OPERA DE PARIS 2009-2010, Opéra-Bastille: SALOME, de Richard Strauss,(Dir.mus: Alain ALTINOGLOU, Ms en Scène: Lev DODINE) le 22 novembre 2009

            Salomé n’est pas une œuvre mal servie,ni par le disque, ni par la scène. Le mythe de l’enfant qui devient femme, qui fait tourner (et tomber) les têtes et dont la tête tourne elle-même est un grand classique du XXème siècle. La Légende Dorée de Jacques de Voragine raconte cette histoire que les Evangiles évoquent de manière incidente sans s’appesantir, puisque le nom de la jeune fille (qui signifie paix) n’est même pas cité, la peinture depuis la fin du moyen âge s’en est maintes fois emparé, et Flaubert dans Hérodias en fait une héroîne décadente, reprise par Huysmans (et Moreau), puis par Wilde   . De cette légende, Richard Strauss s’appuyant sur Oscar Wilde a tiré une histoire sulfureuse d’érotisme, d’inceste, de meurtre. Je rappelle que le texte de Wilde est écrit en français, et que Strauss lui même a proposé une version de Salomé en Françaislégèrement différente de la version allemande, enregistrée en son temps par Kent Nagano avec les forces de l’Opéra de Lyon. A la scène, on a vu en Europe de bonnes productions, quelquefois grandes, celle légendaire de Karajan à Salzbourg qui lança la grande et regrettée Hildegard Behrens, Bob Wilson à la Scala (avec pour un soir,Caballé), Luc Bondy à Salzbourg encore (et ailleurs) (avec une stupéfiante Malfitano), André Engel à la Bastille en 1994 (avec Huffstodt), et Lev Dodin ensuite (avec une belle distribution dominée par Karita Mattila, dont la belle production est reprise par Nicolas Joel cette année. Au disque, on a entendu toutes les voix possibles, de Welitsch à Nilsson, de Caballé à Behrens, cette dernière restant la Salomé de mon coeur, avec Karajan au pupitre, coup de tonnerre dans un ciel serein.

La reprise à l’Opéra- Bastille d’une production qui remonte à 2003 est très honorable, sans être exceptionnelle. On retrouve avec plaisir la vision de Dodine, ce drame des individus, dans un espace très ouvert (la terrasse du Tétrarque probablement à Masada) et aussi étouffant, dominé par un  clair de lune qui ne s’éclipse qu’au moment où Jochanaan est décapité, aux lumières mystérieuses de Jean Kalman: Lev Dodin a conçu un travail entre le cercle étroit des protagonistes, pas de figurants, pas de festin, pas de foule, les juifs, les gardes, les nazaréens sont spectateurs, disssimulés derrière un mur et l’espace est libéré pour les quatre protagonistes, Jochanaan, Salomé, Hérode, Hérodias. Cette solitude pesante marque ce travail intéressant,  qui fait de Salomé une jeune fille qui devient femme qui joue de sa séduction de manière à la fois innocente et perverse, et non une femme monstrueuse: elle joue comme avec les jouets de son âge, et n’a aucune distance par rapport à son jeu, y compris le plus tragique et sanglant. Le couple Hérode-Hérodias, tout de jaune vêtu ( de ce jaune qui est la couleur du déssèchement, de la fin et quelquefois de la fin de la vie) -est une tache un peu vulgaire dans ce décor nocturne. Salomé revêt d’ailleurs le manteau d’Hérodias après la danse des Sept Voiles. rejoignant d’une certaine manière la malédiction familiale (dont une légende dit d’ailleurs qu’elle meurt, en France, vers Saint Bertrand de Comminges…). Une mise en scène qui souligne à la fois la tragédie et le dérisoire, la décadence et la perversité, et qui au fond laisse peu de place à Jochanaan, à la présence plus fantasmatique que réelle.
L’ensemble de la distribution est très homogène, des petits rôles tenus avec conscience et interprétés avec l’ironie voulue (les juifs)aux quatre rôles essentiels, notons d’abord le cinquième rôle, celui de Narraboth, la première victime du charme vénéneux de la Princesse, à qui Xavier Mas prête sa voix claire et bien timbrée. Une petite déception pour le Jochanaan de Vincent le Texier. La voix manque de cette profondeur et de cette largeur qu’on attend du prophète (on se souvient de Van Dam avec Karajan ou même de Bernd Weikl) même si la qualité intrinsèque du chant est sans reproche. Thomas Moser, comme tous les grands ténors en fin de carrière, aborde ce rôle de « composition » en enlaidissant sa voix, mais tenant quand même les notes les plus hautes de manière impressionnante, c’est pour moi le plus convaincant et même le plus saisissant, Julia Juon a une présence forte en scène, mais a un peu tendance à crier et c’est dommage. Quant à Camilla Nylund, elle n’a ni la puissance, ni l’érotisme de sa compatriote Karita Mattila. Elle joue plus l’enfant capricieuse que la femme dévorée de désir. Elle reste un peu froide en scène, on se souvient  aussi de Jones, de Behrens, et même de Caballé qui remplaçait des atouts physiques discutables par des atouts vocaux incroyables et on y croyait! La voix, qui tient certes avec honneur ce rôle redoutable, reste un peu en deçà de ce qu’on souhaiterait, alors  même que l’orchestre ne la couvre jamais. Une déception donc, on attendrait plus sauvage, plus félin, plus pervers. Elle ne semble pas entrée dans ce rôle, ni dans cette logique.

