lora, soeur d’Arindal. C’est alors que l’enchanteur Groma lui remet épée, bouclier et lyre. Tel Orphée muni de sa lyre, il enchante le royaume des morts et les pierres se réveillent et libèrent Ada. Tout est bien qui finit bien, Arindal est rendu immortel et aimera Ada à jamais.
On retrouve des thèmes déjà exploités à l’opéra (les épreuves, dans Zauberflöte, sauf que là, Arindal perd) ou bien évidemment le mythe d’Orphée qui enchante la monde par son chant. On retrouve aussi la question de l’identité si chère à Wagner (Lohengrin…) puisqu’on y retrouve la question à ne pas poser.
Du point de vue musical, l’influence de Weber se fait sentir, mais aussi de Marschner, mais aussi de Schubert,  mais aussi de Beethoven, mais aussi de Mozart (scène de dépit amoureux de Gernot et Drolla) dans une œuvre haletante, au rythme un peu répétitif, aux longueurs marquées, avec cependant de jolis moments. Ecouterait-on Die Feen si Wagner n’avait pas écrit le reste, sans doute pas, mais on écoute aussi les œuvres en fonction d’une histoire, d’une construction, d’un futur: on reconnaît donc çà et là des esquisses mélodiques qui donneront des airs fameux du deuxième acte de Tannhäuser, quelques éclairs qu’on retrouvera aussi dans Fliegende Holländer, en bref, le premier « grand » Wagner puisera dans ces archives là. Mais déjà Wagner se montre impitoyable avec les voix et notamment avec sa soprano à qui il impose un air au deuxième acte de plus de dix minutes qui épuise la chanteuse et avec son ténor aux aigus massacrants.
La mise en scène est de Arnaud Doucet et les décors et costumes d’André Barbe, une paire franco-canadienne qui fonctionne ensemble telle la paire Patrice Caurier-Moshe Leiser ou Jossi Wieler-SergioMorabito.
L’idée de départ en est assez banale: une famille est réunie à Leipzig (salon, cuisine américaine, réunion familiale) et le père écoute une retransmission des Fées de Wagner à l’Opéra de Leipzig, il plonge dans l’œuvre (ce qui, dirait Manuel Brug, est déjà héroïque!) à ce point qu’il va s’identifier avec le héros. A la fin, il retourne à son état de père de famille moderne, quand son épouse rentre de la salle de sport: toute la soirée, il sera habillé d’un cardigan rouge-orange et jamais il n’endossera les habits de preu chevalier.
Cela donne ainsi l’occasion de changements de décors fréquents, utilisant à plein la machinerie de Leipzig: ponts, tournette, apparitions d’un monde légendaire quelquefois réussi

L’arbre…©Tom Schulze

(l’apparition initiale des fées au pied d’un arbre très suggestif), d’autres fois moins (le palais d’Arindal, calqué sur la salle des Minnesänger de Neuschwanstein ou la descente aux enfers par une rampe d’escalier infinie) mais toujours entre le rêve/le dessin d’enfant et la maison de poupée.

