METROPOLITAN OPERA NEW YORK: LA SAISON 2014-2015

La saison 2014-2015 du MET est une saison d’attente. Elle l’affiche pas de productions particulièrement stimulantes, mais de nombreuses reprises avec quelques distributions intéressantes ou des chefs solides.
Elle illustre les difficultés de ce théâtre et le délicat management d’une salle immense, au public assez traditionnel, qui ne se renouvelle pas. Les efforts de Peter Gelb pour attirer un nouveau public, plus jeune, donnent des résultats contrastés : renouvellement  des visions scéniques des productions, notamment en faisant appel aux metteurs en scène habitués du Musical (comme pour Rigoletto ou cette année La veuve Joyeuse) ainsi que montage de spectacles « pot pourri » pour implanter le baroque dans cet immense navire (The enchanted Island) n’ont pas produit les effets escomptés. Peter Gelb est discuté, et même si les distributions restent de haut niveau, la politique en matière de chefs reste timide, notamment depuis l’absence des podiums de James Levine pour cause de maladie. L’arrivée de Fabio Luisi comme principal chef invité n’a pas relancé la machine. Fabio Luisi, chef consciencieux, très honnête, rigoureux, mais peu charismatique, manque de cette aura qui fait les grands maîtres de la baguette.
C’est pourquoi le retour en 2013-2014 de James Levine préannonçait une saison 2014-2015 construite autour plusieurs productions dirigées par le chef mythique de la maison, six titres qui reflètent la versatilité d’un chef qui fut d’abord dans les années 70 une référence pour Verdi , puis dans les années 80 et 90 une référence pour Wagner, et qui continua tout au long de sa carrière au MET à diriger les grands piliers du répertoire, y compris Mozart dont il a peu près dirigé tous les titres de référence.
Ainsi sera-t-il au pupitre pour Le nozze di Figaro, Die Meistersinger von Nürnberg, Les contes d’Hoffmann, Ernani, Un ballo in maschera , The Rake’s Progress .
Par ailleurs, la saison sera moins dévoreuse de moyens, avec l’affichage de nombreux standards qui garantissent un public et remplissent les caisses.

La saison prochaine verra six nouvelles productions, dont trois entrées au répertoire :

–        en septembre-octobre Le Nozze di Figaro (James Levine, Richard Eyre) avec une distribution solide à défaut d’être étincelante, Ildar Abdrazakov, Figaro, Marlis Petersen  comme Susanna, Peter Mattei dans le Comte, Marina Poplavskaya la Comtesse, et Isabel Leonard Cherubino  (reprise en décembre sous la direction d’Edo de Waart avec une autre distribution).

–        en octobre 2014, entre au répertoire The Death of Klinghoffer de John Adams, dans une production de Tom Morris, sous la direction de David Robertson. C’est le troisième opéra de John Adams à entrer au Met (après Doctor Atomic et Nixon in China) avec notamment Paolo Szot (le capitaine de l’Achille Lauro) et Alan Opie (Klinghoffer).

–        le 31 décembre et tout janvier  The Merry Widow (Andrew Davis, Susan Stroman), en anglais,  avec Renée Fleming en joyeuse veuve et Nathan Gunn en Danilo, alternant en avril avec un autre cast dirigé cette fois par Fabio Luisi, avec Susan Graham et Rod Gilfry .

–        Fin janvier (et février), une entrée au répertoire du MET, Iolanta de Tchaïkovski/Le Château de Barbe bleue de Bartok (Valery Gergiev, Mariusz Trelinski). Gergiev dirigera (horaires aériens permettant) Anna Netrebko et Piotr Beczala dans Iolanta, qu’ils ont déjà chanté ensemble souvent (à Baden-Baden par exemple, toujours avec  Gergiev) et Nadja Mickael et Mikhail Petrenko dans Le Château de Barbe Bleue.
Dans ces nouvelles productions, notons les noms de Susan Stroman, chorégraphe, spécialiste de Musical pour Die lustige Witwe et Mariusz Trelinski pour Iotanta/le Château de barbe bleue, cinéaste et metteur en scène polonais qui a déjà mise en scène plusieurs opéras pour le théâtre Wielki de Varsovie (il en est le directeur) dont une Manon Lescaut de Puccini en coproduction avec La Monnaie.

–        Du 16 février au 18 mars, entrée au répertoire de La Donna del lago de Rossini, dirigé par Michele Mariotti, très bon spécialiste de Rossini, dans une production de l’écossais Paul Curran (vue à Santa Fé en 2013) avec la meilleure distribution possible : Joyce Di Donato, Daniela Barcellona, Juan-Diego Florez, John Osborn et Oren Gradus

–        En avril, Cavalleria rusticana/Pagliacci (Fabio Luisi, Prod.David McVicar) avec Marcelo Alvarez dans Turiddu et Canio (beau défi), Eva Maria Westbroek dans Santuzza et Patricia Racette dans Nedda
Dans les 18 reprises (sur 24 productions au total) James Levine en dirigera plusieurs :

–        Du 2 au 23 décembre Die Meistersinger von Nürnberg,  dans la vieille mise en scène d’Otto Schenk (il avait été un moment question de monter celle de Stephan Herheim de Salzbourg, mais on reprend une production qui n’a pas été montée depuis 1983…), avec Annette Dasch en Eva, Johan Botha dans Walther, Johan Reuter en Hans Sachs, Johannes Martin Kränzle en Beckmesser, Hans-Peter König comme Pogner

–        Du 28 février au 18 mars Les Contes d’Hoffmann . James Levine succède à Yves Abel (en janvier et jusqu’au 5 février) qui dirigera une distribution très différente, avec une seule chanteuse pour les trois rôles, Hibla Gerzmava, originaire d’Abkhazie, Vittorio Grigolo dans Hoffmann (hum…), Kate Lindsey dans la Muse/Nicklausse et Thomas Hampson dans les quatre rôles du Diable. Levine dirigera en revanche trois chanteuses, Audrey Luna (Olympia…voir la photo de la home page de son site…), Susanna Phillips en Antonia, Karine Deshayes (Giulietta), Elena Maximova dans la Muse/Nicklausse,  Matthew Polenzani en Hoffmann, et Laurent Naouri comme méchant. Choisissez…

–        En mars (jusqu’au 4 avril) Ernani, avec Angela Meade, Francesco Meli, Placido Domingo, Dmitri Belosselskiy (mise en scène Pier Luigi Samaritani, ce qui ne nous rajeunit pas – il fit le Trovatore de Garnier en…1973)

–        En avril (et jusqu’au 9 mai),Un Ballo in maschera (production de David Alden), avec Sondra Radvanovksi, Piotr Beczala (qui ne devrait pas être inintéressant), Dmitri Hvorostovsky et Heidi Stober (en troupe au Deutsche Oper Berlin) dans Oscar

–        En mai également, il dirigera 3 représentations de The Rake’s Progress de Stavinski, avec Stephanie Blythe, Baba la turque et Paul Appleby comme Tom Rakewell. Layla Claire sera Anne Trulove, et Gerald Finley Nick Shadow.

D’autres reprises pourraient intéresser, par le chef, ou par la distribution, ou même quelquefois par les deux :

–        En Septembre-Octobre, Fabio Luisi dirigera Macbeth de Verdi avec Anna Netrebko (qui se lance dans les grands Verdi), Zeljko Lucic en Macbeth, René Pape en Banquo et Joseph Calleja en Macduff (Production de Adrian Noble de 2007)

–        En octobre, Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch sera dirigée par James Conlon avec une jolie distribution : Eva-Maria Westbroek, Brandon Jovanovitch (qui commence donc à intéresser les grandes scènes), et l’inusable Anatolyi Kotscherga.

–        En mars et tout début avril, pour ceux qui aiment Massenet, quelques représentation de Manon dans la mise en scène de Laurent Pelly. L’opéra sera dirigé par Emmanuel Villaume qu’on voit en Allemagne et aux USA, mais pas en France, dans une distribution inattendue : Vittorio Grigolo dans Des Grieux (il semble se lancer dans le répertoire français), Diana Damrau dans Manon (la voilà, après Traviata, qui s’intéresse aux grandes dévoyées d’opéra, Russel Braun (Lescaut en alternance avec Michael-Todd Simpson) et Nicolas Testé dans Des Grieux père.

