LUCERNE FESTIVAL 2011: DIE ZAUBERFLÖTE / LA FLÛTE ENCHANTÉE le 21 août (Dir.mus: Daniel HARDING)

Que la Flûte Enchantée soit au programme d’un Festival dédié à la Nuit, quoi de plus ordinaire ou quoi de plus évident. Le conte qui raconte la victoire du jour contre les ténèbres de la nuit ne pouvait être évité. Mais autant une production d’opéra de ce Singspiel est elle ordinaire, autant une représentation en version de concert pose t-elle problème. Il s’agit bien d’un Singspiel, d’une pièce chantée…autrement dit, il y a de nombreux moments dialogués qui en version de concert allongent l’œuvre sans vraiment l’enrichir à cause de l’absence… de théâtre justement. Une version de concert de la Flûte enchantée, c’est du Sing(le chant) sans le Spiel (le jeu). Mais on ne peut couper les dialogues et ne laisser que les parties chantées, on n’en a pas l’habitude et ce serait une profonde erreur, tant les dialogues et le chant sont solidaires. Voilà le problème qu’ont dû se poser les organisateurs. d’un festival dédié à la musique seule et non à l’Opéra.
Le festival de Lucerne n’évite pas les opéras en version de concert, mais il privilégie les versions scéniques (Tristan l’an dernier) ou semi scéniques, comme Parsifal avec Abbado et le Gustav Mahler Jugendorchester l’été 2002 ou plus récemment Fidelio désormais immortalisé par le disque dont la réalisation semi-scénique n’est pas restée-bien heureusement- dans les mémoires. Ce fut donc une version semi scénique de la Flûte: mais là aussi la présence des dialogues pouvait se révéler contre-productive. Alors on est allé plus loin: on a supprimé presque toutes les parties dialoguées pour les remplacer par un récit dit par un récitant, maniant une marionnette et jouant sans cesse d’un dialogue avec la marionnette, dialogue rempli de facéties qui à la fois font sourire (ou rire) le public, pour garder quelque chose de l’aspect souriant qui existe dans l’œuvre . Mais là on est allé encore plus loin: l’entreprise était risquée, pouvait aboutir à quelque chose de ridicule, ou tout simplement raté, parce qu’il n’est jamais facile de transformer un tel monument. On a donc pris de risque d’écrire un nouveau texte, d’adjoindre quelques éléments de jeu, un scooter électrique pour Papagena, des vidéos, des éclairages assez soignés, les musiciens jouant dans un éclairage de fosse d’orchestre (simple éclairage des pupitres), le tout coordonné et mis en espace par Andrew Staples, le Tamino (excellent) de la production.
Dire que tout était utile (les vidéos notamment) serait hasardeux, mais beaucoup craignaient le résultat, et le résultat, il faut bien le reconnaître (j’avais de sérieux doutes)  a très nettement passé la rampe. Le public est entré dans le système récitant/chant, grâce à l’excellent Christopher Widauer, récitant doué d’une diction parfaite, d’une voix chaleureuse, et de dons de ventriloque peu communs dans le dialogue avec la marionnette. Il fallait aussi une troupe de chanteurs jeunes, disponibles, unis autour du projet: l’avantage pour Daniel Harding, britannique, est d’avoir réuni une distribution pour les rôles principaux presque exclusivement britannique, ce qui a permis de constater une fois de plus, l’excellence de la formation au chant outre manche.
Car cette Flûte fut une incontestable réussite à tous niveaux, orchestral, choral, vocal.
Je n’avais plus écouté Daniel Harding depuis quelques années. Il a eu une passe difficile, dont il semble s’être sorti, car il propose une Flûte très originale, à laquelle il imprime une marque inhabituelle, un tempo plus lent, des moments susurrés, comme une histoire qu’on raconterait dans la nuit, avec un orchestre bien rythmé, et contrasté (tradition baroque oblige) alternant avec des moments dignes d’un oratorio, voir d’un choral de Bach. L’orchestre est dans son ensemble excellent, c’est son Mahler Chamber Orchestra, qui forme les « tutti » du Lucerne Festival Orchestra et qui entre les Bruckner et les Mahler/Brahms, a aussi trouvé le temps de répéter la Flûte. Il est vrai qu’il l’avait déjà jouée (et enregistrée) avec Claudio Abbado, présent dans la salle ce soir. Quelques bavures dans les cuivres (trombone à coulisse) mais en général un son très clair, très rond, de très beau pianissimi (appris au contact d’Abbado) et une vraie joie de jouer, et une vraie jeunesse de coeur, qui est le caractère essentiel de cet orchestre, pour ceux qui le connaissent. C’est un Mozart d’aujourd’hui, vif, tendu, mais aussi mélancolique, nocturne, tendre ( je pensais en entendant la fraîcheur de cette Flûte à l’ennui distillé par la Clemenza di Tito aixoise). Harding a vraiment imprimé là une marque originale: on a rarement entendu une Flûte ainsi jouée, ou ainsi osée, et le résultat est magnifique.