Acte II ©Kirsten Nijhof

Une mise en scène non dérangeante, assez lisible, plus lisible en tous cas que celle de Emilio Sagi au Châtelet, mais moins jolie aussi. Peu de travail d’acteur, quelques éléments ironiques sur la manie de l’amateur d’opéra, sur la caricature des légendes médiévales, sur le théâtre aussi avec ses fumées, ses disparitions, sa magie. Mais tout cela manque singulièrement de poésie (sauf le tableau initial des Fées, vraiment très réussi) et globalement d’intérêt (mais ce livret permet-il autre chose?).
Musicalement, Ulf Schirmer dirige l’orchestre du Gewandhaus et c’est donc dans l’ensemble réussi dans la fosse, précision, rondeur, justesse: on se prend pourtant à rêver de ce que d’autres chefs auraient pu faire de cet orchestre, Minkowski d’abord, dont les Musiciens du Louvre au Châtelet étaient plus ductiles, plus vifs, plus légers, plus imaginatifs, mais aussi un Harding ou même un Weigle dont le récent enregistrement est plus clair et plus dynamique. On pense aussi au regretté Sawallisch!
L’ouverture, qui est longue (presque quinze minutes) devrait pour « passer » être menée sur un autre rythme, moins lourd, moins massif, moins pâteux, elle en devient ainsi interminable. Le moment le plus réussi est le deuxième acte, plutôt allégé, plutôt bien conduit, bien mené, et qui montre les qualités de souplesse éminentes de l’orchestre.  Ulf Schirmer, bon chef de répertoire, n’est pas un inventeur et il me semble que pour faire vivre cette musique pleinement, il faut inventer, dans les contrastes, dans la couleur, dans la syncope des rythmes, dans les passages de la vivacité au lyrisme plus contenu: la baguette de Schirmer n’est pas magique ou n’a pas la magie voulue pour cela.
Il reste que l’accompagnement orchestral est ce qu’il y a de meilleur au niveau musical, car le chœur (chef de chœur Alessandro Zuppardo), très sollicité, est très décevant, un ton en-dessous, jamais vraiment protagoniste alors que ses interventions mériteraient une meilleure mise en valeur. C’est pourtant un chœur habitué à Wagner, mais ici il m’a semblé moins en forme que d’autres fois.
Mais le véritable point noir, c’est la distribution formée de membres de la compagnie locale, corrects et d’invités (les Gäste), plus en difficultés. Dans les bonnes surprises, la Drolla de Jennifer Porto et de Gernot de Milcho Borovinov, bien en place, sonores, vifs en scène. Le magicien Groma assez élégant vocalement de Igor Durlovski, apparaissant en final comme Deus ex machina,  costumé en Wagner, Guy Mannheim en Gunther et Roland Schubert en Harald, très acceptables et les deux fées dont les noms sont pris à Gozzi Zemina (Viktorija Kaminskaite) et Farzana ( Jean Broekhuizen), l’ensemble des rôles de complément n’appelle pas de remarques acerbes au contraire des protagonistes
Detlef Roth en Morald s’en sort bien dans les deux premiers actes, mais son troisième acte est un naufrage, les aigus ne passent pas, la voix se coince, sans aucune ductilité et finit par produire des sons inappropriés pour le moins. Ce chanteur entendu dans Amfortas à Bayreuth m’a surpris. J’attendais bien mieux. Très décevant.
La Lora de Eun Yee You pourtant vaillante et brave n’a pas du tout le calibre voulu: elle ne fait pas de faute de chant, elle s’en sort même pas si mal eu égard à cette voix minuscule qui n’a pas le volume ni la largeur exigée par ce rôle. Elle doit s’imposer face à l’orchestre, notamment au début du deuxième acte, réussit tant bien que mal par la technique à exister, mais c’est vraiment tout petit. Une voix très légère de soubrette pour un rôle de soprano lyrique: cela coince forcément.
Arnold Bezuyen dans Arindal n’a pas du tout la voix exigée pour le rôle lui non plus, mais pour des raisons différentes. C’est un Heldentenor au son fixe, à la voix droite, appuyée sur un registre central puissant: une voix en bois. Or, il faut une voix qui soit plus versatile, plus mobile, moins fixe et un timbre plus clair: ici si le centre passe assez bien (son air initial du troisième acte est assez réussi) dès qu’il monte à l’aigu, la voix se rétrécit, il n’y a plus de volume, plus d’air, tout se resserre et c’est presque inaudible ou graillonnant. Pas de registre aigu, pas de grave, seul je l’ai écrit plus haut le registre central sauve la prestation, sauf que le rôle sollicite beaucoup les aigus et qu’ils sont à peu près tous ratés, trop fixes, sans éclat, avec un timbre opaque: c’est si peu techniquement adapté qu’il est difficile de donner une couleur quelconque à ce chant. Une erreur de distribution.

Christiane Libor et Arnold Bezuyen ©Kirsten Nijhof

Christiane Libor, qui doit être l’un des seuls sopranos capables de mener le rôle jusqu’au bout m’était apparue plus brillante au Châtelet. En tous cas, si les aigus restent triomphants, si la vaillance est là, l’air redoutable du deuxième acte la fatigue singulièrement et le deuxième acte se termine de manière un peu tirée, avec de menus problèmes d’intonations dus à l’épuisement. Cela s’arrange au troisième acte (où elle est moins  sollicitée il est vrai). Il reste que c’est la seule des trois protagonistes à vraiment s’en sortir avec les honneurs et à produire une prestation conforme à quelque réserve près à ce qu’exige la partition. Bravo, elle sauve la distribution par sa présence vocale, la seule à en avoir une.
On le voit, une soirée plutôt contrastée, qui ne correspond pas à ce qu’on attendrait d’un tel événement, unique en Allemagne. Que la mise en scène soit discutable ou passable, c’est la loi du genre, et celle-ci ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. La direction musicale ne fait pas tout pour sauver l’œuvre, mais n’est pas là non plus ce qui pèche le plus, mais la distribution (notamment les protagonistes masculins) n’est vraiment pas  à la hauteur de l’enjeu.
Les parisiens qui ont vu les représentations du Châtelet peuvent en rester là, car la tenue en était bien meilleure, et la musique plus au point, plus conforme à ce qu’on peut attendre. Inutile donc de faire le déplacement, et même pas à Bayreuth, où la représentation est concertante (ce sera peut-être plus dur…) et où Christiane Libor ne chantera pas. Ces Fées ont manqué de magie musicale. Attendons le tricentenaire de la naissance en 2113 ou le bicentenaire de la mort en 2083…
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Wagner descend parmi nous…©Tom Schulze

OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (3) : SPECTACLES A RETENIR – LEIPZIG – DRESDE – MUNICH

Il y a en Allemagne de grandes scènes historiques, prestigieuses, qui ont fait la gloire du chant et de la musique allemands, des fosses où jouent des orchestres mondialement reconnus, Staatskapelle de Dresde, Gewandhaus de Leipzig, Orchestre d’Etat de Bavière. De ces trois salles historiques, deux ont été des phares de la musique en Allemagne de l’Est: la Staatskapelle a continué à produire des disques avec les plus grands (Carlos Kleiber), le Gewandhaus grâce à Kurt Masur a été l’un de moteurs des manifestations avant la chute du mur, quant au Bayerisches Staatsorchester, il a été la phalange de Wolfgang Sawallisch pendant des dizaines années où ce chef magnifique a produit un travail de fourmi, modestement au pupitre des dizaines de fois dans l’année pour Wagner, Strauss ou Mozart et pour des représentations aussi bien prestigieuses que de répertoire.
Aujourd’hui, les difficultés financières de l’est mettent  surtout Leipzig, un peu moins Dresde en posture  délicate. La Staatskapelle de Dresde s’est donnée à Christian Thielemann, qui après ses échecs à Berlin et Munich a peut-être  trouvé sur les bords de l’Elbe la phalange qui lui convient.
Quant à Munich, c’est sans doute la salle d’opéra la plus rodée, la plus productive, la plus prestigieuse d’Allemagne: il suffit de considérer sa programmation, ses nouvelles productions, ses distributions. Ici Jonas Kaufmann, Anja Harteros et René Pape sont à portée de tram, comme jadis Carlos Kleiber ou Dietrich Fischer-Dieskau et Julia Varady. La salle est l’une des plus belles qui soient, avec ses deux appendices, le délicieux

La salle du Cuvilliestheater
Façade du Prinzregententheater

 

 

 

 

Cuvilliestheater, joyau baroque à portée de corridors de la salle principale (qui sert essentiellement pour le théâtre aujourd’hui), et le wagnérien Prinzregententheater, imitation de la salle de Bayreuth à quelques arrêts de tram (qui sert à tout, et quelquefois à l’opéra).

Vue de la salle du Prinzregententheater

Chaque ville par son charme et caractère mérite une ou plusieurs visites, et donc une soirée à l’opéra est toujours possible à organiser.

La façade de l’Oper Leipzig

Leipzig est la grande ville commerciale de la Saxe, et mérite une visite: c’est une ville aérée, avec ses maisons bourgeoises, son histoire musicale (Bach), bien nettoyée depuis la « Wende », et puis un concert au Gewandhaus (acoustique exceptionnelle) dirigé par Riccardo Chailly en face de l’Opéra ne peut se refuser, ainsi qu’une virée à Halle la ville de Haendel toute proche  ou à Bad Lauchstädt avec son petit Goethe Theater… un petit week end s’impose!

Le Semperoper de Dresde

Dresde s’est reconstruite peu à peu, et le centre horrible avec ses bâtiments typiques des années soixante socialistes est en train d’être refait. Déjà la fameuse Frauenkirche, l’église luthérienne la plus fameuse d’Allemagne, de l’architecte George Bähr,  qui trônait au XVIIIème sur les peintures de Bellotto, détruite lors du bombardement, est de nouveau debout, et Zwingermuseum et Semperoper trônent sur les bords de l’Elbe, au centre de celle qu’on appelle la Florence du nord, avec son extraordinaire Musée, l’Albertinum, qui est l’un des plus riches d’Europe (Giorgione…Vermeer). Une petite excursion au château de Pillnitz dans la vallée de l’Elbe, et le week end est déjà fini, avec un bel opéra ou un beau concert au milieu.

Le Nationaltheater, façade

Quant à Munich, entre les palais (Nymphenburg), les musées (Neue Pinakothek et Alte Pinakothek), les églises baroques (des frères Asam) le théâtre et les concerts, les brasseries (Hofbräuhaus de grande tradition et Mathäser plus populaire) et un tour chez Dallmayr pour les pâtisseries, offre de quoi remplir un très large week end.
Voilà trois week ends de l’année déjà réservés, il vous reste à choisir les spectacles…

Ces trois théâtres ont en commun un passé et une histoire avec Richard Wagner: Leipzig où il est né, Dresde où il a vécu et où il était le « Königlich-Sächsischer Hofkapellmeister » directeur de l’actuelle Staatskapelle et où il a créé Rienzi, Der fliegende Holländer et Tannhäuser avant d’en être chassé après avoir grimpé sur les barricades de 1848, et Munich qui peut à juste titre entrer en compétition avec Bayreuth puisque bien des opéras y ont été créés, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold, Die Walküre. D’ailleurs, entre Munich et Bayreuth, une saine émulation règne depuis des  d’années. Je m’en vais donc regarder ces programmes sous le signe de Wagner, puis explorer ce qui peut faire l’objet d’un intérêt particulier dans le reste des programmes.

Vue de la salle de l’Oper Leipzig

S’il y a un moment où aller à Leipzig, c’est en février 2013: en calculant bien vous y verrez Die Feen, de Wagner, opéra dirigé par Ulf Schirmer, GMD et Intendant de l’Opéra de Leipzig, dans la nouvelle production de Renaud Doucet et les décors d’André Barbe, qui va ensuite aller à Bayreuth, et un concert du Gewandhaus dirigé par Riccardo Chailly (Mahler 5ème symphonie). Certes, il peut faire froid à cette période, mais entre Wagner et Mahler, il y a de quoi se réchauffer l’âme.
Entre diverses nouvelles productions, signalons tout de même le 4 mai 2013 (et en mai-juin) le début d’un nouveau Ring, cette saison, Das Rheingold dirigé aussi par Ulf Schirmer dans une mise en scène de la danseuse, chorégraphe et metteur en scène anglaise mais bien enracinée en terre germanique, Rosamund Gilmore, plutôt spécialisée dans les créations de musique contemporaine, qui est appelée par Ulf Schirmer avec qui elle a travaillé à Munich, à réaliser le nouveau Ring de Leipzig.
Dans les reprises retravaillées (Wiederauhnahmen), on remarque Rienzi en mars (Une  soirée le 2) et en mai (Une soirée le 25) dirigé par le « erster ständiger Gastdirigent », premier chef invité (qui dirige en fait l’essentiel des reprises et pas mal de premières) Matthias Foremny, dans une version plus longue que celle de la Deutsche Oper Berlin, et la mise en scène de Nicolas Joel et les décors de Andreas Reinhardt. Rienzi sera Stefan Vinke, qui est un solide ténor. On voit si peu Rienzi (même si Toulouse vient d’en présenter un, avec Torsten Kerl et Marika Schönberg, prévue dans la distribution de Leipzig) que cela peut valoir le déplacement. On attendra peut-être le Rienzi de Bayreuth (mi juillet)  avec Christian Thielemann au pupitre.

La Salle du Semperoper Photo: Jürgen Männel

Alors que l’Oper Leipzig s’appuie beaucoup sur le travail de la troupe et des chefs maison, la Semperoper de Dresde s’appuie plutôt sur un grand nombre de chanteurs invités (comme « Gast ») et fait appel à des chefs extérieurs qu’on retrouve souvent dans d’autres scènes, et ainsi la programmation y est plus proche des standards internationaux. La présence de Christian Thielemann depuis cette année oblige à un niveau moins « local » qu’à Leipzig. Voyons donc d’abord « Wagner à Dresde« , titre d’un colloque qui a ouvert la saison le 15 septembre dernier. Les manifestations et productions wagnériennes courront toute l’année 2013 sur les deux saisons; ainsi en automne 2013 verra-t-on fin octobre Tannhäuser dans la mise une scène de Peter Konwitschny et mi-novembre une reprise de Tristan und Isolde dans celle de Marco Arturo Marelli.

