J’explore à mes moments perdus le répertoire de bel canto. Je ne suis pas a priori un passionné de gargarismes vocaux et d’histoires de reines, de duchesses, de comtesses trompées, ruinées, torturées par leur frères, maris, pères abusifs et violents et qui pour le moins deviennent folles en gratifiant le public de tourbillons vocaux délirants avant de tomber raides en même temps que le rideau.
J’aime cependant énormément le Rossini “serio” et notamment Maometto II ou Ermione, j’adore I Puritani de Bellini, les trois grandes reines donizettiennes et notamment Maria Stuarda. J’ai réentendu récemment Maria de’ Rudenz, vous savez, la dame amoureuse qui se suicide au mariage de l’être aimé avec une autre, en s’ouvrant une blessure et en se vidant de son sang. J’ai entendu aussi Imelda de’ Lambertazzi, gibeline amoureuse du guelfe Bonifacio. Ce dernier est blessé par une arme empoisonnée, et Imelda ayant sucé le sang de la plaie pour en aspirer le poison, meurt ainsi empoisonnée: un peu morbide et pas très enthousiasmant pour mon goût.
J’ai aussi réécouté avec attention les trois magnifiques enregistrements de Beverly Sills de Maria Stuarda, Roberto Devereux et Anna Bolena, pour conclure à la supériorité de la Sills sur la “Stupenda” Joan Sutherland. Si vous avez à choisir, choisissez toujours Sills, le chant est bien plus vibrant, bien plus vécu et bien plus émouvant.
Et puis je suis tombé, guidé en cela par un ami italien plus sopranoïnomane que mélomane sur Rosmonda d’Inghilterra.
Opéra inconnu de mon bataillon, un parmi les dizaines que Donizetti a composés, il bénéficie d’un enregistrement de 1996 avec Nelly Miricioiu, la toute jeune Renée Fleming et Bruce Ford à son zénith dirigé par Daniel Parry à la tête du Philharmonia Orchestra. C’est une merveille, précipitez-vous!
L’oeuvre a été créée en février 1834, à deux mois de Lucrezia Borgia, sur un sujet déjà traité sans succès par Carlo Coccia, compositeur peu connu aujourd’hui dont je connais un bel opéra, Catarina di Guisa. Il fut révisé pour le San Carlo de Naples en 1837 sous le titre Eleonora di Gujenna.
L’histoire est celle de Rosemonde Clifford, maîtresse d’Henri II Plantagenêt, que la reine Alienor d’Aquitaine fit chasser de la cour et assassiner.
Le livret de Felice Romani évidemment grandit le personnage de Rosmonda et en fait un parangon de vertu qui s’efface pour laisser en paix le couple royal. Elle n’en mourra pas moins de la main d’Alienor (Leonora). Pour une fois le livret n’use pas de personnages secondaires prêts à utiliser le poison ou à tuer dans les coulisses, mais l’une des héroïnes assassine l’autre sur scène, sans autre forme de procès (après un magnifique duo, plein de ressentiment, de tripes et de gargouillis vocaux, cela va sans dire).
Acte I: A son retour de guerre triomphante en Irlande, le roi Enrico est accueilli par la reine Leonora qui vient d’apprendre par son fidèle page que le roi a une maîtresse, dont le nom est inconnu et qui loge en secret au château. Le page en est en plus tombé amoureux. Leonora jure vengeance.
Clifford, père de Rosmonda et ancien précepteur du Roi Enrico se présente devant le roi et lui fait reproche de sa liaison coupable (sans savoir que c’est sa fille) mais le roi promet de répudier Leonora et d’épouser sa maîtresse dont il est éperdument amoureux.
Rosmonda se morfond dans sa tour attendant le retour de son amoureux dont elle ignore le statut (elle l’appelle Edgardo), le page Arturo qui veille sur elle lui annonce son retour (elle explose de joie au grand dam d’Arturo) et l’arrivée du vieux Clifford. En dévoilant son identité, la frayeur de Rosmonda la démasque, Arturo découvre qui elle est. Clifford découvre donc que la maîtresse du roi est sa fille, et cette dernière découvre en même temps la véritable identité de son amant.
A la fin du premier acte, la cour est réunie autour de la reine, et le vieux Clifford présente sa fille et la met sous la protection de la reine. La reine a désormais deux motifs de s’en débarrasser, un motif personnel (elle est la maîtresse de son mari) et politique (il veut la répudier). Grand final où toutes les rivalités s’expriment.
Au début de l’acte II, il est question de répudier Leonora et de la renvoyer séance tenante en Aquitaine. Leonora essaie sans succès de plaider sa cause, politique et personnelle auprès du roi.
