Institution quelquefois plus médiatique que musicale , le concert du Nouvel An est souvent cependant l’occasion de mieux comprendre ce qui fait d’un chef d’orchestre glorieux (la plupart de ceux qui accèdent au podium du Musikverein le 31 décembre et le 1er janvier le sont) un véritable musicien. En effet, le programme proposé est souvent identique (quelques fantaisies çà et là cependant) et de toute manière tout le monde se retrouve au « Beau Danube Bleu » et à la « Marche de Radetsky ». Pour qui veut comparer les chefs, ou jouer à l’écoute aveugle avec ses amies et amis mélomanes, c’est un excellent moyen de juger, sur un morceau que tout le monde connaît à peu près par coeur. J’ai dans ma discothèque Willy Boskovski, Karajan (1987), Abbado 1988 et 1991, Kleiber 1989 et 1992, Muti en 1993 (il fera aussi 2000 et 2004) (soyons méchant, par curiosité presque malsaine), et Jansons. Je me suis amusé, sur un long trajet en voiture, à faire des comparaisons.
Le concert du Nouvel An à Vienne a été dirigé par Willy Boskovski, le premier violon des Wiener Philharmoniker de 1955 à 1979 et chef de l’orchestre Strauss, le spécialiste incontesté de ce répertoire pendant de très longues années, je me souviens qu’il dirigeait l’orchestre son violon en main, c’était dans la plus pure tradition viennoise, et les concerts de cette époque furent sans doute les plus « conformes » à l’esprit viennois, et c’était incontestablement l’orchestre, et Strauss, qui avaient la vedette. Acheter Boskovsky, c’est une garantie de qualité, d’esprit, d’authenticité et aussi de simplicité.
Ce n’est qu’en 1980 qu’on a commencé à y voir des chefs de renom se frotter à Strauss à Vienne, le premier fut Lorin Maazel, plusieurs fois appelé à diriger ce concert pendant les trente dernières années. En général les GMD (Generalmusikdirektor, directeur général de la musique) de Vienne, poste prestigieux s’il en est (ce fut celui de Mahler), comme Maazel, Abbado ou Ozawa sont invités presque obligatoirement à diriger ce concert: l’an prochain, ce sera (logiquement) le tour de Franz Welser-Möst, puisqu’il va occuper le poste de GMD à la Staatsoper en succédant à Seiji Ozawa. Depuis que le concert du Nouvel An est le phénomène planétaire et médiatique que l’on sait, la vedette reste Strauss, le chef, sans doute peu connu du très grand public (sauf Karajan en 1987) passe au second plan, sauf pour les mélomanes. C’est cette ignorance qui a fait ainsi la fortune d’un André Rieu dans Strauss, hélas.
Il reste que si l’on veut acheter ou faire cadeau d’un concert du Nouvel An, c’est une bonne entrée en musique classique: on a un large choix, le concert de l’année étant publié dans les jours ou les semaines qui suivent le 1er janvier (un temps absolument record!). Ma vocation de mélomane est ainsi née à partir d’un cadeau de valses de Vienne qu’on me fit quand j’avais 8 ans, j’ai écouté et réécouté les valses de Vienne par l’orchestre hongrois de Yoska Nemeth, sans doute un des musiciens tziganes parmi les plus fameux du XXème siècle. C’est dire comme je suis attaché à cette musique. Si vous trouvez le disque en question, n’hésitez pas, c’est vraiment tout à fait remarquable et c’est un excellent moyen de rentrer dans l’univers des Strauss.
Et les autres? J’aime bien Abbado 1 (1988) plus que Abbado 2 (1991) éclectique et surprenant (Mozart!), comme aime faire Claudio, mais au total un peu ennuyeux pour mon goût, disons que ces concerts ne sont pas les plus grands souvenirs de ma vie d’abbadien itinérant. Riccardo Muti comme souvent fait du beau son, mais tout cela reste assez plat, sans âme (j’écrirai un jour prochain sur ma relation très contrastée à ce grand chef, dont j’aime surtout les années 1975-1985, c’est à dire les premiers enregistrements fulgurants et l’éblouissant passage à Florence). J’ai acheté le disque de Mariss Jansons, chef que j’apprécie tout particulièrement, comme ceux qui me lisent le savent. Quelle surprise d’entendre un Strauss très symphonique,dans une interprétation très marquée par l’univers de Tchaïkovski, avec un orchestre massif qui semble quelquefois jouer Onéguine: si vous voulez une couleur autre, une vraie prise de risque interprétative, alors n’hésitez pas à en faire l’acquisition, c’est étonnant, c’est très fort, très intelligent, mais on n’est pas vraiment à Vienne.
