CONCERT À CARNEGIE HALL NEW YORK: Alan GILBERT dirige le NEW YORK PHILHARMONIC (MAHLER SYMPHONIE N°6) le 2 mai 2012

Du haut du paradis...

Quelques considérations supplémentaires sur Carnegie Hall, pendant que les français dormaient, bercés par le doux rond rond du grand débat médiatique du jour entre FH et NS. Ce soir, c’était une fois encore Mahler dont il était question, avec la Symphonie n°6 « Tragique » par le New York Philharmonic dirigé par son chef permanent Alan Gilbert.
En arrivant je me suis de nouveau promené dans les couloirs, j’ai remarqué d’autres photos dédicacées (Bruno Walter, Jeanette McDonald, Tatiana Troyanos, Michael Tilson Thomas) et je me suis attardé dans le couloir des autographes, en attendant l’ascenseur qui m’amènera au paradis, tout en haut, dernier rang du Balcony. En effet, il faut connaître un peu les trucs pour éviter queue et cohue. Vous arrivez à 19h20, vous prenez l’ascenseur qui vous amène obligatoirement au niveau du « Parquet » (fauteuils d’orchestre). Vous allez boire un pot au Citi Bar, et à 19h35, vous rappelez l’ascenseur conduit par une charmante jeune fille (bouton descente: très important). L’ascenseur s’arrête, il est vide, vous descendez au niveau du lobby et vous êtes tranquillement dans un ascenseur où va s’engouffrer une foule monstrueuse: pas de queue, pas de bousculade….
Bon ce soir le Citi Bar était fermé, occupé par une « Private party ». Et donc j’ai pu passer mon temps à regarder les partitions autographes ou les lettres de compositeurs connus (Berlioz) ou inconnus. Et en lisant les lettres en français de Ruggero Leoncavallo (« I Pagliacci ») ou de Franz Liszt, j’ai été frappé par leur magnifique français. De Liszt, je le savais, de Leoncavallo, pas du tout, et j’ai pu admirer le style et l’aisance sans une faute ni de syntaxe ni d’orthographe. On apprenait bien les langues au XIXème siècle. Prenons en de la graine.
Bon c’était mon quart d’heure digressif. Revenons à notre concert.

New York Philharmonic

Le New York Philharmonic, c’est une première pour moi. J’ai entendu bien d’autres grands orchestres américains (Boston, Pittsburgh, San Francisco, Los Angeles, Cleveland, Chicago). Je me souviens en 1982 avoir entendu San Francisco avec Tilson Thomas au fameux Hollywood Bowl et Boston avec Ozawa dans Fidelio (Behrens, Mac Cracken) à Tanglewood; mais jamais le New York Phiharmonic, dont j’ai beaucoup de CD (Mahler Bruno Walter, Mahler Bernstein, Boulez Wagner). Le New York Philharmonic, grâce à Bruno Walter (comme le Concertgebouw en Europe grâce à Mengelberg) a son brevet Mahler en poche et Leonard Bernstein a continué la tradition (tout mahlérien a son intégrale avec NY!). C’était donc une grande joie d’entendre dans Mahler cet orchestre exceptionnel (et après l’avoir entendu, on peut dire qu’il l’est!). Peu de gens savent qu’en 1989, Claudio Abbado était sur le point d’en prendre la direction au moment où il a été élu par les Berliner Philharmoniker, à sa grande surprise (ce fut une question de quelques jours).  Bien sûr, Berlin, c’était mieux! Mais je suis sûr que cet orchestre, au répertoire plutôt ouvert, lui aurait aussi convenu.

