NUOVO TEATRO DELL’OPERA à FLORENCE le 23 décembre 2011: Claudio ABBADO dirige l’ORCHESTRA MOZART, L’ORCHESTRA e IL CORO DEL MAGGIO MUSICALE FIORENTINO (BRAHMS: Schicksalslied et MAHLER, Symphonie n°9)

Florence dispose depuis le 21 décembre, date de l’inauguration officielle, d’un nouveau Théâtre d’Opéra. Le vieux Teatro Comunale, reconstruit après les bombardements de la seconde guerre mondiale, vaste salle sans âme ni élégance fermera dans quelques mois au profit de ce complexe composé d’une théâtre d’Opéra de 1800 places, d’un auditorium de 1000 places, d’un amphithéâtre en plein air de 2000 places, le tout signé par l’architecte Paolo Desideri. Situé juste au-delà de la Porta del Prato, non loin de la gare et de l’ancien théâtre, le nouvel opéra de Florence est à découvrir, à travers une série de concerts et de manifestations. Après l’inauguration officielle par Zubin Mehta (Beethoven Symphonie n°9), c’est Claudio Abbado qui dirige l’orchestre du Mai musical florentin et l’orchestre Mozart dans le fameux “Schicksalslied” de Brahms et la “Symphonie n°9” de Mahler, programme exigeant, et résolument grave, qui ne va pas forcément avec la période de fêtes et avec les réjouissances d’une inauguration, mais qui est évidemment excitant vu le chef…

Le théâtre est très inspiré de l’opéra d’Oslo pour la forme, les volumes, et l’utilisation du bois et la couleur dans la salle. A Oslo les architectes ont privilégié la lumière et le verre dans les espaces publics, et le bois dans la salle. Remplacez le verre par du béton, et vous avez à peu près le teatro dell’Opera. Mêmes rampes sur les côtés (voir photo), même disposition du bâtiment. Une sorte de Blockhaus avec des foyers bas de plafond, plus étirés à l’horizontale que visant à l’élévation verticale. Comme à Oslo, c’est le bois, de même couleur, qui a été privilégié dans la salle principale, une salle frontale de 1800 places avec deux balcons qui descendent vers la scène en rappelant la forme de la salle du vieux Comunale, un ensemble assez élégant, et un grand confort avec beaucoup d’espace entre les rangs, ce qui permet un confort des jambes assez inédit. On pourra vraiment juger de l’acoustique quand tous les travaux seront terminés, même la conque acoustique n’est pas définitive. La scène, très avancée dans la salle, conduit à un son très présent, très fort, un peu sec, alors que le choeur, pour le Brahms, manquait d’éclat en fond de scène. je ne suis pas convaincu par la distribution des espaces, mais il faudra voir à l’usage, lorsque l’auditorium de 1000 places sera en fonction. Le Comunale était rarement plein, je doute que ce nouveau théâtre le soit aussi: le public potentiel florentin n’est pas énorme. D’ailleurs, il restait pour le concert plusieurs centaines de places à vendre que l’administration du théâtre a offert au public de dernière minute avec 10% de réduction. Il est possible que des sponsors qui traditionnellement en Italie achètent des centaines de places pour leurs invités, n’aient pas réussi en cette période de l’année à attirer leur public. Ils ont peut-être rendu les places. Le sponsoring en Italie conduit souvent à exclure des salles bonne part du public ordinaire. La Scala par exemple met rarement en vente plus de 500 places, les 1500 places restantes se partageant entre sponsors et abonnés.

 

Enfin, il y avait du public, et quelques stars, Roberto Benigni et son épouse, amis de longue date d’Abbado, la danseuse (à la retraite) Carla Fracci, quelques politiques locaux, dans une ambiance chic et choc de cette ville très aristocratique et provinciale qu’est Florence.
Et ce fut un beau concert. Dès les premières mesures du Brahms, on mesurait la qualité du son de cet orchestre hybride, né de l’union de l’Orchestra Mozart et de celui du Maggio Musicale Fiorentino, avec des chefs de pupitres venus du Lucerne Festival Orchestra, on reconnaissait Raphaël Christ (Premier violon), son père Wolfram Christ (Premier alto) avec l’ex premier alto de la Mahler Chamber Orchestra, Jacques Zoon à la flûte , Alessandro Carbonare à la clarinette, Alessio Allegrini au cor, et bien sûr, l’irremplaçable Reinhold Friedrich à la trompette. Le Schicksalslied, tiré de l’Hyperion de Hölderlin, chante le malheur des hommes et la félicité des élus, qui ont dépassé le destin, face aux hommes, qui en sont les jouets. L’ensemble a été vraiment magnifique, avec un début prodigieux, dans un crescendo dont Abbado a le secret. Le chœur s’en est très bien tiré, malgré le problème acoustique signalé plus haut. Après ce début prometteur, l’interprétation de la Symphonie n°9 a pris de court les habitués que nous sommes, comme souvent. Abbado ouvre la premier mouvement sur un tempo plus vif, presque plus allègre, avec un son plus ouvert, et accentue les contrastes. Il en résulte une forte tension entre les trois premiers mouvements, étourdissants de vivacité virevoltante, d’ironie mordante (le rondo burlesque devient insupportable de cruauté), avec des solos à faire pâlir (Jacques Zoon à la flûte a été littéralement prodigieux, sans parler de Friedrich), et le quatrième, qui devient en contrecoup bouleversant, de douleur rentrée, de volonté de ne pas s’étioler, de résister à l’aimantation de la fin. Et, même si ce n’est sans doute pas la plus grande Neuvième entendue, les larmes coulent, comme toujours quand Abbado nous prend par surprise et nous emmène dans cet espace du sensible et de l’émotion qu’aucun autre chef n’explore avec cette insistance et cette intuition. Et lorsque les derniers soubresauts de son remplissent (à peine, tant ils sont murmurés) la salle, quand les lumières peu à peu s’éteignent dans un long silence traversé par des filets sonores à peine perceptibles, pour laisser place à un très long silence dans une salle presque totalement obscurcie où l’orchestre n’est plus qu’un ensemble d’ombres immobiles, on se dit que Mahler est grand, et Abbado son prophète.

Le résultat: un triomphe, énorme, plusieurs dizaines de minutes, la salle debout, et de longs applaudissement insistants longtemps après le départ de l’orchestre pour rappeler le Maître, mais celui-ci, fatigué et souffrant du dos, ne s’est pas présenté une dernière fois comme il le fait à Lucerne. Quand finit la musique, le poids de l’âge revient, mais quand il est sur le podium, on sent bien que la musique est pour lui une source d’éternelle jeunesse et d’éternelle énergie.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *