DISQUES CD & DVD: MES ENREGISTREMENTS PRÉFÉRÉS/CLAUDIO ABBADO et IL VIAGGIO A REIMS de GIOACCHINO ROSSINI

Dispositif scénique de "Viaggio a Reims" (Ronconi/Aulenti) à la Scala

Un ami m’ayant demandé des informations sur “Il Viaggio a Reims”, je me suis replongé dans l’œuvre, ce qui aboutit à ces quelques notes pour  retracer brièvement ici l’histoire (abbadienne)  de cette œuvre, depuis le 19 août 1984, première à Pesaro, qui aujourd’hui est représentée sur toutes les grandes scènes du monde.
Claudio Abbado tout au long de sa carrière a contribué à exhumer des œuvres inconnues (comme Fierrabras de Schubert) ou à promouvoir des versions originales (comme celle de Boris Godunov de Moussorgski que les représentations de la Scala en 1979 ont véritablement imposé sur le marché (alors que la version originale était déjà connue, et avait déjà bénéficié d’un enregistrement de Jerzy Semkov), ou même la version complète de Don Carlo de Verdi. Lorsqu’il propose en 1984 dans le cadre du Festival de Pesaro, dans le petit auditorium Pedrotti,  une œuvre inconnue, mais avec pour partie la musique du Comte Ory, dans une distribution étincelante, et dans une mise en scène ébouriffante de Luca Ronconi dans des décors de Gae Aulenti (reprise par la Scala en 2008-2009 sous la direction d’Ottavio Dantone) qui prend pour ligne directrice l’exploitation “médiatique” d’un “event” (à savoir le sacre de Charles X), c’est un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il Viaggio a Reims dans cette production va être proposé à la Scala en septembre 1985, puis à l’opéra de Vienne en 1988, à Ferrare et à Pesaro (mais au Teatro Rossini) de nouveau en 1992 (année Rossini) pendant qu’il en donnera une version semi-scénique fin 1992 à Berlin avec le Philharmonique de Berlin. La production était prévue à Paris au Théâtre des Champs Elysées, mais pour des raisons financières elle fut annulée, ce qui permit les représentations de Ferrare, qui récupéra les dates où , curiosité, le rôle muet de Charles X était tenu par Placido Domingo. La production de Ronconi mobilisait la scène, et la rue,  puisque le cortège du sacre, Charles X en tête, se promenait dans les alentours du théâtre pendant toute la représentation, que des vidéos retransmettaient dans le théâtre la progression du cortège, et qu’il faisait irruption dans la salle à la fin du spectacle. Le tout en principe en direct (pas à Vienne où le cortège avait été filmé une fois pour toutes).
A chaque fois ou presque, il en est resté des traces, soit sur CD, soit en vidéo VHS, soit les deux. Toutes les représentations depuis 1984 ont bénéficié de la présence de Lucia Valentini Terrani (Marchesa Melibea), la mezzo rossinienne qui n’a pas été remplacée, de de Lella Cuberli, en laternance avec Tiziana Fabbricini à Ferrare, Enzo Dara (Barone di Trombonock), de Ruggero Raimondi (Don Profondo) – en alternance avec Giorgio Surjan à Vienne- et de Samuel Ramey (Lord Sydney) – en alternance avec Ferruccio Furlanetto à Vienne- , tandis que changeaient d’autres  rôles, en particulier Madame Cortese, passée de Katia Ricciarelli en 1984 à Montserrat Caballé à Vienne, et Cheryl Studer toute l’année 1992.

L'affiche du Festival de Pesaro 1984

La distribution originale était :
18/20/23/25 août 1984
Auditorium Pedrotti
Il viaggio a Reims
nuova produzione
Dramma giocoso di Luigi Balocchi
Musica di Gioachino Rossini
Edizione critica Fondazione Rossini/Ricordi, a cura di Janet Johnson
Direttore Claudio Abbado
Regia Luca Ronconi
Scene e costumi Gae Aulenti
Interpreti
Corinna Cecilia Gasdia Marchesa Melibea Lucia Valentini Terrani Contessa di Folleville Lella Cuberli Madama Cortese Katia Ricciarelli/Antonella Bandelli (23 agosto) Cavalier Belfiore Edoardo Gimenez Conte di Libenskof Dalmacio Gonzales/Francisco Araiza (25 agosto) Lord Sidney Samuel Ramey Don Profondo Ruggero Raimondi Barone di Trombonok Enzo Dara Don Alvaro Leo Nucci Don Prudenzio Giorgio Surjan Don Luigino Oslavio Di Credico Maddalena Raquel Pierotti Delia Antonella Bandelli Modestina Bernadette Manca di Nissa Antonio Luigi De Corato Zefirino Ernesto Gavazzi Gelsomino William Matteuzzi
Coro Filarmonico di Praga
Maestro del Coro Lubomír Mátl
The Chamber Orchestra of Europe

