LUCERNE FESTIVAL 2010: Il faut aller à Lucerne (2)

terrasse1.1282122792.jpgLe Festival de Lucerne est une structure légère, qui accueille pendant cinq semaines grands orchestres internationaux et solistes prestigieux, à l’occasion des tournées estivales ou par tradition. C’est par exemple une tradition qui remonte à Karajan que fin août, le Festival accueille le Philharmonique de Berlin.
Michael Haefliger, fils du ténor Ernst Haefliger, devenu intendant il y a un peu plus de dix ans, a redonné à ce festival un relief qu’il n’avait plus. D’abord, il en a changé le nom: les « Semaines musicales internationales de Lucerne » sont devenues le « Lucerne Festival », plus court, plus net, plus clair. Ensuite, il a cherché à créer un espace artistique qui soit spécifique à Lucerne. il a pour cela profité de la construction par Jean Nouvel du Palais des Arts et des Congrès (KKL), qui abrite un Musée, un auditorium de 2000 places (Konzert Saal), une salle vaste aménageable (Luzerner Saal), un petit auditorium pour les conférences, et aussi pour permettre aux retardataires de voir les début du concert sur grand écran. A mon avis, cet ensemble, qui s’intègre parfaitement dans le paysage, est l’un des plus réussis de l’architecte français. Qui monte sur la terrasse, sous le toit, en retire une impression inoubliable.150820102276.1282122822.jpg

Il a profité de la disponibilité de Pierre Boulez et de Claudio Abbado d’élire domicile pendant quelques semaines sur les rives du lac des quatre cantons, l’un pour animer une académie, la Lucerne Festival Academy,  où sont analysées et interprétées des oeuvres du répertoire du XXème siècle et contemporain, l’autre pour recréer un orchestre fondé par Arturo Toscanini en 1938 en réponse à l’Anschluss, qui installait à Salzbourg la peste nazie. Lucerne est donc un Festival né de la volonté de défendre des valeurs fortes, opposées à toute forme de clôture et d’exclusion.

Claudio Abbado a quitté Berlin à un moment où sa carrière lui avait tout apporté, et où il ne pouvait plus prétendre à une position plus prestigieuse. La maladie a terni ses dernières années berlinoises, mais lui a permis aussi de rebondir musicalement, par des interprétations plus libres, plus radicales (son Beethoven s’est métamorphosé!): la musique l’a guéri, se plaît-il a dire. Il a donc rassemblé à Lucerne dans « son » orchestre à la fois les solistes avec lesquels il aime jouer, les chefs de pupitres avec lesquels il s’est entendu et sur lesquels il s’est appuyé, des musiciens d’orchestre de qualité exceptionnelle, et pour les tutti, du Mahler Chamber Orchestra, qu’il venait de fonder, un orchestre fait des jeunes musiciens ayant participé aux tournées du Gustav Mahler Jugendorchester, fondé à Vienne à la fin des années 80 pour intégrer des jeunes des pays de l’Est, qui ne pouvaient participer à l’aventure de l’Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne, qu’il avait aussi fondé, mais dix ans plus tôt. Je me souviens de la première saison du Lucerne Festival Orchestra, avec dans l’orchestre Natalia Gutman, le Quatuor Hagen, les frères Capuçon, Reinhold Friedrich à la trompette, des solistes du Philharmonique de Berlin, Emmanuel Pahud, Georg Faust, Stephan Dohr, Albrecht Mayer, Marie-Pierre Langlamet ou d’anciens membres de l’orchestre berlinois, comme Kolja Blacher, Wolfram Christ et même le vétéran Hanns Joachim Westphal, qui joue encore dans l’orchestre aujourd’hui. Bref, l’orchestre impossible dont tous les musiciens avaient, et ont encore en commun à la fois l’admiration pour Claudio Abbado, et l’habitude de jouer avec et pour lui. Jeunes et moins jeunes entretiennent avec lui un rapport affectif fort aussi important que le travail dans l’orchestre pour préparer les programmes proposés chaque année: l’atmosphère est évidemment particulière, l’échange muet entre orchestre et chef n’est pas reproductible ailleurs. Ambiance jeune, ouverte, détendue, amicale. Un vrai moment de grâce.
Les programmes ont un fil rouge, depuis 2003, ce sont les Symphonies de Mahler. Seule la Symphonie des Mille (la huitième) ne sera sans doute pas exécutée: elle ne correspond pas vraiment à l’univers de Claudio Abbado, et il ne l’a déjà faite que deux fois. Le reste des programmes tourne autour des grands classiques allemands (Beethoven-Brahms, mais aussi Bruckner, mais on a vu aussi des oeuvres russes (Rachmaninov, Prokofiev, Tchaikovski) ou françaises (Debussy, Ravel, Berlioz) et de l’opéra: cette année, Fidelio, et en 2004, le deuxième acte de Tristan und Isolde.

