Un avenir embrumé
Depuis 1973, ma première fois à l’Opéra de Paris, Paris a vu 10 administrateurs généraux ou directeurs généraux, soit une moyenne de quatre ans et demi par mandat, en les citant, le lecteur découvrira sans doute des noms oubliés : Rolf Liebermann, Bernard Lefort, Massimo Bogianckino, Jean-Louis Martinoty, René Gonzalès, Jean-Marie Blanchard, Hugues Gall, Gérard Mortier, Nicolas Joel, Stéphane Lissner, sans compter une période de transition entre Lefort et Bogianckino confiée au duo Alain Lombard-Paul Puaux, ni celle de Daniel Barenboim au moment de la préfiguration Bastille, qui a fait long feu quand Pierre Bergé a présidé le Conseil d’administration de la maison et littéralement vidé avec fracas le chef d’orchestre.
Pendant la même période, à la Scala se sont succédés, Paolo Grassi, Carlo-Maria Badini, Carlo Fontana, Stéphane Lissner, Alexander Pereira, soit 5 surintendants, moyenne, 9 ans par mandat.
Serge Dorny © Philippe MerleOn voit là déjà un problème singulier qui tient à Paris, le manque de temps pour construire un vrai projet : seuls Liebermann et Hugues Gall sont restés plus de cinq ans, et tous les deux avaient à refonder la maison : Liebermann lui donner une cohérence artistique et une assise internationale après la refonte des organisations, Gall lui donner un répertoire qui correspondît à la nouvelle structure, deux salles immenses, et 560 soirées à remplir, après la période agitée qui a vu l’ouverture de Bastille.
Le deuxième caractère de l’Opéra de Paris, c’est que c’est sans doute la plus grosse institution d’opéra du monde, mais qui continue à ne pas être une référence artistique absolue dans le monde lyrique, sinon celle d’être l’Opéra de Paris sans plus : la Scala le reste (plus par son nom que par ce qu’elle produit), le MET le reste (même vacillant), Vienne le reste (par son système de répertoire et par l’importance de la musique classique à Vienne). Ce qui caractérise Paris, c’est l’absence de ligne et d’identité artistique dans la durée. J’ai souvent signalé l’absence totale de référence à la mémoire du lieu. Il suffit d’aller à Vienne, à New York, à la Scala ou à Covent Garden pour comprendre que ces salles communiquent aussi sur leur histoire, pour montrer au spectateur où il se trouve.
À Paris, des calicots pendent dans le foyer avec la pub pour Citroën DS ce qu’aucun autre opéra n’ose faire…et qui est un pur scandale et une rare imbécillité.
À Paris, il semble toujours que l’histoire commence avec le directeur du jour, avec la représentation du jour : c’est un opéra sans mémoire et qui s’affiche donc sans futur, dans la mesure où se pose régulièrement la question de son avenir, de son organisation,et de sa ligne ou politique artistique. Ce n’est d’ailleurs pas d’aujourd’hui. Quelle mémoire a-t-on des représentations d’avant 1973 ? Qui peut dire les grandes créations à Garnier depuis son ouverture en 1875 exception faite de Saint François d’Assise (1983) de Messiaen et la Lulu complète (1979), toutes deux des projets Liebermann (même si le Messiaen a été créé sous l’ère Bogianckino).
