Le projet des perspectives est simple: deux concerts mettant en relation un compositeur contemporain, aujourd’hui Stockhausen, le précédent -le 17 août- Giacomo Manzoni – une création-, et trois autres sonates de Beethoven, op.53 Waldstein, op.54 et op.57 appassionata, pour tisser des liens, des parcours, des échos.
En ouverture de ce concert, deux Klavierstücke de Stockhausen . Dans l’explosion d’ après guerre, où tout semblait possible en matière d’innovation et d’exploration artistique, Stockhausen se contraint à écrire pour un seul instrument et, comme il dit lui-même, dix doigts. Le premier, notes isolées, longs silences, sorte de scansion qui finit par déranger, et créer de la tension. Deuxième morceau, accord qui semble répété a l’infini, qui se transforme bientôt en jeu, Pollini joue avec la partition, qu’il ne quitte pas des yeux. grand moment que cette exécution du Klavierstück IX, qui en dépit de la difficulté d’ exécution et aussi d’audition réussit à créer une véritable émotion .
Ce qui frappe évidemment lorsqu’on écoute les quatre sonates (op.78,79,82a,90) c’est d’abord une sorte de volonté pédagogique : quatre moments où Beethoven construit peu à peu une forme qui lui est propre. C’est en cela que Stockhausen et Beethoven sont mis en relation, chacun cherchant la forme d’expression pianistique adéquate.
Que dire de ces moments exceptionnels? On connaît Maurizio Pollini: rigueur, on disait aussi il y a quelques dizaines d’années froideur, refus du sentimentalisme, refus du spectacle. Aujourd’hui, en maître incontesté du clavier, il irradie le naturel, simple, sans affèterie : même dans sa manière d’arriver au piano, détendu, décidé, vaguement deguingandé, il incarne cette simplicité . Quant au jeu… J’ai vécu dans ma vie de mélomane des concerts d’Arthur Rubinstein, la messe, le spectacle, les hurlements d’un public pâmé. Ceux d’Horowitz, autre messe, avec la découverte d’un son incroyable jamais entendu ailleurs.
Ceux de Pollini, et celui-ci en particulier n’ont rien à voir. Pas de spectacle, sinon celui de l’ évidence . Le son qui sort du piano semble être celui-là même qu’on attend, ou qu’on veut, un son intime (où l’on entend aussi le Maître fredonner), égal, presque suspendu, d’une incroyable sobriété qui en même temps crée tension et émotion, mais aussi d’une étourdissante virtuosité: le tempo est diaboliquement rapide, et pourtant on le remarque à peine tant tout est illuminé par l’évidence. En soi c’est une démonstration, de virtuosité simple et naturelle, un jeu complètement dominé comme la lecon de musique d’un professeur génial. Et par dessus tout, l’expression d’une sérénité communicative qui fait que le public de ce matin, plus jeune que d’ordinaire, sort rasséréné, apaisé, disponible, en cette journée de grisaille d’un automne arrivé trop tôt.