© Patrick Berger / ArtcomArt
Il y en a cette année pour tous les goûts à Aix-en-Provence, Traviata pour les amateurs de grands standards, Clemenza pour Mozart (et Aix sans Mozart ne serait plus Aix…), Le Nez pour les œuvres rares, deux créations Thanks to my eyes, et Austerlitz, et un opéra baroque, Acis et Galatée, présenté dans le cadre bucolique du Domaine du Grand Saint Jean, coproduction avec la Fenice de Venise et l’Opéra de Bergen. En sortant de la représentation, je me demandais ce que pourrait être ce travail dans un espace clos, sans le mur du domaine, sans les lumières du fond du parc, sans le vent discret et cet air de campagne qui va si bien avec l’histoire de cet opéra pastoral, joué et chanté par de jeunes chanteurs valeureux, et dirigé par la découverte du festival d’Ambronay, l’argentin Leonardo Garcia Alarcon (qui ce soir là, suite à un incident impromptu, a abandonné le pupitre, pour disparaître deux minutes, en laissant le chef de chant Lionel Desmeules reprendre l’orchestre l’espace d’un instant …). C’est d’abord la magie du lieu et l’harmonie entre le paysage réel et le paysage scénique qui charme le spectateur, qui l’installe l’espace du spectacle dans une atmosphère vaguement arcadienne. L’approche de Saburo Teshigawara, metteur en scène et en gestes, et en mouvements de ce spectacle ajoute à l’atmosphère étrange qui s’en dégage: sans faire danser les chanteurs, il leur a appris une gestique intermédiaire, qui met le corps en premier plan et qui du même coup ôte toute velléité réaliste à l’ensemble, mais qui accompagne la musique et rythme l’intrigue. Il en résulte un spectacle très frais (sans doute l’influence du « locus amoenus » et de la fontaine finale…), très jeune, et dans lequel on se laisse entraîner sans vraiment chercher « derrière les yeux ». La précision des mouvements, qui semblent quelquefois reproduire les gestes étranges de certains tableaux du XVIIème, l’engagement des chanteurs (le chœur est magnifique de précision, à la fois dans la voix, mais aussi dans les gestes), la subtilité des éclairages, proches ou lointains (l’utilisation du parc donne une magie toute particulière), tout concourt à produire une impression de poésie en adéquation avec l’univers pastoral voulu par Haendel: il y a quelque chose qui renvoie aux atmosphères de fête de cour, tout en restant résolument moderne dans le propos.
Ce qui frappe c’est qu’il n’y a aucun excès, nous sommes dans la mesure, dans une simplicité apparente (bien conforme aux origines nippones deTeshigawara ) qui en réalité cache un travail d’orfèvre à tous les niveaux de la réalisation scénique (jusqu’à la perspective des corps recroquevillés à la fin de l’œuvre):
les dernières images avec Acis transformé en fontaine sont vraiment très marquantes . Voilà encore un choix de production très pertinent de Bernard Foccroule.
A cette ambiance scénique, se projetant dans un espace rêvé mais aussi étonnamment intimiste, correspond un son qui accompagne notre rêve, 16 musiciens, des sons à la fois grêles et très présents (les bois), vifs (les cordes), et d’une grande délicatesse (le luth), jusqu’à l’orgue dont le son réussit à se fondre dans un ensemble et qui donne aussi cette couleur intime, renforcée par la proximité des artistes et du public. La vivacité des rythmes, l’attention donnée aux moments plus lyriques (la fin est exemplaire et continue à sonner longtemps à nos oreilles, tout comme l’image qui lui correspond), tout cela donne une présence musicale très forte à l’entreprise, et le chef obtient de ses musiciens mais aussi des chanteurs, de magnifiques couleurs.
La jeunesse de l’équipe de chanteurs est aussi un atout: on sent que ces jeunes artistes sont disponibles, aussi bien pour des mouvements inhabituels sur une scène d’opéra,
que pour un chant très dominé et souvent remarquable. Si la première partie, plus convenue, laisse un peu sur sa faim (sauf pour le chœur, justement) la deuxième partie est particulièrement riche en airs d’une poésie et d’une délicatesse qui ont fait la réputation de l’œuvre (dont c’est la version de 1718 qui est jouée, sans doute la plus conforme à ce que en voulait Haendel). Signalons l’air magnifique de Coridon « would you gain the tender creature », chanté par le jeune et remarquable Zachary Wilder, merveilleux de technique et de contrôle, mais aussi de poésie et de sensibilité, qui est sans doute l’un des sommets de la représentation. Rupert Charlesworth, tout jeune lui aussi, allie une vrai sens chorégraphique et une voix bien dominée d’une délicate légèreté, notons que tous deux sont issus de l’école anglo-saxonne…
Julien Behr en Acis (qui est un rôle plutôt pâle) au timbre chaud, à la voix bien posée et forte, réussit à donner à cette partie ingrate une vraie personnalité. Julie Fuchs, après un premier acte un peu discret, donne à son deuxième acte une intensité plus grande, correspondant au côté tragique qui envahit la scène, mais est douée d’une forte présence scénique et d’une grande élégance en dominant parfaitement les gestes de la « chorégraphie » .
© Patrick Berger / ArtcomArt
Seul Polyphème (Joseph Barron, en costume de cuir noir) m’est apparu un peu en retrait, sa voix manque de projection, malgré de bonnes qualités d’agilité. Mais on se souviendra du jeu de l’ombre projetée sur la frêle Galatée, qui est est une vraie réussite de la mise en scène, et d’un monstre avec un zeste de tendresse, qui justifierait la voix contenue qu’il donne au personnage.
Il reste un spectacle de très bonne facture, une réussite théâtrale supplémentaire dans un Festival, qui cette année, semble avoir réussi (presque) tous ses paris scéniques. On se souviendra longtemps de « would you gain the tender creature », dans la douceur de l’air aixois et de l’extraordinaire fraîcheur que respiraient ce soir le plateau et la musique.