On vient d’apprendre par la presse que la municipalité de Lyon a décidé de baisser de 500000€ la subvention de la ville de Lyon à l’Opéra, qui est subventionné à hauteur de 7,5 M/€, au nom de marqueurs nouveaux d’une politique culturelle « fossilisée ».
On avait déjà compris dès l’installation de la municipalité que l’Opéra était dans le collimateur politique de l’adjointe à « l’a-culture » de la Ville de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert. Lire l’article assez équilibré de Rue89.
Alors, pour comprendre au profit de quelle politique novatrice et ambitieuse cette décision a été prise j’ai voulu consulter le site de la Ville de Lyon, rédigé en écriture inclusive, cette imbécillité à la mode, et voilà la page dédiée à la culture :
Autrement dit, il n’y rien des projets, des intentions, des orientations politiques sur la culture à Lyon, la page de la Culture de la ville de Lyon est « non trouvée », la culture devient « l’a-culture », comme je le suggère plus haut.
Courageusement et pour faire le buzz, la municipalité qui n’affiche pas de politique culturelle pointe l’institution la plus subventionnée – faire payer les riches, c’est simple, populaire, populiste: en neuf mois depuis les élections, on aurait pu imaginer qu’un texte au moins programmatique aurait été proposé à l’affichage, mais non, l’activité culturelle est tellement remplie en ces temps de fermeture des salles et des lieux de culture que la nouvelle édile n’a pas trouvé le temps d’informer les lecteurs du site, qui sont aussi peut-être des électeurs simplement curieux.
Tout cela rappelle Éric Piolle à Grenoble, dont l’impéritie culturelle n’est plus à prouver, ayant supprimé d’emblée la subvention aux Musiciens du Louvre et baissé celle de la MC2, ce qui avait valu une belle intervention de Joël Pommerat dans Libération accusant de populisme l’arrière fonds culturel du maire et de son adjointe d’alors.
Et pourtant, même si je partage pleinement la position de Pommerat, on pouvait aussi expliquer ces décisions sur deux institutions qui pour Les Musiciens du Louvre n’avaient que très peu d’actions en direction du territoire, se contentant essentiellement de donner des concerts à un public captif, et la MC2 après avoir été historiquement l’un des grands lieux de la création théâtrale et chorégraphique en France s’est singulièrement assoupie sous le règne de Jean-Paul Angot depuis 2012, remplacé à la tête de l’institution par Arnaud Meunier depuis le 1er janvier 2021. Et l’absence totale de politique ambitieuse, doublée d’une gestion interne critiquée, pouvait justifier aux yeux de la municipalité des restrictions, puisque les deux grandes institutions dormaient sur leurs lauriers. J’en parle avec d’autant plus de liberté qu’étant à l’époque Délégué académique aux Arts et à la Culture au rectorat de Grenoble, je pouvais mesurer l’enthousiasme délirant (!) de ces deux institutions à l’égard du public scolaire… Pour l’une quelques opérations ponctuelles dans de rares établissements sans travail en profondeur, pour l’autre un refus des publics de collège, une politique visant à remplir la salle, sans aller plus loin et surtout pas dans les « quartiers » pourtant distants d’un ou deux arrêts de tram (direct) : le public de la MC2 était lisible à l’arrêt du tram justement : trottoir plein vers le centre-ville, vide vers les « quartiers »…
La municipalité Piolle a montré depuis qu’elle n’avait ni plus d’idées, ni plus de créativité, et que la politique culturelle grenobloise quand elle existait avait quelque chose d’assez proche de l’extrême droite de l’échiquier politique, comme le montre bien Pommerat.
D’ailleurs, il n’y a pas qu’à Grenoble qu’on a des difficultés à lire ce qu’est la politique « culturelle » des écologistes.
Le coup bas porté à l’Opéra de Lyon est d’ordre plus symbolique, de l’ordre de l’affichage : sans doute y entre le mot même d’Opéra avec sa connotation élitiste, son idée de l’entre-soi, l’absence d’accessibilité à l’opéra des publics dits « éloignés », refrain bien connu dont on use aussi pour d’autres salles. C’est une décision plus démagogique que conceptuelle puisque pour l’instant, de concept et de politique, il n’y en a point, Madame Perrin-Gilbert prend sans doute tout son temps pour penser, dans la solitude de son bureau.
Si l’on regarde la politique de l’Opéra de Lyon, on constate depuis longtemps que cette institution (et pas seulement depuis Serge Dorny mais aussi dès Louis Erlo et Jean-Pierre Brossmann qu’il ne faut jamais oublier), s’est nettement profilée par sa politique de production ouverte et diversifiée, par un public fidèle et disponible, accueillant à la création, formé par la grande tradition du TNP (Théâtre National Populaire) de Planchon et Chéreau, qui ne ressemble pas tout à fait aux publics d’opéra dont les édiles lyonnais ont une représentation je dirais pour reprendre leur terme : « fossilisée ».
Les études qui ont été faites régulièrement sur ce public montrent que c’est l’Opéra en Europe qui a la moyenne d’âge la plus basse, et le taux de moins de 25 ans le plus haut tout en maintenant une production exigeante et référentielle. Les difficultés à asseoir un public de moins de 50 ans que le voisin genevois peut avoir depuis des années montrent bien la différence entre deux institutions comparables.
