BAYREUTH 2013, LE RING : INTERVIEW DE FRANK CASTORF DANS « WELT ON LINE » le 17 février 2012.

Frank Castorf - Photo Amin Akhtar

TRADUCTION de l’interview:

Je ne résiste pas: l’interview de Frank Castorf dont j’ai parlé dans mon avis sur Bayreuth 2013 nous en dit un peu sur le futur « Ring », j’ai essayé de la traduire au mieux, pour que nous puissions nous préparer, et peut-être mieux connaître le metteur en scène qui a enflammé (et écœuré) une partie du public de l’Odéon en janvier dans « La Dame aux Camélias » et qui va sans doute faire couler beaucoup d’encre et de salive avant, pendant et après le Ring du bicentenaire au Festival de Bayreuth. C’est une belle interview, qui j’espère va vous intéresser et vous indiquer comment le « Ring » sera lu, entre globalisation, est-ouest, histoire de l’Allemagne et du Monde.

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Auteurs: Volker Blech, Stefan Kirschner | lien vers l’article en langue originale: WELT ON LINE : 17/02/2012

« Bayreuth est pour moi une transgression »

Frank Castorf met en scène le « Ring » du  Jubilé comme une parabole sur le bruit du pétrole et la mondialisation.
Une discussion sur les plateaux tournants et les clauses du contrat en petits caractères.

Le metteur en scène Frank Castorf, intendant de la Volksbühne de Berlin a été récemment à Belgrade, où il a rencontré Aleksandar Denic. Le Serbe réalise les décors pour du Ring de Castorf à Bayreuth en 2013, Le Festival fête le 200ème Anniversaire de la naissance et le 130ème anniversaire de la mort du compositeur Richard Wagner.
Ce vendredi, cependant, c’est une première à Berlin: il a mis en scène la nouvelle de Kleist « La Marquise d’O … ».
  Mais Castorf est déjà bien occupé par le « Ring ».

Welt on Line: Monsieur Castorf, vos spectacles sont rarement courts, combien de temps va durer la soirée?

Frank Castorf: Je l’ai dans mon contrat: On ne peut pas descendre en dessous de 17 heures.

Welt on Line: Mais…pour la Marquise d’O de Kleist?

Frank Castorf: Non évidemment, je parle du Ring de Bayreuth! Il a d’abord été question de réflexions, de modification dans le livret ou la partition, mais le chef Kirill Petrenko veut diriger l’original, ainsi que les soeurs Wagner. Alors j’ai dit « Ok! », c’est bien que personne ne me demande de pratiquer des coupures. Et le Kleist à la Volksbühne dure trois heures!

Welt on Line: Vous mettez en scène le texte de Kleist pour la première fois?

Frank Castorf: Oui, j’ai découvert Kleist par hasard, sur mon parcours  dans le XIXème et  la fin du XVIIIème. Kleist a pour moi une modernité extraordinaire.

Welt on Line: Les drames de Kleist ne vous irritent pas?

Frank Castorf: En préparant la mise en scène de la « Marquise d’O », j’ai découvert des anecdotes sur Kleist qui sont un trésor unique. Cet art de pointer des choses est grandiose: de courtes notes de journal sur la Charité (*NdT:  l’hôpital « historique » de Berlin) et en quatre lignes il en vient au fait. Kleist est un humoriste qui découvre toujours la purulence qui va faire percer le bubon. Un homme qui cherche toujours l’opposition.

Welt on Line: Et cet humour aigu et provocateur, la société berlinoise l’a perdu?

Frank Castorf: On doit l’avoir soi-même!  Nous vivons dans un grand consensus (NdT: nous dirions sans doute en France, « la pensée unique ») et vivons très bien avec. Qui dit aujourd’hui, vraiment ce qu’il pense?

 

Frank Castorf: Ils le peuvent, oui, parce qu’on ne peut les congédier. Ce sont les seuls qui soient libres parce qu’ils sont indépendants des indices d’écoute.

Welt on Line: Mais vous en êtes le meilleur contre-exemple, vous qui êtes au mieux avec le Maire de Berlin Klaus Wowereit, et son secrétaire d’Etat André Schmitz.

Frank Castorf: Mais je suis un dinosaure…et vous connaissez bien leur destin.

Welt on Line: Monsieur Schmitz est aussi enthousiaste à l’idée que vous allez mettre en scène le « Ring » de l’année du Jubilé à Bayreuth. D’autres considèrent votre style de travail comme de la pure provocation. Pourquoi prendre le risque de Bayreuth?