La salle du Semperoper . Photo Jürgen Männel

En janvier 2013, Christian Thielemann dirigera à partir du 13 janvier trois représentations de Lohengrin dans une mise en scène de Christine Mielitz (qui remonte à 1983…) , très demandée en terre germanique (elle a aussi signé le Parsifal viennois et beaucoup de mises en scène à Dresde). La distribution est de choix: Robert Dean Smith, Kwanchoul Youn, Soile Isokoski, Jane Henschel et Wolfgang Koch, le futur Wotan de Bayreuth. Passons sur le Parsifal qu’on ne verra qu’à Salzbourg (23 mars et 1er avril) cette année, en coproduction avec la Semperoper, mise en scène Michael Schütz avec Johan Botha en Parsifal. A Dresde est prévue en revanche en juin (le 15) une nouvelle production de Der fliegende Holländer dirigée par Constantin Trinks, mise en scène de Florentine Klepper, dans une distribution plutôt locale, si l’on excepte Georg Zeppenfeld dans Daland.
Deux originalités, deux opéras que Wagner admirait tout particulièrement, une nouvelle production de La Juive, de Halévy, en mai 2013, mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito, dirigé par le jeune chef tchèque qui monte, l’excellent Tomáš Netopil avec Marcello Giordani dans Eleazar, et une représentation concertante de La Vestale de Spontini pour trois soirs en juin et juillet, dirigée par le vétéran Gabriele Ferro, avec Maria Agresta, la soprano dont on parle de plus en plus.
Enfin deux concerts donnés à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Wagner (22 mai), le 18 mai avec Das Liebesmahl der Apostel de Wagner (1843) et la Reformations Symphonie de Mendelssohn, et le 21 mai (le 22 Thielemann dirige à Bayreuth) un concert composé des scènes pour ténor des opéras de Wagner créés à Dresde avec… Jonas Kaufmann.
Si vous êtes amateur de surprises, il vous faudra aussi venir à Dresde en mars, avril, mai ou juin, voir Manon Lescaut de Puccini dans une mise en scène de Stefan Herheim avec Norma Fantini dans Manon (disparue des scènes italiennes, mais bien vivante en Allemagne) et le jeune ténor qui monte, Thiago Arancam (entendu à Lyon l’an dernier  dans Il Tabarro) dans Des Grieux, le tout dirigé par…Christian Thielemann qu’on n’attend vraiment pas dans Puccini. Pour Herheim, pour Arancam, pour Thielemann..vaudra le voyage.
Autre curiosité, mais en janvier février mars (et juin pour une représentation), Orlando de Haendel dirigée par Jonathan Darlington dans une mise en scène sans doute inventive d’Andreas Kriegenburg (le Ring de Munich).
Enfin, un opéra pour enfants de 50 minutes en un acte de Ernst Krenek dans la petite salle, Das geheime Königsreich, direction Mihkel Kütson et mise en scène Manfred Weiß.

