OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2012 (Festival de Pâques de Salzbourg) le 7 avril 2012: CONCERT dirigé par Sir Simon RATTLE (SCHUMANN, NACHTLIED pour choeur et orchestre, CONCERTO pour PIANO en la mineur, op.54 piano Murray PERAHIA, BERIO, O King für Stimme und fünf Spieler, FAURÉ, REQUIEM avec Kate ROYAL et Christian GERHAHER)

7 avril 2012:
Schumann:
Nachtlied, pour chœur et orchestre op.108
Concerto pour piano et orchestre en la mineur op.54

Berio: O King, pour voix et cinq pupitres
Fauré: Requiem,
pour deux voix, choeur et orchestre en ré mineur op.48
Murray Perahia, piano
Kate Royal, soprano
Christian Gerhaher, baryton
Rundfunkchor
Berlin, chef de chœur Simon Halsey
Berliner Philharmoniker
Sir Simon Rattle, direction

Voilà une deuxième journée musicalement plus convaincante que la veille. Elle a commencé le matin lors de la répétition publique réservée aux « Förderer » (soutiens du Festival) par l’interprétation du  Concerto pour violon en ré majeur op.77 de Johannes Brahms, avec en soliste Guy Braunstein, à la ville Premier violon solo des Berliner Philharmoniker.

Cette répétition est la reprise d’un concert donné cet hiver à la Philharmonie, sous la direction d’ Andris Nelsons, qui a rencontré un immense succès. L’interprétation de Guy Braunstein, musicien israélien qui a intégré l’orchestre il y a douze ans en dit long sur la qualité des instrumentistes du Philharmonique de Berlin, dont plusieurs mènent aussi une carrière de soliste. Sir Simon Rattle, dont je n’aime pas toujours le Brahms, a travaillé en pleine osmose avec le soliste, et il en est résulté un vrai moment de musique, d’un grand niveau, et donc un gros succès du public.
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La soirée a débuté par le beau « Nachtlied » de Schumann, qui met particulièrement en valeur le chœur de la Radio de Berlin sur un poème de Friedrich Hebbel: Schumann aimait travailler autour de textes de poètes contemporains. Trois strophes sur la nuit, sur la vie, sur le sommeil qui construisent la musique comme un crescendo, permettant au chœur de partir du murmure jusqu’à l’éveil imposant en une dynamique qui en fait l’une des œuvres chorales majeures de Schumann. L’orchestre accompagne avec bonheur ce crescendo, ce qui en fait un très beau moment.

7 avril 2012: saluts Rattle et Perahia

Le concerto pour piano (originellement, seul le premier mouvement était conçu par Schumann comme une fantaisie pour piano, puis il l’a élargi en concerto) est bien connu des mélomanes.
Ce soir, le soliste était Murray Perahia, qui en a livré une interprétation plus scandée, plus rythmée, moins fluide que de coutume, avec une impressionnante maîtrise technique dans le dernier mouvement, particulièrement spectaculaire. L’orchestre accompagne le soliste dans une unicité stylistique, avec un souci très marqué du chef de suivre le rythme du soliste: plusieurs fois, Rattle se penche vers le piano comme pour adapter au plus près l’accompagnement orchestral. L’orchestre comme d’habitude est exceptionnel, on n’en finirait pas de disserter sur flûte, clarinette, hautbois et cor anglais. Le niveau est très haut, mais il reste cependant qu’on a entendu déjà un Schumann plus fluide, plus chantant, plus ouvert. Ce n’est pas le sommet des sommets, mais on en sort néanmoins satisfaits.
La seconde partie commence par une pièce de Luciano Berio, immédiatement enchaînée sans silence, sans pause, par le Requiem de Fauré. Il faut rendre justice à Sir Simon Rattle d’avoir ouvert le répertoire de l’orchestre à des pièces moins connues, et surtout au répertoire français et contemporain. Rattle est un bon connaisseur des grands musiciens français et il en a imposés beaucoup à Berlin.
L’œuvre de Berio (ici interprétée dans sa version de chambre pour voix soliste, flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano) date de 1968 et se veut un hommage à Martin Luther King, la soliste (Kate Royal) va épeler son nom jusqu’à ce qu’il apparaisse pleinement, en un climax marqué par le piano traité comme instrument à percussion. Pour la voix, le début est éprouvant car il exige un très grand contrôle, et la voix n’émerge pas, mais le volume va aller croissant, dans une ambiance très recueillie, et du même coup, le Requiem semble lui-même la conséquence de cet hommage puisque Martin Luther King mourra assassiné la même année. On peut donc admettre cet enchaînement surprenant, d’autant qu’il apparaît « naturel ».
Ainsi le Requiem de Fauré est pour moi le seul véritable « moment » de ces deux jours, où il s’est vraiment passé quelque chose: d’abord, Sir Simon Rattle sent visiblement cette musique et défend sa délicatesse et son intimisme. Pas de Dies Irae punitif, mais une ambiance très lyrique, avec un chœur supérieurement préparé, et un orchestre dont les cordes (distribuées selon un ordre particulier dans l’orchestre, avec les premiers violons à droite) sont à leur sommet, notamment dans les trois derniers moments, Agnus Dei et Lux aeterna, libera me et in paradisum. Impressionnant.
Il en résulte une véritable tendresse sonore que le lyrisme affiché de Rattle valorise. Kate Royal n’a pas semblé avoir la voix « céleste » voulue par la partition. Elle s’en tire mieux dans le bref Berio que dans Fauré, où elle n’est pas convaincante, alors qu’on pouvait penser que cette excellente chanteuse pouvait au contraire nous transporter. Mais son partenaire, le baryton allemand Christian Gerhaher, originaire de Bavière, est extraordinaire: il a la chaleur et la douceur vocale, la précision, la diction parfaite (on comprend chaque parole) le volume, dont il use avec parcimonie, mais qu’il module et qu’il contrôle à la perfection. On tient là un successeur évident aux grand liederistes allemands, à commencer par Thomas Quasthoff, qui vient d’annoncer son retrait. C’est sans doute aussi un grand Wolfram, un futur Beckmesser, bref, la carrière lui est ouverte: quand on a une voix comme celle-là, qui immédiatement fait frissonner et passionne, c’est une carrière immense qui peut s’ouvrir. Retenez donc ce nom, Christian Gerhaher.
Au total, ce Requiem nous a sortis de la grisaille:  avec des solistes, un chœur, et un orchestre pareils, dès que ça décolle, ça va très haut et très profond dans  le cœur et directement dans l’âme.
Ce soir, il y avait vraiment de la musique. Le public ne s’y est pas trompé, il leur a fait à tous un triomphe.