Alan Gilbert

Alan Gilbert, 45 ans, est le premier newyorkais pur sucre, né à New York, à en avoir pris la direction, depuis 2009. Il est peu connu en Europe, même s’il a dirigé des orchestres comme le Concertgebouw ou les Berliner Philharmoniker, même s’il a été le chef principal du Royal Stockholm Philharmonic Orchestra, et encore principal chef invité du NDR Symphony Orchestra (Directeur musical Thomas Hengelbrock). C’est un enfant du milieu musical, voire du New York Philharmonic: son père Michael Gilbert et sa mère, la japonaise Yoko Takebe étaient eux-mêmes violonistes dans cet orchestre.
L’orchestre est une de ces phalanges, comme le sont souvent les orchestres américains, difficiles à prendre en défaut, chaque pupitre est en place, techniquement parfait, avec des pianissimi extraordinaires, pas une scorie, une vraie machine huilée à la perfection. Le son en est extraordinaire, magnifié par cette acoustique phénoménale de Carnegie Hall qui ne laisse rien passer: on entend tout, de manière tellement claire, tellement identifiable, tellement fine, qu’à la limite le son massif d’un « tutti » a des difficultés à monter comme tel, mais  semble fractionné en centaines de sons divers qu’on essaie de suivre chacun. Une expérience étonnante, surtout du dernier rang du « Balcony », avec vue plongeante sur l’orchestre et le chef si lointains, et un son si proche, si immédiat, si présent.
Nous avons entendu une sixième pour moi assez inhabituelle, où a été privilégiée la dynamique, le sens de l’épopée, le volume sonore: c’est fort, mais au total ce n’est pas cela qui frappe.

Un premier mouvement martial, une sorte de marche décidée, qui laisse peu de place au doute ou à l’attendrissement, avec un sens de la dynamique significatif. Gilbert, au geste large, aux nombreux mouvements du corps, anime fortement cette dynamique qui séduit assez (le coeur bat la chamade) lors du premier mouvement. Il a choisi de donner l’andante avant le scherzo, au contraire de ce que Mahler avait écrit originellement: le scherzo s’enchaîne bien avec le premier mouvement (allegro energico ma non troppo) . L’andante est une grosse déception. Ce moment sublime, d’un lyrisme bouleversant, d’une mélancolie marquée, m’a tellement secoué en écoutant plusieurs fois Abbado (avec le LFO, mais encore plus avec les Berliner) qui fait pleurer l’orchestre comme personne, que cette fois, cela me laisse complètement froid. C’est parfaitement en place, tout y est, et rien ne prend. Le tempo semble un peu rapide, le son un peu épais, malgré les très beaux soli du premier violon. Le temps ne s’arrête pas, n’est pas suspendu, la sensibilité n’est absolument pas au rendez-vous.
Avec le scherzo et le dernier mouvement(finale, allegro moderato, allegro energico), l’épique reprend le dessus et visiblement Gilbert est plus à l’aise: le début du « finale » est tout à fait extraordinaire parce qu’on lit la complexité de la construction, et en même temps l’engagement, et la dynamique d’ensemble qui me fait irrésistiblement penser à la sculpture « Forme uniche della continuità nello spazio » de Umberto Boccioni (actuellement au MOMA, de 9 années postérieure

Forme uniche di continuità nello spazio / MOMA, NYC

à la symphonie, composée en 1904, ), dans son allure décidée, allant de l’avant. On est devant un Mahler très cinématographique, en cinémascope devant une vue de grands espaces je dirais, un Mahler très « américain » sans aucune touche péjorative de ma part, mais simplement illustrative.
Cette interprétation est paradoxale, elle est dramatique, mais pas tragique, elle serait même par moment ouverte et optimiste, et le tutti final si énorme avant les dernières mesures qui éteignent le son ne sonne pas comme un coup final, comme un couperet qui s’abattrait: alors que la symphonie a toujours été jouée assez fort, ici cela n’apparaît pas « fortissimissimo » comme cela devrait l’être. Le son est fort, mis en relief, mais jamais en représentation spectaculaire comme pourrait l’être le Mahler d’un Rattle, ni superficiel. C’est un vrai discours sur l’œuvre, qui dit des choses, qu’on peut cependant ne pas partager.
Au total, une grande expérience sonore, une vraie interprétation, un magnifique orchestre. Je n’ai pas été toujours à l’unisson, je ne suis pas toujours entré dans ce discours, mais il y eut des émotions, des battements de cœur, même si je préfère sans doute un autre vision de Mahler (suivez mon regard…).
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