A la même période, à partir du 15 août, Pierre Boulez s’installe donc dans la Luzerner Saal et fait travailler les jeunes inscrits à l’académie pendant trois semaines, des heures durant (cinq à sept heures chaque jour) plusieurs programmes alliant ses propres oeuvres, des oeuvres récentes de compositeurs contemporains ou des classiques du XXème siècle (Stravinski, Mahler), répétitions d’orchestre, séances d’analyse, Master Classes de direction d’orchestre, conférences, conversations, tout est possible avec Pierre Boulez qui est un pédagoque né et qui aime expliquer, avec une grande clarté d’ailleurs, les oeuvres qu’il interprète ou qu’il présente. Il en résulte trois concerts, dont un grand concert symphonique (cette année la sixième de Mahler). Pendant tout ce mois d’août, ce qui frappe, c’est la présence à Lucerne des jeunes musiciens partout car si l’orchestre de la Lucerne Festival Academy est par force un orchestre de jeunes, la Lucerne Festival Orchestra est fait de musiciens qui ont eux aussi  quelques années de carrière seulement (une dizaine…une douzaine) c’est un orchestre de trentenaires. On les a connus à vingt ans, ils sont toujours là, mais souvent avec leur famille, leurs jeunes enfants.

A côté de l’Academy et du Lucerne Festival Orchestra, Lucerne désigne chaque année un ou deux artistes étoiles, cette année Hélène Grimaud et un compositeur en résidence, cette année Dieter Ammann, et quelquefois aussi un orchestre en résidence. Puis d’autres manifestations s’ajoutent, tables rondes, conversations, conférences, projections video.

Le Festival programme, comme je l’ai dit ailleurs, c’est aussi un cycle de piano en automne (Lucern Festival Piano) un cycle de concerts à Pâques (Lucerne Festival Easter) et quelques manifestations dans l’année (cette année une Master class de Bernard Haitink en décembre) . Comme on le voit, un vaste choix de manifestations, qui font du Festival de Lucerne la première manifestation culturelle en Suisse et comme je le répète depuis plusieurs mois, un lieu « où il faut aller ».
terrasse3.1282122804.jpg

LUCERNE FESTIVAL 2010: quelques notes sur FIDELIO (Claudio Abbado) du 15 août 2010

 


 

Il est difficile d’aller au-delà de ce qui a été écrit sur la représentation du 12. Néanmoins, puisque ce blog rend compte  « au quotidien » de ma vie de mélomane passionné et passionnel, je me dois de vous dire les traces laissées par le concert d’aujourd’hui.


Ce soir l’orchestre m’est apparu aller encore plus loin dans la dynamique et l’énergie, tout en restant dans la première partie particulièrement lyrique. On se souviendra ce soir de l’attaque orchestrale du chœur des prisonniers, à peine murmurée, comme un souffle qui s’élève ; on ne cesse d’admirer une fois de plus les quatre contrebasses, décidément extraordinaires, quelle que soit la place qu’on occupe dans la salle ; on reste ébloui par les cordes, acrobatiques, au son tellement chaud, et rond. Ces musiciens sentent et savent ce que veut Claudio Abbado et le suivent aveuglément, dans une sorte d’entrain et de liberté, de joie de jouer qu’on ne voit nulle part ailleurs.

  
Du côté des chanteurs, de petites différences : Jonas Kaufmann, a montré des signes de fatigue dans la manière de tenir la note du « Gott » initial : il n’avait pas la sûreté et l’homogénéité montrée lors de la précédente soirée, il se tenait la gorge, et a été légèrement en-deçà des prestations précédentes (mais on est dans l’infinitésimal), en revanche Nina Stemme était plus à l’aise, plus détendue et la voix a littéralement explosé, ce qui a rendu la première partie incontestablement plus tendue. Christof Fischesser dans Rocco a été de nouveau remarquable de chaleur, d’humanité et de présence, Peter Mattei comme d’habitude extraordinaire, une manière de perfection, et Falk Struckmann a sans doute fait ce soir sa meilleure représentation des trois (j’y inclus la répétition générale).
Quant au chœur Arnold Schönberg, il a montré des qualités de clarté, de diction, de puissance extraordinaires, mais aussi de retenue et de maîtrise du volume à laisser pantois.