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7 avril 2012, Requiem de Fauré, saluts

LUCERNE FESTIVAL 2011: DIE ZAUBERFLÖTE / LA FLÛTE ENCHANTÉE le 21 août (Dir.mus: Daniel HARDING)

Que la Flûte Enchantée soit au programme d’un Festival dédié à la Nuit, quoi de plus ordinaire ou quoi de plus évident. Le conte qui raconte la victoire du jour contre les ténèbres de la nuit ne pouvait être évité. Mais autant une production d’opéra de ce Singspiel est elle ordinaire, autant une représentation en version de concert pose t-elle problème. Il s’agit bien d’un Singspiel, d’une pièce chantée…autrement dit, il y a de nombreux moments dialogués qui en version de concert allongent l’œuvre sans vraiment l’enrichir à cause de l’absence… de théâtre justement. Une version de concert de la Flûte enchantée, c’est du Sing(le chant) sans le Spiel (le jeu). Mais on ne peut couper les dialogues et ne laisser que les parties chantées, on n’en a pas l’habitude et ce serait une profonde erreur, tant les dialogues et le chant sont solidaires. Voilà le problème qu’ont dû se poser les organisateurs. d’un festival dédié à la musique seule et non à l’Opéra.
Le festival de Lucerne n’évite pas les opéras en version de concert, mais il privilégie les versions scéniques (Tristan l’an dernier) ou semi scéniques, comme Parsifal avec Abbado et le Gustav Mahler Jugendorchester l’été 2002 ou plus récemment Fidelio désormais immortalisé par le disque dont la réalisation semi-scénique n’est pas restée-bien heureusement- dans les mémoires. Ce fut donc une version semi scénique de la Flûte: mais là aussi la présence des dialogues pouvait se révéler contre-productive. Alors on est allé plus loin: on a supprimé presque toutes les parties dialoguées pour les remplacer par un récit dit par un récitant, maniant une marionnette et jouant sans cesse d’un dialogue avec la marionnette, dialogue rempli de facéties qui à la fois font sourire (ou rire) le public, pour garder quelque chose de l’aspect souriant qui existe dans l’œuvre . Mais là on est allé encore plus loin: l’entreprise était risquée, pouvait aboutir à quelque chose de ridicule, ou tout simplement raté, parce qu’il n’est jamais facile de transformer un tel monument. On a donc pris de risque d’écrire un nouveau texte, d’adjoindre quelques éléments de jeu, un scooter électrique pour Papagena, des vidéos, des éclairages assez soignés, les musiciens jouant dans un éclairage de fosse d’orchestre (simple éclairage des pupitres), le tout coordonné et mis en espace par Andrew Staples, le Tamino (excellent) de la production.
Dire que tout était utile (les vidéos notamment) serait hasardeux, mais beaucoup craignaient le résultat, et le résultat, il faut bien le reconnaître (j’avais de sérieux doutes)  a très nettement passé la rampe. Le public est entré dans le système récitant/chant, grâce à l’excellent Christopher Widauer, récitant doué d’une diction parfaite, d’une voix chaleureuse, et de dons de ventriloque peu communs dans le dialogue avec la marionnette. Il fallait aussi une troupe de chanteurs jeunes, disponibles, unis autour du projet: l’avantage pour Daniel Harding, britannique, est d’avoir réuni une distribution pour les rôles principaux presque exclusivement britannique, ce qui a permis de constater une fois de plus, l’excellence de la formation au chant outre manche.
Car cette Flûte fut une incontestable réussite à tous niveaux, orchestral, choral, vocal.
Je n’avais plus écouté Daniel Harding depuis quelques années. Il a eu une passe difficile, dont il semble s’être sorti, car il propose une Flûte très originale, à laquelle il imprime une marque inhabituelle, un tempo plus lent, des moments susurrés, comme une histoire qu’on raconterait dans la nuit, avec un orchestre bien rythmé, et contrasté (tradition baroque oblige) alternant avec des moments dignes d’un oratorio, voir d’un choral de Bach. L’orchestre est dans son ensemble excellent, c’est son Mahler Chamber Orchestra, qui forme les « tutti » du Lucerne Festival Orchestra et qui entre les Bruckner et les Mahler/Brahms, a aussi trouvé le temps de répéter la Flûte. Il est