Quand on aime on ne compte pas et l’addiction wagnérienne a encore vaincu. Si l’on sent quelque part « odore » non di femmina ma di Riccardo, alors on en suit à la trace le parfum enivrant et ce soir le concert d’abonnement des Münchner Philharmoniker se concluait avec les adieux de Wotan et l’incantation du feu de « Die Walküre », avec Michael Volle dans Wotan. Mais tout le programme tournait autour de compositeurs qui avaient lu et décortiqué Wagner, et on était donc bien en famille.
De plus, honte au Wanderer, je n’avais jamais fréquenté cette salle de la Philharmonie tant décriée pour son acoustique par les munichois eux-mêmes: on voit bien qu’ils ne connaissent pas la Salle Pleyel! Le complexe du Gasteig est dominé par cette grande salle de bois, qui ressemble à la Philharmonie de Berlin, sans les places derrière l’orchestre et sans les « blocks » latéraux (deux rangs seulement). Ainsi tous les auditeurs étant devant l’orchestre, forcément, quand on est dans les plus hauts blocks et c’était mon cas, on éprouve un fort sentiment d’éloignement. Et le son parvient un tantinet lointain même si étrangement la voix, même murmurée, passe mieux. Mais disons le tout net: nous aurions une telle salle à Paris ou même à Lyon, on s’en contenterait largement…
Le concert proposait un programme dirigé par Ingo Metzmacher qui a fait honneur à sa période de prédilection, le début du XXème siècle et qui a mis en perspective à la fois la référence, Wagner, et les compositeurs qui suivirent et s’en inspirèrent peu ou prou. Il partait des trois pièces pour orchestre de Berg, le futur, s’appuyait sur Mahler, et mettait Pfitzner et Wagner en perspective, ce qui se justifie pleinement. L’auditeur désormais rompu à l’audition du Wagner futuriste de Kent Nagano, presque « bergien » par moments, ne pouvait que se retrouver dans un tel programme, presque composé ad hoc pour la seule journée sans Ring de la même semaine.
Le Berg de Metzmacher fait comme il se doit une large place à l’orchestre, à la pâte orchestrale d’une phalange de grande qualité, qui fut de Sergiu Celibidache, ne l’oublions pas, et qui est âgée de 120 ans. Sous son autre nom (Orchestre Kaim) l’orchestre a créé les Symphonies 4 et 8 et le chant de la terre, et Hans Pfitzner fut l’un de ses directeurs. Appelé Münchner Philharmoniker depuis 1928 on compte dans ses directeurs musicaux Felix Weingartner, Hans Rosbaud, Rudolf Kempe, Sergiu Celibidache comme précisé plus haut et plus récemment James Levine, Christian Thielemann, et actuellement Lorin Maazel . En 2015, on vient de l’apprendre, Valery Gergiev en assurera la direction: est-ce une chance? On peut en douter.
Ce soir, cet orchestre de grande tradition a montré ses qualités, des cuivres impeccables, des bois précis, des cordes très charnues, c’est vraiment un des grands orchestres allemands, même si actuellement, l’autre orchestre munichois, l’orchestre de la Radio Bavaroise avec Mariss Jansons à sa tête est un rival difficile à égaler.
Ingo Metzmacher cherche à mettre en valeur ses facettes diverses: dans Berg on l’a dit, c’est paradoxalement la pâte orchestrale, les tutti qui sont mis en exergue de manière plus sensible que les aspects plus discrets et plus miniaturisés de tel ou tel son ou tel pupitre. Habitué aux lectures claires et cristallines d’Abbado ou Boulez, on reste quelquefois perplexe dans une approche plus globale, moins fouillée peut-être, qui rapproche ce Berg d’un certain Mahler, notamment dans ses phrases les plus ironiques. A ce Berg mahlérien succède un Mahler (Kindertotenlieder) beaucoup plus fin, beaucoup plus analytique, et au total plus proche de Berg (!) et ne distillant pas toujours forcément l’émotion qu’on attend. Michael Volle en donne une interprétation très intime, très chaleureuse, très ténue, avec un sens du phrasé exceptionnel et une diction chavirante: les deux derniers poèmes »oft denk’ich, sie sind nur ausgegangen » et surtout « in diesem Wetter in diesem Braus » sont les plus sentis, à l’orchestre comme chez le soliste et vont droit au cœur . Là oui, naît l’émotion, il se passe quelque chose.
C’est dans les trois préludes des 3 actes du Palestrina de Pfitzner, si influencé par Wagner, que Metzmacher sans doute met le plus d’émotion, et crée une indiscutable ambiance. Le prélude du deuxième acte est volontairement extérieur et superficiel, mais ceux des premier et troisième sont d’une retenue, d’une concentration, d’un raffinement qui frappe et qui fait dire, « mais comment se fait-il qu’on n’entende jamais Pfitzner ailleurs qu’en Allemagne (il était aux temps de Sawallisch régulièrement affiché au Nationaltheater) et encore! ». Et Metzmacher aime ce répertoire, qu’il sait mettre en valeur, avec finesse, avec clarté, avec sensibilité.
C’est Ingo Metzmacher qui va diriger le Ring genevois (mise en scène Dieter Dorn) dont le Rheingold est présenté en mars prochain (avec Thomas Johannes Mayer en Wotan), on peut penser avec quel intérêt j’ai entendu cet extrait fameux de la Walkyrie (les adieux de Wotan). Ayant en tête Nagano de l’avant veille, et sa lenteur, et son approche si particulière, j’ai de suite été surpris par le tempo très rapide, et une approche que j’ai trouvée au départ sans vrai relief, même si techniquement très au point. Certes, les conditions ne sont pas celles de la scène et même Michael Volle en souffre: ce moment, devenu pièce de concert, exige une approche peut-être plus « spectaculaire ». Mais justement ce n’est pas cet aspect qui frappe, finalement assez secondaire, mais une sorte de linéarité d’une grande propreté, mais sans accroche ni véritable invention, malgré l’orchestre splendide et la grande cohérence du propos. Michael Volle garde ses qualités de timbre, du velours, de diction, et aussi de couleur (il chante cela souvent comme du Lied) mais avec quelques menues difficultés à l’aigu que Konieczny n’avait pas deux jours plus tôt, sa prestation reste somptueuse. Une petite déception due sans doute à cette intrusion presque étrangère à l’univers dans lequel je baigne depuis 4 jours, mais qui n’entache pas l’impression d’ensemble très positive.
Ce fut donc un beau moment, un concert dans l’ensemble réussi: rien que les Pfitzner m’ont fait constater combien le répertoire pouvait encore s’enrichir et qu’il y a encore bien de la musique à écouter! Et puis, Munich même dans un froid glacial (-9°) est une bien belle ville…