 

Comme on le voit, les différences sont infimes et le résultat de la soirée est un succès mémorable : vingt minutes d’un public réputé réservé debout hurlant son enthousiasme, des rappels à n’en plus finir et une pluie de fleurs et de pétales sur la scène, cadeau désormais traditionnel du Club des Abbadiani Itineranti.

 

Quelle que soit la soirée, et même si ceux qui comme moi ont vu la générale et les deux concerts, ont préféré l’explosion de la répétition générale, qui a été un indicible moment d’émotion, ce Fidelio fut un de ces moments stendhaliens« qu’il vaut la peine de vivre »  comme il y en a peu, et nous nous sommes vraiment sentis des « happy few ».

LUCERNE FESTIVAL 2010: FIDELIO, de L.v. BEETHOVEN, dirigé par Claudio ABBADO, avec Jonas KAUFMANN et Nina STEMME le 12 août 2010.

L’inauguration du Festival de Lucerne se déroule traditionnellement de la manière suivante: une première partie est consacrée aux discours des officiels (le président du Festival – Hubert Achermann -, toujours, le président de la Confédération Helvétique, quelquefois, le ministre de la culture, Didier Burkhalter, cette fois-ci et ces discours sont suivis d’une intervention d’un intellectuel sur la thématique de l’année.

Cette année, Nike Wagner, arrière petite fille de Richard Wagner, fille de Wieland Wagner, et concurrente malheureuse de ses cousines pour la direction du Festival de Bayreuth a prononcé l’intervention inaugurale sur le thème de l’année « Eros », qu’elle soutient être le thème central de l’histoire de la musique: le titre Eros Center Music, en dit long. Cette intervention a été très brillante, l’une des plus brillantes depuis Peter Sloterdijk il y a quelques années, et montre que la famille Wagner a bien de la ressource (Nike Wagner est actuellement directrice artistique de « Pèlerinages, Kunstfest Weimar « , un festival pluridisciplinaire qui se déroule à Weimar entre août et septembre). Ce motto « Eros », oriente le programme du festival dont deux des sommets seront Fidelio dirigé par Claudio Abbado avec le Lucerne Festival Orchestra et Tristan und Isolde, dirigé par Esa Pekka Salonen, avec le Philharmonia Orchestra, dans la version de Peter Sellars et Bill Viola, vue à Paris.(sans compter la présence de Pierre Boulez, de l’Orchestre de Cleveland, des Berliner Philharmoniker, des Wiener Philharmoniker, du Concertgebouw…cinq semaines à faire tourner les têtes!).

Fidelio a donc ouvert le Festival: c’est la deuxième fois que Claudio Abbado aborde l’oeuvre de Beethoven. La première fois, il l’a proposée dans une production du cinéaste Chris Kraus à Reggio Emilia, Modena, Ferrara, Madrid et  au Festspielhaus de Baden Baden, la distribution allait du très correct au passable (Alfred Dohmen, Anja Kampe, Clifton Forbis/Christian Franz, Julia Kleiter, Giorgio Surian, Diogenes Randes, Jörg Schneider). Cette année, ce Fidelio, probablement prévu au départ pour ouvrir la salle modulable de Lucerne (salle de théâtre musical projetée et espérée par l’intendant Michael Haefliger, dont la naissance est problématique), est présenté en version semi-concertante, et devrait être enregistré par DECCA, avec Nina Stemme et Jonas Kaufmann, deux grandes stars du chant d’aujourd’hui, mais aussi Falk Stuckmann, Rachel Harnisch, Christoph Stehl, Christoph Fischesser et Peter Mattei. La production précédente avait péché par des chanteurs qui n’étaient pas tous du niveau requis par la direction musicale. Florestan notamment avait posé de très nombreux problèmes.

