Madga Olivero n’est plus.
Sa longévité (elle vient de s’éteindre à 104 ans) reflète également sa longévité vocale. J’ai assisté à l’enregistrement d’un disques d’extraits d’Adriana Lecouvreur, son rôle fétiche (Cilea ne voulait qu’elle dans le rôle, tellement elle y était marquante) en 1993 à 83 ans, avec un ténor assez connu d‘alors, Alberto Cupido et un accompagnement au piano : elle chante mieux que lui, qui devait avoir entre trente et quarante ans, il avait la voix instable, des problèmes de justesse, elle, imperturbable, tenue de souffle impeccable, mezze voci à se damner, longue tenue des notes, elle se payait le luxe, à 83 ans, d’être en plus très émouvante. On trouve encore le disque dans le commerce, n’hésitez pas. Ce n’est pas une curiosité, c’est du grand art.
Quand on lui demandait le secret de sa longévité, elle répondait, « la marche en montagne », soulignant que le secret du chant c’est le diaphragme et le souffle.
J’ai eu le plaisir de la connaître, lorsque j’étais jeune membre du jury du concours Toti dal Monte, à Treviso, qui comptait dans sa commission trois dames, Regina Resnik, Leyla Gencer et Magda Olivero, imaginez mon excitation et ma joie. Alors que très vite, j’avais tutoyé Leyla et Regina, Magda Olivero en imposait et on la vouvoyait…Elle arrivait à la commission, le matin vers 11h au début des épreuves, elle s’asseyait, raide, silencieuse et laissait seulement passer quelque parole brève de jugement, sévère et définitif, mais sans jamais bouger, presque statufiée. Là où Regina et Leyla discutaient, souriaient, faisaient de l’humour, Magda Olivero était plus distante, plus aristocratique, et ne tolérait pas la médiocrité. À un ami qui devant elle avait osé gentiment et en matière de plaisanterie ironiser sur Adriana Lecouvreur, elle avait répondu, glaciale, « Vous n’avez pas de cœur » . Elle s’animait pendant les repas, où elle demandait toujours les fruits en entrée, à notre grand étonnement, disant que leur fermentation favorisait la digestion du reste du repas, qui pour elle était toujours frugal.
J’ai vraiment le souvenir d’une grande dame, sympathique après un premier contact toujours distant. Et, comme mon bureau à Milan était proche de chez elle, j’allais quelquefois prendre le thé, et discuter de tel ou tel rôle, de tel ou tel souvenir, dans son appartement du Corso Magenta, elle s’animait alors et disait des choses très fortes sur les rôles et sur le chant. Elle m’a beaucoup appris.
Elle a continué à chanter au-delà des 90 ans, à chaque fois qu’une fête ou qu’une réception en son honneur était organisé, elle chantait, parce qu’elle a gardé cette incroyable technique cette diction parfaite, sa maîtrise de l’émission et du phrasé, qui fit sa gloire et qu’elle mettait au service d’une sensibilité et d’une émotion.
Pour l’avoir entendue, à 83 ans tirer les larmes dans Adriana Lecouvreur (Poveri fiori encore incroyable), et pour l’avoir écouté tant de fois parler de chant, je suis très triste ce soir.
C’était une artiste exigeante, pour elle même, et pour les autres, il est sûr qu’en concours elle n’était pas tendre, notamment dès qu’une candidate chantait son répertoire. Je me souviens de sa réaction, immobile et glaciale, devant un pénible « Son l’umile ancella ». Nul doute qu’avec Callas et Gencer, elle est au Panthéon des divas du chant italien, et elle est insurpassable dans le vérisme. C’est pour moi la seule qui ait donné à ce répertoire aujourd’hui un peu délaissé ou méprisé ses lettres de noblesse. Si vous voulez écouter ce que chanter veut dire, ce qu’est la vraie technique italienne, écoutez Magda Olivero, vous comprendrez d’autant plus la misère du marché d’aujourd’hui. À l’image d’Adriana, elle a toujours été l’umile ancella d’un art du chant italien que bien peu aujourd’hui servent comme il se doit, même si elle avait aussi abordé d’autres rôles, comme Elsa (eh oui…) et aussi tardivement, Jenufa, où elle était impressionnante dans Kostenicka.
Une des plus grandes étoiles du chant s’est éteinte, écoutez-la encore, et apprenez…
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