Frank Castorf: Bayreuth pour moi est une transgression. Le conservatisme y est beaucoup plus prononcé. Vous pensez, de l’opéra! et à Bayreuth! et le « Ring », cette « œuvre d’art totale »! Si l’offre était venue de Vienne ou d’ailleurs, je ne l’aurais pas acceptée. Ou alors seulement si j’avais pu toucher à la partition ou au livret. Mais à Bayreuth, c’était impossible pour des raisons évidentes.

Welt on Line: On à peine à croire que vous ayez accepté les règles…

Frank Castorf: J’ai beaucoup hésité. Mais maintenant c’est dans le contrat, hélas! C’est un risque parce que je n’ai plus la possibilité de combiner le matériel de Wagner avec quelque chose d’autre. mais j’ai obtenu des choses dans les négociations. Il y aura une scène tournante, je pourrai travailler avec le film. Les gens d’opéra sont toujours un peu sceptiques. Les amateurs d’opéra conservateurs aussi. Il y a à Bayreuth un public qui n’est pas seulement sur le tapis rouge pour des raisons artistiques. Comme la chancelière, ou Thomas Gottschalk, le Grand-chancelier de « l’entertainment ». Je trouve ça bien ainsi! Ici à Berlin on est toujours entre soi, et ça finit par être ennuyeux!

Welt on Line: Le « Ring » célèbre en 17h la chute d’une race de Dieux. Quelle histoire racontez-vous?

Frank Castorf: Pour moi c’est un voyage vers l’Or de notre temps, vers le Pétrole. Et Siegfried est l’histoire de quelqu’un qui s’est mis en tête d’ apprendre la peur. On peut simplement raconter cela comme dans les contes de fées.  Cela rappelle aussi le grand classique d’Orson Welles, Citizen Kane. Dans Apocalypse Now, les Hélicoptères volent au  son de la « Chevauchée des Walkyries ». Cette manière d’interpréter a hanté nos têtes. Foin de l’illustration. Entrons au cœur de l’opposition logique!

Welt on Line: Votre « Ring » se déroule dans le présent?

Frank Castorf: Avec l’ère du pétrole commence l’industrialisation du monde. En 1890 il y a eu un boom en Azerbaïdjan. Les vieilles tours de forage de Bakou ressemblaient à des cathédrales de bois.Il y a deux extrêmes, aux antipodes, la Russie et le Texas, où le boom pétrolier a suivi dans les années 50. Mais dans la mise en scène on va s’éloigner du concept historiciste. Amérique et Russie  sont pour moi le XXème siècle. Au milieu, il y a quelque chose, et c’est nous. Mon décorateur Aleksandar Denic a construit quelque chose de magnifique: L’Alexanderplatz de Berlin comme socialisme postmoderne. Sur un plateau tournant seront réunis Est et Ouest, c’est notre voyage. Il commence n’importe quand après la deuxième guerre mondiale.

Welt on Line: Vous avez une attention politique plus aiguë à une Première à Bayreuth qu’à la Volskbühne. Comment voulez-vous en user?

Frank Castorf: Ça, on va voir. J’aime le plaisir des détours et je ne sais pas vraiment aujourd’hui où va me conduire la musique. Il y a l’Alexanderplatz, mais quand la scène tourne, on se retrouve à Wall Street. Je veux cette ambivalence sans conclusions univoques. Les conclusions univoques sont rarement exactes. Mais c’est vrai:  tous les systèmes que nous avions  se sont donnés comme Walhalla, et dans le même temps se sont dissoutes toutes les valeurs morales.
Welt on Line: Alors vous faites un « Ring » sur la globalisation?

Frank Castorf: Je ne peux dire si la globalisation est bonne ou mauvaise. Mais je remarque qu’avec l’effondrement du système de valeurs (NdT: le socialisme est-allemand) auquel je me suis frotté auparavant, beaucoup de choses ont empiré. Le mur Est/Ouest a aussi empêché beaucoup de choses, les grandes guerres. L’arrivée de l’Islamisme militant n’aurait pas été pensable. Mais on ne peut penser l’histoire comme souhait. Elle se passe et c’est tout.

Welt on Line: Kleist  comme Wagner, est-ce votre retour sur le fait allemand?

Frank Castorf: Je suis bien sûr aussi un vieux maître-éducateur teutonique. Je trouve que nous avons derrière nous une longue tradition qui explique pourquoi nous sommes devenus ainsi. C’est parfois terrible, c’est parfois aussi – comme dans le cas Wagner-quelque chose de tout à fait particulier. Ce qui m’intéresse, c’est le matériel qui nous est resté du XIXème, Grabbe, Hölderlin, Lenz. Chez Kleist, ce qui me fait plaisir, c’est de provoquer le rire par les contestations. Mon style n’est peut-être pas à la mode, mais cela va changer. En ce moment, à Berlin, je suis tombé dans une faille de la machine du temps.

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