A la Scala, un an après, la distribution était à peu près similaire, avec Chris Merritt cependant dans le conte di Libenskof à la place d’Araiza.
On le voit, même en alternance, les distributions étaient plus ou moins introuvables: il était rare de voir sur une affiche autant de grands noms. On se souviendra toujours du Don Profondo de Ruggero Raimondi, et notamment de son air “Medaglie incomparabili”, de l’extraordinaire Corinna de Cecilia Gasdia et surtout du “Gran pezzo concertato a 14 voci” étourdissant, qu’Abbado reprenait régulièrement en bis à la fin de l’opéra, devant le délire que la représentation provoquait dans le public. On en sortait heureux, rempli d’énergie, ne rêvant qu’à la représentation suivante.
Car Claudio Abbado est le chef rossinien par excellence. A chaque fois qu’il a abordé un Rossini à l’opéra, ce fut un miracle: que ce soit Cenerentola, il Barbiere di Siviglia, L’Italiana in Algeri ou il Viaggio a Reims, il a écrit l’histoire de la représentation de Rossini à l’opéra, en s’appuyant toujours sur les derniers états de la recherche. Au disque, son “Italiana” et surtout son second “Barbiere” (avec Domingo) sont discutables, mais à la scène, ce fut toujours LA référence. Pas un chef aujourd’hui n’a pris sa place et Bruno Campanella, qui a fait longtemps figure de meilleur chef rossinien (“qui pétille comme le champagne”-sic-) se situe loin loin derrière. Riccardo Chailly peut-être, pourrait éventuellement non lui faire concurrence, mais constituer une possibilité…
Le miracle de Viaggio a Reims, c’est que l’opéra fonctionne sur une intrigue quasiment inexistante: des invités internationaux (anglais, allemand, français, espagnol, états pontificaux, russe, polonais) sont bloqués dans une station thermale alors qu’ils se rendent au sacre de Charles X. Si tu ne vas pas à Charles X, Charles X viendra à toi.
Bien sûr, cela construit des souvenirs indélébiles, j’ai vu les représentations de la Scala, de Vienne, de Ferrare et à chaque fois ce fut un indescriptible bonheur.
Eh bien, ce bonheur-là, vous pouvez le revivre en CD, mais, étonnamment, pas – ou peu – en DVD, puisque les DVD en vente ne proposent pas en ce moment la version Abbado. Il existe pourtant ou a existé:

Le CD original (issu des représentations de Pesaro)

– Un CD issu des représentations de Pesaro en 1984, avec le Chamber Orchestra of Europe
– Un VHS de la RAI, en vente pendant quelques années, qui est une retransmission de ces représentations
– Un VHS de Vienne, longtemps vendu, mais jamais repris en DVD

Le CD issu des concerts de Berlin

– Un CD issu des concerts de Berlin, avec le Philharmonique de Berlin.

De ces propositions subsistent seulement les CD, encore en vente.
Mon conseil: Pesaro, et seulement Pesaro. L’enregistrement de Berlin n’a ni la dynamique, ni la finesse, ni l’excellence de la jeunesse, ni la joie, ni l’engagement de celui de Pesaro. Et le Chamber Orchestra of Europe, à peine formé, allait devenir pendant quelques années l’orchestre préféré d’Abbado pour les formes plus réduites. C’est un miracle musical.

Viaggio a Reims (Ronconi/Aulenti)

Pour les vidéos, si vous trouvez Vienne, ce sera déjà bien. Mais cherchez l’enregistrement de la RAI de Pesaro, il existe, il est sublime, et il a été vite retiré du marché. Un jour sans doute, il réapparaîtra. Guettez ce moment. Et ne gâchez pas votre argent à acheter les DVD de Gergiev ou même de Lopez Cobos (qui est cependant un bon rossinien); mieux vaut attendre. Patience et longueur de temps…

Il reste que les politiques de l’industrie du disque, vendant des productions médiocres alors que les enregistrement de référence existent et dorment dans les placards, sont impénétrables (mais sûrement pleine de sens…).
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LA FORZA DEL DESTINO en DVD, l’une, au SAN CARLO de NAPLES (1958) avec TEBALDI et CORELLI, l’autre, à la SCALA de MILAN (1978), avec CABALLÉ et CARRERAS

Pendant mon court séjour italien, des amis m’ont fait voir deux Forza del Destino éditées par la marque italienne Hardy Classic (http://www.hardyclassic.it/main.asp) qui propose des retransmissions de la RAI des soixante dernières années. L’une, du San Carlo de Naples au temps de sa splendeur, en 1958, avec, excusez du peu, Renata Tebaldi, Franco Corelli, Boris Christoff, Ettore  Bastianini,   et dirigée par le très professionnel  Francesco Molinari Pradelli, l’autre tout aussi alléchante, vingt ans après, venue de la Scala en 1978, année du Bicentenaire, avec Montserrat Caballé, José Carreras, Piero Cappuccilli, Nicolai Ghiaurov, dirigée par l’excellent et trop sous-estimé Giuseppe Patanè, qui la dirigea  aussi à Paris dans ces mêmes années.Avant d’aborder la question du chant, disons d’emblée qu’en comparant les deux spectacles,   il apparaît clair qu’il y a une plus grande distance entre 1958 et 1978 qu’entre 1978 et nous. Autrement dit, on voit encore sur nos scènes des spectacles du type de celui de la Scala (mise en scène Lamberto Puggelli, qui produit encore aujourd’hui de beaux spectacles, dans des décors du peintre Renato Guttuso) , on voit en effet encore ce type de jeu,  ce type de style, mais évidemment certes plus ce type de voix, les vraies de vrai…
En revanche, on ne voit plus sur aucune scène une représentation comme celle de
Naples avec un style de jeu et même de chant qui sans doute passeraient fort mal
aujourd’hui.
On pourra toujours vilipender les metteurs en scène, il reste que l’entrée de la mise en scène à l’opéra (et le passage de Callas, de Visconti, de Wieland Wagner) a changé non seulement le cadre de la représentation, mais aussi la manière de jouer et surtout de dire le texte.

Le premier acte de Tebaldi, avec ses gestes stéréotypés, ses minauderies, fait vraiment sourire, quant à Corelli, il ne fait rien , mais évidemment, quand il ouvre la bouche, c’est autre chose qui passe…

Mais, passée la surprise, j’ai été d’abord remué par le souvenir de Renata Tebaldi, qui venait souvent à la Scala et que le public saluait d’un amical “ciao Renata”, on voyait en effet dans les années 80  souvent des spectatrices telles que Leyla Gencer, Giulietta Simionato, Magda Olivero, Renata  Tebaldi, les souveraines mythiques de l’opéra “d’avant” et quand le spectacle du jour était piteux, imaginez les regards et les regrets dont elles étaient accompagnées et entourées… Alors, voir Tebaldi apparaître sur l’écran, en noir et blanc, jeune, au faîte de la gloire,pensez ce que le fan d’opéra peut éprouver…
Evidemment comment ne pas rester cloué par cette voix d’une insigne beauté. Cette technique,  cette homogénéité, jouant des mezze voci avec un naturel confondant, se riant des aigus, d’une incroyable facilité. Pour Tebaldi aussi bien d’ailleurs que pour Corelli  on n’a pas affaire a des voix techniques, construites, sous verre, à la Fleming, ou des voix
de qualité conduites sans goût ni engagement comme celle de  la Urmana, on a là des voix simplement naturelles, qui se répandent, se développent, dans une impression
de désarmante aisance. Aucun effet, aucun effort d’interprétation,  il suffit que la voix sorte et c’est tout. Je reste époustouflé par la diction  parfaite du texte, d’une cristalline clarté. Et Verdi ainsi prend tout son sens. Seule déception, le Padre, Guardiano de Boris Christoff vraiment loin de ce qu’on pourrait attendre, qui ne semble pas concerné , et si loin de ce que fait Ghiaurov vingt ans après. Déception aussi la direction de Francesco Molinari Pradelli, moins dynamique, un peu rigide, un peu froide, routinière.

Car vingt ans après, c’est un autre cast, un autre style,  mais aussi une autre vie, un autre engagement, une autre vibration.
D’abord, il y a Patanè, trop tôt disparu (crise cardiaque), méprisé par une partie du public, à l’époque. Je le vis un soir à la Scala sauter par dessus la rambarde pour se précipiter sur un spectateur qui huait,  l’homme avait le sang chaud…Les musiciens l’appréciaient parce qu’il leur donnait une grande sécurité, en vrai professionnel. Sa Forza est vive, palpitante,  rythmée, et Patanè est toujours très attentif aux chanteurs, il n’y a jamais de scories.
Le chant de Montserrat Caballé est exemplaire, la voix est puissante, d’une extraordinaire beauté, d’une rare étendue (quels graves, jamais poitrinés!), et elle possède, on le sait, un art unique des notes filées qu’on n’a jamais retrouvé depuis. Mezze voci, notes filées, tout cela est évidemment attendu, mais avec un art de l’interprétation et de l’à propos au-delà de toute éloge, et un sens de la diction exemplaire même si, bon, on passera sur le “maledizione” final perdu dans les aigus. Ce n’est pas une actrice hors pair, mais la voix est sans cesse dans la couleur, dans la variation, dans l’interprétation. C’est tout simplement exceptionnel sur un tout autre registre que Tebaldi, et dans un tout autre style.