La salle du Nationaltheater

Et Munich? Incontestablement nous passons à la vitesse supérieure, la Bayerische Staatsoper étant pour mon goût le théâtre de niveau international qui en Europe, est le plus régulier pour la qualité musicale, la qualité des productions et les larges choix de répertoire. A Munich, vous serez rarement déçu car l’offre est de haut niveau et chaque soirée a quelque chose à offrir: c’est à la fois un théâtre de grande et longue tradition, mais qui n’hésite pas, et depuis longtemps, à proposer des spectacles stimulants, modernes tout en conservant dans ses cartons des productions traditionnelles de bon aloi, ou qui ont marqué l’histoire. En terme d’offre, Munich peut largement soutenir la comparaison avec Vienne.
De plus chaque année, en juillet, c’est le moment du Festival (Münchner Opernfestspiele), 130 années d’existence, qui reprend des représentations de répertoire avec des distributions renouvelées et de grand niveau, et qui propose une à deux nouvelles productions. Le Festival 2013 (27 juin-31 juillet)  propose une ligne honorant et Verdi et Wagner, dont c’est le 200ème anniversaire). On y verra donc une nouvelle production de Il Trovatore le 27 juin 2013 et pour quatre représentations dans une mise en scène d’Olivier Py, dirigé par Paolo Carignani, avec Alexey Markov (Luna), Elena Manistina (Azucena) et …Anja Harteros (Leonora) et Jonas Kaufmann (Manrico). Jonas Kaufmann n’a pas la couleur d’un Manrico, mais c’est un tel chanteur…On verra aussi une reprise de Falstaff dans une production d’Eike Gramms (Aïe) dirigée par Paolo Carignani avec Ambrogio Maestri, et Véronique Gens dans le rôle d’Alice Ford, de La Traviata dirigée par Dan Ettinger avec le trio Marina Rebeka, Piotr Beczala, et Simon Keenlyside dans la mise en scène de Günter Krämer (Aïe), de Simon Boccanegra, nouvelle production de la saison (et non du Festival) dont la première aura eu lieu le 3 juin 2013 (suivie de quatre représentations) dans une mise en scène de Dimitri Tcherniakov, dirigée par Bertrand de Billy, avec Zeljko Lucic, Krassimira Stoyanova, Vitalij Kowaljov et Ramon Vargas, d’Otello dans la mise en scène sans grand intérêt de Francesca Zambello dirigée par Paolo Carignani, avec le trio Johan Botha dans le Maure, Claudio Sgura dans Jago, Pavol Breslik dans Cassio et…Anja Harteros comme Desdemona, de Rigoletto, nouvelle production de la saison dont la première est prévue le 15 décembre dirigée par Marco Armiliato , reprise au Festival sous la direction de Fabio Luisi, dans une mise en scène d’Árpád Schilling, ce qui devrait être particulièrement intéressant, avec Joseph Calleja, Franco Vassallo, et Patricia Petibon dans Gilda pour trois représentations, de Macbeth pour une seule représentation avec Zeljko Lucic et Nadja Michael dans la production de Martin Kušej (ce qui est toujours stimulant) et dirigée par Massimo Zanetti. enfin, ce festival Verdi impressionnant permettra de revoir la production de Don Carlo de Verdi de Jürgen Rose pour deux représentations de folie, les 25 et 28 juin, avec, tenez vous bien, Jonas Kaufmann et Anja Harteros, René Pape, Mariusz Kwiecien, Sonia Ganassi et dirigée par Zubin Mehta…qui manquerait  cela?
Et ce n’est pas fini! Parce que après Verdi vient Wagner, dès le début du Festival avec une seule représentation de Der Fliegende Holländer, dirigée par Asher Fisch (bof), dans la mise en scène de Peter Konwitschny, avec Johan Reuter et Hans-Peter König, la Senta de Anja Kampe et l’Erik de Klaus Florian Vogt….immédiatement suivie le lendemain d’une seule représentation de Tannhäuser dirigée par Kent Nagano dans la mise en scène de David Alden avec rien moins que Robert Dean Smith, Christiph Fischesser, Petra Lang dans Venus, et Anne Schwanewilms dans Elisabeth, et le Wolfram de Mathias Goerne. Deux jours après, le 3 juin, une seule reprise de Lohengrin (vous l’aurez compris, tout y passera!) dans la mise en scène de Richard Jones, dirigée par Lothar Koenigs, avec Annette Dasch, Klaus Florian Vogt, Evguenyi Nikitin, Micaela Schüster et Hans Peter König, et le 15 juillet, Tristan und Isolde dans la mise en scène de Peter Konwitschny, dirigé par Kent Nagano, avec Gary Lehmann dans Tristan, Petra-Maria Schnitzler dans Isolde, Ekatera Gubanova dans Brangäne, MArkus Eiche dans Kurwenal et René Pape en Roi Marke.
On n’échappera pas non plus au Ring dans la production discutée et inégale d’Andreas Kriegenburg, qu’on verra déjà en janvier, sous la direction de Kent Nagano (13,14, 15, 18 juillet) avec notamment  dans Wotan Johan Reuter(Rheingold), Bryn Terfel (Walküre), le Wanderer de Juha Uusitalo (Siegfried), Sophie Koch dans Fricka, Tomasz Konieczny dans Alberich, la Brünnhilde de Katarina Dalayman (Walküre), Catherine Naglestad (Siegfried), et Nina Stemme (Götterdämmerung), le Siegmund de Simon O’Neill et la Sieglinde de Petra Lang,  le Siegfried de Stephen Gould, sans compter Iain Paterson (Günther), Hans-Peter König (Hunding et Hagen). Ce déluge wagnérien sera conclu le 31 juillet par Parsifal, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, dirigé par Kent Nagano, avec Christopher ventris, Thomas Hampson dans Amfortas, Kwanchoul Youn dans Gurnemanz, le Klingsor d’Evguenyi Nikitin, et la Kundry de Petra Lang.
Seul absent de cette impressionnante série, Die Meistersinger von Nürnberg qui aux temps de Sawallisch clôturait le Festival le 31 juillet mais dont on peut penser qu’ils seront proposés à la fin de l’année Wagner en automne 2013.
Ce n’est pas fini, parce qu’il fallait bien au programme quelques œuvres « autres » que du Verdi ou du Wagner. On pourra ainsi voir au Prinzregententheater Ariadne auf Naxos dans la mise en scène de Robert Carsen, dirigée par Bertrand de Billy, avec Burkhard Fritz dans Bacchus, Sophie Koch dans le Compositeur, Jane Archibald dans Zerbinetta, et Eva-Maria Westborek dans la Primadonna, une reprise pour une seule représentation (le 21 juillet)  de l’événement de ce début de saison, Babylon, le nouvel opéra de Jörg Widmann sur un texte de la star des philosophes Peter Sloterdijk, dirigé par Kent Nagano dans une mise en scène de Carlus Padrissa de la Fura dels Baus avec notamment Anna Prohaska,  Willard White et Gabriele Schnaut, une reprise (le 26 juillet) pour deux représentations d’une des nouvelles productions de la saison, Boris Godunov, de Mussorgski, dirigé par Kent Nagano dans la version de 1869 et dans la mise en scène très attendue de Calixto Bieito avec Alexander Tsymbalyuk dans Boris, Analtoli Kotscherga dans Pimen et Gerhard Siegel dans Schuiski. Enfin, dernière Première prévue, au