Il faut dire qu’il est aidé par une distribution équilibrée,  homogène, qui a su comprendre les intentions du chef et les faire siennes. Les voix ne sont pas toutes exceptionnelles, mais aucune n’est en retrait, et tous sont de remarquables musiciens, comme souvent les anglo- saxons.
Andrew Staples est vraiment un excellent, un remarquable Tamino, il sait contrôler sa voix, qui a de la puissance, de l’aigu, de la douceur et une vraie technique. On a l’impression qu’il pourra tout chanter, à suivre!
Kate Royal, en grossesse très avancée, a su elle aussi montrer des qualités remarquables de technique, de projection, de port de voix, avec une manière très élégante de négocier l’aigu et le suraigu . Elle est très émouvante dans les airs et les ensemble du second acte, et la voix est de grande qualité.
Neal Davies en Papageno manque un peu de volume et de projection. Mais dans la conception de Harding, ce Papageno plein d’humour, plein d’ironie et aussi d’amertume, un peu moins exubérant que d’habitude, convient parfaitement: et comme la technique de chant et l’élégance sont au rendez-vous, on apprécie grandement une prestation qui peut-être sur scène passerait moins bien. En tous cas, il est convaincant ce soir.
Une exceptionnelle Reine de la Nuit en la personne de la jeune russe/ouzbèque Albina Shagimuratova, une voix bien posée, assez large, avec du corps et du volume, et toutes les notes, sans effort. Impressionnante dans ses deux airs, elle triomphe facilement et conquiert le public. A suivre absolument.
Une déception en revanche le Sarastro d’Alistair Miles, une voix qui semble prématurément vieillie, des graves certes, mais un manque de projection et de présence, un peu comme l’orateur de Stephen Gadd. Dommage.
Les trois dames sont assez convaincantes , bien que la deuxième dame ait tendance à crier (Wilke Te Brummelstroete), et les trois enfants (Trinity Boys Choir de Croydon) qui chantent un peu moins haut que les habituels Tölzer Knabenchor, sont très doux, très discrets, en prise directe avec le propos de Harding, et en deviennent émouvants.
Les autres participants (jolie Papagena de la jeune norvégienne Mari Eriksmoen) sont de bon niveau également, dans une distribution qui frappe à la fois par son engagement. Il en résulte une Flûte assez inhabituelle, que Harding tire souvent vers l’oratorio (magnifique choeur Arnold Schoenberg, comme toujours), vers la douceur, la mélancolie nocturne. On passe non seulement une excellente soirée (triomphe, standing ovation), mais en plus on a découvert une manière différente de faire sonner cet opéra archi-connu en terre germanophone, et que les gens chantaient à l’entracte.
Après les triomphes d’Abbado et les élévations brucknériennes, cette Flûte concluait en cohérence et en beauté une semaine très riche et stimulante. Il faut aller à Lucerne…

Mahler Chamber Orchestra | Arnold Schoenberg Chor (Chef de choeur: Erwin Ortner) | Daniel Harding Direction | Alastair Miles Sarastro | Andrew Staples Tamino | Kate Royal Pamina | Albina Shagimuratova Reine de la Nuit| Neal Davies Papageno | Mari Eriksmoen Papagena | Martina Janková première Dame | Wilke te Brummelstroete Deuxième Dame  | Kismara Pessatti Troisième Dame | Stephen Gadd Orateur, premier Prêtre | Alexander Grove premier homme armé , Second Prêtre| Vuyani Mlinde Second homme armé | Mark Le Brocq Monastatos | Christopher Widauer narrateur