D’emblée disons-le, rien de comparable à Lucerne. Nous avons assisté à un Fidelio musicalement prodigieux, un de ces moments magiques où tout s’emboite merveilleusement. Fidelio est une oeuvre très difficile à distribuer: en plusieurs décennies, je n’ai pratiquement jamais entendu de Fidelio où les deux protagonistes soient vraiment à la hauteur. J’ai le souvenir unique de Hildegard Behrens et de Jon Vickers, mémorables à Paris. Même Waltraud Meier a toujours eu des difficultés dans Leonore.
On peut avoir l’un des deux, Léonore ou Florestan, rarement les deux et comme je l’ai dit, le dernier Fidelio d’Abbado péchait par son Florestan (Kaufmann était prévu à Madrid mais fut empêché par un problème de santé). Comme souvent avec Abbado, l’interprétation évolue et le Fidelio entendu ici n’a rien à voir avec celui d’il y a deux ans. Abbado emporte l’orchestre dans une dynamique tourbillonnante et à dire vrai stupéfiante. L’orchestre ne joue pas, il parle, il participe à l’action. Abbado sait impliquer les musiciens, il sait les faire chanter. On est encore sous le coup des cordes, si légères qu’elles sont à peine audibles des diminuendos de rêve, de ce son qui semble être celui d’un continuo et non d’un orchestre (les contrebasses emmenées par Alois Posch, ex-Wiener Philharmoniker sont à ce titre hallucinantes de poésie, de justesse, de fermeté, notamment au début du second acte), les vents sont éblouissants,  tout comme la trompette infaillible de Reinhold Friedrich, toute cette perfection produit un son qu’on dirait « mozartien » (on pense souvent à la Flûte enchantée) où c’est l’émotion qui domine et non la monumentalité, notamment pendant tout le premier acte, même si le rythme auquel Abbado emmène les musiciens sait aussi être agressif. Bien sûr c’est la seconde partie qui frappe le plus , avec son prélude – déjà noté il y a deux ans -, qui étreint le coeur et prépare si bien au monologue de Florestan. Mais déjà le final de la première partie, avec son choeur des prisonniers murmuré (magnifique, somptueux, mémorable Arnold Schönberg Chor), nous avait secoués. Oui, du grand art, bouleversant, époustouflant, nous projetant d’emblée au paradis du mélomane.La version est semi-concertante, mise en espace par une jeune metteur en scène, Tatjana Gürbarca, le décor, fait de redingotes grises de prisonniers, est de Stefan Heyne, et les lumières de Reinhard Traub. Disons le, cela n’ajoute rien à l’ensemble: on aurait aisément pu en faire l’économie: le sol est parsemé de bougies, la scène est surmontée d’un immense globe lumineux sur lequel se projette soit la terre, soit un oeil (Dieu?) ou une chandelle, globe inspiré d’une installation gigantesque de Olafur Eliasson à la Tate Modern de Londres.

 

 


La distribution, sans doute prévue pour l’enregistrement, est vraiment ce qu’on peut appeler une distribution de rêve, où même ceux pour qui on nourrissait des doutes (Falk Struckmann par exemple, si décevant à Orange) sont vraiment remarquables.
Le Rocco de Christoph Fischesser est sans reproche, la voix est ronde, bien posée, sans être exceptionnelle, mais cet artiste fait preuve d’une grande qualité de diction, et possède une indéniable présence. Rachel Harnisch n’est pas une chanteuse qui m’enthousiasme, même si cette fois-ci elle était plus engagée que d’habitude, et la voix est claire, l’aigu plus facile. Une très bonne prestation. Christoph Strehl (le Tamino de la Flûte enchantée d’Abbado), un peu fatigué pendant les répétitions est apparu un peu terne en Jaquino. Le Ministre (Don Fernando) de grand luxe de Peter Mattei était magnifique de noblesse, la voix est homogène, chaude, puissante. une fois de plus, cet artiste se montre à la hauteur (et même plus: son Fernando est exceptionnel). On l’attend dans d’autres grands rôles (sa prestation dans « de la Maison des morts » à la Scala reste dans les mémoires).
Falk Struckmann trouve dans Pizzaro un rôle qui correspond à l’état actuel de la voix. C’est un rôle essentiellement en force, qui n’exige pas une ductilité qu’il n’a plus, mais qui exige puissance et intelligence du texte qu’il possède au-delà de toute éloge: il est donc dans ce rôle-là  remarquable de présence et l’interprétation est vraiment d’une grande intelligence.
Il est tellement difficile de trouver une grande Léonore et un grand Florestan que l’on est ravi de trouver deux artistes à la hauteur des exigences et de la magnificence de l’orchestre. Nina Stemme a à la fois les aigus et les suraigus, elle domine à la fois le début de « Abscheulicher… », et les acrobaties finales, elle a l’héroisme voulu et la rondeur lyrique quand il le faut, il lui manque un peu d’aura scénique et c’est dommage. Mais la présence vocale est formidable. Une immense prestation, mais pas autant que celle de Jonas Kaufmann, qui réussit là encore mieux qu’à Paris un Florestan de rêve et de légende. On reste frappé par la manière dont la note est tenue dans le « Gott… » initial, d’abord à peine murmurée, qui s’élargit peu à peu dans une homogénéité telle que la voix semble monter et s’étendre sans aucun effort, avec un timbre d’une telle pureté, tellement juvénile qu’il laisse rêveur,-même Windgassen ne fait pas aussi bien!- sans parler du crescendo final de l’air auxquels tant de ténors se sont heurtés (je me souviens de Jerusalem à Paris avec Barenboim il ya longtemps!). Tout le reste est éblouissant, éblouissant de clarté (on entend toutes les paroles), de technique, de maîtrise de la voix, et en plus tellement lyrique, tellement « humain » et en même temps tellement vrai dans l’interprétation. Le rôle qu’on sait redoutable semble facilement dominé, avec une simplicité et une facilité qui étonnent puis enchantent. C’est bluffant: cet artiste semble pouvoir tout chanter, et toujours avec justesse et intelligence.Le résultat c’est un miracle, dont la répétition générale avait déjà donné un aperçu extraordinaire (rarement un tel triomphe à une générale) avec un premier acte peut-être encore plus dynamique, mais à ce niveau peut-on encore faire une différence? Claudio Abbado, fatigué comme on le sait après les concerts de Berlin, s’est repris, il est détendu, souriant, extraordinairement dynamique. Diable d’homme! Il ne reste plus au mélomane en quête de paradis qu’à revenir dimanche 15 août,et vous tentez le coup si vous n’êtes pas très loin. On trouve souvent des places au dernier moment. Ou écoutez la radio suisse (DRS2) qui transmet le 15 (dimanche et non samedi comme je l’ai écrit précédemment de manière erronée) à 21h ce Fidelio bouleversant. Quand je vous disais qu’il faut aller à Lucerne!

index.1281515103.jpgOlafur Eliasson – The weather project 2003(Photo: Jens Ziehe)

ABBADO et le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA à Paris le 20 octobre

Le 20 octobre prochain, Salle Pleyel, les parisiens pourront enfin entendre le Lucerne Festival Orchestra dans la Symphonie n°9 de Mahler, dirigée par Claudio Abbado. Après Tokyo, Londres, New York, Madrid, Rome et Pékin, Paris accueille enfin cet orchestre exceptionnel. Pour une seule soirée malheureusement, mais elle en vaut la peine, et le voyage. Précipitez-vous pour avoir des billets!

Il faut aller à LUCERNE

kkl2.1259958180.JPGIl FAUT aller à Lucerne. C’est vraiment aujourd’hui en Europe le Festival le plus complet en matière musicale. J’en ai déjà parlé à propos des concerts de Claudio Abbado en 2009, raison de plus pour 2010 puisque Abbado dirigera le Lucerne Festival Orchestra dans Fidelio (Stemme/Kaufmann), les 12 et 15 août, et la 9ème de Mahler, tant attendue, les 20 et 21 août. Mais Abbado n’est pas la seule raison de rendre une visite à Lucerne, puisqu’on pourra y entendre le Concertgebouw, les Berliner Philharmoniker, le San Francisco Symphony Orchestra, le Cleveland Orchestra, le Gewandhaus de Leipzig et bien d’autres encore. L’orchestre des jeunes du Festival (la Lucerne Festival Academy) sera dirigé comme chaque année par Pierre Boulez qui anime l’académie et les deux artistes étoiles seront cette année Hélène Grimaud et Esa Pekka Salonen. Ce dernier proposera le 10 septembre (avec son orchestre le Philharmonia) le fameux Tristan und Isolde, mis en scène par Peter Sellars avec les vidéos de Bill Viola, que les parisiens purent voir à l’Opéra Bastille; cette production fut conçue pour l’auditorium Dysney de Los Angeles, elle devrait s’adapter à l’espace conçu par Jean Nouvel.

Lucerne est à 90 km de la frontière française à Bâle, et à trois heures de Genève environ. Le voyage vaut le coup, croyez-moi: la région est splendide et même en Suisse on peut trouver en s’y prenant assez tôt des logements pas trop chers, et les hôtels pullulent au bord du lac des Quatre Cantons. Lucerne a en outre un Musée des Transports très important, et une collection de peinture avec des pièces maîtresses du XXème siècle, la collection Rosengart et bien sûr Tribschen où Wagner résida. En plus, cerise sur le gâteau, le Palais des Congrès où se déroule le festival, est l’un des bâtiments les plus réussis de Jean Nouvel, un authentique chef d’oeuvre de l’architecture contemporaine.