La salle du Prinzregententheater

Prinzregententheater, celle de Written on skin, de Georges Benjamin, qui fait le tour du monde, le 23 juillet (et les 25 et 27) dans la mise en scène de Katie Mitchell, dirigée par Kent Nagano, avec Barbara Hannigan.
En considérant la programmation du festival, on a une idée de ce que peut-être la saison 2012-2013 de la Bayerische Staatsoper. Vous pouvez allez voir les spectacles dans l’année à un prix moindre qu’en période de festival, à commencer par Lohengrin en ce mois de novembre, qui affichera Anja Harteros et Klaus Florian Vogt, à partir du 15 décembre, nouvelle production de Rigoletto mise en scène Árpád Schilling, dans la même distribution qu’au festival, mais dirigé par Marco Armiliato,  et un adieu à la vieille production de Herbert List (1965) de Hänsel und Gretel, dirigée par Kazushi Ono  pour préparer Noël, avant la nouvelle production de mars 2013, dirigée par Tomáš Hanus, mise en scène par Richard Jones, en janvier deux Ring complets, à la distribution à peu près semblable à celle de juillet, et pendant tout le mois de février le nouveau Boris Godunov, mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kent Nagano, dans la version de 1869, sans l’acte polonais, dont il était question pour le festival. Et pour mémoire en juin le Simon Boccanegra mis en scène par Dimitri Tcherniakov et dirigé par Bertrand de Billy dont il était question plus haut.
Dans les reprise, notons une Aida (dirigée par Paolo Carignani, mise en scène Christof Nel) très bien distribuée (Michael Volle Amonasro, Sondra Radvanovski Aida, Anna Smirnova Amneris et Robert Dean Smith inattendu dans Radamès) , en janvier une Lucrezia Borgia de la nostalgie, dirigée par Paolo Arrivabeni, mise en scène (Aïe) de Christof Loy, avec Edita Gruberova, Sonia Ganassi, Charles Castronovo et Franco Vassallo, une distribution qui inspire l’envie. En continuant avec le bel canto, on pourrait voir en février une reprise de I Capuleti e i Montecchi , dans la mise en scène de Vincent Boussard, et dirigée par Yves Abel avec Joyce Di Donato et Ekaterina Siurina, à partir du 3 mars pour trois représentations, la production du Tristan und Isolde, avec Gary Lehmann et Waltraud Meier (direction Kent Nagano), et à Pâques deux représentations de Parsifal (Michael Weinius en Parsifal,  Michael Volle (Amfortas) et Petra Lang, suivies de quelques Otello (voir plus haut) avec Anja Harteros en Desdemona et Johan Botha en Otello; le jeune et talentueux Patrick Lange dirigera en avril aussi un Entführung aus dem Serail avec Peter Rose en Osmin, Rainer Trost en Belmonte et Maria Bengtsson en Konstanze, tandis que en mai Adam Fischer reprendra Don Giovanni (mise en scène Stephan Kimmig) avec Erin Wall et Annette Dasch, Alex Esposito et Gerard Finley. Tout cela entrelardé de Fliegende Holländer, de Hänsel et Gretel, l’Elisir d’amore, de

La salle du Cuvilliestheater

Macbeth, de Traviata et surtout de la nouvelle production de l’Elegie für junge Liebende de Henze, qui vient de disparaître,  au Cuvilliestheater, avec les jeunes de l’opéra-studio dans une mise en scène de Christiane Pohle.

Un aussi vaste choix laisse une grande liberté, il y en a pour tous les goûts, et le festival a une programmation impressionnante. Don Carlo reste le moment à ne pas manquer, mais Boris Godunov, le Ring, et ce nouveau Trovatore attirent aussi…quant aux admirateurs de Madame Harteros, ils ont l’embarras de choix, entre Lohengrin, Otello, Trovatore et Don Carlo.
Il ne vous reste plus qu’à vous précipiter sur vos agendas, sur les sites des compagnies aériennes, et d’organiser vos week-ends germaniques et lyriques, je suis sûr que vous ne le regretterez pas.