Si Corelli est un modèle de chant de ténor, l’art du ténor y est à son sommet, avec une voix insolente jamais prise en défaut, José Carreras, tout jeune encore, a peut-être moins d’épaisseur, mais il a l’éclat, la jeunesse et la pureté du timbre, et lui aussi, un art de l’interprétation vocale, une capacité à colorer chaque moment, et à être souvent bouleversant: son air “O tu che in seno agli angeli” du troisième acte est tout simplement anthologique. Anthologique aussi le padre Guardiano de Ghiaurov, la voix est profonde, étendue, avec des aigus impressionnants jamais égalés depuis, une vraie basse verdienne qui, dans le duo avec Leonora au IIème acte, est simplement stupéfiant. A écouter, réécouter, et apprendre ce que veut dire chanter Verdi.

Enfin, immense, inégalé, prodigieux: les superlatifs manquent pour qualifier la performance de Piero Cappuccilli en Carlo. Il a tout, la diction, l’expression, un sens dramatique inné, des aigus incroyables (pour l’anniversaire de Karl Böhm à Salzbourg, en 1979, où il était Amonasro avec Karajan, il chanta “O sole mio” dans le ton!).  A Paris, dans Carlo, je me souviens de l’indescriptible triomphe. Il faut là aussi écouter et réécouter “Urna fatale del mio destino” suivi de “E’ salvo o gioia” pour prendre la mesure de la distance entre ce chant habité et dominateur, et la pâle prestation  de Vladimir Stoyanov récemment à la Bastille. Enfin, ces immenses artistes sont entourés de seconds rôles bien plus que respectables, à commencer par l’excellent Sesto Bruscantini, rossinien bien connu, en Melitone et de Maria Luisa Nave, qui faisait les doublures ( !) à la Scala en ces années-là, en Preziosilla de haute volée.
La mise en scène est à peu près inexistante (mais Auvray à Paris…) mais les décors de Guttuso donnent une couleur très méditerranéenne à l’ensemble, et font finalement tout le visuel du spectacle. Au total, des moments simplement impossibles à retrouver aujourd’hui avec les chanteurs du jour, et malheureusement pour nous spectateurs de 2011 (et heureusement pour ceux qui les ont entendus jadis)  c’est dans ces moments qu’est Verdi, et pas ailleurs.

CONCERT DU NOUVEL AN: quelques notes sur les éditions à posséder

Institution quelquefois plus médiatique que musicale , le concert du Nouvel An est souvent cependant l’occasion de mieux comprendre ce qui fait d’un chef d’orchestre glorieux (la plupart de ceux qui accèdent au podium du Musikverein le 31 décembre et le 1er janvier le sont) un véritable musicien. En effet, le programme proposé est souvent identique (quelques fantaisies çà et là cependant) et de toute manière tout le monde se retrouve au “Beau Danube Bleu” et à la “Marche de Radetsky”. Pour qui veut comparer les chefs, ou jouer à l’écoute aveugle avec ses amies et amis mélomanes, c’est un excellent moyen de juger, sur un morceau que tout le monde connaît à peu près par coeur. J’ai dans ma discothèque Willy Boskovski, Karajan (1987), Abbado 1988 et 1991, Kleiber 1989 et 1992, Muti en 1993 (il fera aussi 2000 et 2004) (soyons méchant, par curiosité presque malsaine), et Jansons. Je me suis amusé, sur un long trajet en voiture, à faire des comparaisons.
Le concert du Nouvel An à Vienne a été dirigé par Willy Boskovski, le premier violon des Wiener Philharmoniker de 1955 à 1979 et chef de l’orchestre Strauss, le spécialiste incontesté de ce répertoire pendant de très longues années, je me souviens qu’il dirigeait l’orchestre son violon en main, c’était dans la plus pure tradition viennoise, et les concerts de cette époque furent sans doute les plus “conformes” à l’esprit viennois, et c’était incontestablement l’orchestre, et Strauss, qui avaient la vedette. Acheter Boskovsky, c’est une garantie de qualité, d’esprit, d’authenticité et aussi de simplicité.