Les grandes salles italiennes ont souvent publié sous forme de livre ou désormais d’archives numériques la liste de leurs représentations ; la Scala a édité des chronologies depuis sa création en 1778! Ailleurs, Vienne possède en ligne des archives très bien faites depuis 1860 environ, avec les distributions au quotidien. L’Opéra de Paris qui possède une des bibliothèques musicales les plus riches, n’exploite ce trésor qu’à l’occasion d’expositions temporaires, mais n’a jamais investi sur sa mémoire…
Je mets au défi quiconque de me dire la ligne artistique ou identitaire actuelle de l’Opéra de Paris, qui vient juste de se souvenir de son répertoire local en français qui avait eu son heure de gloire. Si vous allez à la Scala, vous pensez « répertoire italien », vous allez à Munich et dans tous les espaces publics s’affichent les portraits des stars du lieu ou des compositeurs fétiches, Strauss ou Wagner. En ce qui concerne la ligne artistique parisienne, on passe successivement et brutalement d’une ligne contemporaine (Mortier) à une ligne résolument traditionaliste (Joel), sans aucune fidélité ou cohérence, sans aucun sens de la continuité, sans référence au répertoire typique français, tenue en mépris par une doxa inexplicable durant des années, comme si ce type d’établissement était tributaire des bonnes ou mauvaises idées des souverains locaux, une sorte de bon plaisir livré à la mode.
Le seul élément de continuité à Paris est le ballet, on a vu bon an mal an que Brigitte Lefèvre avait su assurer une continuité taxée d’immobilisme, pendant 19 ans, mais qui au moins a laissé un niveau et une tradition. On a vu aussi que sa succession provoque des hoquets et il y a maintenant une vraie crise de management au ballet, comme quoi il faut du temps pour construire et très peu de temps pour détruire.
C’est pourquoi la succession de Lissner pose de gros problèmes car on ne voit pas à qui faire appel. Stéphane Lissner a mené la politique opportuniste, mais intelligente, qu’il a toujours menée ailleurs, humant l’air du temps et appelant à l’opéra les metteurs en scène du moment, et les stars qui manquaient, dans une maison qu’il a trouvée en état de marche. L’ère Joel d’une pauvreté marquée en termes de spectacles significatifs et intéressants a garanti au moins un fonctionnement régulier et sans hoquets à la maison, qui est d’une rare complexité.
C’est alors qu’intervient la politique, ou l’absence de politique, du Ministère de tutelle, le ministère de la culture. On savait que Lissner allait partir, qu’il atteignait la limite d’âge et qu’il fallait prévoir sa succession.
Le seul possible depuis longtemps était Serge Dorny, dont la réussite à Lyon a été éclatante (trop pour ne pas susciter jalousies et boules puantes), mais Serge Dorny a signé à Munich, une maison de grande tradition, une maison saine, qui a une ligne identitaire marquée, et qui ne désemplit pas dans un pays où la musique classique a un statut. Exit Serge Dorny parti sous des cieux plus souriants.
Le paysage en termes de managers lyriques est actuellement un désert et pas seulement en France, une nouvelle génération de gens de qualité est en train de monter (Eva Kleinitz à Strasbourg par exemple), mais encore insuffisamment aguerris pour prendre le vaisseau amiral. Il n’y a aucun manager capable de reprendre cette maison en France (ou à l’étranger d’ailleurs) aujourd’hui, qui ait à la fois le sens artistique et la capacité en termes d’organisation, on pourrait penser à Bernd Loebe, intendant de Francfort depuis 2003 (!) qui a mené une politique remarquable, mais il a 66 ans et donc se trouve à un âge limite lui-aussi . Et trouver un successeur ne se pose pas seulement à Paris d’ailleurs mais aussi à Lyon devenu entre-temps un opéra international, ce qu’il n’était pas à l’arrivée de Dorny et demandant donc une nomination de poids.
Deux solutions « de repli » se profilent donc avec deux managers à peu près du même âge et tout aussi expérimentés:
- Un maintien en poste de Stéphane Lissner : après tout il n’a pas démérité et a proposé une programmation séduisante, avec les hauts (Moïse et Aaron) et les bas (La Damnation de Faust) de l’exercice, avec la question du ballet à régler, car la solution Aurélie Dupont ne semble pas actuellement satisfaire grand monde. Reconduire Lissner serait une solution d’attente, mais garantissant la préservation d’un niveau notable.