Il reste…Carlos Kleiber. Eh, oui! A écouter et à réécouter, on a tout dans ces trois disques des deux concerts (1989 et 1992): on a d’abord la légèreté et la danse: Kleiber ne fait pas d’abord du symphonique, il fait danser l’orchestre, il n’appuie jamais sur les effets, il est étourdissant de vélocité (et l’orchestre suit d’une manière époustouflante), il virevolte, mais toujours avec un soin maniaque pour les effets instrumentaux (des rubatos des cordes à se damner, des flûtes de rêve) sans jamais insister, sans jamais appuyer, en cherchant toujours l’effet dansé: alors naît l’émotion profonde, intense (début du Beau Danube Bleu en 1989!comme je l’ai déjà souligné précédemment) . Il a arrive même à effacer toute lourdeur dans la Marche de Radetsky! Ne parlons pas de l’ouverture de « La Chauve Souris », qu’il a dirigé si souvent à Munich;( je l’ai entendu pendant le Carnaval, il arriva en perruque déguisé en Boris Becker!) . Le disque de 1989 est un miracle, plus sans doute que celui de 1992. Si vous avez un seul concert à acheter, alors, pas d’hésitation, Vienne-Kleiber 1989. C’est absolument incomparable, à tous les niveaux, Strauss pour l’éternité. Rien de surprenant me direz-vous, certes, car à distance de 21 ans, personne n’a encore proposé mieux et Kleiber est une référence universelle, mais il vaut mieux encore une fois le dire et encore une fois le répéter: Kleiber 1989, c’est vraiment un monde fou fou fou!
Pour ce concert traditionnel du nouvel an des Wiener Philarmoniker, Carlos Kleiber reste inégalé, c’est sûr. Légèreté, détails finesse et rubato viennois, laissant l’orchestre s’esprimer.
Nous avons vécu aussi quelques grands moments de musique viennoise avec la légèreté et fête viennoise avec Georges Prêtre (malgré une apparente fausse décontraction) et de temps en temps avec cetains autres chefs.
Pour les autres chefs, je dirais:
Harnoncourt, très personnel et et bouillant;
Muti, toujours très sobre et propre;
Abbado un peu plus sensible;
Karajan, un peu froid et avec un orchestre un peu trop nombreux en musiciens;
M. Jansons, homme de l’Est, un peu exhalté (tant mieux) mais un peu lourd;
F. Welser-Möst, très appliqué , mais pas vraiment dans l’esprit de ce concert.
L. Maazel et Z. Mehta sont les plus doués pour communiquer l’esprit de fête (et de gags)
malgré quelques approximations.
On oubliera les prestations de S. Ozawa, en dehors du coup et D. Baremboim qui ne s’est pas visiblement entendu avec l’orchestre en 2009.
Prosit Neujahr!
Jacques Beraupin.
Célébration magique qui me permet un bref instant de me retrouver dans ce fameux Musikverein que j’ai arpenté à deux reprises, en visite musicale à Vienne.
Toutes les versions citées sont intéressantes, certes, mais pour ma part, il m’ aura toujours manqué la présence Lenny, pourtant bien intoduit chez les Philharmoniker.
Comment se peut-il qu’il n’y ait jamais été invité ?
Si quelqu’un a la réponse, merci de me la donner !
Bonjour Monsieur Viguie,
J’espère qu’en dépit de son caractère tardif, vous aurez l’occasion de lire ma réponse.
Il était prévu que Leonard Bernstein dirige le Concert du Nouvel An 1992 (année du 150ème anniversaire de l’Orchestre Philharmonique de Vienne), mais malheureusement, en raison de son décès en octobre 1990, Lenny n’a pas pu diriger de Concert du Nouvel An. Comme vous, j’aurais bien aimé l’y entendre. C’est Carlos Kleiber qui a dirigé en 1992 le Concert du Nouvel An de manière fabuleuse, comme en 1989 d’ailleurs.
Je tire cette information du livre de Clemens Hellsberg (actuellement un des violonistes de rang de la Philharmonie de Vienne, et Président de l’orchestre), Les Grands Heures du Philharmonique de Vienne, qui est paru en 1993 aux éditions du May.
Je ne sais si ce livre est encore facilement disponible, mais c’est un travail très sérieux sur les Wiener Philharmoniker.
Bien à vous,
Olivier Caron
Oui le concert de 1992 de Kleiber était magnifique. Et Kleiber en 1992 avait clairement fait savoir qu’il en avait fini avec Strauss.J’ai un faible pour 1989 cependant.Mais c’est une question de goût, très personnelle. Pour moi les concerts du Nouvel an de Kleiber restent les références, non surpassées depuis.
Oui je suis d’accord dessus pour Kleiber,voici d’autres indications sur ce concert,j’ai eu l’occasion de faire un test en aveugle sur France Musiques sur certaines oeuvres de Strauss et j’ai choisi personnellement Kleiber avec son style dansant c’était sous le tonnerre et les éclairs en 1992 par contre j’ai détesté le style froid de Thielemann qui pour moi est excellent pour Wagner,j’ai aussi plusieurs interprétations des oeuvres de Strauss en disque de Robert Stolz qui voulait faire l’intégral mais il est mort avant!C’est un oncle qui me l’as dit.
En 2008 et en 2010 Georges Prêtre a donné ses versions personnelles que j’ai aimé avec surtout les gags et petits jeux d’orchestre(sport polka,im krafpenwald ….)dont les mâitres sont Willy Boskowsky et le timbalier j’ai oncle passionné de musique qui m’a donné le nom de ce dernier en 2022,je vais vous apprendre quelque chose peut t’être c’est Franz Broschek….!
bien à vous Wanderer
Vous avez oublié Georges Prêtre qui a dirigé deux fois le concert du nouvel an versions personnelles,en 2008 et 2010.Sa marche de Radetszy en 2010 est une référence.En 2008 il a donné plusieurs oeuvres méconnues comme le galop versaillais.