OPERNHAUS LEIPZIG 2011-2012: AUFSTIEG UND FALL DER STADT MAHAGONNY de Kurt WEILL/Berthold BRECHT (Ms en scène: Kerstin POLENSKE, Dir.mus: William LACEY avec Stefan VINKE) le 12 mai 2012

Après Flotow et la campagne, Kurt Weill et Leipzig. Je n’avais pas vu Leipzig depuis vingt ans. A l’époque, une ville grise, toute bouleversée par des travaux multiples, des maisons à l’abandon, pas restaurées, pas ravalées. Aujourd’hui, une ville verte, aux larges allées, aux maisons superbes, un centre ville complètement réaménagé. Vaut le voyage comme disent les guides. Au centre, à deux pas de l’immense gare, la Augustusplatz avec d’un côté l’Opéra, de l’autre l’auditorium très moderne du Gewandhaus.
L’Opéra est un grand bâtiment construit par l’architecte Kunz Nierade entre 1956 et 1960, exemple de classicisme socialiste, la plus ambitieuse construction théâtrale de l’Allemagne de l’Est: vastes salles, vastes foyers, escaliers monumentaux, or, lumières, bois, une vraie belle salle à vision frontale d’environ 1800 places, une large scène de 16m d’ouverture, une grande fosse pour l’orchestre du Gewandhaus qui officie à l’opéra. Un magnifique théâtre pour un lieu d’histoire musicale très riche !
Mais ce soir, quelle tristesse, 300 personnes au plus, une salle clairsemée pour cette quatrième représentation de la nouvelle production de « Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny » qui devait être dirigée par le GMD Ulf Schirmer, mais qui est remplacé par son assistant William Lacey. Il est vrai que ce soir la concurrence du football est rude (finale de la coupe), mais il est vrai aussi que l’Opéra de Leipzig est en graves difficultés financières, alors que c’est l’un des fleurons de la culture musicale germanique, aussi bien par les compositeurs qui y ont été chez eux depuis sa création en 1693 que par des chefs comme Arthur Nikisch ou Gustav Mahler y furent attachés. C’est donc une grande maison qui emploie 700 personnes et qui vaut d’être défendue, et vantée.
Quelle tristesse, car la production, l’orchestre, la troupe sont de très haute tenue. Programmée au moment où le gros de l’orchestre est en tournée, Mahagonny est joué par un effectif réduit d’une trentaine de musiciens, au son chaud, rond, à la présence forte, et sans une scorie. L’opéra est conçu un peu comme une revue, avec des scènes séparées par des interventions d’un acteur/commentateur, une de ces fresques épiques qui nécessitent choeurs, espace, et voix puissantes.
L’histoire est celle d’une ville, née à l’initiative de trois malfrats, qui vont en faire une ville de plaisir pour les chercheurs d’or qui viennent y dépenser leur argent: prostitution, corruption, meurtres, tout y est permis: Brecht et Weill en font une sorte de métaphore du capitalisme. Œuvre interdite évidemment sous le nazisme.
Dans cette ville, rien n’est défendu et le motto en est « Du darfst », (tu peux tout te permettre), motto inventé par un personnage bien léger qui brûle son argent, Jim Mahoney, et qui lorsqu’il se retrouve sans le sou, est condamné à la chaise électrique par les trois malfrats, dont la maquerelle Leocadia Begbick. La chanson emblème de l’oeuvre, « Alabama Song », a été reprise en 1968 par les Doors et reste l’une des chansons les plus connues au monde. La figure du couple est représentée par Jim et la prostituée Jenny, aux rapports ambigus, où amour et argent s’entrecroisent et s’entremêlent.
La mise en scène de Kerstin Polenske, metteur en scène et chorégraphe, qui compose une mise en scène épurée, avec de beaux mouvements, notamment du chœur et des ensembles, qui se distribue autour de deux structures métalliques, un escalier au fond et un pont au milieu, quelques vidéos, quelques meubles, des couleurs vives et criardes (rouge, jaune/vert fluo): au départ on craint la monotonie, et en fait on ne voit pas le temps passer, c’est très fluide, très clair, très bien construit et joué.
On l’a dit l’orchestre est très bien mené, le son est très rond, le rythme très bien scandé, comme une vraie revue berlinoise, et la troupe de chanteurs de très bon niveau, à commencer par l’extraordinaire Mahoney de Stefan Vinke, qu’on a vu dans de nombreux rôles wagnériens, qui impose sa voix forte, ductile, et son jeu dynamique: il est très émouvant; la Jenny de la jeune canadienne d’origine grecque Soula Paradissis est une vraie trouvaille, voix pleine, forte chaude, bien posée, jeu dynamique, elle remporte un immense succès. Karin Lovelius est Leocadia, un rôle souvent confié à des gloires en fin de carrière (Gwyneth Jones le fut à Salzbourg), et elle campe le personnage avec force. Même si on est toujours un peu dubitatif quant à la place dramaturgique de cette femme tiroir-caisse.  Tous les autres membres de la troupe sont sans reproche. Une soirée de grand intérêt, qui montre le niveau des représentations dans cette maison, et qui fait regretter l’assistance clairsemée.
Au total une journée passionnante, chaleureuse, qui montre la richesse de l’offre germanique un samedi de mai, et qui ne donne qu’une envie, c’est de revenir.