–        Fin Mars  et tout avril, Yannick Nézet-Séguin sera au pupitre pour une reprise de Don Carlo dans la mise en scène de Nicolas Hytner, avec  Yonghoon Lee dans le rôle titre, Feruccio Furlanetto (Filippo II), Simon Keenlyside (Posa), Barbara Frittoli (Elisabetta) et Ekaterina Gubanova (Eboli)

Le tout venant, c’est à dire la caisse…

–        Bohème (Zeffirelli) Dir. Riccardo Frizza avec Ekaterina Sherbachenko/Angela Gheorghiu/Kristine Opolais (Mimi) et Myrto Papatanasiu/Susanna Phillips/Sonya Yoncheva (Musetta) et Brian Hymel en Rodolfo alternant avec Ramon Vargas: 15 représentations entre septembre et janvier pour une production quinquagénaire, cela s’appelle un tiroir-caisse…

–        Carmen (Richard Eyre), un autre tiroir-caisse pour 16 représentations, Dir.Pablo Heras-Casado avec Anita Rachvelishvili, la douce Anita Hartig, Aleksandr Antonenko et Massimo Cavaletti en septembre et octobre, avec des reprises en février et mars sous la direction de Louis Langrée avec Elina Garanca et Roberto Alagna/Jonas Kaufmann (pour les deux dernières de mars)

–        Die Zauberflöte (Julie Taymor) du 6 octobre au 8 novembre. Dir : Adam Fischer, avec Pretty Yende/Miah Persson (Pamina) Ana Durlovski/Kathryn Lewek (Reine de la nuit) Toby Spence (Tamino) Markus Werba (Papageno) et René Pape/Franz-Josef Selig (Sarastro)

–        Aida pour 16 représentations entre novembre et avril sera aussi le troisième tiroir-caisse, dirigé par Marco Armiliato pour 12 représentations jusqu’à janvier avec Ludmilia Monastyrska/Latonia Moore/Marjorie Owens, Olga Borodina alternant avec Violeta Urmana, qui avec juste raison revient aux mezzos (Amneris), Marcello Giordani/Carl Tanner dans Radamès.  Les 4 dernières en avril seront dirigées par Placido Domingo, et donc le MET peut se permettre un cast contrasté: l’horrible Oksana Dyka, Violeta Urmana et Marco Berti et

–        Il barbiere di Siviglia (Barlett Sher), en novembre et décembre. Dir : Michele Mariotti, avec notamment Isabel Leonard (Rosina) Lawrence Brownlee (Almaviva) et Christopher Maltman (Figaro)

–        En décembre et janvier, une reprise d’Hansel and Gretel, en anglais, avec Christine Schäfer (Gretel) et Christine Rice (Hansel), dans la mise en scène de Richard Jones dirigé par Andrew Davis

–        À la même période, La Traviata contribuera à la bonne santé de la trésorerie du MET, pour 12 représentations dirigées par Marco Armiliato, dans la mise en scène désormais fameuse de Willy Decker, avec Ludovic Tézier en Germont pour 10 représentations (jusqu’au 17 janvier) et dans Violetta Marina Rebeka alternant avec Marina Poplavskaya  (qui chantera les 4 dernières) et Stephen Costello et Francesco Demuro alternant en Alfredo.

–        En février et tout début mars, Don Giovanni (Production Michael Grandage) dirigé par Alan Gilbert, le directeur musical du New York Philharmonic, avec Elza van den Heever (Anna), Emma Bell (Elvira, sauf pour la dernière), Kate Lindsey (Zerlina), Peter Mattei (Don Giovanni), Luca Pisaroni (Leporello) le vétéran James Morris (Commendatore, sauf pour la dernière) et le jeune Adam Plachetka, récente découverte de l’Opéra de Vienne en Masetto.

–        10 représentations en mars et début avril de Lucia di Lammermoor dans la mise en scène de Mary Zimmermann que les milanais vont connaître en février 2014. L’opéra de Donizetti sera dirigé par Maurizio Benini avec Albina Shagimuratova en Lucia, Joseph Calleja en Edgardo et Fabio Capitanucci en Enrico.