Clifford arrive à convaincre sa fille de laisser l’Angleterre, de gagner l’Aquitaine et d’y épouser Arturo. Elle est décidée à s’effacer devant Leonora, la reine, quand Enrico apparaît lui disant que tout est disposé pour qu’il répudie Leonora et qu’il l’épouse. Elle refuse et a juré de le quitter pour toujours.
Elle se retrouve devant la reine qui lui fait d’amers reproches et la menace de mort; elle réussit à l’amadouer en lui disant qu’elle a juré de quitter le roi pour toujours et de s’exiler. La reine est presque convaincue quand survient le roi en armes, elle prend peur, saisit sa dague et se rue sur Rosmonda, qui tombe.
A la scène finale, Rosmonda s’écroule dans les bras de son père et d’Enrico pendant que Leonora promet au roi la vengeance du ciel.
J’ai donc écouté cet enregistrement d’Opera Rara, par le Philharmonia Orchestra dirigé par Daniel Parry, et avec Renée Fleming dans le rôle de Rosmonda, Nelly Miricioiu (qui n’a pas eu la carrière qu’elle méritait) dans celui de Leonora, Bruce Ford (magnifique) celui d’Enrico, Alistair Miles comme Clifford, et Diane Montague dans Arturo. C’est une très belle distribution, les chanteurs sont intenses, engagés , techniquement parfaits et stylistiquement totalement à leur place. A acheter avec confiance (46 € sur amazon.fr, 31€ sur amazon.es et moins de 37€ sur jpc)
Les voix:
Enrico: ténor lyrique léger, de type rossinien
Leonora: soprano/Falcon
Rosmonda: soprano lirico-colorature (de type Lucia)
Arturo: mezzosoprano/contralto
Clifford: basse
Les airs et moments notables:
Acte I:
– Duo Arturo/Leonora et surtout cabalette de Leonora “Ti vedro’ donzella audace…”
– Air d’entrée d’Enrico: “Dopo i lauri di vittoria” et cabalette “Potessi vivere…”
– Duo Clifford/Enrico et notamment “Vai, tu primier dimentico…”
– Air d’entrée de Rosmonda “perché non ho del vento…” et la cabalette “Torna, torna o caro oggetto” [superbe! Du grand Fleming à l’orée de la carrière]
[La dernière partie de l’acte se déroule à un rythme haletant, d’un coup de théâtre à l’autre]
– Duo Clifford/Rosmonda: “Era ehi lasso…/Ciel! tu piangi?…” et la partie finale (quand elle découvre que l’amant est le Roi…) “Ah! Quel velo è a me squarciato!…”/”Piangi mecco…”
– Trio Enrico/Clifford/Rosmonda et en particulier “Non piangere…”/”Non isperar…”
– Toute la scène finale du premier acte dès l’entrée de Leonora “E’ dessa…”, mais surtout la deuxième partie “Tace ognun…” et à partir de “Indegno!”[magnifique exemple de concertato final…et de vraie scène de ménage…] et l’extraordinaire “Ah! s’io degno udir nomarmi…”
Acte II:
– Duo Rosmonda/Enrico “Tu sei mio…”
– Aria: “ritorna a splendere” (Arturo)
Successions de scènes de Rosmonda:
– Air de Rosmonda (le renoncement): “Io fuggiro’ quel perfido”
– Air de Rosmonda et scène[moments superbes!] : “Senza pace e senza speme”puis duo avec Enrico “Tu stesso al padre or rendimi…”et [très beau] duo “Concedo un breve istante/Ah! nel mio cor tremante”[Fleming éblouissante]
– Chœur “Ecco gli antichi platani” magnifique chœur où l’on perçoit les sources des grands chœurs du jeune Verdi.
-Duo Rosmonda/Leonora ” Tu morrai…”, climax de l’opéra, précédant la scène finale.
Ce disque permet d’entendre à l’orée de la carrière une Renée Fleming plus engagée, plus émouvante peut-être que ces dernières années où je lui reproche beaucoup sa froideur, et surtout Nelly Miricioiu, une chanteuse qui n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’elle méritait et qui s’est attachée toute sa carrière durant à sortir de l’oubli des œuvres enfouies injustement, comme cette Rosmonda d’Inghilterra qui pourrait efficacement séduire le public si les voix adéquates s’y attaquaient. En effet, à l’audition, peu de moments creux où la tension retombe, c’est rythmé, violent, haletant, et on est tenu en haleine (musicale) jusqu’au rideau final.
Essayez cet opéra, vous l’adopterez!
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