Certes, on le sait, la Suisse reste un pays cher (un peu moins depuis l’Euro), et les billets du festival ne sont pas donnés (prix maximum autour de 200-220 Euros), mais en s’y prenant à temps, on peut aussi trouver de bonnes places Galerie IV autour de 30-35 Euros. Il n’est d’ailleurs pas trop difficile d’avoir des places même vers mai juin  (sauf évidemment pour les concerts les plus demandés). L’ambiance des soirées de concerts a beaucoup changé depuis 10 ans, le public qui était un peu froid il ya  quelques années est devenu très enthousiaste, notamment avec Abbado (là c’est carrément du délire), et aussi Dudamel ou Jansons. Et l’ambiance  générale du festival est plutôt bon enfant, et pas vraiment snob.

Pour connaître en détail le programme voici le lien:

http://www.lucernefestival.ch/en/festivals/lucerne_festival_summer_2010/

Mais le festival de Lucerne, c’est aussi en automne Lucerne Piano (du 23 au 29 novembre) et le festival de Pâques ( du 19 au 28 mars) avec cette année l’orchestre des jeunes du Vénézuéla et Abbado, Dudamel, et le jeune Diego Matheuz, mais aussi l’orchestre de la Radio Bavaroise (avec Haitink et Harding), le Concentus Musicus dirigé par Harnoncourt.

C’est (à peu près) seulement à Lucerne qu’on peut entendre le Lucerne Festival Orchestra(LFO), cet orchestre magique fondé par Abbado qui surprend à chaque fois par la perfection technique, l’engagement, la chaleur du son, la sympathie (orchestre rempli de jeunes, qui entretient avec le public un rapport affectif très fort). Dix jours (12 août-21 août) qui ouvrent chaque année le festival. Soyez sans illusion, cet orchestre n’est probablement pas près de visiter Paris, bien qu’il se soit déjà déplacé à Rome, Londres, Tokyo, New York, Pékin, et qu’il doive en septembre 2010 aller à Madrid. En fait rien que cet orchestre vaut le voyage à Lucerne. Les concerts Mahler-Abbado-LFO sont sans doute parmi les événements musicaux les plus marquants de cette décennie, absolument inoubliables (et incroyables), cette expérience vaut la peine d’être vécue, et comme dit Stendhal « c’est pour ces moments là qu’il vaut la peine de vivre » .
Certes, il y a d’autres Mecques musicales, Salzbourg par exemple, où l’on entend souvent quelques uns des  mêmes orchestres, mais à Lucerne, les orchestres sont chez eux, puisque le Festival a été fondé pour la musique symphonique par Arturo Toscanini en 1938, après l’Anschluss; et  de plus l’ambiance de Lucerne n’a rien, mais rien à voir avec celle, compassée de Salzbourg.

L’intendant Michael Haefliger (le fils de Ernst Haefliger) dirige ce festival en authentique manager culturel, c’est un musicien, un vrai mélomane, enthousiaste et discret, qui sait réunir d’incroyables plateaux pour notre bonheur, et qui investit toute son énergie pour faire construire dans les prochaines années (et ce n’est pas gagné) une salle modulable destinée au théâtre musical. C’est aussi cette modestie et cette compétence qui donnent une couleur toute particulière aux moments vécus à Lucerne.

Il y a très peu de visiteurs français, malgré le proche voisinage et la presse française ne rend pas régulièrement (c’est  regrettable) compte des soirées de Lucerne, même si les concerts d’Abbado et du LFO ont quelquefois été commentés dans Le Monde, par exemple, ou quelquefois Le Figaro. Les germanophones liront avec profit les critiques de Peter Hagmann dans la NZZ (Neue Zürcher Zeitung), le journal de langue allemande aux pages culturelles de référence.

Voilà mon conseil de mélomane, j’espère bien vous avoir convaincus qu’un détour par Lucerne s’impose, vous ne le regretterez pas, et comme moi, vous y reviendrez chaque année.sallelucerne.1259958196.jpg

Les programmes 2010 (actualisés au 18 août 2010) de Claudio ABBADO

Vous aimez, comme moi, Claudio Abbado.
Vous considérez, comme moi qu’il est le plus grand des chefs vivants aujourd’hui et que tout au long de sa carrière on lui doit (entre autres)