Pour ma part, les opéras dirigés par James Levine m’intéressent et notamment les deux Verdi (Ballo et Ernani) et Die Meistersinger par curiosité pour une production archéologique et surtout par envie d’écouter James Levine dans un Wagner où je n’ai pas eu encore la chance de l’entendre.
Mais il faut tout de même reconnaître qu’il n’y a pas vraiment de quoi traverser l’Atlantique : on a presque autant chez soi.
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DER RING DES NIBELUNGEN AU MET 2011-2012: EN GUISE DE BILAN

MET, 28 avril 2012, 10h30

Au terme de ce voyage outre Atlantique, je voudrais un peu tirer les bilans de ce Ring, vu dans son intégralité du 26 avril au 3 mai, mais vu aussi en salle de cinéma, et aussi partiellement l’an dernier, puisque j’ai vu La Walkyrie (cette fois avec Jonas Kaufmann, mais sans Levine, ni Luisi) . Cette idée m’est venue en lisant un article bilan extrait d’un blog frère du site de The New Yorker, qui soulignait l’accueil particulièrement frais de cette production, les critiques négatives, l’attitude de Peter Gelb, le charismatique manager du MET. Beaucoup en soulignent les aspects traditionnels, les insuffisances, et affichent préférences marquées pour la production précédente de Schenk. Ce qui est en jeu aussi, c’est la manière dont la production a été ” vendue” par Peter Gelb et son sens de la pub. Tout cela a généré une grosse attente, et une grosse déception.
Le pari de Robert Lepage a été de proposer une production exclusivement fondée sur des effets visuels, pour une œuvre qui certes en réclame, mais qui contient aussi de nombreuses scènes dialoguées où les effets sont forcément limités. Quand l’œuvre appelle du spectacle (Or du Rhin, Walkyrie acte III, Siegfried Actes II et III, Götterdämmerung scène I,1 ) cela fonctionne, mais l’œil du spectateur s’habitue vite aux effets et la surprise joue de moins en moins: de fait c’est le Götterdämmerung qui apparaît le plus faible, le moins imaginatif, le plus ennuyeux. En jouant l’image, Lepage joue aussi l’imagerie, une sorte d’imagerie d’un style très proche de la bande dessinée qui fonctionne quelquefois (Le Dragon) mais qui tombe à plat aussi. Enfin, Lepage semble oublier qu’il y a des personnages qui interagissent, qui projettent aussi sur le spectateur une image. Les seuls personnages vraiment intéressants pour qui Lepage ait prévu un vrai statut semblent Wotan et peut-être Alberich, la face solaire et la face sombre: mais ils ne tiennent apparemment que parce qu’ils sont incarnés, par des artistes extraordinaires comme Bryn Terfel et Eric Owens. Je serais spectateur l’an prochain, je me méfierais des changements de distribution…Pour le reste, ils font ce qu’ils veulent, ou presque, s’ils sont bons, cela fonctionne (Mime: Gerhard Siegel) sinon ils font ce qu’ils font toujours sur la scène dans le Ring (Katarina Dalayman). Les costumes (sauf Wotan) sont sans intérêt, et quelquefois les scènes sont ridicules (le cortège de mariage final de l’acte II du Crépuscule, qui pourrait être sorti d’un Crépuscule des années 20. Enfin, et c’est pour moi symptomatique, la différence projection en HD sur écran et vision scénique n’est pas si grande, tellement l’espace scénique est écrasé par la machinerie.
Bien sûr, il y a une volonté idéologique de ne pas tenter quelque chose du côté du Regietheater, mais de se cantonner au théâtre didascalique, d’illustration précise. Mais alors, il faut le faire bien, il faut organiser des mouvements intelligents, faire en sorte que quelque chose se passe entre les gens, faire circuler les émotions et la sensibilité. Je n’oublierai pas les tableaux frappants,  les filles du Rhin, la descente au Nibelheim, la montée au Walhalla, la Chevauchée des Walkyries, l’arrivée du Brünnhilde sur son cheval ailé, les adieux de Wotan, le Dragon,  l’entrée de Wotan au troisième acte de Siegfried. Mais ce ne sont que des tableaux. Le  reste est plutôt plat et notamment le final de Götterdämmerung à mon avis totalement raté. Robert Lepage a qui l’on doit tant de rêves scéniques, tant de poésie sur les plateaux (Rappelez vous son Rossignol, ou sa Damnation de Faust), s’est laissé prendre au piège de la machinerie. Et c’est dommage, même si cela ne mérite pas toujours les invectives de la presse américaine.
D’un point de vue musical, c’est un peu différent.
