Il faisait beau ce samedi sur la route qui mène à Leipzig. Un temps pour “wandern”, pour se promener en errant un peu sur les routes du Sachsen-Anhalt, et l’idée est venue, avant d’atteindre Leipzig, de faire un crochet vers Bad Lauchstädt, charmante petite station thermale, très fameuse au XVIIIème et XIXème, si fameuse que Goethe y passait ses étés et y fit construire en 1802 un petit théâtre de campagne, tout en bois, pour des saisons d’été. Ce théâtre existe toujours, ainsi que les saisons qui débutent en avril. L’endroit est charmant, bucolique à souhait, alors que la région alentour est remplie de raffineries (Leuna) d’usines (Merseburg) et qu’elle semble le terrain chéri de ceux qui cultivent tous les moyens de produire de l’énergie: champs d’éoliennes géantes, parcs immenses de plaques solaires, centrales nucléaires. Pourtant, tout près de ces paysages agressifs, au fond d’un vallon vert gît Bad Lauchstädt, ce petit paradis bien heureusement oublié de la modernité industrielle. L’ami qui m’accompagne et moi décidons d’aller faire un petit pèlerinage dans ce lieu découvert pour ma part il y a vingt ans.
En arrivant, nous entendons distinctement de la musique et nous découvrons que c’est cet après midi (il est 15h environ) la Première de Martha de Friedrich von Flotow, dans une production de l’Opéra de Halle (la ville de Haendel). Nous décidons de rester, attendant l’entracte pour jeter un coup d’œil dans la salle. Peu après, une dame vient nous voir, nous demande si nous sommes en retard, nous lui expliquons notre petit détour, notre surprise de voir le théâtre en fonction, et, sans autre forme de procès, avec une douce gentillesse, elle nous propose de nous placer en salle après l’entracte pour que nous puissions voir la seconde partie du spectacle. Ravis, nous attendons autour d’un “Café Kuchen”, café et gâteau au pavot.
L’entracte arrive, et nous visitons la salle, une petite salle en bois avec un balcon,
qui contient environ 200 places, avec une petite scène et la place d’un orchestre réduit. “Martha” exige que l’orchestre déborde sur le balcon et sur les côtés.
L’endroit est charmant, paisible, souriant. Un petit paradis qui vient de s’offrir à nous.
Nous assistons donc à la seconde partie de Martha, merveilleusement placés par la dame qui appartient à la direction artistique de ce théâtre qui programme des opéras (Rossini, Mozart, Haendel, Flotow) des pièces de théâtre (Jakob Lenz), des lectures, des conférences (Peter Schreier). L’ensemble de la troupe et l’orchestre sont de l’Opernhaus Halle, qui se transfère pour l’occasion aux champs, Halle n’étant distante que de 35 km environ (et Leipzig d’une soixantaine). Quand on pense aux dizaines de petits théâtres de ce type en Italie (Vénétie, Emilie Romagne) qui sont de véritables bijoux, et qui sont fermés faute de politique culturelle digne de ce nom…
Tout de suite, ce qui frappe dans cette représentation, c’est son niveau de qualité: un orchestre vraiment au point, très dynamique, très précis dirigé par un jeune chef, Kevin John Eduseï, premier prix du Concours de direction d’orchestre Dimitri Mitropoulos, qui a aussi participé aux classes de direction de Pierre Boulez à Lucerne.
Le son est clair, peu réverbérant, la salle est à peu près pleine. La mise en scène, de Michael McCaffery, est discrète, dans ce petit espace, et joue sur les lumières, la vidéo, les jeux d’ombre et l’espace des balcons du théâtre, drapeaux anglais, projection de salle de théâtre, couleurs, et couleur locale, tout cela se déroule de manière fluide et sympathique. L’opéra comique est mondialement célèbre, et a été joué sur toutes les scènes du monde jusqu’à la seconde guerre mondiale, les grands mères amoureuses de l’opéra connaissaient toutes le grand air de Martha. Aujourd’hui, à part dans l’aire germanique, il a disparu des programmes des théâtres.
L’histoire est une sorte de marivaudage, deux jeunes filles, fatiguées de la vie de cour, décident de s’échapper et de se faire passer pour des servantes. Elles vont au marché de Richmond, sorte de marché de l’emploi, et sont “achetées” par deux jeunes paysans riches, Lyonel et Plumkett. On s’aperçoit vite qu’elles ne savent pas faire la servante, mais Lyonel tombe sincèrement amoureux d’Harriet (Martha), et Plumkett de sa confidente Nancy.
Harriet/Martha est bien légère et s’amuse de cet amour. Puis on découvre que Lyonel est le fils d’un noble banni, puis innocenté, et qu’il a sa place à la cour. Après quelques péripéties où Harriet/Martha joue un peu méchamment avec son soupirant, tout est bien qui finit bien: Harriet et Nancy tombent dans les bras de leurs amoureux. Le rôle de Martha exige un soprano bien aigu (Anneliese Rothenberger le chanta souvent) avec des notes très haut perchées que la jeune Marie Friedericke Schröder n’arrive pas toujours à négocier, mais le timbre est joli, la technique globalement maîtrisée, suraigus mis à part, le contrôle sur la voix et les notes filées bien assises. Nancy, mezzo soprano, est chantée par la jolie Sandra Maxheimer, qui domine très bien sa partie, le ténor australien Michael Smallwood, qui chante beaucoup de répertoire baroque, et qui appartient à l’Opéra de Halle, a un chant engagé, un joli timbre, une voix très bien posée, avec quelques problèmes dans les passages, mais très propre dans l’ensemble. Très jolie prestation du baryton basse islandais Ásgeir Páll Ágústsson en Plumkett au timbre agréable et à l’engagement scénique marqué, une couleur rossinienne! L’ensemble de la troupe, et le chœur s’en sortent avec tous les honneurs. J’eus volontiers assisté à l’ensemble, mais ma première Martha fut donc une moitié d’opéra. Merci donc à cette dame de nous avoir permis de passer un aussi bon moment, très vivant, avec une participation du public très forte, un enthousiasme marqué, un vrai plaisir d’être là. Un enchantement. C’est cela aussi la musique en Allemagne.