– d’avoir fait de Simon Boccanegra une des références de l’opéra verdien
– d’avoir imposé une Carmen sans récitatifs mais avec les dialogues
– d’avoir imposé Luigi Nono sur les scènes et dans les concerts
– d’avoir imposé la version originale de Boris Godounov
– d’avoir imposé des morceaux inconnus du Don Carlo de Verdi (notamment le fameux « lacrimosa » concluant la mort de Posa)
– d’avoir mis au répertoire des théâtres « Il viaggio a Reims » de Rossini
– d’avoir mis au répertoire des théâtres « Fierrabras » de Schubert
– d’avoir, dans Parsifal, fait interpréter les enfants et les jeunes chevaliers par des voix d’enfants et non de femmes
– d’avoir, toujours dans Parsifal, inséré des cloches asiatiques pour les deux « Verwandlungmusik » avec une profonde modification des effets
– d’avoir fondé l’Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne
– d’avoir fondé le Chamber Orchestra of Europe
– d’avoir fondé le Gustav Mahler Jugendorchester
– d’avoir fondé le Mahler Chamber Orchestra
– d’avoir refondé le Lucerne Festival Orchestra
– d’avoir fondé l’Orchestra Mozart
– d’être le plus grand interprète actuel de Gustav Mahler

– Et d’avoir toujours soutenu la puissance sociale de la musique, d’avoir toujours voulu travailler avec des jeunes, d’avoir su oser au nom d’une forte idée de la nécessité de la culture dans tous ses effets, d’être en ce sens un authentique visionnaire.
Il ya donc quelque raison de signaler son activité aux mélomanes français, qui auront l’occasion de le revoir à Paris le 11 juin prochain salle Pleyel, c’est pourquoi je vous signale les concerts officiels prévus pour l’instant, mais il y en aura d’autres:

MARS
LUCERNE, KKL
19 mars

Prokofiev: Suite Scythe
Berg: Lulu-Suite (Anna Prohaska)
Tchaikovsky: Symphonie n° 6
Orchestre des Jeunes Simon Bolivar

ROME, Auditorium Parco della Musica
26, 28 & 29 mars
Mendelssohn: Symphonie n°4, Italienne
Mozart: Concerto pour violon K 216
Mozart: Symphonie n°41, Jupiter
Orchestra Mozart

AVRIL
BOLOGNA, Teatro Manzoni

1er avril
Beethoven: Egmont, Ouverture
Schumann: Concerto pour violoncelle (Natalia Gutman)
Beethoven: Symphonie n°2
Orchestra Mozart

FERRARA,Teatro Comunale
11 avril
REGGIO EMILIA, Teatro Valli
13 avril

Rachmaninov: Rapsodie sur un thème de Paganini (Yuja Wang)
Rachmaninov: Concerto pour piano n°2 (Yuja Wang)
Beethoven: Symphonie n°8
Mahler Chamber Orchestra

MAI
BERLIN, Philharmonie
14,15 & 16 mai

Schubert: Trois Lieder
Schönberg: Gurrelieder (Extraits)
Brahms: Rinaldo, Cantate
Christianne Stotijn
Jonas Kaufmann
Berliner Philharmoniker

JUIN

Tous concerts annulés

AOÛT
LUCERNE, Lucerne Festival, KKL
12 & 15 août

Beethoven: Fidelio (version de concert)
20 & 21 août
Mahler: Symphonie n°9
Lucerne Festival Orchestra

SEPTEMBRE
BOLOGNA, Basilica Santo Stefano
18 septembre

BOLOGNA, Teatro Manzoni
19 septembre
PAVIA, Certosa di Pavia
21 septembre
JESI, Teatro Pergolesi
25 septembre

Bach: Airs de la Passion selon St. Matthieu (« Ich will dir mein Herze schenken » + « Erbarme dich, mein Gott »)
Air de la Passion selon St. Jean (« Es ist vollbracht »)
Pergolesi: Stabat Mater
Julia Kleiter
Sara Mingardo
Orchestra Mozart

OCTOBRE
MADRID, Auditorio Nacional 
17 & 18 octobre 2010

Lucerne Festival Orchestra
Mahler Symphonie n°9

PARIS, Salle Pleyel
20 octobre 2010

Lucerne Festival Orchestra
Mahler Symphonie n°9

NOVEMBRE
BOLOGNA, Teatro Manzoni
21 novembre
FERRARA, Teatro Comunale
23 novembre

SCHUMANN:
Ouverture de Geneviève
Concerto pour piano
Symphonie n°3, Rhénane
Radu Lupu
Orchestra Mozart

BOLOGNA, Teatro Manzoni
28 novembre

Beethoven: Symphonie n°5
Orchestra MozartCertains concerts ne sont pas encore ouverts à la réservation, préparez-vous!