- L’appel à Dominique Meyer, qui dirige actuellement un vaisseau tout aussi complexe, l’Opéra de Vienne, et qui plus est connaît bien Bastille pour en avoir été le Directeur Général au moment de sa fondation, et le milieu parisien pour avoir été directeur heureux du Théâtre des Champs Elysées. Il sera libre en 2020. De plus, c’est quelqu’un qui s’est toujours intéressé au ballet de l’Opéra, qui a revivifié celui de Vienne en travaillant avec Manuel Legris et qui a un goût musical très sûr.
Ses points discutables :- l’âge, mais on trouve toujours des solutions si l’on veut : regardons Pereira (71 ans) à la Scala et Jürgen Flimm qui vient de quitter à 77 ans la Staatsoper de Berlin. Meyer n’en est pas là et il quittera Vienne à peine à l’âge de la pension, dont le plafond est de papier à ce niveau de responsabilité.
- les réserves qu’il affiche sur la modernité théâtrale, sans aller jusqu’à la fermeture d’un Joel mais qui pour le public souvent conservateur de l’Opéra serait plutôt un atout. À Vienne il a proposé de solides productions de répertoire, sans grande audace scénique, mais dans une maison où la question du répertoire au quotidien (300 représentations une cinquantaine de titres) se pose différemment qu’à Paris. À Vienne, cette politique lui garantit une fréquentation exceptionnelle proche du 100%. Mais à Paris?
Avant même le nom qu’on veut y mettre la question la plus délicate qui se pose pour Paris est celle de la politique qu’on veut y mener.
- La question des personnels, des statuts et des prébendes, qui se posait déjà sous Liebermann et que les nouvelles conventions collectives n’ont pas résolu et partant celle des organisations générales, c’est une question récurrente à Paris, un long feuilleton…
- La question artistique du ballet dont l’organisation semble aujourd’hui surannée (et Benjamin Millepied avait bien ciblé la question), ainsi que la question de la formation et de l’école de danse : en bref, une organisation à revoir du haut en bas.
- La question de l’identité artistique de la maison, qu’on a vu plus haut, qui sorte l’Opéra de Paris de son statut actuel de garage de luxe sans ligne et quelquefois sans luxe non plus.
- La question du directeur musical, tantôt oui, tantôt non selon le directeur général qui passe. Il se pose toujours la question d’un directeur musical : Liebermann en a eu un pendant peu de temps (Sir Georg Solti, un nom-garantie au début de son mandat) mais s’en est passé ensuite, jusqu’à Lothar Zagrosek sous Martinoty, puis Myung-Whun Chung au début de Bastille, James Conlon sous Gall et Philippe Jordan sous Joel et Lissner. Mortier s’en est passé, Meyer s’en passe à Vienne après le départ de Franz Welser-Möst, dans une maison pourtant habituée à en avoir un.
À l’inverse du directeur général choisi dans les managers très expérimentés et enfin de carrière, le directeur musical à Paris est plutôt à l’orée d’une carrière et fait de Paris un tremplin (c’est le cas de Philippe Jordan qui s’y est fait un répertoire) : on évite ainsi les conflits entre deux personnalités fortes et assises. On pourrait aussi choisir un chef en résidence sur deux saisons par exemple…
En tous cas le profil ne saurait être un chef de prestige : la maison n’est pas en soi suffisamment prestigieuse pour attirer un très grand nom, mais elle peut accueillir un quadra talentueux,déjà connu de l’orchestre de préférence qui puisse s’y faire les dents et compléter son répertoire …au lecteur de jouer… - La question des locaux, irrésolue depuis la fondation de Bastille, avec en tout premier lieu la seconde salle (dite à l’époque salle modulable) qui est restée à l’état de squelette, pour laquelle aucun projet intéressant n’a jamais été proposé essentiellement pour l’investissement financier que tout projet suppose. Il paraît qu’on y pense…
Ajoutons-y la question des accès publics à l’Opéra-Bastille, cette entrée ridicule (et pas seulement depuis que les contrôles y sont) pour 2700 personnes alors que l’on doit rappeler qu’il existe un accès (désormais fermé) depuis les parkings, qu’il existe aussi un accès direct depuis le métro (fermé), que la bouche de métro sous l’entrée est un cloaque et que l’escalier monumental avec son arche ne sert ni d’entrée ni de sortie, et donc ne sert à rien. Ces questions sont sans réponses ou en friche depuis très longtemps et n’ont pas surgi au moment des restrictions dues aux mesures de sécurité…On reste quand même un peu stupéfait qu’après trente ans d’existence l’an prochain, elles n’aient pas été résolues, même si on espère qu’elles sont (ou ont été) l’objet de réflexions.
