Cette production de Robert Carsen, datant de l’ère Mortier (2007), avait naguère bénéficié de la présence de Seiji Ozawa au pupitre, qui avait porté l’orchestre à incandescence, et d’une distribution de très haut niveau, avec notamment un Matthias Goerne exceptionnel en Wolfram, un très bon Stephen Gould en Tannhäuser, et de la grande Eva Maria Westbroek en Elisabeth, Venus étant confiée à Béatrice Uria-Monzon. A l’époque, une grève avait perturbé les représentations. L’agitation sociale actuelle à l’Opéra de Paris n’est pas nouvelle…
Carsen déplace l’ambiance et le sujet, transpose Tannhäuser dans un milieu artistique mondain, avide d’expositions, mais aux idées plutôt conformistes: la thématique dominante en est celle de l’artiste en avance sur son temps, isolé et incompris il n’y a rien de religieux là-dedans et la thématique de la rédemption disparaît, mais l’ensemble reste assez cohérent. Une fois admis le postulat de départ, la mise en scène notamment pendant les premiers et deuxième acte suit le livret et l’on pourrait presque remplacer les costumes modernes par des costumes médiévaux et l’on aurait à peu près un Tannhäuser traditionnel. L’utilisation de l’espace de la Salle au deuxième acte n’ajoute pas grand chose, sinon d’assimiler la “Teure Halle” à la salle de l’Opéra, la belle affaire…puisque le postulat n’est pas de dire que Tannhäuser est un chanteur mais un peintre…Ainsi les pélerins partent-ils à Rome avec leur tableau, comme autant de péchés, ils portent leur croix, et quand ils reviennent, il n’y a plus que l’armature: le tableau c’est ce qui doit être éliminé. Il reste qu’il est difficile de faire adhérer le texte à ce qu’on voit, au deuxième acte surtout.
C’est au troisième acte que la mise en scène m’apparaît la plus intéressante: elle rejoint (étrangement) les idées exprimées par Baumgarten à Bayreuth cette été: le Venusberg est en nous et nous le portons et nous balançons sans cesse de Vénus à la vertu: Wolfram seul se roule dans le lit de Vénus, enlaçant la robe d’Élisabeth, comme le fera Tannhäuser quelques instants après, et au final, Vénus et Élisabeth deviennent en quelque sorte deux faces de la même femme, habillées de la même manière, elles posent pour le peintre (les peintres, puisque Wolfram lui aussi vit en quelque sorte ce que vit Tannhäuser) qui ainsi trouve l’inspiration. Le final devient alors le triomphe du peintre reconnu par le monde: il a trouvé sa voie dans l’oscillation Vénus/Élisabeth et le rideau se ferme sur une exposition de toutes les Vénus possibles de la peinture occidentale. C’est peut-être la vision de Wolfram qui est la plus intéressante, un Wolfram introverti, un peu coincé dans son look d’étudiant attardé, qui réprime l’explosion de ses désirs car tout le reste des personnages est singulièrement “conforme” à l’habitude.
Robert Carsen est un metteur en scène qui fleurit sur les scène d’opéra, justement parce que ses spectacles sont toujours soignés, qu’ils ont souvent des idées, et surtout que son approche semble “moderne” sans risque, et qu’au total il n’est pas dérangeant, une sorte de Canada Dry de la mise en scène (ça tombe bien, il est canadien). Il a donc tout pour plaire au public et surtout aux directeurs d’opéra, qui aiment les spectacles qui pourront être repris sans histoires.
Du point de vue de la distribution, Nicolas Joel a réuni une distribution de très haut niveau, qui rivalise largement avec la compagnie originale. Nina Stemme faisait ainsi ses débuts à l’Opéra de Paris (il est temps…) dans un rôle qui lui va parfaitement. La puissance de la voix est toujours impressionnante et Élisabeth ne sollicite pas son organe comme peut le faire Brünnhilde. En écoutant encore attentivement cette artiste, je confirme clairement que la couleur n’est pas celle d’une Brünnhilde ou d’une Elektra, mais bien d’une Sieglinde, d’une Elisabeth, d’une Christothemis: bien que suédoise, elle n’est pas une Nilsson comme je l’ai lu çà et là de la part de gens qui n’avaient sûrement pas entendu la Nilsson. Nina Stemme est beaucoup plus une Rysanek. J’avais remarqué sa fatigue perceptible à Munich en Juillet dernier, mais aussi sa somptueuse Sieglinde il y a trois semaines à Lucerne. Du point de vue de l’intensité et de la force dramatique, je lui préfère (mais suis-je objectif?) Anja Harteros, qui avec moins de moyens, étaient littéralement bouleversante à Milan au deuxième acte. Il reste qu’on a là une très grande Élisabeth. Sophie Koch en Vénus n’a pas raté son entrée dans le rôle: voilà une Vénus physiquement crédible (même si c’est une figurante qui est nue au lever de rideau et affiche des formes très avantageuses) et vocalement impeccable aux aigus triomphants, avec une voix vibrante, chaude, vivante, presque érotique. Nous tenons là un mezzo wagnérien de tout premier ordre: Sophie Koch est en train d’entrer peu à peu dans le panthéon des mezzos wagnériens indispensables: elle est une grande Brangäne, une très belle Fricka, et a présent une belle Vénus. A quand Bayreuth?
