La Tosca transmise hier du Nationaltheater de Munich a commencé sa carrière à New York, passe par Munich, et on la verra l’an prochain à la Scala (toujours avec Kaufmann, mais sans Mattila ni Uusitalo). Luc Bondy est toujours une grande référence scénique, et la distribution valait le détour: Karita Mattila reste une des grandes chanteuses de ce temps, Kaufmann est Kaufmann, et Uusitalo a fait de Wotan et Scarpia ses rôles fétiches. Il est difficile de rendre compte d’un spectacle à la télévision. Quelques impressions quand même: Luc Bondy a lu dans le livret ce que déjà dans les années 1980 notait Jean-Claude Auvray pour sa mise en scène à l’Opéra de Paris (Behrens, Pavarotti, et je crois Wixell..je vérifierai), à savoir que le désir traverse tout le livret, qui insiste fortement sur la violence du désir dans les relations du couple Mario-Tosca, sur le désir animal de Scarpia, sur le désir violent qui réveille Mario à la veille de la mort dans « E’ lucevan’ les stelle » au troisième acte. C’est cette violence du désir, qui traverse toute l’oeuvre, que Bondy met en scène: d’où la première scène dans l’église, pleine des frustrations du couple qui se cherche, qui se touche, mais qui vu le lieu (pour Tosca), et vu les circonstances (Angelotti pour Mario), ne peut aller jusqu’au bout de ses désirs, d’où des positions hardies, des enlacements violents et évidemment peu élégants (la longue robe de Tosca empêche bien des initiatives): ce désir, on le lit aussi, bien plus que dans d’autres mises en scène, dans la manière dont Mario considère l’Attavanti (notamment ses habits, laissés à Angelotti par précaution) et l’évidente envie que ces traces réveillent en lui, mais on voit aussi dans la manière aussi dont il est distrait par la situation (il regarde vers la chapelle sans cesse, ce que Kaufmann explique dans une interview disant l’importance qu’il attache à l’amitié virile pour Angelotti et la gêne que lui procure l’attitude de Tosca) qu’il sait garder une distance, ce que Tosca ne sait pas. C’est le désir plus animal qui guide Scarpia,
habillé dans une redingote en lézard au premier acte (avec des gants rouges…) et entouré de prostituées,
qui accompagnent son repas au lever de rideau de l’acte II, dont le décor est centré sur les langoureux divans rouges où s’allongeront tour à tour Scarpia et Tosca. La mise en scène ne manque pas de crudité, et débarrasse l’oeuvre de ses aspects les plus traditionnels: Tosca ne met ni cierge ni crucifix sur le corps de Scarpia, au contraire, elle s’acharne sur lui avec une violence inouïe, elle ne se jette pas dans le vide du haut du château Saint Ange, mais disparaît dans une tour de guet, en repoussant violemment ses poursuivants à la manière de nos feuilletons policiers américains, et le château lui même semble un port avec de l’eau qui entre au bord de la forteresse (c’est presque un décor pour un acte III de Tristan). Bondy a voulu à l’évidence faire revenir les choses « à fleur de peau », en réveillant les instincts plutôt que les sentiments, dans un décor monumental et glacial de Richard Peduzzi (grands murs de briques) et de beaux costumes de Milena Canonero. Tosca, opéra d’instinct et de violence. Après tout ce n’est pas faux, et la mise en scène ne m’est pas apparue un contresens, loin de là.
La partie musicale au moins au niveau du chant, reste de haut niveau:
Jonas Kaufmann, dont je ne pense pas qu’il soit ni un Rodolfo ni un Alfredo, est un Mario de très grande facture, avec sa technique, son sens des nuances, sa manière de moduler la voix, notamment dans les pianissimi, ses aigus sûrs et puissants: oui c’est une prestation une fois de plus exceptionnelle, où le raffinement du chant fait du personnage un être plus distancié et moins volcanique que Tosca, même dans « E’ lucevan les stelle », il apparaît un peu en retrait malgré le désir qui devrait traverser son corps – quand on entend ce qu’il chante.
La Tosca de Karita Mattila est victime des gros plans de la télévision: cette femme magnifique, d’une blondeur tout droit venue de Finlande cadre mal avec la beauté brune qu’on veut montrer ici, elle est un peu fagotée, un peu ridicule, un peu vulgaire même. De plus la confrontation avec Kaufmann rend le couple déséquilibré en âge: c’est la femme mûre qui est amoureuse d’un homme bien plus jeune. Tout cela gêne. Le chant reste très contrôlé, bouleversant à certains moments (acte II), Mattila est une très grande chanteuse, elle n’est cependant pas toujours émouvante. Juha Uusitalo a été je crois hué à Munich, je trouve cela bien injuste à ce que j’ai entendu. Le personnage est vraiment bien campé, le chant lui aussi très dominé, avec une froideur calculée et une violence rentrée que l’on ne cesse de percevoir. Au total, cette distribution germano-finlandaise n’a peut-être pas « l’italianità » qu’on aurait pu souhaiter, et ce chant est tout contrôle et domination, mais il reste qu’on est dans un travail de très haut niveau.
L’italianità pouvait venir de Fabio Luisi, au pupitre, très contesté par le public. Fabio Luisi l’italien, tout comme Bertrand de Billy le français, n’est pas prophète en son pays. Ces deux chefs dirigent partout sauf chez eux. Affaire de choix, mais aussi de réseaux sans doute. Luisi est un chef de bonne facture, qui sait tenir un orchestre, mais qui n’est cependant pas un grand inventeur (tout comme de Billy…), peut-être aurait-il fallu pour cette Tosca plus d’idées nouvelles, qui collent à la vision sulfureuse de Bondy. Quand un directeur donnera-t-il une Tosca à Ingo Metzmacher?…
Il faudrait bien sûr être dans la salle pour mieux juger: ce fut un beau moment de chant et de théâtre, un grand moment? pas vraiment…mais on ne peut tout avoir à la fois.
Toutes les photos sont prises sur le site du Nationaltheater (dans la Galerie sur Tosca)
Le direct d’ Arte a sauté pendant près de 30 minutes !
Et il y avait un problème de son (synchronisation ?).
Sinon, au milieu de tous ces problèmes, j’ai apprécié Kaufmann qui est un chanteur fabuleux (un peu l’antithèse de Alagna).
Dommage que l’âge et le physique de Mattila n’étaient pas crédibles. Même si elle chante très bien !
Je crois que, le jour de la retransmission, le final a été loupé : normalement, dans cette mise en scène (que j’avais vue au cinéma en direct de NY), Tosca se jette bien du château. Retenue par des fils invisibles, elle restait suspendue une ou deux secondes dans les airs au-dessus du vide et le noir se faisait. C’était assez saisissant. Soit l’effet n’a pas fonctionné ce soir-là, soit il a été supprimé, mais c’est dommage. Un beau moment malgré tout et une belle mise en scène en effet.