Ajoutons enfin la question de l’état du bâtiment, vieux avant l’âge, construit à l’économie dont on paie aujourd’hui la vieillesse précoce comme on le voit au nombre de travaux actuellement mis en route.
Il est clair aussi que le projet de Bastille, validé au début des années 1980, à une époque où le triomphe de Liebermann à l’Opéra Garnier laissait penser à une augmentation exponentielle des publics et à la nécessité d’une autre salle aujourd’hui souffre de son architecture médiocre, de sa capacité excessive et de l’esprit avec lequel il a été dès l’origine conçu.
Le projet de l’Opéra était clair : un opéra populaire fondé sur un système de répertoire (Bastille) à prix raisonnables et un Palais Garnier dédié au ballet.
Lorsque Daniel Barenboim avait été appelé comme directeur, il avait proposé de rétablir un pur système stagione et Pierre Bergé président du conseil d’administration l’avait vidé des lieux parce que son projet était paraît-il élitiste et ne répondait pas au cahier des charges. Il est vrai qu’à l’époque, Barenboim n’avait pas le prestige et le poids qu’il a aujourd’hui et qu’on considérait qu’on pouvait se permettre de le traiter ignominieusement comme il a été publiquement traité.
Hugues Gall a eu le temps d’asseoir la programmation sur un répertoire en créant pour la monstrueuse maison un système à mi-chemin entre stagione et répertoire, sur le modèle du MET ou de Covent Garden, et utilisant Garnier pour le ballet et comme salle de réserve pour des opéras au format plus réduit.
Aujourd’hui le contexte a changé.
Quand le projet Bastille a été conçu, au début des années 80, l’Opéra Comique était une salle à disposition sans projet, le Châtelet affichait encore Francis Lopez et le Théâtre des Champs Elysées n’affichait que des concerts.
L’Opéra avait donc le monopole de l’opéra.
Aujourd’hui, ce monopole est battu en brèche par la concurrence à Paris et en région parisienne: d’autres structures se partagent le public d’amateurs d’art lyrique : Opéra Comique, Théâtre des Champs Elysées affichent des opéras, ont des saisons construites et séduisantes, et le Châtelet lui-même a longtemps été un (léger) concurrent de Bastille, enjeu de la lutte emblématique entre la ville de Paris (Chirac) et l’Etat (Mitterrand). Le public se disperse et on est donc passé au trop plein, d’autant que les prix affichés découragent un public censé être plus populaire au départ (le projet de Bastille était celui d’un Opéra National Populaire) et que la Philharmonie draine une part non négligeable du public mélomane. Il n’y a plus assez de public pour l’offre parisienne devenue en quelques années, et c’est heureux, pléthorique…
En bref à tout cela s’ajoute donc à l’Opéra de Paris une crise de public.
Et cette question de l’offre et de la demande est une question de politique culturelle à penser au plus haut niveau (on en sourit d’avance…)
Il s’imposerait donc une équipe plus jeune, qui ait du temps pour pouvoir affronter toutes ces questions, or les nominations qui se profilent sont des solutions de fin de carrière, de bâton de maréchal qui sont par force limitées dans le temps .
