LUCERNE FESTIVAL 2013: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 23 AOÛT 2013 (SCHUBERT – BRUCKNER)

Image du concert Schubert/Bruckner ©Peter Fischli / Lucerne Festival

Voilà encore un programme singulier: deux symphonie inachevées, toutes deux créées de manière posthume, la symphonie n°7 en  si mineur D 759 (selon les numérotations les plus actuelles) très fameuse de Schubert, composée à partir de 1822 et créée à Vienne en décembre 1865, et la symphonie n°9 de Bruckner en ré mineur WAB 109 moins connue du grand public, créée à Vienne en février 1903, mais dont la composition s’étend de 1887 à 1896 ; du dernier mouvement on a suffisamment de traces pour avoir permis plusieurs reconstitutions, mais souvent peu convaincantes.
Mais ce qui a intéressé Claudio Abbado dans ce programme, c’est justement l’inachèvement, dont les causes sont peu claires pour Schubert, et qui constitue pour Bruckner un testament (l’oeuvre est dédiée à Dieu, dem lieben Gott).
Beaucoup d’auditeurs sont sortis sonnés de la soirée, et le triomphe, long, avec le public debout presque d’emblée, n’avait pas la couleur des triomphes d’Abbado habituels. Ce fut un long applaudissement, sans faiblesse, sans fin, continu, mais en même temps presque “retenu”, comme si le public se mettait en cohérence avec ce qu’il avait entendu.
On connaît bien le Schubert d’Abbado, il a enregistré une intégrale fameuse qui fait partie des références, et on lui doit aussi d’avoir exhumé, puis présenté à la Staatsoper de Vienne Fierrabras, dans une mise en scène de Ruth Berghaus. Le Schubert d’Abbado est à la fois élégant, comme toujours, mélancolique et élégiaque, mais avec en même temps quelque chose de vital, c’est clair dans les symphonies, ça l’est encore plus dans Fierrabras, dont l’énergie, dont les rythmes, dont la folie explosive ont frappé les spectateurs de l’époque (dont j’étais) et qui justifie que ce soit celle-ci qui d’emblée, ait été reprise dans les théâtres (l’an prochain à Salzbourg pour le Festival 2014, avec Harnoncourt, par exemple), plus que les autres oeuvres de Schubert. Et comme souvent, la surprise est totale lorsque l’on découvre cette lecture totalement nouvelle de l’Inachevée. On comprend d’ailleurs par ricochet les options qui ont guidé la lecture de l’Eroica la semaine précédente, et notamment ces tempi dilatés qui ont tant surpris (voire gêné) les auditeurs: car ce Schubert doit se lire à l’éclairage de la symphonie n°9  de Bruckner. C’est, si j’ose le néologisme, un Schubert brucknerisé qui nous été donné d’entendre, avec des tempi très étirés, très dilatés (début de deuxième mouvement proprement incroyable, presque un rythme de marche funèbre). Abbado n’est pas avare de moments proprement sublimes, où le public est totalement pris comme à revers. Le début en forme de murmure à peine perceptible, comme un frémissement très étiré surgi du néant, du silence, comme une chose inquiétante et mystérieuse. Nous sommes d’emblée plongés dans une profonde mélancolie, voire le drame dans les moments plus tendus. Pas un seul moment de répit, de relâchement, pas une seule lueur dans cette lecture sombre, presque définitive. Le début du second mouvement est très lentement scandé, comme par des coups frappés du destin. Certes l’écoute de son enregistrement avec la Chamber Orchestra of Europe montre bien qu’il a toujours eu cette approche plutôt lente, jamais cependant Claudio Abbado n’a installé un tel climat dans une symphonie de Schubert, d’une indicible tristesse, bien au-delà de la mélancolie. Il y a des moments sublimes, notamment tout les moments murmurés, mais beaucoup d’auditeurs sortent du concert interloqués: jamais on aurait attendu un tel Schubert sans lueur, sans espoir, renonçant à toute expression vitale.

Le concert du 23 août ©Peter Fischli/ Lucerne Festival

Évidemment, dans une symphonie de Bruckner qui est presque une sorte de testament artistique comme la Symphonie n°9, on comprend plus nettement le parti pris, en harmonie totale avec le choix de la couleur du Schubert, il y a ainsi une profonde cohérence entre les deux parties du concert, et une vraie parenté, je l’ai précisé plus haut, avec le choix qui a présidé la semaine précédente d’une Eroica si dilatée.  Les deux premiers mouvements sont empreints de cette beauté triste qui se résigne à la fin des choses. Le début de la symphonie, à peine effleuré, est de l’ordre du sublime. Les cuivres sont totalement transfigurés, les bois (et cette fois notamment la clarinette de Alessandro Carbonare) sont très sollicités et le tempo exceptionnellement lent appelle un jeu particulièrement tendu voire acrobatique (le souffle n’est pas aussi infini que le son ne pourrait l’être). Les pizzicati époustouflants du début du deuxième mouvement laissent pantois, pendant que l’ensemble du mouvement, qui est considéré comme particulièrement hardi pour l’époque (on évoque Stravinsky ou Prokofiev) est une danse encore plus inquiétante, presque macabre, où l’ironie présente notamment dans la deuxième partie cède la place à une sorte de désespérance (les bois sont encore une fois exceptionnels) presque sarcastique.
L’adagio final est sublime de bout en bout: alors que l’émotion sans être tout à fait absente des autres mouvements laisse la place à une sorte d’horizon bouché et presque étouffant, désincarné et presque détaché, – une sorte de fond de la désespérance – il y a des moments bouleversants dans cet adagio, le début, le tutti qui précède le calme final qui remue d’une manière profonde, toutes les interventions des cuivres totalement habités par cette énergie du désespoir qui étreint. Le tout début presque mahlérien qui ensuite va exploser aux tubas puis se concentrer jusqu’à la contemplation, a généré pendant l’audition une indicible angoisse, que je crois partagée par de nombreux spectateurs. Oui, là l’émotion a traversé les coeurs, a secoué les auditeurs. Il en a résulté le triomphe réel, mais en même temps retenu qui a ponctué la soirée.
Une soirée et une édition 2013 qui laissent un goût amer en bouche: comme d’habitude, des exécutions d’une qualité inouïe, avec un orchestre phénoménal, comme d’habitude des émotions et des moments très forts, mais cette année, quelque chose d’autre, où était absent cet élan vital, cette éternelle jeunesse qu’Abbado communique dans sa vision de la musique. Etait-ce parce qu’il était plus fatigué (c’était visible dans ses gestes, et il a dû pendant la série de concerts annuler son intervention pour la fête des 75 ans du Festival) est-ce un tournant interprétatif ? L’avenir nous le dira, mais en tout cas, bien des amis qui le suivent encore plus que moi étaient frappés par cette vision sans espoir qui transpirait de ces soirées et du fond de leur âme, ne voulaient pas l’envisager.
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Pendant la répétition générale ©Priska Ketterer / Lucerne Festival


 

0 réflexion sur « LUCERNE FESTIVAL 2013: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 23 AOÛT 2013 (SCHUBERT – BRUCKNER)  »

  1. Ce gout amer je l ai bien ressenti en regardant le concert deLucerne je suis tellement admiratrice de Claudio Abbado. ……………

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