Fabio Luisi a été très apprécié par le public, un public habitué depuis une génération au  Ring de James Levine (offert une vingtaine de fois en une trentaine d’années), seul chef ayant été à la baguette pour un Ring au MET depuis la fin des années 70. Alors certes, le son un peu moins massif de Luisi, sa direction souvent raffinée, plus claire, laissant entendre bien des phrases cachées, suivant les chanteurs avec une redoutable précision, frappe un public habitué à son son plus massif, plus symphonique, plus grandiose et plus lourd.
J’ai apprécié les qualités de Luisi, très attentif aux voix comme un chef italien qui se respecte. Mais je n’ai pas lu de ligne précise sinon une préparation bien faite; c’est une direction qui reste un peu anonyme, sans l’ivresse sonore d’un Karajan, sans la précision, le cristal  et la dynamique d’un Boulez, sans le symphonisme et le dramatisme d’un Barenboim. C’est “bien”, c’est très propre, et très contrasté: quelquefois franchement ennuyeux (Walkyrie acte I, Crépuscule actes I et II), quelquefois aussi extraordinaire, voire éblouissant (Walkyrie acte III, Tout Siegfried et notamment l’acte III). Et donc Fabio Luisi n’a pas démérité, très loin de là. Il a toute sa place au pupitre d’un Ring.
C’est du point de vue de la distribution que viennent les meilleures surprises et les motifs de satisfaction. Reconnaissons que Peter Gelb n’a pas eu de chance: un chef renonce pour raisons de santé, un Siegfried annule pour raisons de santé, et les annulations ou les remplacements: Jonas Kaufmann, Waltraud Meier, Eric Owens…Il faut les ressources de la grande maison pour trouver des substituts.
Et pourtant malgré ces accidents , que de trouvailles vraiment exceptionnelles, à commencer par Stephanie Blythe, mezzo extraordinaire, dont la Fricka  réussit à captiver totalement malgré un physique un  peu trop développé. Citons aussi le jeune Siegfried de Jay Hunter Morris, qu’on va voir arriver bientôt sur nos scènes, j’en fais le pari, il a la jeunesse et la jovialité du personnage, la voix tient vaillamment la distance, à quelques savonnages près. Wendy Bryn Harmer, jeune soprano dont la Freia laisse deviner une future Sieglinde, voix un peu métallique mais puissante, et bien posée. Eric Owens, une basse de caractère, exceptionnel, qui compose un Alberich extraordinaire d’humanité blessée, et de puissance bridée et frustrée. Rien que pour eux, pour découvrir ces extraordinaires recrues du chant wagnérien, le voyage se justifie. Et puis il y a ceux que l’on connaît déjà et qui offrent des prestations phénoménales: qui pensait que Gerhard Siegel (Le Loge d’Aix) que j’estimais déjà auparavant, avait une voix aussi puissante aux couleurs aussi variées? quelle palette! une composition mémorable en Mime qui le rapproche de Zednik. Hans-Peter König exceptionnel aussi bien dans Fafner, dans Hunding, dans Hagen, réussit à chanter sans noirceur, en diffusant à chacun des personnages (Hunding et Hagen) une humanité qui surprend et étreint. Iain Paterson, qui réussit chacun des rôles qu’il interprète, avec sa technique remarquable et un chant varié et coloré: un interprète né. Et puis le dernier, mais pas évidemment le moindre: Bryn Terfel ne compose pas Wotan, il est Wotan, un Wotan à la voix claire, lumineuse, un Wotan à la fois sarcastique et d’une ironie mordante qui pèse chaque mot, chaque inflexion, doué d’une diction exceptionnelle, d’une voix qui se projette sans effort et qui prend mille couleurs, inutile de comprendre le texte (parfaitement clair d’ailleurs) pour comprendre ce Wotan là. Inoubliable, grandiose, à garder dans l’antre aux souvenirs dorés.
Alors on oubliera le remplaçant valeureux (et malheureux) de Jonas Kaufmann, Franz van Aken, au souffle trop court pour Siegmund, mais aux qualités de timbre et de diction intéressantes, la Waltraute anonyme de Karen Cargill. Et surtout la contre-performance de Katarina Dalayman, Urlanda Furiosa du moment, avec un chant parsemé de cris stridents, inélégants, sans aucune homogénéité.
On le voit, en 17h de musique, il y a eu des moments de jouissance absolue et même de larmes quand musique, chant, et images se fondent: Adieux de Wotan dans Walküre et entrée de Wotan au 3ème acte de Siegfried sont des moments que personne ne peut oublier: du miel pour l’âme. J’y ajouterai le Siegmund de Jonas Kaufmann entendu l’an prochain, urgent, bouleversant, au chant éblouissant.
Pour ce miel, oui,  cela valait la peine : depuis mon retour ces images se superposent, et je suis heureux.