Ces questions, le ministère de tutelle, focalisé sur les noms à nommer et pas forcément les politiques à mener ne les aborde pas : l’opéra en France est moins vendeur politiquement que d’autres dossiers culturels et donc la question ne se pose que marginalement parce qu’y toucher signifie inévitablement poser la question des finances, qui accompagne toute réorganisation…et l’Opéra est déjà un gouffre, dit-on pour couper court à toute réflexion.
Si Lissner est prolongé ou si Meyer était nommé, les deux à un âge où ils n’ont plus rien à perdre et ont largement prouvé leurs compétences, il serait intéressant de leur part de faire front à toutes les questions qui se posent et à commencer à déblayer le terrain pour leur successeur, en des mandats non de transition, mais de réorganisation de cette vénérable maison, quitte à en affronter les risques. Ce serait tout à leur honneur, et ferait sans doute du bien au système.
Excellent papier,d’une grande lucidité,qui énonce les problèmes posés par cette « monstrueuse maison »,problèmes qui sont d’ailleurs toujours les mêmes et qui n’ont jamais été résolus.
Je serai pour ma part partisan de renouveler le mandat de Lissner.Certes son mandat en cours n’est pas exempt de mauvaises idées mais il connaît la maison,est un bon négociateur et ses choix artistiques sont généralement bons.
Bonjour,
Le titre de l’article ‘OPERA de PARIS, QUELQUES RÉFLEXIONS POSÉES PAR L’APRÈS LISSNER’ m’a au départ beaucoup interpelé, mais le constat et la vision donnée beaucoup moins.
D’une part, il est bon de rappeler que dans un passé récent, au XIXe siècle, l’Opéra était une référence mondiale absolue. Verdi et Wagner révaient d’y faire leurs créations.
Le premier point d’inflexion a ensuite eu lieu dans le dernier quart du XIXe siècle avec la contradiction absolue de la construction de Garnier et de la volonté des républicains d’ouvrir le théâtre au public le plus large possible. Garnier resta en fait un lieu de conservatisme où l’on montait des superproductions chères et prestigieuses.
Mais Garnier est le seul opéra au monde dont la façade est recouverte du nom de tous les compositeurs qui ont marqué son temps, et parfois peu connus comme Jommelli.
L’histoire est donc contenu dans l’architecture même du bâtiment.
La création va cependant se faire à l’Opéra Comique principalement, d’autant plus que la liberté des théâtres est proclamée depuis 1864. D’ailleurs, Garnier va en profiter pour récupérer tout le répertoire des Italiens qui ferment en 1871.
La concurrence avec les autres théâtres lyriques (Châtelet notamment, que Lissner a dirigé plus tard) a donc toujours existé et n’est donc pas une nouveauté.
Néanmoins, après guerre, Garnier est en déclin, le Grand opéra est en voix de disparition, et l’on pense même à en finir définitivement avec l’Opéra. Mais l’Opéra Comique ferme en 1971, et Lieberman arrive.
C’est à ce moment là que l’absorption du répertoire de l’Opéra Comique s’accélère et s’accentue avec l’ouverture de Bastille et l’arrivée d’Hugues Gall. Il y a eu auparavant des aléas mais, en 2003, l’Opéra de Paris a atteint son objectif : places bon marché, public diversifié, même si la moitié du public est parisien.
Bastille est certes un bâtiment extérieurement froid, mais ses possibilités techniques sont merveilleuses pour y créer les spectacles les plus audacieux.
Par la suite, l’ère Mortier prolonge la ligne Hugues Gall et l’infléchit pour s’ouvrir plus largement au répertoire du XXe siècle et aux compositeurs de l’Est. Rien à dire, ce n’est que richesse supplémentaire.