C’est l’orchestre qui donne le plus de satisfaction: la direction de Alain Altinoglu, jeune chef français que l’on commence à voir de New York à Berlin, est très attentive, précise, claire, jamais débordante! Avec un tempo plutôt lent, un volume toujours contrôlé, il souligne la phrase musicale, notamment cet orientalisme décadent si  marquant, il délimite les niveaux sonores, fait tout entendre, avec un soin  qui peut-être au total pour mon goût étouffe un peu l’ivresse musicale. Une belle prestation néanmoins.

Au total, une représentation de bon niveau,  » une bonne représentation de répertoire », avec une légère frustration  qui se marque sur les deux principaux protagonistes, au volume  à mon avis insuffisant, sur ma soif d’érotisme pervers non étanchée, sur mon désir d’ivresse sonore pas totalement satisfait.

Il reste que mes voisins sont sortis bruyamment juste avant la fin, écœurés par la vision de Salomé embrassant la tête de Jochanaan: 104 ans après la première, Salomé épate encore le (deux?) bourgeois des matinées dominicales!

SALOME (1905)

MUSIQUE DE RICHARD STRAUSS (1864-1949)
LIVRET TIRÉ DE LA PIÈCE D’OSCAR WILDE DANS UNE TRADUCTION ALLEMANDE DE HEDWIG LACHMANN

Alain Altinoglu Direction musicale
Lev Dodin Mise en scène
David Borovsky Décors et costumes
Jean Kalman Lumières
Jourii Vassilkov Chorégraphie
Valerii Galendeev Collaboration artistique

Thomas Moser Herodes
Julia Juon Herodias
Camilla Nylund Salomé
Vincent Le Texier Jochanaan
Xavier Mas Narraboth
Varduhi Abrahamyan Page der Herodias
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke Erster Jude
Eric Huchet Zweiter Jude
Vincent Delhoume Dritter Jude
Andreas Jäggi Vierter Jude
Gregory Reinhart Fünfter Jude
Nahuel Di Pierro Erster Nazarener
Ugo Rabec Zweiter Nazarener
Nicolas Courjal Erster Soldat
Scott Wilde Zweiter Soldat
Antoine Garcin Ein Cappadocier

Orchestre de l’Opéra national de Paris

 

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