vrai qu’il l’avait déjà jouée (et enregistrée) avec Claudio Abbado, présent dans la salle ce soir. Quelques bavures dans les cuivres (trombone à coulisse) mais en général un son très clair, très rond, de très beau pianissimi (appris au contact d’Abbado) et une vraie joie de jouer, et une vraie jeunesse de coeur, qui est le caractère essentiel de cet orchestre, pour ceux qui le connaissent. C’est un Mozart d’aujourd’hui, vif, tendu, mais aussi mélancolique, nocturne, tendre ( je pensais en entendant la fraîcheur de cette Flûte à l’ennui distillé par la Clemenza di Tito aixoise). Harding a vraiment imprimé là une marque originale: on a rarement entendu une Flûte ainsi jouée, ou ainsi osée, et le résultat est magnifique.
Il faut dire qu’il est aidé par une distribution équilibrée,  homogène, qui a su comprendre les intentions du chef et les faire siennes. Les voix ne sont pas toutes exceptionnelles, mais aucune n’est en retrait, et tous sont de remarquables musiciens, comme souvent les anglo- saxons.
Andrew Staples est vraiment un excellent, un remarquable Tamino, il sait contrôler sa voix, qui a de la puissance, de l’aigu, de la douceur et une vraie technique. On a l’impression qu’il pourra tout chanter, à suivre!
Kate Royal, en grossesse très avancée, a su elle aussi montrer des qualités remarquables de technique, de projection, de port de voix, avec une manière très élégante de négocier l’aigu et le suraigu . Elle est très émouvante dans les airs et les ensemble du second acte, et la voix est de grande qualité.
Neal Davies en Papageno manque un peu de volume et de projection. Mais dans la conception de Harding, ce Papageno plein d’humour, plein d’ironie et aussi d’amertume, un peu moins exubérant que d’habitude, convient parfaitement: et comme la technique de chant et l’élégance sont au rendez-vous, on apprécie grandement une prestation qui peut-être sur scène passerait moins bien. En tous cas, il est convaincant ce soir.
Une exceptionnelle Reine de la Nuit en la personne de la jeune russe/ouzbèque Albina Shagimuratova, une voix bien posée, assez large, avec du corps et du volume, et toutes les notes, sans effort. Impressionnante dans ses deux airs, elle triomphe facilement et conquiert le public. A suivre absolument.
Une déception en revanche le Sarastro d’Alistair Miles, une voix qui semble prématurément vieillie, des graves certes, mais un manque de projection et de présence, un peu comme l’orateur de Stephen Gadd. Dommage.
Les trois dames sont assez convaincantes , bien que la deuxième dame ait tendance à crier (Wilke Te Brummelstroete), et les trois enfants (Trinity Boys Choir de Croydon) qui chantent un peu moins haut que les habituels Tölzer Knabenchor, sont très doux, très discrets, en prise directe avec le propos de Harding, et en deviennent émouvants.
Les autres participants (jolie Papagena de la jeune norvégienne Mari Eriksmoen) sont de bon niveau également, dans une distribution qui frappe à la fois par son engagement. Il en résulte une Flûte assez inhabituelle, que Harding tire souvent vers l’oratorio (magnifique choeur Arnold Schoenberg, comme toujours), vers la douceur, la mélancolie nocturne. On passe non seulement une excellente soirée (triomphe, standing ovation), mais en plus on a découvert une manière différente de faire sonner cet opéra archi-connu en terre germanophone, et que les gens chantaient à l’entracte.
Après les triomphes d’Abbado et les élévations brucknériennes, cette Flûte concluait en cohérence et en beauté une semaine très riche et stimulante. Il faut aller à Lucerne…

Mahler Chamber Orchestra | Arnold Schoenberg Chor (Chef de choeur: Erwin Ortner) | Daniel Harding Direction | Alastair Miles Sarastro | Andrew Staples Tamino | Kate Royal Pamina | Albina Shagimuratova Reine de la Nuit| Neal Davies Papageno | Mari Eriksmoen Papagena | Martina Janková première Dame | Wilke te Brummelstroete Deuxième Dame  | Kismara Pessatti Troisième Dame | Stephen Gadd Orateur, premier Prêtre | Alexander Grove premier homme armé , Second Prêtre| Vuyani Mlinde Second homme armé | Mark Le Brocq Monastatos | Christopher Widauer narrateur