Ce n’est qu’en 1980 qu’on a commencé à y voir des chefs de renom se frotter à Strauss à Vienne, le premier fut Lorin Maazel, plusieurs fois appelé à diriger ce concert pendant les trente dernières années. En général les GMD (Generalmusikdirektor, directeur général de la musique) de Vienne, poste prestigieux s’il en est (ce fut celui de Mahler), comme Maazel, Abbado ou Ozawa sont invités presque obligatoirement à diriger ce concert:  l’an prochain, ce sera (logiquement) le tour de Franz Welser-Möst,  puisqu’il va occuper le poste de GMD à la Staatsoper en succédant à Seiji Ozawa. Depuis que le concert du Nouvel An est le phénomène planétaire et médiatique que l’on sait, la vedette reste Strauss, le chef, sans doute peu connu du très grand public (sauf Karajan en 1987) passe au second plan, sauf pour les mélomanes. C’est cette ignorance qui  a fait ainsi la fortune d’un André Rieu dans Strauss, hélas.

Il reste que si l’on veut acheter ou faire cadeau d’un concert du Nouvel An, c’est une bonne entrée en musique classique: on a un large choix, le concert de l’année étant publié dans les jours ou les semaines qui suivent le 1er janvier (un temps absolument record!). Ma vocation de mélomane est ainsi née à partir d’un cadeau de valses de Vienne qu’on me fit quand j’avais 8 ans, j’ai écouté et réécouté les valses de Vienne par l’orchestre hongrois de Yoska Nemeth, sans doute un des musiciens tziganes parmi les plus fameux du XXème siècle. C’est dire comme je suis attaché à cette musique. Si vous trouvez le disque en question, n’hésitez pas, c’est vraiment tout à fait remarquable et c’est un excellent moyen de rentrer dans l’univers des Strauss.

Et les autres?  J’aime bien Abbado 1 (1988) plus que Abbado 2 (1991) éclectique et surprenant (Mozart!), comme aime faire Claudio, mais au total un peu ennuyeux pour mon goût, disons que ces concerts ne sont pas les plus grands souvenirs de ma vie d’abbadien itinérant. Riccardo Muti comme souvent fait du beau son, mais tout cela reste assez plat, sans âme (j’écrirai un jour prochain sur ma relation très contrastée à ce grand chef, dont j’aime surtout les années 1975-1985, c’est à dire les premiers enregistrements fulgurants et l’éblouissant passage à Florence). J’ai acheté le disque de Mariss Jansons, chef que j’apprécie tout particulièrement, comme ceux qui me lisent le savent. Quelle surprise d’entendre un Strauss très symphonique,dans une interprétation très marquée par l’univers de Tchaïkovski, avec un orchestre massif qui semble quelquefois jouer Onéguine: si vous voulez une couleur autre, une vraie prise de risque interprétative, alors n’hésitez pas à en faire l’acquisition, c’est étonnant, c’est très fort, très intelligent, mais on n’est pas vraiment à Vienne.

Il reste…Carlos Kleiber. Eh, oui! A écouter et à réécouter, on a tout dans ces trois disques des deux concerts (1989 et 1992): on a d’abord la légèreté et la danse: Kleiber ne fait pas d’abord du symphonique, il fait danser l’orchestre, il n’appuie jamais sur les effets, il est étourdissant de vélocité (et l’orchestre suit d’une manière époustouflante), il virevolte, mais toujours avec un soin maniaque pour les effets instrumentaux (des rubatos des cordes à se damner, des flûtes de rêve) sans jamais insister, sans jamais appuyer, en cherchant toujours l’effet dansé: alors naît l’émotion profonde, intense (début du Beau Danube Bleu en 1989!comme je l’ai déjà souligné précédemment) . Il a arrive même à effacer toute lourdeur dans la Marche de Radetsky! Ne parlons pas de l’ouverture de “La Chauve Souris”, qu’il a dirigé si souvent à Munich;( je l’ai entendu pendant le Carnaval, il arriva en perruque déguisé en Boris Becker!) . Le disque de 1989 est un miracle, plus sans doute que celui de 1992. Si vous avez un seul concert à acheter, alors, pas d’hésitation, Vienne-Kleiber 1989. C’est absolument incomparable, à tous les niveaux, Strauss pour l’éternité. Rien de surprenant me direz-vous, certes, car à distance de 21 ans, personne n’a encore proposé mieux et Kleiber est une référence universelle, mais il vaut mieux encore une fois le dire et encore une fois le répéter: Kleiber 1989, c’est vraiment un monde fou fou fou!