Je me souviens de mes débuts de mélomane: j’avais des difficultés à choisir des versions des opéras que j’aimais, encore qu’à l’époque, dans les années 70, le choix était encore assez réduit. Rien de plus subjectif que la construction du goût musical: souvent, j’achetais un disque d’extraits, et, habitué à ce son, ce rythme, ces voix, ce tempo, j’achetais ensuite la version complète qui devenait presque naturellement ma version de référence. Ce ne fut pas le cas pour Parsifal.
J’achetai d’abord en extraits un LP de la version Boulez, avec l’idole de mes jeunes années, Gwyneth Jones, et je commençai à me sensibiliser à l’œuvre en ayant dans l’oreille la clarté et la profondeur du son et la rapidité du tempo imprimés par Pierre Boulez, mais je fis ensuite l’acquisition ruineuse de la version Solti, qui venait de sortir, premier enregistrement en studio, qui bénéficiait du fameux son DECCA, à la suite de ma première visite à l’opéra de Paris (Parsifal, Horst Stein, Helge Brilioth, Joséphine Veasey, Donald Mac Intyre, Franz Mazura).
J’ai ensuite écouté, fait l’acquisition de bien d’autres versions, à commencer par les différentes versions de Hans Knappertsbusch, Pierre Boulez, mais aussi de plus récentes, Karajan (merveilleuse), Barenboim, Levine,Thielemann. J’ ai aussi écouté et enregistré des versions radio: Abbado à Berlin et à Salzbourg, Gatti à Bayreuth, Boulez à Bayreuth en 2002. Bref l’embarras du choix.
Dans les versions “live” reprises à la radio, je crois que j’ai un très gros faible pour Abbado à Berlin, le 29 novembre 2001, avec le Philharmonique de Berlin dans une forme éblouissante et malgré une distribution inégale (Linda Watson, Robert Gambill..mais quand même le magnifique Kurt Moll) parce que c’est le plus beau final que j’aie pu entendre, avec ses chœurs dispersés dans la salle, son chœur d’enfants (le Tölzer Knabenchor) perché au sommet de la Philharmonie, extraordinaire de pureté, ses cloches asiatiques au son si particulier, cette impression aérienne que je n’ai retrouvée ni en salle ni à l’audition de son Parsifal salzbourgeois (avec Thomas Moser et Violeta Urmana). Pierre Boulez à Bayreuth est aussi à écouter, dans un cadre fort différent de son premier Parsifal: la mise en scène de Christoph Schlingensief mobilisa les passions et fit quelquefois oublier cette extraordinaire direction charnue, lyrique, pleine, presque définitive au service d’une équipe de chanteurs un peu faiblarde hélas.
A part ces trésors qui seront sans doute publiés un jour (il faudra alors vous précipiter sur Abbado-Berlin), contentons-nous pour cette fois des versions officielles. On doit reconnaître que toutes sont excellentes, voire extraordinaires, notamment les différentes version Knappertsbusch, Karajan aussi bien que Barenboim et Levine à Bayreuth ou Thielemann à Vienne (avec Domingo et Meier) proposent des Parsifal exceptionnels. il reste que mon choix n’a pas bougé depuis 40 ans et que je préfère encore aujourd’hui la version Solti.
D’abord à cause du fameux son “DECCA” toujours enchanteur, qui frise la perfection par la profondeur et la clarté. Ensuite parce que Solti réussit à la fois à rendre l’atmosphère mystique et recueillie, mais aussi l’ampleur majestueuse des transformations et de la scène du Graal, et le bouleversant “enchantement du vendredi saint” avec des Wiener Philharmoniker à leur sommet et un chœur du Staatsoper de Vienne tout aussi remarquable. Enfin il réussit en contraste à rendre le deuxième acte très dramatique, très théâtral (le prélude est impressionnant). La scène des filles-fleurs est une totale réussite, une lecture absolument admirable d’intelligence, avec une couleur unique: c’est une lecture qui souligne l’orientalisme voulu de la musique, mais aussi une ambiance mystérieuse, voire magique, aidée en cela par un groupe de filles fleurs de référence (de jeunes chanteuses d’avenir qui s’appellent Lucia Popp, Kiri Te Kanawa, Gillian Knight, Anne Howells…).
La distribution est particulièrement homogène, avec un jeune Kollo à la voix très claire, presque trop claire pour le rôle (l’opposé du Parsifal mur de Vickers par exemple), une Kundry exceptionnelle, Christa Ludwig, qu’on n’attend pas dans ce rôle, qui marque l’interprétation par un parti pris sauvage, très théâtral (en harmonie avec le chef) et un Klingsor , Zoltan Kelemen, qui étonne dans ce rôle par sa musicalité, et une interprétation “chantée” qui garde pourtant au texte son côté parlé, éructé. Mais qui a vu Kelemen sur scène (je le vis dans l’hallucinant Alberich qu’il fit à Bayreuth avec Chéreau en 1977 – et 1976- qui reste à tout jamais l’Alberich de référence pour moi) et qui surtout l’a entendu sait quel extraordinaire chanteur nous avons perdu en 1978, lorsqu’il a été emporté par la maladie.
Cette distribution fait en quelque sorte un lien entre de nouvelles gloires du chant wagnérien et les gloires finissantes: Hans Hotter en Titurel encore impressionnant, et surtout l’admirable Gottlob Frick, égal, simple, profond, une sorte de Gurnemanz pour l’éternité. Quant à Dietrich Fischer Dieskau en Amfortas de grand luxe, il est presque trop léché et trop parfait pour ce rôle de roi déchu, à mi-chemin entre la noblesse, la déchéance et la souffrance sauvages. Cette toute petite réserve n’empêche pas de continuer malgré Knappertsbusch, la référence, Boulez, dans l’ailleurs,
Karajan, lui aussi bouleversant, ou même Abbado, et son ambiance “spatialisée” toute particulière (“Du siehst, mein Sohn, zum Raum wird hier die Zeit” / “Tu vois, mon fils, ici l’espace et le temps se confondent”) cette version comme ma version de l’île déserte, sans doute aussi parce qu’elle est liée à ma jeunesse, à mes souvenirs et que j’ai construit ma connaissance et ma familiarité avec l’œuvre à partir de cet enregistrement
Il reste que le mélomane désireux d’acheter un Parsifal, peut sans crainte en choisir un des autres, rarement en effet une œuvre n’aura bénéficié de tels sommets.
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Le premier enregistrement de Hans Knappertsbusch au Festival de Bayreuth, celui de 1951.
Et le dernier, celui de 1962 en version remastérisée.