LUCERNE FESTIVAL 2009: Et le ciel s’est ouvert…Abbado à Lucerne (Août 2009)

 

Concerts ABBADO

Lucerne

12-22 Août

Programme 1 :

Prokofiev Concerto pour piano n°3, soliste Yuja Wang

Mahler Symphonie n°1

Programme 2 :

Mahler : Rückert Lieder

Mahler : Symphonie n°4

Magdalena Kozena, Mezzosoprano

Lucerne Festival Orchestra

Claudio Abbado


C’est désormais un rituel, le festival de Lucerne, le plus grand rassemblement d’orchestres internationaux au monde, pendant un mois et demi, s’ouvre sur 10 jours au cours desquels Claudio Abbado dirige le Lucerne Festival Orchestra pour quatre à cinq concerts et deux programmes. Rituel est le mot qui convient tant l’attente du public et la ferveur des musiciens  transforment ces moments en des pierres miliaires de l’histoire de l’interprétation musicale. La relation à Mahler du chef milanais est connue, elle accompagne toute sa carrière, depuis ses débuts, et pourtant, comme souvent chez Abbado, chaque concert est un moment tout neuf, où s’oublient toutes les interprétations précédentes, où s’explorent des chemins nouveaux, qui étonnent les musiciens eux-mêmes et frappent les auditeurs. Cette année, l’ouverture du Festival s’est faite avec la Symphonie n°1 de Mahler, et une fois encore, nous sommes projetés ailleurs. L’adhésion affectueuse de l’ensemble des musiciens se lit à la tension extrême pendant les exécutions, tension qui saisit aussi chaque spectateur, il n’est que d’entendre les silences qui suivent les dernières mesures, l’explosion finale des applaudissements, la standing ovation spontanée, les jets de fleurs. Nous sommes ailleurs, ailleurs parce que littéralement, on n’a jamais entendu cela…Dans les mains d’Abbado, une symphonie aussi rebattue que la Titan, œuvre dite de jeunesse, loin d’être cette explosion de sève juvénile dans une nature bouillonnante, devient le premier témoignage d’un parcours cohérent, fait de mélancolie, de tristesse, d’explosion, de refus, d’ironie terrible. Le début du 3ème mouvement, marche funèbre commençant par un incroyable mouvement à la contrebasse (Alois Posch !), est à ce titre absolument inoubliable. Cette couleur, qui porte en elle les 8 autres symphonies, fait de cette nature, thème central du Festival de cette année, non pas une nature sauvage et indomptée, mais au contraire une nature complètement transcendée par le regard de l’art, complètement domptée et sculptée, une nature à la Giorgione dans la « Tempête ». Et l’émotion impossible à contenir envahit la salle, à en hurler. L’émotion est pourtant un sentiment qui semble absent de l’interprétation de la jeune pianiste Yuja Wang, qui propose du concerto n°3 de Prokofiev (en première partie avant la Titan) une vision mécaniste, assez acrobatique, sans âme ni sensation. L’émotion est aussi ce qui manque à Magdalena Kozena, qui dans le second programme propose des Rückert Lieder une interprétation assez plate et sans véritable intérêt. Dans la quatrième de Mahler, son intervention au dernier mouvement est un peu plus sentie, mais on aimerait une voix moins faite, plus enfantine, plus claire. C’est une fois de plus l’orchestre qui stupéfie par sa domination technique, son engagement et la vibration qui en émane, cet orchestre qui vient par choix pour faire de la musique, en témoignent les effusions qui ponctuent chaque concert. Le contraste entre le nombre des pupitres en jeu et un son qui  est toujours contrôlé, qui sonne comme de la musique de chambre, qui s’étiole jusqu’aux limites de l’audible, des pianissimi qu’on pense impossibles à tenir, des musiciens qui sont aussi des solistes (Kolja Blacher dans l’adagio) c’est cela aussi la force de Claudio Abbado sur ses musiciens. La conjonction entre l’engagement personnel d’Abbado et l’impressionnante préparation des musiciens aboutit à ces trente secondes de silence, où l’on a l’impression que le ciel va s’ouvrir, qui précèdent l’explosion du public. Claudio Abbado est un univers, dit de lui Michael Haefliger, l’intendant du Festival de Lucerne, nous dirons qu’il est une planète à lui tout seul, sans aucun doute la plus fascinante et la plus belle de tout notre système musical.