La rupture destructive a effectivement lieu avec la nomination de Nicolas Joël. Augmentation spectaculaire du prix des places, effacement de l’héritage Mortier, la Cour des comptes le relève dans son rapport 2016, et demande une plus grande surveillance du conseil d’administration, rôle qui n’est pas évoqué dans le présent article.
La baisse de la subvention de 105 à 95 millions, qui n’est également pas mentionnée, est pourtant un facteur clé majeur qui précipite l’exclusion du public le moins fortuné. Joël réduit notamment de moitié le nombre de places à 5 euros, pour augmenter les recettes de billetterie.
Un autre facteur, qui risque d’étrangler l’édifice, est la difficulté à maîtriser la masse salariale toujours en augmentation. C’est le problème majeur de l’Opéra de Paris aujourd’hui, car sans structure économiquement viable à long terme, aucun projet artistique ambitieux ne peut être envisagé. Or le mécénat n’a servi qu’à compenser la baisse de subvention, rien de plus.
On peut comparer la Scala à Paris si l’on veut, mais il y a moitié moins de représentations qu’à Paris et on ne peut pas en parler en terme de théâtre populaire.
De plus, l’opéra de Vienne est subventionné à plus de 50%, 65% pour Munich, 80% à Berlin, contre 45% à Paris.
Peut-on alors envisager un avenir à l’Opéra ouvert au plus grand nombre dans ces conditions?
Le problème de la succession de Lissner, si tant est qu’il y en ait un, est d’abord un problème de volonté de la part du politique, et de la ville de Paris en particulier – qui ne subventionne rien -, de soutenir une institution dont on ne voit pas qui pourrait réaliser la quadrature du cercle. Qui pourrait développer un projet artistique avec moins de soutien? Pour Serge Dorny, à Munich, ce sera bien plus facile avec 2/3 de son budget venant de la ville et de l’Etat.
C’est dire comme Lissner est méritant dans ces conditions pour tenir une ligne qui malgré tout commence à s’effriter. Désengagement de la coproduction de Billy Budd avec le Teatro Real de Madrid, monopole de Verdi sur un quart des représentations, 7 nouvelles productions seulement la saison prochaine, l’étau se resserre, et ce n’est certainement pas un Dominique Meyer non renouvelé par un Opéra de Vienne en recherche de modernité qui pourra sauver Bastille, alors là, vraiment pas.
Aujourd’hui, Bastille est en mutation, et se profile l’ouverture de sa salle modulable en 2022.
C’est à se moment là qu’il faudra juger si les réformes de statuts et de structures qui touchent toute notre société auront aussi permis à l’Opéra de Paris d’avoir retrouvé une musculature qui lui permette de développer plus sûrement ses projets artistiques.
En attendant, Stéphane Lissner est l’homme qui a la carrure pour mener à bien cette transition, et je lui souhaite d’avoir le courage de poursuivre au moins jusqu’en 2023.
David
Je ne comprends pas votre développement sur l’Opéra, j’ai justement souligné dans l’article que les directions de l’Opéra de PAris ne tiennent pas compte de l’histoire glorieuse de cette maison, sans jamais communiquer sur son identité historique. Et je m’en désole depuis longtemps. Donc je partage votre avis.
En fait je ne fais pas un problème de cette relative moindre communication sur le passé de l’Opéra – par exemple au MET, au sous-sol, on peut retrouver tous les portraits des artistes qui y sont venus, metteurs en scène, chanteurs récents où bien plus anciens -, ou, en tout cas, n’estime pas qu’elle doit avoir une influence sur la programmation de l’institution, puisque son histoire montre de nombreux points de rupture avec le passé.
Donc je ne vois pas en quoi il faudrait une continuité de ligne permanente, et les changements ont du bon du moment qu’ils ne font qu’infléchir une ligne vers une direction meilleure.
Et j’espère bien que la transition Mortier/Joel, destructive, n’était qu’une erreur exceptionnelle qui ne devrait pas se reproduire.