Christopher Ventris est un bon Tannhäuser, à la voix claire et lumineuse, un peu tendue au final du 2ème acte, et du redoutable 3ème acte. Je lui préfère quand même Stephen Gould, plus urgent, plus dramatique à mon goût ou même Peter Seiffert à la voix plus large de vrai Heldentenor. Mais il reste que sa prestation est vraiment très honorable. Stéphane Degout compose un personnage humainement très vrai, au chant mesuré, contrôlé, à la diction parfaite, un très grand Wolfram, d’une particulière intensité, qui peut rivaliser avec les grands Wolfram du moment (et même avec Goerne), mais qui n’atteint pas à mon avis le niveau bouleversant de Michael Volle cet hiver à Zurich dans la production de Kupfer. Ceci étant, Degout est vraiment l’un de nos chanteurs les plus talentueux et il reçoit un succès très mérité. Seule déception, le Landgrave de Christof Fischesser, un chanteur que j’aime beaucoup, mais qui m’est apparu en deçà du rôle, un peu grave peut-être pour la couleur de sa voix. Parmi les autres, on remarque le beau Biterolf de Tomas Konieczny, un baryton qui “monte” en ce moment. En tous cas, l’ensemble de la distribution n’appelle pas de remarque désobligeante: c’est une belle réunion d’artistes de qualité qui compose ce Tannhäuser.
On peut alors regretter que l’on ait fait appel à Sir Mark Elder pour diriger la production. De tous les Tannhäuser de ces dernières années, c’est sans doute la direction la plus pâle qu’on ait pu entendre: à Zurich, c’était Ingo Metzmacher, peu connu en France hélas, à Bayreuth, Thomas Hengelbrock qu’on entend encore souvent à l’opéra dans du répertoire XVIIIème, à Paris même, c’était Ozawa. Aucune comparaison possible avec aucun de ces chefs. Sir Mark Elder, très apprécié outre Manche (mais pas à Bayreuth, où il ne dirigea qu’un an les Maîtres Chanteurs il y a une trentaine d’années), n’est pas arrivé du tout à rendre l’épaisseur de la partition, à rendre audible les différents pupitres: rien n’est mis en relief, rien n’est vraiment souligné, sinon la ligne mélodique dominante. les tempos sont quelquefois lents, ce qui rend encore plus ennuyeux l’audition car la lenteur ne permet pas de s’accrocher à une audition analytique de l’orchestre: l’orchestre s’ennuie, les spectateurs s’ennuient, et cela a des effets sur le chœur, qui m’est apparu en deçà de ses prestations habituelles avec quelques menus décalages. Dans une œuvre où le chœur est déterminant et si attendu, c’est tout de même dommage: habituellement le chœur final fait vibrer la salle, ici, c’est certes toujours impressionnant (on est chez Wagner tout de même), mais reste un tantinet extérieur, sans l’engagement total qu’on pourrait attendre. Je continue à ne pas comprendre certains choix de Nicolas Joel en matière de chefs.
Au total, une bonne reprise “de répertoire” dans une mise en scène à succès, mais inégale, notamment pour les deux premiers actes, une direction musicale pâle et sans intérêt, avec une distribution de très haut niveau qui provoque un grand succès public, mais qui ne réussit pas à inscrire cette soirée (matinée) dans les grandes soirées d’opéra. On continuera à se souvenir des premières, grâce à Ozawa.
Une note très sympathique et optimiste, j’étais assis entre des jeunes (18-20 ans) ayant bénéficié de places à prix réduits de dernier moment. Ils étaient visiblement fous d’opéra. Ils m’ont rappelé les moments bénis des années 70 ou 80 où grâce aux places “étudiant”, j’ai pu voir à l’orchestre pour 10F Karajan dirigeant le troisième acte de Parsifal ou Böhm dirigeant la Flûte enchantée et l’Enlèvement au Sérail (oui oui, ce n’était pas complet!!).
La relève est assurée !
Nous étions donc aux mêmes spectacles ce week-end !
Entièrement d’accord avec vous sur la qualité de la direction : je serai même plus sévère, tant le prosaisme et la lourdeur de Mark Elder ont fait apparaître des défauts de la partition que je n’avais jamais perçues à ce point.
Le tripatouillage des surtitres me semblent en outre une vraie escroquerie intellectuelle !
Et Sophie Koch a tout de même un registre grave un peu problématique…
Je partage votre avis, ayant été à la représentation du 12 octobre. Je ne peux que relever que le spectacle de Paris “écrase” et de loin l’impossible représentation de Bayreuth 2011 tant sur le plan de la mise en scène que sur le plan vocal. Sophie Koch était en très grande forme. Ventris un peu en difficulté à la fin de l’acte II.
Oui, Sir Elder joue fort avec des décibels sans grandes nuances entre les pupitres. Seule surprise: la harpe… était-elle “sonorisée”. Si ce n’est pas le cas, félicitations à l’harpiste (un monsieur) qui est arrivé à couvrir le magma sonore et qui a reussi à se faire entendre alors qu’elle n’était pas sur scène accompagnant notre minnersanger…Bravo l’harpiste
Je lis vos commentaires mais je voudrais vous dire que, sans me livrer a une analyse approfondie, j’ai passe une soiree inoubliable, avec une telle tension que je n’ai pu retenir mes larmes au moment de ” O du mein holder Abendstern” et ce Wolfram etait a des lieux au dessus de Andrea Schmidt dans le meme role naguere.. J’adopte pour l’opera la meme attitude que face au vin : j’aime ou je n’aime pas, avec ses forces et ses faiblesses, et foin de l’analyse spectometrique ou des recherches de correspondance avancee avec des fruits ou autre. Et la, j’ai fondu, j’ai adore.Et tout etait au niveau et la mise en scene claire, suggestive , intelligente ( par comparaison, dans Faust, je n’ai compris l’intention de Martinoty qu’apres coup ). Peut-etre avez vous raison pour la direction, mais sur le moment,cela ne m’a ni interpele, ni gene.