De fait, le spectateur régulier que je suis de l’Opéra de Lyon constate à chaque fois l’importance et le nombre des jeunes dans ce public, et notamment des scolaires, amenés à l’Opéra des quatre coins de la Région par l’opération « Lycéens et apprentis à l’Opéra » où des milliers de lycéens et apprentis sont amenés aux frais de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (l’opération existe bien avant l’arrivée à la tête de la région de Laurent Wauquiez, qui n’a pas interrompu le dispositif), il est vrai sur un autre espace de l’échiquier politique que la Ville de Lyon et la Métropole…
L’Opéra de Lyon a aussi ouvert ses archives visuelles, ses espaces, ses intervenants, sa Maîtrise, à des opérations consistant à porter l’opéra dans les collèges notamment de l’académie de Grenoble qui n’a pas d’opéra, privilégiant les établissements éloignés géographiquement, les lycées professionnels : on a ainsi vu des élèves de lycée Pro voir des spectacles aussi difficiles que Lulu, de Berg, ou Jeanne au Bûcher de Honegger, mise en scène de Romeo Castellucci. Avec succès, parce que simplement les élèves et les professeurs sont préparés. On est loin de la pusillanimité de ceux qui pensent que de l’opéra, on ne montre que Carmen et puis c’est tout… Une fois de plus, j’en parle en connaissance de cause puisqu’en tant qu’Académie de Grenoble, nous avions signé une convention avec l’Opéra de Lyon pour porter l’Opéra là où normalement il ne va pas.
Peu d’opéras de ce niveau (faut-il rappeler que Lyon aujourd’hui est un des Opéras les plus prestigieux au monde pour la qualité de sa programmation, qu’il a été récompensé de plusieurs prix dont celui en 2017 de «Opéra de l’année 2017» (c’est à dire Meilleur opéra du monde) par le magazine spécialisé d’opéra OpernWelt, pour l’excellence de sa programmation et précisément la qualité de ses actions d’ouverture auprès du public, et encore récemment par les International Opera Awards et par Oper! Awards (en 2019 ) ont gardé leur disponibilité envers les territoires plus lointains (grenoblois entre autres, ceux que je connais le mieux par mon activité professionnelle naguère).
Serge Dorny s’en va après 18 ans, remplacé par Richard Brunel, qui là où il était (à Valence) a su aussi travailler à un maillage territorial et irriguer de théâtre tout le territoire valentinois : au-delà des aspects artistiques, le travail des équipes de Brunel à Valence était largement conscient de la nécessité d’amener les publics nouveaux et disponibles au théâtre faisant de ce territoire un exemple de territoire « théâtral ». On est loin de l’élitisme et de l’entre-soi.
Enfin cette baisse de subvention intervient à un étrange moment :
- Serge Dorny s’en va à Munich cet été et Richard Brunel n’est pas encore installé, et le théâtre est fermé pour cause de Covid. Voilà une période de transition « silencieuse » favorable aux coups-bas, Madame l’adjointe à l’a-culture a su parfaitement choisir son moment, dans la grande tradition des politicards courageux.
- La Ville de Lyon offre à la vindicte publique un symbole, l’Opéra, qui mangerait les subventions culturelles : elle offre en holocauste une institution qui a donné à Lyon un prestige culturel essentiel depuis des dizaines d’années et qui dépasse en prestige le TNP de Villeurbanne aujourd’hui. C’est de bonne guerre, c’est facile, c’est minable : on coupe une subvention, mais on ne sait pas pourquoi puisqu’il n’y pas de politique culturelle affichée. On coupe d’abord, on pense (?) après.
- On s’attaque à une institution au taux de remplissage enviable, au public plutôt ouvert, et qui n’est pas la pire dans le travail avec les publics les plus divers et les plus éloignés, bien au contraire : bien plus engagée que la MC2 de Grenoble ou les Musiciens du Louvre qui ont subi les fourches caudines de Piolle.
Ainsi, au lieu de procéder à ce qui apparaît évidemment comme une sanction contre un symbole, un chiffon rouge (ou noir) frappant les emblèmes de ce qu’on croit être l’art élitiste, sans mesurer qu’il vaudrait mieux stimuler et inviter l’Opéra à élargir encore son public, à irriguer encore plus le territoire, que de le pointer comme un Moloch éternel mangeur d’argent et réservé à un public « fossilisé ».
« À vaincre sans péril on triomphe sans gloire » : la Ville de Lyon montre ici une attitude qui est celle de tout politique, trouver un bouc émissaire pour justifier des changements de paradigme. Mais la ficelle est vraiment grosse, doublée d’une absence de perspective affichée (pour l’instant pas de projet substitutif à la vie culturelle « fossile »)
Bonne vieille politique minable qui alimente l’idée subreptice dans une certaine « gauche » (laissez-moi rire) que l’Opéra et le ballet sont des arts du passé symboles d’une bourgeoisie à abattre, et donc qu’ils ne sont plus indispensables à notre culture, ou plutôt, en l’occurrence notre a-culture… Une politique démonstrative qui fleure bon sa politique traditionnelle, fossile, idéologique sans idée.
?
Avant la représentation du barbe bleu de Dukas nous avons eu un duologue affligeant sur en pèle mêle les intermittents, le covid, le colonialisme, l homosexualité, la situation invivable des étudiants, les abominables personnes qui nous gouvernent, mais aucun commentaire sur cette baisse de crédit.
Autocensure?
Les étudiants en art occupaient l’opéra, et ont demandé à parler aux représentants de la presse présents. La question de la subvention n’était pas pour eux déterminante. Ils (elles puisque c’était deux étudiantes) ont parlé en écriture inclusive orale, ce qui est une curiosité esthétique supplémentaire
Bravo pour votre article. Tout est dit.
Un malheureux lyonnais qui aime son opéra.
…..et qui a moins de 50 ans !
Très fine analyse du « cas » lyonnais !