Le dernier rapport de la cour des comptes souligne bien le devoir du conseil d’administration de veiller à ce qu’il n’y ait plus de clivages aussi saillants, au moins afin d’amortir sur le long terme les productions de chaque directeur, et donc je suis plutôt optimiste sur ce point.
Mais l’article fait un lien entre le relatif défaut de communication sur le passé et le problème de la succession de Lissner. Personnellement, je n’y vois aucun lien de cause à effet.
D’autant plus que, pour reprendre l’exemple du MET, on voit comment l’impossibilité à se dégager des conservatismes et de son passé – de par la pression des mécènes – l’empêche d’évoluer.
Je crois beaucoup plus à un manque de communication sur les spectacles en cours – chose que l’on a plutôt perdu depuis le passage de Gerard Mortier.
Mais sinon, on est globalement d’accord sur l’analyse de la situation, il est vrai, et merci d’avoir alimenté l’intérêt pour ce sujet sensible.
David
Excellente analyse, qui effectivement pour succéder à S. Lissner?
Il est certain que Serge Dorny aurait été un beau choix, la manière dont il a programmé l’opera de Lyon est passsionnante, bien que parisiens nous y sommes régulièrement abonnés pour ces belles et intelligentes programmations, qui attisent la curiosité (GerMANIA en est encore la preuve, tout comme les Verdi du printemps…..)
Cela dit, à l’epoque où Stephane Lissner dirigeait le Châtelet, la programmation y était remarquable, production, interprètes et metteurs en scène…., donc il me semble aussi que le reconduire serait judicieux malgré certains ratages …..
J’ai trouvé cette longue analyse extrêmement intéressante et fouillée. Oui, quel dommage d’avoir raté Dorny!
Mais n’est ce pas le problème général des institutions culturelles françaises? Livrées à des politiques et des technocrates souvent incultes…. À Milan ou à Vienne on aime la musique; à Paris on a toujours peur d’etre élitiste, et le politique préfére subventionner un spectacle de hip-hop que ces vilains bourgeois qui vont à l’Opera…. La France se gargarise de son « exception culturelle » mais je n’ai jamais eu, hélas, l’impression de vivre dans un pays où la culture est respectée….
Et Mantei ? Ghristi ? Gallet? Montovani ?
On en parle pas ?!
Oui, on n’en parle pas…votre remarque vaut réponse…
« Mantei ? Ghristi ? Gallet ? Mantovani ? » – veuillez argumenter un chouya je vous prie, dès fois que cela puisse nous embler sérieux.
« Le projet de Bastille (…) souffre de son architecture médiocre, de sa capacité excessive et de l’esprit avec lequel il a été dès l’origine conçu » : merci Wanderer : et au passage, nous récupérons volontiers « la souffrance », car à l’Opéra (nous parlons des gens qui y travaillent), il y en a pas mal (mais pas uniquement !) – et nous semble-t-il, cela tient en effet beaucoup à la conception originelle de ce projet (plein de médiocre stratégie politicienne, d’une conception très rudimentaire de la Culture « populaire » – à l’époque, hélas, nous avons cru en cela … ). Et pourtant, les forces en présence sont exceptionnelles (le corps de ballet, l’orchestre, mais aussi le niveau de compétence et d’engagement extraordinaire que l’on peut y rencontrer à tous les niveaux – cela est bien connu dans le monde entier ! …) ; alors s’il vous plaît, assez de formule rapide sur la « réorganisation … quitte à en affronter les risques », ou encore (M. David) sur la « maîtrise de la masse salariale » qui serait « le problème majeur » !
Je retiens de Wanderer : 1. « avant même le nom qu’on veut y mettre, la question la plus délicate est celle de la politique que l’on veut y mener »; 2. « C’est alors qu’intervient la politique, ou l’absence de politique, du Ministère de la culture ».
Dire que l’actuel directeur pourrait être la meilleure solution (même momentanée) nous semble on ne peut plus contestable : absence totale de projet (d’idée) artistique (beaucoup beaucoup d’ « opportunisme », en effet), et avec déjà, pour les nouvelles productions correspondant à ce mandat, une gabegie financière assez considérable (la seule production [très onéreuse] présentée comme emblématique de « Moïse et Aaron » ? : un spectacle plein de splendeurs visuelles, certes, mais qui relève plus de l’installation, très contestable quant au développement d’ensemble – et s’avère apparemment in-reprenable car trop lourd à remonter, trop cher pour le peu de public que cela attire – et que l’on ne cherche pas à attirer [là au moins, Mortier savait … militer !… même si ce n’était pas toujours pour la bonne cause …]). Assez, aussi, de généralités vagues sur la nécessaire « modernité » des spectacles : le « Don Giovanni » de Haneke était-il juste artistiquement ? – pour ou contre, cela mérite de l’argumentation ! Mais comment concilier les contraintes financières d’un tel lieu (nous parlons surtout de Bastille) et, si possible, … la justesse artistique ? (… à suivre …)
Bonjour,
Pour votre information ‘Maîtriser la masse salariale’ ne signifie pas limiter les salaires ou les réduire, mais bien cerner l’ensemble des tâches qui ne peuvent être confiées qu’aux titulaires artistiques, techniques et administratifs de l’Opéra de Paris, et confier les tâches moins spécifiques à des sociétés spécialisées extérieures à l’ONP.
Comme cela, tout le monde se concentre sur son cœur de métier et, au final, cela coûte moins, et il devient possible de s’adapter avec plus de souplesse aux circonstances.
David
Que dire d’un Maurice Xiberras qui, en quelques années, a hissé l’Opéra de Marseille à un niveau international avec des moyens ridicules dans un contexte politique tel que les houles parisiennes ressemblent à des vaguelettes.
Dommage pour Paris…
L’Opéra national de Paris qui a aussi comme titre l’Académie nationale de Musique et de Danse possède des archives sonores et vidéos qu’aucune autre maison d’Opéra ne possède, l’integralité des productions lyriques et chorégraphiques est archivée au Palais Garnier depuis 1972 pour la vidéo, mais aussi à l’Opéra Bastille et à l’Ecole de Danse.
Ces archives nourrissent les artistes, danseurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre, chanteurs, techniciens, mais aussi expositions de la bibliothèque-musée, documentaristes sur l’évolution d’un rôle, d’une œuvre au travers des époques, elles permettent de revoir et réentendre les grandes voix qui ont résonné dans les loges du Palais Garnier aux grandes heures de Liebermann, elle offrent aux danseurs la possibilité de comparer Noella Pontois, Aurélie Dupont ou Ludmila Pagliero, Cyril Atanassoff, Patrick Dupond, ou Nicolas Le Riche et ainsi offrir aujourd’hui au public les grands rôles chorégraphiques empreints des interprétations des Étoiles d’hier, et de perpétuer cette transmission du Répertoire de l’Opéra national de Paris aux jeunes artistes et au public.
Dans ce même attachement au Répertoire, les costumes de scène ont pu depuis une vingtaine d’années être enfin valorisés et exposés comme au Centre du Costume de Scène de Moulins où à la bibliothèque-musée de l’Opéra.
Alors peut-être la cohérence des projets des directions successives depuis 40 ans est moindre vu leur multiplicité, qu’on n’exploite pas assez les archives pour les ouvrir au public, mais laisser entendre que l’Opéra national de Paris serait une maison sans mémoire, ce n’est pas juste, sa mémoire est considérable, et elle se transmet encore aujourd’hui parmi les artistes, les techniciens, les salariés en relation avec le public, ceux qui font vivre les œuvres qu’elle offre en représentation comme ceux qui transmettent l’Histoire du Palais Garnier aux visiteurs toujours plus nombreux, qui accueillent le public avant une représentation.